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Bulletin SAF 1931


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Saint-Tudy, abbé et confesseur (traduit de l’anglais du Rév. Doble)

Mlle Bablet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1931 tome 58 - Pages 10 à 15

abbé et confesseur (1)

Le nom de Saint Tudy, porté par une paroisse de North­
Cornwall, pose un problème intéressant: saint Tudy est un
saint breton et les dédicaces bretonnes ne sont pas fréquentes
en North-Cornwall.
Qui était saint Tudy? Deux sources s'oJTrent à nous pour
étudier son histoire: 1° les vies écrites des Saints; 2° J'étude
des noms de lieux.
II n'existe pas de vie de saint Tudy,. mais il est cité dans le
vies de deux autres saints bretons célèbres: saint Maudez et
saint Corentin.
Saint Maudez (en comique Mawes). saint irlandais cl'après
la tradition , fonda un monastère dans une île maintenant
appelée île Modez, au large de la côte Nord de Bretagne, près
de Paimpol, dans une baie parsemée d'innombrables îlots et

de récifs. Les restes de ce monastère sont encore visibles
(celle île est voisine de J'île Bréhat). Tout près sur la côte se
trouve une paroisse, Lan Mod ez (monastère de Sain t Modez).
De ce point, le culte de saint Modez se répandit dans toute la
Bretagne, jusqu'à en devenir J'un des plus populaires. L'ex-
(i) Cet article est lu lrarluclion par Mlle Bablet des pages i à 9 de la
brochure du Bey. GAI. Doble (Saint 'l'udy, abbot and con{essor) publi ie

tension rapide de ce culte fut probablement dùe il. l'iiltérêt

suscité par une Vie latine de saint Maudez, écrite vraisembla-
blement au Xl" siècle. L'auteur nous dit qu e saint Maudez,

après avoir rempli des missions dans toule la Haute Bretagne
(ou Domnoriée), se rendit dans une petite île. « Au comm~n­
cement de son séjour dans cette île, qui, en breton, s'appell~,
Gueld Enès, il avait avec lui deux disciples, Bothmaël et Tudy,
lldèles compagnons de labeur dans le service de Dieu, dans
l'espoir d'une joie éternelle. llltis instruisit rapidement dans
l'Ecriture Sainte et la façon de servir Dieu , s'asseyant au point
appelé maintenant chaise de saint Maudez, tandis qu'ils l'écou­
taient ardemment. tout enflammés qu'ils étaient par la ferveur
de leur charité JJ.
Un jour, certain démon. que les Bretons appelaient Tuthe,
apparut à ses disciples en l'absence de leur maître et troubla
leur étude et leurs prières. A son retom, Maudez l'apprit et
les réconforta par les paroles de l'apôtre: « Sois sobre, vigi­
lant, parce que ton adversaire le ·démon rôde comme un lion
rugissant en quête d'une victi me J).
Peu après, se trouvant à la porte de son oratoire, il vit le
démon et le chassa en lui lançan t une pierre. Le démon ne
reparut plus . .
En une autre occasion, dit-on, le feu s'éteignit à l'île Moclez
et Bothmaël fut envoyé à terre chercher des charbons ardents
pour le rallumer. Comme la marée était basse, il passa par les
sables jusqu'à Lan Modez et entra dans la première maison
venue, où une femme faisait bouillir son lait. 11 lui dem .!nda
du feu, mais la femme refusa de lui donner des charbons, à
moins qu'il ne les portât dans son giron . Il accepta, tendit les
pans de sa tunique, et, y mettant les charbons, se disposa il.
regagner l'île. Pendant ce temps, la marée avait monté et, il.
moitié chemin, il se trouva entoùl'é par les flots. Il grimpa
sur un gros rocher, s'assit et pria Dieu de le sauver. Maudez,

les récompensa: le rocher commença à grandir et à monter
en même temps que la marée. Bothmaël s'y tenait assis,
indemne. Au rellux, il descendit de son rocher et revint à l'île.
Maudez et son compagnon Tudy se réjouirent indiciblement
de trouver le charbon qu'il apportait dans sa tunique, sans
que celle-, ci fut brûlée, et d'av0ir vu le mi.racle sur la mer,
comprenant qu'il était un « vaisseau choisi de Dieu Il. (Une
histoire analogue se trouve clans la vie de saint Malo et le
miracle des tisons figure dans la vie de six autres saints
celliques, il est banal dans l'hagiographie celtique) (1).
Voyons maintenant la Vie de saint Corentin. Saint Coren­
tin est un saint de Cornouaille, et fut, d'après la tradition, le
premier évêque de la Cornouaille armoricaine. Une vie de
saint Corentin fut écrite vers 1235 par un chanoine de la
cathédrale de Quimper. L'écrivain dit que « les cornouaillais
désiraient un évêque à eux, privilège qu'ils ne posséd lient pas
jusque là. Ils décidèrent d'envoyer trois hommes, tous trois

