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Bulletin SAF 1934


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Une épidémie à Poullan en 1773

Daniel Bernard

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1934 tome 61 - Pages 11 à 17

. ' Durant tout le .xvIII' siècle, de fréquentes épidémies ont
4évasté toutes les régions de la Bretagne. On peut s'en rendre
compte en lisant l'excellente étude que leur a consacrée
A.ntoine Dupuy dans les Annales de Bretagne ( 1), Nous
sommes mieux renseignés sur les manifestations des maladies
pendant la seconde moitié du siècle, parce que les secours
distribués par le gouvernement ont été plus abondants, ce
qui a occasionné une correspondance beaucoup plus active
entre l'intendant de la province d'une part, les subdélégués,
les médecins et les recteurs d'autre part.
Nous nous proposons, dans les pages qui suivent, de don­
ner quelques détails sur la terrible épidémie qui désola la
paroisse de Poullan, près de Douarnenez, en 1773, g râ ce il
des documents que Dupuy n'a pas connu s, ou qu'il n'a '
pas utilisés (2) .
Ogée a été très mal ren seigné sur celte paroisse; il dit, en
effet, qu'elle « renferme des terres en labour, des prairies,
de bons pâturages et des landes peu étendues n. Les anno­
tateurs sont plus exacts : sur une superficie de 3.638 hectares,
ils décomptent en terres labourables 887 hectares , en prés

et pâturages L I97, en bois 122, enfin en landes et terres
incultes 2009.
Les cultures s'étendaient, ' comme de nos jours, sur le
versant sud, sur la zone littorale et sur l'extrémité est; tout
le centre était couvert de landes, parsemées de bruyères, d'où
(i ) t. 1 el II.

le nom de Bra al' Bruguerien, qui lui avait été donné et qui
lui est testé ( r).

La :p~pulation se composait de laboureurs, de journaliers, -
et de pêcheurs concentrés au petit port de Tréboul qui, à

cette époque, faisait partie de la paroisse de Poullan. On y
comptait aussi une douzaine de tisserands (2) .
La très grande majorité des habitants était pauvre, même

mi,sérable. De l@ul' propre aveu, « ils étaient obligés de payer

par répartition une somme de Q',760 livres environ, tant pour
fouages ordinaires et extraordinaires que pour vingtièmes et
capitation et se plaignent de cette surcharge» (3). Ils devaient
en outre acquitter en redevances seigneuriales: 2.720 livres
en argent, 308 livres, LO sous pour corvées, 83 boisseaux de
froment, 88 boisseaux et demi de seigle, 76 boisseaux et
demi d'avoine, 2 boisseaux de mil, 10 boisseaux de blé noir,
Il chapons et 60 llvres de beurre. Ce qui représente, les
redevances en nature étant calculées d'après les mercuriales'

de l'époque, une somme de 4.628 livres (4). En ajoutant les

impôts et la dîme due au recteur, soit 1.750 livres, nous
trouvons une charge totale de 11.238 livres, pour une popu­
lation d'environ 1.800 il 1.900 habitants. On peut juger
d'après ces données, de quelles ressources pouvaient disposer
ces pauvres gens pour subvenir à leurs besoins propres, à
ceux de leurs nombreuses familles et aux dépenses de leur
outillage.
La récolte de 1772 avait été déficitaire par suite de mauvais
temps elle prix des denrées nécessaires à la vie avait triplé.
(1.) Charl es Le Goffic (Ame bretonne, 2

série, p. 1.91:) s'est tromp~
en appelant IJrugards (terme d'ailleurs impropre : le Dom exuct est
Bruguer) les Capistes qui pratiquent la pêche tout en exploitant des
fermes' mo yétlnes.
(2)' Mell. d'fIle-e!-Vilaine, C. 3.929.
(3) Sa villa et Bernard, Cahiers de doléances des sénéchaussees de
Quimper et de Concarneau, p. 78.

