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Bulletin SAF 1937


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L’Instruction sous l’Ancien Régime dans les limites du Finistère actuel (suite)

L. Ogès

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1937 tome 64 - Pages 3 à 44
L'instruction sous l'ancien régime
dans les limites du Finistère actuel
(suite)
LES ECOLES A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION
Il semble que les arts et l'instruction aient été liés assez
-étroit.ement. Après le premier quart du XVlIl' siècle, l'art
breton était à son déclin et ne produisit plus rien de remar­
quable. Cette décadence n'est-elle pas dûe à un abaissement
du niveau intellectuel, abaissement imputable lui-même à
la situation économique de la Basse-Bretagne?
Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, le commerce
maritime des ports bretons languissait. l'industrie de la toile
était en décadence; les grains, accaparés par de riches com­
pagnies, étaient expédiés à l'étranger; les denrées de première
nécessité étaient très chères; de misérables salaires de 5 à
6 sols par j our étaient insuffisants pour faire vivre une
famille ; les impôts étaient devenus excessifs . Pour comble,
les seigneursrésidaient généralement à Paris où ils dissipaient
leur fortune; il leur fallait de l'argent: les anciens droits
féodaux, allégés ou tombés en désuétude, furent de nouveau
appliqués avec rigueur et pesèrent lourdement sur les cam­
pagnes. Les loyers ayan t augmen lé dans de fortes proportions,
les paysans voulurent suffire eux-mêmes au travail de la
terre et congédièrent journaliers et domestiques, d'où
chômage et misère dans de nombreuses chaumières. Sur la
côte, les riverains pauvres vivaient de la vente du goëmon
aux paroisses éloignées du littoral: un édit royal interdit la

sortie du précie u)( engrais hors des territoires maritimes,
tarissant ainsi les ressources de toute un e population.
L'enquête sur la mendi cité, faite en 1774 par Mgr de la
Marche, révèle une situation économique très grave. M. H.
Sée évalu e à 3 [ %' soit près du tiers de la population, le
nomb re des nécess itelH ( [ ). Les cahiers d es doléances de
1789 no us apportent l'écho de cette détresse . « La misère
détruit beaucoup d e nos enfants, faute de pain à leur donner
et de vêtements pour les couvrir ~ , lit-on dans le cahier de
Spézet; a quand nous avons payé to utes les charges qui nous
incomben t, à peine nous reste-t-il de quoi vivre bien
durement et n ous vêtir de la grosse toile qu e nous faisons
pour la plupart, n'étant pa s en état d'avoir un peu de laine
sur le corps ~ .
Cette situa tio n eut une fâcheuse répercu ssion sur l'instruc­
tio n de la j eunesse. Les revenus paroissiaux étant déficitaires.
de nombreuses écoles furent fermées faute de ressources
suffisan tes pour fon ctionner et aussi faute de maîtres . Ceux­
ci en e ITet n p, pouvaient plus vivre de leur profession, les
familles en état de payer la rétribution scolaire se faisaient
de plus en plus ra res . Le recrutement des maîtres laïcs
devint diffi cile dan s les ca mpagn es .
D'autre part, les prêtres suffisaient à pein e au service
paroissial. Leu r nombre avait considérablement diminué
par suite de la crise économique qui sévissait durement dans
les classes l'Ilrales où se recrutaient les membres du clergé.
L'évêché de Léo n n 'avait plu s que quatre-cents prêtres,
alors qu e d'anciens états portaient ce chiITre à mille si)(­
cents (2) . En Cornouaille, la situation était plus grave encore;
(1) H. Sée, Misère et mendicité à la fin de l'A ncien régime (M émai res
de la Sociéte d' histoire de Bretagne, 1925). Cf. H. Kerbiriou,
J lfgr de la ilfarche, p. 148 et suivantes. '
(2) ~emoire de l'abbé Pey ron, ancien principal du colli'ge de Saint­

l'évêché, beaucoup plus étendu que celui de Saint-Pol, ne
:omptalt qu'environ quatre-cent-cinquante prêtres, presque
tous d'origine roturière (1) . A Crozon, le service de l'église
et des chapelles était jadis assuré par vingt prêtres; à la
veillt;l de la Révolution il n 'en restait plus que quatre. Le
:ahier des doléances de Pont-Croix réclame l'abolition
des communautés ecclésiastiqlJes et demande que leurs
membres « soient employés au service des paroisses des
campagnes où l'on se plaint de la disette de prêtres)J.
Les prêtres - instituteurs fu ren t partout moins nombreux.
Dans sa tournée épiscopale de _1782, sur cinquante paroisses
visitées, Mgr de Saint-Luc ne meutionne que dix-huit prêtres
faisant ou ayant fait les petites écoles.
Les écoles secondaires, elles aussi, périclitent. Le collège
de Quimperlé a disparu depuis le début du XVlll

siècle;
:clui de Morlaix cesse de fonctionner en 1760 ' ; le collège de
Quimper n'a plus que quatre cents élèves. En 1774, le
recteur de Spézet notait sur le registre de la Fabrique que,
dans sa jeunesse, les étudiants de sa paroisse étaient plus
nombreux. c( J'ai vu jadis, écrivait-il, jusqu'à seize écoliers,
y compris les tiques (2) (laïcs), à Quimper ou à Plou­
guernével l) .
La situation est telle qu'en 1787,le Bureau ecclésiastique du
diocèse de Cornouaille, « considérant avec douleur la grande
disette des prêtres qui menace les fidèles de ce diocèse d'être
privés des secours spirituels ou de ne les avoir que diffici­
lement; considérant de plus que le petit nombre des sujets
qui fréquentent le collège ne laisse guère d'espoir de voir
augmenter dans peu les ministres de l'Evangile», décide de
:réer dans différents cantons, des petites écoles, et d'accorder

( i ) J. Savi na Le clergé de Cornouaille à la fin de l'ancien régime,
p. 38.
(2 ) Liques. mot breton désignant les étudiants laïcs, d'où le nom de

aux prêtres qui y enseigneront, une somme de 200 livres par
an, à payer par le Receveur des décimes du diocèse (1) .
. En application de cette décision, des écoles furent créées à
Pleyben, à Pont-Croix et à Pont-l'Abbé; celle de Pont-l'Abbé
ne paraît pas avoir fonctionné.
Dans le Léon, grâce à la sollicitude éclairée de Mgr de La
Marche, le mal fut moins grand. Des récompenses, montant
annuellement à 2.400 livres étaient distribuées aux prêtres
qui préparaient des élèves pour le collège de Saint-Pol.
Trente bourses étaient accordées aux écoliers pauvres, les
parents de ceux-ci étaient même indemnisés du manque à
gagner de leurs enfants. Chose admirable pour l'époque,
aucune contrainte n'était exercée sur les boursiers pour les
faire entrer dans les Ordres.
Cependant, le collège, rebâti par les soins de Mgr de
La Marche et assez vaste pour contenir mille élèves, ne
pouvait en recruter que quatre cents.
Les cahiers de doléances de 1789 marquent très nettement
le déclin de l'intruction au XVIIIe siècle. Presque tous
passent sous silence la question de l'enseignement populaire.
La misère était telle que les populations ne songeaient, dans
leurs revendications, qu'à ce qui pouvait améliorer leur
malheureux. sort; il semble qu'à cette époque de vie difficile,
l'instruction apparaissait comme un luxe trop dispendieux.
A Quimperlé, cependant, les cahiers de la bourgeoisie
demandent le rétablissement du collège qui y existait chez les
Bénédictins soixante ans auparavant. Le cahier des notaires et
procureurs fait remarquer que la situation topographiqu e de
la ville permettrait de recruter un effectif suffisant dans la
région voisine, «( d'autant plus que les villes de Lorient, de
Port-Louis, d'Hennebont, Pontscorff, Guéméné, Pondaven,
Le Faouët, Gourin, Carhaix, bourgs et paroisses considé-

rables, fourmillent de sujets privés d'éducation par leur
éloignement des collèges, entre lesquels cette ville tient le

milieu» .
Le cahier des « négociants, marchands et notables de la
ville de Quimperlé» suggère « qu'il soit présenté à MM. de

l'Abbaye de Sainte-Croix ou aux Supérieurs majeurs de leur
maison, un mémoire qui demande que, sur cinq à six religieux
qui composent leur maison dans cette ville, il en soit choisi
trois qui sacr'ifient leur temps à l'éducation de la jeunesse, au
moins jusqu'au niveau de la troisième ; ils procureront un
grand soulagement aux pères de famille dont l'aisance ou
plutôt la m édiocrité ne, permet pas de se sacrifier pour leurs
enfants. Qu'il soit en conséquence demandé aux Etats lettres
patentes de Sa Majesté qui portent établissement de l'éduca­
tion susdite à commencer le plu s tôt possible» .
L'Assemblée générale des représentants des sénéchaussées
de Carhaix, Châleaulin, Châteauneuf, Gourin et Quimperlé,
assemblée tenue à Carhaix, demande (art. 33) « qu'il soit
établi un second collège dans l'évêch é de Quimper, soit à
Carhaix, soit à Quimperlé» .
Les cahiers de Plouguer et de Plounévéze l, paroisses
voisines de Carhaix, sollicitent « l'établissement de petites
écoles pour l'éd uca tion de la j eunesse et des' mœurs dans les
villes voisines des paroisses» .
La corporation des maçons et tailleurs de pierres, celle des
tailleurs et tisserands de Quimperlé, les comparants de
Bannalec, de Saint-Thurien, de Melgven, de Loperhet. de
Primelin, demandent c( la suppression des dons et gratifi­
cations accordés pour l'entretien des maisons d'éducation
pour les gentilshommes et les demoiselles de la noblesse, et
des pen sions qui leur sont accordées dans ces maisons ».
Un article du cahier des doléances du clergé de Cornouaille
demande que les J ésuites chargés de l'instruction dans les

reçoive la charge de l'instruction publique s'il ne dépend de
l'ordinaire)) (1).

