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Bulletin SAF 1935


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Un épisode ignoré de l’histoire de La Fontenelle

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1935 tome 62 - Pages 103 à 114
Un épilogue

Ignore
de l'histoire de La Fontenelle
Le tome le,' d, 's nUCl'ziOLl Breiz-Izel contient (pp . l1 74-
!IRi), SOI IS le titre breton {(erdad/'aon hag or GC/'Ilcwcz . deux
versions recueillies dans le pays de Tréguier, il Plouaret el: il
Pommerit-Jaudy, d'une ancienne complainte bretonne 01'1
sont mis en scène un seigneur cie Kercladraon (alia s Keran­
draon) el une noble héritière, la penherez cie Mézarnou (alias
Le;:armo) qui se laisse enlever pal' led it gentilhomme, auquel
ell e oppose (l'autant moins de résistance qu'elle lui a cl éjà voué
sa tendresse, li est vis ible que les poètes rnstiqu es qui ont
(( levé ') ces deux chants se sont insp irés du même fait; mais
chacun d'eux a cru devoir le traiter à sa façoll. l'enj o liver à la
coulc Lll' de son esprit, Je corser de détails imaginés ou em­
pruntés, au point de lui donner deux dénouements tout
opposés, heureux ici, là tragique, par suite de rendre très
difficile la fu sion des deux versions en un seu l récit, d'or­
clonnance cohérenL e et vraisemblable .
Voici pourtant, à mon sens, commeut devait se raconter'
la chose, au x veillées d' hi ver de cette Arcadie de la Basse­
Bretagne que le Méné- Bré domine de sa coupole fauve. L'hé­
ritièrede Mézarnou,en l'absence de ses parents, est restée seule
à Morlaix avec sa nounice. Agée de clix-sept ans, mûre pour
le mariage, elle reçoit la visite du seigneur de La Villeneuve
(alias de CoaL-a r Skinn, nom tiré de la ballacle de Lézobré )
qui lui demande de devenir sa femme. Elle répond qu'elle ne
saurait aimer un antre que Kerdadraon, qu'elle épouserait
plus au mOllde que leur chemi se, etu ll poig nard nu serait-il
levé sur so n sein lLu'elle so uti endrait encore qlle Kerda llraon
es t son seul et vérital.Jle ami,
M. de La Villen euve écoute sa ns dép laisir ce ll.e fran che
déclaration, car c'est seulement IIn e ép reuve qu'à la prière et
pour le comp te de SO ll ami, il a tenté S UI' le cœu r cie la jeu ne
Olle. Certain clésorm a is cI'y régner en maître absolu Kerda­
Jraon nccourt il Morlaix et suppli e l'hériti ère cie consenti r à
se bisse l' en lever. E lle n'y répu g ne point, mai s la nOlllTice
reeloute d'être renelil e respo nsable elu rapt il quoi elle n'aura
s u meUre obs ta cle, e t, sentant la vanitô cie ses remontranCl~s ,
parle cie faire écrire il M. cie Mézarnou . Cepe rr clant, elle ne peut
empêcher lee cieux: amoureux de s'enfuir ensem bl e pour aller
cacher loin ci e la vill e leur bonheur.
Quelqu es mO'is s'éco ul ent. Dès son retour en Léon, le vi eux
seigneu r a app ri s la fugue cie sa Olle, qui le rend furi eux.
rom châtier les coupables, il ne songe point à recourir à la
justice. Il c ho isit une vengeance sin g ulière, plu s terrible et
plus sûre, qu i les frapp era traîtreusement en pleine félicité.
So n petit page est chargé pal' lui d'aller il Pa ris et d'en l'ap­
porter IlU « feu d'artifice)) propre il réduire en cendres le ma­
noir cie I erclaclraon avec ses habitants. Tand is que l'envoyé
est en chem in . M. cie Mézarnou s'avi se d'apparaître devant
ceux qlli ont si g ravement ofl'ensé son autorité, aOn cie leur
reprocher cette injure et de savourer à l'avance le châtiment
dont elle sera pllnie. Mais sa fill e l'attendait de prime aborcl
par sa dou ceur et son repentir. Elle se dit prêle à recl"voir la
mort de la main paternelle. pO l1l'VU que so ient épa rg nés son
époux ell'enfantelet qu'e ll e vient de m eUre au mond e.
Devant celle humble attitude, le seigneur de Mézarnoll
oubli e toutes les paroles de colère l" t de malédiction qu'il avait
préparées pour en accabler le cou ple fauti f. 11 sa isit le poupon
dan s ses brus, s'émeut de trouver sur ce menu visage sa pro­
pre ressemblance, accepte d'être le parrain de son petit- fils

