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Bulletin SAF 1935


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Comment les cacquins, cordiers et tonneliers de Quillimérien en Plouzané obtinrent, en 1702, le droit aux honneurs, charges, privilèges, sépultures dans l’église paroissiale et autres prérogatives

L. Dujardin

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1935 tome 62 - Pages 3 à 10
Comment
Les cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien en Plouzané

obtinrent, en 1702, le droit aux honneurs, charges,

privilèges, sépultures dans l'église paroissiale

et autres prerogatives

Au cou rs de hi. mise en ordre .les importantes .arcllives
paroissiales de Plouzané nous avons découvert" uo ' certain
nombre de pièces relatives aux cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien, village dépendant de cette paroisse et située à
500 mètres de Sa int-Renan.
Ce n'est pas la 'première fois qu'il paraîtra quelque chose il
leur sujet ( 1 ).Ma is les quelques lignes déjà pal'Llesne s'rlp-

puient pas sur des documents. Elles rapportent la ti'aditioo
pour laquelle tout se résume en une dùnble é.quation :
lépreux cacous ' cordiers el tonneliers. ", 1
L'essentiel de l'histone des cacous eo Bretagne se trouve
dans les articles de Le Men dans ce même bulletin et de

Rosenzweig dans le Bulletin de la Société polymalhique du
Morbihan ( 1872). ' ,
A l'occasion de cette note, nous avons été amené à faire
faire des recherches aux Archives du Morbihan et il.a' été mis
à notre disposition la liasse B. 280LI Sénéchaussée d'Hen­
nebont , où figure une enquête de IM7 sur les, cacquins
du Morbihan. Cette pièce mériterait d'être intégralement

reproduite, étant inédite, pensons-nous. Cette enquête peut
ainsi se résumer « il est de tradition que les cacquins sont
(t, Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t: lÇXVI, i8!H!,
commun, du chanoine Toulemonl, p. LXXI-LXXII, Dans le l. IV
(t 876-77) du même Bulletin, voir R. F. Lo M eu, Les Lépreux et les
. sensés lépreux et sortir de lépreux" leurs pères. 11 existe des
règlements et usages qui leur sont particuliers à l'église. aux
processions, aux foircs et marchés . à diverses circonstances
de leur vie ».
Les historiens sont unanimes SUl' les points suivants: Tout
individu reconnu lépreux est séparé des gens sains, cohabite
avec d'autres lépreux dans des villages isolés, formant une
colonie sans relations normales avec le reste des habitants.
Celle colonie aura son église, appelée la Madeleine le plus
souvent. son hôpital, son cimetière. colonie misérable où ne
pourront s'exercer que des métiers infimes de cordiers et
tonneliers et cela' conformément au mandement de 1475
extrait des registres de la Chancellerie de Bretagne. Ces
lépreux seront appelés des cacous et, alors que la lèpre s'est ·
éteinte en Bretagne (fin du XVIe environ), il suffira d'exercer
ces métiers pOUl' être traités de cacous et être mis au bnn de
la société.
Pour ce qui est de Quillimérien, ce village possédaitjllsqu'à
ces dernières années toutes les caractéristiques ci-dessus.
Composé de vingt deux feux . maisonnettes petites. basses,
ne c.omportant qu'une potte et une fenêtre, il est isolé sur 11n
platea u à quelques pas de Saint-Benan. A 100 mètres de là,
une petite pièce de terre triangulaire, dénommée « al' veret u
(le cimetière), entourée de gros hêtres et faisant tâche de
'très loin dans tout le pays dénudé d'alentour. Mais nous
n'avons pu trouver de preuVes qu'elle servit de cimetière A
flOO mètres plus loin. sur le Pont de L'hôpital, une maison

isolée, toute de pierres de taille. aux cheminées caractéris­
tîques du XVI" et XVIIe siècle. alors que la date de sa façad e
indique le début du XIX· siècle (date qui ne peut être que celle
d'une restauration) et dont J'aspect général est évidemment
plus celui d'un petit hôpital que d'une habitation particulière.
A quelques kilomètres encore plu s loin, sur l'nncien territoirc

qui a çonservé son calvaire, et qui ru t peul-être chapellecom­
mune aux cacous de Plouzané et de Ploumoguer, la paroisse

