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Bulletin SAF 1931


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La construction d’un clocher breton (Saint-Mathieu de Morlaix)

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1931 tome 58 - Pages 16 à 27
La construction d'un clocher breton
(Saint-Mathieu de Morlaix)

Le clocher de l'église de Sainl-Malhieu de Morlaix n'est pas
une merveille d'architecture. Il n'en a pas moins été fort
estimé autrefois, et le Dictionnaire d'Ogée, paru en 1778, le
vante {( pour sa hauteur et la beauté de l'ouvrage comme l'un
des plus magnifiques de. la province», tandis que ses

continuateurs n'y voient qu'une « tour carrée chargée d'orne-
mepts d'un style lourd et massif». Ce qui fit la réputation de

ce rhonument, c'est qu'on admirait en lui l'une des premières
manifestations de l'art de la Henaissance en Bretagne, où
deux seuls édifices religieux conçus dans le même style ne lui
sont antérieurs que de peu d'années.
L'un est la chapelle ronde du Sainl-Sacrement inspirée du

Palais Farnèse à l'\.ome, et bâtie vers 1535 par le chanoine

Jean Danilo, contre le bas-côté Nord de la cathédrale de
Vannes. L'autre est la façade Ouest de l'église de N.-D. de
Guingamp, reconstruite qu. elques années après l'écroulement
du clocher en 1534. La tour de Saint-Mathieu, datant de 1548,
précède dans l'ordre chronologique le clocher de Roscoff
(1 550), qui servit de modèle à celu.i encore plus élégant de
Berven (1575), la célèbre sacristie de Bulat, bâtie en 1552 par
Fouquet Jehanou, et l'ossuaire de Saint-Herbot (1558). Vien­
nent ensuite, dans la même région basse-bretonne, la cha­
pelle de Kerfons, près Lannion (1559), l'église de la Roche­
Maurice (vers 1560), la chapelle de Sainte-Geneviève en Plou­

che de Plougasnou (157[1 ), la tour de Bervcn, déjà citée (J 575),
l'oratoire de Saint-Jean-du-Doigt (1577), le clocher de Plou­
gasnou .(1582). celui de Ploujeau ([586), celui de Ple)'ben
(1588), et celui de Landivisiau (1590)-
La précieuse série d'anciens comptes de la fabrique de

Saint-Mathieu conservée aux A l'chi ves du Finistère (1) permet
de suivl1C la longue construction du clocherdoD t les Morlaisiens
du XVIe siècle tiraient une fierté bien naturelle, car celle en­
treprise attestait l'esprit attentif au progrès de la vaillante

petite ville maritime, et illustrait l'éloge mérité que le chroni-
queur Alain Bouchard .avait fait de ses habitants: « Ceux de
Morlaix ne sont point de failly courage >J . Rebâtie vers [[lg8
et consacrée en 1505 par l'évêque de Tréguier, le Morlaisien
JeanCalloët de Lanidy, l'église ne possédait pas encore ·de
clocher, et c'est ceLte lacune que les habitants voulurent com­
bler en dotant leur principale paroisse d'un imposant et solide
beffroi.
Au compte de 15L17, on trouve une somme de 37 sols pa)'éc
' (l ,au maistre qui fist le portraict pour la teur d'icelle paroisse
et pour le portraict de la lan terne»). Les comptes de 1 548 et
[ 19 manquent fâcheusemeut, ce qui nous prive de détails sur