105 _ .
prononce les nlOts qui pardonnent. Ali ll1ilieu des j oies de la
réco nciliation, le malheureux o llblie qllel lTleurtrier dessein
il avait formé. [ 'idèle il la cons igne le page rev iellt sur ces
entrefaites , lTluni cie l'engin fa tal, et il le lance contre le ma­
noir qu'avait concla un é son maître . Les toits s'ernbrasent. les
poutres l1amb les, et l'h ériti èi-e et son eu fa ut trouvent dan s ce
brasier Line fiu atroce.
J'a i lo ngtemps cherché en vain il quel évé nement ilutben­ tiqlle, il quels personnages réels, pouvait se rnpporter LIll auss i
bizarre récit La chron ique bien con nue du vieux m:.llloir cie
Mézarnoll en Plounéventer (ca nton de Landivis iau, Fini stère)
mentionne le pillage de cette très opulente demeure dans la
soirée et la nuitdu y'raoiH 1594 par le capita in e royaliste Yves
du Liscoct, qui y ramassa un bulin prodigieux; et l'année
s uivante, à peu près vers la même époqlle, l'en lèvement par
le trop fameux chef de bandes ligueur Guyon Eder, sieul' de
La Fontenelle, de la petite Marie Le Chevoir. Cette enfant
était la fille unique et posthume de fell Lancelot Le Chevoi r,
seigneu r de Coatezlan (en Prat près Guingamp ) et de Henée
de Coëtlogon, remariée en 159 1 à Hervé Parcevaux, seig nem
cie MézaJ'l1ou, ce qui expliqlle la présence en ce manoir, près
de sa mère, de la petite Marie, alors âgée de dix à onze ans,
puisqu'elle éta it née en 1585 .
Hien cie commun, à première vue, entre ce rapt, qui a ins­
piré aussi la verve des puètes populaires, et celui qu'ils att ri ­ buent à M. de Kerdadraon.Tout diffère: action, Girconslances ,
dénollement. On sait combien fut triste celui de la cOUlte vic
co nj IIgale de lapenherez de C, tatezlan . Em menée par son rav is­ seur 11 Il l'orl de l'Ile Tristan, près de DOllarnenel., e l presque
aussitôt devenu e, au .moins dedrllit, sa femme légitime. puis­
qu'elle figure comme telle dans un acte du !lll fév rier 1 Gg6, ell e
se trouva veuve six ans pllls tard, après que le misérHble
106

