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Bulletin SAF 1935


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Les poteries de Lanveur en Lannilis (Finistère)

M.-R. Chevallier-Kervern

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1935 tome 62 - Pages 115 à 137

Maisons de poli ors il Prat-'l'orclwll el Kel'isaouen
LES POTERIES DE LANVEUR
en Lannilis (Finistère)
Il Y a quelques années, lorsqu'on n'empruntait pas encore
les routes goud ronnées pour dévorer l'espace dans un auto- .
ca r, le petit train départemental. aux allures de diligence,
savait il. sou hait faire savourer le trajet Brest-l'Aber-Wrach.
Après les arrêt.s de Gouesoou qui laissait apercevoir sa
ravissanl e égli se et sa fontaine ombragée, et de Plabennec
bordé de fraîches prairies, on entrait ensuite dans une zone
plus austère.
Dans cette campagne bretonne du Léon, où toute rudesse

est beauté il. qui sai t la découvrir, après l'arrêt de Plouvien,
on se trouvait soudain dans une étendue de plusielll's kilo­
mètres de land e inculte, co uverte d'ajoncs ras et de bruyères,
et dont la tene d'nn ton chaud avait été creusée de place en
place : le train coupai t par le milieu la terre de Lan veU!' ( 1),
- 116 -
précédant de trois kilomètres la commllne de Lannilis, à

laqu ell e elle se l'attache ell parlie (l'alllre parlie dépendant
de la COITllllline de Plouvien) ( 1) .
C'est SUl' celle lerre d'argile, impro~Jre à la culture, que se

sonl in stallés les seuls artisans qui
pouvaient exploiler la nature de ce
sol, les potiers,
Aujourd'hui, 011 cherche vaine­
ment autour de soi une activité une

présence même. dans celte lan de à
l'aspecl désol é, aux crevasses béan­
les; lout semble dormir el vivre du
souvenir d'heures pills laborieuses.
A peine une fumée monle-l- elle, à
longs in tervalles, du dernier fou r de
Prat-Torchpll .
Les besoins de l'hom me se seraien t-
il s transformés au cours de ces der­
niers siècles a1l point que cetle lande,
Vage dl'COl'l', cn lerre
rO llge., rait par M me Gou­
zinu, une des ,tcmièl'es
al'lisarll's, ~ui tell ,l it le m6-
li,)r de sa mère' el. cl'll.c-ci
dl~ sagrand'mère. CP, vase , qui a dùconnaÎlre tant d'activité,
a ' Né placé à l'angle du ' , soit maintenant devenue si déserte ~
loit dl' sa chaumière N ' J' ' ,
, ' . ous allons trouver une exp IcallOn

il cc décl in eu esq llissant rapidement l'histoire de la poterie

tou l 'lI Il moins dans SO I1 ·évolulion aux XVIIIe et XIX" siècles,
LI semble irnpossibl e de fix er Ilneda l.e 11 l'origine de 'ces
poteries.

Il exisle pell d'ouvrages concernant cette partie du Léon

avant le passage de Cambry dans Jé déparlement. ' et l'état

de mauvaise conservation des archives locales , qui devraient

clonner au moins quelqlles indicalion s, n'est pas fait pour
faciliter les recherches.
(1 ) « Nous ne connaissons pas d'nutrrs birns comlllunaux dans notro
paroisse, dit le Jivre de juridictiou dll mal'quisnt de Car'man en 090,

fit

L'indusLrie de poLier de terre ex.isLe depuis plusieurs
siècles (1). li est conllu que le Lour cil 1 pOLier est Ull illstru­
ment de la plus haute antiquité, puisqu'on en l'aiL remonLer
l'origine au XIX· siècle avant J.-C. Pourquoi donc rie pas
supposer que les poLiers de Lanveur, comme le dit une chro­
nique du commencement de ce siècle, « durent fournir
autrefois une puissante corporation qui lui permiL d'organi ser
la pmduction et la vente, et d'accaparer le commerce de la
poterie dans touLe l'extrême Bretagne» (2).
Au XVIe siècle, Lannilis est déjà notée comme une paroisse
« considérable ». 11 est fort pmbable quo l'indll~Lr ie cles
potiers de terre a connu une période florissanLe à ceLLe
époque, d'autant plus que, par sa situa Lion géographiqu e,
Lannilis peut écouler facilement ses produits dans les cam­
pagnes envimnnanles.
Toujours est-il qu'au xv m