D'autre part, la pêche à la sar?ine, en celte année, n'a,'ait
donné que des résultats médiocres en raison ;de l'inclémence
de la saison et de l'extrême cherté de la rogue, D'où ml SLlr~
croIt de misère et de privations, Et comme les cOI 1" 'litions
d'existence des campagnards, leur manque d'hyg,iène étaient
aussi déplorables à Poullan q u'aiUeurs, Iles germes - de l Ia
maladie qui avait ravagé le Cap-Sizun pendant les années
précédentes (1 ), trouvèrent là un terrain tout préparé pour
se développer. Le sous-sol argileux 'des landes s'opposait à

la pénétration des eaux qu i formaien t dans les dépressions
de véritables marécages, d'où s'échappaient, pendant les
grandes chaleurs, des émanations putrides.
L'épidémie de 1773 fit sen ti r ses ravages dès le mois de
mars. ({ C ette maladie, écrit le Recteur Haoulin (2) , augmente
toujonrs jusqu'au [3° ou 14' jour, où l'on est presque tou­
jours réduit à l'extrémité ; après quoy ceux qui n'en meurent
pas reviennent peu à peu, mais très lentement ". Grâce allli.
secours accordés par J'intendant, il fai stl it faire CI une potée
de bonne soupe tous les seconds jours, avec 40 li vres de
bœuf» que l'on distribuait aux plus nécessiteux.
De son côté, M. de Clermout (3), qui habitait pelldant la
saison d'été le manoir de Tréola silué non loin de Trébo ul ,
« se chargea de faire [aire c111 bouillon chez lui pOlIr
24 malades qui sont a UX envil'ons ». A Pouldavic1, « on
installa une marmite chez Largenton, négociant lrès aisé et
très charitable. 11 fournil six fl'allCS ci e pain blanc par :;emaine
et trois livres de 'viande pour bouillon à être distribué à
24 malades ».

(i ) Arch_ d'Ille-et-Vilaine. C. 2.533. 11 u'y a pas de dossier sur
cette épidémie.
(2) Daniel Haoulin, né il Elliant le i2 févri er 'i7H . Npmmé recleul'
de Poullan en i746. En i 786, il fit démission rie son bénéfice au profit
de son IIl'veu, Boland L~ Bescond de Coatponl, moyennant une pension
alimcnlaire de 500 livres.
(3) II s'agit de Tréhot de Clermont, père, intendant général du mar­

De plus, le recteur faisait cuire par

semame « comme a
son ordinaire, un demi-boisseau de seigle pour les pauvres. ,
s'étant fait une loi de leur faire tout le bien que sa petite
fortune lui permettait. Il ne s'est pas passé de semaine,.
ajoute-t-il, que je n'ai donné à ces malheureux 8 ou 9 bou­
teilles de vin chaque semaine, mais cela m e regarde, je suis
pasteur et je dois les aider de mon mieux, vous ne sca lll'iez
croire combi en leur cxtrême misère me fait pitié ».
Le 2 avril, le recteur fut appelé auprès de trois personnes
dans trois villages difl'erents el qu'il dut extremiser; le même
jour, le vicaire, Le Fer, visita deux malades qu'il dut ega le­ ment extremise r. A ce t!.e dale « vingt ou yingt-cinq personn es
sont alitees et tOllles en danger; qninze jours auparavant.

pendanlnll e quinzaiue, o n enlerra Il euf grands corps Il .
Le 7 avril cependant. le recteur décla re « qu e la morlalité
dimiuue, mai s la m aladi e continu e toujours, qu oiqu'elle
épargne les ge ns qui so nt un peu à leul' aise ». Mais le
21 juillet, il con state une recrud escence de l'épidém ie ; « nous
sommes dans la consternation, la maladie et la mortalité
angmentent tOlljollrs, et pOl1r comble de malh eur la misère
est extrême et inco ncevable Il no us meurt journellement
quelqu'lln et c'est au point qu e nos registres mortuaires sont
rempli s. J'ai éle o blige, depuis quinze jOlH'S, d' en faire venir.
d'autres de Quimper, ce qui es t sans exempl e dans ma
paroisse. Nous avon s trois g rand s enterrements demain , deux
à Treboul et un au b ourg et il y a au m o i us dix à douze
personnes à ]' ex tremilé et presqu e sans ressources ».
Enfin, grâce aux sollicitations du recteur et de M. de Hos­
piec de Trevien, J'intendant consentit à prendre à sa charge
les frais d'assistance du chirurg ien Davon, de Pont- Croix (1 ).
Celui-ci commença ses visiles, en compag nie du recteur,
le 30 juillet et visita 22 malades, don L 13 indigents. Le len-

