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Société Archéologique du Finistère - SAF 1929 tome 56 - Pages 38 à 43
La milice garde-côte (T) fut organisée pour la défense des
côtes de Bretagne par les ordonnances de la Marine de 1678 et
de 1681. Elle devait se recruter dans les paroisses situées sur
le bord de la mer ou à deux lieues dans les terres . Quatre
cent cinquante paroisses de Bretagne y étaient astreintes, et,
parmi elles, les trois quarts des paroisses du Finistère actuel,
qui fournissaient un contingent formé de tous les hommes
valides de 18 à 60 ans.
Que pouvait-on tirer d'une telle cohue de paysans à peine
instruits sur place par un jour d'exercice par mois ~ Il fallut
bien vite 80nger à une sélection des hommes soumis à la
milice. Les règlements de 17 [6 et de 1756 eurent ce but. Ils
laissèrent à la masse les corvées et les gros travaux et mirent
à part les meilleur~ soldats de chaque paroisse. Ceux-ci, plus
propres au maniement des armes , plus exercés, mieux ins
truits, formèrent des compagnies franches de 100 fusiliers
avec un drapeau et un tambour, parfois remplacé par un
biniou. En 1756, le Duc d'Aiguillon fixa le contingent de la
province à 10 .000 hommes choisis par le tirage au sort (2).
On serait peut-être tenté de croire que tous les hommes
soumis à la milice étaient aussi soumis au tirage au sort. En
le croyant, on oublierait les nombreuses exemptions admises
par les règlements royaux, tant pour la milice territoriale que
pour la milice garde-côte. Il y avait des exemptions en faveur
de la noblesse, des charges publiques, des professions libé-
(:1.) Bibliographie complèle dans l'Inventaire des Archives du Finis
tère, Tome Ill. Fonds des Amirautés de Morlaix et Je Quimper par
MM. Lemoine et de La Ragerie. Introduction p. XXVIl, noie 4.
(2) Ibid. p. XL.
raIes, des manufactures, du commerce et de l'agriculture, à
tel point que (( à peu près seuls, les gens qui vivent d'un tra
vail manuel et journalier, les ouvriers des villes et des cam
pagnes, les petits artisans, les petits cultivateurs, les petits
employés demeuraient assujettis à la milice» (1).
Et ceux-ci cherchaient à être exemptés eux-aussi pour des
raisons plus ou moins valables , tel ce sieur Thomas de
Plouzané qui acheta un vieux cheval entier, qui ne servait
plus à rien et dont personne ne voulait, fit exempter son fils
aîné comme garde du prétendu étalon et voulut faire exemp
ter son cadet « sous prétexte qu'il aidait son frère dans l'exer
cice de ses fonctions » (2)
Mais l'intendant et ses subdélégués veillaient. Tous les ans,
dans chaque paroisse, les états des hommes soumis à la mi
lice étaient dressés par une commission choisie par le général
de la paroisse. Les états étaient remis au subdélégué le plus
voisin et celui-ci, conformément aux ordres reçus de l'inten-'
dant de Rennes, établissait les états définitifs des exemptés
avec les motifs d'exemption, de ceux qui tiraient au sort avec
le billet tiré. Le billet blanc exemptait; le billet noir au
contraire obligeait à servir.
Nous avons trouvé aux. archives du Finistère (Série E, fonds
Barbier de Lescoët) les états dressés en I786 par le subdélé
gué de Landerneau pour la paroisse de Ploudaniel.
Ploudaniel s'étendait à cette date au delà de ses limites ac
tuelles et comprenait les trêves de Saint-Méen et de Tré
maouézan avec une population de 4 à 5000 âmes. Elle était
comprise dans la capitainerie ( 1) de L'Aberwrac'h (la Ile)
avec vingt autres paroisses, dont Lannilis, Plouguerneau,
Kernilis, Trégarantec, Guicqueleau, Plounéventer, Plouné
vez, Lanhouarneau.
(1) Antoine Dupuy. Etudes sur l'administration municipale en Bre·
gn~, p, 246 el 254,.