siècle, au momenL de la grand e
misère due aux épidémies qui sévirent dans le Finistère
enLre les années 1770 et 1780, l'intendant du mi demanda
instamment à son subdélégué de faire, d'après le registre des
recteurs, des enquêtes sur les genres d'indusLries du déparLe ­ ment. Mais, de part et d'autre, la bonne volonLé manqua, eL
la Révolution arriva sans que satisfaction fût donnée à sa
demande.
Pendant la Révolu tion, les regislres des mai ries con tien­
nent sur le sujet qui nous occupe quelques détails intéres­
sants : on voit ainsi que des poLiers sont nommés en l'an VI
de la République, pour la section de Kerbabu, commissaires
(i) Au musée de Saint·Germain, salle dn Chatellier, ou sont les
collections arch éologiques du musée de Kernuz, est mentionné: Epoque
de la pierre polie j un vase extrêml'ment grossier en terre mate pleine
de grains de sable, mal cuite, couleur gris-noir (chambre dolménique
de Trorioun), Lannilis (Finistère). Le musée de Quimper a égalemrnt
Ull vase à trois anses, brun-rouge. trouvé dans une chambre sépulcrale.
sous un lumulus, à 1.00 mètres aux issues ouest du bourg de Lannilis
(Finistère ).

chargés de veiller à la juste répartition de l'emprurit forcé
de la comm une.
Cambry, dans so n Voyage dans le Finistère ( 1794 ), au
COlHS de son voyage dans le Léon , mentionne l'exi slence de
50 à 60 poteries dans les communes de Lannilis et Plouvien.
En IS07, aux foires de Lannilis, on mentionne avec les
quintaux de lin du pays et les aunes de toile qui s'y vendent,
des poteries innombrables ([).
l'ols de rormes diverses. Celui de droite était très demandé
pour le jeu de casse-pots le jour du pardoll de Lannilis
Suivant les renseignements fournis en [S[ 1 0 lorsque
(i M. 13rogniart fut chargé de fournir à la Manufacture de
( Sèvres une collection de toutes poteries qui se fabriquaient
(( en France, et de rech ercher si l'on ne pouvait pas substi­
tuer aux [Joteries grossières revêtues d'un vernis, da ns
(( lequel il rentre plu s ou moin s de plomb, une porcelaine
" commun e fabriqu ée avec des terres du pays, il fut établi
(( qu'il existait à Lannilis, arrondissement de Brest, une
« fabrique rura le de poterie grossière, qui donnait de l'emploi
(( à un millier d'individus envil'On » (2).
Le registre des délibérations de [S28 nole que les étalages
de poteries soumis au tarif sont nombreux SUI' les marchés,
chacun ( étant censé occuper trois mètres, la charge d'un

(1) Lannilis a eu aussi, jusq u'à la Un du siècle dernier, une corpora­
lion de tisserands.

cheval ". L'industrie des potiers est alors en pleine période
de prospérité. C'est à cette époque et jusqu'en 1874 que sont
notées de nombreuses demandes d'achat de terrain, à la
commune de Lannilis, SUl' la terre alors disputée de Lanveur.
Disposés en ceinture autour d'elle, se peuplent les groupe­
ments de Prat-Torchen, Prat-Lédan, Kerisaouen, Keryen,
Grollo, Bergot, Kerabo ... C'est là que s'installent les familles
Corre, Cléach, Guéguen, Aballéa, Cloarec, Ja[l'rès, Tréguer,
Allégoet, Gouez, autant de noms familiers de nos jours. A ces
noms il convient d'ajouter celui de Landuré, potier aveugle,
né en [827 à Lannilis. Des charrettes renlplies de poterie~

