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Bulletin SAF 1882


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Une promenade à la Montagne de Justice et à la Tombe de Tanguy (Quimper)

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UNE PROMENADE A LA MONTAGNE DE LA JUSTICE
ET A LA TOMBE DE TANGUY
A la sortie de Quimper, l'ancienne route de Douarnenez
et de Pont-Croix s'élève sur la colline qui domine la ville
du côté de l'Ouest. De toutes les routes qui partent de
Quimper pas une n'offre de plus beaux sites; et pas une

n'est plus riche en souvenirs.
Cette promenade que j'ai faite tant de fois, voulez-vous
la fassions ensemble~ ... Mais il me vient un scru­
que nous
pule .... Quand je me promène, c'est que j'ai du loisir et
voici l'usage que j'en f'ai8. Je ne m'astreins pas à suivre la
grande route et je m'en écarte souvent à droite et à gau­
che: en un mot je suis le chemin des écoliers. Et puis je
ne marche pas vite et je m'arrête à tout bout de champ:
un coin de fpaysage entrevu, une voile qui glisse sur l'O­
det ... c'est assez.;., me voilà pour un temps cloué sur ·
place. C'est surtout sur l'ancienne route de Douarnbnez

se multIplient.
que ces poses
n'ai pas voulu vous prendre en traître et vous voilà

avertis. Si ces conditions vous agréent, partons! ... Je vous
laisserai admirer le paysage sans en rien dire, et je vous
j'ai appris des lieux où nous passerons.
conterai ce que
La route sort de la ville entre le Sacré-Cœur à gauche
et la maison de Saint-Joieph à droite.
Sacré-Cœur était autrefois l'enclos des Ca­
L'enclos du
pucins, établis à Quimper en 1601 (1). Une chapelle dédiée
à saint Sébastien devint l'église de leur couvent (2). « Leurs
(1) Voir le plan de Quimper de 1764, dont l'exemplaire unique ap­
partient à la Mairie de la ville, et qui va être édité par la Société
archéologique, aveel'autorisation de M. le Maire de Quimper .
. (2) La chapelle Saint-Sébastien a été abattue il y a deux ans seu­
lement et c'est sur son emplacement qu'a été bâtie la chapelle actuelle
du Sacré-Cœur.

« bâtiments ayant été incendiés en 1785, la ville, en con si­
« dération des secours qu'ils avaient coutume d'apporter
« dans les incendies, les aida d'une généreuse ' aumône
« polir leurs reconstructions. » (1)
La maison de Saint-Joseph fut fondée « en 1650 .par
« M. Fouquet de Chalain, président au Parlement de Bre­
« tagne, pour les franciscaines urbanistes», au nombre
avait une fille.
desquelles il
« Vers 1701, la communauté fut dissoute» peut-être
« par suite des querelles du jansénisme dont les doctrines
« auraient trouvé accueil en cette maison (2) »
Au temps du chanoine Moreau (3) la route existait, non
sans doute avec la largeur qu'elle a aujourd'hui,mais du .
comme chemin fréquenté. Le Chanoine dit en effet
moins
lors de sa dernière tentative sur Quimper, le 30 mai
que,
1597, La Fontenelle, venant de son repaire de l'Ile Tristan,
dirigea sur la chapelle Saint-Sébastien le « gros» de ses
soldats, parmi lesquels « des argoulets ou carabiniers à
« cheval»; et il ajoute: « L'ennemi donna furieusement
« contre une barrière qui est à l'entrée du faubourg, vis à
« vis de la rue par laquelle on va à Saint-Jean. » (4)
Cette rue est la rue Vis, et la chapelle Saint-Jean oc­
cupait l'angle que forme la rue Vis avec le quai d'Odet,
à droite (5).
Le texte de l'historien ne laisse pas de place au doute.
La barrière ou barricade dont il parle était placée à de­
meure ,au carrefour des trois (rues Saint-Jean (aujourd'hui
(1) Ogée. Diet. Vo Quimper, Notice de M. Aymar de Blois, p. 422 •
(2) M. de Blois, Dict. d'Ogée, p. 422. .
(3) La chanoine Moreau, Histoire de ce qui s'est passé pendant le.
de la Ligue en Bretagne. Éd. de M. Le Bastard ùe Mes-
guerres

meur, 1836. . '
(4) Moreau, p. 3f3.
{5) Plan de t764. Le nom de cale Saint-Jean. a été conservé à la cale .
VOISlDtl. .

. rue Vis), de la Vieille-Cohüe (auj-ourd'hui Laënnec) et
Pors-Mahé (aujourd'hui Saint-Mathieu prolongée). Elle
était destinée à défendre les trois rues donnant accès au
faubourg contre des assaillants venant du côté des Capu­
cins. C'est dire qu'il y avait là une route ou du moins un
chemin. - . .
. Cette route est du reste mentionnée comme limite nord

des terres du Calvaire, aujourd'hui le Séminaire, dans, un
aveu de 1667, rendu par l'abbesse au seigneur de Prat-
anraz (1). .
Ainsi, c'est par, cette voie qu'au commencement de ·1597
La Fontenelle trahi par son lieutenant fut amené prison­
nier il, Quimper, au moment_même où il se préparait il, y '
entrer la nuit par surprise « avec ~on ramassis de Nor-
« mands, de .Poitevins, de Gascons » qu'il enflammait de
« de trouver butin pour les enrichir tous, de tuer '
l'espoir
« les hommes et d'épouser les femmes et filles qui eussent
« eu quelqUes moyens. » (2) ...-
Malgré la prévoyante opposition des Quimpérois, ~a Fon-
tenelle fut reçu à rançon par le seigneur d'Epinay de Saint-
Luc, lieutenant général du roi, qui était alors à Quimper.
sa liberté fut de « mander
Le premier usage qu'il fit de
{( secrètement toutes les garnisons des places de son parti,
« comme Hennebont, Vannes, Pontivy et la tour de Ces- '
{( son, près Saint-Brieuc.» Sa troupe fut ainsi portée il,
1,200 hommes environ. Le 30 mai 1597, et cette fois eUE:lei-
gnes déployées et tambours battants, il arrivait devant '
Saint-SébastIen. Mais quelques heures après il se retirait
honteusement sans avoir tué un seul des défenseurs de
y laissait quarante morts et il emportait
Quimper. Il
quatre-vingts blessés sur les charrettes que, dans sa folle

(f) Archives départementales.
(2) Dom Morice racontant cette entreprise appelle La Fontenelle tigre
jlltéré de sang. Dom Morice, t. II .

assurance il avait réunies en O'rand nombre pour les char ..

ger des dépouilles de Quimper (1). .
sommes au haut de la côte du Sacré-Cœur. Cette
. Nous
pépinière qui confine à l'enclos recouvre un poste militaire
. gallo-romain. Ce poste, avec celui de la Tourelle sur le
et celùi qui occupait l'emplacement du pen­
Mont-Frugy,
sionnat Sainte-Marie sur la colline de Kerfeunteun, formait
la défense de Cioitas Aquilonia ou Civitas Aquilœ, aujour-
d'hui Locmaria ... le premier berceau de Quimper (2).
Le sol que recouvre la pépinière n~a jamais été fouillé.
Il vient d'être acheté pour la construction de l'Ecole nor-
male, et -on peut espérer que les travaux de substruC?tion
amèneront quelques découvertes dont le Musée archéolo­
gique pourra profiter ..

A quelques mètres plus loin la route entre dans la
commune de Penhars et tourne au nord-ouest. A
gauche, elle longe un champ triangulaire dont les autres
côtés sont formés au sud par un sentier, à l'ouest par un
chemin descendant vers le Séminaire. Ce chemin se
nomme le Chemin des Pendus. Le village voisin et cette '

partie de la colline portent le nom de Justice. Ces dénomina-
tions révèlent d'une manière certaine l'existence d'un gibet.
Les deux mots potence et gibet sont indifféremment
mais originairement ils avaient un
employés aujourd'hui,

sens distinct. On pendait à la potence, on exposait au gibet
les corps des hommes ,suppliciés (3).

(1) Il faut lire dans le Chanoine-Mm'eau . lès 'très-intérèssants cha­
pitres 38 el 39.
(2) Bulletin .d~ la Société archéologique (1873 et 1876, page f79).
M. Le Meun .:mtIque ]e nom de Civitas Aquilœ.
Note de M. de Blois, sur Quimper. Dictionnaire d'Ogee, tome 2,
page 412.
(3) Les corps des femmes n'étaient pas exposés. (Arrêt du 30 mars
Voir sur . les gibets et four('hes patibulaires, Denisart, Collection de
JUTlsprudence (f768) , et Claude Ferrière, Dictionnaire de droit (f762) •

Il serait superflu de décrire la forme de la potence .
Pour se représenter un gibet, qu'on se figure plusieurs
poteaux de pierre ou de bois, reliés par des
colonnes ou
traverses de pierre ou de bois, traverses auxquelles étaient
anneaux pour sus­
fixés des crochets, des chaînes ou des
pendre les corps.
, La potence était dressée sur les places des villes: a
Quimper, tantôt sur une place tantôt sur l'autre (1).
Mais les corps des suppliciés restant souvent exposés
.pour l'exemple jusqu'a leur destruction naturelle, le gibet
était construit hors des villes. On choisissait habituelle­
ment le bord d'une route 'ou un lieu élevé pour porter au
loin la terreur (2).
Le gibet était souvent nommé fourehes patibulaires, ou
par abréviation patibulaires. Ce pom finit par prévaloir, et
le nom de gibet resta « au lieu où l'on exécutait (3). »
Dans quelques provinces et en Bretagne le gibet était vul­
gairement appelé la justiee (4), et c'est de là que tant de
dans notre province ont pris et gardent ce nom.
lieux
ne pouvait
Le droit d'avoir des fourches patibulaires

appartenir qu'aux seigneurs hauts justiciers qui, seuls,
avaient le droit de glaive. Les patibulaires élevées sur les
terres d'un seigneur étaient le signe public de sa pleine
puissance (5). Mais le haut justicier ne pouvait ériger de .
patibulaires sans l'expresse concession du prince. « Le duc

(t) Ainsi qu'on le voit par plusieurs sentencE(s de condamnation.
(2) Ferrière fait venir ce mot du mot arabe gibel, qui veut dire mon­
au vieux jurisconsulte la responsabilité de cette
tagne. Nous laissons
étym.o\(~gie; du moins, prouve-t-elle l'usage de construire le gibet sur
une emmence. .
(3) C'est en ce sens que Hévin emploie le mot gibet, notamment dans
son mémoire pour l'évêque de Quimper inséré au chapitre II de ses
Questions féodales. .
(4) En breton justiciou, ou justiçou, ou justissiou, dans les vieux
titres .
(5) Uno verbo, erectio furcarum est siynum meri imperii. (Citation de
Ferrière.) .