Comme elle était très peuplée. son contingent semblait de
voir être assez fort. Et, de fait, les trois états du subdélégué
portent sur 25 1 noms. Mais, sur ce chilTre, 16 seulement
furent astreints a u tirage au sort . soit 6 % ' tandis que :l 'l5
étaient exemptés pour des motifs divers .
Le motif qui a eu le plus de succès étonne un peu. Il porte
sur la taille req uise : 5 pieds (1 m. 62) (2 1. Or. 157 jeunes
hommes ou veufs de la paroisse ont profité de l'exemption.
Etaient-ils donc tous si p eu avantagés de ce côté? Peut-être .
Six d'entre eux, plu s prudents ou plu s habiles que les autres,
ont su faire valoir ce premier motif et y ont ajouté un second.
Il était sans doute utile d'avoir plus d'un tour dans son sac
et de faire flèche de tou t bois.
Le deuxième état ne comporte, lui, que 84 noms, y compris
les 6 '" malins" : petits de taille, inscrits sur l'état précédent
et qu e l'on retrouve ici avec de nouveaux motifs d'exemption.
Les 84 garçons ou " eufs sans enfants de cette liste ont fait
valoir des raisons très diverses. L'un n'a pas l'âge requis,
l'autre est trop vieux , vieilli peut·être avant l'heure; cr lui-ci
n'a jamais mangé de viande, celui-là a son frère milicien, cet
autre est le frère d'nn collecteur du vingtième. Trois sont
infirmiers d'hôpital au F olgoa t, un, dom estiqu e des Ursu
lÎnes de Lesneven, un autre, au service de M. Chauteausin,
do uze ~ont soutiens de famill e ou fils de veuve ou de parents
infirmes:
Ajoutez·y un gardien dan s le p ort de Brest, deux chefs de
m énage, huit fils de ménagers, un fil s de fabricant de toile,
deux valets de fabricant de toile, deux valets de fabricants,
cela vous donne 3. '1 exemptés par quinze motifs divers. Reste
46 autres, exemptés eux aussi, mais comme valets; les uns,
comme maîtres-valets, d'autres, comme valets de moulin ou
(i ) La Bretagne comprenait 29 capitaineries. Cf. Inventaire, p. H3.
valets de ferIlle considérable Pour ,8 d'entre eux, la valeur
de la ferme est indiquée: 9 vont de 200 à 300 livres, 6 de 300
à 400 livres, 1 vaut 400 livres et 2, 450. L'indication de ces
chiffres se comprend aisément quand on sait que les , gros
laboureurs ou fermiers, leurs fils ou valets, les garçons ayant
charrue ou exploitant une ferme de 300 livres étaient exempts
en '701 de la milice territoriale. Pour la milice garde -côte,
on était encore moins exigeant, puisque des fermes de 200
livres faisaient exclure du tirage au sort.
En résumé 235 exemptés : 151 pour défaut de taille,
78 pour 16 autres motifs, 6 pour 2 raisons: défaut de taille et
condition de valets de grande ferme .
Le dernier état, qui porte le titre général" reconnus pro-
pres à tirer au sort ", n'a que 16 noms , soit 6 °1. du total
de 25 I. Trois ont tiré un billet blanc et sont donc exemptés,
deux ont eu un billet: soldat provincial, onze ont eu le
billet noir et sont astreints à entrer dans les compagnies fran
ches de la milice garde- côte. Les paroissiens de Ploudaniel
n'étaient vraiment pas maltraité!' par le recrutement de la
milice provinciale et de la mil~ce garde-côte. Aussi se
gardèrent-ils bien de s'en plaindre dans leur cahier de do
léances aux Etats Généraux de '789.