s'en vont, par toutes les routes du Léon, écouler lem contenu
sur les foires et les marchés. La terre de Lanvelll' se vend à
Landerneau, au Faou, à Châteaulin, à Carhaix, à Saint-Pol­
de·Léon.
Uu rapport de [834 de la Société d'Emulation de Brest
parle en ces termes favorables de la poterie de Lanveur :
(1 II existe à Lannilis et dans les environs un grand nombre
~ de petites fabriques de poterie commune, où l'on confec­
« tionne toute espèce de vases susceptibles de servir à tous
« les usages de la vie domestique. On les rencontre dans tous
« les petits ménages de l'arrondissement de Brest, sous la
« forme de pot-au-feu, de soupière. de casset'Ole, de terrine,
(( de plat, d'assiette, etc ...
(( La matière première n'est au tre chose que le gneiss et le
(( micaschiste tombés en parfaite décomposition. additionnés
cc ' la consisLance cl de la ' ténacité à lapàLe et dé permettre son
(( moulage so us tou tes l es formes possiblès. )} "
« Ces vases SOllt touj ours recouverLs à l'intériem et quel­
(( Cjuefois à l'ex térieur d'un vernis dont l'oxyde de plomb faiL
« la base, ct qui le rend à peu près imperméable. Le 'peu de
" compaciL é de la' matière, permeLLant sa dilatation dan s' tous
« les sens; es l la cause principale de la propriéLé qu'ils ont
« d'aller au feu eL de s'accommoder de touLes les variations
« de température, Cependant, la solidité de ces va ses es t assez
« co nsidérable pour qu'ils fa ssent un lon g usage, lorsqu ' il
« ne lem arrive pas d'accident 'grave, et Jeur bas prix permet
« de les remplacer fréquemme nL Il .

C'es L en 1837 que quelques pièces de poteries lltiliLaires
- fourn eaux, vases à anses , écuell es - entrent à la Manufa c­ ture de Sèvres, eL cependant, huit années plu s tard, en 1845 ,
dans un Lableau soig neusemenL éLabli des Manufactures de
France et d'Europe, Lannili s est notée comme « Tuil erie».
Pour les besoins du commerce, sa ns doute, les poLiers
a vaient-ils cessé pou r quelq'ues an nées la fabri ca Lion des
poteries usuell es" pour se consacrer à cell e des lùiles. Ce
ne fuL 'd'aillems que momentané.
Mais, après ce LLe période de prospérité, trois arrêtés
préfectoraux de 1 874 , 75 eL 78, vinrent porter une sérieuse
a LLeinLe à ceLLe i Iid tis Lri e,
Les poteries en elfet, sont l:ecouverLes d'un ' vernis à
l'oxyde de plomb qui, imparfaitemen t viLriflé, n'est pas sa ns
dan ger. San s doute, parmi. la population quelques cas
d'intoxicaLion s'étaienL-ils produits. Invoquant le fait qu e
«ces poteries sont fa cilement aLLaquables, même à la
température ordinaire pal' le vinaigre, les fruits eL les aliments
acides, et que leur usage était de natme à porter une
alleinte sérieure à la santé des populations Il, le préfet du
Fini,stère interdit la , fabrication et la ,vente des poLeries

125
C'étail enlever aux poliers le moyen de vivre.
A ce moment, lm pharmacien de Bres t, M. Con sla n li n,
préconisa l'emploi d'un nouvea u verni s san s danger; il fil
éditer à l'u sage des poliers une petite brochure écrile en
rrançais et en breton , dans laqu elle il leur indiquait l'u sage
du silica te de soude additionn é d'un e poudre colorante,
pour vemir leurs poteri es .
Mais le procédé Conslantin, q ui probablemenl parut aux
poti ers moi ns si m pIe qu e leu r procédé llabi tu el. dut être nban­
donn é au bout de quelques essais, leurs fours ne pouvant
donn er le degré de cuisson (' xa ct exi gé par le sil icale de soude.
Un délai de troi s mois avait été acco rd é au x potiers, cl ans
l'arrêté de 1 875, pour leur perm ettre d'écouler lelll'
marchandise, à conditi on expresse de munir d'étiqu elles
« vernis à l'oxyde de plomb »' Iem s obj ets pour la ven le.
Ils passèrent outre, . Des contra ventions furent dressées ,
suivies de procès. En 1 897, T 3 poli ers comparni ssenl devanl
le juge de paix, et sont d'ailleurs jugés avec indulgence. On
lit en effet au cours du jugement «( quelques li gnes d'un
ouvrage sur la poterie frança ise, écrit par un auteur très
compétent (~) el déclarant qu e les verni s à ba se d'oxyde de
plomb, sont les seul s q ui peuvent êlre employés dans la
fabrica tion des poteries commun es » ( 1) . Les potiers sont
condamnés à 1 rranc d'a mende el aux dépens.
Leur situalion était tragique. il est vrai, pui sque 250 per­
sonn es se trouvaient réduites à la misère la plu s noire. Les
journaux loca ux s'en émurent et le maire de Lannilis réunit
spécial ement le Conseil municipal pour lui exposer la
situa lion ; d' un commun accord, ils adressèrent au préfet du
Finistère ce pressa nt appel en faveur de leurs compatr'iotes :
«( Nous nous permettons de demand er à !VI . le Préfet de
« prendre en grande pitié une populati on nombreuse et qui

