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Bulletin SAF 1927


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Une émeute à Kernilis en 1666

H. Waquet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1927 tome 54 - Pages 97 à 102
UNE ÉMEUTE A KER · ILIS EN 66

La petite paroisse léonarde de Kernilis fut agitée au
mois de décembre 166G par un véritable mouvement
insurrectionnel, dont le souvenir nous est conservé par
deux pièces du fonds de la fa mille Barbier de Kcrno (Archi­
ves départementales du Finistère, série E). Ce mouvement
n'a rien de commun avec la révolte du Papier timbré, qui
éclata neuf ans plus tard, el troubla si graycment le pays
de Rennes et la Cornouaille. A Kernilis le mouvement
semble limité à la paroisse et provoqué par des difficultés
relatives au logement de la milice. Mais il y a là un
témoignage de plus de l'état d'esprit des populations de
la campagne bretonne au XVIIe siècle. Le rôle joué par le
recteur en cette occasion est à remarquer; c'est lui qui
fut le chef, peut- être bien l'instigateur, de la résistance
aux orrlres du roi. -
Nous, sieur Idron, lieutenant de la coronnelle (1), comman­
dant les deux compaignies qui sont à Lesneven, ayant reçeü
ordre le douzième décembre mil six cenlz soixante et six de
Monseigneur le marquis de La Coste (2) par Monsieur de
Quernao ( 3), capitaine de Lesneven, pour aller à Quernillis
(1) On appelait ainsi dans un régiment la compagnie à laquelle était
confié le drapeau.
(2) Lieutenant du roi (il yen avait deux en Bretagne, subordonnés au
gouverneur ou lieutenant-général) pour les quatre évêchés de Quimper.
Léon, Tréguier et Sainl-Brieuc et pour la place de Brest, Andrault de
Langeron etait devenu marquis de La Coste par son mariage.
(3) Alain Barbier, sgr de Kerno, capitaine de la milice.
avec un enseigne et vingt soldatz ; mais, ayant esté prié par
mon dict sieur de Quernao et Monsieur le scindic du dict
Lesneven de différer un jour, espérant qu'ils mettroient les
habitants du dict ' Quernillis à la raison de ce qui leurestoit
ordonné, ce que je leur ay accordé ; mais ces messieurs ayant
eu response que ces gents estoient résolus de r ésister à tout
et qu'ils avoient sonné toutte la nuit le tocsin et avoir demeuré
toutte la dicte nuict soubs les armes. estants dans la résolution

de ne point cognoistre les trouppes du Roy, ny les ordres de
mon dict seigneur le marquis de La Coste, quoyque ayant esté
fort remonslré, présent Monsieur du Plessix .lieutenani-de la
millice du dict Lesneven et de touUes les déspelldances, qu'ils
ne debvoient pas contrevenir aux ordres du Roy, et à ceux de
mon dict seigneur le marquis de La Coste, auquel sieur du
Plessix les dids habitants de Kernillis auroien t faict response
que, s'il ne se fust retiré, ilz auroient tiré sur luy comme ils
protestoient de faire sur ceux qui viendroient pour loger dans
lelieu, lequel fust obligé de se retirer au plus viste, voyant
que monsieur le recteur estoit le premier à les inciter et leur
dire qu'il falloit resister à tout et qu'il prendroit un mousquet
aussybien il. u'eux et que, pourveü qu'il fust à leur teste, ilz ne
debvoient rien appréhender, lequel print un mousquet pour

leur monstrer exemple et demeura toulte la nuict et le len-

demain soubs les armes avec eux comme estant le cheff de
la révolte, ce qui m'obligea à partir le lendemain pour exé­
cuter les ordres de mon dict seigneur le marquis de La Coste
et d'augmenter les destachemenLs de trante soldatz et marcher
au dict quartier jusques à demy quart de ,lieue, où je ren­
contray un paysan avec un fusil, lequel je fis attrapper,et me
dict avoir esté là par le commandement du dict recteur pour
advertir quand les soldatz s'advanceroient, ce qui ne m'em-

pêcha pas de marcher au dict quartier, et, estant à l'entrée

du bourg, aurois trouvé environ cincquantehommes soubs les

armes pour m'empêcher d'entrer et me crianttQusjours, ce

que je demandois et me couchant en joue, et moy, voy:ant
cela, je fis advancer dix soldatz avec un sergent. ou estant

