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Société Archéologique du Finistère - SAF 1938 tome 65 - Pages 119 à 122
L'EVOLUTION DE L'AIGLE HERALDIQ"CE
DANS LA PRESQU'ILE DE CROZON
A propos d'une clef de voûte
aux armes de Trébéron -Poulmic
Dans une note de 1928 (1), j'ai décrit une clef de voûte en
~Tanit provenant de l'ancien manoir de Poulmic (commune
de Lanvéoc) et qui porte les armes de la famille de Trébéron.
J'ai cru pouvoir dater cette clef de voû te de la fin du XIIIe siè
de. L'aigle héraldique que contiennent les armoiries qu'elle
porte s'inspire nettement des formes du cormoran, oiseau
·commun sur les côtes de Bretagne.
D'autre part, sur une pierre tombale du xv' siècle existant
à l'église de Crozon et portant aussi les armoiries de Trébéron
.qui ont été identifiées ici même par M. H. Daniel, l'aigle
héraldique, tout en conservant encore certains caractères
particu liers de celui de la clef de voûte de Poulmic, se
't'approche déjà beaucoup plus du type classique de cet em
blème, notamment par la forme de la patte qui est nettement
·devenue celle d'un rapace et la stylisation de la queue.
Les travaux de démolition du manoir de Poulmic ont, en
·ces dern ières années, fait découvrir une seconde clef de
voûte également en granit et dont l'âge paraît être intermé
--diaire à ceux des deux documents précédents, vraisemblable
ment le XIV· siècle. Cette clef de voûte porte les armoiries de
(i) R. Anthony, A propos d'une clef de voitte aux armes de la maison
· de Trébéron: l'évolution d'un aigle héraldique dans Bull. Soc. arch .
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Tn\béron associées à d'autres armoiries qui semblent n e
pouvoir être qu e celles des seigneu rs de Poul m ic (1). Je'
propose de lire le blason de la manière suivante ; Ecu mi
parti de Trébéron (d'o r à un aigle de sable déployé et à simple'
tête) et de Poulmic (échiqueté d'argent et de gueules).
L'aigle h éraldiqu e de cette seconde cl ef de voùte est exac
tement du même type que celui de la première. avec cepen dan t quelq ues diITérences :
J O les barbelures de la tête, du cou et d es ailes ont disparu,
alors qu 'e lles ont persisté, au contraire, sur la pierre tombale·
moins ancienne de l'église de Crozon;
:l0 par l'incurvation et le relèvement d e ses rectrices laté
r ales, la queu e présente déjà un début très net de la stylisa-·
lion complètement réalisée sur l'aigle de la pierre tombale ;.
3° la patte enfin pL'ésente des caractères extrêmement
curieux. Comme dans la première clef de voùte, les rayons.
digités sont étendus sur le m étatarse, écartés et munis d'une·
palmature; mais, alors que dans la première clef de voùte.
ces rayons sont au nombre de quatre tous réun is dans la
palmature (caractère du cormoran), ils ne sont ici qu'aLl
nombre de trois, le rayon 1, c'est-à-dire le rayon interne ou
pos térieur (hallux) n'étant pas représenté.
Je n e crois pas qu'il faill e rapprocher cette disposition d e
ceBe de la patte des oiseaux qui , possédant une palmature,
n'ont en même temps qu e trois rayons digités (II. lIT, IV),
le rayon 1 étant absent ou tellement réduit qu'on peut,
pratiquement. cons idérer qu'il n'exi ste pas. Ce sont des.
form es ou complètement étran gères à notre faune, ou dont
la présence n'est constatée sur nos côtes qu 'à titre tout à
(i) Voir Pol Potier de Courcy, Nobiliaire de Bretagne , 3
éd it. i890,
t. Il, p. 425 ... « Poul mic (de), sieur dudiL lieu, de Kerverm evE'z, n e ·
Kerampro\'ost et de Lescoat. par. de Crozon ... Echiqueté d'argent et de
gu eules ... ". La terre de Poulmic fut érigée en mal'qlli~at en 1651, en ,
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fait exceptionnel, ou, enfin, si peu répandues qu'on n'a pas
à supposer que le sculpteur ait pu s'en inspirer, Mais, il est
d'autres oiseaux très communs sur les côtes de Bretagne, les
laridés par exemple, goëlands et mouettes, dont le rayon 1
de la patte, bien qu'existant, est extrêmement réduit. C'est
vraisemblablement de ces formes que s'est inspiré le sculp
teur. Si le rayon 1 ne se voit pas SUl' la pierre, c'est sans doute
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Pour passer de la patte de J'oiseau figuré sur la clef de voûte
aux arm es de Trébéron-Poulmic à une patte d'aigle, il suffi
rait de changer l'orien tation des rayons digités II, III, IV, par
rapport au métatarse, de supprimer la palmature, et de repré senter un rayon 1 bien développé s'apposant aux trois autres
rayons . C'est ce que J'on voit exactement sur la pierre tombale
de l'église de Crozon.
Nous sommes donc maintenant en possession de trois sta des successifs nettement caractérisés de l'évolution, non seu
lement dans une région géographique limitée, mais dans les
mêmes armoiries, d'un emblème héraldique qui n'est devenu
un aigle qu'après s'être inspiré d'oiseaux très différents, le
{;ormoran d'abord, peut-être le goëland ensuite, mais dont
la forme était plus familière que celle de J'aigle aux habitants
dn pays.
R. ANTHONY .
DEUXIÈME PARTIE
Table des mémoires publiés en 1938
PAGES.
1. Le clergé regulier dan s le Fini stère en 1790 (suite
et fin ), par Dani el BERNARD . . . . . . . .. 3
Il. Un petit hôpital de Basse-Bretagne du XIV' siècle.
à nos j ours. L'Hôpital de Monsi eur Saint Yves
à Saint-Renan. par le D' L. DUJARDIN
III. L'évolution de l'aigl e héraldiqu e dans la presqu'île
de Crozon. A propos d' un e clef de voûte aux
armes de Trébéron-Poulmic, par M. R. ANTHON Y. 119