tembre 1602, Elle muurul l'année sui va nle, et les hi storiens
de la Li gue de Brelag ne ne manquelll poinl d'attribu er ce
trépas prémaluré -- Marie Le Chevoir ne complait pa~ enco re
dix-huit ans ~ à sa douleur d'avoir vu périr, d'un horrible
autanl qu'infamant supplice, celui pour lequel elle s'élail
épri se, an di re des auteurs des Anciens Bvêchés ,de Brelagne,
« de l'alrection la plus lendre 1 ) , malg ré des forfaits d ont sans
doule elle n'a vait jamais eu connaissa nce, ou qu e son mari
lui avait présentés comm e des ac lions de g uerre rigoureuses ,
m ais licÏles ,
Malg ré tanl d'a utorilés, depuis celle de M, de La Villemar ­ qué jusqu'à cell e de M, Jea n Lorédan, coa li sées en fav eur de
celle élégiaq ue l1n, il me semblait peu naturel qn'une très
j eun e fem me, presq ue Ilne enfant, de caractère passif comme
paraît bien l'avoir élé J'hét'itière deCoa l.ezlan , n'eût pu survivre
à J'intensilé cie sa peine. A dix-huit ans, les impl'essiom sonl
vives, m ais passagères, peu profond es, et l'on meurt bien
rarement de la maladie que les Anglais appell ent (( le cœur
brisé)J . J'ai finipar me demander si « l'hérilière de Mézarn ou »
dont pa rle la chanso n de M, de I erd ad rao n(la f" rme Lézamo
étant une alléralion m l1niJes le) ne pouva iL point êlre, en dépi t
de lontes les' clifIlcullés q ui paraissent s'opposer à leur iden­
lifi ca tion , Ma rie Le Chevoir en person ne, morte, non du cha­ grin cI'a voir perd u son premier m ari, mais victime cie l'incen­
die du m anoir qu 'elle habitait avec le second.
Qu elqu es rechercheso rienlées dans cette direc tion no uvelle
n'ont pas élé auss i fru clu euses et conclu anles que j e l'eusse
désiré. Mais sans rien me fournir d'absolument décisif. elles
m'en ont pourtant app ris lssez pour m'imposer la con viction
q ue je vais essuyer de faire partager à mes lecteurs .- qu e les
de ux: h éroïnes des ballades cie La Fontenelle et de Kercladraon

sont hien une et même femme, et qu e la roma nesque guerze
analysée ci-dess us nous révèle cc que le peup le des campag ues

extraordinaires, du lamentable trépas de la veu ve du « brigand
de Cornouaille ».
On m'o bj ectera qu é Marie Le Chevoir n'était que la belle-1il)~
d'Hervé Parcevaux, qu'il n 'ava it point de puissance sur elle . .
ni aucune raison de se porLer à de telles extrémités pour l~
punir de sa fugue. D'accord; mais l'aède t régorrois qui rima
la chan son, devait être assez mal informé de la situation de
famille de la châtelain e de Coalezlan et de Trébriant, et avant
tout soucieux de donner à son œ uvre un maximum d'émotion
dramatiqu e, en faisant naître du désir de vengeance du phe
oITensé l'idée cl u « feu d'artifice ,) cru i allait provoq uer la ca tas­ trophe final e.
Le nom de M. de Kerandraon (j e reprends la graphie nor­
male) n'a pas autant de notoriété que ceux de La Fontenelle,
Marie Le Chevoir, M. de Mézarnou, eL autres protagonistes de
cette tragédie. Son existence est cependant certain e, ce qui es t
fâcheux pour l'honneur de l'humanité, cal' c'é t.ait un franc
g redin. Il s'appelait Vincent de Keroll zéré, et était seigneur
de Keranclrao n en Ploug uerneau , à l'extrémité du pays de
Léon . Son père Claude, époux de Claudine de Lesmai s, dame
de MO l'izul', avait été capitaine pour le seig neur de Boiséon au .
château de KeroLlzéré en Sibiril, bercea u de la noble race dont
les K erandraon formaient une branche cadette, et, au débu t
de la guerre civile, il s'était attiré, par ses rapines et ses bruta­
lités, tant de haines qne les paysans le massacrèrenl et muti­ lèrent hideusement son cadavre, lors de la prise cie cette place
forle par les Li gueurs, en novembre 1590.
Digne rejeton du vieux so udard , M. de Kerandraon était
redouV: dans sa paroisse natale à l'égal d'une bête féroce. Il
avait voulut occil'e so n saint parent et voisin Michel Le NobleLz,
qui lui reprochait ses violences, et il « le poursuivit trois fois
pOUl' le tuer avec son épée, ce qu'il eùt exécuté si cet homme
de Dieu n'cùt su cllurÎr plus vile que lui. « Une autre fois, cet
108