10 ,cérémonie de la pose de la première pierre, le 10 juillet
1548, mais celui de 1550. couvert d'un parchemin découpé,
: semble-t-il, dans un des plans tracés à la sanguine pal' l'al"
chitecte, nous révèle son nom_ Il s'appelait maître Yves
:Croazec, pur Breton comme on n'en peu t douter! Selon l'u­
sage du temps, il ne se bornait pas à diriger et à surveiller
l'ouvrage, Il y besognait lui-même, se réservant l'exécution
des parties les plus délicates Il y a certainement lieu de lui
-attribuer cette magistrale banderole ondulée qu'admirait Pa­
rJus: tre, qui porte en caractères romains (sauf l'L initial, de
galbe gothique) l'inscription dédicatoire ci-dessous, déployée

sur toute la face occidentale du clocher en empiétant p'ar ses
deux extrémités SUl' les faces Nord et Sud:
LAN. MIL. CINQ . CENTZ.QV ARANTKHOVICT .LE.DIXIES­
ME. IOVR .DE.IVILLET. FVTCOMMECE.CESTKTOVR.EN.
LHONEVR.DE.DlEV.DKNOSTRE.DAME.ET. DE. MONSEI­
GNEVR.SAINCT.MAHE
Yves Croazec conduisit les travaux pendant une douzaine
d'années. La fabriqu e le logeait gratis dans une maison près
des Halles, pour laquelle elle payait un loyer de 100 sols. Son
salaire journalier fut d'abord de 5 sols 2 deniers, soit environ
de L ,o à 50 fran cs d'aujourd'hui. Sous ses ordres besognaient
une équipe d'e huit tailleurs de pierre, Guillaume Clech, Pri­
gent et Morice Quélen, Pierre Le Laouénan, François Gautier,

Carantec Le Chesne. Yvon Flandrès et Jacques Le Liorzou,
tous rétribu és à raison de 2 sols 9 deniers pal' jour. SiX; ou
sept « darhareurs 'l ou manœuvres payés 2 sols complétaient
l'équipe.
Les premières années furent consacrées surtout à l'elltrac­
tion et à la taille des pierres à mettre en œuvre. On tirait des
matériaux des trois carrières du Parc-au-Duc, de Kergus et de
la Bouexière, en Plourin, et l'on faisait venir par batelées du

granit plus fin de l'Ile-Grande, su r la côte de Pleumeur-Bodou,
que les comptes appellen t tour à tour Eynez-Meur, Enesvor,
l'Isle-Grand 0 1.1 la Grande-Isle. POUl' le transport s'offraient
parfois des concours charitables. En 1550, les paroissiens de
Plourin firent c( par grace et en don Il, un grand charroi de

pierres sous la conduite cie leurs gentilshommes, MM. de
Kermellec, de Kervézec, de La Bouexière et de Penanvern. Le
seigneur de Coa télant, M. de Brézal, n'ayant pu venir lui­
même y avait envoyé ses gens. La fabrique paya une collation
de pain et de vin à ces travailleurs bénévoles, qu'inspirait la
belle solidarité chrétienne de l'époque.
Afin d'abriter les ouvriers, leurs outils et leur forge, on

bois et de fascines, que les comptes nomment « le taparlaur»,
terme bizarre, à rapprocher du terme lapabor qui signifie,

selon Littré, un chapeau muni de larges bords pouvant se
rabattre en cas de pluie L'engin indispensable à la mise en
place des blocs taillés, le {( grave» ou « crane)), fut monté par
le charpentier Philippe Le Corvez ; mais, à peine mis en ser­
vice, il se rompit et dut être radoubé à grand renfort de ma­
driers, de clous et de ferrures. Pendant bien près d'une qua­
rantaine d'années, l'étroite place triangulaire de Saint­
Mathieu, encadrée de piguons gothiques dont plusieurs sont
encore debout, retentit du brnit des marteaux picotant infa­
tigablement le granit, des grincements du treuil. des cris
cadencés des darbareurs guindant les pierres, du roulement
des charrettes qui venaient décharger près du tapadaur les
matériaux déposés sur le quai par les bateliers de l'Ue·Grande.
Le comptable de la paroisse payait les travailleurs à la

semaine. La moyenne annuelle des journées ouvrables était
de 235 à 240, ce qui suppose beaucoup de repos et de fêtes
chômées. On ne connaissait pas encore le labeur exténuant et
inhumain imposé par les exigences économiques du XIX

