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Bulletin SAF 1915


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Barbares d’autrefois, Barbares d’aujourd’hui

Frédéric Le Guyader

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1915 tome 42 - Pages 3 à 14

Barbares d'autrefois.,

Barbares d'aujourd'hui.

« L'Allemagne au-dessus de tout 1 »

o Barbares ! vous dont le crime sert de thème
Aux pires. malédictions ; .
Vous que l'Histoire jette en proie à l'anathème

Des Penseurs et des Nations ;

Vous dont les Dieux d'alors n'ont pas tiré vengeance,
o barbares, dès aujourd'hui,

Nous nous sentons, pour vops,' le cœur plein d'indulgence:

C'est qu'une Ere nouvelle a lui!

Vous étiez mal conn us, mal compris par les hommes,
Quand vous inspiriez la terreur.
On se trompait sur vous; mais à l'heure où nous sommes, .
L'Histoire a compris son erreur.

o grands calomniés, vos crimes sont bien ternes,
Et soulèvent moins de dégoût,
Comparés aux forfaits des Barbares modernes:
« L'Allemagne au-dessus de toutJ » .

Non! Qu'on agite plus l'effroyable fantôme
De vos longues atl'ocités !

Gràce aux lâches Teutons, aux Teutons' de Guillaume,

Vous êtes réhabilités !

Ah ! certe, ils n'étaient point tendres à la besogne,
Les bourreaux du temps d'Alaric!
C'étaient des égorgeurs, des pillards sans vergogne,
Les Vandales de Genséric!

Ils se jetaient, avec des hurlements de joie,

. La torche et le fer à la main,

Sur tout un univers, qui devenait leur proie,
Et c'était l'univers romain!
Rome, durant mille ans, avait p-illé le monde;
Rome, dans sa rapacité,
Rome avait déchaîné sa course furibonde
Au travers de l'Humanité.

Et voici que pareils aux soufflés des tempêtes,
Les Barbares, par millions,

Les Vandales, les Huns, vêtus de peaux de bêtes.
pèaux de tigres et de lions,

Sauvages, SUI' le dos de leurs chevaux sauvages,

Ont précipité leurs fureurs
Sur ce Pays unique, aux illustres rivages,
Sur la Rome des Empereurs 1

Pour ces brutes, les lois divines et humaines
Etaient des mots vides de sens .

Et quand ils étreignaient les princesses romaines,

Dans leurs bras velus et puissants;

Quand les Goths d'A laric, hal'rassés de pillages,
.Et soûls de carnages honteux,
Abandonnaient les champs, les villes, les villages,
Sans laisser une àme après eux;

Quand l'affreux Genséric, qui servira d'exemple
A l'affreux Kaiser de Berlin,

Durant quatorze jours, s'acharnait sur le Temple
De Jupiter Capitolin;
Ayant mis tout à sac dans la Ville d'Auguste,
Noyé dans le sang leurs forfaits ,

Ils croyaient n'avoir fait qu'une œuvre p,ie et juste,
Inconscients et satisfaits.
Ils faisaient comme vous, Teutons, Teutonsinfàmes ;
Ingénieux dans leurs plaisirs,
Ils tuaient les enfants, coupaient les seins des femmes,
Ayant assouvi leurs désirs.
Mais, du moins , ils avaient une excuse peut-ètre :

C'étaient des Barbares, ceux.,.là !
Ces bandits n'avaient pas Guillaume-Deux pour maître,
Ils avaient pour maître Attila!

Eux, dans les bois, avaient vécu comme des brutes;
Vous, vos berceaux sont des Cités.
Eux , pour aller piller, sortaient de leurs cahutes,

Et vous des Universités!

Eux, naissaient, gl'andissaie:nt à l'état de nature,

Parmi les tigres et les Jou ps ;

Vous, vous avez reçu l'admirable Culture,

Dont les, Deux-Mondes sont jaloux!