« dans les premiers tempS, meme aux plus grandes sel­
« gneuries.» C'est ainsi que l'évêque de Quimper ne fut
autorisé à « lever en ses fiefs une fourche patibulaire que

Le nombre de piliers était réglé par l'ordonnance de con­
cession en raison de la dignité du seigneur: les simples
seio'neurs hauts justiciers n'en avaient d'ordinaire que .
deux' leur nombre n'excédait jamais six. « Le roi seul
« pouvait ériger autant de piliers que bon lui semblait (2). »
les patibulaires tombaient de vétusté ou ét~ient ren-,
versées par quelque accident, le seigneur devait les faire
relever dans l'an et jour, autrement il lui fallait ou produ'ire
une nouvelle concession du prince, ou justifier de son droit
par possession immémoriale .
Du reste, le gibet servait souvent à l'exécution et à
l'exposition: témoin le gibet royal de Montfaucon « le plus
« ancien et le plus superbe du royaume (3) » dont les seize
soutenaient en même temps des pendus et des corps
piliers '

de suppliciés descendus des potences de Paris ou détachés
de la roue. Le gibet élevé sur la montagne de la Justice
devait servir à ce double usage.
gibet n'était pas celui de la Justice du roi qui, au der­

nier siècle, et même dès le temps du chanoine Moreau;
(1) Hévin . . (ConsuIt. 3, page 10.)
(2) Il Et cela pour. ma.rq:ue de la souv~raineté et prééminence u'il a
« sur tous les hauts J~~tIClers;)I . FerrIere, v Fourches patibu aires.

(3). SeJon SauvaI, Clte par l auteur de Notre-Dame de Paris chapitre
dernIer. 1
Engu~rralld de Marigny, qui l'avait fait construire, y fut, dit-on, pendu
le premIer,
On connait l'épigramme de Marot:
«Lorsque Maillard, juge d'enfer, menajt
(( A Montfau~on, Semblançay, l'àme rendre,
Il A votre aVIS, lequel des deux tenait
« Meilleur maintien ? .. , etc. »

était sur le versant du mont Frugy regardant Quimper (1) .
. Ce n'était pas celui de l'évêque, dont le fief comprenait
la ville close et et les faubourgs (sauf la Terre-au-Duc),
mais dont la limite extrême de ce côté était à Bourlibou ('2) .
C'était donc celui d'un haut justicier voisin.
Ogée nomme quatre hautes justices s'exerçant à Quimper
au dernier siècle: celle du P essis-Ergué, celle du Rilguy,
et Pratanraz; enfin, celle du fief de Qué­
celle de Coatfao
. ménet, au marquis de Pont-Croix (3).
Le fief du Plessis-Ergué ét~it de l'autre côté de la ville,
dans la paroisse d'Ergué-Armel, qui en relevait presque
(4), et son gibet était au lieu de Ke1'vao, sur la route
entière
de Concarneau (5). Nous n'avons pas à nous en occuper
aujourd'hui.
Mais les trois derniers fiefs se touchaient vers .les
lieux où nous sommes .
Celui du Rilguy comprenait le lieu de Kerlan, sur la col­
line au sud-ouest de la colline de la Justice; mais il avait
pour limite le ruisseau qui sépare les deux collines, et
entre dans l'enclos du Séminaire (6). _
Du fief de Pratanraz dépendait l'abbaye du Calvaire,
autrefois~ manoir de la Palue.., aujourd'hui le Séminaire,
(7) qui occupait le versant méridional de
avec une métairie

la colline de la Justice. Les terres de cette métairie avaient
pour limites le mur des Capucins, la -route de Douarnenez,

(n Chanoine Moreau. page 2!S8.
(2) Diet. Ogée, v Quimper, page H3. J'indiquerai un jour l'emplace-
ment exact de ce gibet . .
(3) Ogée, Diet. page 395.
(4) Monographie de la Cafhédrale de Quimper, page 196.
(5 · Aveu Du P lessis-Ergué. (Archives départementales.)
(6) Archives départementale5. (Aveu de l'abbesse du Calvaire, à
Pratanraz, 1661.)
(7) Elle conserve aujourd'hui le nom du Calvaire.

le Chemin des Pendus et le ruisseau dont il vient ~'ètre
parlé (1). . '
Croix s'étendait sur la plus grande partie des parOIsses
Penhars, et comprenait le rest~ de
plouguen), plomelin,

la Justice.
Les seigneurs du Hilguy et de Pratanraz (écrit autrefois
Predanraz et Prandaraz), tenaient leurs fiefs sous le fief
et rendaient aveu au marquis de Pont-
de Quéménet,

Croix.
Celui-ci dans un aveu rendu au roi le 30 octobre 1730 (2),
se qualifie de premier suzerain et seul seigneur haut jus:-
ticier des paroisses ci-dessus nommées. Il contestait ainsi '
la haute justice et les patibulaires du Hilguy, de Coatfao

et ,Pratanraz. Mais le seigneur de Coatfao et Pratanraz
prétendait établir ce double , droit par divers titres, not~m­
ment Rar un acte daté du- 8 mars 1478, « justificatif que
« la seigneurie a ses justices et patibulaires de toute anti­
quité. » (3)
,. = ,nsi la question de propriété du gibet se pose entre le
fief de Pratanraz et celui de Quéménet. Il est facile ' de la
résoudre.
Nous n'avons pas l'aveu, mais il nous paraît démontré
tes .patibulaires qu'il réclame n'étaient pas dressées sur
que
la colline de la Justice. ' ,
En effet, le marquis de Pont-Croix, dans l'aveu cité plus

(1) Aveu ci-dessus.
(2) Je doi~ la .communjc~tion de cette pièce important.e à M. Le Bris­
Jl Durest,
du marquIsat. . -
• (3) Archives départementales. Inventaire des aetes communiqués il.
la C~amhre des Comp~es de Bretagne, à l'appui de l'aveu fait au roi le
4 aout 1638. Le seIgneur de Pr~tanraz rendait aveu au roi à raison .
de fiefs autres que celui de Pratanraz et Coatfao. .
BULLBTIN DE LA ' Soc. ARCHÉOL. DU FIl'IISIÈRE. ' TOME IX 3

haut, mentionne formellement les patibulaires de la juri-
diction de, Quéménet cc comme estants en quatre poutres
« dans une montagne nommée la montagne de Roc'han,
« dépendante du manoir de la Palue. »
Il n'y avait qu'une seule justice sur la montagne, c'était
donc celle de Quéménet. Nous verrons que les constata­
tions matérielles conduisent à la même déduction.
De même que les seigneurs hauGs justiciers ne pouvaient
élever de patib~laires que sur leurs terres, de même ils ne
sur leur fief. Ainsi,la ville
pouvaient faire d'exécution que
et ses faubourgs étant fief de l'évê­
close de Quimper
que, sa justice séculière et ecclésiastique seule pouvait y
faire des exécutions.~ à l'exclusion même de la justice du­
cale d'abord et plus tard de la justice royale., L'évêque
pendant plusieurs siècles a défendu sUI' ce point ses droits
seigneuriaux (1), avec une infatigable énergie. -
Le chanoine Moreau constate qu'avant l'érection du
Présidial (2) la justice du roi s-'exerçait « hors de ta ville
c( close, en un auditoire auprès de la porte Médard »;
mais, ajoute-t-il, « depuis l'érection du siège présidial,
« n'ayant pas de palais bâti pour le loger ... fut emprunté

cc une partie du monastère ' des Cordeliers tant pour ses
« audiences que pour le conseil, et peu à peu commencè­
« rent les officiers royaux à faire les exécutions dans la
~ vill,e close. » (3)

Mais l'historien de la Ligue en 'Bretagne n'insinue pas
que les seigneurs hauts justiciers, bien qu'exerçant à
Quimp~r et siégeant aux Cordeliers dans une salle basse
au-dessous de la salle du Présidial, aient même tenté d'i-

miter cette innovation. Le véridique chanoine, en même

- (1) Voir sur ce point la Notice de M. de Blois sur Quimper. Dic­
tionnaire d'Ogée, p. 413.
(2) Par Henri II en 1002.
(3) Chanoine Moreau, p. 2lS8, 2lS9.

temps conseiller a.u Présidial, la représente comme une

Il est donc certain que le seigneur de Queménet, JU-
chez lui; il ypendait et y exposait.
n ne reste plus qu'à déterminer exactement la place ,
qu'occupait le gibet.
Il m'avait été dit (et c'est l'opinion généralement admise)
champ triangulaire dont j'ai parlé devait marquet:.
que le
cet emplacement. Une vieille paysanne qui habite le village
voisin m'a détrompé. "
Elle tient de son père que ce champ appartenant au­
jourd'hui à Kernisy et porté au cadastre comme dépendant
de cette propriété n'en faisait 'pas autrefois partie. Ce ren­
seignement est confirmé par l'expertise faite le 9 ventôse
an II, préalablement à la vente nationale du 30 prairial
suivant (2). ,L'expertise indique la route de Pont-Croix
comme limite ouest de Kernisy, et laisse ainsi en dehors le
la route.
champ situé au-delà de •
La vieille paysanne ajoute que ce champ fut pour la pre-

mi ère fois cultivé, il y a plus de soixante ans (3), par le
Auparavant c'était, d'après elle, un
fermier de Kernisy.
vague déclos et de surface inégale. En l~ défonçant, on
trouva vers l'angle sud-ouest, prés du chemin des pendus,
humains. '
des ossements
Cette derniére circonstance et le voisinage du gibet n'au-
torisent-ils pas à voir dans ce champ la voirie du fief, c'est­
à-dire « la place à la campagne que le seigneur haut jus­
« ticier devait donner au public pour y déposer les boues,

(1) Hévjn, Questions féodales, chap. 2. .
(2) Archives départementales '

. (3) Avant 1826, puisque le cadastre fait cette année l'attribue à Ker­
Dlsy, sou,s le nO 4~O. ' Il est remarquable que le champ ne porte pas
de nom a la matrIce cadastrale comme la plupart des champs cultivés.

cc les immondices de la seigneurIe » (1) et où étaient en-
fouis les corps que l'arrêt de condamnation ordonnait d'y
jeter f '
L'aspect des lieux a changé depuis le milieu du dernier
siècle et même depuis la confection du cadastre en 1826 ;'
mais il est facile de le restituer .
• Avant la clôture du champ tria~gulaire, ce champ n'é­
tait pas séparé du Chemin des Pendus. Au temps du cadas­
• avait bien plus de largeur qu'aujourd'hui et
tre, ce chemin
formait vers le bas du champ triangulaire récemment clos,
irrégulier: cet état ancien se recon­
une sorte de placître

naît du premier coup d'œil.
Une bande rectangulaire d'au moins 10 mètres de lar­
geur, sur laquelle sont bâties deux maisonnettes (2), et
comprise entre le Chemin des Pendus actuel et le champ
que j'appelle la voirie, .est un emprunt fait sur la largeur
du chemin.
Il n'est pas moins évident que, plus bas, le chemin occu-

pait l'espace d'environ 25 mètres de large, compris entre les
talus plantés de vieux chênes et de pins.

