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Bulletin SAF 1895


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Procès pour faits de sorcellerie à la fin du XVIIème siècle

Abbé Peyron

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PROCÈS POUR PAITS DE SORCELLERIE

A LA FIN DU XVIIe SIÈCLE.

Dans la vje et les écrits du véuérable père Maunoir il est ,
souvent question d'une catégorie de pécheurs qu'il rencontre
fréquemment dans ses missions de Basse-Bretagne de 1640
à 1683, ce sont ceux qui s'adonnent aux pratiques de la
sorcellerie ou même de la magie, renonçant à leur baptême
et se vouant au démon; il travailla énergiquement, et effica-
plus souvent, à ' combattl'e ces pratiques condam­
cement le
nables, et il fallait vraiment qu'elles fussent un danger pour
la société, à voir la sévérité avec laquelle le p'ouvoir judi­
ciaire poursuivait tout ce qui pouvait être, de près ' ou de
loin, délit en cette matière délicate. Nous en avons trouvé ,
une nouvelle preuve parmi les papiers des reguaires de Léon
aux Archives départementales; c'est le procès de plusieurs
particuliers, dont un prêtre religieux Augustin, à l'occasion
d'un trésor trouvé pa t' des moyens.jugés illicites.
d'accusation ni le jugement
Nous n'avons trouvé ni l'acte
. prononcé, mais seulement quelques-uns des interrogatoires,
notamment celui du père Augustin qui nous donnera du
reste la suite des faits avec l'explication tout.e naturelle
reproduisons intégralement en
qu'ils 'comportent. Nous les
intercalant les éclaircissements qui résultent des réponses
aux autres interrogatoires .
« Derniers interrogatoires subis sur la sellette par Louis
Maillé, religieux Augustin, prêtI'e~ accusé du crime d'im­
piété et de profanation, à quoi a été ce jour, 15 septembre
1700, avant midi, v3clué en la chambl'e du conseil du siège
Boyal de Lesneven, par Vincent Abrahamet, prêtre, docteur
en théologie, licencié en droit de la faculté de Paris, vicaire

général et official de Léon, assisté de vénérable et discret
Missire Jan Laoust, prêtre, docteur en théologie ' et recteur

de Lesneven, vice-gérant de l'officialité du dit Léon, et de

vénérable et discret Missire Jan Brochee, prêtre, licencié en
droit et recteur dePlounev.ez, concurremment avec les juges
royaux du dit Lesneven;
Atpr.ès avoir procédé et fini la visite du procès extl'aordi­
nc:,tir~ fa~t et instruit à la requête du vénérable promoteur de
Léon oOQ.tre le dit Maillé, accusé et prisonnier aux prisons
du dit Lesneven, lequel a été amené par les geôliel's des
dit.es prisons. Lequel dit Maillé, aC,cusé, assis sur la sellette,
~ fait s.erOient dire et répondre vérité sur les faits dont il
sera par nous enquis, après lui avoir fait mettre la main Sl).r
l'estomac, iJ a juré sur les sa,ints Ordres de dire vér.ité, après
quoi l'avons interrogé ainsi qu'ensuit.
Interro,gé de ses .nom, âge, qualité, etc., a dit avoir no.m
Louis M,aillé, religieux Augustin profès de l'ordre de~
Erm·ite·s de saint Augusti.n, ayant eu obédience lors de sa
détention poUr aller du couvent de Lannion à celui de Bar­
fleur., duquel couvent de Lannion il a sorti de:puis les trois
mois ou environ avant son arrestation (1) ; être âgé d'environ
5{1 ans, et est originaire de la ville de Rouen, paroisse de
Saint-Moclau, en Normandie (2). A dit que s'il ne s'est pas
rendu au couvent de Bar·fleur suivant son obédience, ça été
<;I,ue plusieurs personnes de distinction et de condition l'ont
arr.êté et Il'equis de soigner des malades ayant de la capacité
.et de l'.intelligence dans le fait de médecine (3) .
(1) Ayant été arrêté le 18 février 1799,' c'est donc à la fin de novembre
179~ ,q.u',U.dut quitter :Lannion.
(2) Dans .l'inter-rogatoire du 3l mars 1 i93, il se déclare originaire de la
paroisse de Saint-Lô, rue de la Madeleine, dans la ville de Rouen.
(Hl JI soignait à Brest un enfant de M. Chàteaueenau, et, dans l'inter­
.rogatoire du 3.\ mars 1699, « il reconnaît être à lui lous lesefIets trouvés
en son bagage, excepté la pl us petite des trois fioles. Dans les deux plus
des sirops de capillaire, ne sait pour la troisième, mais
grandes sont
!recol1oaît ,les autres effets; Rhubarbe, poudres, graines, sedngues, etc, .. »