siècle. La vie ouvrière d'aulrefois avait, non seulement ses
loisirs, mais aussi ses di verlissements et ses fête!'. Trois fois
l'an, Maître Yves Croazec et ses compagnons étaient régalés
aux dépens de la fabrique . La veille des Rois, on leur oJTrait
un grand gâteau arrosé de deux pots de vin. Le jour de Ca­
rême-prenant, ou plutôt le Lundi-Gras, le «lup.dy-Iardier Il,
on leur faisait «courir la poule», c'est-à-dire qu'ils pourchas­
saient, à l'intense jubilation des badauds, quelque malheu­
reux volatile qui s'envolait, tout éperdu et gloussant, de
l'arête d'un toit sur une corniche du clocher, . d'où les pico-

teurs, entraînés aux escalades, le dénichaient, non sans épi-
sodes burlesques. Une collation terminait le-jeu.
Enfin, le jour de la vigile de l'Ascension, on allait quérir

puis on donnait ( un mouton vif à courir» aux ouvriers. Le
vainqueur recevait une paire d'aiguillettes. Le lendemain, un

. dîner, dont ledit mouton formait le plat de résistance, et au-
quel on se rendait en un gai cortège précédé d'une bombarde,
réunissait les travailleurs de la tour et « plusieurs bons per­
sonnaiges n. Ce vieux dicton, recueilli par Sauvé, atteste que
la corporation des ouvriers en bois avait aussi jadis un jeu
analogue: .

A nn heslcenner hag ar c'halve
A blij d'ezho {est al' maout mae.
(Le scieur de long et le charpentier
Aiment le festin du mouton de mai) .

Yves Croazec, s'étant blessé en 1558, reçu.t, du consente­
ment des paroissien:;;, une avance de [0 livres pour s'entrete­
tenir jusqu'à sa guérison, avec sa femme Marie Le Goffet son
fils Jacques . A peine âgé de dix ans, ce courageux bambin
voulut travailler au cours de la convalescence paternelle. Il
toucha, pendant 1 Llo jours, un prêt quotidien de 10 deniers.
Cetle même année, les habitants de Plourin, décidément pleins
de zèle, offrirent un nouveau charroi et amenèrent 24 charre­
tées de pierre de la Bouexière, de Kergus et de la (c perrière»
de M. de Kernéguès. La fabrique leur paya des rafraîchisse­
ments pour 12 livres 10 sols.
Une fois rétabli, le maître de l'œ uvre s'éclipsa et son
voyage se prolongea au poin t d'inq uiétel' les procu reurs de
l'église, qui soumirent leur embarras à l'assemblée des parois­
siens. On se résolut à les envoyer quérir Maître Yves Cozie,
architecte de l'église de Bourbriac, « pour venir reviser l'édif­
ficze de Saint-Mahé pour l'absence de Maistre Yves Croazec 1).
Ce technicien fit le voyage de Morlaix, mais j'ignore quelju-

gement il porta sur le clocher commencé par son collègue .

