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Bulletin SAF 1933


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Comment les nobles de Quimperlé quittèrent la ville en mars-avril 1790

Jean Savina

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1933 tome 60 - Pages 3 à 18

COMMENT

QUITTERENT LA VILLE
en Vl'il 1790

En mars '790, nobles et roluriers quimperloi s se lrÇlu\'a icnt
en conflit, comme jadis le patriciat et la plèbe de Rome, A
Quimperlé, ce furent les paLriciens dépouillés de leurs privi­
lèges qui résolurent de se reLirer sur l'Aventin, Comme il ne
se trouva pas de Ménénius Agrippa SUl' les rives de l'Ellé, la
bouderie devint un divorce , C'est ains i que les gentilshom­
mes quimpedois nbandonnèrent la ville pour s'établir il ln
campagne (1 ) .
. Cet exode, pensaient-ils, allait servir de leçon aux: rollll'Ïers
et les guérir de leurs prétentions égalitaires. Les serviteurs
congédies. les artisans et commerçants privés d'un e riche

clientèle, les contribuables surchargés viendraient vite à rési-
piscence. Pour que la manifestation fùt plus éclatanle, le
départ fut concerté Une fois de plus, la noblesse faisait un
geste imprudent.

J usq,,'à la fin de 1788. la noblesse et la bourgeoisie quim­
perloises avaient vécu en bonne intelligence. La rupture,
survenue à l'occasion cie la tenue des Etats de Bretagne , s'ac-
(i) L 'lS sources principales de cetle étude sont: 1

Archives munici­
pales de Quimperlé, Reg. des . délibérations du 21 février 1789 au 2:3
juillet 1790; 2

centua au début de 1789, lors de la convocation des Etats
généraux. La noblesse bretonne, par légèreté et aveuglement,
refusa au Tiers les concession s devenues néces aires; son
intransigeance et son fol entêtement allaient la conduire à sa
perte. A Rennes, le 8 jamier 1,89, toute la noblesse fit le
serment « de ne jamais consentir à aucun changement dans
« la Constitution de la Province, de ne jamais participer à
« aucune assemblée, aucune administration par laquelle on
«( voudrait représenter les Etats». Et ce serment fut solennel­
lement renouvelé à Saint-Brieuc, le 19 avril suivant.
Cependan t les événemen ts de juillet 1789, les troubles qui
suivirent la prise de la Bastille obligèrent les nobles i:t réflé­
chir. Il y avait pour eux danger à garder une attitude hostile
et hargneuse à l'égard de la nation qui partout s'armait pour
la conquête de la liberté et de l'égalité. Aussi, dès le début
d'aoùt 1789, dans la plupart des villes bretonnes, les nobles
offrirent de rétracter devant les municipalités le serment
proféré à Rennes et à Saint-Brieuc. 11 y eut donc, à celte
époque, entre nobles et bourgeois des cités armoricaines, des
réconciliations éphémères, des accolades fraternelles, baisers
Lamourette avant la lettre,

Le dimanche 2 aoùt, la noblesse de Quimperlé faisait savoir
à la municipalité de cette ville que:
Heconnaissanl l'indiscrétion du serment qu'elle a prononcA à Rennes
et à Saint-Brieuc, ce qui la rend suspecte à la naliun et donne lieu de
penser qu'elle a des sentiments éloignés de la paix el de la concorde qui
doivent réunir tous les ordres pour ne s'occuper que des ennemis de
j'intérielll' et du dehors, elle désire donner des preuves authentiques du
contraire, en se présentant à la communauté de ville pour abdiquer ou­
vertement et publiquement jes serments qu'elle a prêtés el les protesta­
tions irréfléchies qui ont eu lieu de sa part à Rennes et à Saint·Brieuc et

