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Bulletin SAF 1931


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Simples remarques au sujet de La ville d’Is

F. Jourdan de La Passardière

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1931 tome 58 - Pages 3 à 9

Simples remarques au sujet
de "La ville d'Is"

11 est difficile d'affirmer la présence de la ville d'ls sous
Douarnenez. Dom Le Pelletier est le seul auteur ancien sur
lequel on aurait pu appuyer ce sentiment, mais il n'apporLe
aucune preuve à l'appui cie son affirmation relative à la posi­
tion de ls « sur le bord de la ba)T e de Douarnenez et à Heur
d'eau de haute mer.» C'est une simple opinion dénuée de
toute critique. D'autres historiens: Le Baud, d'Argentré,
le Chanoine Moreau, parlentbieu de « vestiges)J, de « ruynes )J,
de restes de « murailles si bien cymentées que la mer n'a pu
les emporter D, « de vieilles maseures de murailles )J , mais ces
termes semblent devoir plutôt s'appliquer aux nombreux ves­
tiges de l'époque gallo-romaine que l'on a trouvés près de
Douarnenez, à l'Ile Tristan, à la Pointe du Guet, à Tréhoul,
Port-Rhu, Plomarc'h et alenLour de la baie. Ces restes signalés
par Le Men, M. de La Pilaye et d'autres archéologues témoi­
gnent certainement de l'existence d'un important établisse­
ment romain, mais ne prouvent pas que Is ait existé à
Douarnenez ou à proximité.
On est donc conduit à rechercher ailleurs l'emplacement de
cette ville et à le déterminer par l'intersection des cinq voies
citées plus haut, auxquelles on pourrait ajou ter celle qui venai t

la Note sur l'occupation militaire de l'Armorique par les
Romains de M. de La Passardière. Les diagrammes de ces voies
y sont nettement donnés. J'en rappellerai seulement le mode
de détermination basé sur les nombreux tronçons de routes et
les vestiges que l'on a observés, les noms caractéristiques tels
que Castel, Quistinic, Mouden ... et les lieux reconnus com­ me ayant été occupés par des postes militaires qui, on le sait,
jalonnaient l'axe des anciennes voies romaines. Or, si la voie
qui allait de Civitas Aquilonia à Portz-Liogan passait à pro­
ximité de Douarnenez et à loucher l'Ile Tristan, il n'en reste
pas moins que ces cinq voies se coupent en un poin t que j'ai
indiqué (4° 2l~' 45" de longitude et·48004' 40" de latitude) et
qui se trouve à L. milles envircn dans le N.-W. de Douarnenez.
Je ne crois pas qu'il puisse y avoir d'erreur possible; l'exis­
tence de la voie Rennes- Gourin renforce encore cette conclu-

SlOn.
En ce qui concerne la baie de Douarnenez, il n'est guère
possible d'admettre qu'elle n'ait pas subi des modifications
depuis même l'occupation romaine. Les traditions et les docu­
ments qui nous sont parvenus nous rapportent, en eITet, qu'un
grand bouleversement eut lieu sur les côtes celto-normandes,
à une époque assez mal définie, que l'on place entre le v' et le
VIle siècles. C'est pendant ce bouleversement que serait disparue

la fameuse forêt de Koquelonde, dont on retrouva dans les
grèves du Mont Saint-Michel, en 1735, après un ouragan qui
bouleversa la couche des sables, de nombreux vestiges, en

en même temps que les restes de plusieurs villages mention- .
nés par l'histoire et dans des manuscrits, et qui se trouvaient
à la lisière de la forêt (1) . En 1892. M. de Beaurepaire
annonça la découverte dans les grèves du Mont, à 3 m. 30 de
profondeur, d'une chaussée pavée en diorite, laquelle n'était
(:l) Habasque, t. III, p. 2i 7. - Méniger, Chronique du Vieu.x Granville,
p. 64, .

autre qu'une voie romaine qui venait de Cou lances, traversait
la baie dans toule sa longueur et passait à une grande dis­
tance à l'Ouest du Mont pour aboutir à Saint-Servan (1).
En Bretagne, les traces d'aITaissement se succèdent égale­
ment tout le long de la côte. Je me bornerai à citer les faits
les plus importants en commençant pal' les nombreuses dé­
couvertes de forêts submergées.
Le 21 juillet 1880, la marée mit à découvert dans l'anse du
Val, près Roténeuf, en Paramé, une plaque de chêne en haut
relief, représentant une tête d'homme de profil, au milieu des
débris végétaux d'une forêt sous-marine (2 ).
Selon Hab3sque, on trouvait dans l'anse de Saint-Suliac
des arbres sous-marins, recouverts par deux pieds d'eau à
peine. Manet fit plus tard la même constatation et signala en
outre des découvertes de troncs d'arbres, en nombre assez
notable, près la Pointe du Meingar en Saint-Coulomb, devant
l'embouchure de la Rance, dans les anses de Port-Blanc, de
' Ia Garde Guérin, dela Fosse· aux-Veaux en Saint Lunaire, du
Porthu en Saint-Briac, et dans les grèves de Saint-Jacu et de
Saint-Cast (3).
En 1811, M. de La Fruglays se promenant après une forte
tempête sur une grève du voisinage de Saint-Michel découvrit
des plantes de prairie, certaines bien conservées, et des twncs
d'arbres renversés dans tous les sens. Sur un espace de sept
lieues le long de la. côte, il trouva des restes de cette forêt
ensevelie.

