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Société Archéologique du Finistère - SAF 1928 tome 55 - Pages 109 à 114
De que ques ints intéressants de nos oôtes
Dinan, Lostmarc'h et Lesteven en Crozon
Bien des points de nos côtes attirent l'attention par les
traces encore visibles de leur occupation par les populations
de la préhistoire.
Ce sont généralement des falaises à pic ou des ' presqu'îles
assurant aux occupants une fuite possible par mer en cas de
forcement.
Je citerai dans la baie de Landévennec la presqu'île du
Bendy, barrée par une forte levée .de terre, l'ouvrage dit
Ar c'haslel à la pointe de Saint-Jean en Logonna-Daoulas, pro
tégé par un fossé large et profond, la presqu'île de Laber et
la pointe de Saint-Emot dans la baie de Morgat, etc ...
Si, prenan t la rou te de Crozon à Camaret, on la quitte à la
hauteur de l'anse de Kerloc'h pour suivre la direction du
sud vers le cap de la Chèvre, on rencontre successivemen t
trois pointes qui portent en breton la dénomination de cas
tels, c'est à-dire d'ouvrages fortifiés ou retranchements.,
La première est celle de Dinan qui doit cette appellation,
non pas, comme on le dit assez souvent, à ce que, rattachée à
la terre ferme par une arche naturelle et couronnée de sommets
ressemblant à des tours démantelées, elle a de loin l'aspect
d'une citadelle en ruines, mais bien parce qu'aux époques re
culées) elle a servi de refuge et de défense aux populations
avoisinantes.
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Dans tous les pays celtiques le mot dinan a le sens de col-
. line, ou hauteurfortifiée et le terme de casteZ, qu'on lui applique
toujours, serait ici une superfétation, s'il ne servait à distin
guer le lieu fortifié du lieu habité, c'est-à-dire du village, qui
en est peut-être distant d'un kilomètre
Les hommes qui, en cas d'alerte, se réfugiaient sur cette
roche isolée et si facile à défendre, étaient sans aucun doute
ceux qui ont élevé sur la falaise qui la domine le dolmen si
gnalé par M. Du Châtellier, lp.s hommes de l'époque néoli
thique.
La seconde pointe est celle de Lostmarc'h, où vient aboutir
un alignement mégalithique encore cam posé de sept ou huit
menhirs et où on remarque, autour des ruines d'un poste de
dÇluane, quelques supports d'anciens 'dolmens que M. Du
Châtellier signale comme un cromlec'h sur sa carte des monu
ments mégalithiques du Finistère. Un double fossé avec
levées de terre défend cette enceinte comme à Castel-Beuzec,
dans le Cap-Sizun.
La troisième pointe. est celle que désigne la carte du
Ministère de l'Intérieur, sous le nom de Kerdra, altération
évidente de Kerdreux, village assez peu distant dans la direc
tion du Sud. Les anciens du pays l'appellent pointe de
Castel-an-Enesic ou de Castel-Lesteven, du nom du hameau
qui surplo/Ilbe la dune. Cette pointe sépare en deux la belle
'plage dite Ar-ganaot (can aot, la blanche rive), dont le sable
calcaire fin et léger est constamment le jouet des vents. Vers
1854, après une longue sécheresse, un vent violent du
Nord·Ouest ayant soulevé brusquement les sables, ceux-ci
laissèrent à découvert de nombreux ossements humains, dont
un grand nombre intacts et bien rangés. Pour prévenir une
nouvelle catastrophe, l'administration des Eaux , et Forêts fit
des travaux de défense et de nombreuses plantations qui, en
peu de temps, transformèrent ce désert en véritable forêt.
III
M. Bourassin relate cet évènement. Je ne le suivrai pas dans
ses commentaires et me contenterai de rapporter ce que, pour
ma part, j'ai vu dans ma jeunesse, avant que tout fût en
vahi par la végétation.
A l'est de la pointe s'élevait une esplanade pouvant mesu
rer cent-vingt à cent-trente pas de long sur un peu moins
de large, bordée de terrassements auxquels faisaient suite des
substructions, où se remarquaient des pans de murs bien ma- .
çonnés. J'y recueillis des tuiles à rebord, des fragments de
poterie samienne, dont l'un représentait en relief une jambe
d'athlète, un énorme clou en fer forgé à large tête et un an
neau également en fer ayant probablement appartenu à une
penture de porte. D'autre part, le garde me fit voir, cachée
sous une touffe de genêts, une tête de bélier en terre cuite
qu'il avait trouvée dans une terrine en terre rouge recouverte
d'une pierre plate. Cette pièce devait être une tête de chenet.