Dans chaque paroisse, le cahier des doléances fut, en
principe, rédigé par l'assemblée des hommes âgés d'au
moins vingt-cinq ans et inscrits au rôle des contributions. Le
nombre des comparants ayant signé permet de se rendre
approximativemen t compte du degré d'instruction des
habitants.
Toutefois les renseignements fournis ne sont pas sûrs. Il
est bien certain que tou s les gens du peupl e qui savaient

signer ne l'ont .pas fait, soit qu'ils n'aient pas participé à la
rédaction du cahier. soit pour tout autre motif. Le cahier des
doléances de Cléder ne porte que seize signatures alors qu'en
1790 une pétition demandant le renvoi d'un instituteur
indésirable, est revêtue de la signature de trente-cinq
électeurs. A Primelin. sur mille h abitan ts , vingt-huit seu­
lem ement ont signé ; or, un rapport du directoire du district
de Pont ·Croix daté du 12 pluviôse an III dit: « Primelin a
été de tout temps porté pour l'instru ction de la jeunesse.
Presque tou s les citoyens de cette commune savent lire,
écrire et parler fl'ança is » .
Un relevé général du nombre des signatures permet
toutefois de faire d 'intéressantes remarques sur l'inégale
répartition de l'instruction dans les diverses régions du

Finistère (2) .
Le Léon devançait très nettemen t la Cornouaille. Tous les
délégués désignés pour la rédaction du cahier général des

(i ) H. Kerviler, La Bretagne pendant la Révolution. (Société des
bibliophiles bretons, i9i2).
(2) Ces signatures sont souvent informes et, dans une assez forte
proportion, tracées en majuscules d'imprimerie.
Les cahiers de la sénéchaussée de M orlaix n'existbut pas aux Archives
départementales. .

doléances dans les sénéchaussées de Brest et de Lesneven ont
signé la délibération alors que dans la sénéch aussée de
Quimper la propo rti o n des délég ués illettrés était de 16 %
et dan s la sénéchaussée de Concarneau, de 20 %. Or, on
sa it que les délég ués étaient c hoisis parmi les électeurs les
pl us in struils.
Dan s le Léon, les paroisses où l 'instruction était la plus
répandu e, étaient celles du pays (c julo t ,) où les paysa n s
j o ui ssa ient enco re d'un certain bien- être ; à Saint-Thégonnec ,
le cahier des doléa nces est signé de quarante· huit électeurs;

celui de Sainl- Vou.gay porte quatre-quatre signatures, celui
de Sizun quarante-et-un. celui d e Plouescat quarante, celui
de La Martyre trente-d eux . La paroisse la plus ignorante
paraît être Guissény : douze signatures.
Diln s la sénéchaussée çl e Brest. la proximité du port
militaire entretenait un état d'esprit favorabl e à l'in struction.
Le cahier de Ploudalmézeau porte soixante-trois signatures ;
celui de Saint-Marc cinquante, celui de la toute petite
commune de Guipronvel en porte trente-deux, celui d'Oues­
sant vin gt-deux.
Dans la Cornouaille, la masse du p euple est à peu près
illettrée ( 1). Les $ignatnres sont cependant assez n ombreuses
dan s les paroisses du Cap-Sizun , où. de tout temps, lïns-
. truction fllt e n honneur; Cléden (soixante-cinq signatures)
es t la seule paroisse du Fini s tère où tou s les comparants
aient signé la délibération. Le cahier de Plougastel-Daoulas
porte cent-quinze sign alures ; aucune autre paroisse n'ap-

proche de ce chiffre. Par contre, les cahiers de la région
quimpéroi se, des sénéchaussées de Concarneau, Quimperlé,
Carhaix. Châteaulin, Châteauneuf. offrent à peine quelque's
signatures et dénotent une grande ig norance. On ne relève
que sept sig natnres à Ergué-Armel, quatre à Penhars, à

(1) Sa vina et I:lerna rd, Cahiers des doléances des sénéchaassées de

Fouesnant, à Pel'guet (Bénodet) et à Gouesnac'h, une à Baye
et à Locunolé. Les région s avoisinant Carhaix et Châteauneuf
semblent mieux partagées ; les cahiers de Châteauneuf
portent trente -huit signatures, ceux de Commana trente-

deux. de Plounévez- du-FaiJu vingt- sept, de Plouguer dix-
huit, de La Feuillée quinze. Les cahiers des au tres paroisses
de l'Argoa t n'oITrent qn'un n ombre infime de signatures.
Dan s les villes, Je mal était heureusement m oin s grave;
la situatio n économique y était meilleure que dan s les
campagnes. A Quimper, sept ou huit maîtres tenaien t école ;
le couvent des Ursulines était prospère ; le collège comptait
encore pl us de quatre·ceu ts élèves. A Brest, l'effectif de
r école des Frères demeurait très élevé et quinze ou seize
maîtres privés dispensaient un enseignement qui s'élevait
parfois au niveau des humanités.; A Morlaix, quinze maîtres
d'école exerçaient encore en 1789.
En somme, à la fin de l'ancien régime, l'in struction du
peuple était en régression très n ette, particulièrement dans
la Cornouaille, où cependant circulaient, comme du reste
dans le Léon et le Trégorrois, les œ uvres des encyclopédistes
qui préparaient la Révolution . De moins en m oins nombreux
d evaient être ceux. qui pouvaient les lire et les comprendre.
ECOLES DE FILLES
Jusqu'à n os jours, l'instru ction des filles a éL é plus
négligée que celle des garçons . II était jad is d'opinion
courante que les femmes , dont l'affaire est de tenir la maison,
n'avaient pas besoin d'instruction. Molière exprimait l'opi­
nion de son temps lorsqu'il fai sait dire à Chrysale qu'une
fem me en sait toujours assez:
« Quand la capacité de son esprit se hausse

Les paroisses ne pouvaient généralement pas entretenir
deux écoles; la fréquentation d'une même classe par les
enfants des deux sexes étant interdite par les évêques, les
filles étaient sacrifiées.
Au XVIIe siècle, l'initia ti ve d'une école spéciale a u x filles
fut prise par la célèbre abbaye de Port-Boyal où la direction
du pensionnat fut confiée à Jacqueline Pascal. Le but des
écoles de filles fut de former des femmes sérieuses, modestes,
bonnes ménagères, des chrétiennes d'une vertu éprouvée.
Fénelon a fixé l'idéal à atteindre dans son gracieux portrait
d'Antiope: « Antiope est douce. simple et sage; ses mains
ne méprisent point le travail ,) ...
Au xvu" siècle, des écoles de filles s'ouvrirent dans les
villes et les centres importants; l'instruction y fut donnée
par des communautés de religieuses: Ursulines, Calvai­
riennes, Filles de la Charité, Dames du Sacré-Cœur, Dames
Paulines, etc. Dans les campagnes, l'instruction était donnée
par les Sœurs du Tiers-Ordre de Saint· Dominique. Assez
rares étaient les écoles tenues par des femmes non religif'.uses.
L'enseignement comprenait la lecture, l'écriture et les
travaux manuels: couture et tricot; partout les exercices de
piété dominaient.
Ecoles tenues par des Ursulines
Les communautés d'Ursulines avaient pour objet l'ins­
truction chrétienne des filles. Elles tenaient génèralement un
pensionna t et instrui saien t gratu i temen t les en fan ts du peuple.
Les religieuses appol'taient à la communauté une dotation
composée cl'argent ou de biens. Les couvents possédaient de
nombreuses propriétés dont les revenus leur permettaient de
vivre et de s'occuper de l'enseignement gratuit des filles ( 1).
(i ) Sur les Ursulines, voir: Pihen, Les Ursulines; Ogee, Diction­
naire des paroisses de Bretagne,. Daumesnil et Allier, Histoire de

Morlaix . Le couvent des Ursulines de Morlaix fut fondé
en 1640 par la famille Thépault de Tréfalégan. La pose de la
première pierre fut faite le 15 juin 1654 par Balthazar
Granger , évêqu e de Trégui er. Situé au haut de la ru e des
Vignes, l'établissement instruisait les jeunes filles pauvres
de la ville et comprenait un pensionnat des tin é surtout aux
enfants de la campa gne. La municipalité versait une sub­
vention pour l'en seignement donné aux externes habitant
Mo rl aix.
Les religieuses furent expul sées le 28 octobre 1792; le
cou vent contenait alors dix-neuf mères de ch œur et treize
con verses. Leur établissement devint l'hôpital militaire de
Bel-Air. Ell es y rentrèrent le 14 jnillet 1807 .
Saint-Pol-dé,-Léon. Le couvent des Ursulines de Saint-
Pol fut fondé le 9 septembre 1629 par Anne de Perrien,
dou airière de Trévigné. La municipalité vota une subvention
de 800 livres pour aider à sa construction.
Les Ursulin es déclarent « n'entendre faire quête et ne vivre

qu e pour le service de toute la ville et du pays, et pour
en seig ner les fill es gratuitement >J . Elles leur apprennent (c à
lire, à écrire et à faire lont ce que la bienséance de leur sexe
peut leur permettre 1) . En 1780. elles instruisent cent-soixante
extern es et cinquante-cinq pensionnaires ; le prix de la pen-
. sion est de 180 livres pour « les fill es de Messieurs de la ville )) .
Conformément au décret du 15 février 1790, supprimant
les communautés religieuses, les Ursulin es durent quitter
leur couvent le 9 mars 179 2 ( 1).
Landerneau. Le co uvent fut fond é en 1650. L'acte
d'autori sa tion accordé par le Duc de Rohan porte :v « Est
M orlaix; G. Pondaven, Saint-Pol-de-Léon ; Daniel Bernard, Bull. de
la Soc. arch., 1925, p. 4l. à 43 : F. Aurlran, Fondation des Ursulines
de Quimperlé (Bull. ùe la Soc. arch .. 1878 ) ; A. Favé, Episodes et
anecdotes (Bull. de la Soc. arch ., 19iO, p. HO il 117).
(i ) Sur les {1rsulin es de Saint-Pol. voir: Chanoine E. l\iesguen,
Trois cents ans d'apo8tolat (1629-9 septembre 1929 ) .

aussi expressémen t conditionné que lesdites religieuses
enseigneront et instruiront les jeunes fill es ainsi qu e les
Ursulines de l'Institut de Paris ont accoutumé de faire, ladite
in struction étant si essentielle au présent traicté, que sans
elle il ne serait nullement consenti >l.
Avant la Révol ution, les Ursulines in struisaient deux cents
enfants des artisans de la ville et des environs, En 179

l'administration du district s'établit dans leur couvent.
Un mémoire fourni à Messire Prigent de Tréanna, seign eur
de Coatnempren, nous fournit des révélations curieuses sur
les dépenses payées pour sa fille, élève au couvent des
Ursulines de Landerneau à la fin du XVIIIe siècle .
. On y tire souvent la loterie; à la sous le billet, le gros lot
était « une brusquière» valant 9 livres; un billet à 18 sous
donnait le droit de participer à un autre tirage où le lot était
un habit valant 13 écus. Le mémoire, dressé par l'élève
porte: {( Donné à la tourière, 12 sols. Pour les stations et
aumônes, 4 sols. Une saignée au bras 5 sols. Au
médecin et à l'apothicaire 9 livres 15 sols. Un balai de
jonc g sols. Trois chapelets, 4 sols. Uue demie rame de
papier 1 livre 5 sols. Une écritoire 4 sols. Encre,
2 sols. Pour deux médecines, 2 livres. Pour la poudre
à vers 2 sols. Pour les rois 15 sols. A la Supéri eure
pour la. tleurir 13 livres 10 sols. Une viole 8 livres. Une
corde de viole 1 [ sols. - Donné au maître de clavecin
21 livres . Aux pauvres 4 sols. Pour une petite cloche
5 sols. Une demi-livre de savon 4 sols. Un peigne en
corn e 5 sols. Un miroir, 1 livre 6 sols. Donné au
maître de chant 3 livres (1) ...
Lesneoen. La fondation du couvent des Ursulines à
Lesneven, en 1678, est due à divers donateurs, En 1713, il
comptait vingt-six choristes et quatorze sœurs converses .

