Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères
Société Archéologique du Finistère - SAF 1929 tome 56 - Pages 73 à 78
Johannes Spinae, et son distique
en moyen-breton
Par une lettre datée du 14 septembre dernier, M. l'abbé
V. Leroquais, du clergé de Paris. me soumettait quatre lignes
en moyen-breton qu'il avait relevées au bas d'un feuillet du
ms. latin L294, de la Bibliothèque Nationale, avec photogra
phie du feuillet à l'appui. ( ( C'est, me disait-il, un bréviaire
de Paris qui a été copié en 1472 par un certain Johannes
Spinae. du diocèse de Quimper, pour maître Guillaume Goar
det, du même diocèse». M. l'abbé V. Leroquais prépare, en
ce moment, un Catalogue des bréviaires manuscrits des Bi
bliothèques publiques de France et désirait naturellement
être fixé sur le sens de ce quatre lignes qu'il croyait inédites.
Je lui répondis qu'il s'agissait de quatre vers en moyen-breton,
que je ne les croyais pas inédits et que je m'en assurerais
dès ma rentrée à Paris (j'étais alors dans un village au fond
du Golfe du Morbihan).
Aussitôt de retour à Paris, je n'eus pas de peine, en feuil
letant le Glossaire moyen-brelon d'Ernault, à retrouver le
distique et toutes les indications utiles à ce sujet. Je lis au
mot quarter, p. 523, auquel il y avait un renvoi à spernen,
M. de La Villemarqué a cru trouver le singulier de ce mot
al' qaataeroa, les Quatre·temps. Doctrinal al' ( hristenien,
Avn' siècle, sous la forme couluer dan s des vers datés de [472
(Bibl. nal. ms. 1294 de l'ancien fonds latin) qu'il a publiés
(Bulletin de la Sociéle archéologique da Finistère, t. v, [12) :
Gruet eu tom hep chom an coutïi
Goude dilan an suzun guen
Breman ez guellet guelet scler
Na guea quet ter mab an spernen
et dont il a proposé, p. 44, la traduction suivante : « Ce
volume a été fait (ou ache\'é) sa ns omission des Quatre-Temps,
après le lundi de la semaine des Rogations, A présent vous
pouvez bien voir si le fils de l'Epine est expéditif !l .
M, E . Ernault rectifie judicieusement la lecture el la tra
ducti on. « C'est.là un distique, fait il remarquer. et non un
quatrain: coulu doit rimer avec dilun et suzun, comme scier
rime avec leI' et sper-nen. De plus, hep chom n'est connu
qu'au sens de sans s'arrêter; enfin, à l'avant-dernière syl
labe du premier hémistiche on attend une rime en om (Cf.
Dict . Elym. v. barn). Je suppose que coutïi eSl mal lu pour
comü., c'es t-à-dire comun, et que la première ligne signifie
li tt.: « le lome du commun (i. e., ce vol u me de l'office ordi
naire' cette partie du bréviaire) a été faite sans interruption , ).
N'étant pas sûr de la lecture de la fin des premiers vers,
j'avais envoyé, entre temps, la phOtographie du feuillet en
question à M. Waquet, archiviste du département du Finis
tère. Il lut sans peine hep chom, mais hésita sur la lecture du
dernier mot et pensa que ce devait être quelque chose com
me commam. En tout cas, ajoutait-il, l'abréviation ne rem
place là que des jambages (m ou n). à moins qu'il n'y ait
suspension pour une finale en el'. C'est, j e pense, ce qu'avait
supposé M. de La Villemarqué, d'après une copie de Natalis
d~ Wailly.
Le jour même (20 septembre) où m'écrivait M. Waque't, je
recevais de lui une seconde leUre dans laqnelle il m'appre-
nait qu'en feuilletant la table du Bulletin de la Société archéo
logique du Finistère il y avait relevé L'Epine (Jean de) , avec
renvoi au tome v . 1877-78 ), p . L p-45. M. Waquet y trouvait
ce qu'avait relevé Ernault.