Interrogé ...
Répond n'avoir au mois de février 1699, dans la ,oille cJe
Brest, fait aucun complot avec feu Anthoine La CI'oix (1), ni
~vec aucune autre personne, de chercher es tl'esors, nt
s'être enquis de livres ou mémoires qu'il falloit avoir pOl..!r
réussir. ni été chez le dit fen Anthoine La Croix en sa de- .
meure au dit Brest, bien souvent, le prier d'être du parti,
fli aussi été chez la nommée Fauvel, femme de Robert Gail­
lard de compaO'nie avec la nommée du Cosquer, ni avoir
pris de la dite Fauvel plusieurs livres ou mémoires intitulés:
Catalogue des Esprits infernaux, ni autres Gommençant par
ces mots : Vous ferez votre cœur en triangle . .. ni qu'il
rechef chez la dite Fauvel sur ce que ledit feu
retourna de
La Croix lui auroit dit, qu'il auroit encore besoin
Anthoine
autre livre appelé: Renvoi des esprits, et a pare~lle­
d'un
ment nié que la dite Fauvel l'auroit mené chez une Malouine
Brest, où le dit livre lui auroit été donné en
dans la ville de
faveur d'argent et de promesse de la faire participant au dit
trésor encore qu'il en eût trouvé. »
Int.errogé: ...
16 févr:ier 1699, il 'so.rlit de la ville de
Hépond que le
Brest avec feu Anthoine La Croix et feu Hené Qlléré,
son ' valet, pour se rendre en la chapelle de Saint­
Michel, en la paroisse de Tremenech, poal' y célébrer la
messe le lendemain à l'intention dudit feu La Cl'oix, :lequel
aUl'ait fait veeu d'y aller ce pendant le cour de son voyage
de Cal'tagène et d'y faire dire la messe (2) . .Et le dit jour,
16 février, n'ayant pu se rendre à la dite ohapelle, ils cou-
(1) Un des accusés mort durant sa détention préventive.
(!) Dans sa déposition du 31 mars 1699, le père Augustin parle du vœu
fait dans ce voyage de Cartagène par La Croix et un compagnon Le Roux,
de faire dire la messe à leur retour « à Saint-Michel Nobletz», c e~t-à-dire
à la chapelle dédiée à saint Michel, en Tremenech (maintenant en Pl~u­
guerneau), eù mémoire de ~aint Miche!' Le Nobletz, Oldginail'(e de cetté
paroisse. .

pres~é qu'il fut par les dits sus-nommés~ ii se rendit attendu
que la nuit s'approchait, audit village de Prntangam, chez
)le nommé Kerouanton, duquel le dit La Roche di~oit être
parent. Et, s'y étant rendu, il fut convié par le dit Kerouan-
ton à serrer sa valise, un pRunier rempli de bouteilles de
sirop et uu petit pochon.
lnt.ert'ogé ... .
Hépond qu'environ demie beure après avoir entré cljez le
dit Kerouanton~ le dit feu La Croix lui fit voir des livres ou
manuscrits qu'il disoit être nécessaires à]a découverie des
trésors, lesquels ayant lus, il djt au ,dit La Croix qu'il en
vouloit faire copie et s'é1ant mis à une table le dit La, Croix
lui dicta et il écrivit le cahier intitulé: Catalogue des esprits '
infernaux jusqu'à ces mots: Fln du 'pouvoir des e8jJriis,
contenant deux rôles et demi avec une autre demi feuille de

