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Bulletin SAF 1930


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Un procès pour ruptures de fiançailles au XVIIIè siècle

Jacques Thomas

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1930 tome 57 - Pages 42 à 48

UN PROCES
Pour rupture de fiançailles au XVIII" siècle
C'était en 1762. Le maeiage était décidé: « les
liens saceés ùe l'hymen » allaient unie François
Le Gourlan, de Dinéault, et Marie Le Poudoullec,
de Plomodiern . En décembre, fian çailles en règle

« à la face des autels », contnü de mariage devant
notaie8, publication des bans; tout allait pour le
mieux. Puis l'attente du jeun e homme fut trompée,
le mariage tal 'da et, le 21 avril 1763, les « p,arents
de la fille» obtinrent de l'officialité diocésaine
une ordonnance qui dissolvait les fiançailles. On
se représente le dépit et la fureur du jeune hom­
me et de son père. Ils engagèrent un peocès
devant « la juridiction du Comté de Crauzon » .

L'exposé de l'affaire et les conclusions de maî-
tre Daniel, procureue, prennent huit pages d'écri­
ture serrée.

L'exteuit, en possession de la famill e Thomas,
de Plomodiern, porte : l( Copie pour Yves Le Pou­
doullec et Marie Le Roux, sa femme, et Marie Le
Poudoullec, leur fille, demeurants au lieu de

En ,"oiGi l'intl'oductiun et les passages les plu s
marquants (1),

« A M. le Sénéchal el seul juge de la JuridicLion du ComLé
de Crauzon et annexes.
« Supplient humblement Gabriel et François Le Gourlan,
pére et fils, demeurants au lieu du Rest, paroisse de Dine­ aul, demandeurs aux fins d0 la préseilte, contre Yves Le

Poudoullec et Marie Le Roux sa femme et Marie Le Pou-
doullec leur fille, sous l'authorité dudit Poudoullec son
pére, demeuran ts au lieu de Lanfran c. psse de Plomodiern,
défendeurs.
Cc Disanls que l'affaire à laquelle la présente va donner
l'être ne doit son principe et sa cause qu'à la fourberi e, la
trahison et la perfidie ; elle représen le d'un côté un père et
un fils humiliés, flétris, outragés, accablés d'ennuis ct de cha­ grin, devenus la fable et le jouel de lout un public; et de
l'autre un pére et une mère et une fille impérieux, floUan t
dans leurs sentiments, indociles aux remontrances, sourds
aux inspirations, rehelles à leurs promesses eL i leur foi:
tel es t en raccourci le tableau que l'on a à offrir aux regards
de la j usLice.
" Sur la fin de l'année dernière 1762, Yves Le Poudoullec el
femme, instruits qu'ils ne pouvoienl pl"Owrer à leur fille un
èLablissement plus avantageux que cc~ui que des personnes
qui leur étoient très attachés, leur proposoient avec Fran­ çois Le Gourlan, crurent et avec raison qu'il ne convenoit
point de différer d'un moment à saisir les moyens d'unir par
le lien de l'hymen leur fille à ce jeune homme : En consé­ quence, ils firent mouvoir tous les ressorts qui sont d'Ol'di­
naire en usage en pareilles occasions à la ca mpagne : leurs
mouvements furent heureux, Le Gourlan donna les mains
à l'entrevue sollicitée; el luy et son fils, rendus au jour
marqué en l'endroit indiqué, déelarent à Poudoullec et femme
(i) Nous ne reproduisons pas les bizarreries d'orthogl'aphe, qui n'ont

agréer leur recherche; el en conséquence on fiL quelques
dépenses pour parvenir à régler et fixer les conditions ma­
trimoniales eL se r éjouir ensemble d'un pl'oj et d'union
qui paroissoit combler les vœux des uns et des autres, dé­
penses auxq uels Gourlall père fraya seul ~ .
Une deuxième réunion eut lie u au bourg parois­
sial de Plomodie r'l1, le 17 décem bre 1762, pou r le
contrat de mar'iage; de nouvell es dépenses furent
faites et payées par Gourlan père.
« Quelques jours après, les promis, accompagnés de leurs
parents et amis, se rendirent à l'églü:.e et là, en leur présence
et en celle de leur curé, à la face des aut.els, au pied du
trône du Roi des Rois, ils renouvelèrent leurs promesses ... ,
les bans furent publiés.
CI Désormais sùr du mariage, François Le Gourlan devança
les parents de la promise dans tout ce qui pouvoit leur
faire plaisir, jusqu'à même s'employer à les soulager dans
leurs travaux.
« CependanL il priait souvent sa future de consentir à cou­
r onner son bonheur: prières et solliciLations que ses ruses
et ses arlifices (à elle) trouvoient toujours le moyen d'élu­
der ... elle se détermina enfin à lui dire qu'il n'avoit plus
de charme pour elle.
« Franç,ois Le Gourlan, surpris et alarmé tout à la fois d' un
langage si Lraître, si perfide, en demanda la cause .. . , mais
en vain ... Il courut vers son pèr e ... Ce pére irrité .. d'un