M. Waquet y ajoutait un renseignement intéressant:
« Le Men , dan s sa Monographie de la Cathédrale de Quimper,
signale un Y. an Spernen, relieur à Quimper en 1468 » . Je
venais d'informer M. Waq uet. quand je reçus sa lettre, de la
publication des quatre vers par E. Ernault.
J'ai reçu depuis un supplément de renseignements de M.
l'abbé Leroquais.
Le bréviaire est un manuscrit de 420 feuillets à deux
colonnes, petit format (167 sur 120 m /m), aucune miniature,
demi-reliure moderne en chagrin rouge au chiffl'e de Loui s Philippe.
Il ya au foli o 415 v· deux noles intéressantes: cc Explicit
hoc totUnt. Pro Christo da mihi potum . ). Anno MCCCCLXXII.
Per Johannem Spine.
Explicit proprium sanctorum pro mar;islro Guillermo
Goardet, dyocesis Cornnbiensis, per Johannem S[line, Coriso
piti, ejusdem dyocesis civitatis, XXIIl, iunü, anno 1472 ( 1) .
Le distique se trouve à la fin du Commun des Saints, vers
le milieu du volume, au folio Ig8. On lit avant les vers. à la
fi n du folio : hic liber e (st) magistri Cuillelmi Goardel. Le
copiste avait intercalé dans le bréviaire un certain nombre
d'offices bretons, notamment ceux de saint Corentin, saint
Yves et saint Turiaf.
Il n'y avait à hésiter, en s'en tenant aux lettres du manus-
(i ) Ici se termine 1 0 tout, au nom du Christ donne-moi à boire.
Annf~ 14,72. pR r .Jean (.Iehan ) de L'Epine. Ici se termine le propre
des saiols pour maître Guillaume Goardet, du diocèse de Cornouaille,
par JeiJll de l'Epine, il Corisopitum (Quimper ), ville Ju meUle diocèse,
crit ou de sa photographie, que sur "la lecture du dernier
mot du premier vers. On pouvait avoir q uelque doute sur
l'initiale du premier mot, comme me l'a fait remarquer M.
Waqu et, mais le sens exige un G. Pour le dernier mot. Ern ault
se fondant sur les lois de la métrique du moyen-breton qu'il
avait exposées dans l'Introduction de son Dictionnaire étym o
logique du moyen -brelan, n'a pas h ésité, avec raison, à lire
comun, qu'iL faudrait, d'après l'indication de M. Waquet,
plutôt lire : commun.
Dans les trois volu mes que j'ai fait paraître sur La métrique
galloise depuis les plus anciens textes jusqu'à nos jours (1900-
190 2) , j 'ai consacré le chapitre Il du livre lII, p. [77 et suiv.
(tome III), à la métriqu e du moyen-breton dont j e m'étais
déjà occupé dans la Revue Celtique, 1900 , p. 2 0 2 et suivantes.
J'ai comparé la métrique du moyen-breton à la métriqu e du
comique, du gallois et de l'irlandais. et pu en retrouver l'ori
gine. Cette métriqu e a une impor tance r éelle beaucoup plu s
grande qu'on ne l'avait cru : elle remonte dans ses tra its
principaux à l'unité des Bretons d'Armoriq ue et de Grande Bretagne.
J'ai résumé les trois lois, d'ailleurs exactes, données par
E rn ault pour la m étrique du moyen-breton, e l! une seule qu e
voici: dans le vers moyen-breton la pénultième du mot final
, ime (ou assonne) toujours avec la coupe principale du vers
quand il n'y a qu'une cés l:. re el (a u moins anciennement) avec
les deux coupes, s'il y en a deux; il peut y avoir d'autres
rimes internes .
Voici la lecture du distique qu'il faut adopter; j e souligne
par deux traits les syllabes rimant ou assonnant à l'intériem
du vers et par un seul la rime fin ale :
Gruet eu tom hep chom an comun
Goude dilun an suzun g uen
Breman ez g uellet g uelet scier
Je traduis:
Est achevé rapidement sans arrêt le commun,
Après le lundi de la semaine blanche,
Maintenant vous pouvez voir clairement
S'il n'est pas vif le fils de L'Epin e.
