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Bulletin SAF 1886


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Les fées des Houles (2ème article)

M. Sébillot

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L~GENDES LOCALES DE LA HAUTE-BRETAGNE '
, (Suite) *
Par M. SÉBILLOT. ,

Xi. La Houle de Poulifée.
Il Y avait une fois à Plévenou une femme veuve qui
et on la nommait à
avait quatorze enfants, tous garçons,
cause de cela la Mère aux Quatorze. Elle n'était pas riche
et comme ses enfants, depuis le premier jusqu'au dernier,
étaient de pauvres innocents (idiots) qui ne savaient rien
faire de leùr dix doigts, elle avait bien du mal à gagner de
Ci uoi les nourrir et les habiller, ' "
soir la Mère aux Quatorze était assise dans le coin
et elle pleurait en songeant à son malheur,
de son foyer
lorsqu'elle vit entrer trois belles dames dans sa cabane.
- Qu'avez-vous à vous désoler ainsi, la mère ~ deman-
dèrent les dames qui étaient des fée~. " ,
Ah ! répondit-elle, j'en ai bien sujet; j'ai quatorze en-

~ants qui sont innocents et ne savent que faire de leurs diX'
~oigts; je les vois mourir de faim' et je n'a(pa~ -de p~iri à
leur donner. ' " '

- Hé bien 1 dirent les fées, si , pendant sept ans vous
voulez nous donnei· sept de vos enfants qui viendront av'ec
nous, ils cesseront tous d'être innocents, et vo'us vIvrez

heureuse avec les sept 'qui vous resteront.

-, Je le veux bien, dit la Mère ~ux Quatorze, m'ais à la

.. Voir p. 209. __ ", "," "

condition que tous cessent d'être innocents, et que j'aie du
pain pour eux et pour moi.
touchèrent les quatorze garçons avec leur ba­
Les fées
guette en dü~an t :
Par la vertu de ma baguette, cessez d'être innocents,

et ayez tous de l'instruction et du jugement.
Aussitot les enfants ne furent plus innocents, et ils par-
laient de tout aussi bien que les plus avisès des garçons de
leur âge.

Les fées choisirent les sept plus jeunes enfants et dirent
à leur mère: .
la Houle de Poulifée;
- Voici ceux que nous emmenons à
demain nou's reviendrons vous apporter tout ce qu'il vous
faut.

Le lendemain les trois bonnes dames revinrent chez la
Mère aux Quatorze, elles lui donnèrent du pain, du vin, de
la viande, du beurre et une bourse, puis elles lui dirent:
. Le pain, le vin, la viande et le beurre ne diminueront
point et resteront toujours frais si vous n'en donnez à per­
sonne qu'à vos enfants; les pièces qui sont dans la bourse
n'y a qu'eux et vous à y puiser; mais
feront de même, s'il
si la main d'un étranger touchait la bourse, l'argent qui
est dedans disparaîtrait aussitôt et vous deviendriez aussi
pauvre que vous l'étiez hier.
allèrent; la bonne femme ramassa précieu­
Les fées s'en
à eux, elle devint bien­
sement tous leurs présents, et grâce
et heureuse. Les gens de Plévenou qui l'avaient
tôt riche
connue si pauvre, la surnommèrent la Pauvresse enrichie, .
essaya de savoir comment elle avait fait; mais
et plus d'un
elle se garda bien de le leur dire.
la bonne femme mourut; les sept
Quelques années après,
enfants qui -restaient avec elle allèrent demeurer chez les
Poulifée, où étaient leurs petits
fées, daus la Houle de
étaient bien heureux avec les bonnes dames qui
frères. Ils

. Ile les laissaient manquer de rien, et leur enseignèrent
plusieurs de leurs secrets, et parmi eux l'art de se changer
en toutes sortes de bêtes. Un jour qu'ils se Plomenaient sur
la lande, il leur prit envie de se changer en lapins pour
s'amuser, et pendant qu'ils étaient sous cette forme, des
chasseurs qui passaient par la: tirèrent SUI' eux et ils

tuèrent les quatorze lapins.
Les fées en eurent bien du chagrin, et pour venger la
mort de leurs protégés, elles allèrent chez les chasseurs et
les écorchèrent tout vivants.
. (Conté en 1.88:1, par le même mousse).
XII. La Houle du Saut-au-Chien.
Il était une fois à l'Isle, en Saint-Cast, un ,homme et une
. femme qui avaient quatre enfants, trois garçons et une fille.
Celle-ci restait à la maison avec sa mère, et les garçons
allaient à la pèche avec leur père dans un petit bateau.
qu'ils avaient. .

