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Bulletin SAF 1928


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La légende du marquis de Guerrand et la famille Du Parc de Locmaria

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1928 tome 55 - Pages 15 à 35
e Gue rran
et la Famille Du Parc de Locmaria
Les chants populaires de Basse-Bretagne ne sont guère
favorables aux nobles d'autrefois. Des .soixante-dix-neuf
gentilshommes mis en scène dans le recueil des Gwerziou et
des Soniou Breiz-Izel, quarante-cinq au moins, soit près des
deux tiers, y paraissent en posture désavantageuse ou ridi­
cule.· Quand ce ne sont point des meurtriers, des suborneurs,
des spadassins, ce sont des larrons ou des dupes. Une dou­
zaine tout au plus y tiennent un rôle honorable, justiciers,
défenseurs du faible, â mes charitables et compatissantes .

Parmi ces petits tyrann eaux dont nos vieilles ballades bre-
tonnes, dit Anatole Le Braz, ne prononcent le nom qu'avec
terreur, contre lesquels on les sent animées d'une haine
sourde et profonde, les marquis de Coatredrez et · du Cludon,
les seigneurs de Goashamon, de La Villeneuve, du Rechou,
de Kersauzon, de Locdu, de Villaudry, de Boisriou, de
Runangoff et bien d'autres, il en est un surtout qui demeure,
dans lamémoire des habitants de l'ouest du Tréguier, comme
le prototype du « grand seigneur méchant homme». C'est le
marquis de Guerrand : « marliiz Gwen'and », « markiz

brunn », « markiz Locmaria ».
Le personnage flétri sous cette triple appellation fut, d'après
la légende, une sorte de don Juan impérieux, débauché, san­
guinaire, faisant l'amour l'épée au poing et la menace à la
bouche. Sa rencontre était redoutée à l'égal de celle d'une bête
fauve dont il avait le poil roux, l'extérieur sauvage et brutal.

tureux de Plouégat (1), l'imposant château de Guerrand,
qu'enveloppaient de belles futaies et que cernait un mur
d'enclos de près de deux lieues de tour. Sa résidence était
somptueuse: on y admirait deux salles, l'une toute argentée,
(( de la couleur du soleil )), l'autre toute dorée (( de la couleur
de la lune '). Mais les attraits de celte riche demeure ne J'y
retenaient point. Il préférait rôder au dehors, battre le pays, le
consterner par ses violences, ses facéties cruelles, l'assouvis­
sement de ses passions déchaînées, vérifiant une fois de plus
l'ancien proverbe:
Grand seigneur et grand chemin
Sont de (oris mauvais voisins

Quand il sortait, sa m ère courait mettre en branle la clocbe
du château. A ce signal d'alarme, les jeunes paysannes abaIl­
donnaient les champs pour s'enfermer au logis, les mar­
chands rentraient leurs évantaires, les voyageurs hâtaient le
pas de leurs montures, les laboureurs se glissaient furtifs à
l'abri des haies ; les mendiants eux-mèmes, aux trousses d. !ls­
quels le marquis eût vite fait de lancer ses chiens, s'éclipsai, enJ
yers Lanmeur ou Plouigneau aussi vile que le permenai,~nt
leurs jambes perclues. C'était une angoisse, une frayeur
uni verselles.
'Guillau me Lejean a narré, en 1846, dans sa Notice . sur
Plouégat-Guerrand (2), quelques-uns des tristes exploH;s
(4.) P, louégat-Guerrand, anciennement paroiss. e de l'évêché de T
et de la sénéchaussée de Lanmeur, aujourd'hui commune du çantoJl .~e
Lanmeur (Finistère). Jusqu'au XVIIe siècle, elle s'appelait Plouégai-G .>al­
Ion ou Kergoallon, du nom de son principal fief, possédé dans le principe
par une famille Goallon. Après l'érection de la terre de Guerr:a. pd e .n
I;llanguisat (i637), ce dernier nom prévalut sur l'ancien. Il appa,r. aîtp:op. r
la première fois dans les registres paroissiaux en i6q,8. Sous la R~volu­
tion, la commune s'apppla pendant quelques années Plouégat-Vallon.
(2) Insérée dans le journal hebdomadaire l'Echo de ltforlaix. On sait
que Ir. célèbre voyageur et explorateur de l'Abyssinie, né en i826 JI