Les Ursulines instruisaient les enfants du peuple et tenaient
un pensionnat prospèrfl où le prix des pensions était, suivant
la catégo ri e, de d8, 168 , 224. 350 ou 410 livres . Elles ensei­
gnaien t à lire, à écrire, l'arithm étiqu e, les principes de la
religion et « toutes sortes d'ollvrages relatifs à la condition
de chaque catégorie d'élèves ».
Quimper. Fondé en 1621 par une demoiselle de
I( ernabat (1), le couvent des Unmlines de Quimper possèdait
un pensionnat pour les jeunes fill es de la campagne et
instruisait gratuitement les élèves de la ville.
En 1792, « le Département autori se la conservation des
fill es composant la ci -devant communauté des Ursulines
dans la maison qu'elles occupent, suivant le vœ u de la
municipalité de Quimper, puisqu'il est notoirement connu
qu'elles font gratuitement les écoles publiques et que, d'un
autre cô té, les vertu s civiques de ces filles méritent les plus
grands éga rd s » (2).
Plu s tard. le Département dut appliquer la loi et prononcer
la dissolution de la communauté. En J'an II. le couvent, qui
s'élevait à l'emplacement occupé auj ourd'hui par les halles
de Saint-Mathieu, servit de prison à des soldats anglais. En
180{~, les Ursulines s'établirent dans l'ancienne maison
prébendale de la ru e Verdelet.
Les sœurs de l'abbaye de Kerlot, établies à Quimper au
manoir de l'Isle en r668, prenaient des pensionnaires et
in struisaient les filles qui leur étaient confiées. Mm -. Audouyn
de Pompery, la Sévigné quimpéroise, y reçut une excellente
culture littéraire qui fait honneur au personnel enseignant
du couvent.

(1) Plus tard , le marquis de H osmadec, gouverneur de Quimper fit
au couvent divers dons importants et reçut en revanche le titre de
seigneur fondateur, mais ['établissement existait depuis dèjà quelques
années.

Carhaix, (Juimperlé , Pont-Croix, Des communautés
d'Ursulines s'occupaient de l'instruction des filles à Carhaix
(couvent fondé en 1644), à Quimperlé (établissement fondé
en 1674). et à Pont-Croix. Un état adressé en 1720 pal' le
subdélégué de Pont-Croix à l'Intendan t de Bretagne porte:
« Il y a à Pont-Croix un couvent d ' Ursu lines fondé le
20 septembre 1652 sans lettres patentes. Ces dames ont le
soin de l'éducation de la jeunesse dont elles ne tirent aucune
rétribution quoique cela fasse beaucoup de bien dans la ville
et aux environs» (1) .
Ecoles tenues par diverses congrégations
Brest. La congrégation des Dames du Sacré-Cœur,
autorisée par la ville de Brest, ouvrit une école en 1695.
Primitivement installée dans une maison de la rue de Siam,
elle s'éleva plus tard à l'emplacement actuel du Petit Couvent.
« Les religieuses y apprenaient à lire et à écrire gratis et par
un pur motif de charité, sans demander ni même espérer
au tre récompense que du Ciel». Elles ne reçurent jamais la
moindre subvention.
Les Dames de l'Union chrétienne tenaient à Brest une
école où elles instru isaient des pensionnaires payantes et les
peti tes filles pau vres de la vi Ile.
,11orlaix. - En dehors du couvent des Ursulines. Morlaix

posséda it une communauté de Bénédictines du Calvaire,
fondée en 1626 par une dame de Kerven. Les Calvairiennes
tenaient un pensionnat de jeunes filles. En 1792, elles durent
quitter ' leur établ issement qui servit à la Manutention
militaire.
Les Sœurs du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, établies à
Morlaix vers le XIV· ou le xv· siècle, occupaient à Créac'h-
(i) D. Bernard. Documents sur le Cap-Sizun, Bull. de la Soc. arch.,
Joly nne maison appartenant à la ville, où elles enseignaient
la lecture, le catéchisme et les travaux manuels. Après leur
suppression, en 179~, leur maison devint école communale
des ga rçons; les Frères de l' ecole chrétien ne s'y éta bliren t
en 183g.
Les religieuses du Tier~-Ordre de Saint- Dominique,
habillées de blanc, non cloîtrées, s'occupaient de l'instruction
des petites filles à qui. elles dispensaien t le peu de savoir
qu'elles possédaien t elles- mêmes, elles tenaien t les peti tes
écoles des campagnes, là ou des subventions spéciales leur
permettaient de pourvoir à leur subsistance.
PLounéour-Trez. Jeanne Guillou. veuve de Hervé Cabon

fonda, le IO janvier 1686, une école « pour y instruire les
jeunes el petites filles , pour suppléer aux intentions qu'avait
pu avoir son défunt père qui ne put faire aucune fondation,
ayant été surpris par la mort subite n. Pour ce faire, elle fit
don à la paroisse d'une rente d e 60 livres tournois pris sur
différents terroirs énumérés dans l'acte de fondation (1).
Commana. . En 1724. une rente de 54 livres est fondée
par Jean-Marie Pouliqu en « pour faire école à dix-huit
filles pa uvres (~ ) ».
Le Conquet, Plougonvelin.
d' établir une école de filles au
En I7 [3, il est question
Conquet et à Plougonvelin.
Une dame Quéméner désirait fonder à ses frais une commu ­ nauté de Dames de l'Union chrétienne qui serait chargée de
l'école des fi ll es au Conquet et à Plougonvelin; elle s'enga­
geait à en assurer l'entretien. Une lettre du Corps politique,
portant la signature des douze membres déLibérateurs, demande
à l'évêque d'accepter cette offre , « ne trouvant rien de plus
louable, même d'une utilité plus g rande pour le pays» (3).
Guerlesquin. - Un acte du 26 mai 1705, mentionne
(1) Archives départementales, série G.
\2) Ibidem.
l'intention de Joseph Gabriel du Parc. comte de Locmari~,
d'acquérir une maison voi~ine de la chapelle de Saint-Jean du
Guerlesquin « parce que cela est utile à l'établissemen t que
ledit seignéur a dessein de faire aux environs de cette chapelle
pour y tenir des écoles publiques pOUl' l'instruction des filles l).
Le 22 juin 17 II , Jeanne de Kermel, veuve d'Oli vier du Parc,
supérieure des Filles de Saint-Paul, « faisant tant pour elle
que pour toutes les Sœurs de ladite communauté établie eu
la ville de Tréguier, II installe \lue communauté de Sœurs
Paulines dans la maison achetée par le seigneur du Parc. et
y ouvre une école de filles (1).
Plougonllen .. -- Le 24juillet 1764, le marquis de I(ersauson
passecoutrat avec l'évêque de Saint-Brieuc pour la fondation
au bourg de Plougonven d'une maison et école de religieuses
du Saint-Esprit. Il établit les (( Sœurs Blanches)) dans un de
ses immeubles du bourg. près de l'église, Celles-ci donnent
gratuitement l'instruction aux fillettes de la paroisse. En
1781, la Supérieure était Angélique Poulain de Quéferon. La
maison fut vendue comme bien national le :2 mai 1793 (2).
Landerneau. Une école de filles était tenue par les filles
de la Sagesse (3).
Landéda. Des lettres patentes accordées par Louis XVI,
le 22 avril 1784, autorisent la Congrégatiou des Filles de la
Charité à fournir des religieuses pour l'instruction des filles
de la paroisse de Landéda.
Carhaix. Les Augustines tenaient de petites écoles où
elles recevaient des pensionnaires (4).
(i) A rchives départementales, E 5H et 33 H L
La con~régation des Dames P~ulines créée par Elizabeth de Kermel,
amie de Mm. de Maintenon, était voupe à l'ens~ignement. Le règlement
de l'OrMe fut donné par l'évêque de Tréguier.
(2) L. Le Guennec, Notice sur la commune de Plougonven, p. i33.
(3) Archives municipales de Landerneau.
(4) Archives départementales, 7 L 3, folio 57.

