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Bulletin SAF 1937


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Les Bretons et la taille à Paris sous Philippe Le Bel

R. Couffon

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1937 tome 64 - Pages 45 à 49

Les Bretons et la taille
à-Paris .sous Philippe Le Bel
Les Bretons, tan t d'Armorique que de Grande-Bretagne,
n'avaient pas au XIIIe siècle très bonne presse auprès des

Français (1 ). Ceux-ci ne cessaient de les gratifier de leurs
quolibets 1:1 ), et les rangeaient dans la plus basse des
quatre catégories connues de l'espèce humaine et m ême
animale.
Ainsi, dans le Livre des secrets aux philosophes, Timeo,
enseignant à son disciple Placides tout ce qu'un laïc devait
alors savoir, lui apprend que le tempérament mélancolique,

le plus mauvais,. est propre aux Bretons, aux Ecossais, aux
Gallois, aux Irlandais, ainsi qu'à certains animaux tels
qu'écureuils, lièvres, renards, serpents et autres bêtes
sauvages sans graisse, comme hél'Ons, butors et autres
volailles « dont les chairs sont mal apétissans à mengier sans
avoir aultre ayrun, si comme ciboules ou oignons frica ssez
ou aulz Il (3). Il ajoute que l'on doit se garder de gens de tel
tempérament et tout particulièrement les dames, quand elles
(i) H. Waquet. Les Bretons de Paris au ~foyen-Age, dans Bull. de la
Soc. arch. du Finistère, 193q" pp. XIII et suiv.
(2) Principalement au slIjet du roi Arthul' qui, selon les Brelans,
attendait ( lans l'île d'Avallon l'heure fixée par les dl'stins pour revenir
ail milieu de son peuple; tandis que les Français le prétendaient dévoré
par le grand chal ChapaJu.
(a Bibl. Nat., pp. 2t2 el 19.958 et Bibl. de Rennes, ms, 593.
Ch.- . Langlois a démontré à ce sujet que le dialogue original était
antérieur à f303. Voi.r Ch.-V. Langlois, La connaissance de la nature
'et du monde, Paris, t 927.

se marient ou (( quand elles vœ ll ent faire amy)), cal' « de
malenco lieux ne pœ ull ja venir fors Lous maulx)) ( 1) .

II n'es t donc pas étonnant qu e les pa uVl'es Bretons de
Pa ris n"aient été également jugés aptes ,"'par leurs hô tes
indulgents, qu 'à des besogn es de voirie fort inféri eures. telles
qn e faire des balais OU '" ouvrer la fosse " (:1).
Lorsqu e l'on sait qu el. éclat jetaient alors nombre d'entre
eux sur l'Université et partic ulièrement sur l'enseignement
de la théologie, le parti-pris de pareils brocards est évi-

dent (3) ; toutefoi s n' est-il pas sans intérêt d'examin er,' à la
lu elJr des rôles de la taille, quelle était à Paris, à la fin du'
XIIIe siècle, J'importance de la colonie armoricaine et quell es
professions exerçai ent alors en réalité ses, m embres dti

Tiers-Eta l.

Les deux rôles de 1292 et 1313, qui nous sont parvenus,
donn ent, à cet égard, des l'enseignements concordants;

mais, le premier étant le plu s détaillé, c'est sur lui que nous
nous appuierons principalement (4).
Il mentionne 28 2, ~eux bretons, représentant, à 6 ou 7 per­
sonnes en moyenne pai' fell, 1.900 Bretons environ (5). Il
faut y joindre les nobles, en petit Ilombre, exel'llpts de la

(1.) L'auleur des Ru~s de Paris en vers professe le lJ"lê .me scntim~nt à
l'~gard des Bretons: .

« Contreval la Bretonnerie

M'en vins plein de mélancolie ».

publié pal' H. Géraud dans Paris sous Philippe Le Bel, Paris, :1837.
\2) H. W aquet, loe. eit. ' ,

(3) P. Glorieux, Réperioire des -maîtres I1n théologit de p,aris au
XlII· siècle, Paris, Vrin, :1933. : ' "

(4) Ces deux rôles ont été publiés, le prflmier par. H. Géraud ;··dans
Paris sous Philippe Le Bel, loc. cit. ; le second par Buchon, L~ livre,
de la taille de Paris en 1313, paris" :1827" , . , .

(5) Le coefficient 6,7 est 'adopté par Guérard. ' D'aillrurs"suiva'nt le
calcul de Géraud, Pads comptait alors 2:15 000 habitants environ, dont
taille, les clercs , au contraire forln ombreux , et les indi .,
vidu s trop pauvres pO ll!' être contribu abl es ce qui, sui va nt les
statistiques ordin aires , vient d o u bler approxima tivemen t le
chiffre des feux et conduit ain si à un total d e 3.800 Breton s
envi ro n sur les ~ 15.000 habitants qu e comptait approxima­
tivement Paris à celle époqu e (1).
Sur les ~8~ chefs de feu x bretons mentionn és, 272 portent
les qu alificatifs de : Le Breton, de Bretaig ne, La Brête lors­ qu'il s'agit d'un e femm e, qualificatifs prouvant n ellement
leur o rig ine arm ori caine. 11 ne peut y avoir en effet au cun e
confu sio n avec les ori ginaires de la Grande-Bretag ne, qu a­ lifiés de : L'An glllis, Le Scot, Le Galois , de Co rn o ua illes, de
Londres. . .
Sur les dix Breto ns restants, huit portent l'indication de
leur ville d'o ri gine : deux Le Nantier (de Nantes), deux de
Lamballe, un de Vann es , un de Quintin, un de Guingamp,
un de Chasteaulein ; enfin no us trouvons un Budes et un de
Guern eles (2) . En 1313, deux sont dits de Va nnes . deux
autres de Rohan et plusieurs surn om s apparaissent: Hervé
Le Breton dit Bon-Repos , Yves Le Breton dit de Saint­
Den ys , elc.
Si m ain ten an t l'on rech erch e où résidaient ces Breton s ,
on voit que, bi en que certain. es pa roisses n'en menti onnent
pa s un seul, il s étaient dispersé8 un p eu pa rt out. On peut
cependant distin g uer trois centres de rassemblem ent: l'un
en la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, où se .trouvait
la Petite Bretagn e ; le second dan s les paroisses Saint-Merri
et Saint- Gervai s, où se trouvait l'a ncienn e Bi'etonneri e, enfin
le troisième, sur la rive gau che, en Saint-Séverin. Dans
le. second centre, par exemple, . 5 des 13 con tribu ables de la