« va mourir d e faim . Son indu stri e est sa ~eule ressource ;
« elle Il C cllitive pa s pour la raiso n toute simple qu 'ell e n'a
« pas de terre et qu' elle ne pourrait s'en procurer , habitant
(( a u mili e ll d ' lin mara is composé IIniqu emellt d 'arg ile . Le
(( verni s O eil usage n'es t allaqn a bl e qu 'allx acides ; on peut
(( dire qll e nos vases éta més , surtout dan s nos campa g nes ,
(1 et tO Il S ce nx Cil cnivre dont nO l1 s no us servon s , sont d a ns
« le même cas si les ac id es y séj ourn ent. NO li S a vo ns peusé
« qu'il serait pent-être poss ible d 'obvier à ces in conv éniellts
« en sig na lant à la pop"liltion par voie de publi caLion
« c\'aln ches, qu e la pote ri e dite de Launili s peut être employée
li il tOlit usage, sauf pOlir ,:! In eltre des acides . et exige r qu e
« chaqu e va se devra porte l' I1ne éliqu elle ou empre inLe dési­
(( g née pa r M. le Prére t, qui. nO l1 s l'espéro ll s , voudra bien
(1 modiner l'a rrêté e ll COlH S dan s ce sens, le plu s tô t possible ,
« en a ttenda nt q u'un verni s nouvea u , recherché pal' les chi­
(( mistes compétents , so it mi s il la po rLée de nos malh eureux
« habitants, si di g nes d 'intérêt 'Ji
On fit des rf'c lierc hes celle ilnn ée-I à ell core. L'u sine de La
Bâte, pa r Rochefort en Yvelin es (Seine· et Oise), proposa un
nouvel enduit sa ns d a nger. à la cOllditio n essentielle cepen­ dant qO ue les objets d a ns le four ne so ient pas en contact
direct avec la Hamm e. Les po tiers virent là évidemment un e
difTI culté nouv elle, IfI chambre de cuisson de leurs fours
communiquant avec le foyer. Il s firent des essais cependant,
avec l"appui de la commune de Lannilis; le conseil municipal
em vota un e ind emnité de 300 francs pour les frais occa­
sionnés pa r l'essai des nouveaux vernis, ainsi qu'une somme
d e 100 francs au po tier Jaouez ponr d ommages causés pal'
l'essai des nouveaux verni s. Il n'y eul réellement au cun résul­
tat. L'administratio n usa sans doute d 'in d ul ge nce , puisqu e
de nos JOUI'S, c'est lo nj olll's l'oxyde de plomb qui est
employé.
indu strie, il faut ajouLer ce qui l'a achevée: la co ncurrence
sur les marc hés d ' usten siles en rel' blanc, plus légers, mo in s
frag iles , en mème L emps qlle r amllx des poteri es et de
fa'iences l'aiLes en g rand e sé ri e da ns les villes, et vendu es il
des prix plu s bas que les leurs. Les écrémeuses firent leur
apparition et tue.renl la vente des pod~z.
C'est ain&i qn e, petit à petit, les potiers ne trouvèrent plu s
aucun débouché sur les marchés et furent baltu s par ce
qu'ils appellent, n o n san s mépri s : " la m éca nique, .