La base du triangle que forme la voirie est un, chemin
d'aspect ancien, herbeux aujourd'hui et que le remblais de

la route a réduit à l'état de sentier; mais qui autrefois,
devait donner accès aux charrettes sur la grande route.
Ce sentier débouche sur le Chemin des Pendus entre deux

m'aisons de construction récente; celle de gauche qui a
sur le chemin et façade au midi vers le séminaire .
pignon
occupe à' peu près le milieu de l'ancien placître.
Ici, arrêtons nous! C'est à deux ou trois mètres en
avant de la façade de cette maison proprette et riante que

(1) Denisart. Vo Voirie. .
(2) Une de ces maisons, la plus au nord, vient d'être abattue pour le
. passage du chemin de fer de Pont-l'Abbé. .

"1 't le gibet Au commencement .du siècle, on voyait
se evm .
. les soubs.ssements de ses trois pilier.s de pierre (1).
encore
Ces renseignements me sont donnès par le témoin dont
boration est si utIle aux archIves de QUImper. Le pere de
la vieille p'aysanne et le grand ·père de M. Allain avaient
O'ibet à cette place.
vn b .
Le gibet placé en cet endroit était à cinq ou six mètres
de la limite du fief de Pratanraz. Il était, d'ailleurs, dressé
sur un vague, qui, en vertu de la maxi~e Nulle terre sans
seigneur ~uivie en Bretagne, appartenait aù seigneur du
fief dominant.
Comme on le voit, les constatations~ matérielles s'accor-
dent avec les titres pour faire attribuer au ,fief de Quém.énet,
les fourches patibulaires de la coUine de la Justice.
D'où venaient les condamnés amenés à la Justice par le ~
chemin des Pendus f La 'question revient à se demander
où était la prison de la hautejustice de Quéménet.
Ogée constate au dernier siècle ... qu'il n'y avait à Quimper,

ni temple de la justice (sie), ni prison commode. (2)
Cet état n'ètait pas nouveau: nous avons vu que toutes
les hautes justices de Quimper et même lajustice royale sié-

geaient dans des salles empruntées aux Cordeliers; de même,
les officiers royaux pour remplacer la prison qui était hors

la ville close ... près de la porte Médard, et qui fut démolie
en 1594 par le duc d'Aumont (3), étaient contraints jusqu'à
1667 de louer une partie de la prison de l'Evêque (4). .

(i) Selon l'aveu de i 730, il Y avait quatre poutres; il J aurait donc
Le marquis ,de Pont-Croix était assez grand seigneur
eu quatre. poteaux.
VOIr quatre poteaux, pmsque ce nombre de quatre était de droit
pour a
attribué aux barons et aux vicomtes.
Vo, (Fourches patibulaires.) .
Ferrière,
(2) Dict. Ogée. A u mot Quimper, page 399.
(3) Chanoine Moreau, page 258.
(4) Ogée, Vo, Quimper, Note de M. de Blois.

Cette prison était située non dans le manoir épiscopal,
eût été contraire aux ordonnances et était rigoureu­
. ce qui
sement interdit (1), mais dans ses dépendances. Elle
mur de ville, puisqu'elle
s'appuyait probablement contre le
avait au moins une fenêtre donnant sur l'entrée de la rue
Neuve; et elle devait être contiguë au manoir épiscopal
(comme on disait alors) puisqu'elle était séparée ,du jardin
par la basse-cour de l'Évêché. On peut conjecturer qu'elle
un emplacement voisin du pont de l'Évêché, et
occupait
peut-être comprenait-elle la tour qui devait défendre ce

pont, tour déjà détruite avant 1764. (2)
Je puise ces renseignements dans un reçu du prix des
réparations faites à la prison en 1645, et dans des actes
authentiques constatant les baux de la prison concédés par

l'évêque de 1627 à 1650 (3).
Ce dernier point demande une explication. Aujourd'hui
certains li~ux du moins
on paie les geôliers, autrefois (en
et à Quimper, notamment) les geôliers payaient la ferme
la prison.

Leroi, dans les prisons royales, les seigneurs, dans leurs
prisons, ne fournissaient que le pain (4) (une livre et demie

(i) CI Celui qui ferait une prisou de sa maison violerait la majesté du
prince. Il
Il Les prisons privées sont défendues SOIIS peine de la vie. Il
Ferrière, Vo., Prisons.
Art. !5del'ordonnance d'Orléans de f!560; Art. ter, titre f3 del'ordon-
o natice de 1570. Arr:t du 22 février 1578 qui « enjoint à un haut jus­
« ticier d'avoir priEon séparée de son château en lieu propre et cor.nmodc
CI (pour qui P sans doute pour les prisonniers P ••• non 1) pour le& juges. ))
- Denisart, Vo., Prison.
(2) Le plan de f 76'4 ne figure en cette partie ni mur de ville ni tour.
(3) Je dois ces curieux documents à l'extrême obligeance de . du
Chàtelier. '
Dans le bail de f640 l'évêque loue la prison ~t le jardin de l'évêché,
mais en se réservant la promenade et des herbes potagères pour sa pro-
VISIOn.
, (4) De là le nom de pain du roi, qui se disait aussi du pain' des sol-
o dats. 0 , ,

.' . ) et le geôlier « n'était assujetti à fournir que
par Jour .' . ' .
l'eau (1). » Les prIsonmers q LU avalent quelques moyens
charité privée venait au secours des pauvres(2) et le geôlier
tirait profit des fournitures qu'il faisait probablement lar-
gement payer., ,
A Quimper le métier de' geôlier . était, com~e ailleurs,

« pénible et périlleux (3) », mais il paraît qu'il était moins
lucratif qu'en d'autr3s lieux (4), si l'on en juge par le luxe
de précautions prises pour assurer le paiement des fer--

mages.
En 1667, le roi" faisant bâtir une .prison, cessa de louer

une partie de celle de l'évêque
L'incendie de 1595, que mentionne le chanoine Moreau (6)

avait détruit la partie du palais épiscopal bâtie par Ber-
trand de Rosmadec, et endommagé la partie du palais bâtie
par Claude de Rohan, qui lui était contiguë (7). « On ne

(f) Fel'rière, au mot Geôliers. Denisart, V Prisons, n° 40 et suiv.

(2) L'église mettait au rang des œuvres de miséricorde les visites aux
prIsonmers.

l:e se rappelle ees vers de Tartuffe:
Qui
Si l'on vient pour me voi1', je vais aux prisonniers
Des aumones que j'ai partager -les deniers.

(3) FerrIère, V Geôliers.
, « En effet, la garde des méchants .est très-dangereuse puil'lqu'il faut
« répondre d'eux, les garder en pri~on,~les l'en31'e à la jUHtice, sinon être
" expo.sés à subir de très-grandes peines' pour peu que l'on malique au
{( soin et à l'exactitude requis. Il , •
Si un prisonnier déte nu pour' dettes s'évade, le geôlier 'est respon3able
·de la dette et contraignable par corps. '

Et Denisart cite (v Geôliel'~) un arrêt dll 23 juillet 1766 qui, en vertu
de cette règle, a condamné un geolier à payer 10,000 livres au créancie'r

du prisonnier évadé. ,
(4) Quelques-unes des pièces que j'ai sous les yeux concernent une
poursuite exercée contre la caution d'uu geôlier. .
(5) Ogée, Vo Quimper. Note de M. de Blois. ' .
(6) Chanoine Moreau, page 347. - ,
(7) La tourelle qui sert de cage d'escalier, dans la cour de l'évêché; ;
peut donner UHe idée de l'élégance du logis de Rohan.

(,( s'empressa pas de relever ces ruines; les guerres de la
« Ligue avaient laissé d'autres blessures a panser. »
. ,Mais les mesures provisoires auxquelles on recourut
« eurent, quelques années plus tard, de graves consé­
« quences. A lafin de l'année 1617lemurde ville,» sur lequel
s'appuyait la partie de l'édifice nommée .le Logis de
Rohan « s'écroula, entraînant' dans sa chute une grande
« partie des bâtiments qu'il supportait" et compromettant
« la solidité du reste (1). » ,
Apres de longs débats entre les bourgeois de Quimper et
l'évêque, le mur de ville et le palais épiscopal furent re-
bâtis après 1623 (2).

La prison, a son tour, menaçait-elle ruine vers 1667 ~
L'évêque fut-il frappé de l'incommodité de son voisinage ~
Question que je ne puis résoudre. Mais, si les renseigne­
ments qui me sont donnés sont.. exacts, comme ' je le
crois (3), l'évêque transporta sa' prison en une maison qu'il
au faubourg de Bourliboü, faisant partie de son
édifia
fief.
C'était cette maison de construction singulièr'1, avec seu-

lement rez-de-chaussée et mansardes à frontons, percée

et de huit fenêtres de façade, portant les
de deux portes
numéros 6 et 8 de la rue de Pont-l'Abbé. Cette maison,
dont la plupart des fenêtres sont encore garnies d'épaisses
barres de fer, garde l'air rébarbatif d'une prison (4). Si vous
pauvres gens qui l'habitent, ils vous diront
interrogez les
les uns que c'était une Bastille" les autres que c'était un
une Bicêtre (4). N'est-ce pas le souvenir de sa destina- .

({) M. Le Meu. (Monographie de la Cathédrale, p. 229 et 230.)
(2) M. Le Men. Id .
(3) Ces renseignements viennent de M. Delécluse père, président du
de Quimper, né en 1751.
Tribunal
(4) Ils disent aussi qu'en 1793 des capucins furent séquestrés dans
cette maIson. .