Ecoles tenues par des maîtresses laïques

Un certain nombre de maîtresses laïques enseignaient dans
les villes. Au xv rue siècle, Bresl possédait au moins quatre
écoles de filles tenues par des maîtresses laïques; Recouvrance
en avait une. Le rôle de la ca pitation de J 704 à Morlaix,
indiqu e comme maîtresses d' école Mil .. de Kerorgant­
COut,tin, Frauçoise Rouxel, Marie Le Taro, Françoise de
Kerbizien, et la veu ve Sourdeval. Quimper possédait aussi des
écoles particulières de filles; en 1736, Marie-Anne Kerbour,
maîtresse d'école, « demeurant chez La Louette maître perru­
quier place Saint-Corentin)) se voit inquiéter pour avoir acheté
quelques briques de savon provenant du naufrage d'un navire
sur la côte de Plozévet ; elle déclare à la justice qu'elle ne
croyait pas mal faire « puisque tout le monde en acheptoit \l_
Le II novembre 1776, Anne le Gall, dite Clément, maîtresse
d'école, âgée de 80 ans, est décédée en son domicile, paroisse
de Saint-Ronan, rue Obscure. .
Douarnenez . . Les sœurs de Michel Le Nobletz, Marg'uerite
et Anne, tenaient école et s'occupaient spécialement des
petites filles pauvres.
Ecoles mixtes
La coéducation ne semble pas avoir été pratiquée dans les
diocèses de Cornouaille, de Léon et de Tréguier. Les statuts
synodaux l'interdisaient. En 17 10, Mgr de Plœuc, évêque de
Cornouaille, ordonne aux jeunes prêtres récemment sortis
du séminaire, de s'occuper seulement de l'instruction des
garçons et interdit les écoles mixtes. Les statuts du diocèse
de Léon interdisaient « aux maîtres de recevoir, sous quelque
prétexte que ce soit. des filles dans leurs écoles, et aux

maîtresses d'admettre des garçons dans les leurs)).
A Brest, en 1783, le sieur Arrachart sollicite l'autorisation
d'établir une école mixte, son épouse s'occupant des filles et

'lui des garçons: le sénéchal refuse l'autorisation. Les statuts
synodaux de 1774 précisaient que, dans tous les cas où les
maris instruisent les garçons et 'leurs femmes les filles, ils
.aien t à tenir les écoles dans des maisons différentes.
COMMENT NAISSAIENT LES PETITES ECOLES
Les locaux scolaires
On sait, que le Parlement de Bretagne refusa d'enregistrer
l'ordonnance royale du 13 décembre 16g8 stipulant que le
salaire des maîtres d'écoles serait pris sur les contributions
payées par les habitants. Pour créer des écoles, les paroisses
-devaient donc se procurer des ressources non fourni es par
l'i mpôt ou rechercher des personnes généreuses disposées à
-consacrer une partie de leur fortune à assurer la création
-d'une école.
Le « général)) pourvoyait à l'établissement d'une école en
'achetant des biens, fermes ou immeubles de rapport, dont le
revenu était versé au maître et permettait d'exiger de celni-ci
l'instruction gratuite des pauvres; les enfants appartenant à
des familles aisées payaient un droit d'écolage.
La paroisse ne recourait à ce moyen que lorsque les dons
faits par les habitants étaient insuffisants pour assurer
l'existence d'une école. Pour obéir au vœu de l'évêque, des
personnes charitables, généralenen t des paysans aisés,

faisaient des donations destinées à payer un maître et à
permettre aux enfants pauvres de recevoir une instruction
entièrement gratuite. Un notaire dressait l'acte de donation,
qui stipulait les intentions du fondateur; cet acte notarié

devait ensuite être accepté par délibération du « général ». Le
legs consistait généralement en une rente provenant de
l'intérêt d'un capital ou du loyer d'une terre. Les héritiers

étaient dans l'obligation de payer régulièrement les charges
qui grevaien t l'héri tage.
Ces fondation s, faites en fa vell r des pau vres, profi taien t
également aux riches parce qu'elles permettaient de trouver
plus facilement un maître d'école, celui- ci étant assuré d'un
revenu fixe.
Quelques largesses ont été fai tes par des nobles, mais elles
ont toujours été faites sous forme de donations à des ordres
religieux. La plupart des fondations, dans les communes
rurales, ont été faites par des gens du peuple, paysans ou
prêtres. Il ne faut pas oublier que les prêtres étaient issus du
peuple; à part quelques exceptions, lis étaient tous d'origine
roturière.
Comme les églises et ,les chapelles de nos campagnes,
les écoles paroissiales ont donc été, pour la plupart, des
fondations paysannes et non bourgeoises ou seigneuriales.
Quant aux villes, elles subventionnaient quelques maîtres
choisis parmi les meilleurs, et à qui l'instruction des pauvres
était confiée. Quimper et Saint-Pol avaient une école établie
en vertu de l'ordonnance de 1560; la prébende du scolastique
lui tenait lieu de traitemen t.

Dans les paroisses rurales, à défaut de local spécial, les
petites écoles se tenaient dans une chapelle située dans le
bourg ou à son voisinage immédiat. Cette chapelle comportait
des bancs sur lesquels s'asseyaient les enfants.
Les congrégations religieuses recevaien t leu r8 élèves dans
un local attenant au couvent. Les villes possèdaient un
bâtiment spécial à usage d'école.
A partir de l'ordonnance de 1560, il est possible de classer
les écoles en cinq catégories:
1° Celles qui ét.aient tenues par le scolastique dans les
villes épiscopales. "
2 ° Celles qui avaient été établies par les communautés de
ville ou les généraux des paroisses.

. 3" GeHes qui étaient fondées par des particuliers (on les
appelait parfois « écoles de charité))). Ces fondations parais':'
sent avoir éLé nombreuses.
4° Celles qui étaient ouvertes par des congrégations
religieuses; elles étaient subventionnées et assuraient
gratuitement l'instruction des indigents.
5° Celles qui étaient tenues pal' des maîtres d'école à leurs
frais; elles étaient nombreuses dans les villes. Ces rriaîtres
n'avaient à compter que sur les ré~ributions payées par les
élèves. La bourgeoisie, plus aisée. confiait ses enfants à ces

maJtres pnves.
Les maitres d'école
~e titre d'instituteur par lequel on désigne les maîtres
d'aujourd'hui, date de la Révolution; il apparaît pour la
première fois dans le projet de décret présenté par Condorcet
le 12 décembre 1792.
A van t cette époque. ceux qui faisaient profession d'instruire
les enfants étaient appelés maîtres d'école, plus rarement ré­
gents, ce titre étant surtout réservé aux professeurs de collège.
·Les maîtres d'école étaient, le plus souvent, des membres
du clergé qui trouvaient dans cette fonction un appoint
appréciable. Dans nos campagnes, les vicaires étaient réduits
à la portion congrue et vivaient dans une situation voisine
de la misère (1). Au XVIIe siècle, le.nombre drs ecclésiastiques
était considérable; dans chaque paroisse du Léon, il variait
de dix à vingt, poU\' une population inférieure de moitié à
celle d'aujourd'hui; en 1782, tous les prêtres du Léon, à

l'exception de trente, étaient des roturiers, la plupa,rt dénués
de fortune (2). On comprend donc que les vicaires, et même les
dercs trop pauvres pour subsister en attendant l'ordination,
sollicitaient des paroisses les fonctions de maîtres d'école.
(i) A. Rébillon. La situation du clergé breton avant la Révolution.

Au reste, les conciles et le droit canon exigeaient que les
jeunes prêtres débutent, dans l'exèrcice de leurs fonctions,
comme maîtres d'école. Les réglements diocésains leur en
faisaient une obligation. Les statuts synodaux de 1710 pré­
cisent: « Nous ne les admettrons pas à des fonctions supé­
rieures que nous ne soyons assuré de la soumission qu'ils
auront eue en ce point à nos ordres».
Mais les prêtres n'étaien t pas seuls à assurer le service de
l'instruction. Dans les villes. à Brest, Morlaix, Quimper, les
maîtres laïcs étaient nombreux. Dans les paroisses rurales,
surtout aux époq~les où les vocations sacerdotales se faisaient
rares, les écoles étaient souvent confiées à des professionnels
qui avaient reçu dans les collèges une instruction suffisante
pour enseigner. Ces maîtres. par leur instruction générale.
étaient inférieurs aux prêtres, mais c'étaient des gens de
métier qui s'entendaient à instruire les enfants. C'est pour­
quoi les paroissiens les préféraient aux vicaires, absorbés
par les soins de leur ministère et obligés parfois de quitter
leurs élèves pour remplir leurs fonctions religieuses.
Pour se faire agréer, les maîtres laïcs faisaient étalage
de leur savoir et de leurs titres. A Brest, l'un s'intitule
« grammairien de la ville de La Flèche en Enjou » (sic), un
autre « maistre escrivain et d'écolle » ; à Lesneven, Bourgays
se dit « maistre ès-arts)); à Plougasnou, Mo Thomas Barazer
se dit « versé aux Etudes et Lettres jusques avoir faict son
cours en la filosoffie » ; à Carhaix, Maître Jouannin s'honore
du titre de « maÎstre écrivain enseignant la jeunesse» (1).
Généralement, le maître d'école était choisi par'l'assemblée
des habitants réunis à l'église après la messe du dimanche .

Parfois, les paroissiens laissaient ce soin au « général)) et au
(i) Les maitrr-s écrh:ains furenl érigés en corporation par lettres
patentes de Charles IX, en i570. On devenait maître écrivaill après un
examen qui dnrait 3 jours el porlait sur l'écriturt', l'orthographe et
Tarithmétique. Là ou ils enseignaient, les maîtres écrivains avaient le
privilège exclusif d'enseigner l'écriture et le calcul.

recteur, qui devait faire passer un examen de capacité aux
candidats. Le recteur veillait sur les écoles, les visitait, se
rendait compte si les maîtres s'acquittaient de leurs devoirs
et n'enseignaient rien de contraire à la foi catholique.
Il semble qu'à Brest, au moins au XVlIl

siècle. l'autorisation
d'enseigner ait été donnée par le lieutenant général de police;
c'est devant lui que les maîtres prêtaient serment d'observer
les ordonnances, arrêts et règlements concernant les écoles;
mais la nomination ne devenait définitive qu'après assen-

ti men t du recteu r. . .
Un acte en bonne et dûe forme, stipulait les droits et les
devoirs du maître d'école, ainsi que les obligations de la
municipalité (1). L'acte était valable, généralement pou r un
an; il pouvait être renouvelé si le maître avait su plaire au
curé et aux habitants. Sinon celui-ci s'en allait cherch er
ailleu rs fortun e ... ou misère.
En somme, ces maîtres ne j ouissaient pas d'un e situation
stable; c'étaient des in stituteurs ambulants qui se louaient à
l'année à l'insta r des dom estiques de ferm e. Dés qu'ils
avaient cessé de plaire, munis de leurs références (attest.ations
fourni es par les curés ou les n otables). ils s'en allaient de
commune en commune, en quête d'une place vacante. Tel
J ean Berthélémé, âgé de 45 an s, natif de Plouvorn, évêché
de Léon, qui, après avoir enseign é à Nantes, en 1750, se
présente inutilement à Douarnenez, à Pont-Croix , à Guengat,
paroisses déjà pourvues de maîtres d'école . Sonpçonné
d'avoir forcé le coffre-fort des a rchives de l'église de
Kerfeunteun et d'y avoir dérobé 2.500 livres, il fut relâch é

faute de preuves (2) .
(il Les conditions de l'accord étaient port,;es à la connaissance des
habitants par un acte prônaI, lu en chaire le dÏl:lJanche sui vant.
(2) A. Favé. Vagabonds et brigands de Basse-Bretagne ail XVIIIe