coup, et estant au millieu du bourg, je fis mettre mon monde
en bataille tant à l'entour de l'églize qu'aux environs du
cabaret qui est au dict bourg, où il y avoit environ deux '
cents hommes en bataille et le curé (1) du di ct Quernillis m'es­
tant venu trouver, luy aurois demandé le subject pourqoy
tout ce mondeestoit ainsy soubs les armes. Il me fisL response
qu'il n'en sçavoit rien, et, ayant dict au di ct curé advertir

tout ce monde de se retirer, iceux n'ayants voullu luy obéir, .
moy, voyanL leur insistance, je fis des tacher l'enseigne avec
vingt soldatz pour les aller foi'cer, et, ayant désarmé pareir
lement. trente ou quarante, et me dirent qu'ils estoient là pour
le service du Roy et, en mesme temps je fis entrer tout mon
monde dans le cymittiére del'églize, attendu que l'on sonnoit
le toxin et, en entrant d'ab bord dans le dict cymittière, l'on
me tira deux coups de fusils ou autres armes d'une fenestre

d'une maison joignant le dict cymittière, desquels coups il

y eust un de nos soldatz blessé au col et en la main, et m'es-
tant enquis à qui appartenoit le logis d'où l'on avoit tiré les
dicts coups, l'on me dict que c'estoit la ,maison presbiteralle
du:dict recteur, en laquelle il demeuroit, et, ayant faict rendre
les armes que j'aurois faict prendre à tout ce monde, et les
ayant faict se retirer, j'aurois envoyé le di ct curé chez le di ct

recteur de la dicte parroisse pour sçavoir de luy pour quo y
l'on tiroit des coups de fusils de sa maison, et le curé m'estant
venu rendre response de la part du dict recteur, me dict qu'il
estoit insensé et qu'il ne sçavoit pas ce qu'il faisoit, ce qui m'o­
bligea d'aller proche chez luy aux fins de luy parler; il se seroit
présenté dans l'une des fenestres de sa dicte maison avec
un fusil et auquel ayant demandé pourquoy il portoit les
armes contre les ordres du Roy, iceluy, se retirant de la
dicte fenestre, me lira un coup du dict arme, disant qu'il se
mocquoit des dicts ordres, ce que voyant jefis monter des sol·

datz sur la muraille de la court close de la dicte maison pour
aller forcer son logis, et tira lors quelques coups de fusils, dont

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il Y eust un de noz soldatz blessé au bras, et ayant entré dans
son logis q uoyq ue les portes fussent barricadées en dedans.
il fist éhercher parlout, croyant trouver le dict recteur qui
faisoit ainsy le rebelle pour iceluy appréhender, et il s'estoit
sauvé hors luy quatlriesme, à l'aide de trante ou quarante
personnes tous armés, en fa veUf d'une eschelle par le derrière
de sa maison, et ayant aussy demandé au di cL curé la cleŒ
de l'églize,voyant que les portes estoient fermées, il me di ct
que le r ecteur l'avoit. Voyant cela, je fis par nos soldatz

enfoncer un panneaux d'une porte pour y entrer, et, estant

allé directement au clocher, y au rois trouvé un homme armé
d'un mousquet, bandoullière et mesche allumée. qui avoit
sonné le toxin, lequel je fis prendre prisonnier. Cela ainsy
faict, j'aurois, suivant les ordres de mon dict seigneur le
marquis de La Coste, laissé vingt de nos soldalz avec l'ensei­
gne, à sçavoir dix dans le logis du recteur et dix dans le
clo:~her de la dicte égl ize, en attendant que tout ce monde de

la dicte paroisse se seroit retiré. Ayant ensuilte estably !es
dicts soldatz chez partye des habitants de la dicte parroisse,
et, m'en retournant à nostre logis à Lesneven assisté du
restant de mes dicLs sO ldatz, aurions faict rencontre au bout
d'une grande lande proche du dict Quernillis, du major et
enseigne du dict Lesneven avec environ deux cents hommes '
soubs les armes tambour batt:nlL et chacque escouade accom­
paignée de son sergent, ausquels parlan t iceux m'auroien t
dict qu'ils s'acheminoient vers le dict bourg de Quernillis

sur ce qu'ils avoient ouy dire qu'on s'estoit mis en debvoir
de m'exterminer el ma dicte compagnie pour nous prester

secours et assistance pour parvenir à l'exécution entière des
ordres de Sa Maj esté et de mon dict seigneur le marquis de
La Coste ; sur quoy leur fis récit de la manière que les choses
s'estoient passées, leur déclarant que je me retirois en ma
demeure au dict Lesneven pour du L out rédiger ce mien
procès-verbal en la form e que devant sauff plus ample, pour
celuy envoyer à mon dict seigneur le marquis de La Coste
pour y pourvoir en son équité et justice ordinaire comme il
voira. Paict en nostre dicte demeure au dict Lesneven, ce

jourtraiziesme decembre mil six cents soixante et six .