. 't' qui se cache sous ces dénominations
prllUI Ive
tion
bizarres
Si l'auditoire des justices seigneuriales était commun,
des motifs d'économie ne portaient-ils pas les seigneurs
hauts justiciers à n'avoir qu'une prison commune~· Une
risol1 coûtait cher, et le nombre des ordonnances rendues
la résistance que rencontrait sur ce point le pou-
assez de
voir royal (1). .
Si donc le roi louait la prison de l~évêque, n'est-il pas
sans trop de témérité, de supposer que le marquis
permis,
de Pont-Croix avait recours au même expédient (2) ~ Le

nom même de Chemin des Pendus viendrait à l'appui de
cette hypothêse. En effet, si les condamnés de la haute
. justice de Quéménet sortaient de cette prison pour aller .

au supplice, la seule voie qui les conduisît aùx fourches
patibulaires du fief était justement le Chemin des 1- endus.
Montons ce chemin jusqu'à sa rencontre avec la route
ae Douarnenez, à l'endroit où va se construire un pont sur
le chemin de fer de Pont-l'Abbé. Suivons cette route pen·

dant deux cents mMres. Nous sommes sur la butte de la
Terre-Noire (3), au quelle la présence d'un filon d'anthra­
cite a donnè son nom. De ce point la vue sur Quimper et
les collines environ~antes est admirable. Mais je m'ar­

rête ... , car j'ai promis de ne pas décrire les charmants as-
pects que présente la route. .
Ce chemin creux qui, à droite, derscend par une pente

de Kernisy, et de là à la ville.
rapide, conduit au manoir

(1) Voit' Denisart, '0, Prisons) p. 38 et 39.
(2) C~~te conjecture est presque une certitude. En effet, le marquis de
Pont-CroIX, dans l'aveu du 30 octobre 1730, no déclare pas de prison

l~ fie.f -de-Quéménet, .bien qu'il ait pl'it soin de déclarer sa prison de
pour
(p. 1, V.1), et celle d'e sa baronnie du Juch
haute JustICe de Pont-CroIx
(3) En hreton, Douar-Dù, dans les anciens titres.

Il est mentionné par le chaDoine Moreau, qui nomme
Crea(/h-lIfarch (1). C'est par la que, le 30 mai 1597,
ce lieu
La Fontenelle, honteusement repoussé, ramena sa cavalerie,
tandis que son infanterie se retirait, comme nous FavQns
vu, par Saint-Sébastien; et c'est la que les bourgeois de
tirèrent des' remparts de Saint-Nicolas, c'est-
Quimper.lui
à-dire de la partie des murailles qui bordent encore le
Pichéry, trois coups de canon « qui, ajoute le narrateur,
ne firent aucun effet (2). 1)
Dans de vieux titres cette colline est nommée Mes-
Minihy (la culture de l'asile); et le nom de Kernisy n'est
qu'une altération du nom de Kerminihy ou Kerminisy. Cet
asile dépendait du fief épiscopal (3).
. On sait ce qu'était le droit dJasile. La création du Minis-
tère publié, 'c'est-à-dire de magistrats chargés de pour­

suivre, dans l'intérêt de la loi, les crimes et les délits, est
relativement moderne, puisqu'on n'en trouve pas de traces
avant le XIVe siècle. Auparavant la poursuite appartenai t
a la partie lésée ou à sa famille. On juge bien qu~ ces pour­
suites privées pouvaient n'être pas exemptes de violence;
et la crainte de ce danger donna naissance a l'asile ecclé­
siastique. Aucun délinquant réfugié dans les dépendances

(f) Ou montagne de Marc, en français. Ce, nom vient vraisemblable
ment de la chapelle voisine dédiée à saint Marc.
Cette ' chapelle est de construction nouvelle, mais elle est d'origine
an cienne. Lors de sa reconstruction on a encastré dans la maconnerie
le UtlC pierre tomhale portant une inscription, en caractères du XIV· ou
le XV· siècle, qui donne lieu de penser qu'elle fut élevée sur la tombe
• le de 80n fondateur .
le Voici cette inscription:

(( Marc fut du sècle (siècle)comrne 'vous
(( Pensez à lui; songez de vous.
(M. de Blok (Dict. d'Ogée, p. 423.)

(2) Chanoine Moreau, page 316.
(3) Brochure de M. de Blois, intitulée: 'De quelques Antiquités de la
ville de Quimper.

du lieu consacré ne pouvait être saisi sans la permission

Le droit d'asile était anciennement en usagé dans toutes
c?apelles et monastères; mais il cessa peu à
les églises,
eu lorsque la poursuite par le ministère public remplaça
tiges, 'lorsque l'ordonnance de 1539 sur la justice crimi­
. nell , refusa le droit d'asile, ou, comme on disait « l'immu-

nité » à ceux contre lesquels avait êté décerné un décret de
prise Je corps (1).
Vers la fin du dernier siècle Kernisy ou Creac'h-March
(écrit irrégulièrement Crèmarc'h, ou même Crémar)appar_
tenait à la famille de Rospiec. Le propriétaire émigra en
biens furent sèquestrés et le manoir devint, en
1792; ses
d'arrêt pour les femmes suspectes.
1793 maison

Le 9 frimai're an II (29 novembre 1793) il Y avait à Ker- ,
J'en trouve la liste annexée au
nisy vingt-quatre détenues.
procès-verbal d'installation du comité de surveillance nom­

mé le 25 jour du pre!Ylier mois de l'an II.
En regard de ces vingt-quatre noms aristocratiques où
roturiers, la cause ou le prétexte de l'arrestation est indi-
què d'un mot: Aristocrate, mère, femme, sœur, même
parente d'émigré, fanatisée ou calotinocrate (écrit quel­
sans doute,\. calotine et
quefois calo-tinocrate), c'est-à-dire,
aristocrate. '
Le 18 pluviose an II (6 février 1794) le nombre des dé-

(i) Art. i66.
L'art. 667 de la Coutume en Bretagne portait: (( En tout cas de
« délit, il Y aura immunité, fors aux cas acceptés de droit. ))
Nulle part les asiles n'avaient été plus vastes qu'en Bretagne. En
ne s'étendaient qu'à quelques pas au·delà de
effet, lorsque, ailleurs, ils
l'enclos de l'église ou du monastère, en Bretagne ils eomprenüient sou­
vent des champs incultes, sur lesqr.elf; le rélugié pouvait faire paître
le bétail dont le lait servait à la nourriture. '
Il Y avait au pl'ieuré de Locmaria un très-vaste asile.

tenues de Kernisy était réduit à huit (1); mais de nom-
breuses arrestations suivirent, et les autres prisons de la
ville étant encombrées, des hommes furent déposés à Ker­

nisy, q ni, à son tour, devint insuffisant .
Enfin, Kernisy ayant été vendu nationalement le 30 prai-

rial an II (18 juin 1794),' le comité décida, le 7 thérmidor,

que les détenus seraient transférés dans les bâiments du
collége. Pour la translation, qui eut lieu à huit heures du.
matin, le 21 thermidor, une escorte de cinquante hommes
parut nécessaire (2). . .
Kernisy est aujourd'hui occupé par de saintes filles qui
se sont faites les gardiennes, les institutrices, bien plus, \
·les sœurs de Madeleines repentantel'. Il y a quelques années,
il y avait là une mére religieuse avec ses trois filles 1
Quatre-vingt-dix ans plus tôt le comité de surveillance de
Montaghe-sur-Ddet n'aurait vu dans ce sublime dévoue­
ment qu'un aveugle fanatisme; et croyant flétrir les sœurs

de la Miséricorde il aurait écrit d'elles ce qu'il écrivait des
filles de Saint-Thomas, de Kerlot :
« Ces religieuses sont fanatisées, ainsi que d'autres que

« nous incarcérerons quand on aura pourvû à leur subsis-
« tance (3). »

(f) En · regard d'un des huit noms je relève cette note:
Il Mal'ie·Cutherine-Barbe F .. , âgée de 415 ans, femrre d'homme de loi,
Il mère de sept enfants, femme et mère d'é"lligrés contre son consente­
(( ment, ne pouvant vivre que par Je talent de son mari, et étant à la
(C mendicité depuis son émigration. Détenue depuis quatre mois. »
. Quelle tl'Îstesse 1
(2) J'extrais ces renseignements d'un (mrieux registre conservé aux
archives du greffe et contena:1t les délibér p.tions quotidiennes du · Tri­
bunal du Commité de survailliance de Montagne-sur-Odet, ci-devant
Quimper, du f7 octobre :1793 au 27 fructidor an Il. '
Cette orthographe est celle du pr~sident de ce singulier tribunal.
Voici un spécimen .de celle d'un de ses assesseurs. Il a écrit à ]a pre-
mlere page:
(( Ce caet apartien à la slJrveillience de Quimper-Odet. »
Et,sans doute enchanté de son œuvre, l'auteur a signé.

{3) 9 frimaire an II.

La route dépassant le village de la Terre-Noire atteint,
à qüelques centaines de mètres, le sommet d'une colline
Cette route, avant la construction de la voie nouvelle'
était presque l'unique accès vers Quimper des cantons de

Pont-Croix, et (pour partie) de Plogastel­
Douarnenez,
Saint-Germain. Cest du haut de cette colline que les habi­
tants de ces cantons, venant à QUImper, apercevaient pour
la première fois la ville èpiscopale ; . et c'est de là qu'ils
leur premier pasteur.
saluaient l'église de
Au commencement du siècle, un honnête cultivateur de
Crozon amenait au collége de Quimper son fils âgé de
douze ans. Arrivé à l,a montagne du. Salut, le père arrêta
sa monture, tira dévotement son chapeau et dit à son fils
de saluer Saint-Corentin. ' A cette époque, les tours inter-
rompues depuis le XVIe siècle, étaient couvertes d'une
calotte de plomb, un peu au-dess\ls de la naissance des
flèches. L'enfant fut émerveillè du grand aspect de l'église,

la plus belle qu'il eût jamais vue; mais, tout en l'admi­
rant : « Pourquoi, dit-il à son père, ces belles tours n'ûnt-
« elles pas de flèches ~ Quand tu seras évêque, répartit
« en riant le père, tu les bâtiras (1).» .
Le père de Monseigneur Graveran avait prophétisé:
moins de quarante ans après, son . fils était évêque, et,
ans plus tard, il commençait, au moyen du Sou ' de '
quinze
Saint- Corentin, et sous l'habile direction de notre confrère
M. Bigot, les flèches qui couronnent les tours.
La route suit, pendant une centaine de mètr~s, un pla­
teau sur lequel s'ouvre à gauche un chemin planté de
hêtres qui conduit à la ferme de Prat-an-Rous ou Prat-an-
Ros (2).

