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Bulletin SAF 1925


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Deux lettres de Guillaume Laënnec sur la guerre navale en 1779

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1925 tome 52 - Pages 44 à 48

sur la guerre navale en 1779
Notre confrère de la Société M. le Dr Auffret a bien
voulu nous communiquer deux lettres écrites en août
1779 par Guillaume Laënnec, médecin de la marine,· à
son frère Théophile, lieutenant de l'amirauté de Quimper.
On sait que Théophile et Guillaume sont, l'un le père,
l'autre l'oncle de l'illustre rénovateur de la médecine; c'est
à Guillaume, son «second père », que René-Théophile­
Hyacinthe dédia sa thèse. Ces leUres n'apprennent rien
sur les Laënnec si ce n'est, toutefois, que, par leur ton
alerte et leur jolie tournure, elles justifient la réputation
d'intelligence et de fine culture littéraire dont jouissait
Guillaume. En tout cas elles contiennent quelques pré­
cisions sur des épisodes de l'histoire maritime et donnent
une idée de ce que pouvait être l'esprit public à Brest au
cours de la guerre d'Amérique. (H. W.)
Voulez-vous encore des nouvelles, mon cher Théophile?
Vo'S affaires vous laissent-elles le loisir de rêver aux évêne­
ments politiques de ce bas-monde? Eh bien, écouLez ou lisez
ce que j'ai à vous dire et. ce que je peux vous écrire.
On donne ici, aujourd'hui, pour constant que des corvettes
expédiées par M. le Comte d'Estaing ont enlevé l'îsle Saint­
Vincent et la petite îsle des Aiguilles qui l'avoisine et que le
général (1), pour assurer le succès de cette expédition, est
(i) Le comte d'Estaing venait en effet de l'armée de terre où il avait
été promu lieutenant général à trente-trois ans. La plupart des officiers

resté constamment au Fort Royal (1) en imposer à l'amiral
ennemi. Une lettre écrite par M. de La Mothe-Piquet assure
que, peu de jours avant ou après, Biron avait renvoyé à M.
d'Estaing 300 prisonniers français qu'il étoit las de nourrir
dans un païs où les vivres sont si rares et dans un tems où
il se voyoit lui-même à la veille d'être affamé, que M. d'Es­
taing, jaloux de le disputer non seulement à la valeur mais
encore à la générosité anglicane, a fait sortir de ses prisons
800 malheureux qu'il a fait passer à Saint-Lucie sur le vais
seau même qui lui portoit le présent de Biron. Dieu sait
comment le pau vre amiral anglais fera pour s'accommoder de
cette cohue de gourmands qui lui coûteront plus à nourrir
que 1 600 français.
Cette lettre très authentique de M. de La Mothe-Piquet
suppose qu'il a rejoint sans mal-encontre (2). On sait aussi
que, de leur côté, les Anglois ont reçu quatre vaisseaux
qui, ne leur donnant encore que l'avantage de l'égalité, ne
peuvent que reculer un peu leur perte.
. Pour modérer la joie que ces consolantes nouvelles ont
répandue ici, des frondeurs, des l'ève-creux, ont imaginé de
nous faire perdre l'Isle de Franee, sans que l'on sacbe ni
'quand, ni par qui, ni comment. Il l1'est pas revenu un chat
de ce pays là : il faut sûrement que ce soit le diable qui nous
ail porté les dépêches. C'est encore lui, sans doute, qui écrit
à ses correspondans que la Prudente, commandée par M.
d'Ecars, a élé prise dans les mers de Saint-Domingue par
deux vaisseaux de ligne anglais qu'il ne nomme pas (3).
M. le comte d'Orvilliers a fait transporter ici, avant-bier,
180 malades qui encombroient son armée. On présume que
depuis cette date il a dû entrer dans la Manche, puisque dès
(i ) A la Martinique.
(2) II était arrivé à Fort-Royal le 27 juin.
(3) Le vicomte Des Cars, capitaine de vaisseau depuis le .\ avril
i 77~, devait périr à bataille des Saintes le i2 avril i 782. Il était le
frère du duc Des Cars, auteur de lIfémoires intéressants pour l'histoire
de la marine.