La municipalité répondit qu'elle recevrait volontiers la
rétractation et le nouveau serment.
Le 9 août, M. Hyacinthe de Saint-Pern fils et le chevalier
de J acq uelot du Boisrou vray demandèren t à la mu nici pa li té
« si elle voulait recevoir le serment en commun et sans dis­
tinction des nobles et anoblis )J . Par l'organe de son procu­
reur-syndic, la municipalité déclara qu'elle n'ignorait pas la
distinction entre nobles et anoblis, ni les égards dûs aux uns
et aux autres « pOUl' leurs vertus, leurs services particuliers
et ceux de leurs ancêtres)).
Le lundi, 10 août, les anoblis se présentèrent les premiers:
Armand-Constant-Mathieu Maudult du Plessix, chevalier de
Saint-Louis, ancien capitaine au régiment de Toul (artillerie),
René-Laurent André de Kermorial, Le Gouverneur, beau-fils
de Maud uit, Paul Bréart de Boisanger, Louis-Thomas-Gabriel
Auifret du Cosquer, Joseph-Etienne André de Léhec, Martin
du Cosquer, André de K.erIidec, Mauduit de Kervern et Auf­
fret du Cosquer fils.
En leur nom, M. Mauduit du Plessix déclara;
Messieurs, n'ayant pas de voix aux Etats, nous n'avons pas fait le
serment que messieurs les gentilshommes de cette ville ont fait à Rennes
et à Sainl-Brieuc. Nous n'avons pas de rétractation à faire, mais nous
n'en sommes pas moins jaloux de venir nous réunir il vous, sceller de
notre serment notre fidélité au roi et à la nation.
Le procureu l'-syndic de la Communauté, Capitaine du Bois­ daniel, répondit;
Nous voyons avec plaisir, Messieurs, noire réunion. Nous vous en
témoignons llOlr~ satisfaction et vous exprimons le désir sincère que
nous avons de voir les troubles cesser et de ne faire qu'une même
famille à l'avenir.
Puis, les anoblis, la main levée, firent séparément le ser­
ment de fidélité au roi et à la nation.
Vinrent ensuite les gentilshommes d'ancienne noblesse,

Bona venture de Sa in t- Pern , lieu tenant général des armées du
roi et inspecteu r général des canonniers gardes-côtes de Bre­
tagne, H.ené Le R.ouxeall de Saint-Drident, ex-conseiller au
Parlement de Rennes, Jean-Marie Duvergier de Kerhorlay,
ancien officier des vaisseaux du ro i, chevalier de Saint-Louis,
le chevalier Hyacinthe de JacC]uelot du Boisrouvray, Marc­
Antoine Le Courial1lt du Ql1ilio, ancien chevau-léger de la
garde du roi, Hyacinthe de Saint-Pern fils, Pinel du Chesnay,
lieutenant de vaisseau. C'étaient les seuls nobles de celte ca­
tégorie alors présents à Quimperlé. Parmi les absents, on
pou vait noter: Thomas-Louis du Couéd ic, grand-maître des
eaux: et forêts de Bretagne et ses deux fil s, Amant, conseiller
au Parlement, et Thomas; 'Armand- Constant Damphernet,
Piene-Jacques de Chantelou, capitaine d'infanterie, François
Jubin de Kerivily , Gùuyquet de Bocozel, de Gras, Auguste de
Kerguern, etc ...
Les comparants remirent une déclaration écrite ainsi libel­

Le désir, Messieurs, que nous avons de prouver à la nation entière la
sincérilé cie noIre réunion et de ne lui lai ssr-l' aucun doule sur la droi­
ture de nos intentions, nous engage à venir ici renouv eler en corps notre
serllleut de fidélilé au roi et à la nation, lln révoqua nt celui que /lOU S
avous fait à Heunes et confirmé à Saint-Brieuc.
J :t ils prêtèrent individu ellement le sermen t annoncé .

COl llme la plupart des villes, à cette épollue, Quimperlé eut
sa révolution municipale, le 5 août 1789' Le co rps de ville
se transforma en comité permanen t par l'adjunction de 7 re"
présentants élu s des corps et corporations.
Le Il aoùt, ce comité reçut, de Lorient, copie d'une leltre
du député Delaville-Le R.oux à ses concitoyens. Celle missive,
datée de Versailles, le 5 aoùt, donnait uo compte-rendn de la
fameu se séance de la nuit du 4 août où l'A.ssembl ée nationale

proclama la suppression des privilèges et des droits féodaux .