Le garde l'avait promise à une notabilité de Crozon, qui
devait l'envoyer au musée de Quimper, mais je n'ai jamais
eu l'heur de l'y revoir.
A une centaine de mètres de là. sur une superficie d'un
hectare, le sol était jonché de débris d'ossements humains
dont quelques-uns d'enfants. Le long d'un sentier sous bois,
une dalle en schiste de quatre-vingt centimètres de diamètre,
environ, découverte par le garde, recouvrait une fosse com
mune dont un crâne, mensuré par le docteur A. Corre de
Brest, est conservé au musée de Pors-Carn.
Plus loin, dans la partie en bordure du vallonnet de Lost
marc'h; même affiuence d'ossements, mais uniquement d'os
sements d'animaux de boucherie et notamment de moutons,
facilement remarquables aux cornes.
A l'Ouest, dans une dépression de terrain à l'abri des vents
de la mer, se voyaient des trous pleins de cendres et de débris
de charbon avec de nombreux fragments de poterie grise à
grains de mica et de quartz. Des pierres disposées autour sem-
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blaient avoir servi d'assises et étaient entourées d'amoncel
lements de coquillages où dominaient les patelles.
A peu de distance, sur une légère élévation, base probable
d'un tumulus rasé par les tempêtes, des pierres tout au
plus grosses comme des pavés, distantes les unes des autres
de quelques centimètres, dessinaient des cavités où reposait
un squelette.
Les débris de poterie samienne et deux petits bronzes trou
vés sur l'esplanade même du castel altestent indiscutablement
l'existence d'un poste romain, avec défense militaire et villa de
colons. Ces deux bronzes portent, l'un sur la face: Helena
Augusta et au revers: securitas . .. , l'autre: imp. Posthumus
div. Auguslus et, au revers, une déesse debout avec la devise:
pax aucla. Quant aux sépultures à encadrements de pierres et
aux cendriers entourés de débris de cuisine, on ne peut les
attribuer qu'aux populations qui ont précédé les Romains.
Lors de la catastrophe qui bouleversa ces dunes, on se sou
vint d'une tradition selon laquelle la population de ce quar
tier était anciennement plus importante que de nos jours et
qu'elle possédait un sancluaire agrémenté d'une source abon
danle. mais, faute de précisions, on n'accordait pas grand
crédit à ce racontage.
Cependant, en 1906, une longue sécheresse ayant fait tarir
les puits, on songea à rechercher la fontaine mystérieuse.
Autorisé par son administration et guidé par une vénérable
femme de Lostmarc'h, tenace dans ses idées, le garde fit des
sondages. A l'endroit indiqué, il trouva un très appréciable
filet d'eau courante et, encouragé par un résultat aussi pro
bant, il agrandit le champ de ses recherches. Il mit alors àjour
un soubassemen t de cal vaire, un tronçon de fût de croix et
un Christ accompagné de personnages. Enfin. remontant le
cours de l'eau, il finit par atteindre un édicule en pierre avec
voûte, constituant la fontaine sacrée. Le but du garde étant
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n'a pas encore été retrouvée, on ne peut plus contester la
véracité de la tradition.
Le soubassement et le fût de croix ont été abandonnés sur
place et le Christ transporté au village· de La Palue. Très ar-
chaïque et actuellement tout recouvert de mousse, il n'est pas
facile à bien examiner. Il mesure soixante· quinze centimètres
de hauteur; il se trouve adossé à un personnage qui passe
pour être un saint Jean et accôlé de deux saintes femmes.
Il mériterait d'être mis en lieu sûr et abrité.
On est frappé de l'analogie de cette région: Lesteven, La
Palue, Lostmarc'h, avec celle qui s'étend en bordure de
l'anse de la Torche: Saint-Urnel, Kervédal, Tronoën. lei
comme là, on retrouve encore les traces de toutes les popu
lations qui s'y sont succédé depuis les origines les plus loin-
tames Jusqu a nos Jours.
La fixation des populations primitives s'explique par la
proximité de la mer et la facilité de la vie et de la défense.
A la chute de l'empire romain, quand les pirates saxons rava
gèrent les côtes armoricaines, quel fut le sort de cette villa,
de sa défense, de ses colons? Evidemment une ruine violente,
complète, qui ful suivie, pour tout le pays, d'une longue,
très longue et affreuse misère; mais il n'est pas déraisonnable
de penser qu'au VI" siècle, à l'arrivée des immigrés de Grande Bretagne, un petit chef de clan trouva la position bonne, la
fit sienne, y établit son tez, sa cour (Lez-Teven cour, j u ridic
tion de la dune) et qu'il s'en suivit pour cet îlot de bonnes
terres, dominé par des plateaux arides, une ère de prospérité
qui se poursuivit jusqu'à l'époque médiévale.