Et dire que de nombreux cahiers de Haute et de Basse
Bretagne s'élevèrent avec violence contre la milice qui sem
blait a'lors à plusieurs une charge intolérable (1). Ploudani el
et beaucoup de paroisses
article. Peu t-être leu rs
bonheur!
du Léon surent se taire wr cet
habitants connaissaient-ils leur
Les miliciens ainsi recru tés furent mieux instruits et ren
dirent plus de service que l'immense cohue des gc .000 hom
mes astreints à la garde des côtes. La réforme du duc
(i) Les modèles de cahier qui circulèrent dans la province ont dû .y
contribuer. Cf. Sée et Lesor!, Cahiers de Doléances de la Sénéchuussée
de Rennes, Torne l, p. LXXIII, LXXVI, LXXVllI .
cl' Aiguillon eut donc d'excellents résultats. Nous en trouvons
d'ailleurs une preuve dans le rapport fourni au Ministre de la
Guerre en août 1766 , par le com te de La Noue, inspecteur
général des milices , au retou r de ses courses su r le littoral ( 1) :
« Je rends justice à nn corps de bons et braves offi ciers et à
des soldats remplis de bonne volonté, avec lesquels je ne crain
drais pas de marcher à l'ennemi: les paroisses qui fournis
sent ces milices sont pour ainsi dire disciplinées et très peu
sujettes à l'ivrognerie et à la contrebande n.
Le rapport de l'Inspecteur général donnait ensuite quelques
observations sur l'état des capitaineries, sur le caractère 'géné~
raI de la population :
Quimperlé: assez belle, peu propre, mais obéissante et
docile.
Quimper: population élevée, belle, propre et docile.
Pont- Croix (A udierne) : population élevée, belle, propre
et facile à conduire.
Crozon: population belle et élevée, pour la plupart des
paroisses, mais sauvage et maussade.
Saint-Renan: population belle, élevée, riche, mais mu tine,
indocile et arrogante par la communication avec le port de
Brest.
Lesneven: La population n'est pas élevée, mais bien faite,
propre et docile.
Saint-Pol: La population est de grande beauté, élevée, bien
faite, propre, leste et docile (2) .
La suite du rapport de l'inspecteur général indiquait avec
précision l'état des bataillons. Deux marchent médiocrement,
sont mal exercés et peu ou point disciplinés. Ce son t ceux de
Crozon et de Saint-Renan. Trois autres reçoivent la note bien
(i ) Ch. de Calan, La Milice garde-côte dans Revue de Bretagne, de
Vendée et d'Anjou, t. VI, 1.891, p. 460, d'après Archives Nationales,
H. 54,9.
(2) Ibid, p. 46i.
pour la tenue, la discipline et l'exercice (Quimperlé, Qnim
pel' et Pont-Croix) ; celui de Quimperlé a fait de grands pro
grès dans le ton militaire. Saint-Pol marche très bien et est
très bien exercé. Lesneven est ro.ngé dans l'élite; il est singu
lièrement exercé et discipliné et fait journellement des
progrès (1).
Aussi la conclusion du rapport était-elle très favorable et à
la troupe et à ses officiers: « Souffrez que je les mette sous
votre protection pour leur faire obtenir les grâces que les offi-
ciers méritent par leur zèle, leur intelligence à exercer, for
mer et di scipliner des nationaux qui seraient d'une grande
utilité en temps de guerre et qui maintiennent en bon ordre
les côtes en temps de paix Il.
Abbé J. TOULEMONT.
(i) Ibid., pp. 462 et 463.
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DEUXIEME PARTI'E
Table des Mémoires publiés en 1929
PAGES
1. La descente des émigrés et chouans à Névez, en.
me&sidor an III, par J. SA YINA. , . .
II. Le Finistère dans l'histoire et dans l'art, par H.
WAQUET ......
IlL La Milice garde-côte, par l'abbé J. TOULEMONT .. J8
IV. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de la
du Finistère Révolu tion dans le département
(suite), par D. BERNARD . , . . . .
V. Le scribe quimpérois du Xy' siècle, J ohannf)S
Spinae et son distique en moyen-breton par
J. L OTH . . . . . . . . . . . . . .
Notice sur deux statues représentant saint
et saint Roch, par V. COR~llER . . . . .
Mélar
VII. Extraits des comptes des miseurs de Quimper,
publiés par R. COUE'FON et H. W.. . . . . .. 83'