Nulle ville ne fut plus. prompte à mettre en application les
récents décrets de l'Assemblée. Dès le d août, la vieille mi­
lice bourgeoise fut remplacée par une milice riationale desti­
née à maintenir l'ordre, ~ à veiller à la sûreté des citoyens, à
prévenir tous complots contre l'Etat et tous attroupements de
bandits ). A cet effet, un corps de garde fut établi. la nuit, et
des patrouilles devaient être effectuées. Il était entendu que ce
service serait gratuit mais que tous les citoyens valides, pri­
vilégiés ou non, y participeraient, « à leur tour et rang ainsi
que l'artisan, à la seule différence toutefois que les ci-devant
privilégiés pourraient se faire représenter en payant d'avance
J 2 sols par chaque ga rde ». .
Ainsi les gentilshommes devenaient corvéables à lenr tour.
Certes, une telle nouveauté ne leur plut guère et ils ne purent
dissimuler leur mauvilise humeur . Mais les privilégiés du
Tiers se montrèrent encore plu s vexés. L'exemple de la résis­
tance vint, en effet, d'un bourgeois, le premier magistrat
civil et criminel de la ville, le sénéchal Simon-Bernard Joly
de Rosgrand (J).
Ce bourgeois-genlilhomme croyait à l'éminence de son of­
fice; il avait payé à beaux deniers comptants les franchises,
immunités et privilèges inhérents il sa charge el il entendait
conserver jalousement toutes ses prérogatives. Chargé naguère
des règlements de police, il n'admettait pas que la municipa­
lité se substituât au sénéchal en cette matière. Or, partout,
spontanément, en juillet et août, les municipalités avaient
élargi leurs attributions et pris notamment l'initiative de
toutes les mesures de police.
Sagement, la municipalité de Quimperlé fit défense au
maître de poste et loueurs de la ville de donner des chevaux

(i ) Voir sur lui l'article (illustré d'un portl'ait) de Tl. Bernard dans le
Bulletinde la Soc. archéol. du Finist~re. l. LVII, 1930.

aux étrangers qui ne se seraient pas présentés au comité
permanent, pendant le jour, au corps de garde, pendant la
nuit, pour faire viser leurs passeports, Cette ordonnance fut
publiée par le tambour de la milice. Le sénéchal, outré de
n'avoir point été consulté, donna ordre d'emprisonner le
pauvre tambour. En vain. le procureur-syndic et quatre
échevins demandèrent l'élargissement du malheureux agent.
Le sénéchal, inébranlable. ne consentit pas à faire grâce. ·

Mais voici venu le tour du sieur Joly de Rosgrand de
prendre la garde au poste de police, conformément à l'arrêté
municipal du 13 août. Peut-être s'ingénia-t-on à lui donner.
en la circonstance, un tour de faveur, afin de connaître plus
tôt la mesure de son civisme.
Tout privilège étant aboli, Joly fut donc commandé de
garde, le vendredi 28 août. Par déférence pour le magistrat,
deux officiers municipaux, le chirurgien Bosc et l'avocat
Bienvenu, se rendirent à son domicile. et le prièrent amicale-

ment de donner le bon exemple en se faisant 'représenter à la
garde .
. M. de Rosgrand répondit « qu'il ne ferait point monter sa
, garde; que ce n'était pas le sacrifice de 12 sols qui le te­
« nait; qu'il veillait, nuit et jour, pOUl' l'utilité publique, et
« que ·d'ailleurs le Gouvernement jugerait entre lui et la com-.

