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Bulletin SAF 1930


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Les seigneurs de Penmarc’h en Saint-Frégant

L. Farcy
Société Archéologique du Finistère - SAF 1930 tome 57 - Pages 52 à 92

Plan
I. Avant-propos
I. Le Blason des Penmarc'h
II. Les premiers Penmarc'h
III. Les premiers barons de Penmarc'h
IV. Penmarc'h au XVIIe siècle
V. Les derniers Penmarc'h
VI. Penmarc'h et Trobriand
VII. Penmarc'h au XIXe siècle

AVANT-PROPOS

A l'intersection des routes de Lesneven à Plouguerneau et de Brest à Guissény par Plouvien et Loc-Brévalaire, se dresse une noble demeure seigneuriale. Son donjon carré au toit d'ardoises, orné de deux girouettes, émerge fièrement de la verdure environnante (1). C'est le château de Penmarc'h, berceau et, pendant plusieurs siècles, résidence d'une noble famille alliée aux plus grands noms de Bretagne et qui, abandonné­ et tombé en quasi déshérence, semblait voué comme nombre de ses voisins (2), à la ruine et à la démolition, lors­qu'une intelligente initiative le fit acheter par la Ville de Brest pour servir d'abri aux enfants dont les poitrines délica­tes ne peuvent supporter l'air vif de Porspoder. Et désormais « les petits enfants pauvres de Brest qui ne vont pas à la mer iront pendant les vacances se reposer et se fortifier sous les grands arbres séculaires de l'antique demeure des Seigneurs de Penmarc'h ».

Après bien des écrivains plus ou moins romantiques, l'on vit tout récemment évoquer le souvenir « du marquis de Pen­marc'h, dur et orgueilleux, méchant et cruel, qui faisait pendre

(1) Ou du moins de ce que la ville de Brest a pu heureusement arra­cher à la cognée des vandales modernes,
(2) Carman, par exemple, tout proche.

aux arbres de son domaine ses vassaux qui l'avaient offensé ... » (1). Cinq siècles de l'histoire d'une famille tien­draient-ils en ces quelques lignes, et devons-nous passer sous silence tant de nobles gentilshommes dont l'Histoire de Bre­tagne nous cite à tous moments les noms (2) . Nous ne l'avons pas cru et c'est pourquoi nous avons jugé utile de condenser en quelques pages les trop rares renseignements que nous ont fourni les archives qui, après les vicissitudes des guerres de Religion, subirent l'ultime offense de l'incendie de 1715.

CHAPITRE Ier
Le blason des Penmarc'h


Les nombreux auteurs qui, à des titres divers, se sont oc­cupés de la famille de Penmarc'h ont répété à l'envi que les Penmarc'h tenaient leur nom de leur blason. Miorcec de Ker­danet en tirait argument pour les rattacher aux Phéniciens dont les drapeaux portaient une tête de cheval, en breton Penmarc'h­ (en réalité tête de jument).

Cette opinion est absolument erronée. Le blason à la tête de cheval n'est apparu qu'au XVIIe siècle, à une époque où sévis­sait le déplorable goût des jeux de mots héraldiques; le blason ancien des Penmarc'h était en réalité tout autre.

Le premier document sigillographique que nous possédons sur les Penmarc'h remonte à 1397. Il figure sur l'acte par lequel Guillaume de Pestivien, Jean de Kermelleuc, Alain Gourmelen et Jean Périou, écuyers, jurent fidélité au duc

(1) Conseil municipal de Brest, séance du 20 septembre 1922.
(2) Voir en particulier Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, Paris
1707, in-f°, 2 vol., et Dom Morice, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Paris 1750, in-f°, 2 vol.

pour la capitainerie de Brest donnée au dit Périou en l'an 1397. L'acte est timbré des sceaux de Pestivien, Kermelleuc et Pé­riou, auxquels vient s'ajouter celui d'Henri de Penmarc'h (1).

Le 17 mai 1421, Henri de Penmarc'h donnait quittance à Messire Hamon Régnier, trésorier des guerres du roi, d'une somme de 300 livres tournois « en payement sur les gages de moy escuyer et de 19 autres escuyers de ma chambre de la compagnie de Charles de Montfort» (2). « L'acte porte un scel de cire rouge et autour est écrit Henri de Penmarc'h. L'escu a la fasce accompagnée de six merlettes 3, 2, 1, support 2 lions, cimier une tête de griffon (que d'aucuns ont pris pour une tête de cheval»). Le sceau de 1397 est identique à celui que Dom Lobineau nous décrit.

A la réformation de 1443, les Penmarc'h figurent comme nobles de Saint-Frégant, mais les armes ne sont pas décrites; de même en 1481 et 1536. Un monument héraldique de la même époque, l'écusson placé sur la porte du colombier de Bruilliac en Plounérin, nous montre un mi-parti de Ploesquellec et de Penmarc'h, rappelant Je mariage de Jehan de Ploes­quellec et d'Aliette de Penmarc'h en 1473 et dans lequel figu­rent les trois merlettes héraldiques.

Près d'un demi-siècle plus tard, nous trouvons une série de documents sur lesquels les auteurs sont loin d'être d'accord; ce sont les sceaux et armoiries de Mgr Christophe de Penmarc'h,­ et pour la composition desquelles il semble s'être inspiré des pièces du blason de sa famille. D'accord en ceci avec Chevillard, du Plessis et Albert Le Grand, nous lui don­nerons pour armes « d'or à 3 merlettes d'azur », tandis que Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy (3) lisent « d'or à 3

(1) D. Lobineau, Preuves, t. II, col. 1635 et blasons in fine n° CCLIII a CCLV1.
(2) D, Lobineau, Preuves, t. II, col. 981 et D. Morice, Preuves, t. I, col. 1090.
(3) Anciens évêchés de Bretagne, t. II, p. 41,

colombes d'azur », qu'il s'agisse de son sceau (1503) ou des armes qui figurent à la voûte de sa chapelle neuve à la cathédrale­ de Saint-Brieuc, cette façon de blasonner étant attribuée par eux à la possession par les Penmarc'h de la terre du Co­lombier, Nous verrons d'ailleurs plus loin Vincent-Gabriel de Penmarc'h revendiquer pour la famille la première version lors de la réformation de 1669.

C'est alors vraisemblablement que naquit la mode des armes parlantes imitées de l'italien et que dut se former le nouveau blason des Penmarc'h « de gueules à la tête de cheval d'argent ». Notons cependant qu'au moment de la construction­ du pavillon fortifié, seul reste actuel de l'aile droite du château, Claude de Penmarc'h fera sculpter au tympan de la grande cheminée l'écu aux 3 merlettes, 2, 1 (1), et au-dessus de la fenêtre de la tour un écartelé aux 1 et 4 de ce même écu avec au 2 celui de Tromelin et au 3 celui de Le Rouge du Bourouguel.

Le plus ancien blason où nous voyons apparaître la tête de cheval est cette pierre des plus frustes qui se trouve aujour­d'hui encastrée dans l'un des pylones de la porte d'accès de la ferme Le Reste et sur laquelle nous trouvons un mi-parti de Penmarc'h et de Rivoalen, ce qui situe cet écusson entre 1638 (date du mariage de Claude avec Anne-Gilette de Rivoalen ) et 1666 (date du décès du baron).

Peu de temps après avait lieu la réformation de la noblesse bretonne (1668-1671). A la date du 28 mai 1669, Messire Vincent Gabriel, chef de nom et armes de Penmarc'h, déclare porter « armes modernes : de gueules à une tête de cheval d'argent - armes anciennes: d'or à 3 merlettes d'azur, deux en chef et une en pointe ». Ce sont d'ailleurs les mêmes armes

(1) Que l'on a lu aussi « du Colombier», ancienne famille de Plou­guerneau fondue dans Penmarc'h et dans laquelle certains auteurs ne sont pas loin de voir l'origine de celte dernière famille.

que revendique la branche de Keranroy, représentée par Claude de Penmarc'h, oncle du baron Vincent-Gabriel (1).

Il existerait par contre des sceaux de ce même Vincent­-Gabriel écartelés aux 1 et 4 de Penmarc'h moderne, aux 2 et 3 du Colombier ou Penmarc'h ancien. On ne saurait, croyons-nous,­ être plus éclectique. Ce sont ces armes qu'a choisies Pol de Courcy, qui nous les définit ainsi: « écartelé aux 1 et 4 de gueules à la têle de cheval d'argent, qui est, Penmarc'h ; aux 2 et 3 d'or à 3 colombes a'azur, qui est du Colom­bier bier ». Il rappelle cependant pour mémoire le blason à la fasce d'azur et aux 6 merlettes du sceau de 1397 et nous ren­voie en outre à Gouzillon qui, nous le savons, est un ramage du Colombier et porte: d'or à la fasce d'azur accompagné de 3 pigeons de même becqués et membrés de gueules. En tout cas, l'exemple ne fut pas suivi, et les successeurs de Vincent­ Gabriel reprendront pour ne plus le quitter, l'écusson à la tête de cheval.

La déclaration de prééminences fournie le 28 avril 1682 en vue de la réformation du domaine royal, nous énumère avec force détails les droits honorifiques des Penmarc'h, tant en la ville de Lesneven qu'en d'autres lieux: collégiale du Folgoët, églises de Saint-Méen, Goulven, Plouguerneau, Guissény, Saint-Frégant, Kernilis, cathédrale de Léon, chapelle de Monsieur­ Saint-Jean Balaznan en Plouvien, sans que, dans l'énu­mération de ces écus peints ou sculptés, il soit fait la moindre mention des pièces qui les constituent.

Notons pourtant en la ville de Lesneven « une croix de « pierre étant au cimetière de la dite église (celle de Monsieur « Saint-Michel) au devant de la principale porte et entrée « d'icelle église, armoyée en bosse et intersine dudit Seigneur « advouant ».

(1) H. du Penhoat. Inventaire des titres de la famille de Penmarc'h (archives du Finistère, E 837). Voir 28 mai 1669 (réformation de la noblesse)

Cette croix est aujourd'hui au cimetière neuf de Lesneven, dont elle orne l'ossuaire; elle porte, remarquablement conservé, l'écu à la tête de cheval d'où nous pouvons inférer que ce fut sous cette forme que les Penmarc'h affirmaient leurs droits dans les divers sanctuaires que nous avons succinctement énumérés.