la veille il avait reçu les rafraîchissements qu'il attendoit.
Les Anglais, suivant le rapport d'un vaisseau portugais ar­
rêté à sa sortie des ports d'Angleterre, étaient tranq uillemen t
mouillés dans la rade de Tor-Bay où l'on ne désespère pas
que notre armée aille les attaquer (1).
La frégate l'Atalante a pris, avant-hier, à la hauteur
d'Ouessant, un petit corsaire anglois de 16 canons, si bien
embossé dans une anse où la frégate ne pouvoit l'atteindre
qu'il a fallu l'aborder avec les chaloupes. Le pauvre diable a
été si bien déconcerté par la témériLé d'une manière d'atta­
quer si nouvelle qu'il n'a seulement pas pensé qu'il eût des
canons. Deux barques dont il avoit fait prise ont été rame­ nées ici avec lui. Un prisonnier anglois est un animal singu­
lièrement curieux. L'espèce de mon service me mettant à
portée d'en voir quelques-uns quand ils sont malades, j'en
puis parler avec connaissance de cause. Imaginez le con­ traste le plus original de l'effronterie et de la bassesse, de
la douleur et de la gaieté, de la fermeté et du découragement,
de la santé et de la maladie ; vous aurez l'idée d'un Anglois
dans les fers. Il faut, cependant, en excepter les officiers
qui ne sont qu'insolents.
L'armée au~ ordres de M. d'Orvilliers a eu, depuis sa sor­ tie de Brest, 1.876 malades dont 124 sont déjà morts: amen.
Dieu vous tienne en joie!
Votl'e frère et bon ami,

G. FR. LAËNNEC, Médecin de la Marine .
Du 19 Août 1779.
(i) La flotte de d'Orvilliers était arrivée le i4, août à la hauteur du
cap Lizzard Cette campagne avait primitivement pour but l'occupation
de l'Jle de Wight. Au ruois d'août on songeait à débarquer dans la baie
de Falmouth. L'état des équipages était des plus misérables et d'Orvil­

A MONSIEUR LAËNNEC FILS, AVOCAT,

LIEUTENANT DE L'AMIRAUTÉ, A QUIMPER.
Du Lundi 23 Aoùt (1.779).
Dimanche au soir, la frégate la Jun on entrée en rade nous
a porté de l'état de l'armée les nouvelles les plus favorables.
Après avoir croisé pendant quelques jours sur les côtes d'An­
gleterre, elle a rencontré à deux lieues de Portsmouth un
vaisseau anglois de 64 canons qui partoit pour se réunir à la
grande armée que l'on suppose rassemblée à Tor Bay. M. de
Latouche-Tréville, commandant l'arm ée légère, fil signal à
la Junon d'attaquer ou de reconnaître ce vaisseau que la bru­
me empêchoît de bien discerner. L'ordre fût exécuté sur le
champ et la frégate, rendue à la portée du canon, lui envoya
un boulet auquel l'anglois r épondit par ses deux bordées,
toutes deux si mal ajustées qu'elles n'atteignirent ni hommes,
ni vaisseau. Le combat s'engagea dès ce moment avec un
désavantage si marqué de la part de l'ennemi, que les fréga­
les la Gentille, la Gloire et la Médée, qui venoient a toutes
voiles partager l'honneur et le danger, n'arrivèrent que pour
être spectalrices de la victoire deM. de Marigny: le pavillon
anglois étoit déjà amené. L'Ardent (c'est le nom du vaisseau
pris) sortoit du chantier de Porsmouth el portoil600 hommes
d'équipage et des rafraîchissements à l'amiral Hardy. On a
faiL passer aussitôt 'il. bord de ce tt e prise l'équipage du Protée
dont le grand mât a été endommagé par le tonnerre et qui
doit rentrer ici pour être réparé. (1)
On attend aujourd'hui le vaisseau L'Actif qui fait beaucoup
d'eau et qui nous porte, dit-on, 300 malades. Tout le reste
de l'armée est dans le meilleur état possible et rentroit, au.
dèpart de La Junon, dans la Manche, d'où les vents contrai­
res l'avoient forcé de sorlir.
(i ) L'affaire de l'Ardent eut lieu le 17 août. La Junon élait commandée
par le chevalier 8eruard de Marigny, à qui le commandant de la Gentill e
contesta l'honneur de la victoire; final ement un rapport de Latouche­