« munaule n.
On lui fit valoir que M. du Boisdaniel, un vieillard, alors

président de la municipalité, en l'absence du maire .malade.
s'offrait à monter la garde, concurremll1ent avèc lui, pour
donner l'exemple aux autres privilégiés et dans le but de
soulager les habitants. On lui cita l'exemple de la ville de
Rennes où, par esprit patriotique, les privilégiés de Lous les ,

ordres s'étaient soumis à m o nLer o u à faire monter la garde.
Rien n'y fit : Joly de Rosgrand dem eura in traitable.
En conséquence. la municipalité arrêta « de faire scission
« avec M. de Rosgrand. séncchal, pour n e s'être pas 'montré
«( zélé patriote. et de donner av is d e cette décision à m essieurs
(( les députés à l'A ssemblée nationale. à M. le m arquis de La
(c Fayette, généralissime de la milice nation ale, au x munici­
« palités de Rennes , Nantes , Vann es, Lorient, Hen nebont,
« Quimper et Brest )) .

Vue la résistance opiniâtre des privilégiés . le comité per­
manent jugea prudent de surseoir à l'applica tion de son arrêté
égalitaire du 13 août. Le comité n'a vait qu 'une mission pro­ visoire ; seu- Ie un e municipalité élue en vertu de la no uvelle
Constitution aurait l'autorité nécessaire pour se fair e obéir.
Sagement, les patriotes consentaient à un aj ournement ; il
n'y avait. du res te, aucun péril en la demeure et. q uelques
semaines plus tard, le triom ph e de l'égalité n'en serait q ue
plus éclatant.
Entre temps. le comité prit en loca tion . moyenn ant 200
l. de loyer annu el, la maison abba tiale (Hô tel - du Lio n d'Or
actuel) pour y in staller ses bureaux au premier étage et le
corps de garde au rez-de-ch aussée.
Le 13 décembre . pOUl' préparer les esprits au nouvel ordre
de choses, il fit imprimer et affich er un arrêté rappelant que
d ésormais « tous citoyens , nobles, ecclésiastiques et au tres ,
sans di stin c tion, p aieront tous impôts. contribu eront à la
ga rde, g uet et patrouilles de la ville. casernem ent, fournitures
d ' ustensiles, logement des gens de guerre et toutes autres
charges ) .
La nouvelle municipalité fut élue le lundi 1

février 1790
et in stallée le dim anche s ui vant. Elle ne co m pren ai t aucun

Sainl-Colomban, olHcier muni cipal, et l'abbé Forget, vicaire
dela même paroisse, notable. Le maire, Bonaventure-Auguste
Capitaine du Boisdaniel, était un modéré, allié à la noblesse,
ayant épo usé, en 1 jj!), Flore Dillllphernet.

Le conseil g'énéral de la COlll mune se moutra résolu à
exiger l'exécution stricle des arrêtés du 13 aoi.1t et du 13 dé­ cemb re concernant particulièremen l la ga rde de police.
Tou lefoi s, avant d'employer les moyens de rig ueur, le maire
crut devoir, une fois encore, faire appel aux bons sentiments
de la noblesse. Le 25 février, il écrivit donc à M. le comte de
Saint-Pem, doyen des gentilshommes de la ville, pour le
prévenir « que les circo nstances du temps, le maintien du
« bon ordre, le so utien des droits du roi et de la nation
« exigeaient que l'on contiuuàt à faire monter la ga rd e par les

« habiL.Il1ts; que l'équ ité voulait qu'au cun citoyen ne fùt
cc grevé pOUl' favo ri ser un autre; que les ordres et privilèges
(1 étan t abolis, J'intention de la municipalité élait d'exiger
rc de tou s une égale con tribution à la ga rde » .
Le maire qui ne se fai sait guère d'illu sions afTectait
de croire CJue les sentiments pacifiques et équitables des
gentilshomm es les porleraient \"olont ier~, en celte occurence,
à concourir a u bien public, cal' la garde et les patrouilles
n'avaient d'autre but que la sû reté des personnes, la protec­
tion de leurs biens et la répression des fraud es dans la pe:'­
cep lioll des droits du roi et de la natio n.
Lecomte de Saint-Pern répondit cc que la noblesse n'avait
« été priY~Çl, suivant les décrets parus, que de ses privilèges
« pécuniaires et que, sans un décret positif de l'A ssemblée
(c nalionale qui déclarât la noblesse sujette à la garde, elle
« ne pouvait s'y livrer et qu'au su rplu s, elle ju geait cette