VOlSllle.
Ces deux paroisses figurent au rôle des fouages pour Il126
qui nous apprend qu'à Ploesané, à cette dale, existent qua­
tOl'zecacous « qui rien ne paient ", et qu'à Ploumoguer il en
existe six: qui ne paient pas davantage (1). Ils ne paienl rien!
Et même leurs descendants, deux siècles plus tard, qu'au­
l'aient-ils pu payer ~ N'était-ce déjà pas tm impôt, et fort
sensible, que de continuer à être l'objet du mépris du public
et de subir des contraintes qu'avaient imposées à leurs ancê­
tres les lois décrets et réglements.
Cet le mise hors la loi commune durail encore en 1700
Quillimérien. village de mendiants, cordiers et tonneliers,
village de cacous, se voyait toujours refuser de faire enterrer
ses habitants dans l'église de Plouzané. Mais pourquoi ~
L'usage allait-il éternellement triompher du droit, de la jus­
tice, de l'humanité ~
Or donc le 8 janvier 1700, Christophe Guiader, de Quilli­
mérien, voulut faire inhumer la Le Bars, sa femme, sous la
tombe de la chapelle du Poncellin, propriété des sieurs de -
Mesgrall, en l'église paroissiale de Plouzané.
Deux femmes, les fermières, s'y opposèrent parla violence.
Gu iader " se voyant opposer dans la chapelle, voulurenl enlerrer

lad. Le Bars dans le reste de l'église; po nI' Lors le généraL elles
marguilliers s'émurent et s'y opposèrent à la vérité pour la
conservalion de son ancienne possession de (aire enlerrer les
corps morts des habitants du village de Quillimérien dans le
cimetière, où ils uni tous leurs lombeaux ab omni aevo et le
général ne les a jamais prétendu opposer pour raison de leur
métier ni distinction de religion et de communion, mais par
une possession immémoriale dans laquelle tout le resle des

(i) Daniel Bernard, l,es cacous en Bretagne au XV" siècle, dans le

paroissiens de PLouzané habilants des aulres canlons et vil­
Lages , de Lad. paroisse sont ab omni aevo en possession d'o ccu­
per et posséder enlièrement le dedans de l'ég Lise par leurs
tombeaux et enJeux» . ' ,
L'aITaire Gui ader devint aussitôt l'affaire de Quillimérien et
a ux procès qui s'ensuivirent « intervinrent Christophe Le
Guiader, Christophe Le Paoue'l, Yves Connan. Yves Lucas,
cordiers et ton/H tiers tant en privé nom que faisant pour les
autres manants et habitants du village de Quillimerien en lad.
paroisse de Plouzané)}.
(,e recteur Clet de Jauréguy fut favorabl e aux cordiers, qui
gagnèrent leurs procès. lem s au pluriel. ca l' il y eut: 1 ° Pro­
cès pour violences; 2° pour le droit de tombe ; 3° différend
entre le recleu r elle général; L lO différend entre Plouzané et
sa treve de Loc· Maria-Lanvennec , les tréviens prélenoant ne
pas participer aux amendes, frai s et dépells auxquels ful co n­
damné le général de la paroisse, diITérend qui se termina
par un accomodement entre paroisse et trève à une réunion
qui se tint au château de Kerscao le 14 mai 1703 .
JI n'est question, dans aucunp, des pièces du procès , d'oppo-

sition à l'inllllmation dans l'église pour ca use de lèpre ni
d'all'ectioll méd icale quelconque; si de temps immémorial les
habitants de Quillimérien ont été enterrés seul ement dans le
cimeti ère, on ne donnea ucune rai so n méd icale à ce LLe tradition.

L'express ion qui rev ient dans les pièces est cell e de cordiers
et tonneli ers, cacquin s, jamais lépreux.
Dans « l'induction que fou mil le général de L a paroisse de
Plouzané le 18 décembre 1701 )} o n l'appelle le 100tif cJ'inllLl -
10er dans l'église (, où on n'en terre que ceux qui on t des
tombes et qui paient des droits à la jabrice l) ; ce n'es t pas Ip­
cas des habitants de Quillimérien; donc il s ne peuvent par­
ti c iper aux honneurs, prérogatives et privilèges dan s l'église
pal'oiss ialea in si que lesa utl'es habitants. D', ailleurs ils se sont