de sainte et haute valeur: Corentin, Guénolé et Tudy, à
Tours, voir saint' Martin, archevêque, pour qu'il consacrât
l'un d'eux et .le renvoyât gouverner son diocèse. Le vénérable
Martin prit conseil de ses clercs, hommes discrets et honnêtes.
Observant en Tudy du savoir et de l'honnêteté, en Guénolé,
de l'éloquence et de la piété, et en Corentin un aspect véné­
rable, une allure sans reproche, un cœur humble, et en outre
une grande sainteté, par une inspiration du Saint-\!:sprit, il
choisit Corentin, malgré qu'il s'en défendît, et commanda de
gran, ds préparatifs pour sa consécration JI. Corentin revint et
fut reçu avec joie et honneur par le clergé et le peuple de Bre­
tagne. Et, comme il savait que ses compagnons étaient recom­
mandables pour leur sainteté et leur science, il les bénit et les

(i ) Anciennes vies latines de saint Uaudez, par A. de La Borderie,
(Hennes

i8\H).
(2) Imprimé avec commentaire, par Mme Ethel FawLier Jones, dans
les Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, :1.925.

nomma abbés pour l'aider à la propagation de la foi catholi­
que. Cal' il avait demandé à saint Martin d'imposer la main
SUl' ses compagnons ; mais saint Martin, qui unissait la
prudence du serpent à l'innocence de la colombe, avait
répondu sagement: « Non. mon frère Corentin, il ne serait
pas bon que nous bénissions tes abbés, de peul' que désor-

mais cela crée un précédent et ne porte atteinte à ta dignité.
Prends plutôt possession de ton siège épiscopal, use de ta
liberté et consacre tes compagnons abbés de ta propre église,
en agissant de ta propre autorité épiscopale JJ. Et, suivant ce
conseil, il les nomma abbés.
Jetons un coup d'œil sur la carte de Bretagne. Les lieux qui
portent le patronyme de saint Tudy sont groupés en deux
districts, L'un près de l'île Modez, l'autre près de Quimper,
où se trouve la cathédrale Saint-Corentin. Il y a une chapelle
de Saint-Tudy dans la paroisse de Ploézal, sur la rivière de
Pontrieux, près de Lanmodez. A une distance considérable,
au sud, dans la paroisse de Plessala (nom qui offre une res­
semblance curieuse avec celui" de Ploézal), près Loudéac, au
centre de la Bretagne. il y a une chapelle de Saint-Udy (r),
Loin au sud-ouest, près l'embouchure de l'Odet, la rivière
marine qui traverse Quimper, il est une paroisse appelée
Loctudy (2), tout près d'une petite île: l'île Tudy. La chapelle
de l'ancien château de Pont-l'Abbé était dédiée à saint Tudy,
Sur la côte, à quelques kilomètres. se trouve une chapelle de
Saint-Tudy dans la paroisse de Pleuven, près Fouesnant, et
à l'est de Pleuven, nous trouvons un Loc-Tudy à Riec-sur-
(i) A la réformation de la noblpsse de Bretagne, en 14,26, nous trou­
vons à l'évêché de Saint-Brieuc un Alain LI' M étayer, seigneul' de Saint­
Tudy, paroisse de Plflssala,
(2) La belle église de Loctudy possède une statue de saint Tudy du
xv· (?) siècle.

Bélon (1). au N.-O. de Loctudy, à. Beuzec-Cap-Sizun, au village
de Trénaouen, à. 2 km. au N .-E. du bourg, se tl'Ouve une fon­
taine Saint-Tudy, où le saint est invoqué contre les rhuma­
tismes. Près de là. se trouve une crique appelée Porz-Tudy (2) .
Remarquons que Beuzec, ou Budoc, est une autre forme de
Bothmaël, et nous avons trouvé ce saint associé à. saint Tudy
dans la Vie de Maudez. Les deux grandes îles au Sud de la
Bretagne, Groix et Belle-Isle, ont quelques liens avec saint
Tudy. Il est le patron de Groix, qui en a possédé des reliques
jusqu'à. la Révolution.
Il y a un Port-Tudy et un Loc-Tudy dans l'île de Groix. Il
y a un Loctudy au Palais, à. Belle-Ile.
Je pense que nous pouvons maintenant expliquer les réfé-