(f) Cette légende m'a été contée sur les lieux.
(2) Ne pas confondre avec Prat-an-Ras, château
situé à deux kilo- .
mètres plus loin.

La ferme et ses dépendances sont .. d'après l'opinion popu-

laire, bâties sur l'emplacement et avec les débris d'une
commanderie du Temple. Ce n'est pas l'avis de l'auteur
de l'article Penh ars, àu Dictionnaire d'Ogée, ni de notre
regretté président, M. Aymar de Blois, ni, je crois, de

l'unanimité des archéologues. Tous y vpient les restes d'un
château appartenant à la famille de Prat-an-Rous (1) .

Mais les savants auront beau dire, ces ruines qui dispa­
raissent conserveront, pour les naïfs habitants du voisi­
Temple des faux Dieux, qu'ils lui don­
nage, le nom du
Laient dès le dernier siècle (2).

Dans la douve de droite, vis à vis l'entrée du chemin de

Prat-an-Rous, en un. point où la route nouvelle, dans un
de ses lacets, se trouve presque au-dessous de l'ancienne
route, on remarque un petit tertre allongé en -forme de
. tombe, sur lequel sont plantées des petites croix formées de
deux baguettes passées ' l'une dans l'autre ou rattachées
par tin lien.
Ce petit tertre, les pères des plus anciens du pays l'ont

vu dans l'ét~t où nous le voyons aujourd'hui. C'est la

Tombe' de Tanguy ou du pendu. .
Je demandai un jour quel était Tanguy et d'où venait
cet usage de planter des croix sur sa tombe. Il me fut ré­
pondu:
Tanguy était un pieux et honnête journalier d'une com­
mune voisine de Quimper (3). Il Y a plus de cent ans, un
jour de fète, avant l'àube, il venait à la première messe de
Saint-Mathieu. A l'endroit de la route où se voit aujour­
d'hui sa tombe, il trouva un homme mort et auprès de lui la

(i) Ogée. Dlct. v , Penhars (écrit Penhart). .
(2) Ogée. Loc. cit .
(3) Ce récit m'était fait en i875. « Un journalier comme moi Il e
un homme que j'employais aux fouilles dont je rendrai compte .
disait

. h core sanglante qui l'avait tué. Sa première pensée
plOC e en. , .
fut de dénoncer le crIme; et, pour donner creance a sa pa-
'1 emporta la pioche. L'officier de justice auquel il s'a-
ra e, l .
dressa fit remarquer à Tanguy que ses vêtements étaient
alantés A ~la vue de ce sang que dans la nuit il n'a-
ensant) C • {
n ea
vait pas aperçu, l'infortuné ch3: g de couleur et se mi~ à
trembler. On prit son trouble pour l'aveu d'un crime. Il
fut condamné et pendu le lendemain sur la montagne d3
la Justice; son corps fut inhumé au lieu même du meurtre.
Quinze jours après le véritable coupable fut découvert,
avoua son crime et fut pe~1du à son tour.
sur la tombe
Les croix que l'on plante depuis ce temps
Tanguy sont un pieux hommage rendu à la mémoire

la justice humaine.
de cette innocente victime de
Cette explication ne me satisfit pas. Il n'est pas ordi­
aux juges la révé­
naire que les assassins apportent ainsi
lation et la preuve du crime qui n'a pas eu de témoins. Nos
prédécesseurs le savaient aussi bien qùe nous; et comme
magistrat il me ~épugnait de croire que les juges du der-
nier siècle eussent jugé si vite et si mal. _
Voici une variante encore plus dramatique .
La scène se passe au fond de la vallée de la Loret~e,
sur l'ancienne route de Locronan, lieu charmant, mais

qu'il pouvait être dangereux autrefois de traverser le soir.
Tanguy pêchait vers la nuit dans la rivièr~ du Stéïr, auprès
du pont. Tout à coup il entendit appeler au secours. Il cou- .
rut au plus vite et vit s'enfuir deux hommes inconnus
de lui: ils venaient de frapper 'mortellement un homme
Tanguy le prit dans ses bras pour l'appuyer au
qui râlait.
talus de la route. Au moment même où il mourait survin­
rent deux cavaliers de la maréchaussée. Tanguy était
couvert de sang, et, sur ce seul indice, il fut [arrêté, con:'" .
damné et exécuté. "
A quelque temps de là, les deux meurtriers se prirent de

dispute dans .nn cabaret, se reprochant mutuellement leur
crime; et à leur tour ils furent pendus.

là trop de mise en scène et trop de coups de théâ­
Il y a
tre pour que l'histoire ait quelque vraisemblance. D'ailleurs
arrêté à la Lorette., Tanguy n'eut pas été jugé par la jus­
tic.e de Quémenet ni pendu au gibet de ce fief .

Ne trouvant pas la vérité dans ces récits, je me SUIS re-
solu à la chercher ailleurs. .
M. l'abbé Le Guen, curé de Penhars, a bien voulu me
servir d'introducteur et d)interprète auprès du doyen de son
bourg.
Le récit de ce vieillard était émaillé de singuliers ana':'
chronismes : la gendarmerie, notamment, y jouait un rôle
et quelle sûreté de
. trop important. Mais, quelle conviction

l. .. Toutefois, je ne re-
mémoire dans les moindres détails

produirai pas . ce récit., parce qu'il m'a été, de point en
,. par M. René
point confirmé moins les anachronismes
Allain, commis aux archives, auquel le vieux :narrateur

m'a renvoyé., et que vous allez entendre.
avant de vous redire le récit de M. Allain, je ne
Mais,

dois pas omettre la " 'conclusion du doyen de Penhars :
«l'anguy guérit de la fièvre, bien mieux que les médecins,»

. .J.~:L cette affirmation, appuyée . d' LIn coup de poing sur
la table, avons-nous, M. le curé et moi, laissé échapper

quelque signe de surprise ou de doute? Toujours est-il que

la fille du narrateur, qui parle français, a dit, non sans
. quelque émotion (et peu~-être que si j'avais été seul, l'a-

po strophe eût été plus vive) : "
« M. le curé, vous connaissez mon fils, qui est grand et
« fort pour ses douze ans. Eh bien! avant votre arrivée

«( ici, il a eu la fièvre, et les remèdes n'y faisaient rien;
« J'ai envoyé une femme porter, sur la tombe ,de Tanguy,
« une croix et un sou, trois vendredis ' de sui te; et le troi-

« sième vendredi, qui était le jour où la fièvre devait venir,
« l'enfant était guéri! » .
Voici le récit que M. Allain a entendu souvent de son
oTand père maternel, et toujours dans les mÊmes termes:
b T au" était cordonnier et célibataire. Il habitait au bas
an~ J . •
de la rue Obscure (aujourd'hui rue Royale), paroisse de .
Saint-Ronan; vis à vis demeurait un tonnelier ou cerclier,
nommé Daniellou, récemment marié. La rue Obscure était .
à peine large de trois mètres à cet endroit (1), et les mai­
sons, ayant pignon sur la rue, surplombaient à chaque étage.
et se touchaient presque par le haut,de manière à intercepter
la lumière du jour: de là le nom de la rue. Des relations
coupables s'étaient établies entre Tanguy. el la fen1me
Daniellou; et quand le mari tra\'aillait à la campagne, ce
qui arrivait souvent, Tanguy jetait entre sa fenêtre et
celle de Daniellou une planche qui lui servait de pont, et,
sans être vu, s'introduisait 8insi chez sa jeune voisine.

Un jour que Daniellou faisait du cercle dans le 'bois de
Prat-an-Rous, Tanguy, qui savait l'endroit où il le trou-
verait ... s'arma de son fusil, comme pour aller à la chasse.
Arrivé à la lisière 'du bois, à gauche de la route, au moment

où Daniellou, penché sur son ouvrage ... · était sans défiance,
• Tanguy, le visant à son aise, lui tira un coup de fusil.
.DaniellQu tomba la tète fracass~e à la lisière du bois, à .'

droite, à l'endl"oit inême où se voit aujourd'hui la tombe de
Tanguy. La route, à cette époque, n'avait pas la largeur
qu'elle a aujourd'hui, et l'espace occupé par la tombe était

dans le bois taillis (2). ,

Le meurtrier, se jetant précipitamment dans le founé,

(f) D'après le plan de 1764; on proposaït alors de porter la largeur
de la rue il sept mètres, et c'était une des voies principales ùe la ville,
était la route de Brest. -
puisque son prolongement
(2) Il ne faut pas oublier que la route nouvelle n'existant pas, le bois
de l'endroit où travaillait Daniellou"
de Prat-an-Roz se continuait
jusqu'au fOll.d de la vallée.
BULLETIN DE LA Soc. ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOMI': IX 4

revint en ville, rentra chez lui et se remit à l'ouvrage, sans
attirer l'attention. Il n'avait pas remarqué qu'en passant le
talus du taillis il avait heurté du front une branche d'arbre
et y avait déchiré son bonnet de laine brune.
Peu après,. un passant découvrit le cadavre de Daniel-
lou, et Tanguy, payant d'audace, accourut avec la foule
qui suivit les officiers de justice:
Daniellou était très aimé, et les assistants, en présence
de son corps affreusement défiguré, restaient frappés de
stupeur. Tanguy seul se faisait remarquer par la violence
de ses plaintes, et s'emportait en imprécations et en me-
naces contre l'assassin de son ami. Ces démonstrations
bruyantes attirèrent l'attention d'un officier de justice; il
se tourna vers Tanguy, et, du même coup d'œil, il aperçut
au-dessus de sa tête un lambeau de laine brune accroché
à une branche, et la déchirure du bonnet de Tanguy. Ce lui
trait de lumière; et, s'avançant vers Tanguy, il lui
fut un
dit brusquement: « Mais, c'est vous l'assassin 1 Votre bon-
a net est déchiré,et voilà le lambeau qui y manque!. ... »
Tanguy ne lui donna pas le temps d'achever, reprit le
sentier sous bois qu'iJ avait suivi quelques heures aupara-
vant, et disparut sans qu'on pût l'atteindre. Il courut droit
au Séminaire, qui. occupait alors les bâtiments de l'hospice
actuel (1).
Tanguy était cordonnier du Séminaire~ et à ce titre,
connu du supérieur. Celui-ci reçut sa confession, et lui
années au pain sec et à l'eau,
imposa une pénitence de trois
dans une cave obscure.
Ce terme arrivé, Tanguy que l'on croyait mort et que le
long jeûne et la réclusion rendaient méconnaissable, aurait

pu se sauver en. quittant le pays. Il n'en eut même pas la
pensée; et, jugeant la pénitence insuffisante, il alla se