Nous possédons enfin un document de tout premier ordre de cette version de Penmarc'h moderne. C'est la pierre ar­moriée aux armes de Penmarc'h et Kermel, qui se dresse au­jourd'hui à l'extrémité de la grande pelouse. Contemporain du dernier baron et pieusement enfoui par lui, cet écu devait revoir le jour un siècle plus tard et sa présence à l'entrée du château aurait cette valeur symbolique d'indiquer à tous que, si la ville de Brest marche vers le progrès et l'amélioration de la condition de tous, elle n'en a pas moins le respect des traditions que lui ont légué la famille qui construisit et, pendant tant de siècles, posséda avant elle le château de Penmarc'h.

CHAPITRE II
Les premiers Penmarc'h


Le nom de Penmarc'h apparaît pour la première fois dans l'histoire en 1308 dans l'énumération des exécuteurs testamen­taires du duc Jean II avec Alain de Penmarc'h (1).

I. - ALAIN Ier (1300-1350). Nous ne savons que très peu de choses d'Alain, premier du nom, seigneur de Penmarc'h et l'on a point conservé de titres le concernant. On sait qu'il naquit vers 1300 et mourut vers 1350. Il épousa Constance de Coëtivy (qui devait après son décès se remarier avec Alain de

(1) D. Lobineau, Histoire ..., t. Ier, p. 292. Jean II mourut à Lyon le 18 novembre 1305, écrasé par la chute d'un pan de mur.

Kerlouan) et il en eut deux enfants: 1 Alain, deuxième du nom, et 2° Constance, qui devait épouser Yvon Le Moine et dont le fils Guillaume devait faire retour à la maison de Pen­marc'h des terres de Pontusval en Plounéour-Trez (1).

II. ALAIN II (1330-1374). - Du mariage d'Alain, deuxième du nom, avec une fille du Juch, sœur de Jean du Juch, chevalier, naquirent: 1 Henri, qui succéda à son père, 2° Constance, qui épousa Yvon de Coetlestremeur. - 3° Louise, qui épousa Bernard de Kersaintgilly, fils de Hervé et de Marie, dame du Cosquérou (2). Nous manquons de précisions sur la vie de cet Alain II; les seules pièces qui nous soient parvenues sont des actes notariés passés avec divers contractants (3). Il ressort toutefois de l'un d'eux qu'Alain de Penmarc'h devait être capitaine de Saint-Pol et du Minihy, puisqu'en cette qualité il reçut àu nom de l'évêque Guillaume (de Rochefort) 600 écus d'or au coin royal de France.

III. - HENRI Ier (1360-1425). Fils aîné d'Alain II, Henri épouse en 1397 Plézou Toupin, sœur de Robert Toupin, chevalier; ils eurent quatre enfants: 1 Constance, qui épousa Maurice de Cornouaille et apporta à cette famille une rente de 600 livres sur la terre du Pont. - 2° Alain, qui mourut avant son père, mais laissa des enfants. - 3° Ollivier, époux de Cathe­rine Parscau. Les archives de Penmarc'h sont muettes sur ce personnage; nous savons toutefois par les archives de la famille de Kergoët qu'il servit avec son frère Alain sous Jean de Penhouët, amiral de Bretagne; il assista comme homme d'armes à la montre tenue par ce chef à Montfort, le 27 juin 1420 (4). - 4° Marie~Jeanne, qui épousa Yvon de Tuomelin,

(1) Arch. du Finistère, E 837 (1398. Donation par Guillaume Le Moyne.
(2) P. de Courcy, Nobiliaire, t. II, p. 127.
(3) Arch. du Finistère, E 837, N° 1 à 5.
(4) D. Morice, Preuves, t. II, col. 1014.

dont le fils devait hériter de la seigneurie de Lanarnuz provenant de son oncle Guillaume (de Tuomelin).

Si nous en croyons une généalogie des Penmarc'h conser­vée dans la famille de Kermenguy, Henri Ier aurait tout d'a­bord épousé Mauricette de Kermavan (Carman), fille de Tan­guy, dont il eut une fille qui épousa Yvon du Halgouët, mais les archives de Penmarc'h ne font aucune mention de ce premier mariage d'Henri.

D'après les documents, Henri Ier nous paraît avoir mené une vie active: le 26 juin 1381, il assiste à la ratification du Traité de Guérande (1). Il figure également à la montre d'Alain de Rohan, vicomte de Léon, tenue le 28 septembre 1383 à Thérouanne (2). Il suivit le duc de Bretagne Jean IV jusqu'à Arras où se trouvait l'armée du roi de France marchant contre les Anglais (3). Nous le perdrons alors de vue jusqu'en l'année 1420.

En mai 1420, il rejoint l'armée à Beaugency avec sa trou­pe (4). Puis en août nous le trouvons à la tête de 50 hommes d'armes, 28 archers et 6 arbalétriers (5), assurant pendant ce mois le service de la maison du duc. En octobre, il commande­ une des compagnies envoyées à Châteauceaux pour le recouvrement du duc Jean V, prisonnier des Penthièvre et qui prit Clisson et les Essarts (6). Puis, après la libération du duc, il est envoyé (mai 1421) au secours du Dauphin (7) dont

(1) D. Morice, Preuves, t. II, col. 280.
(2) D. Morice, Preuves, t. II, col. 437.
(3) D. Lobineau, Preuves, t. II, col. 447.
(4) D. Morice. Preuves, t. II, col. 1121
(5) D. Morice, Preuves, t. II, col. 1067. Extrait du compte de Jean Périou, trésorier et receveur de Bretagne.
(6) D. Morice, Histoire, t. I, p. 483. Prise de Clisson et des Essarts.
(7) D. Morice, Histoire, t. I, p. 487. Secours envoyé au Dauphin par le duc de Bretagne, et Preuves, t. II, p. 1089. Monstres, revues et quittances de gens d'armes. - D. Lobineau, Preuves, col. 553 (Prise de Clisson et des Essarts) et 558 (Armée au secours du Dauphin).

l'armée était rassemblée à Alençon. Il fait alors partie des écuyers réunis sous les ordres de Charles de Montfort.

C'est sans doute à sa présence à l'armée qu'il faut attribuer, le 27 mars suivant, son absence lors de l'entrée en l'église ca­thédrale de Saint-Pol de l'évêque Philippe de Coëtquis (1). Son petit-fils qui le remplace (sans que toutefois il soit fait allusion au grand-père) se voit évincé ainsi que nous l'avons dit ailleurs (2) . En août 1425, il rejoint à nouveau à Angers (le 12) et Saumur le (22), l'armée royale commandée par le comte de Richemond, connétable de France, pour servir le roi contre son adversaire d'Angleterre (3). Aucun document à notre connaissance ne fait mention de sa mort qui dut sur­venir en 1425 ou, au plus tard, en 1426.

IV. - ALAIN III (1385-1422). - Alain, 3e du nom, naquit vers 1385. Il épousa Aliette de Lauros, fille de Guillaume et de Plézou de Rosmadec, dont il eut trois enfants:

1° Henri, qui devait perpétuer la race et succéder à son grand-père comme chef de nom et d'armes. 2° Alain, qui fut archidiacre de Quéménet-Ili. 3° Jean, recteur de Plounéventer, exécuteur testamentaire d'Alain, auquel il ne survécut­ que dix jours (19 juillet 1447) et qui fut enterré en la chapelle de Trémaouézan, trève de Ploudaniel.

(1) D. Morice, Preuves, t. II, col. 1132. Entrée de l'évêque de Léon. - Albert Le Grand, Catalogue chronologique des évêques de Léon, n° XLII. p. 238.
(2) Ainsi que nous l'avons déjà dit (En avant, n° de mai-juin 1929) le privilège de porter un poteau de la chaire épiscopale ne conférait pas seulement un honneur. Comme nous le rapporte Dom Morice, en ses Preuves de l'Histoire de Bretagne, les élus se partageaient à la fin du banquet, la vaisselle et les ustensiles ayant servi a ce repas, joignant ainsi l'honneur et les profits. Aussi, pour tant de raisons, verrons-nous les Penmarc'h soutenir avec acharnement leur droit contre les Velly et cha­que évêque, selon son tempérament, adopter une solution différente de celle de son prédécesseur.
(3) D. Morice, Preuves, t. lI, col. 1165. Extrait du 13e et dernier compte de Hémon Réguier, trésorier des guerres du roi .

Le 27 juin 1420, Alain figure comme homme d'armes à la montre de Jean de Penhoët à Montfort (1). Si nous en croyons la généalogie conservée par les Kermenguy, Alain fut blessé au siège de Châteauceaux, et l'on croit qu'il mourut des suites de sa blessure, ce qui porterait son décès à 1421 ou en 1422; en tous cas, il n'est nullement question de lui, lors de l'entrée de Mgr de Coëtquis à Saint-Pol (17 mars 1422) (2).

Sa veuve épousa en 1427 Hervé Le Ny, sieur de Kersauzon, veuf lui-même de Marguerite du Carpont.

V. - HENRI II (1414-1465). - Henri, deuxième du nom, naquit vers 1414; il n'avait en effet que huit ans lorsque, son grand-père étant absent, il fut candidat au « quatrième poteau » de la chaise épiscopale de Mgr de Coëtquis (3). Dès l'âge de 17 ans, il épousa Alix de Coëtivy (4), fille de feu Alain de Coëtivy et de Catherine de Chastel. Il en eut huit enfants: 1° Aliette, qui épousa en 1473 Jean de Plusquellec, lequel céda aux frères de Coëtivy (le cardinal Alain et son frère Ollivier, comte de Taillebourg) tous ses droits sur ce dernier comté.- 2° Alain, quatrième du nom. 3° Catherine, qui épousa, en 1459, Jean de La Haye. - 4° Guildech, épouse d'Olivier de Tournemine, sieur de Trousilit (30 avril 1469). 5° Jeanne,

(1) D. Morice, Preuves, t. II, col. 1012-1013.
(2) D. Morice, Preuves, t. II, col. 1132.
(3) Arch. du Finistère, E 837 (17 mars 1422. Entrée de P. L. de Coëlquis).
(4) La mariée avait trois frères: 1° Prigent, amiral de France, marié en 1440 à Marie de Retz et tué d'un coup de canon au siège de Cherbourg. - 2° Alain, cardinal d'Avignon et de Sainte-Praxède, l'un des insignes bienfaiteurs de l'église de Folgoët. - 3° Olivier, sénéchal de Guienne, qui épousa, le 18 octobre 1458, Marie de Valois, fille de Charles VII et d'Agnès Sorel. Il en eut un fils, Charles, comle de Taillebourg; ce dernier épousa Jeanne d'Orléans, tante de François Ier, et en eue une fille qui épousa, en 1501 Charles de la Trémoille, prince de Talmont. Ainsi qu'on le voit, c'était une grande famille qui, pour la deuxième fois, apportait aux Penmarc'h la consécration de sa vieille noblesse et de la pourpre cardinalice.

qui épouse, en 1459, Jean de Coatquelfen, dont elle a un fils, François, sieur de Coatquelven, marié à Françoise de Kersau­zon et une fille, Jeanne, qui épouse le sieur de Kerhuel. - 6° Louis, chanoine de Saint-Brieuc, protonotaire du Saint­-Siège et archidiacre de Marseille, mort en 1502 et inhumé à la cathédrale de Saint-Brieuc par les soins de son frère Christophe C'est à lui que, le 1er mars 1498, fut confié la tutelle de son neveu Henri, troisième du nom. - 7° Christophe, évêque de Dol (1474-1478) et de Saint-Brieuc (1478-1505), dont nous avons déjà étudié la vie (1). - 8° Enfin Olivier, sieur de Ker­jagu qui, d'après la généalogie Kermenguy, épousa Anpe du Bois, mais n'eut pas de postérité. Il commandait La Madeleine d'Abrevac, l'un des 40 vaisseaux de la flotte du duc François II, lors du siège de Nantes par le roi Charles VII en 1487 (2).

