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Bulletin SAF 1935


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La Tour d’Auvergne, amateur de chansons bretonnes

J. Savina

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1935 tome 62 - Pages 56 à 63

La Tour d'Auvergne
amateur de chansons bretonnes

Au cours de recherches aux Archives nationales, nous
avons eu la joie de trouver une leUre inédite de La Tour
d 'Au vergne da n sun dossier du tribu na 1 révolu lion nai re de
Brûst, CeLLe lettre, datée de La Haye, en Locmaria-Berrien,
adressée à Sébastien-François Malescot de I erangollé, avocat
à Morlaix, ful saisie dans les papiers de Malescot quand celui­
ci fut mis en arrestalion, en décembre 1793. ( 1 )
Malescot, né à Lanmeur vers 1742. avait l'âge de La ToUl' ,
d'A u vergne. Peu t -être tous deu x s'étaien t-ils connu s sur les
bancs du collège de Quimper. Malescot avait épousé à Morlaix
Marie-Jeanne Le Pappe, sœUl' de François Le Pappe de
Trévern qui ru t, a va nt la Révol u tion, vicaire général de
Mgr de La Luzerne évêque de Langres et qui deviendra, sous
la Rl'stauration, évêque d'Aire, puis de, Strasbourg (2).
L'avoca t morlaisien fut traduit devant le tribunal révolu­
lionnaire de Brêst «pour avoir entretenu des correspondances
criminelles avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la
République, en leur faisant passer des secours en argent».
Il fut condanné à mort le 5 août 1794.
(:1.) Archives nationales, W

(2) Le 7 janvier 1.794., Malescot, dMenu au Château de Brest, écrivait
aux Rcprésentallts du peuple:
Il Le seul motif [de notre arrestation] qui nous soit connu t'st que ma
femme a un frère prêtre, nommé François-Marie Le Pappe. Il a quillé
la maison paternelle, il y a 25 ans; il vint. il y a sept ans, passel'
quelques mois daus sa famille; nous ne l'avons pas vu depuis. Il
était, ci-devant, vicaire génrral à Langres et nvus ne savons ce qu'il est
devenu élant maltre absolu de sa personne et sous la loi de la déportation.»
Arch . nat, ibid. L'ex-vicaire général de Langres était à ce moment
en Angletel'l'e.

« Du château de La Haye, le ifI, mars i79i.
« La Tour d'Auvergne Corre!
.1; A M. Malescot de Kerangoué, en son hôtel à M orlaix.
« J'ai éprouvé une bien douce satisfaction, mon cher M alescot, en
recevant ici un témoigna ge de votre souvenir. Je désire que la joie de
mon CoeUl', en apprenant de vos nouvelles par M. du Ti meur, se
communique aussi facilement au vôtre lorsque vous apprendrez que
quelqu'un qui vous chérit et qui s'honorera toute sa vie de votre
amitié continue à jouir de la meilleure santé.
,« Je sens tout le prix que je dois mettre à l'empressement que vous
me téllloignez de recevoir un exemplaire do mon ouvrage. 11 entrait

pour beaucoup dans l'objet de mon voyage, en "enant cette année en
Bretagne, de le faire imprimer dans une des villes de notre province ;
mais quoique je n'y traite que de nos antiquités, de nos origines et de
notre langue bretonne, sans dire un seul mot de la H évolution, je n'ai
pu encore parvenir à trouver un seul imprimeur qui veuille se charger
de le faire jouir de la liberté typographique, Tous m'ont annoncé que
leurs presses ne suflïsaient pas pour la besogne dont ils sont dans ce
moment surchargés. A mon passage à Lorient pour rejoindre mon
régiment, j'espère que je serai plus heureux, y ayant deux ou trois
imprimeurs qu'on m'a assuré ê.Lre en ce moment assez peu occ upés.
« Je vous aurais adressé ma réponse plus tôt, mais voulant l \lCOn­
naître le cadeau que M. du Timeur m'a remis de votre part d'une
chanson bretonne de M. Testard , il m'a fallu ·aller il Carhaix y prendre
celles du rIlême auteur que j'ai transcrites ici et qui vous feront le plus
grand plaisir si vous ne les connaissez pas déjà.
« Tous les habitants de La Haye vous présenten t leurs civilités et
regrettent beaucoup que vous n'ayez pas acco mpagné M. du 'l'imeur ici.
Je vous réitère, mon cher Malescot, de tout mon coeur, les assurances
, de l'inviolable attachement avec lequel je r,e rai toute ma vie votre bien
aiiectionné serviteur et ami.
La Tour d'Auvergne Corret )) .

