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Bulletin SAF 1899


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Correspondance de la Famille Thépault de Treffaléguen

Bourde de la Rogerie

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CORRESPONDANCE
De la Famille Thépault de Treffaléguen .
La famille Thépault était, semble-t-il, originaire des pa­
roisses voisines de Morlaix. Elle ne jouissait pas d'une
grande notoriété quoique alliée ù plusieurs anciennes
région: Jehan Thépault avait épousé Olive
familles de la
du Quellenec de Kerbizian, Chrétien, son fils, seigneur de
à Marguerite Ploézoch et prit part à la
Leinquelvez, s'allia
résistance des Bretons contre les tentatives d'invasion an­
glaise; une enquête faite entre le 9 mars et le 12 avril 1548
nous apprend qu'il servit dans l'arrière-ban sur les côtes de
qU'il tint garnison à Lannion, Lanmeur, Saint-Michel­
Léon,
en-Grève, Pontménou sous les ordres des sieurs de Boiséon
et de Coétredez (1 ). Son arrière-petit-fils, Maurice Thépanlt,
seigneur de Leinquelvez, fut bailli de Lanmeur et dans cette
charge lucrative augmenta sa fortune. Sa vieillesse fut
d'ailleurs attristée par de scandaleux démêlés avec une de
ses sœurs, Jeanne, douairière de Kérastan, remariée (?) à
Raoul Hamon sieur de Barach-Philippe et avec ses fils cadets

Pierre de Goazouillac et François de Mesaudren qui venaient
jusque dans sa propre maison le couvrir de (1 sales injures »)
etle maltraiter (2). .

(1) E. 360. Tous les documents cités appartiennent aux archives du dé­
partement du Finistère, fonds Thépault. E 368-374.

(2) Maurice Thépault, seigneur de Leinquelvez (en Garlan). mort en 0 1 GG7,
avait épousé .Jeanne de Kergroas morte en mai 1601. Il avait un frère
Michel Thépault de RumeIin et au moins deux sœurs Anne, femme
de Jean Le Clerc sieur de Coetjézégou, morte à Tréguier chez son frère
le chanoine en 1658 et Jeanne femme de N. AU tl'et sieu l' de Kerasta n .
. En 1648, cette dernière présentait fi l'ofllcial .de Tréguier de bizarres
requêtes dans lesquelles tantôt eUe avouait, tantôt elle niait un mariage

Son frère Michel Thépault, sieur de Rumelin, eut une
existence plus paisible et ·en même temps plus utile.
· Contemporain du Père Maunoir, de M. de Trémaria, de Bal­
thazar Grangié, évêque de Tréguier, il fut comme eux un
des bons ouvriers de la réforme ' religieuse qui renouvela
l'église de Bretagne au XVIIe siècle. Après avoir administ.ré
la paroisse de Plœumeu~-Bodou pendant trente'-six ans et
celle de Plougasnou pendant cinq ans, il alla jouir à Tréguier
d'un repos bien gagné (1) . Déjà ses bienfaits l'avaient fait
connaître et lui avaient valu une prébende de chanoine.
En 1674 il fonda le séminaire de Tréguier, et c'est son plus
. beau titre de gloire, .car par cette fondation il assurait l'av"e-

nir de la réforme entreprise par Balthazar (~rangié dans le
tardif avec Raoul Hamon, sieur de Barach-Philippe. Le sieur de Leinquelvez
laissa cinq enfants, Jean de Treffaléguen, époux de CatheriI).e Le Chaussec,
Pierre de Goazouillac, mort en 1 G70, qui de Françoü·e Palut ne laissa
sam alliance le 24· novembre
qu'une fille Mauricette Jaouhenne, morte
1672, François de Mezauclren, mort. chanoine du Mur en 1687, Marie,
douairière de Mezgouez, Fiacrinej femme de Pierre de Keroignant, s.ieur
de Trézel, N. femme de Tou$saint de Kerohan, sieur de Morizur.
(1) L'étude la plus complète que nous connaissions sur ce très curieux
personnage est l'intéressant Discoun prononcé dans la ' chapelle du petit
séminaire de Tréguier le 26 octobre 1897 pow' la t1'anslation des restes de
messù'e Thépault 'de Rumelin, (ondateu1' du Séminaire de T1'éguier, par M .
l'abbé Daniel, curé-archi prêtre de. Saint-Sa u veu l' de Dinan. Sain t-Brieuc
(Prud'homme), 1897, brochure in-l~L Les archives du Finistère possèdent
un certain nombre de documents qui pourraient être utiles aux biographes
futurs de Micl'l:el Thépault. Nous signalerons les suivants: Prise de possession
de la cure de Plœumeur-Bodou par M. Thépault, alors simple clerc tonsuré
([614). Pièces relatives à la chapellenie de Portz-an-Billon, en l'église de .
Lanhouarneau (Hi38-1ü39),. Exécution par Michel Thépault du testament
de Jean Hingant de Kerisac (1650). M Thépault résigne la cure de Plœu·
meur Bodou en faveur de,Nicolas Tàlec (IG50) en se réservant200liv. depen-
· sion; N. Talee, 'entré au séminaire des Prêtres de la Mission, cède la même
cure à J Geoffroy moyennant une nouvelle pension de 500 livres (lG53) .
. Procédures .relatives au paiement de ces pensions que J. Geoffroy ne peut
acquitter (lG53-'1674). Pièces relatives à l'échange de leurs bénéfices entre
M. Thépault, recteur de Plougasnou, et Le Ségaler, chapelain de Sainte­
Catherine de ' Landerneau (1655). Exécution du testament de Anne
Thépalllt, douairière de Goetjézégou (1658), - Inventaire dil mobilier et
du testament de Michel Thépault '(1677) .
exécution

diocèse de Tréguier; la même armée il était désigné pour
aller chercher à Quimper les religieuses Augustines qui
devaient diriger l'hôpital( 1), Il avait fondé dès 1637la confrérie
du Rosair~ dans l'église cathédrale; en 1677, dans l'acte ~e
constitution d'une nouvelle runte, il cOllstatait que les fêtes ,
la confrérie éta ient celébrées « avecq une dévotion extra- ,
t( ordinaire du peuple, tant de la ville que de la campaigne,
« en sorte que l'église et le cloîtl'e étaient si rem plis de
t( monde: qu'à tel joue, le nombre des confesseurs qui estaient
« lors en cette église, n'estaient suffisants pour entendee les
ct confessions des pénitènts même aux jours et saisons plus

t( rudes de l'ann ée et rigueurs du temps », Il avait recueilli

une de ses sœurs, Anne, veuve de Jean Le Clerc, sieue de

Coetjézégou, que les exigences de la famille de son mari
avaient reduite à la misère, et lorsqu'elle mourut en 1658. il
acquitta sceupuleusement les charges de son testament En
1677, parvenu à sa qllat.re-vingt-cinquième année, il prévit
que la mOl't viendrait bientôt le fra;lpel' à son tour, il dicta l~
curieux testament que nous publions (pièce just'ificati've

n° 1) dans lequel il dispensa de nouveaux bienfaits aux œu-
vres qu'il avait aimées et protégées: l'église et les pauvl'es
de Plœumeur-Bodou, les séminaires dB Bl'etagne confiés aux
LazRristes: Tréguier, Saint-Méen et Saint-Brieuc, les Récol­
lets, les Hospitalières, les sœurs de la Croix, les pauvl'es
hOllteux, les UI'sulilles, l'église N. - D. de Coatcolvézou, les
chapelles Sai nt- Yves, Sain t-SuJ, Saint-Fiacre et St-Michel
de Trég'uier.les Ul~suli[}esde Vannes,Saint-Pol~tMorlaix (2).