(i ) Jean-Honoré Davon. ne à Josie!". en Pl'Ovence, en 1721. Décéué

demain, en compag nie de M. de Clermont, il en visite '1g,
dont 13 indigenls. Le l e" août, il prodigua ses ,soin s il
23 malades, dont 14 indigents. ,: "':: . :'
A la fin de son compte rendu il l'intendant, il, ajoule : '51' je
vous avoueray, Monseigneur, que'je:Jl;, ai l~lenYU :de, :si -',m-j~é ,~,
rable et qui soit plus d ig ue de : co 01 tnisél'a Lion'.;' j: ai:;:ti:Ol1Në

dan s plusieurs endroits jusqu'à des trois malades sur une
mau vaise couchette, avec u ne poignée de paille et une
mauvaise serpillière pour les couvrir Il . ; ,,',',:'
(C' A ,Po!Jldavid, écrit M. de Rosp iec le l :l ,août, , pLus de
30 malades, le plu s grand nombre est couché pat' deü,,: et
par trois sur des poignées de paill e, aussi pourries qu e' tes
trisles serpilières qui couvre leur nudité, dans des réduits o ù'
il ne se tro uve ny pain, ny bois, ny même d'l1sleusiles .les
plus nécessaires » ( 1). , ,

Le 8 aoùt, M. de Clermont signale de so n cà lé il Virilen­ dant: « J'ai fait la lournée avec le chirurgien de pont· Croix,
et je vous a voue que je ne m'a llendais pas il troll ver ilLll. anJ:

de mi sère que j'en ai renconlt'é chez ces pauvres mala, d:es: ; j-e'
ne soupçonnais même pas ql1'elle pùl a ller à un lei eX cl)S' ..
Quel tableau! , , '
cc Poullan est disposé de manière que le presbylère C(i t à ,
un des bouts de la paroisse et ma mais,on au rn'ilieu.:, NO li S
avons établi deux chaudières , l'l1ne chez M. le H. r;:olùllr,
l'autre chez moy, et de ces deux endroits n ous distribuons
les secours que vo us avez eu la bon té d'accoxder.J.e feroy- Ies
a vances pour la partie de la paroisse dont j e me , suis ,ch argé
et quand tout sera fiui , j e vous en envoiroy l'état . .- " ,
« Je vois avec sa tisfa ction que les remèd~s distribu és
opèrent bien et que dans peu nous aurOIl~ beaucollp" moin s
de malades, et encore moins de mortalité. Ceux que nous

( '1 ) Cet hO l'l'ible entassement de plusieurs moribonds, S!lr un, rnqnl~
~rabat était constaté par la plupart des médecins daus tO lite la provirlce,

avons' i l1( Guvé en danger 'louchent à la convalescence et nous
ne ,donnons point le t'ems à la maladie de faire des progl'ès
chez ceux qui en sont attaqués de nouveau »,
M. de Clermont fit vraiment preu' ve de beaucoup de
dévouement. Il pr0posa de loger et de nourrir le chirurgien,
de lui fournir un , cheval et un interprète, « tandis que chez
moi, 'aj(')Utet -il, Ol'l feroit l'ivière de tisanes et de petit 'lait
pou r rlistribuerau x malades D.
Davon, de son côté, ne ménageait pas sa peine. Le recteur
en témoigne hautem'!nl: je ne puis assez vous remerci'er,
écrit-il:à Ilintendant, de nous avoir envoyé M. Davon; c'est
un h0mmc unique dans son état pour son zèle infatigable;
il se livre sans réserve à cette bonne Œuv re et il est continuel­
lement occupé à procurer à ces malheureux tous les secoprs
qui dependent de lui , 11 fournit lui -même les médicaments