Le reru s des nobles faillit provoqucr une émeute des
patriotes , amis de la Co nstitution. Il s disaient hautement
qu'ils ne tolèreraient plu s de privilèges et que le peuple était
la s des provocations et des vexation s des gentilshommes .
Le 28 février, le Conseil général de la commune, estimant
qu'une gard e de nuiL était indispensable . à Quim perlé,
comme ·qans toutes les autres villes du royaum e, réglement l,
une fois de plus, ce service. 11 arrêta que (1 Lou s les citoyen s
« de la ville indistinctement y seraient contribuables, COlD­
« prenant dan s cette généralité, m essieurs du clergé séculier
« et régulier, les n obles, les bourgeois, les veUVl S, fill es et
« garçons possédant biens ou payant capitation, avec faculté
« néanm oins à toute personn e âgée de 50 ans de s'en afiran­
(( chir, par chacune fois. moyen nant une consigna tion de
l( [ 2 sols pour pa yer un autre à sa place, si mieux n ·aim e se
(( faire remplacer par quelque citoyen , autre que domestique,
(( et ayant prêté serment civiqu e ».
Ains i, ln garde se composant de 1 2 h ommes, y compris
le bas-o ffi cier, (( le turne de chaque citoyen ne viendrait qu e
« tou s les 30 jours au lieu que ci-devant il venaiL Lous les
« 18 jours, à la surcharge des h abitants ». Et pour que nul
ne prétendît cau se d'ig norance, cet arrêté fut publi é et affiché
à la diligence du procureur Bosc .

La municipalité de Quimperlé était persuadée de son bon
droit. Cepend aut, avant d' user de rig ueur, elle voulut cons ul­
ter M. Billette, député à ta Co nstitu ante. Bill ette répondit, le
6 mars, que le décret de l'Assemblée nationale qui faisait
obliga tion à L o us indistin ctement de supporter égalemen t les
charges publiqu es avait son at'pli ca Lion dan s la ga rde de
police comme pour les auLres contributions et qu e telle était

l'interprétation unanime des membres de l'Assemblée natio­
nale.
Le 10 mars, Marc-Antoine Le Couriault du Quilio et Fran­
çois-Hyacinthe Briant de Penquélen furent commandés pour
la ga rde et invités à se rendre à l'Hôtel-de-Ville pour y prêter
le serment civique. Du Quilio fit savoir « qu'il ne se croyait
« pas dans le cas de monter la garde ni de se faire repré­
« senter, attendu qu 'il était toujours censé en service, en
« qualité de chevau-léger de la garde du roi, ayant été
« réformé en 1784, avec une continuité de service pendant
« 10 ans ». Briant de Penquélen motiva son exempti on sur
ce 'qu'il était officier des grenadiers royaux de la Bretagne.
Tous deux déclarèrent qu 'indépendamment des motifs
d'exemption allégués, il s monteraient ou feraient monter la
garde s'il intervenait un décret exprès, sanctionné par le roi .

Bosc, procureur de la commune, remontra le 12 mars au
conseil assemblé, que toutes les voies de doucem et de
modération prises à l'égard des nobles étaient demeurées
inutiles, qu e des murmures sc fai saient entendre de toutes
parts et qu e le peuple menaçait même de se porter à des
violences. Seules, dit-il, des sanctions immédiates et rigou­
reuses contre les récalcitrants pouvaient empêcher les
malheurs dont les ci-devant privilégiés étaient menacés:
La lettre de Billette, approbative de la municipalité, ayant
été communiquée au comte de Saint-Pern, Hilaire Lemaire,
dit Bourbon, fourri er des grenadiers de ·la garde nationale
fut chargé de tran smettre à MM. Damphernet, Duvergi er de
Kerhorlay, Mauduit du Plessix et Le Gouverneur l'ordre de
prendre la garde, le soir même. Le refus avait été concerté .