(1) Les Augustines desservirent l'hôpital de Tréguier jusqu'à la Révolu­
ll és furent rappelées en 179-J, grâce aux courageuses réclamations du
tion; e
docteu r Oieuleveul t. Cf. DisC01l1'S prononcé par Mo ' l'abbq Coad ic à l'oc­
ca ~ ion du centenai1'e de lct réintéU1'ation des religieuses A ll(justines de l' Hô
tel-Dieu de 1'1'é[Juier, Tréguier 1Ra5 in-8·,
(~) Le couvent des Ursulines de Morlaix avait été fondé par la famille
(Cf. Daumesnil; Histoire de lllodl/.'i.r;.)
Thépault

Enfin, il. n'oublia pas sa famille et distribua à tous Ses
. parents ceux de ses livres qu'il jugeait les plus Întéressants
et qu'il avait fait à l'avance « proprement relier J) il leur
laissait en outre une certaine fortune, car après avoir acquitté
les fondations du défunt, ses neveux et nièces, Jean Thépault
de Treffaléguen, héritier principal,· François Thépault de
Mézaudren, prêtre, chanoine de Mur, Fiacrine, femme de
Pierre de Keroignant, sieur de Trézel (1), et N.) femme de
Toussaint de Kerohant, sieur de Morizur, tous héritiers,
se partagèrent 7 200 livres, en louis d'or et argent blanc
trouvés au domicile du défunt dans la maison des Prêtres de
la Mission. (2) .
Il semble que le souvenir de messire de Rumelin fut
pieusement conservé dans sa famille comme il l'est encore
dans le séminaire et dans la ville .de Tréguier. Son petit­
neveu) Henri-Nicolas Thépault du Breignou, fut comme ·
lui un fervent ami des Lazaristes, et ses frères conser-

vèrent les livl~es que leur aïeul avait hérités du vénérable
chanoine; enfin et surtout ils se montrèrent comme lui,
chrétiens fervents, fidèles à la belle devise de leur famille:
Dieu sur tout (3) .

(1) Madame de Trézel fut enterrée près de son oncle dans la chapelle du
séminaire de Tréguier. La tradition en fait à tort une sœUl' du chanoine,
sa nièce (CL testament). M, Thépault avait une
elle était certainement
sœur qui habitait avec lui à Tréguier la douail'ière de Coatjézégou, mais
si pauvre que dans son testament elle dut priel' son frère de payer
elle était
les frais de son enterrement et donner aux Cordeliers 20 livres pour qu'ils
quelque$ prières à son intention. La vente d,e ses meubles produisit
fissent
63 livres (E. 370).

(2) L'inventaire mentionne deux montres dont une en or et sonnante, -
trois ornements de damas, rouge, bleu et vert, un autre de satin à
fleurs noires, huit tableaux, etc
(3) Thépault porte: de gueules à la cl'oix aléz,ée d'al' adextrée d'une
macle de même. La devise Dieu Sl.W tout est inscrite en tête de plu­
sieQrs livres de comptes conservés aux Archives .

"I~es enfants de Maurice Thépault · de Treffaléguen (1) et
Peronelle de la Bourdonnaye ne nous sont guère connus
que par les lettl'es dont nous publions quelques extraits.
Cette famille nombreuse comprenait à l'époque qui nous
occupe (1707-1722) sept enfants.
Jean-François, chevalier de Treffaléguen, était entré très
jeune dans la marine. En 1745 il fut nommé capitaine de
-vaisseau et comptait alors 49 ans de service, 13 c .. mpagnes,
6 combats, 24 blessures; l'une, très sérieuse à la cuisse,
. avait été reçue sur le Sérieux au combat de Malaga, une .
autre datait de 1707 et de l'abordage entre le vaisseau du
Roi. le Blac'Wonald, et un navire anglais de 74 canons qui
fut pris; la même an'née, dans le combat entre son navire
et le Devonshire, de 96 canons, qui se brûla (lettre 1), il
reçut deux coups de fusil, l'un dans le bras, l'a~tre dans

l'omoplate (2). Le chevalier de Treffaléguen ne se maria pas
et mourut à Brest en 1753, assez riche sans doute car sa
vaisselle d'argent, seule partie de son mobilier dont l'inven-
taire ait été conservé, est estimé 633 livres.
De tous les enfants de Ma~rice Thépault, Jacques-Louis,
chevalier et plus tard comte de la Villozern, est celui que
la correspondance nous fait le mieux connaître. En février
1712 il fait ses débuts dans les gardes françaises sous les
ordres du duc de Guiche et cinq mois plus tard il assiste à
la bataille de Denain. Il arrive à Paris et monte sa première
garde à Versailles alors que le Roi et la Cour sont encore
sous le coup de la stupeur causée par la mort du duc et de
(1) Un compte des recettes et dépenses porte le revenu de Maurice
13,610 livres, les dépenses à 15,810 livres. Le .déficit est en .
Thépault à
partie causé par les dépenses nécessitées par les successions de Mauricelte
de GoazouiIIac, du père et de ['aïeul de ThépauIt de TretIaléguen.
ThépauIt
Les appointements de Nicolas Raoul, avocat, chm'gé de la recette des
biens, s'élèvent à 1,200 livres (E. 371). '
(2) L'impôt du sang, manuscrit de d'Hozier, publié par L. Par.is. Paris

la . duchesse de Bourgogne, mais La Villozern est d'un
caractère peu expansif et ne laisse rien pal'aître des regrets
ou des soupçons que la catastrophe a pu lui donner. Il ne
faut pas non plus chercher dans ses lettres des indications

sur les sentiments de l'armée de Villars, dernier espoir de
la France, sur les souffrances des campag'nes de la Flandre
et du Cambrésis, tant de fois ravagées par nos armées
victorieuses ou vaincues; le chevalier a bien d'autres soucis:
son petit équipage, péniblement composé dans les derniers

jours qui ont précédé le départ est d'un entretien dispen-

dieux:. à Péronne, il en coûte pour vivre des « biens
immenses » : 40 sols pour les chevaux~ 30 sols pour les
valets, 3 livres pour le maître (VIII), à Denain le pain de
munition coûte 22 sols (X V) ; on ne peut guère compter sùr
la solde, car'le régiment est comme tous les autres et paie
«quelquefois bien, quelquefois mal ». Les lettres de change
du père de famille demeurent la seule ressource, mais elles
sont rares. Et cependant il estéconome, il fait part de ses bonnes
acquisitions tel ce vieux mulet d'Espagne, acheté 45 livres
à Denain, et qui se révèle « le meilleur animal du monde »,
mais informe soigneusement sa famille de ses petits acci­
dents: sa jument a deux cors, un suisse maladroit a piqué
le cheval de selle, lé valet La Pierre a reçu un coup de
pie,d dans la figure, ·etc. Le souci d'assurer chaque jour sa
. subsistance et celle des bêtes et des gens de sa suite ne laisse
guère au jeune soldat le temps de songer aux dangers pro­
chains. La campagne, d'ailleurs, l'ennuie et six mois à
peine après avoir quitté Morlaix il a déjà le mal du pays
(XII). Quand il sera revenu à Paris il témoignera souvent
un désir très · vif de revoir la Bretagne et sa famille. Il reste
cependant au service jusqu'en 1720 et ne quitte que lorsqu'il
a reçu la croix de Saint-Louis. A Paris comme au régiment
. où les anciens officiers ne fraternisent guère avec les nou­
veaux, il a peu de relations. Cependant M. de Treffaléguen,

père vigilant, veut connaître les maisons où il fréquente et
La Villozern ne peut en citer qu'une: celle de M. Maboul (1):
maître des requêtes, qui a une femme fort laide, des filles
un peu âgées; on y joue à deux sous la fiche et quand on
jouer on .danse. M. de Tre.Œaléguen fut pleinement
a fini de
rassuré (2).
En 1722, La Villozern épousa sa cousine, Mlle de la
Bourdonnais. Des dispenses de parenté étaient nécessaires
et la cour de Rome les faisait payer cher; le fiancé osa
demander à l'offici~l de Rennes une attestation constatant
que. Mlle de la Bourdonnais éta{t dénuée de fortune;
l'attestation fut refusée _ et la dispense entraîna 6.630 livres
de frais au lieu de 5.000 (3). Lorsque l'on vieillit, les défauts
vices: et La Villozern sur la fin de sa vie
deviennent des
était non seulement économe mais avare; ses héritiers
Jean-Louis Thépault de Treffaléguen son fils et sa petite-fille
Marie-Louise-Adélaïde Hingant de Kerisac (4) représentée
par sa grand-mère et tutrice Anne-Marie-Renée de Plœuc,
dame de Kerisac, comptaient trouver des trésors: leurs
recherches furent vaines et ils firent sans succès publier
dans les églises de Morlaix des monitoir~s qui sommaient
les fidèles de dénoncer les auteurs des vols commis au