Madame de Kerangou6 ct mes civilitéa à MM. Duplessis·Quéméneur (1.),
père et fils ».
Au verso de cette lettre se trouve un post-scriptum de
M. du Timeu!' :

({ Je ne puis, mon cher confrère, laisser tout le plaisil' de vous écrire
à mon bean-frère et je lui ai demandé une petite place pour vous réitérer
l'assurance des s"ntiments dont il a voulu être l'interprète de notre part
à tous. Vous avez sans doute reçu tons les exemplaires de 1Iotre besogne
que je vous envoyai par mon ColaS qui fut prendre à Morlaix vos nrveu
et nièce Kerlérec (2). Vous voudrez bien les faire passer à Kerdaoulas
pour y être signés,

«: Mes respects à votre chère compagne et ne doutflz pas de celui avec
lequel je suis votre affectionné conlrère ».

Celte lettre de La Tour d'Auvergne est intéressante à divers
titres. Elle nous révèle d'abord que le capitaine du régiment
d'Angoumois vint en Basse-Bretagne au début du printemps
de 179I. Il séjourna à La Haye, où demeurait sa nièce Jeanne
Limon, épouse de M .. Guillard de Kersauzic; son beau-frère,
Yves Limon du Timeur, avocat à Guingamp, vint l'y
rejoindre. Or les historiens paraissent a voir ignoré ce
voyage qui, à la vérité, fut de courte durée, puisque La Tour
d'Auvergne était à Bayonne le 3 mars et qu'on l'y retrouve
le 28 mai de la même année.
(1.) M. Quéméneur-Ouplessis était , avant la Révolution, procureur du
roi à la sénéchaussée de Morlaix et, depuis le :tel' octobre 1790,
commissaire du roi près le tribunal du district. Quéméneur fils était
avocat à Morlaix, quand il fut mis en arrestatiJn comme suspect, le
1.2 septembre 1. 792. Il devint aussi procureur du roi sous la Restauration.
(2) Il sagissait sans doute de papiers d'affaires. Les Kerlérec de
Morlaix étaient les petits-enfants du chevalier Louis Billouart de
Kerlérec, ancien capitaine de vaisseau, der'nier gouverneur fr~llçais de
la Louisiane. Le manoir de Kerdaoulas en Saint-Urbain. trpve de
Dirinon, appartenait alors à M. Christophe de Goesbriand qui émigra .

La lettre nous apprend, d'autre part, que l'ouvrage:
« Nouvelles recherches sur la langue, l'origin.e el les anliquités
des Brelon.s Il, publié en 1792 à Bayonne, était terminé dès
mars 1791 et que l'auteur eùt désiré le faire paraître chez un
imprimeur breton. .
Enfin l'empressement que ses amis mettent à lui adresser
ou à lui demander des écrits bretons témoigne du vif intérêt
que le futur héros des al'mées de la République portait aux
productions de la littérature bl'Ctonne.
CHANSONS BRETONNES
COMPOSÉES PAR M. 'l'ES'fARD (1)
1. BAL BRETON
Sur l'air du Bal de Quimperlé.
Ne meuz quet gallet réusi
Ar mere'het zo deut d'am pedi (bis)
Da eomposi eur gavoten
Evit ma hejint 0 losten.
Daneit, mere'het, a g1'it al' bal,
.ri lese ar vam goz da trouzial!
En espet da quement a zo,
Danç a zo bet, danç a vezo.
Injusl a eri a ve réus
Dan dud yaouane beza joyus.
Daneit, mere'het a gr·if al' bal
A Lese al' vam goz da trouzial!

(1) Nous avons respecté l'orthographe de la transcription laite par
La Tour d'A uvergne. Nous ne savons si celte orlhof,{raphe, Hssez défec­
tueuse, est imputable à La Toul' d'Auvergne ou à l'auteur M. Testard.
L~ lecteur remarquera que les mutations de consonnes initiales ne sont

Me a ooar petra zo coz
E grignous ato a re goz :
Galloud a oanq, ne hallont mui .
Dançal na lammat-couls a ni!
Dançit . merc' het ....

Trei a distrei, a mont a dont,
Ac e cadanç beza bepred,
Cass eun troael var lere' h eguile
A drou!] ebet zo en draze ?
Dançit... .

Paisànteel, noblal1S a boure' his,
Proftted eus 0 yaouankis; .
Ber an amzer, dallât-han mad;
Eoidoe' he groet an ebad.
Dançit ...
Pa vezot seuis e labourat,
Evit eliseuis et el' an ebad.
Neuz remed eouls ac an draze,
Guelloe' h a gouslcotgoudeze.
Dançit ...
Mes na per,mettit quet James
E ve tud fall en (l toues .
Neus na plUaelur nag ebad
Nemet e eompagnunes vad.
Dal1çit. mere'het, a gril al' bal,
A L ese al' cam goz da champal.

Ce bal brelon, spirituel plaido)'er en faveur de la danse. est
un petit chef-c1'œuvre de grâce malicieuse. Il est remarquable
surtout par le rylhm e du vers qui s'adapte parfaitement à
l'air trad i tion nel du jabadao q u im perlois, tel qu'il a été
popularisé par le fameux sonneur Mathulin an DalL On sait

nouaille. Les danseurs des cantons de Quimperlé, Scaër,
Bannalec et Pont-Aven étaient réputés les meilleurs de
Bretagne.