A. Puder ; B. [ 'el' il repasser
La lulle était impossible, d'auta nt plu s llue, très obstinés
dans leur faço n de faire, il s n'ont, pa raît-il. jamai s cherché à
ajouter Iln perfectionnement au mélier reçu de leurs pères .
« Toute tentative de les mettre à la hauteur du progrès a
to uj ours été mal accueillie » ( 1). Très indépendants de
nature les potiers ont to uj ours mené un e e xi stence un peu
bohèm e. Ecoutons Gu illaume Léo n, de Lannili s , qui les a
connu s de près, parler d'eux , au commencement de ce
siècle:
Après une vente fru ctue use, «( ils arriva ient au retollr de

(i ) On pade nans le pays d'un rssai d'organisation de l'iudustrfe des
poliers qui fui telitA il la fiu du siècle derni er, daus le group E'ment de
Gl'ollo, mais qui n'aboutit pas, les potiers n'e.nlenrlant pas drpcuclre
d'un patron, ct ayant mis le [eu UII .iour ù un bâtiment en signe de
protestation .
128 -
« lem s expéditions le g ousset
« lcu l' arri vée, était- ce fête à la
bien garni. Aussi le jour de

maison. Un e fois la charrette
« remisée et le bidet à l'écl1rie, tout travail était interrompu
« et toute la famille se mellait à table pour manger et boire
(( à la prospérité de la poterie . La population des po tiers es t
« un e popula Lion dont le carac tère tran ch ait nettement sur
« celui de la popnla ti on des cultiva teurs, leurs voisins.
« Très insoucianle au lend emain, elle vivait au jour le
« j our. Lo rsq ue les gain s étaient forts , on faisait bombance.
« Lorsque l'indu slrie éla it. dan s le marasm e, on se contenlait
« de tremper son pain n oir clans le lait caillé q ue les enfants
(1 étaient all és recueillir da ns les fermes voisines . Grands
« discoureurs sm ta u t, les po tiers prenaien t vo lon ti ers cettc
« m a nie de pa rler comm e un trait de supériorité sur le
( pa ysan. plu s silen cieux.
(1 Popula ti on intéressante, néanmoins, par je ne sais qu o i
( de n aïvem ent primesau tier, qui est le fond du caractère
« d es g rand s enfants comm e les pêch eurs .
(( Vaincus pa r toutes ces fo rces coalisées)) , les po tiers sont
en train de di spa raître ...

Plu s lo in , on lit: (1 Jad is, un e ciuquantaine d e famill es
« h abitant Plouvi eu e l Lannili s vivai ent de l'indu strie d es
« po teri es ; a u.i ourd'hui o n en compte à peine un e douzaine ,
(( et so us peu le dem ier po ti er au ra vécu » .

Un autre bulletin d e la mêm e ann ée ' gog relatait encore :
Il Auj ourd 'hui leur n ombre (il s'agit de po ti ers) décroît
( d'année en année ; ·avant longtemps on cherchera a vec
Il curiosité les derni ers po tiers, comme on cherche les der­
« niers sold ats d e Sébas topol ) .
Ces prophéties sont en pleiue voi e de réalisa ti on puis­
q u'actu ellement on ne compte plu s ql1 e deux po ti ers sur la
terre de Lanve u r ( T ).

(i ) Gouez et Cue[ cie Pl'at-Tol'chen.

Ce déclin de l'industrie, hâté par toutes les causes précé­
demment exposées, lient aussi, pour une bonne part, dans
la façon très primitive dont le mélier est encore excercé de
nos jours. Dans celte lande, il faut d'abord creuser de grandes

Tour de po lier
fosses profondes d'environ deux mèlres (1) pour en extraire
une terre, variant, dans une gamme chaude, du jaune indien
au rougeâtre foncé. CeLLe terre argileuse, mélangée de sable

(i) A cinq et six mètres de profondeur, la tene est bieu meilleure

r30
dan's de blJnn es pl'OpOrLions, esL nal.11L'ellement favorable Il
la bon ne [(' Ilue des poLcric~ a li l'ell . Pou l' piocher la Lerrc
dans ce L ernlin imperméable, le polier est souvenL dan s J'eau