(1) Frère ou neveu d'un évêque, prédicateur estimé.
(2) Quelques notes de fournisseurs du chevalier de La Villozern ont été
Notons en 1717-1718 l'achat d'habits de drap musc bordé d'or,
conservées.
de drap écarlate, de drap canelle bordé d'or (107 livres), de drap gris
(150 livres). Une note de perruquier mentienne l'achat de 16 livres de
poudre ent1'e le 1 juin et le 8 jumet 1717. La Villozern fut chargé de
surveiller la confection de la robe de mariage de sa fiancée: le manteau
de satin blanc, brodés en argent. coûtèrent 590 livres: le sacre
et la jupe
du Roi avait fait hausser les salaires de3 ouvriers brodeurs .
(3) L'official déclara que Mlle de la Bourdonn,ais avait 40 ducats de revenu
.. environ 480 livres, ce qui était certainement bien au-dessous de la
vérité (E 369).
(4) Fille de Marie-Françoise
Thépault et de Marie-Joseph-François
de Kerisac.
Hingant

domicile du défunt; M. de la Villozern, disaient-ils, ~vait
reçu des sommes considérables de la succession de son
père, il avait fait couper pour 17.000 livres de bois et jouissait
d'un revenu qui lui permettait de mettre chaque année plus
de 5.000 livres de côté (r il est véritable que tout le plaisir de
( M. de La Villozern était de faire un trésor et qu'à chaque
{( occasion qui se présentait il donnait de l'argent pour avoir
« de l'or)) (1) Le mobilier qui garnissait la maison de Morlaix
et le château de La Villozern était considérable, mais bien
bizarrement disposé, comme cette « garniture de cheminée )
chambre des sieur et dame de Treffaléguen « une
de la

l( garniture de cheminée consistant dans deux images de la
« Vierge, deux perroquets et une figure de lion» (2).
Le chevalier Thomas-Joseph-Yves du Breignou se rendit
à Paris à la même époque que son frère aîné qui lui servait
de mentor. Peut-être reçut-il aux pages l'excellente édu­
cation que pronait Mme de Keruzoret (II); ' mais les malins
pages qui s'amusaient à déchirer les vêtements des nouveaux
(V) continuèrent longtemps sans doute à son égard ces dé­
testables plaisanteries car ses letty'es, asseznombl'euses, ne

sont que de longues doléances sur l'état de sa garde-robe
(XXVI). Retiré du service il habita le Breignou et laissa ·
postérité.
. Deux 'Thépault étaient d'église; l'un L. F. de Treffaléguen
devint chanoine de Léon; ses dernières lettres nous le
montre plongé dans la « mélancholie» et condamné à des
remèdes bizarres: décoction de limas, hydromel, capillaire

(2) Nous donnons aux pièces justificatives l'inventaire de la biblio­
thèque de la maison de Morlaix. J. L. Thépault de la Villozern, ancien
sous-lieutenant aux gardes-françaises et chevalier de Saint-Louis, fut
nommé major de la capitainerie générale garde côtes de Morlaix le
. '.2.0 juillet 1737. Il fut promu au grade de capitaine le 24 février '174.2.
lArcll. du Finistère. Fonds de l'amirauté de Morlaix. B. 4170.)

du Canada (X V III) . Il en mourut sans doute. Son frère Hervé- .
Nicolas du Breignou fournit au contraire une carrière longue
et glorieuse. Après avoir étudié à Nantes et à Paris il vint
habiter Quimper et n'était pas alors ennemi d'une douce
gaité; il échangeait avec ses frèl'es des poëmes satiriques:
Les épithètes des dames, l'a.rt d'entretenir les chanoines dans .
l'embonpoint (LVIII). Nommé évêque de Saint-Brieuc, il se
montra pasteur zélé, pieux et charitable, mais plus sévère
que dans sajeunesse,il poursuivit et condamna dans son dio-
. cèse les représentations de ces vieilles tragédies bretonnes
que l'abbé Tresvaux traite de « farces indécentes » (1).
Le cadet de la famille, Maurice-Marie-Joseph, est encore
au collège alors que ses ·frères servent depuis longtemps dans
les armées du Hoi; ses parents l'ont placé chez les Pères de
l'Oratoire de Nantes qui aiment beaucoup les vers latins,
mais le jeune Maurice ne les aime guère et n'y réussit pas
(XXX, XXXI). Les professeurs lui inspirent peu cJ.e sympa-
thie et il fait part avec empressement du bruit qui court à
Nantes de l'exil de quatre Pères de l'Oratoire (XXXII); la
nouvelle avait dû mettre le collège en liesse. Maurice-Marie-
Joseph put enfin s'engager, devint capitaine d'infanterie et
chevalier de Saiht-Louis; mais il ne trouva dans le métier
des armes ni la gloire ni la fortune (LXI). A sa mort (1753)
il ne laissa qu'un mobilier misérable (2) et beaucoup de dettes .
Enfin, une fille Anonyme de Treff?-léguen (3) craignit

d'entrer dans le monde et se fit religieuse (LX), sans doute

(l) Hervé-Nicolas Thépault, né à Morlaix en 1703, chanoine et vicaire gé­
néral de Quimper, fut nommé évêque de Saint-Brieuc le 3 septembre 1744
et consacl'é le 13 mars 1747. Il mourut à Saint-Brieuc le 26 janvier 17G6.
(2) Il habitait une chambre au second étage de la maison de Hervé
Querné dans la rue du Bardeau ou Fardel à Morlaix
(3) Voyez sur cetle bIzarre dénomination d' « anonyme» seul . nom que
pussent porter les personnes auxquelle·s on avait négligé de suppléer les
cérémonies du baptême la BiobiblioU1'aphie br'etonne de Kerviler. Tome II
page 461, v" Bourdonnave .

BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI. (Mémoires). 4

chez les Ursulines de Morlaix,' dans 'le couvent fondé par
ses ancêtres. .' .
Les lettres écrites par ces divers personnages ont des
défauts communs: elles sont monotones et font rarement
connaître le caractère de leur auteur; ", écrites à une époque
où les gazettes étaient encore rares, elles enregistrent très
longuement les nouvelles de la cour, mais sans jamais oser
apprécier les décisions du Hoî ou des ministres. Elles nous
ont paru cependant dignes d'êtres publiées du . moins en
partie car ce sont des documents de ce genre qui font le
mieux connaître l'esprit et les mœurs d'une ~poque.

A la rade de Brest, le 28" octobre 1707 .

Le chevalier de Treffaléguen â son pèTe.
Mon très cher et honoré père,

Ne pouvant vous écrire, j'ay prié un de mes amis de le
faire ayant eu un coup de fusil dans le bras gauche et un
autre à l'épaule, heureusement que les os ne sont pas offen-

sés (1). M. de Tourouvre a pris un navire de 56 canons qu'il

a laissé amariner , par le Jason et a été sur un autre de
" 84 pièces qu'il a abordé et contre lequel nous avons resté une
heure bord à bord à la mousquetterie, et c'est là où j'ai reçu
mes blessures. En abordant nous rompîmes notre' mât de
beaupré qui tomba sur le champ à la mer. L'escadre de Mr du
(1) Voyez sur ce combat les Mémoires de Duguay-Trouin, les Mémoires
de Saint Simon, le registre B 4'163 des Archives du Fjni~tère (fonds de
l'Amirauté de Mol'laix); etc.

Guay était jointe avec Ml' de Fourbin, sans quoy nous n'eus­
pas attaqué, les convois anglais étant extrêmement
sions
il y en avait deux de 80 canons et celui que nous avons
forts:
abordé de 8.1 qui a bru lé sans qu'il se soit sauvé un homme;
Mt' du Guay a abordé et pris le commendant de 80 canons et
Ml' de Fourbin a pris celuy de 50. La flotte était de 100 voilles;
elle allait à Lisbonne chargée de vivres, munitions de guerre,
de chevaux et de troLlpes ; des cinq convois il n'yen a qu'un
qui s'est sauvé de 80 canons qui eut été enlevé sans l'acident
qui arriva à l'Achille qui l'aborda: le feu ayant pris à des
poudres qui luy ont mis cent hommes hors de combat. L'on a
pds dix ou douze bâtiments de la flotte; il yen a deux chargés
de chevaux à ce que l'on nous a dit. Mr de Tourouvre a été
à la Cour porter les nouvelles et m'a promis mon avance-
ment.
Assurez, s'il vous plaît, ma chère mère, mes frères et
sœurs de mes très humbles civilités et suis avec tout le respect
et la soumission possible, mon très cher père,
Votre très humble et très obéissant fils,
1 Le CIF' DE TREFFALEGUEN .
Je vous prie de donner vos soins et d'employer vos amis
pour apuyer ce que Ml' de TourOUVl~e fera quoi qu'il ait
promis qu'il l'obtiendrait ou qu'il y perdrait son b,onnet.