En 1432, Henri de Penmarc'h assiste à la prise de Mervent sous les ordres de son beau-frère, Prigent de Coëtivy (3). En 1436, comme capitaine de gens d'armes et de trait, il tient garnison à Montvilliers (4). En 1437, nous le voyons prêter serment au duc à Lesneven (5). En 1443, la réformation de l'évêché de Léon fait figurer le « sieur de Penmarc'h » sur la liste des nobles de Saint-Frégant.

En juillet 1463, Alix de Coëtivy, dame de Penmarch, est nommée gouvernante du comte de Montfort, fils du duc François II

(1) Un prélat briochin enfant de Penmarc'h, dans la Semaine reli­gieuse de Saint-Brieuc et de Tréguier. N° des 28 décembre 1928 et 15 février 1929. - Cf. B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, Les Papes et les ducs de Bretagne, t. II. Voir l'index.
(2) D. Lobineau, Preuves, col. 773. - D. Morice, Preuves. t. III, col. 540. Extrait d'un registre de la chancellerie de Bretagne.
(3) D. Lobineau, Histoire, t. I, p. 593. Prise de Mervent.
(4) D. Morice, Preuves t. II, col. 1268. Extrait du compte d'Antoine Raguier, trésorier des guerres.
(5) D. Lobineau, Histoire, t. II, col. 1047. - D. Morice, Preuves, t. II,

et de Marguerite de Bretagne (1). Ce noble poupon ne devait d'ailleurs vivre que peu de jours (29 juin- 25 août). Aussi le 7 octobre suivant, Pierre Landais, trésorier et receveur­ général du duc de Bretagne, versait 600 livres à la dame de Penmarc'h « venue à Nantes pour avoir le gouvernement de M. le Comte » (2). Henri mourut en 1465, à une date antérieure au 19 mars.

CHAPITRE III
Les premiers barons de Penmarc'h


Avec la fin du XVe siècle, les seigneurs de Penmarc'h attei­gnent l'apogée des honneurs. Après qu'Alix de Coëtivy, dame de Penmarc'h, eut été appelée à l'honneur d'être la gouvernante­ de l'enfant du duc, nous allons voir Alain IV, chambel­lan pendant plus de trente ans de ce dernier et de sa fille, et récompensé de ses longs services par l'érection en baronnie de sa terre de Penmarc'h.

I. ALAIN IV (1440-1498). - Alain, quatrième du nom, naquit vers 1440; il épousa assez tard (3 octobre 1482) Anne du Juch, fille du deuxième mariage d'Henri du Juch, sieur de Pratanroux et de Marguerite du Juch.

Il en eut six enfants: 1° Henri, qui suivra. - 2° Alain, recteur de Plouguin, puis chanoine et administrateur du dio­cèse de Saint-Brieuc, qui, ayant hérité la terre de Coëtlestremeur, la rétrocéda en 1526 à Guillemette de Kerloaguen, sa belle-sœur, en échange du domaine de Quicangroigne à Saint-Brieuc. Il administra ce diocèse, lorsqu'en 1526, Jean

(1) D. Lobineau, Histoire, t. I, p. 685. Naissance du comte de Montfort.
(2) D. Morice, Preuves, t. III, col. 67. Extrait du second compte de Pierre Landais.

de Rieux, âgé de 18 ans seulement, en fut pourvu en com­mande. Il mourut en 1531, léguant à son neveu Alain son manoir de Quincangroigne. - 3° Marie, épouse de Tanguy de Kerlech (1515). - 4° Constance, épouse de Jean de Quélen, sieur de Kerambellec. - 5° Charles, sieur de Coëtlestremeur, époux de Jeanne Quilbignon, héritière de Coaténez en Plou­zané, auteur de la première branche cadette des Penmarc'h. - 6° Enfin François, dont l'existence n'est confirmée par aucune pièce, si ce n'est une note au crayon de M. du Penhoat.
Nous manquons de documents sur Alain de Penmarc'h jusqu'à l'année 1469 (1470 n. s.) où une lettre du 6 janvier du duc de Bretagne François II le convoque à Nantes au service célébré pour l'âme de Marguerite de Bretagne. Elle porte la suscription « à notre aimé et féal chevalier et chambellan, le sieur de Penmarc'h », ce qui prouverait que pendant 30 ans au moins (1469-1498) Alain de Penmarc'h fut chambellan du duc François II et de la duchesse Anne, sa fille.
En 1473, l'entrée de l'évêque Vincent de Kerleau en sa cathédrale de Saint-Pol (1) lui permit d'exercer sans conteste le droit de porter l'un des bâtons de la chaise, pendant qu'Alain de Coëtivy se faisait remplacer par les Le Bailly, (ou Velly, en breton, qui étaient seigneurs de Kersimon en Plouguin), supprimant ainsi les rivaux de la famille de Penmarc'h Il ne semble pas qu'à l'entrée de Michel Guibé (26 avril 1477) la moindre opposition se soit davantage élevée (2).

Le sire de Penmarc'h était à cette époque un puissant per­sonnage exerçant, dans toute leur plénitude, ses droits seigneuriaux. C'est ainsi que, faisant application de l'article 82 des coutumes du duché de Bretagne, il doubla en l'année 1474 le rôle des aides à l'occasion du mariage de sa sœur Aliette de

(1) Arch. du Finistère, E 837. (14 juin 1473. Procès-verbal de l'en­trée de Vincent de Kerleau).
(2)Ibidem (26 avril 1477; Entrée de l'évêque Michel Guibé).

Penmarc'h avec Jean de Ploesquellec, bien que la coutume ne prévît cette faculté que pour le mariage des filles du seigneur.

A la montre de 1481, Alain de Penmarc'h se présente en homme d'arme ou « lance », avec son page, son coustillier et deux archers. C'est à cette époque qu'il épousa Anne du Juch (3 octobre 1482). Nous ne retrouvons pas de traces de notre chambellan jusqu'en l'année 1498 (si ce n'est pour des partages ou des actes similaires et dans l'acte par lequel le roi affranchit­ du fouage en 1487 ceux qui avaient servi sur la flotte du duc) (1).

Le 12 décembre de cette année, la duchesse Anne, « reyne de France et duchesse de Bretagne », érigeait son féal cheva­lier « en estat, degré et seigneurie de banneret », et lui accor­dait ainsi qu'à ses enfants et héritiers, seigneurs de la dite seigneurie, le privilège « d'en porter le nom et le titre ».

Le premier baron de Penmarc'h ne put jouir longtemps de la faveur qu'il avait obtenue. Il mourut avant la fin de ce mois de décembre, mais Louis de Penmarc'h, son frère, tuteur du jeune Henri, s'empressa de faire confirmer par le roi Louis XII la faveur accordée par sa « très chère et très aymée compagne la Reyne ».

L'information royale du 1er juin 1499 mit fin aux quelques protestations qui s'étaient élevées; en effet, si la lecture des lettres de Banneret n'avait soulevé aucune difficulté ni opposition,­ en ce qui concernait la juridiction de la cour de Lesneven,­ il n'en avait pas été de même pour le droit de « Menée » qui avait été contesté tant par le sire de Rohan et de Léon que par le sire de Carman

Par acte du 9 juillet 1499, Jean, vicomte de Rohan et de Léon, comte de Porhoët, donnait à la décision royale son entière adhésion.
Désormais l'érection de Penmarc'h en baronnie était un

(1) D. Lobineau, Histoire, t. I, p. 773.

fait accompli, avec tous les droits et privilèges que comportait un tel titre.

II. HENRI III, deuxième baron de Penmarc'h (484-1529) - Etrange destinée, à la vérité, que celle de ce gentilhomme qui, appelé dès son adolescence à porter le tortil de baron et à exercer en fait le premier les privilèges de son titre, non seulement finira ses jours sous la tutelle de sa femme, cura­trice du prodigue, mais encore succombera mutilé et sanglant sous les coups d'une brute féroce.

Il naquit en 1484 et était âgé de 15 ans lorsque le décès de son père le fit baron de Peomarc'h.

Sa tutelle fut successivement assurée par ses oncles Louis, chanoine de Saint-Brieuc et ensuite Christophe, évêque du même lieu. Tous deux défendirent avec zèle les intérêts de leur neveu, non seulement contre les tiers, mais même contre leurs propres parents (Coëtivy, du Juch, Le Baillif). La tutelle dut prendre fin avec le décès de Monseigneur de Penmarc'h (6 décembre 1505).

Entre temps Henri épousa Jacquette Le Forestier, veuve sans enfants de Jean Le Voyer, dont il eut: 1° Henri, mort sans postérité avant son père (avant 1520). - 2° Mauricelte, dame de La Villedoré, qui épouse Robert Eder, sieur de Beaumanoit, aïeul du célèbre ligueur La Fontenelle. - 3° Margilie, qui épousa successivement le sieur de Bréhant, puis Julien de Cramon.

Il ne semble pas qu'il ait été un guerrier comme ses ancê­tres; les auteurs ne font nulle mention de sa présence aux armées et même M. de Kerdanet, qui entreprend de le laver des épithètes de « lâche et de couard » décochées par Marc'hec, nous dit seulement qu'il avait été « en sa jeunesse vaillant et « hardy... y ayant exposé son corps et ses biens et fourny des « harmes et des harnois pour la tuition du pays » (1). Par

(1) Miorcet de Kerdanet, loc. cit., pp. 83-84.

contre nous le voyons en procès avec Prigent de Coatmenech pour le bris d'une vitre à ses armes en l'église du Folgoët (26 juin 1508 et 2 mai 1514) ; d'autre part, à l'entrée (13 mai 1520) à Saint-Pol de l'évêque Guy Le Clerc (1), il eut également un conflit avec ce seigneur avec lequel il partagea d'ailleurs la vaisselle épiscopale à l'issue du repas (2).

