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Bulletin SAF 1933


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Note sur Tanguy du Chastel d’après quelques documents bourguignons

Simone Goubet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1933 tome 60 - Pages 47 à 50
Note sur Tanguy du Chastel
d~après quelques documents bourguignons
Lorsq ue le duc de Bourgogne Jean Sans Peur fut assassiné
il J'entrevue du pont de Montereau, le 10 septembre 1419, par
les gens du Dauphin Charles, celui-ci avait à ses côtés son
fid èle serviteur Tang uy du Châtel, prévôt d e Pari s. Le rud e e t
hardi Breton, qui détestait les Bourguignons, l'avait cou ra­
geusement sou strait à leurs violences l'an née précédente ; il
tenait un rang de cbef dans le parti des Armagnacs . Dans
l'entourage du dnc, on ne manqua pas de l'accuser , n on seu·
lement d'avoir provoqué le meurtre, mais d'avoir lui -même
porté le coup. En général les historiens du temps . plus ou
m oin s a ttac hés à la fac ti on de Bourgog ne. se pronon cèrent
dans ce sens . Divers documents des Archives départemen­
tales de la Côte-d'O r (fo nd s de la Chambre des Comptes,
B 3 ( 0) concernent cette alfa ire. li va de soi q ne provenant des
adve rsa ires de Tan g uy du Châtel, il s ne d oivent pas êtres
sllivi s aveuglément (1.
Il Y a d'abord les d épositions n aturellem ent à charge -
des familiers de Jean Sans Peur. Il es t à no ter toutefois qu e.
sur qu atre témoig nages, neux se ulement comportent l'accu­
sation form elle de meurtre. Guillaume de Vienne, seigneur d e
de Saint·Georges, et le seig nenr de Champlitte ont entendu
crier « a une haulte voix et en grand tumulte : tu ez, tu ez )} ;
le seig neur d e Champlitt~ a vu frapper le du c , mais ne sait
qui l'a fait; il Y avait trop de m onde. Gui d e Pontailler d é-

(i ) Ces pi èces ont été vues et utili sées dans ulle large mpsure por
l'a uteur tl es Observations insér~es à la fin du lome VI de L' Histoire de

pose il peu pres dan s les les mêm es L erm es , mais i.I aj oute
qu'il 'vit « Ta ngui du ChasL el qui rerit feu mondit seigneur le
d uc sur la tes L e d'un e haiche d'arm es ». J ean Séguina t, secré·
taire du duc , lui, est beau coup plu s explicite ; il lai sse enten-

dre que Jean Sans Peur fut atliré dans un g uet-apens, où
Ta ng uy du Chastel aurait j oué l'un des principaux rôles. « Le
du c ayant passé la barrière, aussitot qu'il s furent dedan s, ledit
Tang ui tira lui qui pa rle par la manche dedens lesàicL es bar­
riè,;es pour plu s hastivement ferm er le g uichet d'icelles. »
Pendant l'entretien des deux prin ces le témoin vit " le Prési­
dent de Pro vence [ql1i J vint devers ledit daulphin et parla il
lui bien bas il l'oreille, ne scet lui qui parle qu'illlli di s t, mais
il apperceüt bien qu e ledit daulphin et président firent signe
d e J'œ uil en regardant ledit Tan g uy, lequ el Tang uy inconti ­ nell t bouta feu mondit seigneur d'une grant hac he de g uerre
sa ns dag ue qu'il tenoit en le poussant enLre deux espaules et
lui disant: « Monsieur de Bourgogne, entrez léans» (1 ).
Lequel feu Monseig neu r se retourna de costé et pot veoir
m ondit seigneur, si comme il semble à lui qui parle, un
g rant homme brun, le nom duquel ne scet, qui tenoit une
g rant espée taillant, toute nue, et en ce mouvement ellcom­
mencèrent a crier les gens dudit d l ulphin ; tn ez, tu ez, et ce
g ra nL homme commença a frapper fe ll mondit seigneur de
ladite espée sm la tes te en descendant au long du vi saige du
cô té des tre. et feu mondit seig neur. pour cuidier eviter le cop.
ge tta le bras au devallt, dont il fut blecié t.rès villainement ;
il ne po t obvier que le cnp ne lui cheüst sur le visaige et le
mes me cop lui separa presque la main du bras », m ais il
ne tomba point et Tan gui aussitôt le frappa d'un si g rand
coup de hache sur la tête quO il tomba sur le cô té gau­
che le visage vers 'le dauphin; un homme, une épée nue à la