On avoit publié que l'armée fran çaise avoit eu le bonheur
d'intercepter quarante navires marchands; mais cette nou­
velle prématurée ne s'est pas soutenue. On sait seulement
que l'on a balayé quelques corsaires dont le dernier pris est
entré ici avec la Junon; il porte 22 canons et environ 100
hommes.
Du Mardi 24 Août.
Des lettres de Paris, aussi authentiques que l'on peut atten­
. dre de ce païs là, ont annoncé hier que le général Washing­
ton étoit enfin parvenu à enlever un corps de 5.000 hommes

d'armée angloise et que la Gazette de France ne tarderoit
pas à en publier les détails.
J'ai fait l'imaginable pour me procurer la lettre que le Roi
écrit à M. d'Orvilliers sur la mort de son fils et celle que le
ministre adresse à Madame d'Orvilliers. Mes soins ont été,
jusqu'à présent, infructueux (1).
L'Actif est entrée bier en rade et, dans ce moment, je viens
de voir transporter à l'hôpital les malades qu'il avoit à son
bord (2). Le Protée n'est pas encore venu.
Le bruit de la perte de la Prudente se soutient encore,
mais on parait s'en consoler assez lestement, parce que M.
d'Ecars qui la commande ne paraît pas mériter trop qu'on
s'affiige de son malheur et surtout parce qu'il s'étoit emparé,
peu de jours auparavant, d'une frégate angloise de 28 canons
qui compensera la prise de la PrudentE'. On racontE' ici de la

conduite de M. d'Ecars avec le capiLaine anglais, son vain-
queur, des choses monstrueuses qui n'auroient pas même

une apparence de vraisemblance si le caractèr e dur et impé-
rieux de cette officier étoit moins connu.
LAËNNEC.
(i) Le jeune d'Orvilliers, fils unique du chet d'escadre, était enseigne
de vaisseau et servait aux: côtes de son père sur la Bretagne; il mourut
à la fin de juillet, victime de l'épidémie de scorbut qui ravageait l'armée
navale.
(2) A sa rentrée à Brest, le i4 se ptembre, l'escadre comptait huit mille
malades. Telle tut la cause principale de l'r'chec d'une expédition dont

-124 -
DEUXIÈME PARTIE .

Table des ,Mémoires publiés en 1925

I. Manoirs et rues de Penmarc'h, par
F. QUINIOU [ nne planche]. . . . . . .
l'abbé

II. Liste des juridictions exercées au XVIIe et au
xvm

siècles dans le ressort du présidial de
Quimper (suite) , Sénéchaussée de Morlaix et

PAGES

de Lanmeur, par IL BOURDE DE LA ROGERIE.. 13
Ill. 1 Documents sur le Cap-Sizun. Il Les habitants
du Cap-Sizun demandent un médecin (1609).
III Requête du Roi... pour êtr~ déchargés de
certains impôts (1566). IV Etat du monastère
des Ursulines de Pont-Croix en 1720, par
DANIEL BERNARD . . . . . . . . . . . .. 35
IV. Deux lettres de Guillaume Laënnec sur la guerre
navale en 1779, . . . . . . . . . . . ., 44
V. Quelques réflexions sur l'ordonnance autographe
de Laënnec, par le Dr L LAGRIFFE [une
planche]. . . . . . . . . . . . . . . 49
VI. Nos vieux grands chemins et la corvée en Cor­
nouaille et en Léon à la fin de l'ancien régime,
par J. SAVINA [une planche] ....... , 52
VIL Saint Corentin et ses vies latines à propos d'une
publication récente, par LARGILLIÈRE. . . .. 86
VIII. Première contribution à l'étude des noms d'hom-
mes et de lieux du Cap-Sizun, par J. LOTH et
D. BERNARD. Introduction par J. LOTH ...