Eux ne mettaient pas Dieu de moitié dans leurs crimes,
Comme votre Guillaume-Deux ,
Ce Lohengrin, marqué pour les l'oIes sublimes ,

Lohengrin funèbre et hideux, "
Qui chevauche avec son cortège de Furies,
Et qui, les mains pleines dé sang,
A. chaque lendemain d'effroyables tueries"

Ose invoquer le Tout-Puissant!

Oui, ce louche imposteur, c'est à: Dieu qu'il s'adresse!

Oui, ce Tartutle impérial

Ment à son peuple, ment à Dieu , dans sa détresse,
Quand, solennel et trivial,
Saisi par le Destin, comme un Bonnot ,vulgaire,
Ce tueur de femmes, d'enfants,

Crie à Dieu: « Sois témoin: je ne veux pas la guerre.
« On m'attaque, je me défends! ,-'

« C'est la France, c'est la Belgique les coupables!
« Je les dénonce au monde entier.

« Leur crime est évident; les preuves sont pal'Pables :
« Il m'a fallu les châtier 1 »
Voilà comment ce monstre argumente, et s'excuse!
11 croit qu'il suffit de mentir. '

Et devant l'Univers, qui l'exècre et l'accuse,
Le dr6le se pose en martyr!

Que répondre à ce fou, dans son inconscience?

Le monde entier sait aujourd'hui
Que son Peuple assassin, servi par la science,

Est aussi coupable que lu i !

III
Ce Peuple et son Kaiser aux desseins grandioses
S'avançaient, pourtant, radieux,
Vers un vaste avenir, tout plein d'apothéoses,
Très sùr's de l'amitié des Dieux, "
Tout souriait à ces gàtés de la Victoire:
Assis sUJ' son char tl'iomphal,
Leur cynique Empereur s'installait dans l'Histoire,
Maître désormais sans rival.

« L'Allemagne au-dessus de tout! )) - Rêve superbe,
Tou t près de se réaliser,

Leur puissance égalait l'impudence du verbe;
Ils semblaient pouvoit' tout oser .. ,

Leur Pl'ogl'ès était tel, leut' OEnvee si féconde,
En pleine paix, en plein soleil,
Qu'ils lJ'avaient nul besoÏtl , poUl' éblouir le monde,
De tout ce sinistre appareil.

L'Allemagne, en restant sereine et pacifique,
Sans craindre de rivalité,
. Pouvait continuer son œuvre magnifique,

Rayonnant sur l'humanité.
Au lieu d'inquiéter le monde par ses haines,
Et d'être son épouvantail, .

Sa gloire était d'aller aux victoires prochaines,

Par les conquêtes du travail.
Ces Vainqueurs, décidés à la paix, pouvaient être
Les conducteur~ du genre humain.
Ils ont voulu grandir par la Guerre, et peut-être, .

La honte les attend demain ...

Leur Science était belle, et leur philosophie,
Glorieuse de ses succès,
S'imposait au respect, sans exciter renvie
Du génial esprit français.

Ils ~taient grands, sans doute aussi, par le génie,
Dans le passé, dans le présen t ;

Leur Art, sans égaler le nôtl'e en harmonie,
Plus vigoureux que séduisant,

Leur Art, s'il était lourd, parfois, d'un grand coup d'aile,
Se relevait avec Mozart;
Et Gœthe, en évoquant Marguerite immortelle, .
Atteignait le divin dans l'Art.

Leurs Poètes chantaient la Nature et la Vie ;
Leurs amours planaient dans l'azur;

Ils nous semblaient avoir une façon ravie
De s'enivrer d'air chaste et pur,
Si beaucoup, s'exerçant aux foudres vengeresses,
Embouchaient un clairon brutal,
D'autres, pleins de soupirs, et de chaudes tendresses,
Versaient dans le sentimental.
Ils étaient vertueux, d'une vertu sereine,

Dénonçant les Français pervers;
Exaltant l'Allemagne, impératrice et reine,
Dans leur musique et dans leurs vers,

Coups d'ailes en plein ciel, purs accents de la lyre J

Et dans quel but? Pour quels desseins?