De St-Pol, ce 28" octobl'e 1711.
me de Keruzoret à M. rte Rozlan,
pour remettre à M. de Treffaleguen.
Monsieur,
vous envoie les memoires que j'ai pU ,trouver sur
les pages ...... Je donnai à mon fils mon contrat de mariage
et son arrêt de noblesse, et en cas que l'on eut demandé

davan tage je l'aurais fait rendre. Mais Ml' d'A vrancheset

Ml' le marquis de Coëtanfro, et Ml' Le Chantre (de Léon)
eurent la bonté de l'aller présenter, et Ml' le marquis dit que
nous étions parents pt que nous avions l'honneur de lui
cela suffit: on ne demanda à voir aucun titre,
appartenir et
mon fils n'en montra aucun (il est très bien recommandé) ;
qu'il ne faut que ces papiers que je
mais je suis persuadée
vous mande et les armes des quatre mèi'es nobles du côté du
père ..... Il ne faut pas de dentelles, mais de beau linge .... ,
l'entrée coùte mille francs quand on entre avant le· mois
d"avril; si l'on entrait dans les pages dans ce mois là on
épargnerait 200 livres que l'qn donne pour le justaucorps de
, page. Le Roi donne au mojs d'avril la casaque et habille les
pages, mais ils se fournissent de vestes et il en faut de propres.
On leur donne une paire de souliers tous les mois; vo.ilâ,
tout \..e-e que je puis vous dire.... .
Monsieur,
Votre très humble et très obéissante servante,
DE KERUZORET. .

On met les armes du père en chef et puis en bas les armes
des mères: c'est Clairant qui me fit le blason en alliance. On
est parfaitement bien dans ces pages et c'est une. très belle
éducation pour les enfants; on a · tous les maîtres que l'on
peut avoir et tous le'3 meilleurs, ~n y fait ses exercices très

ce qu'un cavalier doit savotr, vous le savez .
bien, et tout
III

• De Dreux, ce 13" f6vrier 17'22 .
Le che'valier de la Villozern ('i) à son père .

Mon très cher père, .
Je ne sais si vous avez reçu une lettre que j'eus l'honneur
de vous écrire de Fougères, par laqueUe je vous marquais que
(1) La terre de Villozern, originairement Kerozern, .en Ploubezre, avait
élé vend ue en 'lü4·7 par René de Kergol'lay à Maurice Thépault .

nous y étions arrivés en bonne santé; je n'ai pu VOllS écrire
depuis ayant toujours passé dans de mauvais petits bourgs
où il n'y avait pas ,de poste; nous y avons fait très mauvaise
chère, surtout en carême. Nous fimes notre mardi gras à
Chanu chez le maître des messageries qui est le seul bon
gîte que nous a)ons eu. Malgré la mauvaise chère et les che­
mins détestables nous nous portons, Dieu merci, très bien.
Nous n'arriverons que lundi à Paris, nous ne pourrons passer
à Versailles en y allant, parce que nous n'avons pas de linge
à changer; les boues et les crottes ont rendu l'h?bit de mon
frère fort vilain. Outre les taches qui y ont resté, il est déchiré
en deux endroits. C'est pourquoi j'attendrai votre réponse
avec impatience pour savoir si je lui en ferai faire, un. Je
en attendant faire une première visite à M. de
pourrai
Coa tenfao (1) afin de le prier de retenir une place pour mon
frère dans les pages, ce qu'on m'a dit à Rennes qu'il fallait
faire. En y entrant, il laissera son habit neuf chez moi et
emportera son VIeux ....

(1) François-Toussaint de Kerh~nt, marquis de Coetanfao, comte de
Penhouet, chevalier des ordres du Roi, lieutenant-général de ses armées,
premier sous-lieutenant des chevau-légers de sa garde, chevalier d'honneur
de la duchesse de Berry, fut grièvement blessé à la bataille de Ramilies.;
à celle de Malplaquet il eut l'épaule démise, un coup de sabre iui coupa
la main et un pareil coup qu'il reçut sur le 'front l'obligea à se faire tré­
paner. Il Dliurut le 25 février 171l.
Jean-Sébilstien de Kerhoant de Coetanfao, chevalier de Saint-Louis, '
brigadier des armées du Hoi, major !Sénéral et premier sous-lieutenant de
la gendarmerie, gomerneur de Morlaix, Saint-Pol, etc., reçut six bles­
sures à la bataille de Munderkingen (170::1) et fut encore blessé à celle de
l\tlalplaquet (t70~); il mourut le ~ avril 1744. .

Maurice-SébasLien de Kerhoant, comte de Coetanfao, capitaine de ca-
de Toulouse, tu t tué à la balaille de Ramilies (1706).
valerie a u régiment
Holland de Kerhoant de Coetanfao, frère des précédents, docteur en
Sorbonne, fut nommé évêque d'Avranches le 19 janvier 1ô99; il mourut à
Paris le 14 octobre 1719 et fut enterré à Saint-Sulpice. Il favorisa l'éta­
blissement des frères des écoles chrétiennes d'Avranches et la création du
. séminaire de la Garlière dans la paroisse de Cuves.
(Mémoires de Saint-Simon, chapiLres XXVI. XXIX; Impôt du Sang, etc.)

De Paris le 17" février 171'2 .

Le chevalier de la Villozei'n au même .

Mon très cher père,

' ..... Nous avons le plus heureusement du monde rencontré '
le premier maître d'hôtel de ' M. le marquis de Coetanfao à
Villepreux qui m'a promis de dire à son maître que nous
étions arrivés à l'état où est mon frère pour savoir s'il doit
il doit nous l'écrire demain; M. de Coetanfao
s'habiller et
est à Marly où la Cour est à présent à cause de la mort de
Madame la Dauphine, qui mourut vendredi au soir; on dit
que c'est de la rotfgeole; on croit que le Roi sera douze jours
à Marly. M. le Dauphin à aussi eu la fièvre: on dit qu'il fait
mieux à présent. M. de Beauvilliers est aussi malade. Voi.là
toutes les nouvelles que j'ai apprises. Je n'ai encore rien su

pour ce qui me regarde; je le ' saurai demain. M . . de Keravel
nous est cependant venu voir et me dit qu'il ne savait pas
positivement si je ferais la campagne. oui ou non; il parla
pc~~ après comme Mr son père: c'est-à-dire qu'il ne faut pas
beaucoup compter sur ce qu'il dit; de la manière qu'il parle,
on croirait que Madame sa mère aurait voulu lui avoir une
sous-lieutenance et Monsieur son père ne le veut pas, et lui

traite l'enseigne en dessous de lui; voilà ce qu e j'ai pu cl é- '
brouiller dans son raisonnement.
Les dames sont allées à Versailles apparemm ent ,:oir ,
Madame la Dauphine dans,son lit d'honneur; on dit qu'elle '
lun~li à Sain t-Denis ....
sera transportée
VILLOZERN .

De Paris ce ~o mars 171'2,
Le chevalier de la V illozern à son pète,

Mon très cher père,
Nous allâmes à Versailles mon frère et moi lundi au soir
comme nous l'avait dit M. le marquis de Coetenfao; il nous
mena à onze heures et demie chez M. de la Motte qui est le
gouverneur des pages, il reçut mon frère et lui donna un billet
pour se faire faire un habit chez le tailleur du roi. Ils n'ont
jugé à propos de le recevoir qu'au 1 d'avril. Leur raison
que son habit serait déchiré par les autres pages avant
est
le 1 Cl' d'avril et qu'il se trouverait avoir un vieil habit lorsque
les autres en auraient de neufs. Voilà l'état de~ affaires de
mon frère; j'oubliais de · vous dire que j'ai donné à M. de la
Motte 9441iv. qu'il en coute pour entrer, compris l'habit, il me
donna un mémoire de ce qu'il faut aux pages, il est marqué
qu'il leur fa~t un couvert avec un couteau d'argent et pour
cela on donne 2;5 liv. au valet de chambre à qui reste le cou­
vert quand ils sortent pour qu'ils en aient d'uniformes. Il lui
faudra une paire de bottines, une veste et une culotte pour
celle que le Roi lui donne.
monter à cheval, outre
monte ma première garde demain à Versailles, où je
serai reçu; j'ai été voirmoncapitaine aujourd'huiquimeparaît
. assez honnête homme. .
... . La cour est d'une tristesse très grande; nous montons le
garde en habit épée et pleureuses: le roi se porte bien à
il n'a soupé que deux fois en public depuis son retoui'
présent,
et n'a pas dit un seul mot.
Le jeune dauphin a été très incommodé d'une grosse dent
qui lui poussait; elle lui a causé un accès de fièvre de douze
heures.