Gantea ume, maréchal des logis, et Louvel, brigadier de la
maréchaussée, accompagnés de Jean Monboucber, archer de

Messieurs de venir prêter le serment civique requis avant de
prendre la garde ou de dédarer si oui ou non ils entendaient
se faire rempla ce r. Ces démarches réitérées demeurèrent
infructueuses.
Il fallut en venir à la con trainte. Le co nseil, y compris des
ci-devan t privilégiés comme Hyacin the Frogerais et les ecclé­
siastiques Tégnier et Forget, arrêta que « tous citoyens qui
« refu seraient de monter la garde ~eraient constitués prison­
" niers es-prisons royaux de cette ville pour 24 heures l) .
Injonction fut immédiatement faite aux officiers de la garde
nationale de tenir la main à J'exécution de cette ordonnance.
Toute la ville fut en émoi. Depuis six mois, à Quimperlé,
une poignée de rebelles bravaient les décrets de la nation.
On allait voir enfin si l' égalité des citoyens et la souvera ineté
du peu pie n'étaient pas de vains mots.

Le jour même, le comte de Saint-Pern écrivit au ministre
de la Guerre, La Tour du Pin, une lettre que nous avons
trou vée aux Archi ves nationales, :
Monseigneur, ayant l'honneur d'être au service du roi en qualité de
lieutenant général des armées et d'inspecteur général des canonniers
gardes-côtes de Bretagne, je m'adresse a vous, dans ce moment, en
vous priant de me dicter la conduite que je dois tenir vis·a-vis de
messieurs les officiers municipaux de Quimperlé. Ils veulent m'assujettir
il me faire représenter dans la milice nationale en pa yant un homme
pour faire le service à ma place.
Comme je me crois exempt d'une pareille corvée, par mon âge, par

mon rang et mes services, j'ai demandé à ces messieurs à connailre la
loi en vertu de laquelle j'y devais être soumis.
A l'âge de 72 ans, après 57 ans de service, j'osais me flatter de
n'rprouver aucune tracasserie de ce genre. J'ai fait à ces messieurs
-toutes ces représentations en les assurant cependant que si je voyais un

ceux occupant des emplois dans les provinces, alors, je n'aurais plus
d'o bj ections â leur faire.
Je vous supplie instamment, M onseigneur, de vouloir bien me
rppoorlre il cc sujet, en me doon~ n L voire avis, car jP. suis dpcÎùé à ne
consenti r à rien, ava nt de l'avoir eu .
La Tour du Pin , en transmettant cette lettre à son collègue,
le comte de Saint-Pries t, lui disait:
Vous serez sans doute aussi indigné que moi-même que les officiers
municipaux de Quimperlé aient eu un pardi procédé envers un lieule­ nant g~néral ùes armées de Sa Majest~ , parvenu à l'âge de 72 ans. La
Brplagne lai sant partie du dPpa rtement qui vous est con lié, je m'vu
remels à vous de fai re sentir à ces olficiers municipaux toute l'indé­ cence d'une pan'ille conduite qui ne peul êlre justifiée ~ous aucun
rapport.
Le 30 mars, le comte de Saint-Priest adresse une semonce
à la municipalité de Quimperlé :
On m'assure, M essieurs, que vous voulez ass ujeltir M. le comte de
Sai ni-Pern à se laire représentPl' dans voire milice nationale, malgré
son âge, ses longs servit:es et 5a qualité de lieulenant général des armées.
. Comme je ne connais aucune loi qui autorise ce procédé, je ne puis
m'e mpêcher de vous mander qu'il paraît peu convenable et même
indécent. J'attendrai votre réponse pour en rendre comple au roi; je
vous prie de ne pas la différer.
Nou s ne savons si le roi intervint en celte affaire ; mais
cinq m ois plu s tard, Sa Maj esté adressa un blâme à la ville
cie Quimperlé pour son attitude révolutionnaire à J'occasion
de la des truc tion prématurée des armoiries.