Voici que, pour finir, tout ce peuple en délire
N'est qu'un ramassis d'assassins!
Des Barbares, hélas, près de qui les Barbares
Nous semblent des civilisés;
Devant qui les Mongols, les Huns, et les Tartares
Reculeraient, scandalisés",

Tous ces bandits, menés par leur Kaiser auguste,

Tous ces professeurs d'idéal,
Qui prétendent aimer le Beau, le Bien, le Juste,
Rêvant l'Empire mondial,

Eux, si fiers de leur OEuvre, et si grands dans leurs livres,
Eux, « les premiers dans tous les Arts »,
Ne nous paraissent plus que des Vandales ivres,
Des brutes, des sots, des soudards!

Colossale Jungfrau, dominant toutes cimes,
« L'Allemagne au-dessus de tout 1 ))

Certe, au-dessus de tout elle l'est. .. par ses crimes,
Par sa Culture, et son bon goùt !

L'Allemagne, c'est par ses crimes qu'elle est grande!
Impérissable Monument:
Rien n'égale, en effet, la Culture Allemande,
Si ce n'est le Crime Allemand!

Belgique! 0 doux pays, qui n'es plus que ruines,
Toi qu'un seul mot pou vait sau ver,

Qui vi.s brùler Namui" Dinant, Louvain, Malines,
Impossibles à relever;
Toi, si belle, au milieu des œuvres ancestrales,
Tu ne verras plus, désormais,

Refleurir tes beffrois, tes vieilles cathédrales,
Merveilles mortes à jamais!

Et toi, France, pal' eux salie et saccagée,

o Mère de loyaux soldats,
Tu n'as jamais senti, SUl' ta face outragée,

De tels soufflets, de tels crachats. '
Ils ont fait un désert de tes vieilles Provinces,
Notre rempart, et notre orgueil ;

Le l{aiser, le Kronprinz, avec leurs jeux de princes,
Ont mis tonte notre âme en deuil.

Un territoire immensj:l en proie il leurs ravages ,
Maubeuge, Arras, brùlés, souillés;
Lille, cité superbe, aux mains de ces sauvages,
Roubaix et Tourcoing dépouillés.

Et Reims! silencieux chef-d'œuvre d'un autre âge,
Qui, tout en relevant de nous,

Appartenait au Monde. et défiait l'outrage,

Tant le Monde en était jaloux !

Quoi! le Monde est privé de cette auguste enceinte,
Où Jeanne d'Arc a pénétré;
Où Jeanne d'Arc la Vierge, où Jeanne d'Arc la Sainte,

A genoux sur ce sol sacré,
Humble Victrice, après avoir sauvé la France,
Et sùre bientôt de mourif',
Priait; Dieu d'empêcher, au prix de sa soufIraoce,
Son pauvre Peuple de soufIrir !

o Jeanne d'Arc, ° toi qui n'usais pas du glaive,
Ayant horl"eur du sang vel'sé,
Que de Reims effondré ta grande Ombre se lève,
Pour bénir ton Peuple oppressé!

Répands sur nous ta chaste et lumineuse flamme;
Entre plus avant dans nos cœurs;

o Vierge, mets un peu de ton àme en notre âme,
Fais de nos soldats des Vainqueurs!

Or, le drame actUel ne ressemble à nul autre:
A veugle qui ne veut pas voir!

Dans ce Duel, où le sort de tous se lie au nôtre,
Il ne s'agit plus de savoir
Si demain la défaite, ou demain la victoire
Fel:a d'un royaume un duché;
Si l'Europe, demain, verra son territoire
Débattu, comme en plein marché.
- Les Guerres, jusqu'ici, toutes, même les pires,
A vee plus ou moins de rigneur,
Se bornaient à changer la carte des Empires,
Au gré du Conquérant vainqueur. -
Non, non! La question est ici bien plus haute J
Et tant pis si, tombé trop bas,
Le Monde, inconscient. ne comprend pas sa faute,
Tant pis s'il ne se comprend pas!
Car, ici, nous vivons une heure solennelle
Qu'il faudra maudire ou bénir, .