~ttribués au fameux marquis. Celui qui retentit le plus fort
dans l'âme populaire fut le meurtre d'un jeune derc, accom­
pli lâchement, au cours d'une fête d'Aire-Neuve donnée au
manoir de Kerhallon. Le clerc était fiancé à une beBe fille de
la paroisse, que le marquis convoitait de longtemps comme
une proie difficile et tentante. Aussi jalousait-il. ferocement
son humble rival et ne recherchait-il qu'un prétexte pour s'en
débarrasser. L'occasion lui parut propice. Il se prit de querelle
avec le clerc, le provoqua, l'accula à la défensive et, 'sans
vergogne de heurter sa fine épée de gentilhomme au pen-baz
d'un fils de paysan, il le perça par traîtrise d'un coup mOItel.
Ce forfait souleva une vague d'indignation telle que le
meurtrier crut prudent de quitter la Bretagne afin dese sous­
traire aux poursuites judiciaires entamées contre lui. Quand
il reparut à Guerrand, vingt ans plus tard, les dures expé­
riences de la vie l'avaient assagi et transformé. li se racheta
d'avoir été l'épouvante et le scandale du canton en en devenant
l'édification et l'exemple. Son château fut désormais une sorte
d'hôpital, de rendez-vous des gueux, qui s'·enhardirent vite
à en franchir le portail, assurés d'avance du plus charitable
accueil (1). Après les avoir nourris, réconfortés, soignés, le
marquis se retirait dans son oratoire. Là, sans témoins, il
priait avec larmes jusqu'à une heure avancée. Lorsqu'un pas­
sant attardé s'étonnait d'y voir briller encore de la lumière,
on lui répondait: « C'est le marquis de Guerrand qui veille:
il supplie Dieu à genoux de lui pardonner sa jeunesse » .

Traondour en Plouégat-Guerrand, fut jusqu'en i847 secrétaire:de la sous­
préfecture de Morlaix et publia daus des revues et des journaux locaux
diverses études historiques, qui n'ont jamais élé réunies en voillme .
. (i) En Hi93, écuyer Olivier-François de La Bouessièœ, fondè de pou­
voirs du marquis de Locmaria, déclare qu'au château de Guerrand
« on donne la charité aux pauvres toutes les sepmaines passé · Pasques,
et quy monte a plus de six quartiers d'orge par sepmaine pour les dits

La mort du grand seigneur repentant fut celle d'un juste.
Avant d'expirer, il dicta un interminable testament où il
s'efforçait d'indemniser ses victimes, où il faisait de multiples
aumônes et legs pieux à toules les églises et chapelles des
alentours, où il fondait, pour ses chers pauvres, un hôpital
au bourg de Plouégat. Mais cette longue expiation, ce
dévouement aux miséreux, ces libéralités posthumes, ne
suffirent point, dit-on, à satisfaire si tôt la justice divine.
Bien des année après, les laboureurs qui regagnaient de nuit
leurs chaumières en longeant le sombre étang de Goasquéden,
endormi au fond d'un .ravin sinistre, rencontraient souvent,
errant dans les ténèbres, un cavalier silencieux, monté sur
un cheval noir. Alors tout frissonnants, ils hâtaient leur mar­
che et murmuraient à voix basse, tête nue, une oraison. pour
le repos de l'âme en peine du marquis de Guerrand.
Ainsi peut-on résumer brièvement le cycle des légendes
qui se sont formées autour de ce nom redoutable. Il n'a pas
été recueilli moins d'une vingtaine de chansons populaires
- dont plusieurs, il est vrai, ne diffèrent entre elles que par
des détails sur le thème de l'immoralité, des crimes et de
l'expiation du trop célèbre « markiz brunn 'l. Ces complaintes
bretonnes se divisent en trois catégories. Les premières con­
tiennent le récit, plus ou moins dramatisé, de la fatale Aire­
Neuve du manoir de Kerhallon, qui coûta la vie au clerc (1) .