if ) Y compris les ~trangers, parmi lesquels ifS Lon i bard s,' les 'Fla­
manris, les Allprnands et les Anglais étaient en nombre.
(2j ;\'ous n'avons pas compté ëë lix melïlion'nés de Saint-Pol, de M onl­

rue du Plâtre sont Bretons, 9 autres résident dans la rue
Peronnelle de Saint-Pol « fendant en la rue du PIastre de
part et d'autre n, et 13 au Bourc-Tybourt.
Examinons maintenant quelles professions ils exerçaient.
Sur les 282 Bretons imposés à la taille de 1292, 103
seulement ont leurs professions indiquées et réparties ainsi
qu'il suit:
[ ampoliceur (polisseur). [armurier. 2 basenniers
(marchand ou apprêtenr de peaux de moutons). la ba­
chiers (3 marchands de bois à brûler, 4 mesureurs de bûches,
3 porteurs de bûches). 1 chapelier de feutre. ( chau­
meur (marchand de paille ou couvreur en chaume).
8 cordonniers (cordonnier, savetier, sueur). 3 crieurs
(dont. le maître des crieurs). 2 drapiers. 3 écrivains. -
1 estuveur (pl'Opriétaire d'un établissement de bains. -
1 ranier (marchand de foin). :.l formagiers (marchand de
fromages). 2 forniers (garçon boulanger). 4 fripiers . -
1 lavandière. 1 marinier. 1 mesureur de sel. 1 orfè-
Vl'e. [parcheminier. 1 passeur. 1 peintre. 2 pel-
letiers. 2 porteurs d'eau. - 1 portier. 1 procureur. -
[ recouvreUl' (couvreur). 3 regratiers (revendeur de sel,
pain et menues denrées). 1 sellier. 5 sergents (huissiers
et gendarmes). 1 serrurier. - [0 tailleurs (tailleurs de
robes, ch au ciers) (1). 1 tailleur de pierres. 1 tapicier.-
9 tavemiers (sur 86). 8 tisserands (sur 82). 2 tondeurs.
- 1 tuilier. 1 usurier. 4 valets.
Ce tableau montre éloquemment que les Bretons embras­
saient à peu près toutes les professions, mais qu'ils avaient
toutefois une préférence marquée pour celles de bûchier,
cordonnier, tailleur, tissserand et tavernier, tout particuliè­
rement pour la dernière. En 13 [3, le nombre des taverniers
bretons était passé à 20, celui des armuriers à 3, celui des

rani ers il 5 . celui des p elle ti ers à 7 et l'o n comptait un
ouvri er en dril p d e soie et 1 o lliJlaier (fabri ca nt d'oublis).
Si pour termin er, l'on exa min e les différentes cotes d e
la Laille, l'o n tl'Onve qn'elles va riaient d e 1 2 deni ers à
114 livres , cette dernière contribution, payée pal' un
Lombard , étant d'a illeurs excep ti onn elle Le plu s imposé des
Bretons (dont la profession n'es t pa s indiqu ée) était ta xé
à 25 livres et dépassé seulem ent par 27 contribnabl es .
Beauconp de commerçants breton s payaient de 4 à 8 livres,
chiffres d éjà fort élevés et indiquant un commerce important ;
nous voici loin des fabricants de balais 1
Ces qu elques données vienn ent don c pleinem ent confirmer
la malice avec laquelle le~ Parisiens portaient au xm" siècle
leurs jugem ents sur les Bretons et les An glais. Ceux-ci le

leur rendaient d'ailleurs bien , ainsi qu'en témoign e, par
exempl e, le portrait peu fl a tteur tracé d'eux par Geoffroy
Vinsauf et rappelé récemm ent par M. Faral ( 1 ).
R. COUFFON .

(1 ) E. Faral. "fodes et manières de l'an 1200. Discours prononcé en
:1.936 à la séance publique annuelle de l'Académie des Inscriptions et
Belles-LeUres.

DEUXIÈME PARTIE
Table des mémoires publiés en 1937
PAGES
1. L'Instruction sous l'Ancien Régime dans les limi-
les du Finistère actuel (suite), par 1. OGÈs .. 3
II. Les Bretons et la taille à Paris sous Philippe Le
Bel, par R. COUFFON. , . . . . . . . . ., 45
III. Les nécropoles préhistoriques de Lannoulouarn
et de Kerégan en Plouguin, par 1. L'HoSTls.. 50
IV. L'élection des députés du Finistère à la Convention
nationale, procès-verbal de l'assemblée élec-
torale, publié par J. SAVINA .
V. Le clergé régulier dans le Finistère en 1790,
D. BERNARD. . . .

QUIMPER - IMPRIMERIE Mme BARGAIN

par