au plus bas prix, par amour pou r les pauvres ».
Et çomme l'intendant rechignait un peu pour accorder de '
nou"e(lux subsides, M. de [\,ospiec s'offre 1 ui- même de payer
les soins de Davon, et celui-ci déclare « qu'il continueray
tout 'à fait gratuitement à voir les malades plutôt qu e
d'abandonner un nombre si considérable J) , Devant tant de
zèle, l'intendant se laissa fléchir et la mission de Davon fut
l'lrolongéede huit jours, Mais comme l'intendant lui réclame
un état détaillé des méd icamen ts fou rnis, malade par malade,
Dayon répond ne pouvoir Je fournir, « attendu, dit-il, qu 'il
ct'Oyait mieux employer son tems il voir ses malades qu'à
faire des mémoires» et que (1 si l'intendant trouvait la

dépense trop for~e en médicaments, il était près d'en faire
le 'sacrïfice de ; tout ce qui lui plairait en faveur des pauvres».
Le 5 septembre M de Clermont annonce une amélioration
très sensible dans l'état sanitaire: . c'est avec plaisir, écrit-il à
l'intendant, qlle je VOIlS annonce l'efficacité de vos secours
pour les malades de Poullan , Je fis la dernière tournée avec

malheureux en état de convalescence et le reste qui y tou­
choit: Je vous prie de leur accorder encore deux semaines

d'alimens, passé de quoy nous cesserons de vous importuner;
s'il tombe quelques nouveaux malades, nous en aurons soin

nous-memes ll.
Il y eut cependant des rechutes, les malades n'observant

pas rigoureusement le régime prescrit.
Pour marquer sa gratitude à l'intendant, le recteur avait
pris l'habitude de le nommer au prône comme bienfaiteur
de la paroisse; mais sur l'observa lion du subdélégué « qu'il
fallait éviter les sollicitations d'autres recteurs qui pourroient
se trouver dans le même cas )1, il se contenta de nommer
« un particulier en place ",
Les subsides ,accordés par le gouvernement pour combattre
l'épidémie de Poullan, se montèrent à la somme de 685 livres
15 sous, se décomposant comme .suit: 40 journées de chi­
rurgien à 5 livres par jour 200 livres; 900 livres de
. pai n 135 livres; 579 livres de viande 144 li v l'es 15,
remèdes 206 livres (les médicaments employés furen t : la
manne, le tamarin, le cassis, le sel de Glauber, la thériaque"
le sirop d'œillet, le sirop ',de coquelicot et de capilaire),
La dépense fut soldée par le trésorier de l'extraordinaire
des guerres le 3 décembre 1773.
Les registres d'état-civil nous apprennent qu'il y eut, en
1773, 157 décès à Poullan: JL~ en janvier, 9 en février, [3 en
mars, 7 en avril, 23 en mai, 22 en juin, 23 en juillet, 16 en
aoüt, 8 en septembre, 4 en octobre, 7 en novembre et 1 [
en décembre .
En 1772, le nombre des décès avait été de 68; en 1774, il
yen eut 108, ce q.ui paraîlindiquer une reprise de l'épidémie,
Les années suivantes, les morts sont encore assez nombreux:
55 en 1775,65 en '776.
DANIEL BERNARD,

-162 -

DEUXIÈME PARTIE

Table 'des mémoires pu bilés en 1934

PAGES
1. Les mégalilhes 'de Lannoulouarn (en
par Louis L'HoSTls (avec 3 planches)
Plouguin) '.

Il. Une épidémit) à Poullan en -1773, pal' Daniel
BERNAlln, . . ', 1

Ill. L'instl:uction priniaii'e dans le Finistère sous le

régime de la loi Q:uizot' (1833-1850)1 par Louis

OGÈs , . . . .

QUIMPER - IMPlllMElllE Mm. BAHGAIN