Mais les habitants de Quillimérien ont produit des arrêts
en leur faveur « iL se voit dans Le plaidé de M. Primaunier,
inséré dans celuydu 20 mars 1681, qu'il avait conclu à ce que
Les sépultures des habitants de [(erroch en Saint-Caradec
eussent été faits dans l'église; cependant La cour ne l'ordonna
pas de même parce qu'elle jugea que ce droit dépendait de La
possesswn et des droits particuliers des parties. Quand les
arrêts ont jugé que à l'avenir les cordiers et tonneliers seront
indifféremment traités comme les autres habitants et partici­
peront aux honneurs, charges et privilèges comme les autres
paroissiens, ils n'ont rien décidé SUI' la question dont il s'agit l).
Dans une autre pièce, signée F. Gentil, « délibéré à Rennes
ce 2! avril 1708 », on lit: (t or il est arrivé qu'aux dernières
années quelques habitants de la paroisse se sont opposés à
l'enterrement dans leur église d'un particulier du nombre de
ceux qu'on appelle cordiers ou cacquins, dont il y a un village
tout entier dans La paroisse, soutenant que ces sortes de gens
avaient toujours eu de tout temps immémorial un certain
ddparlemenl dans le cimetière, où ils devaient se faire enterrer
aussi bien que leurs auteurs, et que c'était une novalité odieuse
que ceux d'à présent voulaient introduire contre droit 1) d'où
« instance par lesd. cordiers ou cacquins intentée devant les
juges royaux de Brest». « Sentence Jnt donnée par les mêmes
juges au profit desdits cordiers ». Puis les gouverneurs et
marguiliers « relèvent appel de la sentence de Brest et obtien­
nent un relief en la chancellerie pour le {aire notifier au plus
tôt aux dits de Quilivèrien cordiers ou cacquins Il.
" A la cour, il est intervenu arrêt confirmatif ... lesd. cor­
diers ou cacquins » ... et encore «( le vill'Jge des cordiers ou
cacquins » n'étant pas situé dans la trève. les tréviens pen­
saient lrouver dans ce fait un argument pour échapper aux
frais; mais on y répond «( celle raison est nulle, car les cor­
diers pourront affermer dans la trève deux ou trois villages au
plus, si bon leur semble, sans qu'on puisse les empêcher puis-

que leur- arrêt les reçoit à toutes les charges, droils hono-
rifiques et prérogatives de la paroisse en commun avec les autres

parotSSlens ».
Plus loin, Je général écrit: " Il ne s'agit point de savoir si
les tonneliers et cordiers sont d'une autre religion, il n'y a pas
deux sortes de chrétiens, mais il s'agit uniquement d'un droit
personnel attaché aux fqmilles el aux biens et a/Ix terres que
l'on possède; les habitants du village de Quillimérien ont leurs
enfeux dans un lieu particulier tout comme les autTes parois­
siens onUes leurs dans d'autres lieux)). « 1l ne faut donc pas
que les intimés disent qu'ils ne demandent que les endroits les
moins recherchés, puisqu'il est constant qu'ils voulurent
enterrer la Le Bars dans le , tombeau prohibitif de la maison
noble dé Poncelin 1).

Le général conteste ensuite que tout Quillimérien soit
derrière les intimés « la contestation n'est laite que par deux
Ou trois mutins amateurs de troubles et de désordres 1); « il
conteste qu'il y a eu des attroupements el des révoltes ». Quoi­
qu'il en soit des arguments du général, il n'en perdit pas
moins son procès tout au long et fut condamné, suivant exé­
cutoire du 17 juin 1702, à la somme de 17731. 15 s. 1 I. d. et
il fut ordonné « qu'à l'avenir les habitants de Quillimérien
seront traités comme les autres habitants de la paroisse de
Plouzané sans aucune distinction, participeront aux honneurs ..
charges, privilèges, sépullnres dans {église et autres préro­ gatives, parce qu'ils contribueront aux charges, subsides et
impositions générales et particulières de lad. paroisse, el aux
nécessités de lad. Eglise; ordonne que le présent arrêt sera
publié au prône de la grande messe ».
Et d'ailleurs pourquoi n'auraient-ils pas gagné leurs pro­
cès ~ lis descendaient des lépreux, mais n'étaient plus lépreux
eux-mêmes et la meilleure des preuves était que, tan t qu'il .Y
eut des lépreux, leurs causes relevaient des tribunaux ecclé­

Brest, puis au présidial de Quimper. C'était donc qu'ils
iouissaient du droit commun .