Jusqu aux genoux.
Les molles sont apporLées par chan'e ll e, ou à la brouelLe,
jusq u'à la maison clu poLier. La Lerre exlraite l'es le étendue
sur le sol pendant quelque temps, puis est battue au fl éau
pour en briser les moLLes. On la passe au tamis pour en ôter
les graviers; elle devient alors fine poussière et est amassée
dans un abri jusqu'au moment où le polier J'en sort pour la
mélanger avec de J'eau, et la pétrir avec ses pieds, afin d'en
faire une pâte homogène et plastique ( 1) .
Prenant alors son Lour, fait d'un socle fixe et d'un plateau
mobile appelé girelle, il place dessus une boule de terre de
la grosseur voulue, imprime au tour un mouvement de
roLation, avec la main -- ou le pied, lorsque J'objet est de
haute dimension et, de l'autre main, donne le galbe,
arrondit, aplatit ou creuse; avec un chiffon mouillé il
achève de lisser les bords (2). S'il Y a lieu à décoration, elle
est exécutée aussitôt après. L'objet est alors exposé pour le
séchage, qui se fait à l'air libre, mais à l'ombre pour éviter

les craquelures, et dure de deux à quinze jours.
La poterie une fois sèche, on applique sur cette terre, qui
sans cela serait poreuse après la cuisson, la glaçure indispen­
sable - oxyde cie plomb en l'occul'ence. parce que matière
s'adaptant le mieux au degré de cuisson obtenu dans ces
fours primitifs. La façon dont le potier procède est extrê­
mement simple. Après s'être procuré du plomb, il fait
rougir des tisons dans son âtre, et, s'agenouillant devant
une terrine garnie de quelques morceaux de plomb, il y

(i ) Gouez, un des derni p.rs cl pill:oresque [lotier, appelle ce tLe opél'a­
lion c ( raire la danse».
(2) Pour certains objets, comme Ips Luil es pDI' exemple, le galbe est
obLenu avec un gabarit en bois.

En haut: Mitre de cheminée, décoré sur trois fa ces, placée sur la
mai son d'ullo vieille potière à Kerauo. Plus bas : Trois suspensions 811
len e verni ssée (moilié el fin du XIX

siècle) el une cafetière vernissée

EI( 'ments Ù(lcorali[s employés couramment pa l' les paliers et pol de'
, 135 --
ajoute le bois incandescent qu'il tourne avec un manche
d'outil quelconque, si bien que petit à pet.it, le plomb fondu
par la chaleur s'oxyde à l'air et se transforme en poudre
grise: oxyde de plomb très mêlé d'impuretés.
Pour faire adhérer cette pondre aux objets, il les enduit
préalablement d'une bouillie de farine et d'eau, et les suu pou-

dre som mairemen t (1).

Coupe d'un lour : A. Foyer: B. Cballlbre de cuisson; C. Voûte en
maçonnerie grossière; D. Clôture du [our (débris de poteries)
Dans un four primitif, en demi-cercle, orienté dans la
direction des vents dominants, le potier place à l'alTière les
objets à cuire, bouche l'ouverture du four avec toutes sortes
de vieilles ferrailles et pots cassés, et à l'avant, allume
quelques fagots de lande (2); un par un d'abord, pour
chaulTer pwgressivement, puis deux et trois. Pendant environ
trois ou quatre heures, les flammes jaillissent. Les objets

ainsi cuits ont atteint une température de gooO environ.
Le temps de laisser le four se refroidir, et voilà le poLier
découvrant ses objets; quelques-uns ont été déformés ou

(i) POUl' les objets à laire en série, comme les tuiles, c'est la bousse
de vacbe délayée avec de J'eau et étalée avec la main qui lait office
de colle.
(2) Ajoncs secs qui dégagent unr. chaleur considérable.