affront si signalé, se rendit chez Yves Le Poudoullec ...
« Cet homme, aussi fertile en ruses et en artifices que
l'éloit sa fille, lui dit que ce n'étoit là qu'un badinage de la
part de sa fille, ou peut-être une preuve qu'elle vouloit faire
de la constance de son amant, qu'il auroit raccommodé ce Lte
affaire et qu'il n'a voit pas besoin de s' r,n embarrasser ...
« François reprit ses visites auprès de Marie PoudouIJec et
eut lieu d'en êLre content ... Il la sollicita de nouveau de
combler son bonheur par la bénédiction lluplialle ~ . Son

future «qu'il étoit plus que temps de finir l'ouvrage com~
mencé ».
«Ces traîtres, ces perfides, se voyant ainsi pressés ... , cru­
rent qu'ils ne pouvoient plus tarder à rnanifèster le projet
qu'ils avaient. concerté jointement avec leur fille, de diffa­
mer le père et le fils; armés de colère et de fureur, ils direnL
à l'un et à l'autre que c'étoit vainement qu'ils se livroient à
tant de démarcbes pour accomplir une promesse de mariage
à laquelle ils ne s'étoient livrés que pour s'en faire une occa­
sion de publier hautement le mépris souverain qu'ils en
avoient. EL pour leur faire connaître que Lous ces propos
outrageants n'étoient point un jeu, ils se pourvurent le 21
avril dm'nier à l'officialité et le même jour' ils oblinrenL une

ordonnance qui dissouL le mariage (1).
« Quelques jours après ils firent rendre aux supplianLs une
copie de cetLe ordonnance Quelle lIouvelle outrageante pour
le père et le fils ! Quelle infamie, quel coup de foudre pour
le fils! Il aimoiL Marie Poudoullet:, il n'avoit d'yeux que
pour la voir, de langue que pour en publier le mérite, de
mains que pour la servir, ni de pieds que pour aller et venir
dans Lous les endroits où ses volontés l'appelloienl. Comment
le consoler d'un événement si fiétrissan t, si Deu attendu et

si capable d'altérer sa santé eL d'abréger ses jours?
«Dans l'intermède de tant d'œuvres d'iniquité, François
Le Gourlan a été maintes fois recherché en mariage: forLu­
nes avantageuses ... personnes à la fie ur de leur âge ... , tous
les agréments d'une grande jeunesse et d'une famille distin­
guée dans le canton ... Vaines recherches ... Esclave de sa
parole, il les a touLes rejetées ... pour ne penser qu'à celle
qui vient de l'outrager si indignement .
. « Constance si digne d'éloges, couronnée par un trail si
. noir, si perfide, si odieux!. : . Il n'est que pleurs que larmes,
que gémissements; sa vie n'esL qu'une longue mort ou une
agonie con lin ueUe ...
(i) Terme tout à fait impropre; il faut comprendre: dissoulles fian­

« CommenL doiL faire François Le Gourlan en cet éLat d'af­
fiiction1 Se laire pour laisser impuni un procédé si défihono­
ranL 1 ou s'armer des dernières ressources propres à apporter
(lUelques adoucissements à ses maux? ..
« Les gens de mauvaise foi ne peuvent trouver mauvois
qu'on les attaque pour réparer la perte causée el fournir aux
dommages et in térêts. Les lois le décident et l'équité l'exige ...
~ Or, on a assuré les suppliants par les promesses de maria­
ge pendant quatre mois et plus; on les a conslilués dans des
frais et des dépenses considérables, on les a détourllés de
leurs travaux, on les a engagés dans des voyages coutageux
el ensuiLe on s'est joué d'eux, on les a méprisés ... Ils deman­
dent un e réparation proportionnée.
« El premièremcnlle remboursement des frais el. dépenses,
soit :
« Payé à Catherine Guedès, au bourg de Plomodiern, en
décembre 1762, la somme de vingt-cinq li vres dix sols;
«Au pied du contrat de mariage, seize livres dix sols, avec
dix livres pour frais d'exécutoire;
« Pour le retrait d'un extrait des bannies, une livre dix
sols;
« Déboursés qui tous réunis formen t un capital de cin­ quante trois livres dix sols.
« Voilà le premier objet de la demande des suppliants.
Quant au second, l'honneur ne se mesure point, il est sans
prix; il n'est pOint de réparation qui le puisse balancer ...
Etre méprisé d'une fille après en avoir reçu les témoignages
les plus apparents d'une tendre amitié; avoir refusé, pour
l'amour de cette fille, mailltes occasions de s'établir avanta­
geusement et se voir aujourd'hui sans espoir de trouver un
parLi, se voir devenu la fable d'un public prévenu ... , autant
de motifs qui fondent François Le Gourlan dans une de­
mallde de dommages et intérêts.
« L'on ne parle point de ses larmes, de ses gémissements ...
Ils sont extrê!l1es ... Il aimoit véritablement Marie Poudoul­
lee, il ne soupiroit que pour elle . " Les mêmes selltimen ts
l'ani.menl encore aujourd'buy malgré l'outrage qu'elle luy a