(i) H. de La Villernarqué, lflarkiz Gwerrand, da os le BarziLZ-Breiz,
éd. :1.839, t. Il, p. 7:1.-83, et éd . suiv. G. Lejeao, Le marquis de
Guérand. Notice sur Plouégat-Guerrand, daos l'Echo de Alorlai.'V, !8q,6
(lrad. seule) . G, Milio, Kloarek Lambaul, dans le Bull. de la Soc.
acad. de Brest, IV, 1865, p. 98-:l.0q,. F, Luzel, Kloarek Lambaul,
dans Gwerziou Breiz-Izel, t. II, :1.874, p, q,72-q,77 ; /(loarek Lambol.
secollde version, ibid., p. 478-q,83. F. Luzel, Kloarek Ann Amour,
daos GW(lrziou Breiz-Izel. t. II, p. q,66-q,7i " H. Guillerm, Guerz ar
c' hloarek yaouank, dans Recueil de chants populaires bretons ... , :1. 905,
p. :l.77-18q" Guillerm et Herrieu, Annaïk Calvé, daos Recueil de
mélodies bretonnes. Quimper, David , s. d., p. :1.0 et :1.6. Guerz

Les deuxièmes ont trait au repentir de son assassin, ou plutôt
au testament réparateur que celui-ci ordonna, avant de
paraître devant Dieu (1). Les dernières enfin font allusion,
soit aux moyens de séduction employés par l'opulent seigneur
pour faire, parmi les filles jolies et pauvres du voisinage, de
faciles conquêtes; soit aux divertissements et aux fêtes qu'il
offrait à ses pairs dans les vastes salles du château (2).
Cloarec bihan Paul, dans les manuscrits Lédau, t. VIU, p. 123
(Biblioth. de Morlaix).
M. Th. Guyomard, de Morlaix, me communique obligeamment une
au Ire version manuscrite, recueillie par M. Abgrall. ùe Botmeur, des
lèvres de Marie-Louise Bellec, âgée de 96 ans, sous la litre de Fiek
Kalvez, Fiacre Calvez, l'un des noms que les ballades donn ent à
l'héroïne du drame" (on trouve aussi Anne Calvez, Fiacre Folgalvez, etc.
Une Anne Calvez, veuve avec 3 enfants, habitait en i693 à Traonmas,
en Plout\gat) _ Cette version a beaucoup de rapports avec celle du
Barzaz-Breü; quant au clerc, les chants l'appellent soit Kloarek
Lambaul (bihan Paul en est une déformation), soit Kloarek An Amour
ou Lammour. Il n'y avait pas de familles portant ces noms à Plouégat­
Guerrand ni à Garlan. Mais il existait des Lamour à Lanmeur au
xvne siècle.

(i) E. Souvestre, Guerz du marquis de Guérand (trad. seule d'une
version incomplète), dans Le Finistère en 1.836, Brest, 1838, p. 16. -
G. Milin, Maro markiz Gwerrand. dans le Bull. de la Soc. acad_ de
Brest, IV. 1865, p. 105-HO. F. Luzel, Markizes Guerrand, dans
Gwerziou Breiz-Izel, t. Il, 1874" p. 4,84,-4,89. Henri de Kèrbeuzec,
(abbé Duine), La fin du marquis de Guérand, dans Cojou-Breiz, 1

série (Plougasnou), i896, p. 32-4,6 (trad. seule). A. Le Bras,
Testamant ar Markiz, dans Les Saints Bretons d'après la tradition
populaire (Annales de Bretagne, t. xm, 1897-1898, p. 100-HO).
(2) F. Luzel et A. Le Braz, Bal, dans Soniou Breiz-Izel, 1890, t. l,
p. 30-3i. ' Ibid., Fantik Bourdel, dans Soniou .. , t. 1. p. 176-179. -
Canaouen goz, dans les manuscrits Lédan, t. Il, p. 99 (Bibliolh. de
Morlaix). C'est un dialogue entre le marquis de Locmaria et une bergère,
qu'il s'efforce en vain de séduire en lui offrant des coiffes en toile de
Maubeuge? (coëffou lien Monbleu). Voir aussi dans Elvire de Cerny,
Contes et légendes de Bretagne, 1893, p. 4,0-4,1, l'histoire intitulée
Ronan Quesmeur, qui contient un aperçu des traditions populaires rela­
tives au marquis. Anatole Le Braz s'es! servi des mêmes traditions

