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Bulletin SAF 1928


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Notes sur des cachettes de prêtres assermentés à Saint-Martin-des-Champs (près Morlaix)

L Péron

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1928 tome 55 - Pages 74 à 79
NOTES
SUR des CACHETTES de PRÊTRES

a des-Champs (près

lntdgué par les appellations de Toul-ar-Person ou Toul­
ar-Bélee données, dan's certaines fermes de la commune de

Saint-Martin-des-Champs, à des réduits 'plus ou rrioins dissi"
mulés, j'ai voulu me rendre compte de ce que cela voulait
dire. Une petite enquête m'a appris qu'ils s'agissait de
cachettes ayant servi à des prêtres insermentés pendant la
Révolu tion ( 1 7(l0- 1794).
Malheureusement je suis arrivé trop tard à Lomogan;
Kerolzec, Bigodou et l'Hermitage. Ceux qui savaient la vérité
sont morts et leurs petits enfants n'ont pu me donner que
des traduètions incomplètes ou même infidèles de ce qu'ils
avaient entendu. Ainsi, pas un nom de prêtre n'est resté alors
que les vieux les savaient. Ils nommaient aussi les personnes
qui furent baptisées, à la dérobée, dans chacun de ces réduits,
Aujourd'hui, rien .
LOMOGAN. Si les Coatnempren revenaient, ils ne recon-
naîtraient pas leur ancien domaine. Plus un arbre. Le grand
portail volÎté a disparu et le « Porz-Cloz » n'existe ' plus.

La chapelle, qui· se trouvait dans un placHre à . 200 mètres
au N.-E., a été démolie jusqu'à la dernière pierre :.il n'en

l'este plus trace. Une maison sans style a été élevée à 2~ m. ètres
au Nord de l'ancien portail, si bien qu'aujourd'.hui le tout
n'a plus grand'chose de son ancien ail' de noblesse.

A l'arrière du bâtiment principal, donnant à l'Est , une
grande cheminée isolée. De chaque côté de cette cheminée, à
la hauteur du premier étage, et dans une symétrie parfaite,
un œil- de-bœuf entouré de pierre de taille; croisillon de fer
dans l'un, trace d'un croisillon identique dans l'autre. Rien,
de l'extérieur, ne révèle donc quelque chose d'anormal.
Toutefois, presque au ras du sol, nn peu à droite de l'œil-de­
bœuf Nord, existe une ouverture carrée de 0 m. 30 de côté, et
qu'un fagot seul peut dissimuler. Cette ouverture !3st l'entrée
d'une sorte de galerie qui, arrivée au milieu du mur, forme
coude et monte verticalement dans la même forme et les
mêmes dimensions pour déboucher, au premier étage, dans
un évidement de la maçonnerie. On dirait un tuyau monte­
charges.

, Pénétrons à l'intérieur. La première porte franchie est
cintrée, large, clef de voûte avec écusson. Deux autres lui
succèdent. Ici, deux pièces superposées, entre deux murs de
refend. Leurs dimensions (longueur, 4 m. 50 ; largeur,
2 m. 50 et hauteur 2 m. 80) les prédestinent à servir de , cage
d'escalier. Il n'en n'~st rien. La pièce du bas, appelée « Cambr­
ar-Vadiant », sert de cave. Là, selon la tradition, le prêtre
caché pendant la Terreur ( ar-Person » : le recteur) officiait
et baptisait.

, Dans la pièce du haut, côté Levant, une porte en bois, à
coulisse, (on dirait ,un lit clos), donne sur un évidement
, ménagé dans le mur. Ce réduit a pour dimensions: longueur,
1 m. 60 ; largeur, 0 m. 60; hauteur, l mètre. Une personne
de corplllence moyenne s'y tient relativement il. l'aise dans la
position allongée ou assise , L'épaisseur du mur est de 0 m. 80,
laissant il. l'extérieur une croûte de 0 m. 20. Le réduit est
éclairé ' par l'œil-de-bœuf signalé plus haut et le conduit
monte-charges y aboutit. Il y avait donc communication avec
l'extérieur, par le, bas, au ras du sol. Là se cachait le prêtre
daus les moments de grand danger. Il pouvait y être ~lil11enté