Mon frère a reçu ces jours une lettre de M. de Becdelièvre
dans laquelle il en écrit une à M. le Prince de Léon qu'il lui
dit de porter luI même; il lui marque aussi .que M. son père
en sa faveur. Nous irons ensemble la lui por-.
lui a déjà écrit

ter à mon retour de la garde qui sera ·samedi. . . . . .
Vous savez que Monsieur le duc d'Orlpans s'est mêlé
de chimie surtout depuis son voyage d'Espagne. Il s'est
vanté il y a quelque tem ps d'avoir trouvé un poison qui ne
laissait aucune marqne; la mort des Dauphins a donné lieu
de publier qu'il pouvait bien Mre cause. M le '
à ses ennemis
duc d'Orléans s'en est plaint au Roy qui l'a justifié comme
tous les honnêtes gens l'avaient déjà fait. .
Nous souhaitons que ma chère mère fasse le voyage de
Saint-Paul en bonne santé et l'assurons de nos respects, et
bien des compliments à nos frères et sœurs, et suis,
faisons
avec tout le respect et' l'obéissance possibles,
mon très cher père,
votre très humble et très obéissant fils.
VILLOZERN .

De Paris, cc 1 \Je maas 171 '2 .
Le chevalier de la Villozel'n aLt même.
Mon très cher père,

J'ai l'honneUl~ de vous écrire pour vous dire que je reçus
de paraître aujourd'hui en revu~ devant M. le
jeudi l'ordre
duc de Guiche etd'assÏster à la bénédiction des drapeaux qui
se fait demain à Notre-Dame et à la revue du Roi mardi et
d'acheter nos marmites pour lundi en huit que la Compagnie
la campagne. Vous jugez bien dans quel embaras
partira pour
je suis: la première chose que j'ai faite a élé de m'équiper

pour paraître devant le Roi et la bénédiction en uniforme ne
le pouvant être à la revue de Monsieur de Guiche pour laquelle
un habit, et pour faire faire le
j'ai. été obligé d'emprunter
mien j'ai été chez Mme de Kera vel lui demander 200 livres
qu'elle me refusa d'abord, mais lui ayant dit que je les lui 1
pourrais rendre dans peu, parce que j'en attendais de vous,
elle me les a données fort gracieusement; j'ai donc fait faire
mon habit dont je n'ai paié que le galon et acheté chapeau et
bas uniforme et serai en état de paraitre devant le Roi. Pour
ce qui est de la campagne, je ne sais pas trop qu'elle mesure
prendre: ou de demeurer ici attendre de l'argent pour acheter
des chevaux et tout ce qu'il me faut ou de partir avec la
Compagnie et de vous prier de m'envoyer les chevaux dans
la ville où nous serons cantonnés quelque temps. Si je
demeurais ici, il faudrait demander un congr. à M. le clue
de Guiche, ce qu'il ne me refuserait je crois pas, Cependant
dans l'incertitude je serais d'avis que vous eussiez la bonté de
. m'envoyer de l'argent que je recevrai dimanche et cie faire
partir les chevaux , qui nous joindront toujours assez parce
que nous ne camperons pas d'abord et je vous manderai, si je
puis le savoir mercredi, la ville où nous serons cantonnés
afin que les chevaux m'y pui~sent joindre.

VII

. De Compiègne, ce 8 avril 171) .

I.e chevalier de la Yillozern au 1nên~e.

Mon très cher père,
Nol.:s sommes arrivés en cette ville ce jour et sommes
partis de Paris mardi comme j'ai eu l'honùeur de vous rée.rire .

la veille (1) ; j'attendrai avec impatience les chevaux que vous
devez m'envoyer à Péronne où nous serons lundi; je com­

mence un peu à m'habituer dans le régiment, on fait con­
naissance peu à peu avec les officiers, et comme nous man­
geons quinze ensemble tous les jours, j'en connaîtrai 'bientôt

une bonne partie; j'ai fait aujourd'hui ma première fonction
· qui a été de conduire le bataillon de Senlis ici, emploi plus
fatiguant qu'honorable. C'cst M. de Monpesa t qui nous com­
mande, M. de Brillac n'y étant pas; je perds dans l'échange
de la compagnie, parce que M. de Foris ne tient pas table
com me l'autre qni Cl toujours six couverts.
On parle · toujours de la paix; . on dit même que les alliés
proposé au Roi une suspension d'armes, que la Heine'
ont
d'Angleterre lui a conseillé de refuser. C'est tout ce que j'ai
ma route. Nous allons demain à Noyon; mon
appris dans
petit équipage esten bon ordre; j'espère qu~ cela continuera

quand .il sera plus grand; je compte recevoir de vos nouvelles
à Péronne.
J'assure ma chère mère de mes respects et fais bien des · .
compliments à mes frères et sœurs et suis avec tout le respect
et l'obéissance possibles,
mon très cher père,

votre très humble et très obéissant fils,

VILLOZERN .

(II ' D'après ses lettres, la Villozem suiviL l'itinéraire su ivant: Senlis
.(7 avr'il , Compiègne (8), Noyon, Péronne (1'2 ), Cambrai, Bail Ligny, Vitry-
en-Artois, Marquion, Fontaine-Notre-Dame, Bapaume (:1 mai), Noyelles
(du '2G au 11') juin ), Ligny (du 5 au 19 juillet), Vauchelles PO), Cateau~
Cambrésis (li), Denain (2.5-· 2U), Noyelles (l'l aoùl), Hénin-Liétard ('16-'22),
Douay (.3 septembre" Le Quesnoy (1 O-H septembre). .

VIII
A Péronne ce 12 Avril 1712.
, Le chevalier de la Villoze'l'n au même.

Mon très cher père,
J'eus l'honneur de vous écrire de Noyon mon départ de Paris.
Nous arrivâmes ici hier si fatigués que Je ne pus vous ecnre :
nous essuiames la plus rude journée qu'on puisse voir; il
neigea tout le jour avec un vent extraordinaire qui nous
souillaii au visage; si ce temps continue on ne pourra pas
fourrager de longtemps, ce qui nous ruinera tous car il nous
. en cout.e ici des biens immenses; mes chevaux me reviennent
à 40 sols, mes valets à 30 sols et moi 3 livres par jour ; la
viande est taxée à 7 sols la livre; je ne saurai croire qu'on
ce pied là ;·.cependant on dit que
nous laisse longtemps sur
ce seront les mouvements des ennemis qui régleront le temps
, de notre séjour ici. \ '
Je n'ai pas reçu de vos lettres en arrivant ici ce qui me fait ,
çroire que vous aurez écrit à M. 'de la Bourdonnaye à Paris,
J'ai bien besoin d'argent car il me sera impossible de 'suivre
le régiment lorsqu'il ira camper si je n'en reçoit auparavant;
il me manque plus de la moitié de ce qu'il me faut; je crois
que j'aurai tout ici à meilleur marché qu'à Paris.
On parle de paix avec l'Anglèterre et rien de plus: on sait
moins de nouvelles ici qu'ailleurs. Nous sommes ici quatre
bataillons de gardes fran çaises et deux suisses avec le régiment

de dragonsdeGranville etde St-Malo. Tout l'équipageesten bon
ordre, les valets ne sont pourtant pas encore secs de la journée
car ils n'ont de manteau ni l'un ni l'autre Je remédierai
d'hier
. à cela quand j'aur.ai en le nécessaire. Je ne sais si vous avez

jugé à propos d'envoyer les chevaux; je serai bien inquiet

Jusques a ce que )e SOIS pret a camper.

A Bnpaume ce 3 May l7 t'l,

Le chel'alier de la, rillozern a'/); même .