les crim es dout il se sentait coupable, l'attaqu a dans l'église
pour le tu er d'un coup d e pistolet. Le serviteur de Dieu s'élanl
mi s à geno n)( etayant découvert sa poitrine,l'autre fut étonn é
tellement de J'écla t de sa verlu et de son coura ge que l'arme
lui tomba des mains, et n'exécula so n ma· lIvai .s dessein. Il ne
porta pas loin cet allentat crn el, car étant pri s et convainc u de
crimes énormes , il fut condamné d'avoir la tête .tranchée dans
la ville de Hennes, capitale de la province de Bretagne» ( 1).
Au nombre de ces « crim es énorm es ») dont nous verrons

plus loin un spécimen, le Parlement retinl cer tain ement le
rapt de l'ex-épo nse de La Fontenelle. Celle-ci avait, il es t vrai,
renoncé à la communanté de bi ens cl'avec son dél'unt mari,

mais elle possédait de son' propre chef, d'après le chanoine
Moreau, un patrimoine de 8000 à 9.000 livres de rente, for­
tune qui, j ointe à certain charme de jeunesse sur lequ el nous
pouvons rêver à l'aise, pui squ e nou s ig norons tout du ph)ls i-;
([ue de la penherez, était de nature à susciter à celte veuve
printanière plllS d'un p rétendant avide de succéder au redou­
lable Guyon Eder. Si sa mère el so n bean père avaient négligé
d'assurer sa !Sécurité. ils eurent lieu de le regreller, cal' Vincent

de Kerouzéré abusa ci e leu r i mprud en le con fian ce pour exé-
cuter un n ouvel enlèvem 'nt in, spiré de cellli qu'avait. perpétré
sep t ans plu s tôt le capitain e de l'lie Tri stan sur la même proie
tentante, devenue plus digne dan s l'intervalle, selon toute
appa rence, des empressements d'un galant homme (2) .

(1. ) I.a Vie du, Vénérable dom Michel Le Nobletz, par le Vénérable
Père MaUlW'ir. A. Prud'h omme, Saint-llrieuG, 19:1!1. M. de Ker~ndrao ll
Il'cst pas Ilommé expressément. L'auleur jtJ t1 ési!tne sr ulemcnt COllll lle
Nanl « un ~entilhomme de son voisinage (il dom MiG hel) cl son pa rent » .
Mais l'identi té du lorcen{' ne peul laire néanmoins uucun doute.
(21 Penda nt les lroubles dl~ la Ligue et la période qui suivit, l'elllève­ ment des hériti ères en vu" rI'un mariage lorcé, élail devenu en Bret~gne
une prat.ique tellemenl courant e que rlans cert.ains manoirs, on ga rdait
louj ours il l'rcurie une haquenée spll (oe pl bridée sur laquelle la penhel'ez
pûl s'enfuir en cas d'a ltaquo suhile. Lc com ple ,le lult' Ile de Clal1de de
Lescoet, dame de Kcrnao, rendu ell HH8. prouve que celle pra lique

rog

. M. de Kerandraon était loin d'ailleurs d'êlre IHl ·in connu ail
manoii' de M ézarnou, pllisqu'il avait épo usé' en ' premièl'es
noces Clalld e Pa cevaux, dam e de Keril scoët,pro-pre seC lil'
d' Herve p.arceva llx, issue, comm e llli, dll ma, jage de Mallri ce
Parcevaux, seig nelù' de Mézari10u. el de L "ran c,:oise de Carn e .