pllr le tuyau; pal' la même voie pouvaient. sc faire toutes sortes
d'echanges, sans donner l'éveil.
Cette cachette est bien imaginée, vraiment curieuse et
mérite d'être signalée. A-t-elle été faite sous la Révolution.
pour les besoins de la cause? Je ne le crois pas. A y regarder
de près, le tout semble contemporain de la construction du
mur. Elle serait-d onc bien antérieure à cette époque troublée

et pourrait bien avoir été faite en prévision ... Un prêtre pour-
chassé en a profité, voilà tout. . '
Il est en eITet impossible, dans le mur non jointoyé, de
remarquer les traces d'une démolition et d'une réfection.
L'œil le plus averti n'y verrait rien de ce genre. .
Les vieux fermiers, dont les descendants sont actuellement
propriétaires de Lomogan, avaient conservé un pénible sou­
venir de cette époque. Chargés du guet, ils montaient sur la
butte et scrutaient l'horizon. Ils " vivaient dans des transes
contin uelIes, avec la crainte d'être arrêtes pour recel, traînés
dans les cachots, en attendant qui sait! le châtiment suprême
réservé aux « Hors la loi Il. .
Les parages immédiats du manoir je le rappelle en
passant ne sont pas sans intérêt archéologique. Signalons:
1° Sur la butte de Lomogan, les vestiges d'un ancien camp

romam ; ,
2° C'est près de Lomogan, que Jean Le " Duc "trouva, l'an
dernier, un (c lec'h il signalé à la Société par M. Livinec ;
3° Dans cette même garenne, le dit Jean Le Duc trouva il "
Y a 4 ans, une énorme" pierre schisteuse taillée 'en tronc de
pyramide. Il la brisa à cou ps de masse, sans la signaler.

KEHOLZEC. Cette cachette, dite " Toul-ar-Bélec, .n'a pas

l'intérêt de celle de Lomogan .' " ,
, Situ ée au premier étage de la maison d'habitation, côté
Nord, elle consiste en un évidement; formant un peu alcôve,
avec : hau leur, 2 mètres; largeu r, r m " 50 ; " profondeu r,

o m. 60. Remarqué, de chaque côlé, à 0 m. 60 de hauteur,
deux pierres encastrées dans le mur et semblant disposées

pour tenir lieu de sièges. A hauleur d'homme, un petit œil-
de-bœuf peut servir de meurtrière, de trou d'éclairage, ou
mieux, d'observation. Deux personnes peuvent s'y tenir
assises eL à leur aise,. comme dans un compartiment de
chemin de fer, vis-à-vis, sur les pierres. On pourrait même
s'y coucher, à la rigueur.
Il est certain 'que cela pouvait servir de cachette ou de
poste de veille. La tradition qui persiste ;\st qu'il s'y serait
caché des prêtres pendant la Révolution. La dénomination de
Toul-ar-Bélee porterait à le croire.
BIGODOU. Ici moins intéressant encore. A BigoçIou-
Izella. vieux manoir actuellement dans un état lamentable.
une grande fenêtre avec croisée eh pierre a été murée exté~
rieurement sur une épaisseur de 0 m. 20. C'est l'évidement
qui reste, à l'intérieur, au rez-de-chaussée, que l'on appelle
« Toul-ar-Bélec 1). Hauteur, 2 m. 50; largeur, 1 m. 70. Un
réduit très mal éclairé, situé au bas de la tourelle-escalier,
servait de chambre de baptême.
Même observation que pour Kerolzec.
L'HERMITAGE. L'ancienne maison manale est en fort
mauvais état. On y remarque une vieille cloison en torchis
(mélange de terre glaise, de paille hachée, de balle d'avoine,
de poils, de crins). Le plancher du grenier est en terre battue.
Il s'agit de perches relativement droites, entourées de paille
tordue, placées et serrées les unes contre les autres, sur des
solives. Le tout est recouvert d'une couche d'argile bien

battue, bien unie, servant d'aire (de plancher). Au-dessous
une pareille couche formait le plafond. Date: 1723. (Rien à
faire avec le bois du Nord !).