Auquel des . possesseurs de ce domaine, dont nous avons
la li ste depuis le XIV' siècle, faut-il identifier le malfaisant
héros des traditions trégorroises ~ Inutile de remonter au-delà
de l'époque de Louis XIII, en raison de certains traits qui ne
peuvent convenir à une époque antérieure. Emile Souvestre
qui, le premier, en 1836, a publié une traduction incomplète
du Testament ar markiz, ne précise point de quel personnage
il s'agit; mais La Villemarqué. dans son Barzaz-Breiz paru
en 1839, n'hésite pas à accuser Louis-François du Parc, mar­
quis de Locmaria. fils aîné de Vincent (1) du Parc, créé
marquis de Locmaria et de Guerrand en 1637 pour ses services
militaires, et de Claude de Névet; et il cite au sujet de ce
jeune et brillant gentilhomme l'opinion enthousiaste de
M m. de Sévigné, quile vit et l'admira fort, aux Etats de Vitré,
en 167 1. Quant à Guillaume Lejean, sa Notice sur Plouégat­
Guerrand désigne Charles-Marie-Gabriel du Parc, marquis
de Locmaria, et fait de lui le fils de Louis-François, alms
qu'il n'était que son arrière-neveu, dernier rejeton d'une
branche cadette sortie du tronc principal dès la fin du
XVIe siècle (2 ). Cette opinion erronée a été adoptée par Luzel,
mais ne semble pas défendable.

breton, i 897, p. 78-83, et Charles Le Goffic, pour sa nouvelle Le blarquis
Rouge, dans Passions celtes, i908.
V. aussi A. Le Braz, Le Cloarec breton d'après la poésie populaire,
Bullet. de la Soc. Arch. du Finistère, XVI, i889, ~0-~2 ..
(i ) La Villemarqué lui donne à tort le prénom de Jean.
(2) La famille du Parc, originaire de la terre de ce nom, paroisse de
St Jacut du M éné, évêché de Saint-Brieuc, est une des plus anciennes
lignées chevaleresques du pays. Ses traditions, appuyées sur certains
titres de l'abbaye de Roquen, la font sortir de la première maison de
Penthièvre, et son premier auteur connu serait Eudes, dit Gargaion, né
vers H60-H70, dont le fils Guillaume, chevalier, né vers 1.200, prit ou
reçut le surnom de du Parc. La branche aînée s'est fondue vers i480
dans Beaumanoir du Bèsso. La branche de la Roche-Jagu a produit un

En recherchant, à mon tour, la solution de ce petit pro­
blème, j'ai été amené, par l'examen attentif de diverses

données éparses dans le texte des chansons populaires, ou
fournies par des pièces d'archives, à une conclusion diffé­
rente de celle des autres ci-dessus. Je suis d'avis que le
terrible Markiz-Guerrand n'était, ni Charles-Marie-Gabriel du
Parc, ni même Louis-François du Parc, mais le père de
celui-ci, Vincent du Parc. Avant d'exposer les raisons qui
m'inclinent à cette créance, j'indiquerai d'abord pour qu els
motifs j'estime devoir décharger l'arrière-neveu et le fils de
Vincent des accusations que Lejean et La Villemarqué ont

portees contre eux.

Charles-Marie-Gabriel du Parc s'exclut par le simple exposé
des faits. Né à Rennes en 1736, fils unique de Joseph-Gabriel
du Parc, comte de Lézerdault et seigneur de Keranroux (1 )
nenr de Quimper. Vers' 1:490, une alliance de la branche du Parc en
Le Gouray, devenue l'ainée, avec les Coëtgoureden, lui apporta la terre
de Locmaria en Ploumagoar près Guingamp. Eu 15l!8. une autre
alliance avec les Boiséon lui transmit la terre et le château de Guen'and,
dout Fontenelle s'empara en 1593. Au siècle suivant, Vincent du Parc,
premier marquis de Guerrand, recueillit le riche patrimoine de sa mère
Françoise de Coëtredrez et devint l'un des plus puissants gentilshommes
de Basse-Bretagne. Après l'extinction de la branche ainée en 17l!5. et
celle de son héritière, la branche de Keranroux, en 1769, leur immense
fortune fut partagée entre les familles de Cleuz du Gage, Quemper de
Lanascol, Caradeuc de LaChalotais, Rogon de Carcaradec, Le Cal'dinal
de Kernier et du. Breil de Rays.
(1) Cette branche était issue de François du Parc, seigneur de
Lezversault, fils puîné de François du Parc, seigneur de Locmaria et de
Guernaon, et de Claudine de Boiséon, dame de Guerrand, qui épousa
vers 1595 Françoise de La Forest, fille héritière de Charles de la Forest,
seigneur de Keranroux, Coatgrall, Guicquelleau, et de Françoise de