De plus, il verillit de marier sa fill e l i'rançoise de Kerouzeré il
Lan celot Le Chevoir, seig neur de Co~ l.ingu. His de Tnn g uy
Le Chevoir, frère cn clel cI'autre Lancelot Le Chevoir. seig neut'
cie Coa lezl an, père ci e l' lr éritièrll. Les etroit s li ens d'alliance
qui uni ssa ient ce~ lrois familles expliqu enl bi en des cho~('s cl
éclairent bi en des c1 essous. Qlloi qu' il en so it, le ravi sse llr se
conduisit d'Ilne fa t;o n indig ne en s'emparant ainsi cI'un e jeun e
femme lel'l'oriséeclonl il :lIlrait pu être le père. U la condui sit.,
semble-t il , a u man oir cie l(e rni.lZl'el en Loc-Brevalaire, il quel­
qu es kilomètres au slld-o ues t cie Lesneven, chez un nut.re beall­
frère à lui , Vincent cie Kerollarlz, seig neur cie Penven, mari é
d'abord it Anne du Heru ge , héritière ci e Kel'l1azret.
Sa viclime se trollvail là en bonn es nlain s, ca l' Vincent de
Kerouarlz participait Sel'iell Serncnt il l'exécrabl e réputalion de
80n allié si l'on en croillln e pièce cie procéd ure p ' od llile a il
Parlement de lI ennes en 161 5 par le procureur ci e Ja cqu es
En iil94, son pt\re, « pOUl' la sauve r dps sUI'pl'im,'s et enl èvemellt de sn
perso nne qu 'on redoubloit >, la rnnfi~ il la ga rd e de M:lrlalTle de PI W lI t.:,
qui habi laillc château 1 01'tlfi l\ du Ilrl'Îgnou, au Bourg-Blanc. H evP llu p.;'J
Ke'l;olJ' en 1596, elle s'y tl'Ollva si peu en sécll rité qlJe Silli pt\ ro « pOUl'
rai so ll dl's Illenacps qu'on laisoil de l'pnlrver ", dut ~Ijouter ~u IIJan oi r
des ouvrages défensifs d erllb aw:her six solda b c11 1rg('s dl.' vcillrr Sil l' la
pn\cieuse hériti ère jusqu'~ sn ll mUl'ia~e en 1598 avpc Jacques Barbi er,
sOiglWUI' de Kerlln o. (A rch. dep. du Finistère, série E, fonds Barbier de
Lescoet) .
En HHO, la l'ace de ces dallgereux coureurs de dot n'Na il pas
ôleinte. car dans l'acte de 1fJ ll'ia~l' rie ChrislorJhe de Gnrz br ia nd. ~i('·ul'
de I(PI'vèglll'll , el de Marie de Kr l'sa intgil y, hôriti ère du COSfJU i'l'OlI,
passé ,,~ 21 juin ri e cotte ann~e dans 1'1lUdilojre de la eour de M O rilli x,
daine Gilelte u e Corlos'luet, müm de la fiancée, di'da re « n'oze!' IIIP fler
sa fill e hor; cesle vi lle, et n'a scu relé aucnll c dt' le lair", !l'a utant que
ce rl aills gCfltilzh olTlllloS aUl'oiplil. 1 lIl' nn c7.i" lit' ravir rt 1' 111 1'1'1'1 ' sadi lr fill l'
conl re SOli l:o lIsènlell1rnl. t:ell ll v d p. sa filJ.'. rl dl' la plupa rl d~ ses

- 110
Barbier, seigneul' de Kernao, olt il dépeint" les mœurs et les
humellrs du sieur de Kernazret, .. , de tout Lemps impérieux,
violant. sanguynaire, beau-frère de Messieurs de Kerandraon,
assez cogneus en ceste ville ( de B.ennes ) par une fin trop fu- '
neste, nourris et eslevés dès le berceau en la maison dudit
l\ernazret, imbu s de ses humeurs et habitu és à ses mœurs et
l'azons de vivre, et le dit Kernazret évoquant au Parlement de

ce païs sur l'information de voileries, assassinatz et aulLres 1
meUt'tres (I)) . Marie La Chevoiravait donc en ce forban un
geôlier sûr.
Il est infiniment probable (lu'Hervé Parcevaux dut entamer,
au nom de sa femme Renée de Coetlogon, des poursuites
criminelles contre l'auteur du rajJt et ses complices, ce qui
donna lieu de croi re aux gens mal renseign és qu'il était le
propre père de la victime, et qu'il avait Ull aITront person­
nel à punir. Mais un malheul' imprévu allait, en déjouant les
projets cupides de Vincent de Kerouzéré, terminer tragique­
ment les trisles destins de l'héritière. Le feu prit au manoir
de Kernazret, et ell~ périt dans les llam mes. La dame de J(er­
uao, Claude de Lescoe t, perd i t en cet i ncend:e uue selle de
haquenée richement brod ée (2) . On imagina, dan s le peuple,
que le sinistre était dù à un e vengeance cie M. de Mézarnou et
qu'il avait été causé pal' le jet préméd ité d'une pièce d'artifice.