Le 24 novembre 1520, il abandonnait, sous réserve d'usufruit, tous ses biens entre les mains de ses deux filles Mauri­cette et Margilie. Le 26 janvier suivant, il épousait Guillemette­ de Kerloaguen, « sa parente au quart degré » (3), dont il devait avoir un fils, Alain, et qui, après sa mort, épousa Jacques du Parc, sieur de Locmaria. Sans revenir sur la donation consentie à ses filles, il lui fait, en mai suivant (1522), une donation réciproque de tous ses biens meubles, à charge pour le survivant « de payer et acquitter les testament, dettes et obsèques et enterrement du pré-décédé ». Sur la demande de ses enfants et en particulier des Eder de Beaumanoir, une information est ouverte contre lui, qui le déclare prodigue et lui donne pour curatrice sa femme Guillemette de Kerloaguen.

Ainsi donc, Henri de Penmarc'h, loin de suivre la vie des camps, comme l'avaient fait ses devanciers, devait mener une vie de dissipation et d'inutilité. N'est-ce point d'ailleurs en pette vie de bombance qu'il faut recbercher la cause initiale de ses querelles tragiques avec Jean Marc'hec de Guicquelleau (4), puisque, de l'information de justice, il résulte que le 12 octobre­ 1523, « se trouvèrent ensemble lesdits Penmarc'h et Mar­c'hec, « beufvant et faisants bonne chère, l'un démontrant

(1) D. Morice, Preuves, t. III, col. 950 à 955.
(2) Un privilége des Penmarc'h dans En avant, n° de mai-juin 1929.
(3) Empêchement qui ne fut régularisé « après consommation » qu'en octobre 1522 par autorisation du Pape Adrien VI et dispenses de l'évêque de Léon du 9 février 1523.
(4) Encore l'infortuné Marc'hec, par L. Farcy, dans la Dépeche de Brest, n° du 13 avril 1927.

« amour el bon vouloir à l'autre ... », que renlrant de Lesne­ven, Henri passa par Guicquelleau et se mit à table avec la femme et la belle-mère de Marc'hec en attendant l'arrivée de ce dernier. Marc'hec, survenant peu après, embrasse le sieur de Penmarc'h, mais refuse de s'assoir à table et se tint debout pour souper. C'est au cours de ce repas que « survynt entre « eux quelques paroles, tellement que le dit Marc'hec évagina « son épée sur le sieur de Penmarc'h ».
On connaît les suites de celte querelle, les trois doigts coupés et les plaies à la tête et au bras du sieur de Penmarc'h, la plainte portée par Guillemette de Kerloaguen, l'enquête sur les noblesse, privilèges et prééminences des Penmarc'h, la transaction du 8 mai 1525, aux termes de laquelle Marc'hec s'engage à servir à sa victime une rente perpétuelle de 35 livres, en garantie desquelles il livre un certain nombre de maisons et de terres.

Si nous en croyons les archives de Penmarc'h, l'affaire se serait bornée là et Henri de Penmarc'h serait décédé de ses blessures en 1527. Nous nous rallions plutôt à l'opinion de MM. Marius et Louis Blanc (1) qui, se basant sur l'acte d'accusation déposé aux archives de Kerdanet, nous rapportent une deuxième scène qui se passa le 15 janvier 1527 :

Henri de Penmarc'h s'étant rendu à Guicquelleau à 11 heu­res du soir, but, mangea et fit bonne chère pendant l'espace de trois heures. Le résultat ne se fit pas attendre : Henri et Marc'hec burent tant et tellement « qu'ils auroient advancé jusques à boire dans une escuelle de bois » . Cependant Henri de Penmare'h, froissé des insultes de son hôte, se lève d'un pas trébuchant, mais au moment où il va monter à che­val, Marc'hec, de la fenêtre de la cuisine, lui décoche, malgré son ébriété (fait remarquable) un coup d'arbalète qui le fait

(1) Histoire anecdotique de Lesneven, du Folgoët et des alentours, pp. 45 à 56.

choir, puis il l'achève de huit coups dë taille en la tête et cinquante-six estocqs en aultres parties du corps ». Ainsi périt Henri, deuxième baron de Penmarc'h ; sa mort secoua la torpeur de la cour de Lesneven, qui depuis tant d'années supportait les forfaits du terrible Marc'hec, jusques et y compris son attaque à main armée du cortège de Fran­çois Ier sur la route de Lesneven. Arrêté. le coupable est condamné à mort un mois plus tard (15 février 1527) et décollé, « et son effigie en pierre de taille fut mise et plantée « au milieu des patibulaires de Penmarc'h ».

Telle est, d'après les documents authentiques, l'histoire de Marc'hec de Guicquelleau ; à la place du larron d'amour dont Emile Souvestre nous rapporte la gracieuse et émouvante légende, nous voyons un soudard brutal et ivrogne, ne res­pectant ni les femmes, ni son chef, ni même son roi. Finies les évocations romantiques de la riche penhérès, déjà enceinte, se traînant aux pieds de son père en implorant la vie de son amant; finie également l'histoire du chêne de la pendaison, sans cesse renouvelé par les descendants du meurtrier sous leurs propres fenêtres (1). L'arbre tragique doit rentrer à son tour dans la catégorie des accessoires romantiques, où il rejoint, au grand regret des âmes tendres, la belle jeune fille et le chevalier blanc victime de l'orgueil du « marquis ».

III. - ALAIN V (1523-1562). - Alain, troisième baron de Penmarc'h, n'avait pas encore quatre ans lorsque la mort tragique de son père le mit en possession de l'héritage de ses ancêtres. Sa mère, nommée sa tutrice, n'eut d'ailleurs qu'à continuer la gestion des biens que lui avait confié le conseil de famille de 1522.

En septembre 1542 eut lieu au château (et en l'église de Saint-Frégant) une double cérémonie: le mariage de Guillemette

(1) Encore l'infortuné Marc'hec, par L. Farcy, dans la Dépêche de Brest du 13 avril 1927).

de Kedoaguen avec Jacques du Parc, sieur de Locmaria, et celui d'Alain de Penmarc'h avec Françoise du Parc, fille du précédent.

Il en eut deux enfants : Claude, qui succéda à son père, et Guillemette, qui épousa, le 22 janvier 1566, François Barbier de Kerc'hoent, fils du sieur de Kerjean (1).

Alain semble s'être surtout préoccupé de la bonne adminis­tration de ses domaines; c'est ainsi que nous le voyons discuter­ avec ses nombreux collatéraux et alliés, où se retrouvent tous les grands noms de l'armorial breton, les innombrables partages, rachats, transactions qui certes devaient faire vivre grassement toute une armée de gens de robes; il obtint également­ du roi François Ier des lettres concernant les foires et marchés de Goulven (20 septembre 1544). C'est également lui qui fit reconstruire le château que nous voyons aujourd'hui, ou du moins sa partie centrale (2), car il est vraisemblable que l'aile brûlée en 1715 fut achevée par Claude de Penmarc'h, dont l'écusson, écartelé de celui de son épouse, figure au fron­ton du pavillon fortifié qui a seul survécu au désastre.

Françoise du Parc étant morte en 1550, Alain épousa deux ou trois ans plus tard, Jeanne de Kersauzon, veuve d'Olivier Tuomelin, sieur du Bourouguel, dont elle avait une fille, Marie. Bon père et bon tuteur, désireux d'assurer l'avenir des enfants, il s'occupa de réunir, dès 1553, les consentements et dispenses nécessaires à leur mariage réciproque, mais le fait lui-même ne put s'accomplir qu'en 1560, lorsque les enfants eurent atteint un âge convenable.

(1) On voit leurs armes alliées a la partie droite du grand cartouche sculpté qui surmonte l'arcade du portail extérieur de Kerjean, la partie gauche étant occupée par un autre ecusson aux armes de Barbier et de Gouzillon. A remarquer que, là encore, les Penmarc'h portent les 3 merlettes et non la tête de cheval.
(2) L'inscription de la grande porte est ainsi conçue: « L'an 1548, ceste maison fut faicte ».

Entre temps nous le voyons figurer comme porte-enseigne à la montre de Saint~ Renan du 24 août 1557, sous les ordres du capitaine de Saint~Simon, ayant à ses côtés son oncle Jean de Guicaznou ; mais les temps héroïques sont passés, la no­blesse ne quitte plus le royaume et bientôt, déchirée par les passions politiques et religieuses, nous verrons la France à feu et à sang et la Bretagne en particulier pillée et ravagée aussi bien par les catholiques que par les protestants.

Alain ne devait heureusement pas voir ces tristes temps, car il mourut en 1562. Après sa mort, Jeanne de Kersauzon épousa Yves Pinart, sieur du Val, docteur ès droit et sénéchal -de Saint-Brieuc (1).

IV. CLAUDE (1543~1585). - La date de la naissance de Claude est incertaine. En effet, si M. du Penhoat en sa généalogie (2) nous le donne comme né en 1554, il nous parle, dès l'année précédente, de son mariage futur (3), dont l'une des pièces porte cette indication: né en 1543 ou 1544 (4). D'ailleurs sa mère était morte avant le 5 février 1550. Si nous considérons que son mariage eut lieu le 15 juillet 1560 (5), nous voyons donc que cette date de 1543 ou 1544 est des plus vraisemblables.

Ainsi que nous l'avons vu plus haut, il épouse Marie de Tuomelin, la pupille de son père, héritière du Bourouguel

(1) Les armes en alliance de ces deux époux se distinguent sur un écusson ovale, placé au pignon du vieux manoir du Val, dans le faubourg de St-Mathieu à Morlaix.
(2) Arch. du Finistère, E 837.
(3) Ibidem, divers actes de 1553.
(4) Pièce du 25 septembre 1553. Consentement de Guillaume de Kersaliou, chantre de Bégard.
(5) Si l'on se rapportait à une pièce du 26 octobre 1566 constatant que Claude et Marie étaient époux depuis plus d'un an et un jour, l'on serait fondé à repousser cet événement jusqu'au 14 mai 1564, mais étant donné la hâte manifestée par Alain V dès 1553, il est peu vraisemblable que l'on ait attendu au-delà de l'âge légal des futurs époux.

en Plouigneau; il en eut trois enfants; 1° Jeanne. qui épousa Paul de Brueil, petit-fils de la famille de Sanzay. 2° Claude, qui épousa successivement Vincent de Kersauzon, puis Louis Gourio, sieur de Lezireur. - 3° René, qui lui succéda. - 4° Enfin, d'après un acte de partage du 28 juillet 1619, il y avait une fille aînée, dont nous ignorons le nom, qui mou­rut sans héritier après son père, mais avant sa mère.