(t) Plan de f764. C'était auparavant le manoir"de Crec'heusen, men­
tiol1ué par le chanoine Moreau .

livrer aux officiers de justice et avouer son crime; il fut
Il fut inhumé, sur sa demande, au heu meme ou Il avait
versé le sang·
« Depuis cette époque, ajoutait le narrateur, on a tou-
« enfance. » -
A quelle époque se rapportent ees faits ~
Le grand père d~ M. Allain né en 1764" se maria en
1792 et vînt tenir la ferme de Prat-an-Rous. Vers cette
époq ue, un an ou deux après, il commença a fournir de
de Quimper (1) où servait une vieille do­
lait une maison
contait que, ' dans sa jeunesse"
mestique. Cette femme lui
il y avait disait-elle, plus de cinquante ans, elle ava,it vu
Tanguy conduit devant ses juges. De pareils souvenirs ne
s'effacent pas. Le récit de la vieille se répétait souvent,.et le
fermier de Prat-an-Rous qui passait chaque jour devant la
tombe avait gardé fidéle mémoire des moindres circons­
tances de ce récit.
En rapprochant les dates on peut calculer que les faits

se seraient passés entre 1735 et 1745 ~
Cette tradition, repose-t-elle sur des indices suffisants ~
Tanguy ' a-t-il existé ~ A-t-il été poursuivi et devant

quelle j uridiction ~ .
Un fait ressort avec certitude du récit du grand'pére de
M. Allain: c'est que tout jeune, il y a bientôt 120 ans,­
il avait vu la tombe dans l'état où elle est 'aujourd'hui,
parée de ses petites croix.
Ici se place une constatation matérielle qui peut avoir
son int.érêt. La route, a l'époque ou le récit nous report.e,
était un chemin étroit. Quand elle a été élargie, les. talus

ont été refaits. Pourquoi le propriétaire de Prat-an-Rous, au

(f) Celle du grand-père de l'honorable docteur Chauvel.

lieu d'édifier son talus à cet endroit, sur la rig0le de la
route et en prolongement du talus du champ contigu, a-t-il _
pris soin, au droit de la tombe, de le contourner sur une
dizaine de mètres de longueur, négligeant ainsi une bande
de terre de 3 mètres environ de large qui incontestable-
ment lui appartenait ~ L'aspect des lieux fait tout naturel­
lement naître cette question, à laquelle, si l'on rejette la
tradition, on ne voit pas de réponse.
Si l'on admet la tradition, Pexplication est simple. Le

constructeur du talus, presque contemporain des faits,
la route était élargie avant 1764 (1), a respecté la
puisque
tombe de Tanguy. .
Par quelle juridiction Tanguy a-t-il été condamné ~

S'il a été . exécuté au gibet du Quéménet, c'est qu'il a été
frappé par la justice de ce fief. En effet, le crime, à le
supposer commis, aurait été perpétré sur les terres du fief,
l'assassin aurait tiré du fourré d'un côté de la
puisque
. route dans le fourré de l'autre côté. Le haut justicier était

donc, selon la règle générale, compétent pour juger le
meurtrier (2). .
Mais la justice royale n'a-t-elle pas dû, par exception,
se saisir de l'affaire pour la juger sans appel comme cas

pr.évôtal? - .
Je ne puis entrer ici dans des explications qui, pour être
complètes, m'entraîneraient trop lein. Qu'il suffise de savoir
que, au dernier siècle, les présidiaux ne prononçaient pas
la peine de mort, sans appel, sauf quand il s'agissait de
causes dites prévôtales .
Il y avait auprès du présidial un procureur du roi remplis·

(1) Voir le plan de Quimper. Il est probable que l'élargissement de la
route était récent. Ou peut l'attribuer au duc; d'Aiguillon qui devint
gouverneur d~ Bretagne seulement en 17!56.

(2) Ferrière, V Compétence criminelle.

ivil et au criminelles fonctions du procureur de la

san a
jours; et uri proeurew~ du roi de la
Ré ublique de nos
des crimes que les ordonnances qualifiaient de prévôtaux,
au nombre desquels « l'assassina t prémédité» (1).
Mais pour que le présidial jugeât prévôtalement et sans
par une sentence préliminaire des conseillers du présidial
jugeant au nombre de sept. Quelques jugements de compé­
aux archives: leur rédaction témoi­
tence sont conservés
gne d'un examen exact, on pourrait dire ininutieux, des
informations dont toutes les pièces sont visées. .
procédure avait quelque analogie avec celle en
Cette
usaae aujourd'hui : la chambre des mises en accusation

déclare la compétence de la cour d'assises, et celle-ci pro-

nonce sans appel même sur les crimes capitaux... '
Mais le crime imputé à Tanguy ne fut pas jugé prévô­
talement; c'est-à-cl,ire qu'il ne fut pas considéré comme un
assassinat, mais comme un meurtre.
Nous avons de ce fait une double preuve:
Il existe aux archives départementales des registres pré-
cieux relatant toutes les condamnations prononcées~prévô-
talement à Quimper de 1721 à 1766, embrassant ainsi
l'époque' à laquelle se rapporte le fait que nous étudions .
Le nom de Tanguy ne figure pas sur ces registres. .
Ce n'est pas tout. Avant la translation des archives au

(1) Art. 12. Titr~ 1 l' de l'ol'(lonnance de 1670. « Les prévôts de nos
CI cousins les marnchaux de France connaîtront en dernier ressort
« dei> assassinats prémédités ... en ce cas toutefois que ces crimes ayent
« été commis hors des villes de leur résidence. ))
Nous dil'ions aUJourd'hui ~implement « des assassinats 1) ce mot
pou~ nous le J?eurt~e prémédité ou ~e gl1et-ape~s' (art. 291>
exprimant
et 296. code penal); malS la :JUrIsprudence anCIenne n'avait pas établi
cette distinction d'une manière si précise .

Palais de justice actuel, c'est-à-dire avant 1832 (1), M. Le-
grand, archiviste, montra la procédure Tanguy à M. Mau­
fras du Châtelier et lui en recommanda lia lecture. Par
malheur M·. du Châtelier ne prit pas communication du
Or, à cette époque, les jugements des juridictions
dossier.
seigneuriales seules étaient déposées aux archivès dépar­
tementales : c'est en 1870 seulement que le greffe du tri-
bunal s'est dessaisi des jugements du présidial de Quimper.
Depuis, M. Le Men a vainement recherché la procédure

Tanguy. Peut-être M. Legrand, qui, disait-il (( n avait rien
cluieux )) aura-t-il donné le dossier à lire à
vu de plus
quelqu'un qui aurait oublié de le rendre?
L'hypothése de la condamnàtion par la justice prévôtale

écartée, j'avais l'espoir de trouver l'arrêt du Parlement
concernant Tanguy: là condamnation prononcée par le haut
justicier étant, de droit, soumise à l'appel, et ne pouvant
recevoir exécution qu'après arrèt confirmatif (2).
Cet espoir fi, été déçu. C'est en vain que mon ami M. le
Saulnier, très-expert en ces sortes de recher­
conseiller
ches, a compulsé les arrèts de la Chambre de la Tournelle (3),
c'est-à-dire de la chambre criminelle, du Parlement, de

(1) Avant 'cette époque, le tribunal siégeait dans uue partie de l'an-
cieu couvent des Ursulines, l'autre partie étant or.cupée par la caserne -;
la maison de justice, séparée aujourçfhui des premicrs bâtiments par une
rue, faisait autrefois parlie dll couvent des ~rsuli[Jc~, dont l'en~los
comprenai t tout l'~space eom pris entre la place Sa ~ nt-MatIlleu.la rue Samt­
la placc Neuve ct la rue Samt-Marc (M. Aymar de
Mathieu, prolongee,

Blois, Dictionnaire Ogéc, vo Quimper, 422) .
(2) Art. 6. Ti.trc 26, Ordonnance de i670. .
Si la sentence rendue par le juge du lieu (royal ou sc~gneurial) porte
condamnation de peine corporelle des g~li.~res, -ùu batlllls.sement à per­
pétllllé, ou d'am~llde honoyahlc. soit qu:il y ait appel .ou nOIl (Lle la
part du condamne), l'accuse et son proces seront euvoyes ensemble et
sûrement en nos cours .....
(3) La Toul'l1clle, ainsi nommée parce que la plupart d~s cOllseillers
qui y siégeaient « n'y vont que tour à tour afin que l'habItude de con­
« damner et de fi'lirc mourir des hommes n'altère la douceur naturelle
« des juges et ne les rende inhumains. Il
Ferrière, au mot Parlement. Torne II, pé).ge 439.

1697 à 1762. Un grand nombre d'arrêts manque; des liasses
comprenant des années entières font défaut.

M. Saulnier ne s'est pas découragé et il a compulsé le plu­
mitif de la Chambre de la Tournelle de 1680 à 1762; mais
il n'a pas rencontré le nom de Tanguy.
Il me fait remarquer que les décisions venant de la' Basse­
Cornouailles et soumise au Parlement en vertu de l'ordon­
nance ne sont pas nombreuses: de 1710 à 1730., il ne s'en
trouve qu'une seule venant de Concarneau.
Comment croire que dans une période de vingt ans., les
juges royaux et seigneuriaux de Basse-Cornouailles n'aient
pas prononcé plus d'une condamnation entraînant un appel
nécessaire ~
N'eEt-on pas autorisé à conjecturer que les officiers du
oi se dispensaient d'exécuter l'ordon,nance et que les pro­

CUl'eUl'S fiscaux (1) des seigneurs et parmi eux c"elui de
Quéménet suivaient cette funeste pratique

Peut-ètre étaient-ils jaloux d'épargner aux ~eigneurs

dont ils tenaient leurs charges les frais de l'information et de
l'arrêt d'appel, et surtout les frais considérables et la res-
ponsabilité du voyage de l'accusé à Rennes (2). ..,
Il faut d'ailleurs bien 'se , mettre dans l'esprit, que sous
la très-ancienne coutume de Bretagne (3), s'il y avait plu-

Cf) Le procureur fiscal était · un officier établi dans les justices
« des seiglleurs pour sout0t1Ïr ICII/'s droits et ceux du public et faire les
c( mêmes fonctions que les procureurs du roi dans les justices royales.1l
Ferriere, vo, Procureur fiseaI.
(2) Au minimum, 1.4 livres par jour à raison de huit lieues en hiver '
et de dix lieues en été, pour l'escorte seulemelJt; (arrêt de règlement du
f2 janvier f737) plos ce qui était dû aux messagP'I's auxquels les pri­
sonniers étaieut cOllfiés, Ce~ frais étaient considérables, le mes!'lager
élant responsablc de l'évasion, et contraignable par corps, s'il ne repré-
sentait pas le }Jrisonni'~I" •
Denisart, v Prisonniers. . .