papier coupée commençant pol' ces mots: T'ous ferez un
va::ste cœur en trl'angle et finisfant par ces derniers mots de
l'Evangile de saint Jean: Neque ex voluntate Dei, etc ... ,
lesqnels deux mémoires écrits de t'a main lui ont été à l'en-
droit rerréE,cntés qu'il a reconnu être de son écriture et être
, les mêmes qu'il a chiffrés lors de ses premiers interroga­
toires et pareillement que ceux paraphés par le dit La Croix
que nous lui avons aussi repi'ésentés, sont ceux sur lesquels
il transcrivit les dites copies dictées par le dit La Çroix, :et
que s'il fit les dites copies ce fut' que dans le dessein de se
rendre maître des originaux qu'avait le dit La Croix que ,
pour les brùler jointement avec les dites copies qu'il en
avait faites par abrégé, recon,naissant qu'ils étaient perni­
cieux et' mauvais, ce quïl dit plusieurs fois au dit La Croix
en les copiant, à quoi le feu La Croix répliqua les avoir eus
personnes à qui il s'était obligé de les rendre et' ne les
brûler que de leur consentement et eu leur présence,
pouvoir
lesquels dits livres et manuscrits le dit La Croix et l'inter-

rogé IflJSsère.n~ S~lr J,a dit~ ta~l~ l~rsq~~'i1s sprtirent de l~ ~ite
m~,i .son,~nyiron le!? onz~ ~leurc~ 4e la ~êrrie nuit, pO~lr s.e
r Wlf,c e~ !fldjt,e frflncJlise du dit Pr~Janp~p.{ à desse~!1 d'y
. f~jre Ja fecherc~\e d'm1 trésRf' .Et 4,it que Jes d~,ts La floche,

Corvaisier, Le Rol).x, l .... ~ Croix, Quéré, Bodénès, ,Gouez et
IIenr~~ et aussi ledit Kerouanton, son valet et p1usieur~ de
ses gen t s furent ùe la partie et que les uns avoient des pelles,
les autres . des pioches et autres outils nécessaires pour
.per.eer }a tefl'e, le9,~.\lels ,Qvtils furent donnés par le dit
.Kerol,l ,<;l~ton ayec une ~aI.lJerne dans laquelle il y avoit une
chand!3g~ c,Ie suif .(1). .

Interrogé ....
« Rép.ond ql,l'éta. T?t r,e,nd,u en l? ,dite .fr?n,chise avec les c~it.s
susnommés, le dit Kerouanton fit voir l'endroit où il disoit
, I ii ...
être .le ,tl'.ésor, alors le dit. feu La Croix posa en terre un
couteau anq,t.lel il attaeha une corde pour faire un rond en
cel'ele, 'lequel fut garni de q.uelques pierres, que lui inter-
rog,é dit qu'il. fallait mettre pour ne pas écarter du lieu qui
résOl~noit lorsqu'on y frappait du pied et qui paraissoit être
creux, et ensuite des particuliers paysans entrèrent dans .le dit
rond et y percèrent, et pendant .lequel temps lui interrogé
çerr\eUl:a toujours pr;ésent, se promenant tantôt dans le dit
rond e,t quelque fois en del~ors, et dit et contes,te qu'il eut
aucune burette à la main ,ni papier, ni aussi auc,u~e étole a,u
col, ni s'être ba,issé ~e temps en te~ps pour faire ges signes
de cl'oix anrè~ s'être mouillé les doigts de la ligueur qu'on
suppùse qu'il ten<;>,it à la main dans une petite bur:ette, ni
qu'il eût ,dit aucune parole, ni lu ,da,ns les papier~ qu'on
sup,pose cI~'il te,noit à la 1paip. pendant le dit temps qu'on
perçait et a répJ.ndu q\le comme il faisoit dans qe temps-là

(1) François Quéré dans sa déposilion du 1.1 mai IG99 ajoute ce détail,
que ,le 'père Maillé ou La Croix demandèl'ent de la maison de Kerouantqn
un ramequ bépi ~pi(le r ful çlol1I}é »,

fort froid, il avoit son manteaù, auquel manteau ëtüÎt une
ceinture de laine noire qu'il s'étoit passé au col (1) »
Interrogé ....
Répond qu'après qu'on eût percé près d'une demi-heure,
lui interrogé, s'étant baissé, il remarqua sous quelques
pierres et dans le dit trou quelques pièces d'a.rgent, eri prit
70 pièces qu'il mit · dans son manchon, après quoi et pou~'
empêcher que plusieurs personnes qui s'y étoient assem­
blées. et qui ëtoient dans les parcs voisins he se fussent

rendus maîtres du dit trésor, il dit hautement qu'il ~'y avait
rien à espérer et se retira un moment après dans la maison
du dit Kerouanton, où tôt après arrivèrent le sieur recteur
de Plouvien, messieurs de Kermabon 'e:t Kerguz, M'ol et
plusieurs 'particuliers armés qui l'arrêtèrent et ceux de sa
compagnie (2).
Interrogé ....
A répondu qu'il a donné plusieurs des dites pièces d'ar­
gent qu'il trouva dans le dIt trou, à plusieurs gentilshommes