Mon très cher père,

J'ai l'honneur de vous écrire pour vous marquer la ré- ..
cept.ion d'une lettre du 20 de ce mois que je reçus avant hier.
Elle m'a fait un vrai plaisir en m'apprenant que vous êtes
tous en bonne santé.
vous mandai de Cambrai et de Boutigny notre décam-

pement. Nous allâmes de là à Vitry en Artois où nous n'avons
été qu'un jour, nous y arrivâmes dimanche au soir, nous en
repartîmes le lundi à sept heures du soÏl~ pour venir à Marquion
. où nous arrivâmes au point du jour. Nous y reçu mes un ordre
de venir à Fontaitlle-Notre-Dame qui est un village à une lieue
de Cambrai; nous ysommes restés et je me trouve détaché

aujourd'hui pour escorter le fourrage qU'OI1 nous a donné en
cette ville, nous en sommes ·à cinq lieues.
Il m'est arrivé des accidents depuis ma dernière qui ne
sont pas heureusement bien facheux: le premier est de
l'P'Atre brouillé avec mon camarade, nous nous sommes tout à

pas moins bons amis, mais
fait séparés, nous n'en sommes
nous ne pouvions nous accomoder sur le fait de porter nos
équipages et nos valets voulaient se battre à tout moment:
que je ne pourrai mieux faire que de camper seu 1; je
j'ai cru
serai fort à mon aise et n'aurai de discussion avec personne.
ma jument est blessée de deux grands cors sui:'
Secondement
les côtes et un autre sur les reins, et le plus fâcheux est que
mon palefrenier qui est Le Roy reçut en partant de Boutigny
lui mettant le bat un coup de pied au milieu d'une joue qui
J ni porta un peu Sui' le nez. Il en saigna pendant deux heures;
je l'ai fait saigner au bras droit le lendemain. Il fut renversé

du coup et le plus heureusement du monde il ne s'en sent
plus; il marcha toulle jour malgré celà.
Le troisième c'est CJue nous marchames lundi au soir par
la plus triste nuit du monde. Il plut tonna et fit des éclairs
continuellement. .
On revient Dieu merci, de tout celà .
Ce qui nous fit faire ce mouyement c'est que les ennemis
passèrent l'Escaut à Bouchaül et parvinrentà une demie lieue
de Cambrai. Ils se son t relirés à nos approches. Tou te l'armée
s'assemble depuis deux jours, notre brigade est campée et
les officiers sont encore logés pour la dernière fois avant
d'entrer en campagne. J'allai hier après notre arrivée à
Cambrai où j'achetai une vieille tante qui me coûta 40 livres.
J'y trouvais une petite jument que j'achetai 20 écus. Enfin je
ferai tout ce CJue je pourrai pour me tirer d'affaire à moins de
frais que je pourrai et puis vous assurer pour une seconde
fois que je suis du nombre de ceux qui font le moins de
dépenses. Il n'y a que les nouveaux qui se familiarisent, les
autres veulent toujours conserver leurs droits mais le temps
viendra à bout de tout. C'est Monsieur de Terlay qui est
de mon bataillon, il est beau-frère de M. de
commendant
Kerlorec; c'est un Magon de Saint-Malo; il a encore un frére
le régiment qui est lieutenant, je crois que Monsieur de
dans
Kerloree ne vous refuserait pas une lettre de recommandation
de lui: elle ne serait pas inutile car il tient bonne
auprès
table; M. de Montaran m'a une fois prié de diner chez lui;
je rie pus y aller, parce que j'avais déjà promis à un ·
mais
sous-lieutenant qui s'appelle la Boixière de Samt-Goorges
dont le frère est receveur général des finances de Bretagne
chez lui. Son frère demeure à Nantes, celui-ci est fort
d'aller
jeune et sort des mousquetaires .

Toutes ces marches ne font rien penser de bon pour la paix.
On dit cependant qu'on n'attend que la réponse du Roi

d'Espagne pour conclure avec l'Ang1eterre; yoilà tout ce que
je sais de nouveau . . .
Je m'en retqurne demain au camp au petit point du jour;
j'ai ici un lieutenant qui me commande qui est un picard
nommé d'Orivid et un garçon major qui s'appelle La Marche,
du président de Bedée qui nous fait distribuer le four­
irère
il se dit cousin-germain de M. I\ermorvan-Mahé. Il m'a
rage:
donné :1 diner, je lui donnerai à souper; c'est encore une
dépense que je ferai une fois par mois pour le moins qui ne
laisse pas de couter une pistolle. Si vous aviez la bonté de
m'envoyer de l'argent vous me feriez bien plaisir, car avant
que je l'aie réçu je serai sans le sol. Il m'en a couté 61ivres
pour le change de Péronne à Cambrai pour toucher mon
argent, encore bien heureux de ne pas payer autant que de

Paris comme me demandait la poste. J'allais chez uri mar­
chand qui me donna mon argent et me prit 6 livres.

Au camp de Noyelle ce gc juin 171î

. Lé chevalîer de la Villozern à sa m.ère.

Ma très chére mère,
..... Nous sommes campés au front de bandière depuis le
26 du mois passé. M. de Terlaye est toujours au village. J'ai
reçu la lettre de mon frère qu'il m'a écrite à Péronne. Il me
paraît se plaire fort dans les pages. M. de Kerhoant me
vint voir les jours passés qui me dit que c'était lui de toute
la livrée qui se faisait le plus aimer et qu'il montait déjà fort
bien à cheval; ceci est plus croyable de ce monsieur qu'un

il est bien fier .
autre car

Je souhaite que mon cher père soit de retour en bonne
je le prie instamment de vouloir bien m'envoyer de
santé,
l'argent; il ya plus de huit jours que je vis à crédit; je me

suis toujours attendu de recevoir de ses nouvelles de Jour a
été si longtemps sans écrire
autre; c'est la raison pourquoi j'ai
Je crois la paix fort' incertaine quoique tout ]e monde la
veuille faite . .le la souhaite cependant autaut que les autres.
Je vous assure, ma chére mère, que volre lettre m'a fait un
vrai plaisir étant très surpris de ne pas recevoir aucune lettre
un mois tout entier. Je suis charmé que toute la
pendant
famille se porte bien. Je lui fais bien des compliments et suis
avec bien du respect,
Ma tr~s chère mère,

Votre très humble et très obéissant fils,
VILLOZERN.

Au camp de Noyelles, ce 18 juin 17n
Le chevalier de la Villozern à son père. .

Mon très cher père,

Je suis dans une impatience très grande d'ap.prendre de vos '
eu l'honneur de vous écrire deux lettres. Je
nouvelles, ayant
me suis toujours attendu d'en recevoir. Il y a trois jours qlle
nous sommes sur le point de décamper sur les avis que M. le
maréchal a reçus que les ennemis avaient investi Landrecies. '

L'on croit que nous passerons l'Escaut devant nous et que
nous camperons ]e long de la Selle. On nous dit hier à l'ordre
de regarder les Anglais comme nos amis; on les dit partis
pour Gand où ils doivent rester. On vient dE: me dire qu'on
conseil de guerre ce matin et qu'il y avait été arrêté
avait tenu
que l'on passerait demain l'Escaut à la pointe du jour. Si les
ennemis viennent au devant de nous il pourrait bien y avoir

une atIaire ce que je ne crois pas car il leur faudrait passer
la Selle. On se défie cependant du prince Eugène qui doit
faire encore un ,coup de son métier à ce qu'il a dit au duc d'Or-

mond en prenant congé de lui; ce dernier se retire avec 35
bataillons et 40 escadrons. Les Danois sè sont joint aux
Anglais.
J'ai reçu une lettre que ma mère m'a fait le plaisir de m'é­
crire qui m'apprend que vous étiez au Brignou avec ma chère
mère .mais que vous deviez vous en retourner le lendemain,
je souhaite que ce soit en bonne santé. J'espère vous pouvoir
deux jours.1e détail de notre marche qui doit être sur
dire dans
neuf colonnes; je ne sais si les équipages suivront. J'assure

ma chère mère de mes respects et fais bien des compliments
la famille et suis avec tout le respect, .
à toute
Mon très cher père,

Votre très humble et très obéissant fils.
VILLOZERN

XII

Au camp de Ligny (?), le 5 juillet 171'2.
Le chevalier de la Villozern a1l même .