Il semble que ce demier soit revenu sur ces entrefaites, car
le compte de 1561 (celui de 1560 n'existe plus) nous apprend
que la fabrique paya 4 mois de louage pour sa maison, et à
lui-même 52 journees à 5 sols la deniers. Son nom disparaît
ensuite. Que devint-il ~ Rien ne prou ve qu'il soit mort, comme
le croyait Palustre. En tous cas, il du t abandonner son chan­
tier sans esprit de retour . Les parties basses de la tour, cons­
truites par lui, ont de l'ampleur et du caractère, et font
regretter que ce vieil architecte breton, à qui Palustre recon­
naissait « un veritable talen t )), n'ait pu mener sa tâche j us­
qu'au bout.
Son successeur fut Maître Guillaume Crehif, qu'il fallut
egalement aller chercher à Bourbriac, et qui exigea un salaire
exorbitant de 15 sols par jour, ainsi qu'une paire de culottes
en don de j,oyeuse entrée. En 1564, le maître d'œuvre ' esl
appele Guillaume Cozie. Faut-il ne voir là qu'un lapsus du
scribe ~ Son équipe se composait de Carantec Le Chesne, de
six tailleurs de pierres à 3 sols 4 deniers, d'un maçon et d'un
charpentier, avec lrois -ou quatre manœuvres. En qualité de
contre-maître, Carantec Le Chesne avait droit annuellement à
un bonnet, qu'en 1565- la fabrique paya une pistole valant 4
livres, et son salaire joumalier fut bientôt eleve à 5 sols.
La même annee 1565 apparaît le nom de Michel Le Borgne,
architecte et tailleur de pierres, qui nous a laisse deux jolis
specimens de son talent, la chapelle de Sainte-Geneviève en
Ploujean et le charmant oratoire du Sacre, dans le cimetière
de Saint-Jean-du-Doigt. Il employa 104 jours (à 4 sols 2 de­
niers) à « vacquer de son art entour ledit edifficze)). En 1567.
on lui confera officiellement la direction et {( superintendance»)
des travaux. en lui faisant à cette occasion, « pour son bon­
net ». une « honnestete» de 41 sols. La tour, commencee
depuis vingt ans, se trouvait alors assez avancee pour qu'on
s'occupât cie revêtir de plomb sa plate-forme, mais cependant
la lanterne qui devait surmonter celle-ci n'était point encore

terminée, puisqu'on voit Michel Le Borgne se rendre a l'lle­
Grande « pour choesir des pierres et les chapper ».
En 1568, ce sont surtout. des charpentiers qui besognent a
l'aménagement et au boisage du clocher, ainsi qu'a la répara­
tion de (1 l'engin », détraqué de nouveau. Le jour où l'on
acheva sa remise en état fut marqué par de modestes libations
chez Michel Le Borgne. aux dépens de l'église. Un chêne
magnifique, acheté au manoir du Quélennec, en Pleyber­
Christ, fournit « de quoi doubler et planchelter les chambres
de l'édifice '). Le seigneur de Penlan, en Ploujean, vendit
aussi douze chênes, dont on fi~ des échafaudages au dedans
du clocher «pour l'assurance des ouvriers qui besognaient
sur iceluy». Le petit détail de l'acquisition «d'un pot de
terre pour aller quérir de l'eau a boyre», établit qu'alors les
tailleurs de pierre et scieurs de hois apaisaient leur soif d'une
façon aussi frugale qu'économique, et que le cidre et le vin
ne coulaient pas sur les chantiers avec l'abondance que de nos
jours chacun a pu maintes fois constater de visu.
On travaille encore, en 1575, a la lanterne centrale et aux
guérites d'angle de la tour. Pour « godronner les câbles de
l'engin », noble Jean Calloët, marchand, baille gratis un baril
de brai et prête ses mariniers que récompense la collation de
rigueur. L'événement saillant de l'année est l'achat d'une
cloche neuve, pesant 1.957 livres, que Guillaume Jullien fit
venir par mer, probablement de Normandie ou de Flandre,
et qu'il céda au prix de 5 sols l denier la livre de métal, plus
:1 écus de commission. On la véhicula depuis le port jusqu'au
pied du clocher, on la garnit de 175 livres de ferrures, tandis
que le charpentier Philippe Le Névez confectionnait son
« marbre» ou bâti de bois, puis on la hissa en place. Les
« ouvriers et bienveillants ) qui aidèrent a monter la cloche se
partagèrent ensuite une valeur de 20 sols en pain et en vin,
tandis qu'une collation, peut-être un peu plus recherchée,