(i ) Arch. dép. du Finistère, série E, fonds Barbier de Lescoet. On
remarquera que ce passage fait mention d'au moins deux (( Messieurs
11 > Kerandl'aOll » exécutés à Rennes. Vincenl de K e.rouzéré avait dOllc
UII fl'ore. Est-ce [Jour le comple de cefrore ou pour le sien qu'il avait
enlevé l'hél'itièl'e ? Il est impossibl0 de le savoir en l'a bsencl' dl' docu­
ments pl'écis. Je n'ai trouvé. SUI' la généaologie des Kel'ouzél'é de
K crandraon, que des dOl1ué.es fraglnenlail't's et Ires incomplèl.es.
(2) Je n'ai de pr('uves cerlaines de l'in cendie de Kernazret que
l'al'ticle du compte de tutelle de Cillude de LescoPl (Arch. dép. du
Ji'inistè7'e , sé7''Ïe E, fonrls Ra1'bier de Lescoet) qui 1'8 ppode la Derle de
cello selle, et la men tion failo du sinislre dans les deux chansons
hl'ptonnes des (:uerziou. D'après cll ('s , c'est le manoir de K el'undraon
qui brûla. Cr. (]lI'il fant en relenir, c'est ce qne l'hél'ilièl'e est morte
dalls l'incenùie dn manoir qu'ello habitait, ('[ toules les circonstancrs
II J
Les badauds racontèrent aussi qu'avec la jeune femme avait
succombé son lIoLiveau -né. C'est sous cette forme émouvante
qlle l'anecdote se propagea de bouche en boucbe jusqu'au
pays cie Trég uier, où cieux rimailleurs la tournèrent en com-
plain te. '
Le « brCdi s )) de Kernazret peut êlre fix é au milieu de l'année
djo3 . Marie Le Chevoir ne lai ssa it aucune poslérité, cal' l'exi s­ tence de J'enfant que, selon la chan so n populaire, e.ll e aurait
eu de La Fontenelle, n'es t pas plus authentique qu e cell e du
malheureux poupon brtil é avec sa maman. Ses biens firellt
donc retour il son oncle paternel Tan guy Le Chcvoir de Coa t­ jag u. Ce fut un e terrible déception pO Ul' son seco nd mari
On peut mesurer la violence de ce coup. et l'exaspéra tion
qu'en ressen tit M. de Kerandraon, par l'attentat criminel
aUlIueI il se porta S UI' l'h éritier cl es domaines bien l'entés de
celle qui avait été si peu ùe temps sa compag ne. Ulle pièce
de 16 12 (1 ) l'apporte que Tanguy Le Chevoir fuI. « mi sérable­ men t assassiné dans S:1 propre maison par le bea~]·père de SOIl
fil s », vers la fin de [(jo3. Mu" Baudry n'a [Joint réuss i à
identifier le meurlrier el elle déclare que le dram e qui coù ta
la vie à l'infortun é Tang uy demeure « entouré d'un impéné- _
trable mystère)J . De ce mystère, je suis heureu x d'avoir pu
dissiper les ténèb res. Le fnrouche compère n' était autre, on
l'a vu; que Vincent de l erouzéré, père de Françoise de
l(erouzé ré, femme de Lancelot Le Chevoir, fil s de Tanguy .

Dans sou tableau généa logiqu e de la maisoll Le Clievoir,
Mm" Baudry attribue à Lancelot deux épo uses success ives,
Marguerite de Quélen et Françoise Le Nobletz, mais elle ne
so u11le !!lot de Françoise de Kerollzéré, qlli fut en réa lilé la
première, et lIu'on trouve pourtant bien nomm ée dans Les

(1) . J. Bu LLf]!')', La F ontenelle Le Vigueur, Nantes, L. Durance,
1\120, JI Id \-l C 'psl UII excclldnt oll vragr paru après ln mort de SOli
uLilcur ol anquel M . ./ . LO l'o dal1- U P .lllp(·un l!\ bi ell dps rnllse ii( 1I0(I H'n l.s
sa lis le cilel' une seule rois.