En 1567, Claude de Penmarc'h fut nommé chevalier de l'ordre du Roi; il assiste le 25 septembre à l'assemblée des Etats réunis en la ville de Vannes. De même, le 25 septembre 1575, il prend part à « l'Assemblée des Trois Etats » qui se tient à Nantes. Entre temps, il était nommé gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, maître de camp d'un régi­ment de gens à pied français et commissaire du ban et de l'arrière-ban du Léon.

Tout ceci ne l'empêchait point de gérer ses biens; car, au cours des années 1575 et 1576, il obtint du roi Henri III diverses lettres patentes pour les droits de foires et marchés au bourg de Goulven, ainsi qu'à la chapelle de Saint-Méen. Il mourut au château le 24 mars 1585 (1). Après sa mort, Marie de Tuomelin épousa (10 juillet 1588) Anne de Sanzay, comte de La Magnanne, dont elle n'eut point de descendants.

CHAPITRE IV
Penmarc'h au XVIIe siècle


Le XVIe siècle se clôt sur les guerres de la Ligue et l'on a vu au chapitre précédent apparaître le comte de La Magnanne, l'un des plus célèbres pillards de l'époque, qui, par son ma­riage avec Marie de Tuomelin, douairière de Penmarc'h, devient le beau-père de René Ier.

(1) L'arrêté de noblesse de 1669 dit: en février.

Un autre descendant de Penmarc'h, Guy Eder, baron de la Fontenelle (1), petit-fils de Mauricelte de Penmarc'h, rivali­sera avec lui de cruauté et de mauvais renom. Mais bientôt, avec la conversion du Roi Henri, le calme renaîtra dans la France et s'il est plus long à refleurir en Bretagne, du moins sera-ce la dernière grande convulsion qui agitera notre pays, transformé depuis tant de siècles en un champ de bataille où se sont affrontées tant de nations: Bretons, Français, Anglais,­ Espagnols, changeant d'alliance au gré de leurs désirs politiques, mais laissant toujours pour unique résultat notre pauvre province couverte de cadavres et de ruines.

I. RENÉ Ier (1584-1632). - René Ier n'avait pas deux ans lorsque la mort de son père en fit le cinquième baron de Pen­marc'h. Comme le voulait la coutume, la tutelle fut confiée à sa mère, Marie de Tuomelin, qui eut à soutenir contre les Eder de Beaumanoir un procès assez long. Le 1Ojuillet 1588, la veuve épousait sans grand éclat Anne de Sanzay, comte de La Magnanne, qui semble avoir peu séjourné au château de Penmarc'h, ayant mené à celle époque une vie des plus actives, tant au service du Roi, d'abord, que plus tard au service de la Ligue.

Aussi, ne faut~il voir dans le pillage du château de Pen­marc'h, survenu dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1594, qu'un hardi coup de main des soldats des capitaines du Liscoët et du Plessis-Villeroy contre une riche gentilhommière, et non un acte de représailles envers le brigand de Sanzay. Nous avons déjà raconté (2) comment la dame de Penmarc'h,

(1) Ces deux « brigands de la Ligue » sont universellement connus et leurs noms se retrouvent à chaque page des écrits du temps; aussi n'insisterons nous pas davantage, renvoyant pour plus de détails à l'Histoire du chanoine Moreau, dont une édition nouvelle paraîtra prochainement à la librairie Le Goaziou, de Quimper, par les soins de M. Waquet.
(2) Le pillage du château de Penrnarc'h, par L. Farcy, dans (En avant; n° de mars-avril 1929).

couverte par les sauvegardes du Roi et de Sourdéac, refusa l'entrée du château aux soldats; puis confiante en le nom de leur chef et voyant qu'ils tentaient d'incendier la porte, elle leur fit ouvrir, mais bien mal lui en prit. car ils brisèrent les meubles, emportèrent biens et papiers, ainsi que 9 chevaux. Le jeune René de Penmarc'h lui-même ne dut de ne point être emmené comme otage qu'à son déguisement en fillette. Par suite de la perte des documents, la perte subie par les Penmarc'h ne fut jamais fixée de façon précise, elle fut évaluée, selon les témoins, de 15 à 25.000 écus, ce qui ne saurait pa­raître exagéré si l'on songe que le pillage de Mézarnou, le lendemain, par le même du Liscoët, fit ressortir une valeur mobilière de 70.000 écus. De tels actes ne devaient d'ailleurs pas lui porter bonheur, car 3 mois plus tard il périt au siège de Crozon « fort regretté des siens, comme à la vérité il le méritait », rapporte le chanoine Moreau qui ailleurs, nous dit pourtant de lui: « il aima mieux, le misérable, faire banqueroute à Dieu et à son salut qu'au beau nez d'une femme ».

Après cet incident la vie reprit au château de Penmarc'h. Le 8 août 1599 était signé le décret de mariage de René Ier et de Jeanne de Sanzay, nièce de La Magnanne, au manoir de Penhoët en Saint-Frégant, en présence d'une nombreuse assistance.­ Le contrat lui-même fut signé le 14 septembre suivant, au château de Sanzay, en Poitou; entre autres clauses, il assurait aux Penmarc'h le droit, en l'absence d'héritiers mâles de la famille de Sanzay, de revendiquer ce nom et d'en porter les armes mi-parti avec les leurs; les Penmarc'h n'eu­rent d'ailleurs point l'occasion de profiter de cette clause.

De ce mariage naquirent sept enfants: 1° René, deuxième du nom, qui succéda à son père. - 2° Suzanne, qui épousa Rolland de Boiséon et dont le contrat porte cette clause curieuse que « outre sa dot, ses parents s'obligent à l'habiller et à lui fournir bagues et joyaux et haquenée harnachée selon le rang et la qualité de sa maison ». - 3° Vincent, qui succéda à son frère René mort sans héritiers. - 4° Marie, qui épousa François du Dresnay, sieur de Kerroué. - 5° Gilette­-Marie, qui épousa successivement Louis de Kerscau, sieur du Parc, et Jacques-Charles de Kerangarz, dont elle eut une fille. - 6° Guillemette-Renée, qui épousa Alain de Keranguen. - 7° Claude, sieur de Keranroy, du Bourouguel et de Kerellou, qui fut le chef de la branche de Keranroy et dont descend le célèbre procureur général du Parlement de Bretagne, La Chalotais(1). - 8° François, sieur de Kerellou, moine récollet.

En mars 1602, René obtint du Roi Henri IV l'autorisation de transférer de Goulven au lieu de Kerradenec « le lieu de l'exercice tant de justice (avec fourches patibulaires) que de la juridiction de la baronnie de Penmarc'h, laquelle (disent les lettres patentes) s'étendait de toute ancienneté sur plu­sieurs grandes paroisses de l'évêché de Léon ».

Peu après (avril 1602) Charlotte-Catherine de La Trémoille, princesse de Condé, tutrice naturelle et légitime de son fils unique, Henri de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang et premier pair de France, octroie à son cher et bien aymé René de Penmarc'h, l'état de gentilhomme ordinaire de la chambre de son fils.

René de Penmarc'h dut exercer ces fonctions jusqu'en 1618 où il fut nommé chevalier de l'ordre du Roi et gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi. Il fournit au roi, le 23 octo­bre 1620, aveu pour les terres, fiefs et seigneuries de Pen­marc'h et autres lieux. Il mourut le 16 septembre 1632, léguant son titre à son fils aîné René.

II. RENÉ II (****-1638). Nous manquons absoldment d'indications sur la date de naissance de René, deuxième du

(1) Le rôle de La Chalotais dans la lutte contre les Jésuites est trop connu pour que nous ayuns à le rappeler ici; il en est même de la résistance­ du Parlement de Bretagne aux volontés royales qui ouvrit moralement la Révolution en Bretagne bien avant 1789 et dont La Chalotais fut l'âme.

nom et sixième baron de Penmarc'h ; toutefois son frère Vincent (qui était le troisième) étant né en 1611, nous pou­vons placer la naissance de René entre 1600 et 1610, ce qui est, il faut l'avouer, d'une remarquable imprécision.

Nous ne possédons guère plus de renseignements sur sa vie, car les quelques pièces conservées aux archives de Kéré­zélec (1) nous le montrent en partage constant, tant avec sa mère qu'avec ses frères et sœurs (2). Il mourut célibataire, le 17 janvier 1638, laissant pour héritier principal son frère puîné Vincent.

III. - VINCENT (1611 -1666). - Vincent, septième baron de Penmarc'h, naquit en 1611 et succéda en janvier 1638 à son frère René. Il était déjà chevalier de l'ordre du Roi, lorsqu'il épousa, le 7 août suivant, Anne-Gilette Rivoalen, fille du seigneur de Mesléan et de Marguerite Barbier de Kerjean.

Il en eut: 1° Anne-Louise-Gabrielle, qui épousa François du Poulpry, - 2° Françoise-Gabrielle, qui épousa Louis du Louët. - 3° Enfin Vincent-Gabriel, qui devait lui succéder.

Comme ses deux prédécesseurs, Vincent semble avoir mené une existence de propriétaire terrien, partageant, échangeant, vendant ses biens ou s'occupant de l'établissement de ses enfants.

En dehors des aveux, des baux ou des quittances, nous ne trouvons en effet que des actes d'état-civil: naissance et bap­tême des enfants, testament de Jeanne de Sansay (qui lègue son corps à Plouigneau, en Tréguier et son cœur à l'église de Saint-Frégant), mariage de ses sœurs et frères, ou des pièces relatives à ses droits féodaux: droit de menée (pourtant en

(1) Arch. du Finistère, E 837. Onze pièces échelonnées entre 1632 et 1638.
(2) L'une de ces pièces nous donne en passant cette indication que le douaire de Jeanne de Sanzay, qui s'élevait au tiers des rentes et revenus de René Ier, se montait-il à la somme de 3.100 livres tournois.

désuétude), foires et marchés de Goulven. C'est également lui qui fit couler la cloche du château qui devait n'être refon­due qu'au XIXe siècle par l'abbé Le Poulzot. Il mourut le 10 mars 1666 et fut inhumé à Saint-Frégant.