De pareilles découvertes furent faites dans la rade de Mor-
laix et à [(ernic, dans l'anse de Goulven (4).

(i) Communication de M. de Beaurepaire à la Société des Antiquaires
de Normandie.
(2) Bull. de la Société arcliëol. d'Ille-et- Vilaine, 1. XVIll, :1.898, p. :1.9.
(3) Manet, pp. 7, iO, 60, 90.

Dans les dunes qui bordent les terres du village du Rible,
au nord de Lampaul-Ploudamézeau, les sables amoncelés sur
le bord de la mer recouvrent une ancienne forêt de chênes
dont on aperçevait des vestiges dans les grandes marées (1).
Celte forêt signalée par Pol de Courcy est sans doute la même
que celle dont un ancien recteur de Ploudalmézeau. l'abbé
Arzel, vit. les traces à marée basse de l'équinoxe de 1855 (2), à
l'Aot Vras.
Dans le sud de la baie d'Argenton, M. Carré a signalé les
restes d'une forêt visible à toutes les marées basses.
M. Morio découvrit également les restes d'une forêt près de
Porsal, en 1858. La même année, M. Delavaud étudia longue­
ment la forêt ensevelie sous les sables de la plage Sainte-Anne
près de Brest.
Dans l'anse de Bénodet, on retrouva sur les grèves une
sorte d'avenue d'arbres immergés se dirigeant de Loctudy ou
Plonivel vers les Glénans (3).
M. Vallaux observa une forêt de chênes enlisés sur la plage
de Kervilgic (4) . En 1906 également, M. du Châtellier signala
d'importants débris de bois réduit à l'état tourbeux le long
des rivages de Loctudy et de Plobannalec, et des arbres de
haute futaie et des restes d'animaux trouvés sous les sables.
li parle aussi d'une forêt qui se trouvait non loin de la côte
de Treffiagat, à 1 km. dans l'ouest du sémaphore de Lesconil
et dans une terre arable ne découvrant qu'aux très basses
mers (5).
On peut donc penser avec Delavaud que les forêts sous­
marines sont « une preuve manifeste des changements que
(1) P. de Courcy, De Saint·Pol à Brest, p. 48.
(2) Bull. de la Société archéol. du Finistère, t. Il, 1.874,-1.875.
(3) A. de La Borderie, Histoire de Bl'etagne, t. I.
(4) B' ull. de la Société archéol. du Finistère, 1.906, p. 3.

subissent les côtes dans leur configuration et de ceux des ni­
veaux relatifs de la terre et de la mer 'l.
On a cependant contesté parfois la valeur de ces découver­
tes, mais elles sont corroborées par d'autres faits importants
dont certains sont rapportés par des acles anciens. C'est
ainsi que les Livres synodaux de l'Evêcbé de Dol font men­
tion, parmi d'autres qui ont complètement dispam, des
parQisses d e Bourgneuf et de Paluel jusqu'à 1664; la première
commença d'être submergée pendant le xv· siècle, la deuxième
le fut totalement dans le XVIIe siècle. D'autre part, d'une
donation faite en 1202 à l'abbaye d e Beauport par Alain
d'Avaugour, il résulte qu'à cette époque, il y avait des prai­
ties qui s'étendaient pour ainsi dire depuis l'Ile Saint-Riom
jusqu'à l'abbaye qui en est maintenant distante de cinq kilo­
mètres (1).
En J 8L

610rs des fouilles des quais du Port Saint-Père, à Saint­
Servan. on décollvrit, à 6 mètres au-dessous du niveau de la
mer, des cimetières gaulois et gallo-romains (2).
Un aITaissement de 15 mètres fut constalé en 1904 dans la
vallée de l'Elorn, près de Landerneau, par M. Le Forestier de
Quilien .
Près de Douarnenez, on se rappelle le dolmen situé entre la
ville et l'Ile Tristan et qui était « tout-à-fait submergé à l'heure
de la haute marée)) (3).
Lorsqu'on fonda la digue sud de PUe de Sein, en 1867, on
trouva, enfoncés àans les galets, des vestiges d'habitation (4).
, D'après Cambry, les anciens marins disaient avoir vu entre le
Guilvinec et Penmarc'h, à 150u 20 pieds sous l'eau, des pierres
dmidiques tellement vénérées qu'on disait la messe au-dessus,