III
Anciens Evêc/tés de B/'etagne (t. lI, p. 265, noLe l, ainsi qu e
dans l'article Le Chevoir du Nobiliaire et Armorial de Bretagne
cie Pol dA Co urcy I l. l. p. 2ô8 de la 3° écl iLi on ) avec une
grosse errellr qlli fail d'elle la grand'mère de Marie Le Che­
voir! ~ J ea n Loréda n l'a rellconlrée aussi dans une pi èce
du fo nd s Boisgeslin des Archives des Côles -du-Nord. mais
il l'appelle I."rançoise de Quervezec, par suite d'une leclure
défectueuse de la grap hi e Querouzéré ( 1). Elle élait alors,
en 161 2, curalrice cie so n époux. déclaré en état d E; minorité
perpéLpelle comme débile d ·espril. Il faut croire que Lan­
celot Le Chevoir reco uvra claus la suile loutes ses l'acuités,
cal' on le renconlre en parfait éq uilibre physique et menlal,
remarié il deux reprises la prem ière fois vers la fin de
161f! - châlelain cie Coatezlan et père de plusieurs fil s et
filles.

Nous savons par quelle
.. . fin terrible el due à ses f'orf'aits
furcnt châl ié~ les débordemenls ci e M. de Kerandraon. Des
rec llerches cla us le fo ncl s de la Cllambre des Toul'l1elles . aux

archi ves dll Padernent de I3rel.agne . fcra ien t probablell1eul
connaîl re la clate cie l'arrêt de mort LJui le frap~)a. Il est
remarcjlwble que, pal' une fatalil.é somb re. les cieux époux de
la malhellrell se penherez aient expiré 1\111 et l'autre S UI'
l'échafaud. Hervé Parcevaux de Mézarnoll se trouvail en
16 l:1 . pOlir ca use (( d'imbécillité)), co nfi é aux soins d'un

curateu r, son frère Cadet ou cousin Claude Parceva nx. siellr

de CO:itrez. Les épre llves de tout geure subi es depuis ,5gô
par le pauvre gelltilbomme - mi se il sac de so n beau
malloir, cap tivité, ran çon ruineuse. g rav es soucis famili allx.
procès coûteux n'expliquenl que trop bien ce Lle déficience
morale. Sa femme Ileu ée de Coellogon vivail encore en 1605

. ('Ll . J. Lor &.:lao, l,a lt'onlp-nelle, swiglleu1' de la L'igne, Pari s, 1926,
pp ~7\) .. '28U. Aur:.une [:lIlJilln noi.JI ,· . Jyullt il' p~Lroll'ymo d(1 Kervt'·zr. e ou
QU f;I'V (\7, I' C Il'( )x'islait au XVIIe sicclc Cil BI'l'lai( lI c .