IV. - VINCENT-GABRIEL (1655- 1717 ). - Vincent-Gabriel n'avait que onze ans lorsque, à la mort de son père, Anne­ Gilette de Rivoalen fut nommée tutrice de ses enfants. Elle défendit leurs intérêts avec un grand dévouement et, lors de la réformation de 1669, produisit au nom de son fils tous documents utiles pour prouver l'antiquité de leur noblesse. De son côté, Claude de Penmarc'h, sieur de Keranroy, pro­duisit les mêmes pièces, tant en son nom qu'en celui de ses trois fils.

Par l'arrêt de noblesse du 9 juillet 1669, « la Chambre, fai­sant droit sur l'instance, déclare Vincent-Gabriel de Penmarc'h. Claude de Penmarc'h et Françoise-Gabrielle de Penmarc'h et les descendants en mariage légitime des dits de Penmarc'h mâles, nobles issus d'ancienne extraction noble et comme tels permet auxdils Vincent-Gabriel, Claude et Vincent son fils, de prendre les qualités d'écuyer et de chevalier et auxdites de Penmarc'h celle de damoiselles, etc. »

Les années 1673 et suivantes sont marquées par divers mariages: en 1673, Anne-Gilette de Penmarc'h épouse Char­les de Kerguiziau de Kervasdoué; en avril 1674, Françoise­ Gabrielle de Penmarc'h épouse Louis du Louët, un peu plus jeune qu'elle; le mariage fut célébré en l'église Saint-Etîenne de Rennes, par le R. P. Isaac de Marbeuf, abbé de Langonnet. Puis, le 28 mars 1675, Vincent-Gabriel épousait en l'église de Cléder, sa parente au quart degré Anne de Kermenguy. (Dis­pense de cet empêchement avait été accordée par le Pape Clément X, par lettre du 9 septembre 1674).

Ils eurent cinq enfants: 1° Vincent-Gabriel, né en 1679 et mort en bas âge. - 2° Jeanne-Yvonne, épouse de François Pascouet, seigneur du Val. - 3° François-Gabriel, qui succéda à son père. - 4° Jeanne-Constance. - 5° Gabrielle­ Anne, née à Saint-Pol et décédée en 1725 aux Ursulines du même lieu.

Nous possédons de Vincent-Gabriel un curieux document qui nous donne sur les prééminences et les droits des seigneurs de Penmarc'h de nombreux détails conformes à ceux de la déclaration de 1682 (1).

Outre le droit d'apposer ses armes sur les vitres et en divers lieux de plusieurs églises, nous y voyons qu'il possède à Goulven le droit à quatre grandes foires, les jours de la Saint Vincent, 25 avril, Saint Goulven et Saint Louis, qu'à la Saint Goulven le seigneur rend la justice après avoir, la veille, fait faire le guet par ses hommes et vassaux de cette paroisse; qu'à la Saint Louis il est autorisé à prélever une poignée d'argent à l'offrande de la grand'messe paroissiale; que chaque­ vendredi ont lieu à Goulven les marchés pendant lesquels se tient l'audience de la juridiction du seigneur et que ce dernier a le droit de prendre et de lever les droits de coutume sur les marchandises qui s'y vendent les jours de foire au marché; qu'il en est de même pour la foire de la chapelle Saint-Gildas au Hellez en Guissény, tous droits qui semblent bien périmés à celle époque et au sujet desquels nous com­prenons difficilement les querelles et procès interminables qu'ils soulevaient encore.

Dans la nuit du 13 au 14 août 1715, un incendie dévora l'aile gauche du château ; aux ravages du feu vint s'ajouter la disparition de la majeure partie des archives, celles qui avaient échappé aux flammes ayant été dispersées ou empor­tées par les pseudo-sauveteurs, que la dame de Penmarc'h

(1) Acle du 28 avril 1682 - Prééminences des barons de Penmarc'h - Archives départementales, Série E.

qualifie en l'enquête de « certains malveillants» et « débiteurs de mauvaise foi » (1).

Quant au seigneur de Penmarc'h, en raison de sa « cadu­cité », il s'était retiré au château de Kermenguy, chez son beau-frère, le sieur de Veslon. De ce détail, ainsi que du fait qu'il avait remis à son fils François-Gabriel procure pour tous actes à intervenir, il semble que nous soyons fondé à penser que Vincent-Gabriel était déjà dans un état de santé précaire. Il mourut à deux années de là, le 10 novembre 1717, en son château de Penmarc'h et fut inhumé le lendemain à Saint-Frégant.

CHAPITRE V
Les derniers Penmarc'h


L'incendie qui, dans la nuit du 13 au 14 août 1715, dévasta­ toute l'aile gauche du château de Penmarc'h, détruisant une partie des archives et amepant le pillage du reste, était le signe précurseur des désastres et des calamités qui, à la fin du XVIIIe siècle, allaient fondre sur Penmarc'h.

Sans doute François-Gabriel vivra-t-il encore en gentil­homme, mais ses enfants seront les derniers à porter le nom de Penmarc'h, si bien que la baronnie tombera en déshérence, les héritiers mâles décédant sans postérité. Sans doute aussi le dernier baron échappera-t-il au couperet de la guillotine, mais ce sera pour se débattre pendant de longues années dans des ennuis pécuniaires qui assombriront ses derniers jours.

I. FRANÇOIS-GABRIEL (1684-1745). - François-Gabriel naît à Penmarc'h le 2 décembre 1684; il devient neuvième baron à la mort de son père (10 novembre 1717) et rend en

(1) L'incendie du château de Penmarc'h, par L. Farcy, dans la Dépêche de Brest, du 29 août i128.

cette qualité hommage au Roi et à son Altesse Sérénissime le comLe de Toulouse (1).

Le 9 juin 1721, en la chapelle du manoir de Kerbabu en Lannilis, il épouse Anne-Renée-Josèphe de Belingant, dame de Kerguézec, dont il eut:
1° Anne-Claude, épouse de Gabriel de Bouvans, baron du Bois de La Roche, puis de Pierre-Jean-François de Kermel, qui n'eut pas de postérité. - 2° Renée-Gabrielle-Guyonne, épouse de Jean-René Huon, sieur de Lesguern et de Kérézélec, dont nous étudierons plus loin la descendance. - 3° Louis-Fran­çois, dixième et dernier baron. - 4° Gilette-Anne-Françoise, épouse d'Honorat-François-Joseph-Louis de Kersauzon. - 5° François-Gabriel-Marie, capitaine au régiment de Normandie­ (13 avril 1759), tué aux côtés du chevalier d'Assas, le 15 octobre 1760. au combat de Clostercamp, à l'âge de 27 ans et deux mois. - 6° Joseph-Marie-Gabriel, décédé à Tréguier, le 17 janvier 1749, à l'âge de dix-neuf ans. - 7° Anne-Louise, épouse de Jean~Louis-Marie David, sieur de Coëthuon, décédée sans postérité le 14 juillet 1826, et avec laquelle s'éteignit­ le nom des Penmarc'h.

Le 1er mars 1722, François-Gabriel de Penmarc'h est nom­mé, par le Roi, commissaire des haras du département du Léon. Du 1er octobre 1722 au 30 décembre 1741, le Roi convoque neuf fois les états des Pays et duché de Bretagne (2) mais il ne semble que le baron de Penmarc'h (3) ait assisté à d'autre assemblée que celle de Rennes, le 25 novembre 1736.

(1) A cette époque, le revenu de la terre de Penmarc'h est estimé à 5.242 livres 18 sous et 6 deniers.
(2) Nantes (7 décembre 1722), Saint-Brieuc (1O octobre 1726), Rennes (10 septembre 1728), Saint-Brieuc (5 novembre 1730), Rennes (10 sep­tembre 1732, 20 septembre 1734, 25 octobre 1736, 4 octobre 1738 et 30 décembre 1741).
(3) En diverses pièces, et notamment en ces convocations, le comte de Penmarc'h est qualifié de marquis, à tort, croyons-nous d'ailleurs.

Au cours de cette période, notre seigneur dut mener une vie calme et paisible, vendant, louant, héritant à divers titres Actif et charitable, il avait créé, en son château, un embryon de dispensaire, et recevait du subdélégué de Lesneven l'une de ces boîtes que le médecin du Roi, M, Helvétius, confiait chaque année. par l'intermédiaire de l'intendant de Rennes, « aux personnes charitables de chaque subdélégation chargées « de les répandre gratuitement » (1). Il était d'ailleurs aidé dans cette oeuvre charitable par sa mère Anne de Kermen­guy (2).

Le 29 mars 1732, une lettre « de cachet » le nomme com­missaire à la répartition de la capitation de la noblesse de l'évêché de Léon, conjointement avec le sieur de La Tour, conseiller du Roi, maître des requêtes et intendant de justice.

Nous ne possédons point d'autres renseignements sur François-Gabriel, si ce n'est les actes de naissance, de ma­riage ou de décès de la famille. Il mourut le 27 mars 1745, en son hôtel de Tréguier (au haut bout de la rue Saint-André), à l'âge de 60 ans et 3 mois. Sa veuve devait épouser, en 1753 (8 décembre), François-Joseph de Kersauzon, comte du Vieux­-Châtel, veuf en premières noces de Françoise de Lantivy,

II. - LOUIS-FRANÇOIS (1728-1804). - Louis-François de Penmarc'h naquit au château le 22 mai 1728 et fut baptisé à Saint-Frégant le 2 juin suivant.

(1) Le dispensaire de Penmarc'h au XVIIIe siècle (Dépêche du 9 mai 1928).
(2) Nous avons eu la bonne fortune d'obtenir communication d'un intéressant dossier de 1732, conservé aux archives d'Ille-et-Vilaine, qui est justement celui où le comte de Penmarc'h décrit les cures qu'il ob­tint au moyen de l'or potable, notamment dans les fièvres malignes. Il ressort de l'étude de ce dossier que François-Gabriel de Penmarc'h n'était pas l'illuminé que certains ont décrit (Dupuy, Bull. Soc. acad. de Brest, 1885), mais en quelque sorte le titulaire bénévole d'une sorte de dispensaire alimenté par M. Helvétius, aux. frais de la cassette royale.

A la mort de son père, il ne reste que peu de temps sous la tutelle de sa mère et de ses oncles de Belingant et de Kermen­guy; car il est émancipé par lettres du 14 juillet 1745 . A l'en­contre de ses prédécesseurs qui avaient rempli diverses fonc­tions officielles, nous n'avons pas la moindre indication de ce genre pour Louis-François de Penmarc'h.

Nous le trouvons au mariage de sa sœur Renée-Gabrielle­-Guyonne avec Jean-René Huon, sieur de Lesguern (de Tréflé­vénez, célébré à Tréguier le 17 juillet 1748, puis aux obsèques de son jeune frère Joseph-Gabriel, décédé à Tréguier le 17 janvier 1749 (1).