Mon très cher père,
Je ne puis m'empêcher de vous marquer le chagrin où je

suis de ne point recevoir de vos nouvelles et de n'en avoir pas
reçu depuis mon départ de Paris. Je vous avoue que le si-
lence me déroute fort du service; j'oserai même vous avouer
que j'ai un peu la maladie du pays me trouvant dans un
éloignement si grand de chez moi, ne connaissant aucun des
officiers qui fon t la campagne cette année. Je me .trouverais
si par malheur il m'arrivait quelqu'accident.,
fort embarrassé
ce que je ne prévois pas encore n'y ayant aucune apparence,
mais dans ce métier-ci il faut s'attendre à tout. Je n'ai vu
personne qui m'ait pu dire des nouvelles de ce pays-là. M. de
Keravel qui m'a fait l'honne1jr ,de me venir voir aussi bien
que M. de Plœuc (?) ne croit pas à la paix plus que moi; je

vous prie instamment, mon cher père, de m'en faire saVOIr
et ne croyez pas que je demande de l'argent: point du tout;
du p.ain, du vin etde la viande et je serais
nous avons toujours
plus charmé de vous savoir en bonne santé que de recevoir
toutes les lettres de change du monde.
J'eus l'honneur de vous mander dans ma dernière que je
demanderai permission à notre colonel de le suivre à .la
tranchée; il nous en a exempté la peine car il nous fit dire à
l'ordre par le major qui y fut qu'il ne voulait avoir que deux
aides-majors et deux garçons-majors et trois ou quatre de ses
bons amis qu'il nomma aussi; il ne lui est rien arrivé, Dieu
merci; mais le lieutenant général qui l'a relevé, M. de Biron,
a eu un bras emporté, dont on croit qu'il ne reviendra pas à
cause de la saison. Il a été blessé dans une sortie que le prince
de Wurtemberg, commandant à Landau, fit faire le 2 de ce
mois en plein midi. Il fit sortir de la cavalerie soutenue de .
qui n'eut pas plu~ôt vu marcher les tran­
quelque infanterie
chées à elle qu'elle rentra selon l'ordre qu'ils avaient, et en
même temps l'on fit un si grand fell de la ville que nous
. n'avons pas laissé de perdre 200 hommes; il Y a eu 22 officiers
du régiment de Navarre de tués ou blessés Le fort dEi
Manheim s'est rendu quelques jours plus tôt que l'on ne s'y
que M. d'Albergotti a fait tirer des boulets
attendait parce
la ville de l'autre côté du Rhin, ce qui a tellement
rouges sur
effrayé les habitants dont il y a eu quelques uns de tués que
le fort s'est rendu. Les ennemis ont marché par leur droite
du coté de Mayence ce qui a fait décamper bien des troupes
de notre camp qui sont allés du coté de Frankental où l'on dit
que nous tirons une ligne parce que l'on prétend que le
prince Eugène a fait passer un corps de son armée à Mayence
en deça du Rhin. Nous avons été sur le point de marcher .
avant hier à minuit; nos chevaux tout chargés nous reçumes
ne croit pas que nous restions longtemps
contr'ordre. L'on
ce camp mais comme nous serons toujours de l'armée
dans
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI. (Mémoires). 5

de M. de Villars en y adressant les lettres nous les recevrons
en quelqu'endroit que nous· soyons. J'assure toute la famille
de m~s respects. Je suis avec tout le respect et l'obéissançe
possibles, mon très cher père,
Votre très humble et très obéissant fils,
VILLOZERN.
XIII

Qu Cateau Cambrésis, ce 21 juillet 1712 .

Le chevalier de la Villozern au 1nême .
Mon très cher père,
J'ai l'honneur de vous écrire pour vous informer de notre
marche. Nous sommes partis de Noyelles le 19 et avons
campé à deux lieues en deça de l'Escaut que nous passa mes à
Vauchelles; . nous sommes arrivés ici hier au soir et y avons
encore demain; l'on ne sait encore ce que l'on fera: nous
. attaquerons les ennemis s'il y a jour à cela; nous marchons
sans équipage ce qui ne laisse pas de nous fatiguer. Nous
occupons le quartier de M. le duc d'Ormond qui vient en
France en qualité d'ambassadeur. J'eus l'honneur de vous
écrire la: veille du décampement. Je salue toute la famille et
suis avec bien du respect,
mon très cher père,
votre très humble et très obéissant fils,
LA VILLOZERN.
XIV.

Au camp de Denain, ce 25" juillet 1712.

Le che'valier de la Villozern au même .
Mon très cher père,
J'e s l'honneur de vous écrire du Cateau-Cambrésis pour
vous apprendre riotre marche du camp de Noyelles. Nous .

partimes le lendemain et nous campa mes au delà de la Selle,
notre droite à un bois auprès de la Sambre, la gauche au
Cateau-Cambrésis ou nous restames un jour pendant l~quel
M. le maréchal de Villars fut assuré des ponts sur la Sambre
feignant de la vouloir passer le lendemain, mais au lieu de
marcher sur la droite nous marchames sur notre gauche à
colonne renversée et prenant la Selle à sa source nous la
repassa mes et l'Escaillon ensuite pour venir attaquer un
camp retranché qu'avaient les ennemis à Denain. Nous par­
times à dix heures du soir, c'est à dire à nuit fermante et
arrivames à midi sur le bord de la rivière de l'Escaut; six
ou sept brigades de la gauche furent détachées pour attaquer

les retranehemen ts qui étaient gardés par 7,000 hommes qui

furent attaqués si vivement qu'on ne fut qu'une heure à se
rendre maître de tout le camp après avoir pris quatre pièces
de canon, leurs équipages et fait prisonniers ceux qui n'ont
. pas été tués. M. d'Alterma,t qui les commandait a aussi été
blessé et fait prisonnier avec deux ou trois autres officiers
généraux de remarque dont est le fils du prince d'Hanovre.
C'est M. d'Albergotti qui commandait l'attaque; M. de Tour-
ville qui ' avait un régiment d'infanterie a été tué. Nous
sommes dans le pays que nous occupions pendant le siège de
Tournai. Ce matin, M. de Luxembourg a été s'emparer de
Marchiennes qui s'est rendu sans défense et la garnison qui
est de quatre bataillons est prisonnière de guerre. On y a
trouvé 60 pièces de gros canons avec toutes les munitions et
4,000 charriots de fourrage sur la Scarpe. On attaque actuel­
lement Saint-Amant où il y a encore beaucoup de provisions
pour leur armée. Je ne doute pas que nous n'en soyons aussi
les maîtres avant la nuit. Notre brigade n'a pas chargé, nous
n'avons été que témoins d'une fort belle et fort longue
marche qui a bien réussi puisque l'armée ennemie se trouve
affaiblie de plus de vingt bataillons, et nous leur oterons le
moyen de faire rendre leurs provisions par d'autres endroits

que par Mons qui leur sera fort difficile. Il y avait hier trois nuits
que je n'avais dormi, car je m'étais trouvé détaché pour sou­
tenir les travailleurs sur la Sambre et la veille pour coucher
au bivac à la garde du quartier général, mais je ne m'en suis
pas senti après la belle action que nous venons de faire qui
nous donne d'autant plus de gloire que le prince Eugène
s'était vanté de nous battre même après la prise de Landrécies;
on dit la tranchée ouverte. Nous avons perdu fort peu de
monde, nous avons passé l'Escaut et sommes campés la droite
du coté de Bouchain et la gauche à Valenciennes. L'on ne
croit pas que le prince Eugène nous vienne attaquer là : nous
occupons leurs retranchements qui sont forts. Nous sommes
toujours sans équipages, ce qui nous fatigue le plus car je ne
me suis pas désahillé depuis huit jours et achetons tout au
poids de l'or. C'est tout dire que le pain de munition coute

22 sols. Si ma bourse se portait aussi bien que moi, tout irait
bien. La Pierre n'est pas encore bien guéri; , il ne put s'em­
pêcher de virer(?) hier aux approches des ennemis; je l'ai
mene avec mm pour porter mes cantmes.
ne doute pas que vous ne soyez de retour du Brignou en
bonne santé. Je vous assure que je suis un peu inquiet de ne
pas recevoir de vos nouvelles. Je salue toute la famille et suis
avec bien du respect et toute l'obéissance possible,
mon très cher père,
votre très humble et très obéissant serviteur,

VILLOZERN .

Je viens de recevoir à l'instant votre lettre du -18 qui m'a
. faite un vrai plaisir. La nouvelle de Marchiennes est fausse,

mais on ne doute pas qu'on l'attaque demain.