(1) Là ded ans, c'est-à-dire dans une espèce de logette de bois, auprès

main, « s'agenouilla et bouta son espée par dessous a travers
le corps de mondit seigneur, lequel' se commença .a estendre
les rains en rendant un soupir et sembl e a lui qui parle qu'à
ce moment il rendit l'esprit » . .
L'ensemble de celte déposition est très hostile à Tanguy du
Chastel. Un autre document, anonyme et sans date, l'est
encore davantage: « Ce sont les poins et articles par lesquels
on doit tenir et repputer Tanneguy bastart de coisine et
anciennement dit : le Borgne, Tanguy larron, murdrier,
boute feu, traitre et consentant de la mort et occission de
feu Monsieur de Bourgogne, que Dieu pardoint.
« Primo. 11 es t. bastart, qui naguères et puis pou de
temps en ça, es toit varlet, serviteur de cuisine et de cbevaulx
en la ville de Paris, qui rien n'avoit et néantmoins aux jour
et heure de sa prise povoit ycellui borgne e8tre riche de
XVllI a XX mille escus d'or, [qu'] il soit SUl' ce interrogé,
dont il est, qui y fu filz, et comment il s'est gouverné pour
avoir eü et acquis les chevaulx, harnois et fournitures qu'il
avoit ausdit jour et heure de sa prise et de quoy il s'est
gouverné, ne quel revenu il av oit pour maintenir l'estat qu'il
maintient, car il n'a rien ).
Et ce document d'énumérer les prétendus méfaits de Tan­
guy. Etant gouverneur d'une forteresse, il fit « mourir,
pendre et estrangler » un pauvre homme, en fit mettre deux
autres à la question, mais ne les fi t pas exécu ter, « ils
sont présentement en la compaignie du roi d'Angleterre )).
Une autre fois il fit brûler une forteresse sur l'Yonne avec les
femmes et les enfants qui s'y étaient réfugiés; mais, bien
entendu, le principal chef d'accusation reste le meurtre de
Montereau, sur lequel l'auteur anonyme de ce factum prescrit
d'interroger minutieusement le prisonnier (1).
(i) Tanguy du Châtel avait été Cait prisonnier par les Anglais à
M elun.

Quoi qu'en aient pu penser les Bourguignons, et quoi
qu'on puisse dire de l'avidité très certaine de Tanguy du
ChâLel. il semble établi aL1jourd'hui que le meurtre de Jean
Sans Peur à Montereau ne fut pas p~émédité par le Dauphin
ni par son entourage et ]'on peut croire que Tanguy, en
abattant d'un coup de hache le duc de Bourgogne, a cru
sauver son maître, comme il l'avait déjà fait à Paris en 1418
lors de la reprise de la ville par les Bourguignons Cl).
SIMONE GOUBET.

(i) Voir le t. IV, 2- vol., p. 21. de l'Histoire de France de Lavisse
(volume dû à M. Ch. Pelit-Dutaillis), Quant au grief de bâtardise, c'est
une pure invention.

DEUXIEME PARTIE
Table des mémoires publiés en 1933
PAGES
I. Comment les nobles de Quimperlé quittèrent la
ville en mars-avril lj90, par Jean SAVINA. . . . 3
Il. La justice de paix du canton de Cléden-Cap -Sizun.
Q90-An X ( 1801 ). Les juges: Michel Arhan et
Aimery-Laurent-Allain, sieu r de La Roche, par
Daniel BERNARD

III. Un centenaire passé inaperçn dans le Finistère

« le choléra », pa r L. FARCY. . 42
IV . Note sur Tanguy du Chastel d'après quelques do-
ments bourguignons, par Simone GOUBET.

QUIMPER.