Le 2 février 1750, il épouse (2) Marie-Marthe de Botloy, qui devait mourir sans postérité le 13 octobre 1763. Nous le retrouvons­ le 25 juin 1753 à Cléder, au contrat de mariage de sa mère avec François de Kersauzon et, le 8 décembre suivant, au mariage, en l'église de Saint-Frégant, de sa sœur Gilette­ Anne-Françoise avec Honorat-François de Kersauzon, fils de son nouveau beau-père; à l'encontre des précédents analo­gues (mariages de Penmarc'h-du Parc, septembre 1542, par exemple), il ne semble pas que les deux cérémonies aient été faites simultanément, bien que l'acte de célébration à Cléder n'ait pas été retrouvé.

Puis le 5 novembre 1761 a lieu an château de Penmarc'h le mariage de Jean-Louis David de Coëthuon avec Anne-Louise de Penmarc'h.

Devenu veuf sans enfants, le 13 octobre 1763, Louis-Fran­çois de Penmarch se remariait, le 18 juin 1764, au château de

(1) Il ressort de la plupart des pièces qu'après le décès de son époux, Anne de Belingant était demeurée avec ses enfants mineurs en son hôtel de Tréguier.
(2) Comme nous le disions plus haut, les seuls titres dont se pare Louis-François de Penmarc'h au contrat de mariage sont ceux de mar­quis dudit lieu, sire de Goulven, seigneur de Brendaouez..., ancien banneret de Bretagne.

Kericuff en Pommerit-Jaudy, avec Françoise-Thérèse de Kerguénech qui mourut sans lui donner davantage d'héritiers. Aussi, le 17 avril 1773, contracte-t-il à Tréguier une troisième alliance avec Innocente-Charlotte-Sévère-Louise-Yvonne de Kermel. Ce mariage n'ayant pas été plus heureux que le précédent, le dernier des Penmarc'h dut se résigner à ne point laisser de postérité. Aussi les époux s'attachèrent-ils à de jeu­nes parentes, les demoiselles de Trobriand qui furent élevées au château où l'une d'elles, Louise-Jeanne-Denis de Keredern de Trobriand devait épouser, le 8 février 1791, le comte Der­vieu du Villard (1). Nous avons dit ailleurs comment la jolie Louise de Trobriand sauva son époux du couperet de la guilloti­ne pendant la Terreur (2) et comment, le calme revenu, elle fut l'inspiratrice de son cousin, l'illustre Bolivar (3), pour achever ses jours à Paris, rivale en beauté et en esprit de la célèbre Madame Récamier (4).

Avec la mort d'Anne-Renée de Belingant (13 juillet 1780) avait commencé pour les Penmarc'h l'ère des inventaires, par­tages et transactions qui en peu de temps réduisent par émiet­tement à peu de choses les fortunes les mieux assises; il est vrai que les morts successives qui allaient coup sur coup frapper les derniers descendants d'une race devaient, en quel­ques lustres, permettre un nouveau regroupement entre les mains de quelques survivants.

La Révolution qui survint sur ces entrefaites n'améliora pas les affaires de Louis-François de Penmarc'h ; sans doute défé­rent aux ordres des autorités constituées, « le citoyen et la citoyenne Penmarc'h » obtinrent-ils du conseil général de

(1) Penmarc'h et Trobriand, dans En avant, n° de mars-avril 1930.
(2) Un épisode de la Terreur à Lyon (article inédit).
(3) Bolivar el Libertador et sa jolie cousine (article inédit).
(4) La figure des deux sœurs nous a paru tellement curieuse que, bien qu'elles ne soient que des alliées des Penmarc'h, nous avons cru devoir leur consacrer un court chapitre que l'on trouvera plus loin.

Saint-Frégant un certificat de civisme (1), plus heureux en cela que leur sœur Renée-Gabrielle, veuve du sieur de Lesguern, qui fut arrêtée à Saint-Pol-de-Léon comme suspecte (8 novembre 1794) et ne fut relâchée que le 3 décembre suivant.

Mais leur situation financière devait être des plus critiques, car à la fin de 1798 (27 nivose an VI), ils doivent à un créancier une somme de 21 à 22.000 livres et le renvoient aux calendes grecques. Aussi doivent-ils subir de la part des hommes de loi (Le Jannic de Lesneven, Le Coz de Lannion) un langage qui, tout modéré et déférent qu'il fût dans la forme, n'en eut pas moins causé sous l'ancien régime quelques inconvénients au manant qui l'eût osé tenir (2).

La situation ne dut d'ailleurs pas être des plus faciles à dénouer car il vint encore s'y greffer de nouvelles affaires, telle la succession de Louis-Joseph de ' Guer-Pontcallec, décédé à Paris et dont certains héritiers ne revendiquèrent leur part qu'après être revenus de l'émigration (3) ce qui fit durer la procédure jusqu'en 1803.

Au moment où les affaires allaient enfin être liquidées; Renée-Gabrielle-Guyonne de Penmarc'h décédait à Kerézellec (3 décembre 1803) et son frère Louis-François la suivait dans la tombe à quelques mois d'intervalle (23 février 1804). Avec lui s'éteignit la race des Penmarc'h dont le nom n'était plus désormais

(1) Si nous nous en rapportons a l'état actuel des choses, le conseil général ne se montra pas d'une grande sévérité: quelques écus plus où moins martelés et l'écu aux armes de Penmarc'h et Kermel descellé et enfoui dans une cave, telles sont les preuves de civisme des « citoyens Penmarc'h » (L. Farcy, Le blason des Penmarc'h, dans la Dépêche de Brest, n° du 2 février 1927).
(2) « Croyez-moi, madame, prenez des arrangements avec vos créanciers. « Voici peut-être venu un moment ou chacun doit se mettre en « règle, car si votre pays est aussi mal représenté que le nôtre en général, « on doit frémir ». (Lettre du 14 germinal an VI de M. Le Coz).
(3) Que Nicolas de Kermenguy dépeint de cet euphémisme délicieux: « ses affaires l'ayant appelé ailleurs ».

mais porté que par deux femmes: sa veuve qui devait mourir aux environs de 1820, et sa sœur Anne-Louise, veuve du sieur de Coëthuon, qui s'éteignit le 14 Juillet 1826 .

Ainsi finit la famille de Penmarc'h, qui pendant plus de cinq siècles avait occupé au pays de Léon, voire même à la cour de Bretagne, une brillante situation, et dont le nom restera indis­solublement lié à ce petit coin de terre, puisque, aujourd'hui encore, au prône de la paroisse de Saint-Frégant, le recteur invoque chaque dimanche « ev id tud chentil Penmarc'h », la miséricorde divine.

CHAPITRE VI
Penmarc'h et Trobriand


Le 8 février 1791, le château de Penmarc'h était en fête; le comte Dervieu du Villars épousait en la chapelle du châ­teau Louise-Jeanne-Nicolasse-Marie Denis de Keredern de Trobriand, une délicieuse jeune fille de seize ans à peine, qui apportait sa jeunesse et sa radieuse beauté à un époux plus âgé qu'elle de quarante ans.

Quelle était donc cette famille de Trobriand dont nous voyons l'enfant ainsi fêtée au château de Penmarc'h ?

Les Denis de Trobriand descendent d'une famille irlandaise du XVIe siècle, issue elle-même d'un compagnon de Guillaume le Conquérant. Après la mort du Prince Noir, un Denis s'installa­ en Bretagne et suivit dès lors les vicissitudes de notre malheureuse province jusqu'au jour où le double mariage de la Duchesse Anne l'apporta en apanage à la couronne de France et où celui de sa fille Claude avec François Ier acheva l'absorption du duché.

Les Denis de Trobriand menèrent donc la vie des gentilshommes­ bretons et l'on relève parmi eux des navigateurs et des militaires.

François-Marie Denis de Keredern, chevalier, seigneur de Trobriand, né le 26 avril 1741, était membre de l'ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne lorsque le roi Louis XIV nomma le duc d'Aiguillon gouverneur de notre province.

L'impopularité du nouveau gouverneur amena force in­trigues et conspirations dans lesquelles le chevalier de Tro­briand fut impliqué. Avant que ne parvinssent à Rennes les lettres de cachet qui l'eussent fait embastiller, averti par des personnes amies, il quitta la Bretagne et se réfugia en Espagne,­ préférant la confiscation de ses biens à la perte de sa liberté.

Le 28 février 1762, il y épousait « noble dame Marie-Anna­- Thérésa Massa di Leunda y Aristiguieta » de la province de Guipuscoa, tante du général Bolivar et fille du gouverneur du Venezuela.

C'est ainsi que nous voyons apparaître dans celte histoire la si intéressante figure de Bolivar, le Washington de l'Amérique du Sud, qui devait par la suite entretenir avec sa famille d'Europe, et notamment avec sa jolie cousine, Madame Dervieu de Villars, des relations des plus suivies.

Pour le compte de l'Espagne, Denis de Trobriand commandait un vaisseau dans les mers des Antilles, lorsque naquit en mer (31 août 1769) son fils aîné François, qui fut baptisé deux mois plus tard en la cathédrale de La Havane.

Sur ces entrefaites, la mort de Louis XV lui permit de ren­trer en France où il parvint, malgré un naufrage qui engloutit­ tous ses biens. Néanmoins, la restitution de ses propriétés confisquées lui permit de s'établir de nouveau dans ses terres. C'est à Lezardrieux que naquirent successivement Joseph (23 janvier 1773), Louise (29 juin 1775) et Rosalie (7 mai 1777) (1). Tandis que son aîné François était élevé comme le futur chef de famille, le cadet Joseph fut destiné au clergé et comme tel mis au collège Louis-Le-Grand: c'est ainsi que le 10 aoûl 1792 il fut au nombre des seize jeunes nobles que le peuple insurgé poussait devant lui à l'attaque des Tuileries pour éviter le feu de la garde suisse.

Quant aux deux filles, elles furent envoyées chez une parente­ (a relative, nous dit le texte anglais de l'excellente bio­graphie que Madame Post a consacré à sa famille) (2 ).

Nous pensons que les deux filles suivirent le même sort, bien que Madame Post nous dise seulement que Louise fut élevée au château de Penmarc'h et que Rosalie était pensionnaire­ chez les Ursulines de Lesneven.

L'erreur viendrait, selon nous, du fait que par suite d'une similitude de noms, l'auteur, ayant placé le château de Pen­marc'h sur la pointe du même nom (3), n'a pu songer à éta­blir de relation entre cette région et Lesneven, tandis qu'en faisant état de la situation de notre vieux château, il est des plus vraisemblable que toutes deux ont suivi le cours des Ursulines, tout en restant sous la garde de leur parente, la comtesse de Penmarc'h.