Mais quelles seraient ces charges, subsides et impositions ~
Les archives du presbytère de Plouzané les indiquent; la
première condition était d'être en possession d'un enfeu
tout possesseur d'enfeu payait un droit d'inhumation dans
les églises; clans la nef des églises de ville de 3 1. lOS. ; dans
la nef des églises de ca m pagne de 2 1. 10 s.
Ce droit était « double pour les inhumations dans le cœur »

avec défense d'y contrevenir sous peine de 50 livres d'amende
applicable à la fabrice ,).
Celte fois c'était bien la revanche des Cacolls.
Pour partager la joie de leur triomphe, ils trouvèrent leur
recteur, qui les avait soutenus tout au long du procès, non pas
tant, croyons-nous. par amour de la charité et de la justice,
quoiqu'il eût affirmé « aCQepler qn'onl enlerrât lad. Le Bars
sous les cloches» que pour se trouver en opposition avec le
général de sa paroisse, qui n'aimait guère « ce bon recleur qui

depuis douze ans consume ses paroissiens par ses chicanes,
ce bon recleur qui fallgue ses paroissiens ; ce recteur SI
amaleur de procès en a acluellement une infinilé conlre les par­
liculiers de sa paroisse; car pour un oui ou pour un non il fait
un procès ».
Mais qlle la tradition est forte' Plus de cent ans après ce
procès, les cacons de Quillimérien faisaient figure de réprou­
vés el, à l'église de Saint· Henan qu'ils fréquentaient plus
assidûment que celle de leur paroisse, ils avaient leur

quartier spécial près la porte du midi. [Voir page suivante,
note 2).
Et nous avons fort bien connu un Qllillimérien, sordide,
en un cloaque perpétuel, habilé par des mendiants, des pau­
vres gueux aux métiers fort modestes, chez lesquels régnaient
la misère. l'alcoolisme, la tuberculose el des héréd, Lés

Les temps sont changés; les Quillimériens jouissent de
tous les droits de citoyens et de paroissiens. Plus un cordier,
pl u sun ton nel ie!' . le d el'l1 ier (c bo u Leger » ( l ) 1 u i-même vien t de
s'en aller vers des cités plus hospitalières. Des travaux con­
sidérables de voirie ont désencombré leur village. Une
belle maison neuve domine les pauvres petites maisonnettes
que protège toujours Ull témo in des jours maudits, le vieux
calvaire, qu'érigèrent aux temps lointains « Adenor Ar Cor et
lvet Ar Cor)J. (2)
L. DUJAHDIN .

(i) Boutegrr qui fabrique des panniers et objets de grossière

vannene.
(2) Inscription figurant sur le calvairE'.
[Nous avons [ort bien connu trois tonneliers : on les appelait cacous.
Il s étaient physiquement tarés. Nous avons encore mieux connu Bastian,
le dernier cordier, que l'on voyait chaque jour lordant son chanvre en
ses allées et venues co ntinuelles le long du talus de Coatanet, à Sainl­
nenan ].

DEUXIEME PARTIE

Tab.le des mémoires publiés en 1935
L Comment les cacquins, cordiers et tonneliers
de Quillimérien en Plouzané obtinrent, en
170:1, le droit aux honneurs, charges, privi­
leges, sépultures dans l'église paroissiale et

Ill.
autres prérogatives, par 1. DUJARDIN. . . .
Le mouvement de la population dans le dépar­
tement du Finistère au cours de la période
1831-19:10 et depuis la fin de cette période,
par G. CALLON. . . . . . . . . . . . . .
Notes sur quelques mégalithes non encore
s, ignalés de la région de Ploudalmézeau
(Finistère), par Louis L' HOSTIS (planche hors-
texte). . ' . . . . . . . . . . . . . . . .
lV. La Tour d'Auvergne, amateur de chansons
pAGES

bretonnes, par J. SA VINA. . . . . . . .. 56
V. A propos de Sainl-Renan et des amOurs de
Victor Hugo, par L. DUJAUDlN . . . . .' 64
VI. Deux magistrats brelons du xvnr

siècle:
Germain-Gabriel Ruinet du Tailly (1726-1805)
et Jean-Marie Ruinet du Tailly (1760-1793),
par A. DURAND. . . . . . . . . . . " 75
VII. Un épisode ignoré de l'histoire de La Fonte-
nelle, par L. LE GumlNEc . . . . . . . .. 103
VllI. Les poteries de Lan veur en Lannilis (Finistère),
par M.-B. ClIEVALLlER-KERVERN. . . . .. 115

QUIMPER - IMPRIMERIE Mm. BARGAIN