Je ne crois pas qu'on puisse traduire tom par volume; tom,
cbaud, a en breton-moyen, souvent la forme plus ancienne,
toem, chaud (haut vannetais, tuem ; gallois, twym ). 70m me
paraît avoir ici un sens adverbial: chaudement: cf. l'expres
sion actuelle: var an tom, sur-le-champ (tout chaud).
Les dates indiquées m'embarrassant, ainsi que l'expression
commun; j'ai eu de nouveau recours à la science de M. l'abbé
V. Leroquais. La date des Rogations me paraissait ne pas
s'accorder avec celle du 23 juin, donnée pour l'achèvement
du propre des saints, donnée également par le scribe. Les ex plications fort claires de M. l'abbé V. Leroquais m'ont tiré
d'embarras. « En 1472, m'écrit-il, date de la transcription du
bréviaire, Pâques tombait le 29 mars et le lundi des Roga- .
tions, le 4 mai. Notre copiste a donc achevé le commun des
saints (fol. J 79 à 198), le lundi de la semaine blanche: le 4
mai. Et il a terminé le propre des saints (du fol. :l35 à 415)
le 23 juin. cinquante jours après exactement ».
« Les deux expressions Explicit hoc tolum et Explicit pro
priam sanctorum, s'expliquent par le fait que, dans notre
bréviaire, c'est le propre des sai/its qui termine le volume (les
folios 417 à 420 sont d 'une autre écriture et ont été ajoutés»).
On voit que l'achèvement du Commun n'est nullement
l'achèvement du volume et qu'il faut donner à tom un autre
sens. Ce sens. d'ailleurs extrêmement rare et, je crois, mo
derne, ne pourrait convenir qu'au bréviaire entier qui n'a
été achevé que le 23 juin.
L'expression hoc totum (Explicit) s'explique, d'après M.
l'abbé V. Leroquais, par le fait que le ms . latin 1294 est un
beaucol:lp de bréviaires manuscrits ou imprimés en deux vo
lu mes: 1. Pars hiemalis. - II . Pars œstivalis.
L'orthographe est celle du moyen-brelon que j'ai exposée
en détai! dan s ma ( hreslomathie brelonne. Dans eu (est) u a
la valeur de ou français (eu . nag eu). On trouve déjà eo,
form e actuelle. Gu a deux. valeurs : g dur simple dans guellet
(infinitif galloul) et gü . plus anciennemen t gw : gwen, blanc,
blanche ; gallois gwynn, féminin gwenn ; vieux cellique
vindo-s, féminin vindâ: c'est la valeur de gu dans guelet,
vieu x -cel tique welet-.
Ter a le sens fréquent de prompt à la colère.
Goude, après, indique ici que c'était chose faite après le
lundi, une fois le lundi passé.
An suzun guen, aujourd'hui, en léonard et trégorrois : ar
sizun wenn , se traduit par semaine blanche ; maisÏl ne faut
pas oublier que gwenn, comme le gallois gwynn, l'irlandais
find, a aussi le sens de bienheureux , saint, béni. Sizun wenn
peut dOl iC signifier: semaine bénie : cf. gallois su/gwynn,
dimanche blanc, le dimancbe de la Pentecôte.
106
DEUXIEME PARTI'E
Table des Mémoires publiés en 1929
PAGES
1. La descente des émigrés et chouans à Névez, en.
me&sidor an III, par J. SA YINA. , . .
II. Le Finistère dans l'histoire et dans l'art, par H.
WAQUET ......
IlL La Milice garde-côte, par l'abbé J. TOULEMONT .. J8
IV. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de la
du Finistère Révolu tion dans le département
(suite), par D. BERNARD . , . . . .
V. Le scribe quimpérois du Xy' siècle, J ohannf)S
Spinae et son distique en moyen-breton par
J. L OTH . . . . . . . . . . . . . .
Notice sur deux statues représentant saint
et saint Roch, par V. COR~llER . . . . .
Mélar
VII. Extraits des comptes des miseurs de Quimper,
publiés par R. COUE'FON et H. W.. . . . . .. 83'