Le vendredi 1 2 mars, vers 6 heures du soir, les gentil s­ hommes, réunis chez M. Duvergier de Kerhorlay pour se
concerter, adressèrent aux officiers municipaux une lettre
« pour se disculper des imputa tions q u'on leur faisait de
Les officiers
billet:

répondiren t sèchemen t par ce munlclpaux
M essieurs, nous Ile reconnaissons pO Ul' bons citoyens et vrais patriolps
que ceu,l( qui ont prêté le serment civique. Quand vous voudrez bien
remplir ce devoir, nous serons prêts à le recevoir. Par ordre de
M essieurs les officiers municipaux et notables, Le Nil', secrélaire greffier.
Par ordre encore, Le Nil' ajouta ce post-scriptum:
M~ss ieurs, il est instant que ceux qui so nl commandés pOUl' la ga rde
de ce soi r reillplisssent ce devo ir ou se fassent représenter, parce qu'on
mellra à exécution, en toute ri gueur, l'arrêté qui vient d'être pris . .
Nos gentil sh ommes, après avoir pr is connaissance d e ce
billet, le remirent au porteur, archer de police, en lui disant
qu'ils n'avaient point de répon se à faire.

Ce soir-là , el( prévision d'une résistance probable. on
commanda de service l'o ffi cier le plu s expérimenté et le plus
énergique de la garde nati onale, le ca pitaine des grenadiers,
Antoine Cuny , ancien militaire et négociant et d'ailleurs
notable municipal. A 8 heures précises, Cun y se rendit au
corps d e garde et fit l'appel des hommes commandés. Quatre
manquaient: Damphernet, Duvergier , Mauduit et Le Gou­
verneur.
Le capitaine donna ordre à un sergent et à quatre hommes
de se saisir de M. Damphernet et de l'amener au corps de gar­
de. Chez M. Damphern et, les grenadiers trouvèrent porte close.
Ayant demandé ouverture, quelqu'un leur répondit d'une
fenêtre qu'on ne leur ouvrirai t que lorsque le sénéchal de la
ville serait à leur tête. Le sergent s'étant retiré pour rendre
compte de sa mission reçut l'ordre de redemander ouverture,
cette fois, au nom du roi, ce qui fut sans doute accordé car
on sut que M. Damphernet s'était rendu à la campagne.

M. Duvergier qui, sans résistance, fut amené au poste de po­
lice. Successivement, MM. Mauduit et Le Gouverneur furent
contraints, manu militari, de venir l'y re.ioindre. A 9 heures
du soir, Cuny fit conduire en prison les trois rebelies, ce qui
lui valut. le lendemain, les remerciements de la municipalité
et les félic.itations des patriotes. mais aussi l'animadversion
des nobles.

Il pnraît, en clTet, que la conduite d·Antoine Cuny. en cette
circon~Lance. fut dénoncée au tribun Mirabeau. C'est Cuny
lui-même, devenu administrateur du Finistère, qui nOllS
l'apprend dans un exposé de sa vie politique qu'il écrivit, en
1794, quelques semaines avant de monter à l'échafaud.
Les chevaliers de Saint-Louis me dénoncèrent à Mirabeau cadet, leur
créature, lors membre de l'Assemblée constituante. C'est moi que cet
individu gangrené peignit sous les couleurs les plus noires et cependant
son rapport fut rejeté comme subversif des principes de l'égalité.
L'affaire de Mirabeau terminée, j'ai trouvé J'occasion de montrer que
cette dénonciation n'avait fait qu'enflammer mon patriotisme. Voici le
fail. Un ci-devant garde du corps, fil· s d'un ci-devant anobli de Quim­
p~rlé - il s'agissait d'Auffrel du Cosquer qui à celle époque se prome­
nait en ville en uniforme des Gardes du corps portait, avec un ton
plaisant, un orgueil insupportable et des gestes menaçants, une cocarde
blanche, en place publique. Il était de mon devoir de la lui arracher et
de la Iouler aux pieds. Je le fis en présence de mes concitoyens et lui
enjoignis, en llJême temps, de reparaître, dalls le jour, avec une cocarde
tricolore, sous les peines d'usage entre militaires.