Je dois noter encore la découverte de deux cachettes de
médailles romaines en argen t, l'une au village de Perros, au
dessus du marais de Kedoc'h, en 1868, el l'autre à Lezquifinec
au Sud du bourg, en 1865, en faisant remarquer qu'ici encore
un lez breton a succédé à un établissement romain.
Le dépôt de Perros, conservé daJ.ls un vase en terre, fut
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vendu clandestinement à des inconnus. Cependant le juge de
paix M. Le Men réussit à s'en procurer cinq, qu'il m'a laissées
et dont voici les inscriptions:
I. TRAJAN. Face: Imp., Caes, Nerva, Trajan, aug., germ.
(tête laurée) (YB à 117). R . : Pont, Max, Treot, cos. II
(Au milieu, une déesse adossée à un trophée).
2. VÉRUS. Face: Divus Verus (Collègue et frère adoptif de
Marc-Aurèle, 161 à 169). R. : Consecratio (Aigle debout
déployant les ailes).
3. SABINE . Face: Sabina Augusta Hadriani aug. p p.
(tête laurée) (117 à 138). R. : Concordia auc. (Déesse as-
sise tenant uné couronne dans la main droite) .
4· TRAJAN (98 à 117). Face : (Inscription grecque).
R. : Inscription grecque (avec deux lyres).
5. DOUITIEN. Face: Caes, Domit, Aug. germ., P. M.
TRE. XI (tête laurée): Face à droite. (81 à 96). R. : Tmp.
XXI., cos., XV!., cens., P. P. P. (Déesse debout, tenant de la
main gauche une lance et de la droite une palme).
Les quatre premières ont été déposées par moi au musée
de Brest en même temps qu'un certain nombre de bronzes
de différents modèles trouvés également dans la presqu'île de.
Crozon, mais sans que je puisse dire sur quel point.
La cinquième étant restée entre mes mains, je la présente
ici pour examen et l'offre à not.re musée, ainsi que les deux
petits bronzes de Lezteven.
Le dépôt de Lesquifinec, contenu dans un coffret en fer, fut
vendu à un bijoutier de la Grand'rue à Brest. Il fut trouvé
dans le coin d'un courtil par un garçon de ferme, qui le remit
aussitôt à son maître. Celui-ci, émerveillé, lui dit tout de go :
. « Je vois maintenant que tu es honnête, que réellement tll
prends mes intérêts; tu convoites ma fille; eh bien, je te la
donne», de telle sorte que, si cette découverte n'a pas servi il
éclairer l'histoire, elle a servi au moins à récompenser la
vertu. A. JARNO .
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DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1928
PAGES.
1. Matériaux pour la bibliugraphie de l'histoire de
la H.évolution dans le département du Finistère
par D. BERNARD. . . . . . . . . . . . .. 3
II. La légende du marquis de Guenand et la famille
Du Parc de Locmaria par L. LE GUENNEC . .. 15
Ill. Lettres de service du lieu tenan t-géI1éral marquis
de Locmaria par L. LE GUENNEC . . . . . .. 36
IV. Trois bretonnes à la maison de Saint-C)'r par
J. DANIEL. . . . . . . . . . . . . . . .. 42
V. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de
la Révolution (suite) par D. BERNARD. . . .. 48
VI. Au sujet d'une chapelle dans l'église paroissiale
de Crozon par J. DANIEL. . . . . . . .. . 68
VII. Notes sur des cachettes de prêtres assermentés à
Saint- Martin-des-Champs (près Morlaix) par
L. PÉRON .....
VIII. Notes sur quelques orfèvres bas-bretons
L. LE GUENNEC. . . . . . . . . . . . .
par
IX. Deux billets à Kerguélen par Auguste Dupouy ..
X. A propos d'une clef de voûte aux armes de la
maison de Trébéron par R. ANTHONY. . . .
XI. Marques et signes sur des pierres tombales à
. Penmarc'h par L. LE GUEN NEC. . . . . .. 100
XII. Curieuses signatures relevées ~ur les registres
. de baptêmes de Tréoultré-Penmarc'h par l'abbé
J. TOULElIiONT . . . . . . . . . . . . . .. 107
XIII. De quelques points intéressants de nos côtes
(Dinan, Lostmarc'h et Lesteven en Crozon) par
A. JARNO. . . . . . . . . . " lOg