A cette époque, Louis-François, dernier comte de Penmarc'h, avait épousé en troisièmes noces Innocente-Charlotte de Ker­mel, fille de Pierre-François de Kermel, décédé à Tréguier.

Le mariage de Louise était le commencement de la sépara­tion ; nous verrons plus loin comment la jeune épouse d'un

(1) Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir le lieu de nais­sance des deux derniers enfants, Jacques ou Santiago (29 février 1780) et Hélarie, qui eut une si triste fin.
(2) The life and memoirs of comte Regis de Trobriand, major gene­ral in the army of the United States, by his daughler Marie-Caroline Post, New-York, 191O, E. Dutton et Cy.
(3) On the « Poinle de Penmarch » the wildest spet on the wild coast of Brilanny, dit le texte.

trop vieux mari devait lui sauver la vie au cours de la Terreur et comment, le calme revenu, elle fut la rivale en beauté, en même temps que l'amie de la célèbre Madame Récamier. Dans leurs salons nous retrouverons encore le gé­néral Bolivar et toutes les grandes figures de l'époque impé­riale.

Quant à la plus jeune, Rosalie, son sort ne devait pas être moins mouvementé. Chassée de son couvent par la Révolution, elle rejoignit à Paris ses parents, mais sa famille s'étant dispersée sous la Terreur, elle franchit le Rhin gelé pour rejoindre son frère Joseph à l'armée des Princes où elle ne put d'ailleurs rester. Nous verrons comment, trente ans plus tard, un nouvel essai de réunion à ce même frère fut contrarié par la Révolution de 1830. Sans être aussi célèbre que celle de sa sœur, sa beauté n'en avait pas été moins appréciée.

Avec leur départ de Penmarc'h, la joie et la gaieté s'étaient envolées de la vieille maison; la Révolution allait s'abattre sur le pays, amenant son cortège de ravages et de tourments.

Par sa conduite sage et pondérée, le comte de Penmarc'h sut échapper à la mort, mais il ne put réussir à conjurer les conséquences financières de ce cataclysme et durant de lon­gues années encore nous le verrons discuter avec les hommes de loi de Lesneven, de Tréguier et de Lannion, tandis qu'en­levées sans espoir de retour, les jolies nièces poursuivaient leur destin brillant au milieu des fastes du Directoire et de l'époque impériale.

CHAPITRE VII
Penmarc'h au XIXe siècle


La mort de Louis-François de Penmarc'h, le 23 février 1804, allait amener le démembrement complet des biens de la famille d'Innocente de Kermel, qui reçut outre: «la montre et la boëtte­ d'or de son mari » une somme de 6.000 francs, plus une pension annuelle de 4.000 francs « quitte et net d'aucune retenue­ pour cause d'imposition ». L'inventaire général des biens effectué en frimaire an XIV par MM Lebourg, Le Jannic et Miorcet de Kerdanet fit ressortir un revenu annuel de 19.641 livres 13 sols 7 deniers (1).

Le 2 Janvier 1806 fut effectué le partage des biens de Pen­marc'h entre les trois ayant-droits (2), Marie-Gabrielle Huon de Lesguern (3), François-Jonathas de Cresolles, tous deux enfants de Renée-Gabrielle de Penmarc'h et François-Joseph­ Denis de Kersauzon, fils unique de Gilette de Penmarc'h.

Monsieur de Cresolles qui avait déjà hérité de sa tante le manoir de Lesguern en Saint-Frégant avec le moulin , les tail­lis, semis, bois de futaie (partage du 15 mars 1804) reçut dans sa part le château de Penmarc'h et toutes ses dépendances,­ tandis que les archives (ou du moins ce qui avait survécu à l'incendie de 1714) étaient remises à Madame de l'Etang du Rusquec entre les mains de qui elles sont encore au château de Kerézelec (4).

L'intention de M. de Cresolles n'étant pas d'occuper le châ­teau, il consentit à le louer à l'abbé Joachim Le Poulzot qui y installe à Pâques une institution dans laquelle il faut voir l'aî­née, mais non l'origine du collège de Lesneven. Cette institution

(1) Compensés, il est vrai, par un passif de 110.165 livres 17 sols 5 deniers.
(2) Par acte du IX frimaire an XIII, Anne-Louise de Penmarc'h avait cédé ses droits sur l'héritage de son frère à ses neveux pour une rente de 2 000 livres et le paiement de sa part de passif.
(3) La veuve de Mathurin de l'Etang du Rusquec, décédé pendant l'émigration (1792).
(4) Ce nous est une agréable occasion de remercier vivement Madame du Rusquec et son gendre, M. le Dr Hardouin, de la bienveillance avec laquelle ils ont bien voulu accueillir nos demandes de renseignements et nous communiquer de précieux documents.

prospérait, lorsqu'en 1817 l'abbé Le Poulzot, investi de la double confiance de son évêque et de l'Université, reçut la délicate mission de remonter le collège de Quimper, assez mal en point, ce qu'il réussit à merveille en deux années seu­lement (1).

Que devint à cette époque l'institution ? Poursuivit-elle son existence sous un autre directeur ou fut-elle dissoute ? Aucun document ne nous permet de le dire : les archives tant départementales que diocésaines sont muettes à ce sujet. Nous avions pensé retrouver la trace des habitants de Penmarc'h, soit dans les « Ordo » annuels, soit encore dans les rôles de la contribution personnelle mobilière, mais les ordo de cette époque ne portent point l'état du clergé; quant aux rôles de contributions, ils n'ont point été conservés. Nous avons consulté à ce sujet la famille de Montarby: elle n'a pu nous renseigner, mais pense que l'abbé Le Poulzot doit avoir été le seul locataire de M. de Cresolles. Ce dernier, entré à l'école des Pages sous la Restauration, en sortit en 1818 comme pre­mier page du roi Louis XVIII. Il se maria en 1821 à Mlle de Maillard et vint s'installer à Penmarc'h où il habitait une par­tie de l'année, passant les hivers à Nancy dans un hôtel qu'il avait acheté.

Il y reçut entre autres visiteurs le chevalier de Fréminville (2) au cours de son voyage dans le Finistère de 1832.

Lors de l'établissement du cadastre en 1843, le château de Penmarc'h fut cadastré sous le n° 698 de la section B de la

(1) Voir l'excellente étude de G. Pondaven, Le recrutement ecclésiastique­ et les écoles secondaires dans le Léon après la Révolution, dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. XLV (1918), p. 46-115, surtout p. 79-92.
(2) Nous avons signalé (L'incendie du châtean de Penmarc'h...) comment Fréminville nous donne du château une description assez peu exacte, puisqu'il nous le dépeint comme un édifice... bien conservé... avec deux ailes... et à l'extrémité de l'aile droite, une tour ronde.

commune de Saint-Frégant (et désigné comme appartenant à M. de Cresolles habitant Nancy).

A sa mort, sa fille aînée, Armande-Charlolle, épouse du général de Montarby, hérita du lot contenant le château (7 janvier 1876). Le général s'intéressait, paraît-il, vivement au château et y fit d'importantes réparations. Ses fils, qui tous deux occupaient dans l'armée une belle situation, eurent très peu d'occasions d'y aller.

Comme aucun membre de la famille ne désirait en faire sa résidence, les cinq enfants du général décidèrent de se défaire du château à la mort de leur père. C'est, nous dit le commandant de Montarby, avec un profond regret que la famille s'est résignée à vendre cette vieille demeure, mais une habitation­ aussi considérable (1) devient aujourd'hui une lourde charge quand on ne l'habite pas, si on veut point la laisser tomber » (2).

Par acte du 20 avril 1922, la famille de Montarby vendit aux consorts Broch le lot qui jusque là était resté indivis entre les héritiers, mais Broch qui n'avait acheté l'ensemble que pour s'assurer la propriété de la ferme qu'il exploitait et évi­ter son expropriation. ne demanda pas mieux que de céder à la Ville de Brest, par contrat du 9 décembre 1922 , le château

(1) Au moment de la vente le château comprenait au rez-de-chaussée : salle de billard, salon, salle à manger et lingerie et, dans l'aile, la cuisine­ et une remise ; au premier étage, 4 chambres dans le bâtiment prin­cipal, une bibliothèque et deux chambres dans l'aile, le tout flanqué d'un hangar, de la chapelle et d'une remise à gauche et précédé de la tour ronde à l'avant de l'aile droite disparue.
(2) Ce qui restait d'archives anciennes (par exemple une généalogie des Penmarc'h fort curieuse) ou modernes fut emporté par M. le com­mandant de Montarby en son château de Dommartin-sur-Meuse, si bien qu'il ne nous a pas été possible d'en obtenir communication ni inven­taire détaillé.

et un certain nombre de dépendances, notamment la pelouse et l'allée menant à la route de Lesneven et le petit bois dit Coat Gariolen, au midi du château, ainsi que la pelouse et le jardin muré sis au nord du bâtiment.

Désormais l'antique château des seigneurs de Penmarc'h sert d'école de plein air aux petits Brestois faibles ou conva­lescents. La Ville de Brest y a installé tout le confort dont est susceptible cette vieille demeure, mais en prenant bien soin d'en respecter scrupuleusement la physionomie extérieure et même certains aménagements intérieurs, répondant ainsi aux craintes qu'avait manifesté la Société archéologique en sa séance du 26 octobre 1923.

Le grand corps de bâtiment accosté au donjon carré qui surplombe l'ensemble et flanqué de l'aile droite, également respectée par le temps, présente au visiteur un ensemble imposant avec ses larges fenêtres aujourd'hui privées de leurs de leurs meneaux et ses lucarnes sculptées avec une délicatesse extrême.

A l'extrémité de cette aile, une chapelle plus basse et sans grand caractère et un appentis qui servait de hangar, font face au pavillon fortifié qui terminait l'aile gauche.

Les écussons et autres particularités archéologiques susceptibles d'intéresser le visiteur sont signalés par de courtes notices; l'autel aux armes de Kerguz et Gouzillon, sorti de la chapelle, devenue salle de récréation, a été redressé à proxi­mité et, sur la pelouse centrale, le double blason de Penmarc'h et Kermel, retrouvé dans les fouilles de la tour ronde, accueille le visiteur.

Quant au pavillon fortifié, seul reste de l'aile incendiée en 1715, il abrite la famille du métayer, dont les produits alimentent­ la colonie en légumes, en lait et en beurre, et contri­buent ainsi à améliorer le régime des petits Brestois et des pupilles de l'œuvre Grancher.

L. FARCY