Heure unique, qui porte et qui résume en elle
Le sort des siècles à venir .

- Ce dont s'inquiétait Lueain, dans sa « Pharsale »,
- C'était de voir l'Humanité
Devenir, peu à peu, l'esclave, la vassale
De cet Empire illimité,

QUI, non content de met.tre aux fers les Rois èux-memes,
Frappait l'Homme dans sa fierté,
Le privant, pour toujours, de ces deux biens supr'êmes,
La Justice et la Liberté .

Lucain, en dénonçant la Culture romaine,
Elevait plus haut ses regards:
Ce qu'i! pleurait, c'était la Conscience humaine

Foulée aux pieds par les' Césars .

Eh bien, si Dieu voulait que, demain, l'Allemagne,

Hégissant le Monde à son gré,
Réalisàt, bien mieux qu'au temps de Charlemagne,

Son rêve aussi fou qu:exécré,
Elle ferait ployer, plus lourdement que Rome,
Mais aussi plus brutalement,
L'àme des nations, et la fierté de l'homme,
Sous l'ignoble joug allemand. .

C'est alors que, témoin de ce trafic immonde,
Lucain, tiré de son sommeil,
S'écrierait: « Voilà donc ce que de, vient le monde '?
. « Le monde est privé de soleil! ))

Et c'est là que, pour nous, .le Devoir se révèle,
Comme à Jeanne écoutant ses Voix;
Il faut ' donc qu'aujourd'hui la France renouvelle
Les sacrifices d'autrefois .

Il faut quiobéissante àla Voix qui l'entraîne,
La pauvre et grande Nation, .'
La. France de toujours se dévoue et reprenne
Son éternelle fonction.

Il faut, surtout, qu'auprès des soldats magnanimes,
Dont le sang coule ~ncore à flots,
Les Peuples opprimés se dressent unanimes,
Et nous rejoignent en champ clos,
Ne formant, avec nous, qu'une seule patrie,
Une immense fraternité,

Pour faire triompher, contre la Barbarie,
La cause de l' Humanité. -

12 Janvier 1915.

FRÉDÉRIC 'LE GUYADE'R.

231 _.

DEUXIEME PARTIE

TabLe tles memoires pnb/.iés en 1915
Barbares d'autrefois, Barbares d'aujourd'hui,
par Frédéric LE GUYADER .................. .
Notes sur deux monuments de la fin de la Re­
naissance en Rret.l'lf.me.'l 0 Porche de l'Eg'l ise

de Sainl.-Houal'don. 2°0ssuaiI'e de Sa inL-

Pagea

Tbégonnec, pal' Charles CHAUSSEPIED ........ 15,20
III. La RévoluLion en BreLagne. Les Derniers Mon-

VIL
lag:naeds, 1795, (suiLe), pal' Pl'. HÉMON ..... 26, ' 157
. NoLes SUt: la fonLaine de Gouesnou, par Charles '
CHAOSSEPIEn (planche).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 L
MoLLes féodales, par le chanoine ABGRALL

(7 plane hes). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .....
Les MoLLes féodales du pays de Morlaix, par
Louis LE GUENNEC (planche).. . . . . . . . . . . .. . ..
NoUces paroissiales. Mahalon, par le com te

Conen de Saint-Luc (5 planches)............. 106
VIII. L'Église de Pencran et ses annexes, par L. LÉ-

CU [{EUX . . . . . . . . .. . ..... -. . . . . . . . . . . . . 139
IX. luscl'ipLions gravées eL sculplées sur les p.glises
et monumenLs ' du IriIlisLèl'e, recueillies par
le ehanoine ABGHALL.. . . .. ................ 189

X. Discours dè M. le Président. ... . " ........... , 217

ARCHEOlOG
DU FI N1STERE

B.P.531