Du camp de Denain, le 29" juillet 1712 •
Le chevalier de Villozern au même . .
Mon très cher père,

de vous écrire le 2a de ce mois pour vous
J'eus l'honneur
apprendre l'avantage que nous avions remporté sur los enne-
mis en forçant leur camp retranché à Denain où nous n'avons
perdu que 800 hommes et ils étaient 8,000 dont on a fait
deux mille quelque cents prisonniers, le rest.e a été tué ou
noyé; il n'y a eu que quelques escadrons de cavalerie qui se
soient sauvés ayant eu ordre du prince Eugène de se retirer
au premier feu; leur commandant s'appelle Albermale et non
Albermat,comme j'ai eu l'honneur de vous le mander. Il a
demandé Paris pour prison, ce qu'on lui a accordé, Madame

sa femme l'y doit joindre. Le gouverneur de Mons, nommé le
comte de Dhona, a été noyé et Madame sa femme-dans son

carosse avec deux autres dames de distinction. Nous nous'
sommes emparés depuis ce jour de Saint-Amant, Mortagne
et de l'abbaye d'An chin et fait tous les garnisons prisonnières;
elles étaient en tout de 800 hommes. On a travaillé depuis
de Marchiennes sans que le canon ait pu tirer
aux approches

qu'aujourd'hui. On ne doute pas qu'il ne se rende bientôt: le
poste nous est d'une grande conséquence tant pour la sureté
de notre camp qu'à cause de la grande quantité de provisions
que les ennemis y ont. C'est un officier français qui y com­
mande, nommé M. de Sessaut? autrefois colonel de Santerre.
M. le maréchal l'ayant sommé de se rendre il a demandé
aOO chariots couverts, 4 mortiers et 100 canons ce qu'on a
jugé à propos de lui refuser. Nous occupons toujours le même

c9-mp et l'on dit que les ennemis ontconyerti le siège de
Landrecies en blocus. On dit qu~ le prince Eugène n'en veut

pas démordre, quoique lesEta ts-Généraux fussent d'avis qu'on
rendit Marchiennes. Le bruit court ici, mais il mérite confir­
mation, que le duc d'Ormont s'est emparé de Gand et de
Bruges.
Nos équipages nous joignirent hier fort en désordre. Ma
jument de Paris s'est donné un tour de reins qui la met hors
d'état de servir de deux mois et la petite a un grand cor.
Heureusement les charretiers de M. de Montaran ont porté
mes coffres jusqu'ici, mais je ne laisserais pas d'être embar­
rassé si l'on décampait, car je me trouve sans argent et
éloigné des villes pour y pouvoir mettre mes coffres. Mon petit
mulet se porte bien et mon cheval a été piqué avant hier par
un maladroit suisse, mais j'y ai mis ordre et il sera en état
de marcher dans deux jours. J'ai ' été obligé de prendre un
soldat de ma compagnie pour aider le Breton dans les march'es
à charger et à décharger à qui je donne 8 livres par mois,
étant bien aise d'avoir La Pierre avec moi. Je ne crois pas
que je puisse me dispellser d'avoir un cheval au lieu de cette
jument que je serai obligé d'abandonner ou de vendre au prix
que j'en trouverai n'ayant pas de chevaux pour la nourrir et
la guerre va être plus animée que jamais. J'ai payé toutes
mes dettes et il me reste encore 28 livres. Voila la situation
de mes affaires, c'est pourquoi je vous prie instamment d'y
vouloir bien remédier; si on av.ait pris des chevaux à cette
action ils eussent pu être à' bon marché, mais malheureuse­
ment il n'yen avait presque pas, mais on dit qu'il y a quel­
ques escadrons dans Marchiennes qui me donnent quelqu'es-
pérance. M. de Sades a aussi perdu deux chevaux, l'un de la
gourme, l'autre garotté.

Je n'ai pas reçu de lettre de mon frère le page depuis plus
de deux mois.
Si M. d'Ossac souhaite que je retire la tante du pauvre
M. de Lisle, je suis à présent à portée de le faire, car
la gauche n'est qu'à une lieue de Valenciennes et nous en

sommes à deux; il faudrait pour cela savoir lequel des capi-
taines des portes l'a. .
Je salue toute la famille; je vous assure que j'ai été charmé
d'apprendre votre retour et celui de ma chère mère du Bri-
gnou en bonne santé et que je suis avec tout le respect et
l'obéissance possible, votre très humble et très obéissant fils.
VILLOZERN .

XVI

Au camp d'Henin-Liétard, ce 16" août 1712.
Le chevalier de la Villozern au même.
Mon très cher père,

Je ne sais si vous avez reçu quatre lettres que j'ai eu
l'honneur de vous écrire depuis que nous avons décampé de
Noyelles; j'ai été quelque temps sans vous écrire parce que
j'attendais à vous mander la réussite de la tranchée devant
Douai avant de vous en dire, le détail, je vous dirai que je me
porte bien, Dieu merci; nous n'avons eu que trois officiers
de blessés qui sont M. Le Tellier capitaine, M. de la Varse
lieutenant et M. de S'ades, mon camarade, qui est plus dan­
gereusement blessé que les autres: il a un coup de feu·à la
tête. M. le duc de Guiche voulant mettre le régiment en
bonne réputation a demandé à M. le maréchal que notre régi­
ment ait l'honneur de monter la premièl'e tranchée, il le lui
a accordé" de sorte que nOl1s partimes le 14 'de notre camp •
qui est à Noyelles sur le bord du canal de Douai à Lille pour
nous rendre à l'entrée de la nuit" à l'endroit où l'on devait
ouvrir la tranchée. Il n'y avait pas d'autres troupes que les
quatre bataillons de notre compagnie pour soutenir les tra-
vailleurs qui étaient au nombre de 3,000. A l'entrée de la
nuit ils avancèrent avec leurs fascines et travaillèrent tran-

quillement pendant une demie heur~, mais les ennemis ayant
éventé la mine firent un grand feu de mousqueterie et -de
canon qui a duré tou te la nuit sans que nous ayons perdu
beaucoup de monde. Il ne nous a pas empêché de pousser
notre ouvrage à 50 toises des palissades et on en a fait 2200
d'ouvrages. Au point du jour nous avons rentré dans les retran­
chements qu'on a perfectionné pen~ant le jour et mis hors de
l'insulte du canon. On a fait trois attaques dont il y avait
deux de véritables et une fausse. La notre était à la porte
Notre-Dame, l'autre au fort de Scarpe et la fausse à la porte
Décrelhiq. Il Y a 'foiot peu de monde dans la ville, ce qui les
a empêchés de faire aucune sortie. On compte que nous
aurons des batteries en état après demain. Nous avons été
relevés à six heures du soir par quatre bataillons, deux des
gardes suisses, un irlandais et celui de Royal-Roussillon .
Depuis Denain nous avons fait dix ou douze camps: ce qui a
été en partie cause que je ne vous aie pas écrit: Heureuse-
ment pour moi je fus la veille du jour que l'on décampa à la
vente des hardes d'un capitaine de grenadiers du régIment .
des vaisseaux où j'achetai un mulet d'Espagne, un· peu vieux

à la vérité, 45 livres ,et le sol pour livre. Un de mes cama-
rades m'a défrayé et m'a prêté de l'argent pour acheter ce
mulet. Me de Montaran vint ici hier qui me fit offre de m'en
donner, je le remerciai étant persuadé que vous m'en enverriez
dans peu. Je n'en ai jamais eu tant de besoin, car nous faisons
véritablement la guerre. Voilà une part.ie de mes souhaits
accomplis qui étaient de voir une bataille et un siège. Je
porte bonheur aux corps où j'entre car [e détachement de
mousquetaires n'avait pas vu le feu de cette guerre et le
régiment des gardes n'avait monté de tranchée depuisdix-sept
ans. Il n'y. a que huit bataillons dans DouaI dont on prétend
qu'il y a une grande partie,de malades. L'ouverture de notre ·
tranchée a été faite à Vasière à un quart de lieue de la ville.
J'attribue votre silence à l'incertitude où nous étions de dé-

camper, mais m'écrivant à l'armée de Flandre votre lettre
me sera rendue en quelqu'endroit que nous soyons ·campés.
Je souhaite que vous "ous portiez aussi bien que moi,
quoique depuis trois semaines nous n'ayons pas eu de repos.
J'assure ma chère mère de mes respects et fais bien des
compliments à mes frères et sœurs. Je n'ai point reçu de .
lettres du page. Je suis, mon très cher père, avec tout le
respect et l'obéissance possibles,
Votre très humble et très obéissant fils,

VILLOZERN .

BOURDE DE LA HOGEHIE.

(A su'icre) .