(1) C'était celte ceinture qui avait pu être prise pour une étole. Comme
on le voit l'accusé se défendait assez bien de toute pratique magique, c'est
ainsi que dans un interrogatoire précédent, interrogé s'il' n'est pas vrai
« qu'il avoit en main une chandelle qui s'éteignoit deux ou trois fois et
qui se ralluma d'elle même sans qu'il eut aucun feu pour cet éfte't » il
répond tout naturellement que Kerouanton ayant apporté une chandelle
(c il y allumoitune autre chandelle pour
allumée dans une lanterne,
voir percer, et quand elle s'éteignoit, il la rallumoit à la chandelle
de la lanterne Il.
(2) Dans une déposition précédente, l'accusé se plaint lors de sdn arrés:.
talion « chez II sœur du recteur de Plouvien par le dit recteur, accom­
pagné de MM. l\.ermabon et Mol, qu'il avoit ùne bourse de 60 louis d'or
neufs, et un petit camail dans lequel il avoit cousu 3") louis, dont on 'le
dépouilla le pistolet et le fusil sur la gorge » on voit dès lors comment
les choses avaient d9 se passer, Madame l\.erouanton voyant ce religieux
de nuit à la recherche d'un trésoI', était al'lée pI'événir son
s'aventurer
frère le recteur, qu'elle avait chez elle un prêtre qui avait les allures d'un
le recteur de Plouvien avait aussitôt réveillé les seigneurs voisins
sorcier,
et était venu en leur compagnie procéder à l'arI'estation cres coupab1es.

et aux religieux de son ordre qui l'ont été voir depuis sa

détention aux dites prisons et nous a à l'endroit représenté
cinq pièces d'argent dont deux sont frappées au même coin
quoiqu'elles soient de différentes grandeurs, d'un côté des
dites pièces il y a un faisceau consulaire, et d'un autre côté
sont des armes qui nous ont paru être celles d'Espagne ,en'
alliance. Une autre pièce où est empreinte une figure avec
cette inscription: Henricus III'ns D. G. F. èt une autre petite
pièce de la grandeur d'un petit denier avec une croix . con-
tournée de 12 tourteaux, lesquelles ont été déposées en

l'endroit entre les mains du greffier du dit siège de Los-
neven, et au parsus persiste en ses précédentes interroga-
tions.
Et a signé Louis Maillé Augustin. Ce fait, a été le dit
père Maillé remis en mains du dit Morineau, geolier, poui'
être remis aux dites prisons .
Fait les dits jour et an que devant.
, Signé : ABHAHA~IET, official. '
Jan LAODS'!', r ' de Lesneven, vice-gerant.
, Jan ,BOCHEC, rt!· de Plounevez .
PEDHIN, notaire royal.
Ce document nous a paru devoir intéresser notre Soci~é,
d'autant plus que les procès pour cause de sorcellerie sont
assez rares dans nos archives et qu'ici, quoique les pratiques
de magie ne soient ni bien avérées: ni bien pernicieuses,
nous y trouvons cette ' conclusion assez inattendue de la
découverte d'un trésor, caché vraisemblablement au temps
de la Ligue, et qui reparaît au jour plus de cent ans plus
tard, après des fouilles entreprises sur des indications assez
vagues, il est vrai, mais (lui cependant n'exigeaient pas
nécessairement l'emploi de procédés magiques pour être
menées à bonne fin.

Comme nous le disions en commençant, il nous a été
connaître le J'uO'ement définitif intervenu en
impossible de
cctt5 affaire, mais nous aimons à croire que le tribunal ne
se sel'a pas montré trop sévère et que les deux années de
prison préventive subies par le père Maillé lui auront -sem­
blées une leçon suffisante pour apprendre à ce religieux qu'il
ne devait pas se laisser entraîner dorénavant par son zèle '
pOUl' le soulagement de l'humanité souffrante au dépens des
règles de la sainte obéissance.. •

PEYRON, Chanoine,
Vice Président de la Société archéologique .