De Kermadéoua en Kernével,
écri vil à la m unici palité :
le 13 mars, Damphernet

l e soussigné, déclare que depuis hier, 12 de ce mois, je me suis
retiré à la campagne où j'entends désormais fixer mon séjour avec ma

ramille, au moyen de quoi j'engage Messieurs de la municipalité d!'
Quimperlé à ne plus me regarder comme citoyen de celte ville.
Le 15 mars M. Duvergier écri vait aussi:
Je suis résolu d'aÙer demeurer en ma maison de Kernot, paroisse de
M ellac, où m'appelle journellement la nécessité rie veiller il la culture de
ma L erre. Les traitements que' j'ai éprouvés. joints à mon âge encore
aggravé par des blessures reçues au service du roi el de la patrie, ne
me permettent plus ce transport journalier. J'ai l'honneur de vous
déclarer ce changement de domicile et de vous prier de ne me plus cOtlsi­
dérer comme habilant de Quimperlé, comme aussi de ne me pas com­ prendre dans le rôle de la capitation et autres contributions personnelles
de c.e Lle ville.
Le 16 mars, Mme .Tubin d e Kerivil y, née de Robecq ,
procuratrice de son mari absent , fai sait la même déclara tion
que M. Duverg ier et en des termes identiqu es .
Le 5 avril, Le Couriault du Quilio déclarait:
Résolu d'aller habiter, avec ma famille, ma mai son de Pel'ros (en
Flubry) et d'y transporter désormais mon domicile, j'ai l'honneur d'on
prévenir M essieurs les officiers municipaux, â l'effet de n'être plus
réputé habitant de la dite ville, comme aussi de n'être pas compris an
rôle de ses impositions à l'aveuir pt même pour la présente année.
Enfin , le 1 2 avril, J.- E. André de Léhec, qui bi enlôl émi-
grera - et m ourra en émigration - , disait:
M es alTaires exigent ma prtlsence à Kermorial et voulant désormais
fi xer mon domicile en Baye, ou je suis porté au nombl'e ri es citoyens
de cette paroisse, j'ai l'honneur de vous représenter que je ne dois plus
pIre réputé habitant de Quimperlé ni être compris 3n rôle de ses impo­
sitions.

Il Y eut d'autres d éclarations de changement de domiciles
que nou s n'avons pas retrouvées. En fait, la plupart des
anciens privilégiés, nobles ou bourgeoi s, allèrent, en ce

Quimperlé deux ou trois nobles, comme René Le Rouxeall
de Saint-Drident et René-Laurent André de Kermorial, qui
d'ailleurs prêteront le serment civique.
Cette petite émigïation vers les manoirs prépar. era l'émi­
gration hors des frontières. Mais, dans les manoirs solitaires.
comme à Coblentz, on travaillera à la contre-révolution.
jusqu'au jour où les comités révolutionnaires, armés de la
loi des suspects. rappelleront en ville les émigrés de l'inté­
rieur pour les tenir sous leur étroite surveillance .

JEAN SAVINA .

DEUXIEME PARTIE
Table des mémoires publiés en 1933
PAGES
I. Comment les nobles de Quimperlé quittèrent la
ville en mars-avril lj90, par Jean SAVINA. . . . 3
Il. La justice de paix du canton de Cléden-Cap -Sizun.
Q90-An X ( 1801 ). Les juges: Michel Arhan et
Aimery-Laurent-Allain, sieu r de La Roche, par
Daniel BERNARD

III. Un centenaire passé inaperçn dans le Finistère

« le choléra », pa r L. FARCY. . 42
IV . Note sur Tanguy du Chastel d'après quelques do-
ments bourguignons, par Simone GOUBET.

QUIMPER.