Ferrière (v , Transpol't de prisonniers), cite un arrêt condamnant un
messager à einq ans de galères pour simple négligence.
(3) Rédigée 'peut-être en f330 ~t qui a reçu son exécution Jusqu'en
f 539. HévÎn, 3 consultion, page 5.

sieurs degrés de juridictions pour les plus minces affaires
civiles, aucun recours n'existait en matièee criminelle . .

anomalie choque tellement nos idées !lctuel­
Cette cruelle
les qu'on a besoin de lire et de relire les vieux juriscon­
sultes pour ne conserver aucun doute à cet égard .

Ecoutons Hévin dans sa troisième consultation:
En matière civile, le contredit et rappel (1) avaient lieu:
« une cause de 5 sols passait par tous les degrés de juri­
. « diction, et des sièges ducaux allait au parlement des
« ducs, d'où les. grandes affaires passaient mème au parle­

« ment de France en deux cas ... mais en crime nul appel. »
« Témoin, Gilles, baron de Raiz (ou Retz) ... tout maréchal
« de France qu'il fùt,) accusé de magie et du meürtre

« d'un grand nombre de petits enfants, condamné à ètre
« pendU et brûlé par sentence de Piel~re de L'Hospital, sé­
• « néchal de Rennes, et Président de Bretagne, et exécuté
« sans appel en l'an 1440 ; »
« Témoin encore, le trésorier de Bretagne Land'ais,
« pendu sans appel, l'an 1485, en exécution d'une sentence
« qui sembla rude et cruelle, mais qui fùt sans reméde. »

Et comme s'il fallait d'autres preuves, Hévin ajoute,
parlant de lui-même :. « Le soussignant a vu plusieurs
« procédures criminelles très-bien instruites suivies de
« condamnation et d'exécution par de simples hauts justi­
« ciers ... en l'an 1525 et avant (2). •

(i) Le Contredit était une espèce d'appel, (( autrefois on n'était appe­
cc Jant ('lU Parlement que des sénéchaux de Rennes et de Nànles, devant
(1 lesquels on porlailles contredits de tous les jugements. l)
Poullain-Du'Parc, Coutumes de Bretagne, Tome l, p::lgc 484.
En sorte que, pOlll' prèndre l'exemple de flévin, une affaire de 0 sols
être jugée en première instante par le juge royal ou seigneu­
pouvait
une seconde fois sur contredit par le sénéchal ùe Rennes ou de
rial,
Nantes, et une troisième fois sur appel au Parlement.
(2) 3" Consult., Passim, pages ))-7 •

« Les seigneurs hauts justiciers» dit-il ailleurs, « con­ ,
« damnaient au matin et faisaient exécuter après'-midy)) (1),
Vers 1530, une tentative de réaction contre la rigueur
de la eoutume se produisit; mais le Iroi :François 1 , par .
une déclaration de 1532 « maintint le sénéchal de Rennes
« dan~ le droit de condamner a mort et de faire exécuter
« sans appeL» .

Enfin, dit Bévin : « L'ordonnance de 1'536, parle pour la
« premièr~ fois de l'appel de la sentence définitive ou
« de torture (c'est-a-dire du jugement portant condam- '
« nation ou ordonnant la question) mais encore faiblement
« avec limitation' au cas où l'appellation -doit ~tre reçue

« par les coutumes du pays. '))
Or, la très-ancienne coutume reçut son exécution jusqu'en
1539, et par conséquent l'appel du condamné put, sans
violation de l'ordonnance, n'étre pas reçu en Bret~gne
jusqu'a cette époque.
La coutume réformée en 1539, ou ancienne coutume
admit la faculté d'appeler que maintint la nouvelle coutume
issue de la réformation de 1580. .

Moins d'un siècle après paraissait l'ordonnance de r~for-
mation de la justiee (1670). . /
Bien que cette ordonnance ait maintenu ~es horreurs de
la torture et le serment exigé de l'ineulpé avant son inter-

rogatoire, elle marque un progrès · incontestable dans la
législation pénale. On peut dire que, sur le point qui nous
occupe, elle passa d'un extrème a l'autre . . Désormais" en

effet, non-seulement la faculté d'appeler appartiendra au con-
damné; mais l'ordonnance pose comme une l':ègle absolue
la nécessité pour le procureur du roi ou le procureur fiscal;

quand le condamné acquiesce a la condamnation" d'appeler
et .rnalgré lui. .
pour lui

(1) Questions féodale:;, c-.hapitl'e 2, page 94.

Il est clair qu@ le but de l'ordonnance était de réagir
contre cette précipitation des juges seigneuriaux condam­
nant et faisant exécuter presque à la même heure.
Quoiqu'il en soit, ne peut-on pas supposer, quand' on
voit si peu d'appels au parlement, que lesouvenir de l'an­
cienne coutume encore imprimée ét étudiée au XVIIIe siè-
cIe (1) réagissait contre la règle nouvelle et que les procu-
reurs du roi et les procureurs fiscaux laissaient aux con­
damnés le soin d'appeler sans le faire pour eux. : .
Dans l'affaire qui nous occupe spécialement, le procu­
reur fiscal de Quéménet n'a-t-ilpas Ci'U pouvoir en sûreté
de conscience ne pas relever appel lor~que le condamné
entendait subir la peine à laquelle il s'était volontairement

. exposé
(0 Coutumes générales du pa,ys et duché de Bretagne avec les procès­
verbaux des delix réformations, les notes de Pierre Hévin, l'aitiologie de
Messi ve Bcrtraud d'A rgentré, la 1 rad'lction abrégée de son commentaire,
par Poullain de Belair, ct les notes àe Charles Dumoulin, par
Poullain Duparc, ave~ dédicace au Parlement. Henne3, Guillaume Vatar,
M DCC XLV.
A propos de la traducl.ion dl,! Commentaire de d'Argel1tré.due au père
de Poullain du Parc, on lit dans la préface cette curieuse anccdote :
« Cette traduction n'était pas faite pOll!' être rendue publique. C'est
«( le travail d'un père pour la seule illstruction de ses enfants qui sui-
. « vaient la même carrière que lui. En 1711 j i l ~n fit une première
« qui fut perdue pendant l'incendie dont la ville de Rennes fut désolee .
« en décembre 1720. Croïant que son ouvrage avait été brûlé, il eut
« le courage d'en faire un nouveau et cinq ans après le pt'emier ma-
« nuscrit fu t rclrou vé. »
(2) l\'otre vice-président, M. Audran, me fait remarquer que le nom
de Tanguy pOlHl'ilit bien être un nom de baptême. Il fonde cette con­
jecture sur l'usage très-ordinaire au X Vile et au XVlHe siècles de dési­
gner les gens pal' leurs prénoms. Il m'invite à faire de nouvelles recher-
cbes, 3ans m'aitaehel' au nom de Tanguy. .
peut que cette cOl"jectlH'c soit vraie. Je dois cependant faire
Il se
observer: 1° que le nom de Tanguy, comme norn patronymique, figure
dans nombre çl'actes de Quimper et de Penhars, au commencement du
XVI Ile siècle; 20 que la lr3dition qui a conservé le nom patronymique
de Daniellou, il pu vrai~emblablemel1t conserver aussi le nom de famille
de son meurtrier.
De nOllvell~s recherches aux archives du Parlement seraient sans
succès, puisqu'aucun appel de la justice de Quéménet n'y a été porté
vers l'époque à laquelle se réfèrent les faits. .

Ne pouvant vous apport8J' un document judiciaire quel­
conque concernant Tanguy, j'ai essayé de m'en. procurer
d'autres.
On sait que les corps des suppliciés étaient ou exposés
'ibet J'usqu'à leur destruction, ou brûlé par la main du
au g . . l .,
u J'etes a a VOIrIe (1). En tout cas, sauf de trè8-

all
ourre , '

rares exceptions" ils ne recevaient pas la sépulture ecclé-
siastique, et par conséquent il n'était pas dressé acte du

décès. :
la tradition, Tanguy n'avait pas été inhumè ~n
D'après
terre sainte. rai donc, avec plus de zèle que d'espoir,

cherché son acte de décès aux registres de. Penhars ~ cet
acte n'existe pas de 1700 a 1762. '
Mais j'espérais trouver soit a Penhars, soit à laparoisse
de Saint-Ronan, l'acte de sépulture de Daniellou. Cet ac te
eùt jetè une vive lumière sur l'histoire de Tanguy, car il
eùt certainement porté cette mention (2) que je trouve en
nombre d'actes: cc Le corps a été remis par l'officier de
cc justice après les constatations légales. »
Je n'ai rien trouvé. Il est vrai que j'ai feuilleté seule­
ment les registres de Penhars et de Saint-Ronan: on peut
suppOSet' que Daniellou a reçu la sépulture dans une paroisse

voisine. La mort de cet infortuné avait mis au grand jour
les scandales de la vie de sa femme; et il semble naturel
que les parents du mort se soient ~hargés de sa sépulture
dans la paroisse qu'ils habitaient. Le nom de Daniellou se
trouve souvent dans les registres de Penhars comme ap­
partenant a des personnes originaires des paroisses voi­
sines, notamment de Ergue-Armel et de Kerfeunteun. Je
souhaite qu'un chercheur plus heureux que moi et dispo- .
sant de plus de loisirs trouve ce que je n'ai pu trouver .

(1) Denisart, VO Cadavre.
(2) Prc~crite par la déclaration du 5 septembre :t7f2.