Rétribution des maîtres
Le traitement du maître d'école se composait des rentes
provenant de « fondations ».faites par des particuliers ou de
sommes versées pa.r les communautés de villes ou les
généraux des paroisses; à ce gain fixe, qui dépassait rarement
100 livres, venait s'ajouter la rétribution payée par les élèves.
appartenant à des familles aisées et dont le chiffre était fixé
dans le contrat passé entre la paroisse et le maître.
A Plougasnou, le maître d'école était autorisé à percevoir
cc de chacun des partistes, 2 sols tournois; des abécédaires,
chorisles et rudimentaires un soult tournois. Bien est dit
qu'il respectera les notoirem ent pauvres et indigents, desquels
il ne prendra aucun salaire» (1).
Traitement fixe et rétribution scolaire [J'enl'Ïchissaient
guère le maître d'école paroissial; il était imposé à la capi­ tation à peu près comme les valets (de 2 à 5 livres) (2). Fier
d e son titre, il vivail dans la médiocrité. et s'il avait. en
supplément, de menues ressources, il ne les recherchait que
dans l'église où il était parfois chantre. horloger de l'horloge
communale, ou même (( chasse-gueux », tel Cbarles Valentin
qui était chargé de la police de la cathédral e de Quimper d'où
il chassait les mendiants. les importun s et les chiens.
Quoique pauvre, le ma"Ître d'école jouissait d'une certaine
considération; « s'il y a noces . Monsieur le maistre y sera;
un mortuaire. il y cbantera ; commères. il y fripponn era ;

(1) Acte daté du 26 septemhre 1574,. Les partis tes étaif'nt les élèves
les plus avancés: ils tltudiaienl la partition ou ~nalyse grammaticale;
les donatistes ptudia ient la grammai re l"tine de Donal (grammairipn né
en 333 après Jésus-Christ). à l'u~age des rllmmençants; les abécédaires
apprenaient l'alphabet; les rudimentaires lisaient en syllabant.
A la fin du xv· siècJ~ la li vre équivalait à no fI'. pnviron de la mon­
naie de t935 ; le sou équivaudrait à environ 6 fr.

un fuseau tombé, 'il s'y transportera; et partout honoré
comme le maislre 1) ( 1). .
Il prenait part aux réjouissances

populaires et meme aux
lultes. si l'on eu croit la relation par Ambroise Paré d'un
tournoi de luttes bretonnes à. Landerneau en 1543: « ... Il
survint un grand Oatino, magister d'eschole, qu:on disait
être l'un des meilleurs lutteurs de Bretagne ;. il entre en lice

ayant osté sa longue jaquette, en chausse tlt en pourpoint, et
lutte contre 'un petit Bas-Breton bien quadraturé, fessu et
matériel... Le peti t fessu se jetta en sursault et d'emblée sous
ce grand Datino et le jetta en terre sur les reins tout estendu
comme une grenouille ... »).
Sa piété, généralemen t vraie, faisait l'édification de ses
élèves. Il ( pratiquait») avec ostentation. par conviction, par
habitude et par intérêt, parce que cela le posait bien auprès
de la population.

En dehors des maîtres publics. dans les villes et les gros
bourgs. des maîtres d'école s'installaient à leurs risques et.
périls, après avoir obtenu l'approbation épiscopale. Ils
enseignaient chez eux, dans la pièce unique où ils mangaient
et dormaient. lis instruisaient les enfants appartenant à des
familles aisées et ajoutaient au gain que leur procurait la
rétribution scolaire le revenu d'une occupation .souvent plus

rem u nera tl'lce .

Antoine Monjarret. sienr de Kerlocq, maître d'école à
~rest. était en même' temps écri\"ain public; à Quimper,
François Cévaër tenait école et cabaret; René Madec était
à la fois maître d'école et aubergiste servant. à boire et
à manger. A Pont-l'Abbé. Jean Hamon copiait les rôles des
contributions et assumait les fonctions de greffier municipal.
(1 ) Noël du Fai!, Propos rustiques. ouvrage publié en 1.54.7. Noël du
Fail, gentilhomme bas-breton, conseiller au Parlement de Bretagne. s'y
. Quant aux maîtresses d'école, la fortune ne les avait pas'
Don plus comblées d e ses dons, témoin le curieux testament
de Françoise Kerbizien, « maîtresse d'école dans la Grand 'Rue·
à Morlaix ». Son utile profession ne l'avait pa s enric hie, car'
son testam ent n e comporte que l'énumération de seg.
d ettes (() .
ln nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti .

Déclaration et testament que faict damoiselle Françoise de'
[Ce rbizien, maistresse d'écolle, malade de corps et saine
d'esprit et d'entendement après avoir recommandé son âme'
à Dieu, à la Sainte vierge et à tous les saints et saintes du.
paradis, sachante que sa mort est certaine et l'heure incer-·
taine, elle veut et désire mettre ordre à ses affaires en présence­
de Monsieur Le Louez'!, prêtre chapelain et curé de Saint­
Melaine en l'absence de Monsieur le vicaire, et en présen ce de'
Monsieur Urvoas aussi prestre chapalain du dit Saint-Melaine ...
de François Quéré et de Hervé Le Tolly:
déclare devoir à Monsieur le vicaire de Saint-Martin dix­ huit livres sans billet;
à Mademoiselle Kerbon aussi dix-huit livres sans billet ;
à Mademoiselle de Kerguelen-Coroller dix-huit livres (lia;

sols sans billet ;
à Madame Saint-Germazn neuf livres;
à Monsieur Longpré-Boudin vingt et quatre écus sans billel ;
à Anne Quéménel' trois livres argent, prêté depuis sa ma-
ladie ,- .
à la vieille Marte, servante chez Monsieur le procureur du
Roy, trante et cinq sols;
à la Grande Rüe à Mademoiselle Bonnet, quatre livres cinq
sols ;
(1) Archives municipales de MOI·laix. D ocument communiqué par
M. Le Guennec. Le l'Me de la capitation de i704 porte que Françoise
Kerbizien était c:apitée 6 1. alors que ses collègues le la ville ne payaient

à une autre personne aussi à la Grande Rüe, environ cinq
livres;
à Monsieur Kerdivez elle doit pour le louage de sa maison
l'année courante trente et six livres;
à Guillaume Collet trante sols.
Laquelle déclaration J ay (aicle ce jour troisième septembre
mil sept cent sept en présence des dites personnes cy-dessus
dénommées, et n'étant pas en état de signer, je les ay priées de
ratifier la présente déclaration .

Le travail scolaire
, Quelle était la valeur pédagogique des maîtres ~ Quel
savoir dispensaient-ils à leurs élèves ~
Les 'maîtres ne recevaient aucune préparation profession­
nelle; chacun avait sa méthode et ses procédés . . plus ou
moins efficaces; tous étaient asservis à d'aveugles routines.
Lel1r besogne était toute mécanique; ils ne se souciaient pas
de développer l'intelligence. ils se bornaient à exercer la

memOIre,
Une sorte de code oral tenait lieu de règlement, de pro­
gramme et de procédés pédagogiques,
.L'autorisation d'enseigner était accordée après un exa­
men assez sommaire passé devant le scolastique ou le recteur
de la paroisse, autorisé par ce dernier à se rendre compte de
la valeur du candidat. Une condition primait les capacités
,professionnelles: être de bonne vie et mœurs et d'une foi

eprou:vee,
Les prêtres cha rgés des petites écoles n' étaien t assujettis
à aucun examen; ils possédaient une instruction suffisante

pour enseIgner,
L'enseignement donné dans les écoles était individuel et
non collectij ou simultané 'comme aujourd'hui, Tous les
leçon à chaque écolier, pris individuellement, et la répétait
autant de fois qu'il y avait d'élhes, en l'adaptant à la force
de chacun. Sa besogne était fastidieuse et fatigante. Pendant
ce temps, les enfants inoccupés s'ennuyaient, s'amusaient ou
se baltaient. Une discipline très sévère, voire brutale, pouvait
seule obtenir de ces malheureux une immobilité relative,
d 'ailleurs incompatible avec leur besoin d'activité. Ce mode
d'enseignement explique la sévérité des maîtres de jadis,
toujours représentés la verge ou le martinet en main (1).
La direction des écoles appartenant à l'Eglise, il n'est pas
surprenant que l'enseignement ait revêtu un caractère con­
fessionnel. La base de l'enseignement fut d'abord le caté­
chisme ; puis le progrès des mœurs et des idées, les néces­
silés de la vie, obligèrent à étendr:.e les programmes. Ceux-ci
demeurèrent toujours bien modestes: ils comprenaient la
lecture, J'écriture, un peu de calcul , parfois de la grammaire
et des rudiments de latin.
L'enseignem ent de la lecture et de l'écriture n 'était pas
mené de front comme aujourd'hui. On n'apprenait à écrire
que lorsqu'on savait lire, si bien que nombreux étaient les
enfants qui quittaient l'école sachant lire, mais non écrire (2).

(i) L'enseignemen t individuel a persisté dans le Finistère jusqu'en
i8110.
(2) Dans le Dict'Ïonnaire et colloque (rançois et breton. traduits du
(rançois en breton par G. Quiquer de R oscoff (éditioll de i652), on lit la
conversation suivante entre un parent en visite, un écolier et sa mère;
ellfl prouve que parfois aussi la lecture et l'écriture étaient enseignées
simul tanément:
- Ne va-t-il point à l'eschole ?
- Oui, il apprend à parler fran çoys.
- Ia. D. savez-vous parler fran çoys.
- Pas très bien, mais je l'apprenrls.
- Avez-vous longuement esté à l'escholle ?
- Environ un demv-an .

- A pprenez-vous aussi à l'scrire ?
- Oui.
- C'est bien ainsi.