mes et àulres bons personnaiges». L'année suivante, une
seconde cloche du poids de 1 .530 livres est donnée pour sœur
cadette à la première .
Le chantier de Saint-Mathieu connut même une menace de
grève. Trois des picoteUl's, Jehan Barazer, Kermen et Gilles
An Hélias « voulloient se retirer " parce qu'ils estimaient leur
salaire insuffisant et prét.endaient être payés autant que le
maître-d'œuvre. Il fallut les augmenter, . en y joignant un
rappel de deux mois, soit 60 sols. En 1576, Michel Le Bor­
gne eut 71 livres 9 sols pour 241 jours de travail, à 5 sols 6
deniers. Ses ouvriers én touchant aulant, il n'était avantagé
que par" l'honnêteté" annuelle de 5 ou 6 écus d'or dont le
gratifiait la fabrique. Ses darbareurs recevaient 5 sols par
jour, c;est-à-dire à peu de chose près le salaire d'un artisan
qualifié. L'année d'après, il obtint 6 sols 8 derniers, ainsi

que ses meilleurs tailleurs de pierre, Coquil, Penquélen,
Floury et Cozden. En trente ans, les salaires avaient plus que
doublé.

Encore qualifié en 1581 de « maistre architccte commandant
sur ladile tour n, Michel Le Borgne n'est plus mentionné au
comp~e de 1583, ce qui porte à croire qu'il mourut dans l'in­
tervalle. Palustre a été sévère pour sa mémoire. Nous verrons
que si les parties hautes du clocher de Saint-Mathieu offrent
aujourd'hui un aspect nu et pauvre qui contraste avecl'orne­
mentation assez gauche, mais étoffée et abondante des étages
inférieurs, cela doit tenir à toutes les vissicitudes qu'a subies
jusqu'au XVIII" siècle. ce malheureux édifice. En 1583, une
croix de fer est scellée « sur l'une des petites tourelles au haut
de la Lour». De ces tourelles, aucune trace ne subsiste plus.
Un certain Augustin Pen, « maistre tailleur de pierre n succède
à Le Borgne et reçoit pendant 113 jours les mêmes honoraires. '

Mais il est probable que les talents du nouvel architecte, se
montrèrent inférieurs à. ses prétentions, car le corps politique.
ordonna aux procureurs' « de faire venir aux despens de la
fabrique le maistre ' de l'œuvre du bastiment de Monsie, ur
Lanvengat pour scavoir si le maistre d'a présent s'acquitte
bien en l'endroit, sauf par après a faire venir celuy de Vennes,
el a poursuivre ledit maistre d'a présent a fournir cauptioI1
selon sa promesse».

le « bastiment de Monsieur Lanvengat» est. certainement
le château de Trébodennic en Ploudaniel, qu'un grand per­
sonnage du pays, Messire Alain du Poulpry, seigneur de ,
Lanvengat, chanoine et archidiacre de Léon, doyen du 1"01-
goat, conseiller au Parlement de Bretagne, faisait alors cons­
truire pour son neveu, filleul et héritier, Alain du Poulpry,
seigneur du Mesguen: Il est regrettable que son arcnitecfe, ne
so;t point nommé, car Trébodennic est une construction élé­
gante et soignée de, la Renaissance, décorée d'un portail très
richement ouvragé.
Une nouvelle lacune des comptes, qui s'étend jusqu'en
1593, nous empêchera toujours de savoir si Augustin Pen fut
censuré par ses pairs, et tomba en disgrâce. Un article du
compte de cette année, concernant le démontage et la des­
cente de l'engin de la tour, semble bien indiquer l'achèvement
définitif des, travaux. Mais le monumental édifice qui avait
coû,té tant d'années, de labeur et d'argent, deméura intact un
an à peine. On le terminait au milieu des troables et des
sou IIrances de la guerre ci vile, sans se dou ter qu'i, l recevrait
bientôt le baptême du feu, et qu'en croyant élever au-dessus
de la ville le pacifique beffro~ des cloches paroissiales, on
préparait tout simplement une fortification dont· les belligé­
rants sauraient tirer parti. Lorsqu'au mois d'août 1594, le '
mal'échal d'Aumont fût entré a Morlaix a la tête' des tF0upes
royales, et. qu'il dût prendre ses dispositions pour investi .r' le