. Je ne me dissimule pas qu'en l'absence d'un . document
écrit . venant à l'appui du réci t, ce travail ne peut offrir
qu'un m~diocre intérêt. Toutefois, il m'a paru bon de con­
est permis de le dire, de rajeunir la tradition,
server, et, s'il

car elle s'altère:et se perd .
Un jour de l'été dernier ... comme le ITlendiant qui se tient
au bord du chemin et sollicite l'obole du passant, je suis
allè m'asseoir à l'ombre des hêtres à l'entrée de l'allée de

Prat-an-Rous. A chaque paysan revenant du marché de
Quimper et parlant le français, je demandais ce qu'était
Tanguy. J'ai recueilli une vingtaine de réponses:
Selon les uns, Tanguy était un honnête journalier du
oisinage, condamné injustement; .
Selon d'auùes : un ouvrier de la ville qui étant venu
chercher des luees ou des noisettes dans le bois ... fut tué en
cet endroit;
Selon d'autr9s : un homme qui avait tué son ami par
colère ou par jalousie;
. Selon d'autres encore: un homme qui s'est pendu à un
arbre du talus voisin .; .
Enfin un autre, mais un seul, m'a dit: « Tanguy était
« un usurier qui ruinait le pauvre monde. »
La seconde opinion ne se soutient pas : Si Tanguy eut
été assassiné, la sépulture dans le cimetière chrétien ne lui
eût pas eté refusée. .
On ne peut s'arrêter non plus aux deux dernières : les
Tanguy n'auraient pas honoré la tombe
- conternporains de
dJun suicidé ni celle d'un usurier.
Restent seulement en présence les deux traditions que
j'ai rapportées et entre lesquelles il faut choîsir.

Mais à cette question: « Pourquoi plante-t-on des croix
- « sur sa tombe 1 » La réponse était unanime : « Là on
« guérit de la fièvre.» Une femme plus explicite m'a même
dit: « Là, il se fai t des miracles. » -

Ainsi que Tanguy ait été condamné' injustement, assas­
. é meurtrier, suicidé ou usurier, il n'importe! Il est
SIn ., .
bienfaiteur public; des mères désespérant des
devenu le
. s du médecin lui' attribuent la ,Q'uérison de leurs fils; le
som . ' attend de son mterceSSlOn,
Personne n'a jamais vu la tombe sans petites croix. Il y
a même un endroit où l'herbe ne' pousse pas ': c'est la place
que foulent les pieds de ceux qui vienent planter une croix
ou mettre un sou en terre. ·
Il Y a trente-cinq ou quarapte ans, on voyait près de
la tombe,appuyée contre le talus voisin, une croix en pierre
haute de 60 centimètres environ. Cette croix qui n'était pas
fixée au sol a disEaru ; et j'ai vainement fait tailler la haie et
fouiller la douve voisine, sans en rien retrouver .
Il Y a une dizaine d'années, aux premiers jou~s de mai,
un habitant de Rosporden arriva à la tombe portant un .
tronc de bois, muni d'une serrure. Il rassembla des pierres
qui se voient encore éparses sur le sol, et maçonna le tronc
en terre. Il partit ensuite, emportant .la clef, et promettant
de revenir au pardon 'de Penhars, j our de l'Ascension,
c'est-à-dire, environ vingt jours après (1) pour ouvrir le
tronc et remettre l'argent avec la clef à M. le Maire de
Penhars. Mais celui-ci n'attendit pas son retour; il fit
enlever et ouvrir le tronc après ,une quinzaine. La route
.est à peu près dèserte., hors les jours de marché à Quim­
pel'; cependant après deux ou trois jours de marché, le

Maire de Penhars retira du tronc huit frailcs et deux sous,
cent~soixante-deux sous. Je tiens ce récit de M. le Curé

de Penhars et d'un journalier que j'ai employé aux fouilles
de la douve.
La clientèle de Tanguy s'ètend même plus loin que Ros-

. (i) L'Ascension tombe au plus tard le 30 mai.

porden. Je me souviens qu'à mon retour à Quimper, en
1875, j'ai rencontré une femme faisant une priére et posant
. une croix pour obtenir une guérison. Cette femme venait

Châteauneuf-du-Faou .

Les sous posés sur la tombe sont souven t pris par les
enfants du voisinage; mais dans la pensée des donateurs,
ils sont destinés au premier pauvre qui passe. C'est une
sorte de prêt que l'on fait à Tanguy pour les pauvres . .
Un usage analogue existe dans notre cathédrale de SainL
Corentin : Il n'est pas rare que des pains ou même des
morceaux de pain, le denier de la veuve, soit déposés
au pied de la statue de saint Jean Discalcéat, ou le Dé­
chaussé . Ces pains son.t offerts à saint Jean, qui les
donne à son tour, continuant ainsi l'aumône qu'il reçut
et fit pendant sa vie (1). .
Des deux traditions que j'ai rapportées ... laquelle présente
le plus de vraisemblance ~ Tanguy fût-il un assassin re­
pentant ou un innocent injustement condamné? ..

A mon avis, Tanguy fut coupable .
Le récit tant fois répété par la contemporaine des faits et
transmis par un témoin fidèle me semble mériter toute COl1-
fi ance. Tantde détails et si précis ne s'inventent pas.
La procédure suivie contre Tanguy était irrégulière. '
-Comment admettre, si Tanguy n'offrait pas sa vie en expia­
tion, qu'il n'ait pas fait appel de la sentence prononcée
par le haut justicier ~ Le barreau de Quimper a toujours

(f) Saint Jean Discalcéat fut cordelier à Quimper au XIV· siècle. JI est
très-populahe parmi les paysans 'bretons qui" l'appellent familièrement le
petit saint noir (Santic Dû) . et qui l'invoquent, en lui donnant deux sous,
pou r retrouver les objets perd us.
Sa statue. placée derrière le cbœur, provient du couwnt de Saint­
Francois: presque seule, elle a échappé à la destruction qui fu I faite,
le f2' décembre i793, fête. de saint Corentin, des tableaux d'églises et
es de saints, ou selon l'expression du comité de surveillance « des
statu
pagodes prétendues sacrées)) (Séan('e du 27 frimaire, an 2).
Voir recueil déjà cité des délibérations du comité •

, des hommes de cœur et de talent; l'avocat de Tan­
comp e
hl't su ce qu'attestent de nombreux arrêts, que la
o'uy au é:L )
~ t' du parlement était plus circonspecte et moins sévére
us !Ce
en app 'T l" t' t' l ' é d
anguy, comme auralen e e es Jur s e
d repentir de
nOSJ '
, M. Legrand, en recommandant la lecture de la procédure,
disait: « Lisez ' cela, vous n'avez jamais vu rien de plus
« curieux. »
Que pouvait donc révéler cette procédure 1 Ce n'était pas
la preuve de l'erreur judiciaire; en effet, cette preuve,
l'hypothèse de l'innocence admise, ne pouvait résulter que
la procédure suivie contre le véritable meurtrier .
Ce qui semblait si eurieu:.c à M. Legrand et ce que lui
révélait le dossier de Tanguy, c'était cette pénitence accep­
tée avec résignation, poursuivie courageusement pendant
trois longues années et couronnée par l'acceptation volon-
taire d'une mort ignominieuse! .
N'est-ce pas aussi ce qui a frappé l'imagination
populaire '?
Aux yeux de ses contemporains, la sincérité du repentir
de Tanguy attestée par la rigueur de l'expiation, a, sinon
atténué l'horreur du crime; ils ont eu
effacé, du moins

pitié, ils ont pardonné.
L'inhumation en terre sainte était refusée au supplicié;
ils ont voulu que la, croix défendit la sépulture du repenti;
ils ont commis à leurs enfants, comme l,ln legs pieux, le
soin d'honorer sa tombe. .
Ceux-c~ dans le cours du temps ont fait plus : ils ont
oublié le crime, ils ont fait du meurtrier une victime inno­
cente, un martyr de l'erreur ou de la cruàuté; et ce martyr
ils l'invoquent presque à l'égal de leurs saints.
Concluons donc que pour les contemporains de Tanguy

ces honneurs posthumes ne furent pas une protestation
contre une sentence injuste; ils avaient un sens plus chré-"
tien: ils étaient .. pour les rudes mais religieux habitants
des campagnes, la glorification du repentir et de la
pénitence.
A ceux qui s'étonneraient et se scandaliseraient de cette
pourrait-on pas répondre :
manifestation populaire, ne
Combien de fois dans le cours des âges l'église, à laquelle
seule il appartient de juger en pareille matière, a-t-elle
glorifié et placé sur ses autels des coupables repentants f

Le Rédempteur mourant sur la croix n'avait-il pas promis
au repentir tardif du bon .larron ~
le ciel

Mais j'entends l'objection: comment la tradition s'est-elle
~. Ce n'est pas d'aujourd'hui que
depuis si longtemps altérée
Tanguy est représenté comme l'innocente victime d'une
déplorable erreur. Dès le commencerÎ1ent du siècle une
vieille domestique qui avait servi dans la maison des deux
sénéchaux de Silguy (1) représentait Tanguy comme un
est permis de croire
innocent. injustement condamné. Il
qu'elle était bien instruite .. puisqu'elle avait pu entendre ce
récit de la bouche de sef;> maîtres, mieux placés que per-
sonne pour savoir la vérité. Elle méme était presque con­
temporaine des faits, et le premier des sénéchaux de Silguy
exerçait probablement ses fonctions vers le temps de la
condamnation portée contre Tanguy .
. Ainsi, il y a quatre-vingts ans, ces deux traditio?s exis­
taient l'une auprès de l'autre. La seconde a prévalu: au-
jourd'hui l'innocence de Tanguy est généralement s~non
unaniment admise ... Comment e~pliquer que l'esprit pu­
blic ait ainsi pris le change~ ...
Je ne prétends pas imposer mon avis; et je reconnais
bien volontiers qu'en l'absence de tout acte de procédure ..

(f) Le premier exerçait ses fonctions avant f 740 .

une s0ule pièce pourrait donner la solution du problème.
ce serait l'acte de décès de Daniel!ou. .
Quelque opinion que chacun de nous embrasse sur cette
mot de cette
traaique et mystérieuse histoire, le dernier
étude sera celUI que tant de générations ont déjà. répété:
respect à la tombe de Tanguy, pitié à. sa (mémoire et paix
a son âme! _

Je m'arrête ..... Il en est temps! Un jour, si vous le

voulez bien, nous continuerons cette promenade jusqu'au
château de Pratanras, à. deux kilomètres au·delà. de la
tombe de Tanguy. Ce château. a été à. la fin du dernier siè­
la demeure de M. de M adec, dernier « sergent féodé de
cle
« la cour des Regaires de Cornouailles.» Chemin faisant
nous rassemblerons quelques traits de l'histoire des S~r-
gents jéodés.

BULL~TIN DE LA Soc. ARCHÉOL. DU FINISÙSE. TOIIR IX ;)