A son entrée à l'école , l'enfant ·était a abécédaire l) ; il
étudiait les lettres dans l'ordre de l'alphabet. Parfois cepen­
dant on séparait les voyell es des consonnes; on di sait:
« Croix de Dieu ! bé, cé, dé, e11' ... )), ou bien: « Croix de
Dieu! a. e, i, 0 , u ». On lisa it les lettres à la file, puis à
rebours.
L'alphabet bien connu, l'enfant devenait « syllabaire h :
il apprenait à assembler les lettres pour en faire des syllabes
puis des mots. Généralement, il apprenait à lire d'abord en
latin , parce que dans cette langue toutes les lettres se
prononcent. ce qui n'a pas lieu en fran çais. Lorsque l'élève
était suffisamment entraîné à la lecture latine, il lisait le
français, puis le breton ( 1).
Ju squ'au XVI" siècle, on n'apprit à lire que le latin qui était
la langue offici elle. Pour habituer les enfants à s'arrêter plus
ou moins longtemps aux signes de ponctuation, on leur
apprenait qu'il fallait s'arrêter à la virgule le temps de dire :
Jésus ; aux deux points et aux points virgules, le temps de
dire : Jésns, Marie; au point, le temps de dire : Jésus,
Marie. Joseph.
Après avoir pâli pendant des mois et des mois pour
parcourir les divers degrés de la lecture. le pauvre écolier
aura le terrible ennui de tracer des bâtons, puis des lettres.
qui devront être d'autant plus impecca bles que le possesseur
d'une belle écriture était envié.
J'ai découvert, dans un vieux registre d'état civil de
Plounévez- Lochri st, des feuilles provenan t d'un cahier
d'écriture antérieur à r676 . Le papier, non rayé, ne porte

aucune marge ; les leltres ne sont pas. comme de nos jou rs.
étudiées méthodiquement, par ordre de difficulté ; l'ordre
suivi est celui de l'alphabet. La lettre a est étudiée la
(i) J .-B. de la Salle sllbstilua â cette pratique l'apprentissage de la
lecture daos des livres fran çais . II ordonnait à ses rn~ilres d'ignorer le

première; l'élève trace une ligne de a minuscules, une ligne
-de a italiques, puis une ligne d'A majuscules. Même façon
-de procéder pour les trois formes des lettres b, c, d, etc.
Une ligne spéciale est consacrée au J( barré, abréviation de
Ker.
Chaque ligne commence par un modèle exécuté par le
maître, et que l'élève imite ell,.suite. L'alphabet terminé, on
revient à la lettre a. Les feuillets ne comprennent pas de
mots, ce qui laisse supposer qu'on ne formait les mots, puis
~es phrases, que lorsque l'écriture des lettres était satisfaisante.
Le chiffre ou calcul fut, pendant longtemps, considéré
-comme un enseignement de luxe. Les maîtres qui enseignaient
le chiffre exigeaient généralement de leurs élèves, une taxe
supplémentaire. Cet enseignement était essentiellement
concret. On comptait à l'aide de jetons, de coches faites dans
-des baguettes, d'objets di vers tels que petits cailloux (calcul
ne vient-il pas de calculus, petit caillou ?).
Généralement la science de l'arithmétique se bornait à
l'addition et à la soustraction, parfois aussi la multiplication,
rarement la division.
Au XVIII' siècle, l'enseignement du calcul semble avoir pris
plus d'importance; ce~taines écoles enseignaient même un
programme assez développé.
Il existe aux Archives départementales une série de cahiers

scolaires commencés en 1725 et ayant appartenus à Bernard
Le Priol, de Primelin, élève à récole des Capucins d'Audierne .
.ces cahiers forment un cours complet de calcul pratique,
parfaitement gradué. L'écriture en est ferme et régulière,
l'orthographe bonne. L'ensemble est relié sous couverture
-cartonnée recouverte d'un vieux parchemin.
Les quatre opérations, suivies de l'étude de la racine
-carrée, sont étudiées successivement. La règle est d'abord
·énoncée, puis elle est suivie d'exemples, gradués avec soin.
Les « nombres rompus» (fractions), sont également étudiés,

'Les exercices de conversion d'unités, sont particulièrement
'Dombreux. Les élèves etaient aux prises avec des transfor­
mations autrement compliquées que celles de notre système
métrique actuel. Après avoir appris que la toise valait
'6 pieds, le pied 12 pouces, le pOlice T 2 lignes, que le marc
,d'argent avait 8 onces, l'once 8 gros, le gros 12 grains; qu'il
l'fallait 4 cribles pour boisseau, 8 boisseaux pour pipe, 3 pipes
pour tonneau, etc ... , J'enfant devait se livrer à des conver­
'sions difficiles. Les Capucins d'Audierne utilisaient à cet
,effet un moyen assez ingénieux: l'écolier traçait un trapèze
"isocèle di visé en cases par des parallèles aux bases; l'unité
la plus élevée, comportant le plus petit nombre, s'inscrivait
-dans la case supérieure; par suite des conversions, les
nombres devenaient de plus en plus grands et s'inscrivaient
dans les cases suivantes qui allaient en s'élargissant à mesure
que le nombre devenait plus important.
Les conversions en monnaies espagnoles: ducas, piastres,
réaux, malvédis, sont particulièrement nombreuses, ce qui
s'explique par le fait que la Bretagne faisait à cette époque
un commerce très suivi avec l'Espagne.
Les problèmes, classés par ordre de difficulté, dénotent de
.la part des maîtres d'excellentes notions pédagogiques; ils
sont essentiellement pratiques et utilisent des données con­
formes aux prix locaux (1). Les règles de partage, d'intérêt,
d'alliage, de mélange, de troc, de société, de fausse supposi­
tion, etc., donnent lieu à des énonces intéressants, générale­
ment utilisables dans la vie courante.
Dans l'ensemble, les problèmes sont légèrement au-dessus
de la force de nos candidats actuels au certificat d'études.
(i) Les énoncés nous apprennent qu'à Audierne le merlu moyen se
vendait il deniers, la livre de savon valait 6 sols, le « minost » de sel
i2 sols, la paire de sabots 5 sols 3 deniers; le millier de billettes valait
, 6 livres, le boisseau de froment 4 livres, le boisseau d'orge :J5 sols, la
'livre de pain i6 deniers, le vin 8 sols la pinte et 40 livres la barrique,
Il n'est pas sans intérêt de relever quelques énoncés pré­
sentés sous une forme assez curieuse et qui constituent de
vrais documenls caractérisant une époque.
Un homme allant au pardon de Saint- Tugean avait mis
une certaine somme d'argent en poche pfJur sa dépense et ses
aumônes. Etant revenu au logy, il se souvient d'avoir donné
aux pauvres le 1/ 16 de son argent, et, entre son cheval et luy
pour leurs dépenses 1/ 10 à l'aller et 1/ 5 au retour; de plus, il
a donné aux prestres pour des messes et au fabrique pour son

offrande, la moilié de son argent. Il lui reste 45 sols. Quelle
somme avait-il af) départ?
Il est dû à trois seigneurs les rentes d'une pièce de terre
qui a été vendue 2.500 livres. A l'un il est dû 3 deniers de '
cheffrente, au 2

il est , dû 9 deniers et au 8" 15 deniers. Je
demande combien doit recevoir chaque seigneur en les payant
le denier 8.
1 1J. N. O. et P" mariniers, au retour d'un voyage, sont
alles rendre grâces au Tout-Puissant dans leur église pa­
roissiale Ensuite ils sont rentrés dans une auberge pour se
r écr éer et se divertir. A la sortie ils ont demandé à compter
avec leurs hastes. Trouvant avoir depensé 50 sols, les quatre
particuliers ont joué à payer l'esco t en proportion de la perte de
chacun. M. a perdu 3 marques, N. 5 marques, O. 7 marques,
P. [) marques, Je demande combien devra payer chacun pour
sa part de ['escot?

Le Roy a fait Jaire une citadelle en 3 mois 18 jou.rs, en
employant trente-huit ouvriers ' Un autre ordre vient de la

part du Roy de faire une pareille citadelle en 6 semaines, à
cause que l'ennemi presse. Je demande combien il faudra
d'hommes pour la faire dans le temps de 6 semaines?
Une très vertnt:!use Dame, allant au pardon, trouve dans

l'amour de Dieu. La bonne dame, touchée de compassion, lui
donne la moitié de l'argent qu'elle Gl)ait en poche. Peu après
elle rencontre un autre pauvre et lui donne le 7{ du restant
d'argent qu'elle avait . Etant de retour au logy, elle trouva
3 deniers de reste. Sçavoir combien avait ladite dame pour
aller au pardon.
Je demande à un patron de barque combien il a d'escus. Il
me répond que s'il avait la moitié, le tiers et le quart de plus,
il aurait 100 escus . Je demande combien d'escus avait ledit
palron.
Enfin, ce problème, original certes, mais qu'on s'étonne
de rencontrer dans un cahier d'écolier:
Un homme mourant laisse sa femme grosse. Par son

testament il ordonne qu'en cas qu'elle accouche d'un fils, la

mère aura le 1/3 du bien de son mari estimé valoir 20.000
livres; son fils aura les 2/3. Mais si elle accouche d'une fille,
la mère aura les 2/3 el la fille le 1/3. L'homme meurt; la
femme a accouché de fils et de fille. Sçavoir combien
revienl au fils, à la fille el à la mère?
Le demier cahier renferme des éléments d'hydrographie
rappelant les notions d'enseignement nautique que . l'on
donne aujourd'hui dans les écoles primaires du littoral. Il se
termine par ces lignes: Faict par la main et plume de
Bernard Le Priol, demeurant au pillage de Kerallouen . en
la paroIsse de Premellen (Primelin).
Les Archives du Finistère conservent un autre cahier
scolaire datant de 1750. La première page porte ces mols
écrits en belle bâtarde: Appartient à Yves J(ernoas, fils de
Jacques [(ernoas et Marie Ropars, demeurant au village de
Tollan, Ireuve de Guipronvel. Qu'il a fait à Bresl sous
l'instruction de Jean Lamour, Maistre à Recouvrance, en
l'année 1750.
L'arithmétique y occupe Cl4 pages, Les quatre opérations

so·nt :!11inuti()Ll. sement étudi ées ; la ? ivi sion est enseignée
( cà 'la ' mode frança is'e )) et « à · la mode es pagnole )J, ce qui

confirme J'exi steu. ce de relations commerciales très suivies
entre nOrt'. e région et l'Espagll e. Les exercices de conversion
des. mesures. ··de volume, de poids, de longueur, ètc ., y
prennent une large place. Les problèmes dénotent le souci
de rendre l'el1seig nement pratique: cubage du bois équarri,

du bois rond, calcul d'impôt, partages etc. ; ils sont souvent

le reO et de la vie locale:

Un marchand de Lisbonne envoye à un marchand de Brest
une caisse de castonnade [>esant 1.lt76 livres, à condilùm de

f6' {Je rabais par 100 pour la corde, paille et bois qui f onl

l'emballage. On demande combien eslla lare de ladite caisse?
On m'a mis receveur du ralle de la paroisse, lequel monte à
8 .7!J0 l. 10 s. flQur le recevoir j'ai 2 d. 67 pal' livre. Je

demalide po/nb~en j'aurai pour percevoir le ralle?