Signé: IDRON, LE CHEVALIER DE LA GARDE.
Messire Allain Barbier, seigneur de Kernaou, capitaine des
villes et parroisse de Lesneven el parroisses de Kernilis,
Kernouez, Guiquelleau, Trégarantec et Languengar, certi­
fions que. suivant l'ordre du seigneur marquis de La Coste,
lieutenant du l'oy en ce païs, aurions faict sçavoir la teneur de
l'ordonnallce. du 22' novembre dernier dudict seIgneur lieu te-

nant du roy es dictes parroisses tant au prosne qu'autrement,
par exprès eu la dicte parroisse de Kernilis le dimanche 28" du
mois de novembre dernier par messire François de Gouzabat,
sieur du Plessix, nostre lieutenant es dicts lieux et parroisses,
c t le dimancbe 5" de ce mois, par un exprès nommé Sours en
du dict Lesneven, qui de nostr e part auroit rendu au sieur
r ecteur d'icelte parroisse la dicte ordonnance du dict seigneur
marquis lieutenant du roy du dict jour 22" du passé avec
nostre suplique au pied pour en faire la publication, dont le
dict sieur recteur ne nous auroit r endu aucbun certificat ny
response, et par deux autres exprès nommés l'un J ullien Da vid,
envoyé samedi dernier toul de nuit au dicl recteur, dont sa
mère r am oit dict absant, et le lendemain dimanche dernier
par un autre exprès nommé Yven, cbargé d'une lettre d'ad vis
du sieur sindic de Lesneven, q uilui auroit dict n'en a voir eu
de response, et certifions avoir appris par bruit commun que
en la dicte parroisse du Kernilis on auroit sonné le toxin des
minuit du dict jour dedimancbe dernier; sur quoy el sur ce
que le sieur Idron, commandant les deux compagnies, auroit
marché vers ladite parroisse avec un destachement des dites
compaignies pour éxécuterun ordre exprès qu'il avoitdu dict

seigneur lieutenant du roy, crainte d'insulte de la part de la
·dite parroisse estant en armes, nous aurions couru et suivi
le di ct sieur Idron pour en évènement empescher à nostre
possible le désordre et aurions trouvé le dit sieur Idron desjà
r endu dans le bourg exécutant son dit ordre, où et sur les
102 ..

en armes, dont le dit sieur Idron auroit esté obligé de faire
quelques prisonniers et son procès-verbal, et estle nostre sauf
plus ample sy requïs est, que nous affirmons véritable et
avons delli vré au dit sieur Idron pour lui valloir et servir
comme il voira ; le 14" décembre 1666.
Le . belliqueux recteur qui se moquait ainsi des ordres
du grand r oi avait nom Jean Le Gall; son vicaire le
curé comme on diten breton s'appelait Mazéas. Messire
Jean Le Gall gouvernait la paroisse depuis 1632, par
conséquent devait avoir de soixante à soixante-dix ans
en 1666. Après le 2 août 1668 sa signature ne se lit plus
su r les registres de baptèrries , mariages et sépultures. Il
he mourut cependant pas à Kernilis ; sans doute fut-il mis
à la retraite comme décidément mal fait pour le ministère.
Après deux années, pendant lesq uelles le vicaire Mazéas
suppléa le recteur, Jean Le Gall fut enfin remplacé pal'
un certain Hervé Le Bodic, en 16ïO.
H. WAQUET .

107 -

DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1927
PAGES
1. Bonaparte glorifié au pays bigouden (26 août 1798),
par H. WAQUET. . . . . . . . . . . . . '. 3
Il. Un libraire morlaisien au XVI" siècle. Bernard de
Lea u, par L. LE GUENNEC. . . . . . . . . .. 11
III. Le nom de Laënnec. Un cas difficile d'onomastique.
par Joseph LOTH . . . . . . . . . . . . .. 32

IV. L'allée couverte de Men-Meur (Guilvinec), par
Marthe et Saint-Just P ÉQUART .. ...... , 48
V. Dolmen de Brunec (tIes Glénans), par Marthe et
Saint-Just PÉQUART . . . . .

VI. Le vieux manoir de Kersaliou en Saint-Pol-de-
Léon, par J.-M. AUSSEUR. . . . . . . . . .. 84
VII. Une émeute à Kernilis en 166(j, par H. WAQUET. 97