( 1) Habasque. t. l, p. 2:20.
(2) Chévremont, p. 373.
(3) Fréminville. t. Il, p. Bi.

en bateau, une fois chaque année. Je ra ppellerai aussi la décou-
verte par Kerviler, en 1876, dans l'emplacement du bassin de
Penhouët, d'un port préhistorique, à 7 mètres de profondeur.
Aux abords de l'I' e d'Orianic, dans le Morbihan, en eaux
peu profondes, on trou va des sépultllt'es curieuses et des ar­
mes de silex éclaté en grande quantité ( 1).
Fréminville cite l'ora toire bâti par saint Tudy au milieu de
l'embouchure dela rivière du TheiL', surun plateau de rocher
qui ne découvre plus qu'à marée basse (2).
Cet aITaissement que nous avons constaté se poursuit de nos
jours, assez lentement , il est vrai . Mais je ne veux pas poursui­
vre plus longtem ps cette longue énumération. Je rappellerai ce­
pendant les vestiges du port que Dom Le Pelletier vit à Portz­
Liogan m, près du Conquet, et qui n'existent plus, et, plus
près de nous, la submersion moderne de l'oratoire de Saint­
Guirec, celui de la croix de Saint-E rflam dans la grève de Saint-

Michel, et l'affaissement de la pyramide du Rojou qui fut cons-
truite en 18 '7 à 32 mètres de hauteur et n'en mesurait plus

que 20 environ, selon M. Le Carguet, en 1897! (3)
Il est beaucoup d'autres exemples que j'aurais pu citer, mais
j'a i laissé de côté les faits légendaires ou traditionnels pOUl' ne
r etenir que ceux qui semblaient présenter une garantie d'ob-
servation scientifique réelle. Celte longue énumération de faits
nou s a, semble-t-il, entrainé loin de notre sujet, mais elle mon­
tre les changements indéniables subis par notre côte et il paraît
certain que le sol a baissé pendant la période actuelle.
Peut-on admettre que seule la baie de Douarnenez ou plus
exactement la région qu'elle recouvre ait échappé à ce mouve­
ment général? Je ne le pense pas. Si même on ne pou vait citer
(i) Bull. de la Société a1'chéol. du Finistè7'e, t. XII, i885, procès­
verbaux, p. 47.
(2) Bull. de la Société a1'chéol. du Finistè1'e, t. Il, i87lt,-7lî, p. i215.

les faits l'apportés plus haut, on ne pourrail s'empêcher d'être
frappé du faIsceau de voies romaines qui con vergent vers un
point immergé dans la baie, et, comme il est difficile de sup­
poser qu'elles s'arrêtaient brusquement à la mer, on est obligé
de conclure qu'elles traversaient la baie en Lerre ferme.
Cette conclusion nous amène à faire émerger, au temps de
J'occupation romaine, le fonds de la baie d'une hauleur de 25
mètre;:; environ; ainsi la baie disparaît presqu'entièrement.
Une émersion de cette importance apporte d'aillimrs un
changement considérable dans la configuralion de toutes nos
côtes et cette nouvelle forme du rivage s'accorde parfaitemenl,
en ce qui concerne notre région, avec la Géographie de Ptolémée
et la carte de Peutinger (1).
FUANCIS JOUlmAN DE LA rPASSAHDIÊHE

(i) Voir Note sur l'occupation militaire . .. p. 54, les conclusions de
156 -
DEUXIÈME PARTIE

Table des Mémoires publiés en 1931

PAGES
l. Simples remar, ques au sujet de " La ville d'ls ",
par Fr. JOUI1DAN DE LA PASSAHDIÈHE. . . " 3
Il. Saint-Tudy, abbé et confesseur (traduit de l'anglais
du Rév. DOBLE, par Mlle BABLET) . . . . " 10
Ill, La construction d'un c1ccher brelon (Saint-Mathieu
de Morlaix), par L. LE GUENNEC ..... , . . . . . . . . 16

IV. Autour de Brizeux, par Daniel BERNARD , . . . .. ... 28
V. Procès-Verbal des prééminences et autres droits
appartenant au seigneur de Goesbriand en 1630,
par H. COUFFON et L. LE GUENNEC ',' .. ' '. . . . . . 53
VI. Les écoles d'enseignement mutuel dans le Finislère
sous )a Restauration, par L. OGÈs ......... ' . . 76