II. CHANSON (1)
Sur l'air: Quand Biron voulut dans87· ...
Biron en cloa hoant dançal
A da Zestain l'oï al' bal .

Jarnitou / rJ{;-noc' h emezan
Pel amsel' zo ma désiran,
Pa mie 0 caDet
Obel' al' munuet ...

Pa guerot, eme al' c' hont,
Me zo ato prest a pront ..
Danç 0 pro e va blijadur;
.'Vl'o contanto, bezit assur.
H issit al' seignal
Da zeyueri al' bal.
Biron, liger a can(art,
A blant c' houes en e Dombard
Mes Destain gant e ciniou
A displeg e jaritellou
Ac oc' h al' muzic

A lamm eoeZ eur bic.
(i) Très vraisem blablement, celte chanson fait allusion à un épisode
de la guerre d'indépendance américaine. Le 6 juillet i779, le vice­
amiral d'Estaing aprés avoi~ pris aux Allglais Saint-Vincent el la
Grem:rIe li"ra bataille à l'amiral anglais Byron, fllli commandait
2:1 vaisspaux dp. ligne. L'escadre anglaise fut repoussée
La belle Cil:11pagne de 1779 aux Anlilles et aux Elats-Unis valut il
d'E,lllin~ une immense popularite donl nous trou VOliS ici un {·cho.
Aussi habil ,' à c(,rnmander à terre que sur mpr, au p"emicr rallg en
toute occ~sion, d'Estaing élait chéri des m:~lelots et des soldats d'aulallt
plus qu'ils le savaient pn bulle li l'hostilité dn Grand Corps qui le
l'rgardait comme un illirus pilfce qu'il ne sortait pas des garupo de la

Gant ci/ohellou metal
A seo evel eun den ·dall.
Ahanta 1 emezan, Biron
Riculi a rel va mignon 1
Gril ar révéranç,
Na moc'h mui e cadanç .

Qnino Destain, eme Biron,
Torrid 0 peus va croupion!
N'en deus diaoul en dour binigel
Quen creon a cavan en 0 jarret.
Mervel a rajJen
Mar pad an abaden.

Biron, trubuillel a scuis,
Da chang rochet a ra tis;
Da sant Cristoph a ya souden
Da n'emglem eus an abaden.
Biquen, emezan,
Gant al' c' ho nt na dançan.

Comment identifier J'autenr de ces chansons bretonnes?
Quelques indices nous permettent de les allribuer à Jean­
Michel Testard, sieur de La Hoche, négociant au Passage
Sain t-J ca n en Plougastel- Daoulas.
La Toul' d'Auvergne, par sa mère, était apparenté aux

Testard de La Roche. J. - M. Tes.tard avait réputalion de
celLisant. A diverses rep rises, sons la Révolution, . les
administrateurs du département et du district de Landerneau
le chargérent de traduire en breton des documents officiels .

Dans un arrêté du Conseil général du Finistère, cri date du
29 juin 1793, nous lisons: « Il sera fait une adresse bretonne

demeurant au Passage de Plougastel, connu pour son
civisme et ses talents, sera invité de se charger de cette
composition »
. L-M. Testard fut député de sa paroisse à l'assemblée de la

sénéchaussée à Quimper, en avril 1789. député du canton de
Plougastel aux assemblées éleclorales du département et du
district de Landerneau en 179 l et 179:1.
JEAN SAVINA .

DEUXIEME PARTIE

Tab.le des mémoires publiés en 1935
L Comment les cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien en Plouzané obtinrent, en
170:1, le droit aux honneurs, charges, privi­
leges, sépultures dans l'église paroissiale et

Ill.
autres prérogatives, par 1. DUJARDIN. . . .
Le mouvement de la population dans le dépar­
tement du Finistère au cours de la période
1831-19:10 et depuis la fin de cette période,
par G. CALLON. . . . . . . . . . . . . .
Notes sur quelques mégalithes non encore
s, ignalés de la région de Ploudalmézeau
(Finistère), par Louis L' HOSTIS (planche hors-
texte). . ' . . . . . . . . . . . . . . . .
lV. La Tour d'Auvergne, amateur de chansons
pAGES

bretonnes, par J. SA VINA. . . . . . . .. 56
V. A propos de Sainl-Renan et des amOurs de
Victor Hugo, par L. DUJAUDlN . . . . .' 64
VI. Deux magistrats brelons du xvnr

siècle:
Germain-Gabriel Ruinet du Tailly (1726-1805)
et Jean-Marie Ruinet du Tailly (1760-1793),
par A. DURAND. . . . . . . . . . . " 75
VII. Un épisode ignoré de l'histoire de La Fonte-
nelle, par L. LE GumlNEc . . . . . . . .. 103
VllI. Les poteries de Lan veur en Lannilis (Finistère),
par M.-B. ClIEVALLlER-KERVERN. . . . .. 115

QUIMPER - IMPRIMERIE Mm. BARGAIN