113
el recevait une l'en le de [,000 livres nu tilre cie douairière de
Coa lezlan. Elle lui avait donn é nn fils, Alaill Parceva llx,
seig neur de Mé,wl'I1ou, la Grande Palue. etc., cheva li er de
l'Oldre, qui épousa Suzanne de Guimadeuc, el dOlllla Olle
hôrilière Françoise Parcevaux fut mariée en 1627 à René
Barbier, marquis de Kerj ean. Un écusson aux armes alliées
de Parcevaux et Coëllogon, qui se voil avec la date 1599 a u
pied du clocher isolé de Beuzit- Conoga n prèsde La nrl ern c::Iu,
rappelle les droits de fondalion possédés dan s celle ég li se
par les seigneurs do la Grande-PaIll e.
Le seign eur de La Villeneuve, cilé dans les deux guerus
com me étant . l'ami. même le frère de M. de Keranclraon,
était- il ventablement le . frère de ce dernier, celui qui fut
décapité avec lui. à Renn es ~ Sinon, on pourrait songer il
François GeITroy, sieur de La Villeneuve en Plourgourvest,
bailli de Lesneven en [610, qui menail aussi, à en croire
cerlains indi ces, un e exi stence assez irréguli ère. 11 mourut,
semble- t-il, de mort violente, ca l' Jacques Barbier de Kemo
écrivait le 1 4 mars [61 3, de Quimper, ü M. de { \e rven :
(1 Je m'asseüre qLHI vous avez sceü le malheur qui est arrivé
à Monsieur de La Villeneuve dont Dieu ayt l'âme )J_ Vincent
de Kerouzl\ré n'ayant pas laissé de fils, so n héritage, com ­ prenant les lerres de L erandraon en Plouguern eau, Kerascoël
en Plouguill el Morizur en Plouider, passa à sa fille Anna,
remme de François de Kerc'hoenl, seigneur de CoetanJ'ao.
Crechquérault, elc ... Les derniers Kerc'hoent de Coetanfao
ont produit un évêq ue d'Avran ches el brillammelll exercé de
hautes charges militaires, mais l'un d'eux a laissé les plus
mauvais so uvenirs dans les paroisses de Sion, évêché de
Na nles, el de Saint-Sulpice des-Laudes, en l'évêché de
Benn es , où il avait son château de la H.uche-G i[1'art (T ).
[ 'aul-il y voir l'influence d'lln e fâcheuse hérédité ~

(1) A. Orain. G éographie pittoresque du département d'Ille-et- Vilaine )
R ennes, :1882, p. 336.

Le manoir de Kernazret a été rebâti sous une [orme mo­
derne. Celui de I( erandrao ll survit da ns son en semble à bie n
des mutila ti o ll s. 11 repose SU l' une pente agreste de colline
qui dévale au sud vers le joli vallo n de la Di ouris. Sa porte en
cintre brisé est formée d'Ilne arcade sa ill a nte amortie par des
ma S('aro ns g ro tesqu es . Quelques bai es Illoulurées ou coupées
de meneallxindiquent le xv' siècle . Ln terre de Kerandra on
avail un petit fi ef de moyenne justice . Elle fut saisie, so us la
Révoluti o n , sur l'émig rée Conslan ce de Polignac, et vendue
nlllionaleme nL. Les paysan s de Ploug ll erll eau ont oubli é le

méchant gentilhom me qui habitait la, et à grand'peine ai-je
pu, en scrutant les vieux papiers et les livres imprim ôs .
découvrir de quoi retracer ici quelques linéa menls de son
obscure et tragiqu e histoire.
L. LE GUENNEC

DEUXIEME PARTIE

Tab.le des mémoires publiés en 1935
L Comment les cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien en Plouzané obtinrent, en
170:1, le droit aux honneurs, charges, privi­
leges, sépultures dans l'église paroissiale et

Ill.
autres prérogatives, par 1. DUJARDIN. . . .
Le mouvement de la population dans le dépar­
tement du Finistère au cours de la période
1831-19:10 et depuis la fin de cette période,
par G. CALLON. . . . . . . . . . . . . .
Notes sur quelques mégalithes non encore
s, ignalés de la région de Ploudalmézeau
(Finistère), par Louis L' HOSTIS (planche hors-
texte). . ' . . . . . . . . . . . . . . . .
lV. La Tour d'Auvergne, amateur de chansons
pAGES

bretonnes, par J. SA VINA. . . . . . . .. 56
V. A propos de Sainl-Renan et des amOurs de
Victor Hugo, par L. DUJAUDlN . . . . .' 64
VI. Deux magistrats brelons du xvnr

siècle:
Germain-Gabriel Ruinet du Tailly (1726-1805)
et Jean-Marie Ruinet du Tailly (1760-1793),
par A. DURAND. . . . . . . . . . . " 75
VII. Un épisode ignoré de l'histoire de La Fonte-
nelle, par L. LE GumlNEc . . . . . . . .. 103
VllI. Les poteries de Lan veur en Lannilis (Finistère),
par M.-B. ClIEVALLlER-KERVERN. . . . .. 115

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