i36

même brisés 'par les cou ps de feu, tous apparaissent plu s ou
moins colorés de vert ou de roux coulées d'oxyde de plomb
fondu - suivant leur place dans le four, et par conséquent
leur degré de cui sson ,
Tout ' est prêt à être chargé sur des charrettes pour être
vendu sur les m archés des alentours,
Les poteri.es de Lanveur sont, avant tout, utilitaires , Cette
terre d'arg il e et de sable a d'abord fourni à l'habitant les objets
indispensables à sa vie qu otidienne : pots, écuelles , assiettes,
poëlon s, podez (c'est-à-dire grandes terrines évasées propres à
recueillir le lait dan s les fermes), cafetières, fers à repasser,
tuiles , mitres de cheminée etc, . , Pui s, pour l'ornement de
la mai son, sont venus s' aj outer à la liste des objets usuels,
des pots de n eurs et des suspensions, comme 0 0 en voit
encore q uclques-nnes dans les fermes, garnies de plantes
vertes, au- dessus de la table, C'est là que nous trouvons les
motifs de décoration chers aux potiers: l'anneau, le fer à
cheval, l'oisea u, le Christ, le feslon, la neur, l'étoile, etc ...
Que la décoration soit en relief ou en Cl'CUX , elle est exécutée
à l'aid e d'une épin gle, que les femmes tirent de leur châle,
les hommes de leur g ilet. [1 faut noter en effet que nombreuses
oot été les femmes qui ont exercé le métier de potier.
Ces potiers, chez qui le tournage a été le mode de façon­
nage le plu s courant, se sont essayés an ssi à faire qu elques
moulages pri s, vraisemblablement, sur des statu es en bois
des environs, ou sur des faïences de Quimpel'.
Actu ellement, on ne fabrique plu s guère tous ces obj ets ;
on ne trouverait plu s à les vendre, Des survivants de cette
indu strie font seulement des tuiles et des mitres de chemi ­ née ou ribots, qu'il s trouvent encore avec peine à écouler à
Brest. Bientôt elle aura complètem ent disparu (1),

(i ) On essaie actuellement sur la terre de Lanveur une plan talion de
pins, On n'a laissé aux poliel's qu'une pelilp , padie de lp,rrain ; le l'es le
a élr clos dp, fil ùe rer,

On ne sent jamais tant la valeur des choses que lorsqu'elles
sont sur le point de disparaitre. Parce que cette modeste
industrie sera bientôt du passé, il est bon de se pencher vers
elle pour saisir encore II n peu le charme de cet art popu-
1aire. Parce qu'elle a tenu un rôle dans l'histoire locale, il est
juste. avant sa complète disparition, de marquer sa place, et
de conserver le témoignage du travail patient effectué par des
générations d'artisans fidèles, sur ce coin de terre bretonne.
M.-R. CHEVALLLER-KEIWERN.

DEUXIEME PARTIE

Tab.le des mémoires publiés en 1935
L Comment les cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien en Plouzané obtinrent, en
170:1, le droit aux honneurs, charges, privi­
leges, sépultures dans l'église paroissiale et

Ill.
autres prérogatives, par 1. DUJARDIN. . . .
Le mouvement de la population dans le dépar­
tement du Finistère au cours de la période
1831-19:10 et depuis la fin de cette période,
par G. CALLON. . . . . . . . . . . . . .
Notes sur quelques mégalithes non encore
s, ignalés de la région de Ploudalmézeau
(Finistère), par Louis L' HOSTIS (planche hors-
texte). . ' . . . . . . . . . . . . . . . .
lV. La Tour d'Auvergne, amateur de chansons
pAGES

bretonnes, par J. SA VINA. . . . . . . .. 56
V. A propos de Sainl-Renan et des amOurs de
Victor Hugo, par L. DUJAUDlN . . . . .' 64
VI. Deux magistrats brelons du xvnr

siècle:
Germain-Gabriel Ruinet du Tailly (1726-1805)
et Jean-Marie Ruinet du Tailly (1760-1793),
par A. DURAND. . . . . . . . . . . " 75
VII. Un épisode ignoré de l'histoire de La Fonte-
nelle, par L. LE GumlNEc . . . . . . . .. 103
VllI. Les poteries de Lan veur en Lannilis (Finistère),
par M.-B. ClIEVALLlER-KERVERN. . . . .. 115

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