'·garnison d'e Ligueurs. il jeta aussitôt son dévolu sur la tour
de Saint-Mathieu dont la plate-forme dominait les bastions de
la citadelle toute voisine, fournissant ainsi l'assiette d'une

batterie incomparablement située .
. Deux ou trois pièces d'· artillerie, dont une d'assez gros
calibre, y furent hissées. à force de bras et pointées contre le
château. Ir y eut entre celui-ci et le clocher un vif échange de
projectiles, auquel mit fin le. bizarre accident qu'Albert Le
Grand' a relaté. Un des boulets lancés du château pénétra juste
dans la gueule du canon de la tour, déjà. chargé et prêt à. tirer.
La pièce éclata net, tuant ou blessant ses. canonniers, ravageant
tout autour d'elfe. Ledômeetlelanternon avaientsllbid'autre
part de funestes atteintes et, pour préserver ce poste d'une

(~ camisade Il nocturne des Ligueurs, le maréchal avait fait
maçonner les porles et eu partie les fenêtres de l'église, qui
demeura sans cuIte pendant plus d'un mois.

La citadelle rend ue et les troupes parties, il ne resta plus
aux paroissiens qu'a réparer d'immenses dégâts. Le compte_
de 1595 détaille longu. emen t les dépenses engagées « pou l" la
réparation de la tour, laquelle esloit rompue et brisée par les
coups de canon lors du siège du chasteau de la ville». Un
architecte appelé maître Jean -Le Cozker vint visiter les lieux.
li conseilla de faire cintrer en diligence la plate-forme, « la­
queUe estoit toutte brisée du hault par le canon du chas[eau »,
et menaçait de s'effondrer. Les orgues avaient aussi beaucoup
souffert. II faUut nettoyer l'église, repeindre les statues. dé­
molir les barricades, raccoutrer les troncs brisés et vidés par
les soudards royalistes. En ce qui concerne la tour, sa remise
en état exigea 375 journées à. 10 sols pour Jean Le Cozker et
chacun de ses sept picotel1rs, non compris l'achat et le trans­
port des pierres, du bois, du mortier, el bien des frais acces­

l'économie possible ; on supprima ou on refit sobrement les,
g uérites et pinacles a variés par la ca lJon nade en remettant à
des temps meilleurs une restauration complète, ,
Six ans plus tard, la fabrique ayant fait quelques économies,
consulta Maît.re Jea n Le BricquÏl', architecte de l'hôtel-de-ville
de Morlaix, sur les moyens a prendre pOU l' g uérir le lanternon ,
de ses blessures trop hâtivement pansées, Le dôme avait été,
crevé ; M ailre Fiacre de La Haye, très h abile picotenr. q~i ,
besognait alors sur la belle chapelle de ' Saint-Emilion, à
Loguivy-Plougras . vint exprès a Morlaix pour enseigner aux
ouvriers a donner a leurs pierres des p rofil s convenables.
Yves Salaün , con tre-maître a 1 2 sols, dirigeait cinq pico teurs ,
a 10 , On dépensa aussi beaucoup a boiser l'intérieur de la ,
tour et à changer les madriers q ui supportaient les cloches.,
En 1608. des pierres churent d'uue des guérites , En 165 1
sur vint un vrai désastre, Tout le lan ternon subit un déplo- ,
l'a ble (c desrna nœupv remen t n. c'es t-a-d ire q u'il s'effondra,
enlraînant la plaie-form e. ruinant les toitures de l'église et
de la chapelle con ligüe de Saint-Avertin , Il n'y eut pas de
blessés, mais il fall u t tra vailler longtemps pour enlever les