rences · à. saint Tudy dans les vies de saint Corentin et saint
Maudez. Les autel1l'S de ces vies des Saints celtiques ne
savaient trop souvent que peu de choses sur leurs héros, ils
usaient donc de leur imagination et des légendes locales. Ils

introduisaient dans l'histoire d'autres saints, dont les noms
étaient en honneur dans le voisinage, prenant soin de ne leur

donner qu'u n rôle très inférieur à. celui de leur héros.
C'est ce qui est arl'Îvé dans les deux cas que nous considé-

l'ons. Saint Tudy était honC/ré près de Lan-Modez: l'auteur
de la Vie de saint Maudez fait de lui un disciple de ce saint.
Il était honoré aussi à. l'important monastère de Loctudy, à.
l'embouchure de l'Odet. Les abbés de « ( Tudi» apparaissent
dans les cartulaires de Landévennec et de Quimperlé, d'où

(i) M. Monot dit, qu'en i665, une chapelle de Saint-Tudy est men­
tionnée à Clohars-Fouesnant.
(2) Bulletin d'histoire et d'archéologie du diocèse, 1.926, p. 69. M.
Monot nous dit que tout près de cette fontaine se trouve un L ech (le mieux
taillé que je connaisse en Cornouaille) One chapelle de Saint-Tudy,
ajoute-t-il, s'élevait autrefois dans nn petit champ voisin, à !OU m. E.

son culte s'étendit aux îles et à la côte voisines, L'au teur de

la Vie de saint Corentin avait des raisons spéciales de mon­
trer que le fondateur de Loctudy ,reconnaissait la juridiction
de l'évêque de Quimper; ca r, ail XlU

siècle, J'abbaye venait
d'être déclarée collégiale et a~sorbée par le chapitre de la
cathédrale, Par conséquent. il représente Tudy et Guénolé
(le célèbre fondalelll' de la graqde abbaye de Landévennec et
le principal sain t de Cornouaille) comme évincés afin que
saint Corentin puisse être évêque; toutes les chances qu'a­
vaient Landéven nec et'Loctudy d'échapper à la juridiction du
successeu r de saint Corentin se trouvaient ainsi soigneusement
écartées.

Nous pouvons conclpre que Saint Tudy fut un moine et
un missionnaire zélé qui fonda des monastères dans des îles
ou SHr des rivières S UL' les côtes Nord et Sud de la Bretagne

il Y a environ l lloo an~, Quelques-unes des chapelles à son
nom furent fondées par des 'moines provenant des monastères
fondés par lui, La paroisse de Saint-Tudy en Cornwall est

aussi sur une rivière maritime. le Camel, et, de même que
le fameux saint' Brioc aussi a dû fonder un monastère dans
le voisinage au lieu de Saint·Brioke, puis partir pour la
Bretagne, de même saint Tudy a bien pu en faire autant,
peut être même en sa compagnie. Le saint Tudy comique est
clairement le même que le Tudy breton ou, en tout cas, a été
identifié avec lui depuis l'époque du Moyen-Age, car sa fête
tombe en mai, comme en Bretagne. Quant à savoir s'il a de
réels liens avec saint Maudez et saint Corentin, il est impos-

sible de s'en assurer.

156 -
DEUXIÈME PARTIE

Table des Mémoires publiés en 1931

PAGES
l. Simples remar, ques au sujet de " La ville d'ls ",
par Fr. JOUI1DAN DE LA PASSAHDIÈHE. . . " 3
Il. Saint-Tudy, abbé et confesseur (traduit de l'anglais
du Rév. DOBLE, par Mlle BABLET) . . . . " 10
Ill, La construction d'un c1ccher brelon (Saint-Mathieu
de Morlaix), par L. LE GUENNEC ..... , . . . . . . . . 16

IV. Autour de Brizeux, par Daniel BERNARD , . . . .. ... 28
V. Procès-Verbal des prééminences et autres droits
appartenant au seigneur de Goesbriand en 1630,
par H. COUFFON et L. LE GUENNEC ',' .. ' '. . . . . . 53
VI. Les écoles d'enseignement mutuel dans le Finislère
sous )a Restauration, par L. OGÈs ......... ' . . 76