Un jour ils partirent pour la pèche; mais il vint à venter
très-fort, et le petit bateau ne pouvait plus porter de toile.
Comme ils regardaient "de tous cotés pour voir s'ils n'aper­
cevaient pas quelque bateau plus grand qui pût les sauver,
ils aperçurent un petit canot moitié plus petit que le leur,
n'était pohrtant guère grand, et à. chaque instant me­
qui
nacé d'être englouti par les vagues. Ils accostèrent le canot
et crièrent:
_. Etes-vous des noirs ou des diables à bord?
Car ·ceux qui montaient le petit canot étaient
nOIrs

comme des taupes. .
- Non, dirent-ils, nous sommes les fées et les faitauds
du Saut-au-Chien; si vous voulez nous sauver, nous ne
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. T. XIII (Mémoires). 21.

ARCHEOLOGIQUE
DU FINISTERE

vous ferons point de mal; au contraire, nous vous récom_
penserons.
Mais les pêcheurs s'écrièrent: .
les fées et les faitauds 1
- Au diable
Jamais vous ne serez sauvés par des pêcheurs de maque­
reaux.
Puis ils virèrent de bord et rentrèrent dans le hâvre.
Le lendemain la tempête était calmée et il faisait très
beau; ils repartirent pour la pêche; mais quand ils jetèrent
leurs filets, ils virent dans l'eau des mousieux et des dames
qui les embrouillaient les uns dans les autres; c'étaient les
et les faitauds de la houle du Saut-au-Chien, et ils
fées
s'écrièrent tous ensemble:
Fainé, fainé (1) r les pêcheurs de maquereaux,
Pour n'avoir pas sauvé les fées et les faitauds ;
Plus à la pêche vous viendrez,
Moins de poisson vous prendrez ,
Les pêcheurs s'en allèrent bien marris; depuis ce temps,
ils ne purent prendre de poisson. Ils devinrent gueux
comme des rats, et ils sont morts dans la misère et dans

la pauvreté.
(Conté par le même).
XIII. La Fée de la Corbière.
Il Y avait une foi5 à l'Isle, en Saint-Cast, un bonhomme
qui était bien malheureux: il n'avait pas de pain chez lui
et ne pouvait sortir pour aller en gagner, car il avait si

mal au pieà qu'il ne pouvait marcher.
Un jour, que le bonhomme Mignette cJétait son nom

(1.) Fascination; malhettr.

OU sa signorie, je ne sais plus trop au juste, se désolait
encore plus que de coutume, if vit entrer chez lui, une bonne
femme habillée de toile qui lui demanda bien honnêtement
pourquoi il se chagrinait si fo r't. Mignette, lui raconta ses
malheurs, et quand il eut fini; la bonne femme qui était
et le guérit aussitôt. Elle lui donna
une fée lui lécha le pied
un pan talon de toile et lui dit:
aussi
. Voila un pantalon, tu le mettras et il ne s'usera point;
• avec lui tu feras tout ce que tu voudras.
la Ifée qui disparut
Le bonhomme remercia de son mieux
sous terre.
Qu~lq ues jours après des laboureul's qui étaiel1 t a tra­
vailler au proche de la Houle de la Corbière, entendirent les
criaient: .
fées qui
Pâte au four, coûamelle (1), il est chaud 1

- Faites-moi une galette 1 s'écria un des hommes, et il
continua a travailler.
avait demandé
Moins de dix minutes après, l'homme qui
la galette en vit devant lui une Je belle apparence, qui
était toute jaune et toute dorée.
_. Je vais bien me régaler ... dit-il, en coupant un mor-
ceau

Mais quand il l'eût ouverte, il vit .qu'elle était remplie de
poils.
-" Vieille maudite, s'écria-t-il, je te vouqrais hachée en

morceaux, menu, menu comme chair a · pâté; tu peux rem­
porter ta galette.

Aussitôt elle disparut, et quelques instants après arrivA.
le bonhomme Mignette. Il était riche et heureux depuis que
la fée l'avait visité, et les laboureurs qui travaillaient pour
racontèrent ce qui venait de se passer. .
lui, lui
(-1) Jeune fille.