fail . . . Il l'a toujours présente à sa.mémoire ... Soil dans le
jour, soit dans la nuil, elle s'offre à ses tendres regards ...
Quel tourment pour le malheureux innocent! ... Qu'il aille
à la ville, qu'il aille aux champs, ce perfide el trailre flam­
beau, cette fatale étoile ne le quitte point.
... « Ne serait-ce donc pas joindre l'injustice la plus criante
au déshonneur le plus marqué que de balancer à accorder à
cet infortuné un adoucissement à ses maux? ., Une somme
de trois cents livres est sans doute médiocre et bien éloignée
de réparer la perte subie. Cependant il déclare s'y borner et
par là il déclare et fait ,~onnaître que sa tendresse le guide
loujours el que son amour ne peut s'éteindre.
« Une pareille sonllae pe~lt-elle remplir J'étendue de sa ten­
dresse ... rétablir sa san té altérée? ..
'" «Le coup mortel porlé à l'honneur du fils, à la réputa­
lion du pére, esl au-dessus de tout reméde .. , Il n'y a point
de balance où l'on puisse peser juste les dommages dues à
l'honneur injustement offensé. C'est une vérité . .. qui fonde
les suppliants à se persuader que la j usUce n'hésitera pOint
à leur adjuger les conclusions qu'ils vont prendre:
. « Condamner les dits Poudoullec cl femme et Marie Pou­
doullec leur fille à payer, rapporler et rembourser aux dits
suppliants» le montant de leurs frais et dépenses, soit
53 livres 10 sols ; enfin la somme de 300 livres ou telle
autre qu'il plaira au siège d'arbilrer tant pour les journées
perdues par les susdits suppliants à l'occasion du dit ma­
riage, que pour les dommages et intérêts dus au dit Fran­
çois Le Gourlan pour cause de rupture de mariage, le tout
avec intérêts ct par dépens, sauf autres droits ... et ferez
justice.
Signé : DANIEL, procureur.
Copie remise à Lanfranc ce jour onzième novembre après
midi, mil sept cent soixante trois.
Guillaume MERVIR, sergent.
Le procès traîna en ]ongueu l'. En avril 1764, on
qui circulait dans le pu blic contre le prétenda nt.
Celui-ci, tout en avou ant les faits, tâchait d'en di­
minue r la portée et continu ait d'exiger réparation
de la fiancée infidèle. La nature de ces faits jus­ tifiait pleinement la sentence de l'Officialité diocé­ saine et il y a lieu de cmire qu e les Gourla n p er­
dirent leur procès.
Pour a voir regardé par-dessus le Ménez-Hom
- par·-dessus la fl'ontière de son pays Marie
Le Poudo ullec avait failli éprouver la nostalg ie
des rives encha nteresses de la ba ie de Dou arne­ nez. E lle se raSS Ul'a bientôt quand un Glazik du
bOl'd de la mel ' vint dem a nder sa main. Le 18 fé­ vrier 1765, en l'église de Plonévez-Porzay, l'abbé
Jean Le Poudoullec, dont la maison se verea long­ temps encore da ns le bocage de L., en Plomo­ diern, bénit l'union de sa nièce avec Yves Le Caro,
d u village de K.
Il Y a quel ques sem ain es, j'étais de passage à
Plonévez. E n gracieux costume de Cornouaille, le
nouveau m a rié du jour m enait la gavotte : c'était
un Caro, du même village de K., un des nom­
b reux descendants de Marie Le Poudoullec .

JACQ UES THOMAS.
11 septembre 1930.

139 -

DEUXIÈME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1930
I. Un programme de séance à l'Académie de philo­
sophie du Collège de Quimper en 1788, par

PAGES
l'abbé J. TOULEMOéH . . . . . . . . . . .. 3
II. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de la

Révolution dans le département du Finistère
(suite et fin), par D. BE RNARD. . . . . . .' 9
Ill. Pénity, par R. LARGILLIÈRE. . . . . . . . .. 18
IV. Simon-Bernard Joly de Rosgrand, dernier séné-
chal de Quimperlé. Ses tribulations, ses déten-
tions successives pendant la Révolution, par D.
BERNARD (avec une planche hors texte). . .. 3.
V. Un procès pour ruptures de fiançailles au XVIII'
siècle, par Jacques THOMAS .

VI. A propos du ravitaillement en 1791, par l'abbé
J. TOULEMONT ......... . a

VII. Les seigneurs de Penmarc'h en Saint-Frégant,
par L. FARCY (4 pages de planches hors texte) . 52

VIII. Liste des juridictions exercées au XVII' et xvm'
siècles dans le ressort du Présidial de Quimper
(suite). Sénéchaussée de Quimper, par H.