pierres tombées , Aux b raves gens q ui s'y employèrent, parmi
lesquels des Espagnols alors « a rr'estés » a Morlaix, le compta­
h ie paya du pain, de la viande, de la bière; il Y dépensa 30 livres.
Ce malheur laissa les paroissiens en désarroi. L'architecte
Mathurin Plédran s'était chargé de le réparer. en se hornant,
semble-t -il, à faire l'indispensil ble. En 1670 , lui et son frère
passèrent marché pou r élever la tour de Il pieds, à [17 livres
le pied, p uis, en 1675, PietTe Plédran s'engage, moyennant
768 livres. a y édifier a lluatre cercles de pierres de taille .) .
Peu après, le corps politique prit un e résolution ferme. On
renoncerait a u lanternon, et on se contenterait d'un dôme
a vec assises de pierre et coupole de charpente revêtue de
plomb et d'a rdoises . En 1699. le travail était achevé. et son
auteur, le maître-charpentier Pierre-Joseph Laurent, avait

touché 1500 livres. Ce dôme dura j llsqlle vers 1780. Il abri­
tait les timbres de l'horloge, et il figure, avec son amortisse­
sement en clocheton ajouré, sur une ancienne vue de Morlaix
exécutée en '740 environ pour le président de B.obien . On le

démolit à cause de son poids qui fatiguait la plate forme.
Aujourd'hui, la tour .n'a plus d'aut.re couronnement qu'une
piteuse calotte de zinc. Ce n'est sans cloute pas ainsi que
l'avaient rêvée Yves Croazec et Michel Le Borgne ...
Le clocher de Saint-Mathieu domine avec une certaine ma-

jesté austère et pesante l'informe grange qui a remplacé en
1824 l'ancienne église gothique, et le quartier cIe vieilles

petites maisons basses qui s'étage cIe la rivière le Jarlot à la
colline couronnée jadis par le château des cIucs. Un y remar­
que les deux rortes ou vragées. les niches et les consoles des
contreforts, la frise de petits médaillons contenant alternati­
vement une tête humaine et un bouton végétal, la grille en
fer forgé datée cIe 1667 qui, an dite des connaisseLll's, serait un
chef-d'œuvre d'agencement. Le compte de 1667 a disparu,

mais cette grille peut être attribuée, avec une quasi-certitude,
au maître serrurier Alain Henry, fournisseur habituel de la
fabrique à cette époque. Sous l'horloge, les armes de France,­ entourées du collier de Saint-Michel, décorent le fronton. Au

contrefort Sud-Ouest e~t appuyée une tourelle ronde d'escalier
qui monte jusqu'à la cage des cloches. On passe alOl's sur la
face Sud par une galerie à petites arèades d'un effet assez

heureux, et l'on gagne la plate·forme par un second escalier
emboîté en partie dans le contrefort Sud- Est. Deux longues
baies verticales, ouvertes au rez~de-c1~ 'aussée du côté Nord,
auraient pu au besoin servir de meurtrières. A côté est encas­
trée une inscription gothique qui renferme dans ses deux
vers latins, une condamnation discrète et tout·à-fait inattendue

en pareil lieu du prêt à intérêt . . .
L LE GUENNEC .

156 -
DEUXIÈME PARTIE

Table des Mémoires publiés en 1931

PAGES
l. Simples remar, ques au sujet de " La ville d'ls ",
par Fr. JOUI1DAN DE LA PASSAHDIÈHE. . . " 3
Il. Saint-Tudy, abbé et confesseur (traduit de l'anglais
du Rév. DOBLE, par Mlle BABLET) . . . . " 10
Ill, La construction d'un c1ccher brelon (Saint-Mathieu
de Morlaix), par L. LE GUENNEC ..... , . . . . . . . . 16

IV. Autour de Brizeux, par Daniel BERNARD , . . . .. ... 28
V. Procès-Verbal des prééminences et autres droits
appartenant au seigneur de Goesbriand en 1630,
par H. COUFFON et L. LE GUENNEC ',' .. ' '. . . . . . 53
VI. Les écoles d'enseignement mutuel dans le Finislère
sous )a Restauration, par L. OGÈs ......... ' . . 76