Le prqblème suivant, assez curieux, méritait d'être relevé,

cn r, étant donné qu'~ faut L enir compte des années bissexti-
les et du changement de calendrier, il n'est pas aussi simple
qu'il le paraît à première vu e :

Je démande combien .il y a de jours, heures el minules

qepuis la naissance de Jésus- Christ jusqu'à présent?

De nombreux dessins agrémentent les bas de pages et
enleven t tout aspect rébarbatif à ce cahier de ma thématiques ;
l'éco li er rep roduit des bordures ornées, des scènes de chasse,
des combats de coqs, des arbres de vie, des cœurs enflam­
més entourés de personnages fantasmagoriqu es représentant
l 'esprit du mal, et qui sont une rémi. niscence des tablea ux de
mission mis en usage par Michel Le Nobletz.
Ceci ne manque pas de saveur quand on sait que les ins­
pecteurs q'aujourd'hui se eroient des nova teurs en exigean t
des écoliers des cahiers ornés d'illu stration s, destinées à leur
,donner un aspect moins austèr~.

' 80 pages dLi cahier ' d'Yves ' Kernoas s'ont consacrées à la
copie de modèles ùe lettres pouvant servir dans les diverses
circonstances de la J'ie. L'en semble est intitulé: Le nOliVeau
SBCI élaire de la COUf'.

12 pages ' renferment des modèles de baux à ferme, de
billets pour prêts :d'argent, de quittances etc. Ces modèles ont
été empruntés à J'étude d'un notaire de Brest;, On voit com­
bien l'instructioTI'Visatl à . donner aux enfan ts des connais-
sances utiles.

, Laplllpart .des .. écoliers n'étudiaient ' pas le latin. Seuls y
étaien t initiés ceux qui' devaien t con tinuer leu rs études dans
les collèges. Les rudiments du latin s'apprenaient dans la
Grammaire de Donal, gramm'airien -né' en, 333 après Jésus­
Christ; ceux qui 's'y livraient étaient les donatistes : Les plus
avancés étaient. les partistes .qui étudiaient la 'partition ou
analyse grârirmaticale.
Parmi les élèves qui étudiaient le latin se tt'Ouvaient les
candidats an sacerdoce. Après avoir fait leurs humanités,
tousn'arl'ivaient ,pas ~ la prêtrise; quelques-uns retournaient
dans les campagnes où, souvent, ils exerçaient la profession
de maîtres d'école.
L'enseignement religieux occupait ,' une grande place
dans J'emploi du ·temps des petites .écoles; il était règle­
menté par lessta,tuts synqdaux, les mandements. et les ins­
tructions dbnnées . par l'évêque au , cours : de .ses tournées
pastora1es.

La rareté et la cberté des' livres fUTen t longtemps un obsta­
cle au développemen t de J'instruction. En 148\, les livres de
grammaire acheté..s...pourk sejgneur de Léon, âgé de 10 ans,

plusieurs milliers de francs de nos jours (1). Grâce à l'impri­
merie, les livres furent bientôt à un prix abordable.
En 167:l. les statuts synodaux de Bretagne donnent la liste
des livres classiques imprimés par ordre des évêques en
français ou en breLon. On y Lrouve pour les petites écoles:
le Catéchisme; l'A lphabet ou Croix de Dieu; le Syllabaire ou
Sainte-Croix; l'Exercice du chrétien; la Civilité chrétienne
que les élèves appelaien t le Retournez, parce que le livre
commençail par ce mot.
Chaque enfant recevait à son entrée à l'école un alphabet
appelé Croix de Dieu ou Croix de par Dieu, parce que la
lettre A était précédée d'une croix: que l'enfant nommait
d'abord. Le Syllabaire ou Sainte-Croix faisait suite à l'A 1-
phabet.
Les élèves qui savaient lire lisaient dans la Vie des Saints,
dans Les Heures bretonnes de M. Bris, L'Evangile, en fran­
çais ou en breton, ou d'auLres livres de piété, sans en
excepter le Catéchisme du diocèse, qui. faisait l'objet d'une
étude à part.
Vers 1660, François Le Su, patron pêcheur à l'Ile de Sein,
âgé de 60 ans, déclara au père Maunoir que, dans sa jeunesse
il avait étlldié le Rudiment de Codret, et les Sentences de
Caton. .
Les ouvrages scolaires d'autrefois sont aujourd'hui introu­
vables Toutefois, la bibliothèque municipale de Quimper
possède deux livres d'écoliers qui, quoique publiés en 1800,
paraissent être la reproduction à peu près intégrl\le, d'ouvra­
ges en usage dans les petites écoles avant la Révolution,

Ces livres, édités en 1800 chez R. Malassis, libraire-impri-
meur à Brest, ont paru sous la signature du citoyen Tanguy
Le Jeune, ex-greffier et maître d'école à Plabennec, Tanguy
al' Yaouanc, eus a Blabennec. ex-greffier ha maistr scol.
Leur étude altentive permet d'affirmer que le citoyen Le Jeune
a utilisé les livres scolaires qui lui avaient servi lorsqu'il
était écolier, il s'est contenté de les « démarquer» en rem­
plaçan t monsieur par citoyen ou ci-devant, août par lIter-

midor, etc ...
Le premier ouvrage est pompeusement intitulé: Rudiment
du Finistère, composé en français et mis en brelon, pour
apprendre facilement, et en peu de temps, à parLer, à Lire et
à écrire correctement, comme un grammairien. Il débute pal'
un avis aux maîtres et maîtresses d'écoles rurales. Cet avis

est la reproduction de la doctrine pédagogique de l'abbé
Charles RolIin (1661 174 (), autelll' d'un Traité des études,
ouvrage d'une grande valeur et qui fut, à son époque. d'une
imporlànce capitale:

« C'est par la langue matel'Oelle que doivent commencer
les études. La connaissance d'une langue sert d'introduction
à l'étude des autres langues. Quand on parle à des enfants,
il y a une somme de conriaissances à laquelle il faut se
borner. Il est surtout important de ne pas leur présenter
plusieurs choses à la fois; il faut, pour ainsi dire, faire
entrer dans leur esprit les idées une à une, comme on intro­
duit une liqueur, goulle à goutte, dans nne fiole dont
l'entrée est étroite; si vous en versez trop en même temps,
la liqueur se répand et rien n'entre dans la fiole . Il y a aussi

un ordre à garder; cet ordre consiste principalement à ne
pas supposer des choses que vous n'avez pas encore dites et
à commencer par les connaissances qui ne dépendent point
de celles qui sui ven t ».
En somme: se servir de la méthode bilingue, doser les
connaissances, ne pas surcharger la mémoire de l'enfant,
graduer les difficultés, tels sont les principes pédagogiques
conseillés aux maîtres. Il semble que le but était d'amener
les petits Bretons à la connaissance du français et de n'utiliser
ensuite que cette langue. C'est, du reste, ce français appris

à l'école q ue l e peuple' transporta dan s là langue bretonne
pour en faire cet idiome hâtard , fai-ci d e mots français, qui
devin t le langage cou ran t et q ne l'on retrou ve da ns la 1 i tté­ rature brelon ne des XVIIe et xvrn

sièc1es .
Dans le « Rudiment » du citoyen Le Jeune, chaque page
comprend , à ga uche, les règles de la grammaire frança ise de
Lhomond , sui vies d'exemples ; à . d roite, règles et exemp les
sont trad uits en breton, La tradu ction rappelle le mau va is
b relon écrit du temps du père Maunoir ; un lecteur n on
b retonnant en saisit assez aisément le sens ; une cita Lion
suffira: An "exernplou so cholset evit noh pas p arlagi an
attention IJah obj e tar: reglen, '. '
Le deuxième ouvrage' a. pOllr titre :. Protocole d'actes ou
Bibliothèque des enfans de la campagne, à:l'usage des ~coles
primaires, contenant tiJ uté's sortes d' écrilslrès utiLes et néces­ saires aux personnes de loutes pro fessions. Il porte en exerg ue
ce principe pédagogiqué de Rollin : ~ Hne faut enseigner
au x enfants CJu e ce qui peut leur être utile un jour »"
U n « . avis ou in structlo n:·aux l t raîtres ». contient ce passage
q ui n'était 'guère'de mise -dans les écoles pendant la période
révolutionn aire : a Après les premiers principes de la Reli­
gion. de la Civilité chrétienne et de la g rammaire, les 'j eun es

gens ne sauraient rien app rendre de .plu s utile·. pour
compléter et couronn er leur . cou rs d;étuqc. quece.·petit

code contenan t . toutes' sottes :'d'écrits ' qui peu. ven t servir
d'exempl es aux enfan s: .: .' . :
« Les maîtres et · maîtresses d'école 'doivent "s'occuper à
app rendre à leurs disciples la manière. dont on dO it ·s'en
servi r et à lf2 u.r expliquer même' tout ce protocole en bre t.on,
mot à mot et différentes .fDis pour qu'ils s'en sou viennent
tou te leur vie» . .. ... . .. ,.

Le .li vre renferme des modèles de .Iettres 'et d'actes. sous
sein g-pri vés, imprimés en ca ractères manu scrits. Ces:inodèles

Sui vent un programme complet de calcul s, pui s des
histo rie LLes morales et un recueil de proyerbes o.u sentances .

Les récits mora ux ne ine llent im~ scèrl~ que des. 'persono é)ges

de l'ancien régime ; les acles d'héroïs[l}e o (l t tO ll S PÛlH

auteurs, non des hommes de J'époque r é,volblion,naile, ma is
des offi ciers o u 'générauxdu teni ps de Lçiù isX.l Y. Le~

m axim es sont tirées de L'Ecole des Mœurs,. Q.L1v.rage ass~~

ancien , renferm ant surtout des sentençes religieuses ':' ..

" Ne demandez à Dieu ni grandeur ui richesse ; '. .,

" M ais, pour vous gouverner, demanùez la , sag~sse ». etc .... .

Tout cela n'était pas de . mise à l'é poque'révolutio nnaire,
Il est hors de doute que nous nous trou vons l'ln p~ésence d'un

livre en usage da ns les ,écoles é)vant I7~9 ; le c;itoyen Tangu y
Le j eune ne s'estmêm.e pas donné .lél .peine d~ l'adapter aux

temps nouveaux, .