Une statuette, en Kersanton, représentant un ange, mains
jointes, est encastrée dans du ciment, sur le puits, Cette
statuette a servi, pendant plus de 50 ans, de poids de 30 livres
pour les vieilles balances suspendues, à grands platèaux de
bois. La bascule actuelle a permis de l'immobiliser sur le
puits. Encore ·une victime du progrès. Ne viendrait-elle pas
de la chapelle démolie ~ . Non. Son origine; qui m'a été
contée, est tout autre ...
Et la cachette ~ Les fermiers actuels, qui sont là depuis
plus de 100 ans, n'en savent rien.
Des escaliers en pierre, droits, intérieurs, conduisent direc­
tement au premier étage et semblent couper la maison en
deux. Sous ces escaliers, entre deux murs, est un réduit de
3 mètres X 'l m. 30. Au Nord, une meurtrière de 0 m, 15 de
diamètre, donnant sur les champs; à l'Est, pareille ouverture
donnant sur la grande cuisine, les deux entourées de taille
et à 1 m. 30 du sol. Eclairée par l'une, ravitaillée par l'autre,
une personne peut y vivre longtemps. Une porte basse sert
d'entrée. C'est une cachette bien dissimulée.
C'est là, d'après la tradition répandue dans tout Saint­
Martin, qu'un prêtre aurait vécu sous Robespierre.

1° Il est vraisemblable, pour ne pas dire à peu près certain,
. que ces quatre cachettes ont reçu des prêtres pendant la
Terreur. Aucune ne semble avoir été faite pour les besoins
de la cause. Les prêtres insermentés, pour échapper aux
dangers qui les menaçaient et surpris par les événements,
ont profité des refuges propices qu'ils ont trouvés et que les
propriétaires ou fermiers, à leurs risques et périls, mettaient
à leur disposition.
La plus curieuse est celle de Lomogan. Elle est vraiment
perfectionnée ;

2 ° D'-après aussi la tradition (et ce qui m'a été racontée
par une personne d, éjà âgée), ces prêtres, en dehors de l'ex\!r-

cice de 'leur sacerdoce, vivaient dans les fermes hospitalières
habillés ~n paysans. Ils savaient se donner. par leur accou­
trement, leurs occupations souvent simulées, les airs d'un
domestique de ferme ou d'un mendiant de passage.
Souvent les 'agents, chargés de perquisitionner, s'en allaient
après avoir questionné un loqueteux qui se chauffait au coin

du feu ou un valet qui s'occupait des travaux de l'exploita-
tion. Ils ne se doutaient pas qu'ils avaient affaire à ceux-là

qu'ils étaien't chargés d'arrêter.

L. PÉRON,
Directeur d'école à S'-Marlin-des- Champs .

119 -

DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1928
PAGES.
1. Matériaux pour la bibliugraphie de l'histoire de
la H.évolution dans le département du Finistère
par D. BERNARD. . . . . . . . . . . . .. 3
II. La légende du marquis de Guenand et la famille
Du Parc de Locmaria par L. LE GUENNEC . .. 15
Ill. Lettres de service du lieu tenan t-géI1éral marquis
de Locmaria par L. LE GUENNEC . . . . . .. 36
IV. Trois bretonnes à la maison de Saint-C)'r par
J. DANIEL. . . . . . . . . . . . . . . .. 42
V. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de
la Révolution (suite) par D. BERNARD. . . .. 48
VI. Au sujet d'une chapelle dans l'église paroissiale
de Crozon par J. DANIEL. . . . . . . .. . 68
VII. Notes sur des cachettes de prêtres assermentés à
Saint- Martin-des-Champs (près Morlaix) par
L. PÉRON .....

VIII. Notes sur quelques orfèvres bas-bretons
L. LE GUENNEC. . . . . . . . . . . . .

par

IX. Deux billets à Kerguélen par Auguste Dupouy ..
X. A propos d'une clef de voûte aux armes de la

maison de Trébéron par R. ANTHONY. . . .
XI. Marques et signes sur des pierres tombales à

. Penmarc'h par L. LE GUEN NEC. . . . . .. 100
XII. Curieuses signatures relevées ~ur les registres
. de baptêmes de Tréoultré-Penmarc'h par l'abbé
J. TOULElIiONT . . . . . . . . . . . . . .. 107
XIII. De quelques points intéressants de nos côtes
(Dinan, Lostmarc'h et Lesteven en Crozon) par
A. JARNO. . . . . . . . . . " lOg