- Comment leur avez-vous parlé ~ demanda Mignette.
- Ma foi, répondit le laboure.ur qui avait demandé la
galette, je leur ai dit: « Faites moi une galette. »
Le bonhomme Mignette se mit à crier à son tour:
- Mesdames les fëes, envoyez-nous, s'il vous plaît, une
présenta devant eux une belle galette,
galette. Aussitôt se
jaune et toute dorée. Ils s'empressèrent de la manger,
toute
- et comme elle était à leur goût, ils remercièrent les fées •
tous ensemble. · .
Il fut beaucoup parlé de cela dans le village, et le lende­
S!j rendit à la Houle de la Cor­
main une femme de l'Isle
bière, où elle entra sans crain te. Elle maI'cha~ assez long­
temps et elle arriva devant un endroit où elle vit sept
portes. Elle alla hardiment frapper à la première:
- Qui est là ~ demanda la portière en ouvrant· la porte
tout au large.
- C'est une pêcheuse de Saint-Cast, répondit la femme.
- Que demandes-tu 't .
- Rien; je suis venue ici pour voir Mesdames les fées
j'ai entendu parler, et on m'a dit que c'étaient de bien
dont
bonnes personnes.
ma brave femme, dit la portière .
. Entrez,
La pêcheuse franchit la porte et arriva dans un beau
tournaient leurs rouets et
salon où elle vit les fées qui
èt les rouets chantaient et jouaient comme des
.filaient,
mesure que le fil se faisait et se déroulait, un
musiques. A
régiment de petits fions prenaient le fil, le dévidaient, le
tissaient et ils n'étaient guère de temps à faire une pièce de
toile.
La femme de Saint-Cast était bien ébahie de voir les
rouets qui jouaient de la musique et les petits fions qui tis­
saient, et elle restait à les regarder. Quand vint l'heure du
dîner, les· fées invitèrent la pêcheuse à se mettre à table

avec elles. Elle mangea de bon appétit, et trouva tout à son
goût.
Quand le repas fut fini, un des petits fions se mit à chanter,
les autres répétaient, et ils chantaien t si bien que la femme
restait en extase à les écouter. Quand leur chanson fut
la pêcheuse de l'Isle remercia les fées et leur dit
finie,
qu)elle allait s'en retourner au village et qu'elle était bien
contente:
, Connaissez-vous Mignette ~ lui demande une des fées,
le bonhomme Mignette, à qui j'ai guéri le pied.
Oui, répondit la femme) il demeure dans mon village. -
- Quand vous serez rendue, dites-lui, s'il vous plait, de
venir me parler.
-, Volontiers, dit la pêcheuse.
- Et que désirez-vous pour votre commission? demanda
la fée.
-' Du pain pour toute ma vie, dit la femme.
En voilà, dit la fée en lui donnant une gâche.

Il ne diminuera point et restera toujours frais; de plus je
une baguette que voici: tout ce que vous lui
vous donne
l'aurez; mais il ne faudra dire a âme qui
demanderez vous
vive que vous êtes venu ici à l'exception de Mignette -
et ne point parler des présents que je vous ai faits .
-" Je vous le promets, dit la femme.
la fée, puis elle sortit de la houle et retourna
Elle remercia
au village. Sitôt rendue, elle alla chez Mignette et lui fit la
commission dont la fée ravait chargée. .
- Je vais tout de suite à la houle, répondit Mignette. Et
aussitôt il partit. Quand il fut avec les fées, celle qui l'avait
guéri lui demanda s'il voulait se marier avec elle.
- Volonti81s, dit Mignette.
était déja vieux, et qu'il avait été
Mais comme Mignette
baptisé, les fées chauffèrent leur four, et quand tl fut -bien

chaud, ils y jetèrent le bonhomme. Lorsqu'il fut réduit en
cendres, une des fées prit les cendres et les ayant pétries,
alla coucher dans un lit,
fit un joli petit bonhomme qu'elle
et au bout d'une demi-heure Mignette, qui av.ait passé par
le feu ressuscita, et il était tout jeune et joli garçon.
Et comme il n'était plus baptisé, il se maria avec la fée et
il vécut heureux avec sa femme et les autres bonnes dames.
La pêcheuse à qui la fée avait donné la baguette de vertu
et le pain qui ne diminue point, se garda bien de bavarder.
Aussi elle vécut heureuse jusqu'à le fin de ses jours .
(Conté en 188!, par Toussainte Quémat,
de Saint-Cast, âg~e de 78 ans .

FIN