Les petites écoles chômaient le dimanche et le j inié li lo'r'sque

la semaine ne compren aitaucun jour de fêle. La durée des

vaca nces, généralement de deux mois, n 'était p'as la mêm e

par tout; la da te et la durée en était fi xée dans chaque
paroisse par le contrat sig né avec le maître d'école. L a classe
durait quatre heures par jour, de ux h eures le matin et deux

heures le. soir, ce q ui. pe~me.ttait aux .parents dé fai"re 'in s-

truire leurs enfants tout .. ~n. :les utilisant pour les menues

besognes de l a maison.
Les récompenses scolair~sco~s ista ient surtout e, n croix de
mérité, di stribu ées aux éIè'ves laborieu !, . Les écoies d e 'R~-

couvrance possédaient huit croix de m érite en argen t. Depuis

1746, la ville de Bres t cOIlsacrait chaqu e annee un e somri1e

de 30 livres à l'achat de iî vres èlti prix. Ces pri x, étaien:t
distribu és en fin d'année scolaire, en . présence du recteur

Pourvus du modeste bagage acquis à récole paroissiale,
les enfants des familles aisées, qui ne se destinaient ni à la

prêtrise ni aux professions libérales, continuaient leu rs étu-
des sous la direction d'un maitre de- ville ou se rendaient
dans une école de second degré, comme celles de Lander­
n'eau ou d'Audierne.
Les fils de nobles ou de bourgeois rich es qui ne faisaient
. pas leurs humanités, s'instruisaient sous la direction de

précepteurs spéciaux choisis avec plu s ou moins de bonheur.
Dame Marguerite Ansquer, veuve de Robert du Couédic,
habitant au Lézardeau près Quimperlé, choisit en 1746 un
précepteur pOlir s'occuper de l'éducation de ses enfants.
« Elle avait esté surprise dans son choix. Elle avait cru que
parce que le nommé Bidan était receu avocat, elle faisait
une bonne acquisition et qu'il luy servirait autant aux
affairés qu'à l'éducation de ses enfants, mais elle a éprouvé
qu'un avocat réduit à estre précepteur , ne pent être qU'lin
méchant sujet. Le Bidan s'oubliait et s'enyvrait journelle­
ment, mesme sous les yeux de la suppliante, de sorte que
ses enfants et ses affaires n'en recevaient que de mauvais
soins» (1).
En 1632, Guy de Keraldanet et Marguerite de Coetnem­
pren, demeurant à 'Lestrémeur en Bodivit, concèdent une

terre à titre de gages au précepteur de leurs enfants. Ce
précepteur était c( Noble homme Estienne Le Baroux, sieur
de Hays )) ; il afferma la terre qui lui tenait lieu de gages) (2).
Un jeune homme pouvait prétendre à passer pour instruit
quand, sachant lire et écrire, il possédait en outre de vagues
notions sur la grammaire, les sciences, les arts d'agrément,
(i) A. Favé, Association bretonne, congrès de Redon, i903, p. 27.
(2) Registre des insinuations de Quimper, 1632. Bodivil était une
lI'ève de Plomelin. .

les noms des differents etats, les titres et armes de leurs
souverains, les quartiers de noblesse et les armoiries des
Grands du ro)'aume, les principes essentiels des lois el de la
religion.
Des notionnaires, sortes de mémenlos, condensaient toutes
ces connais~ances. On éLait elève d'elite dès qu'on en savait
par cœur tous les résumés .. L'un de ces ouvrages porte ce
titre prétentieux: Nolionnaire ou mémorial raisonné de ce
qu'il y Cl d'utile et d'intéressant dans les connaissances acquises
depuis la création du monde jusqu'à présent par M. de
Garsaull, avec figure en taille douce. 1761. Avec approbation
et privilège du Roy.

Sous l'ancien régime, comme de nos jours, les paroisses
bretonnes étaient vastes, les maisons dispersées et parfois
éloignées du bourg de plus d'une heure de marche. Les
anciennes routes étaient rares el mal entretenues, les chemins
mraux étaient souvent inaccessibles pendant l'hiver. Ou
comprend que les en fants trop éloignés du bOlll'g ne
pouvaient fréquenter régulièrement la classe.
Heureusement, le maÎtre, que la classe ne retenait que
quatre heures par jour, se rendait deux ou trois fois par
semaine dans les lieux les plus centraux, réunissait dans
quelque grange les enfants du voisinage et, moyennant une
faible rétribution, leu r donnait ses leçons.
Parfois aussi, l'école se faisait à la veillée. Durant le!! longs

soirs d'hiver, un ancien cc cloer ll, revenu à sa charrue, ou
quelque paysan aisé, ayant jadis fréquenté les écoles, groupait
les enfants et les initiait au mystère de la lecture ParCois
même. les élèves âgés, penchés sur les petits, leur appre­
naient à déchiffrer J'alphabet. Vers la fin du XVIIe siècle, un
écolier de Plougonven écrivait sur un vieux titre de 1630 en

auet François Le Pape et auet Claude Le Bihan, il n'a pas sçu
son abc, il sauoit Croy de Dieu déjà et aussi a, e, i, 0, u (1).
, L'appi'entissage de la lecture s'achevait péniblement dans
quelque Vie des Saints ou les Gwerziou ach etées à un colpor­
teu r de passage.
L'initiation à récriture était plus laboriense . A défaut de
modèles manuscrits, on imitait les caractères' imprimés
qu'on avait appris à lire et l'on apprenait à signer son nom
en gra nd es capitales ou en minuscules d'imprimerie. Dt:)
telles signatures en scritur-moul, se retrouvent, assez nom­
breuses dans les vieux: regi stres des paroisses rurales .
Là se bornaient les acquisitioLls scolaires de l'enfant trop
éloigné du bourg; mais cela suffisait ponr qu'à la lueu r
d'uue chandell e de résine, il épell e péniblement, pui s
déchiŒre ensuite plus couramment so n catéchisme ou les
livres de piété qui co nstitüaient la maigre bibliothèque de
fam ille. _

CONCLUSION

La documentation ulilisée dan s celte étude est inconiplète ;
elle suffi t néa'nnloills pour permettre de porter tin jugement
assez exact S!U l'état de l'instl'll ction avant 1789 dans le

territoire correspondant au Finistère actuel.

Malgré l'obligalic ; J.l1 · imposée aüx: rectenrs de procurer une
école aux: enfants de leur paroisse, on, ne peut assurer que

toutes les localités en étaien t , pourvues. Dans les paroisses
pauvres. le manque de ressou rces a p'll paralyser parfois la
bonne voloillé . du clergé et des babitanl mais on peul
affirmer qu e les bourgs de qnelq, nc importan ce avaient leur

école ,

, ' Des obstacles n atu rels paroisses très étendu es, absence
de bonnes routes s'opposa ient à la diITu sio n de l'instru c­ tion. To us les petits Breto ns ne fréq uentaient pas l'école ;
l'instru c tion , gratuite pour les panvres, n'était pas obligatoire
comme de nos j ours ; les f amill es n e con sid éraien t pas
touj ours comm e un devoir de faire in struire leurs enfants.
Aucun docum ent n e nous renseigne sur J'e ITectif des petites
écoles ; mais si on considère qü e les écolier!) y apprenai ent
le catéchisme et q ue les parents tenaient à ce q ue ' leurs
enfants soient admi s à la communion , on' doit admettre qu e
l'effectif scolaire pouvait être assez considérabl e, Les prêtres
avaient mission de veiller à la fréqu entation des écoles , et
l 'cm sait combien g rand e était leur autorité dan s les
cam p ag nes .
Il es t vraisembla ble qu e, tout a il lTloiu s dans le Léo n , la
g rande majorité des enfants sa vait lire, puisqu e la réédition
du ca téchisme diocésain de 1774 , es t accompag née d'une
note 'au x prêtres leur prescri va nt d e ne pas faire apprendre

par , cœu'i' le cat échi sm e a ux enfants, m ais de le leur faire
lire et expliqu e r.
La prospérité des co llèges de Qliiniper' et de Saint- Pol -de­ Léon , la di'v ersité de ie Lir recru lemen't , prouvent que l'in s-

truc ti on secondaire était en honn eur et ass urait à notre région
un e élite intellectu elle que d 'autres provinces po uvaient lui

envIer.
Malheureusem en t, la di se tte de p rêtres et l'appauvris­ sement du pays au XVIII ' siécle pro voqu èrent la déca de nce de
l'in struc tion dan s toutes les classes de la société. La
Révolution de 1789 préci pi ta la rlli ne des écoles ; elle vend i t
co mlII e biens na ti onaux les biens fo nciers dont les reve nu s
ass urai ellt le fo nc tione rn cnt de celles qui existaient enco re.
Les Assemblées révolutionn airps n'eurent ni le teill ps ni les
moyen s cie rétablir les écoles di sparues , E n J'a n XI, le p réfet

trouvait l'enseignement, écrivait au ministre chargé de
l'instruction publique: « Les collèges ont disparu; il n'existe
dans le département que quatre écoles publiques. Je viens de
les ériger en écoles secondaires et j'invite les sous-préfets à
établir des écoles primaires afin de fournir des élèves à ces
cou rs secondaires )).
C'est surtout de cette époque que date la réputation de
grande ignolëltlce faite à la Basse-Bretagne. La situation
scolaire y demeurera déplorable jusqu'au règne de Louis­
Philippe. Grâce à la loi Guizot (1833), les écoles surgiront à
nouveau et l'in struction reprendra l'essor interrompu par la
misère et le grand bouleversement de 1789.
Puisse celle modeste contribution à l'histoire de nos écoles

d'autrefois attirer l'attention sur un domaine trop.abandonné
des chercheurs. .
Il se dégage de ces documents une philosophie consolante,
qui permet de voir le présent avec d'au tres yeux, et de juger
le passé avec plus d 'indulgence, plus de justice aussi. Nos
vieux maitres de l'anciell régime inculquant leui· modeste

science aux générations successives , furent comme ces cou­
reurs antiqnes qui devaient se transmettre sans s'arrêter
jamais et sans jama is le laisser éteindre, le flamheau des
fêtes sacrées.
L. OGÈS ,

DEUXIÈME PARTIE
Table des mémoires publiés en 1937
PAGES
1. L'Instruction sous l'Ancien Régime dans les limi-
les du Finistère actuel (suite), par 1. OGÈs .. 3
II. Les Bretons et la taille à Paris sous Philippe Le
Bel, par R. COUFFON. , . . . . . . . . ., 45
III. Les nécropoles préhistoriques de Lannoulouarn
et de Kerégan en Plouguin, par 1. L'HoSTls.. 50
IV. L'élection des députés du Finistère à la Convention
nationale, procès-verbal de l'assemblée élec-
torale, publié par J. SAVINA .
V. Le clergé régulier dans le Finistère en 1790,
D. BERNARD. . . .

QUIMPER - IMPRIMERIE Mme BARGAIN

par