(en Ploujean, près Morlaix) et de sa seconde femme Marie­
Anne-Gabrielle de Cleuz du Gage, il était encorejeune enfant
et déjà orphelin lorsque la mort sans alliances et le testament,
l'instituant légataire universel de son cousin au 6

degré
Jean-Marie-François du Parc, marquis de Locmaria et de
Guerrand, décédé sans alliance, à Paris, le 2 octobre 1745,
lui apportèrent le magnifique héritage de la branche aînée de
sa famille. Devenu majeur, il n'habita guère ses domaines de
Bretagne, mena à Versailles et dans la capitale la vie dissipée
et galante où se complaisaient alors tant de riches gentils­
hommes, et ne revint au château de Guerrand que pour y
mourir prématurément, à 34 ans, le 29 décembre 1769, ne
laissant point de postérité de son mariage avec Marie-Louise
de Ploësquellec, qu'il avait épousée en 1759.
Pour Louis-François du Parc, qui vivait au siècle précédent,
la question est plus complexe. Né au château de Guerrand
le 25 août 1647, de Vincent du Parc, marquis de Locmaria,
et de Claude de Névet, sa femme, il fut emoyé de bonne
heure à l'Académie, à Paris, dont il sortait lorsque Mme de
Sévigné le vit aux fêtes de Rennes et de Vitré en 1671,
l'admira dansant avec M. de Coëtlogon et deux demoiselles

bretonnes « des passe-pieds merveilleux et des menuets d'un
air que les courtisans n'ont pas, à beaucoup près », et le
dépeignit à Mme de Grignan en termes si flatteurs: {( Je vou­
drais que vous eussiez vu l'air de M. de Locmaria et de quelle
manière il ôte et remet son chapeau. Quelle légèreté! quelle
justesse! Il peut défier tous les courtisans et les confondre,.

heaux de la région de Morlaix., appartient aujourd'hui au comte de
Gouyon de Beaufort, descendant des du Parc de Keranroux par les
Nompère de Champagny, de la Fruglaye, Caradeuc de La Chalotais et
Penmarc'h de Kerenroy. Dans le grand salon du château, dps peintures
sur canevas du xvm

siècle, imitant des tapisseries, représentent
Charles-Marie-Gabriel du Parc se livrant aux plaisirs de la chasse au

sur ma parole. Il a soixante mille livres de rentes et sort de
l'Académie, Il ressemble à tou t ce qu'il y a de joli et voudrait
bien vous épouser ».
Trois ans plus tard, le fringant m.arquis était colonel du
régiment de Joyeuse. Il fut fait brigadier et inspecteur général
de cavalerie en 1688, combattit à Fleurus en 1690, devint
maréchal de camp en 1693, servit sur la Moselle, au Luxem­
bourg, en Allemagne, fut créé en 1702 lieutenant-généraI',·
capitaine-général du ban et arrière-ban de l'évêché de Tré­ guier, et commandant dans les Trois-Évêchés de Basse-Bre­
tagne (1). Louis XIVlle récompensa de la part glorieuse qu'il
avait prise à la victoire de Spire (17°3) en le désignant pour
être nommé maréchal de France et en lui attribuant des

drapeaux, des timbales, quatre canons et trois couleuvrines
enlevés aux . Impériaux. Cette artillerie demeura jusqu'à li
Révolution dressée en trophée sur la terrasse de Guerrand (2).
Ayant quitté le service en 1704, le vieux soldat se maria sur
le tard en épousant à Rennes, en 1707, Marie-Renée-Ange­
lique de Larlan de Kercadio, fille du comte de Rochefort,

(:1.) Je dois la communication des états de service du marquis de
Locmaria, que je résume brièvement ici, à notre aimable confrère le
vicomte Gustave du Parc, de Bruxelles. Bien que la dernière branche des
du Parc, celle de Ilosampoul el de Keramelin, à laquelle il appartient,
ait quitté la Basse-Bretagne depuis le temps de l'émigration el se soit
aujourd'hui dispersée jusqu'en Amérique, ses représentants n'en sont
pas moins justement fiers de leur origine, et ils viennent, il y a deux
ans, de .relever légalement le nom illustre de Locmaria. Le vicomte du
Parc, admirablement documenté sur le passé de sa maison, dont il a
complété et rectifié la généalogie, a bien voulu me f\lUrnir de très utiles
indications, et ce m'est un agréable devoir de lui exprimer ici ma respec­
tueuse reconnaissance. L'étude raisonnée des tex tes et des documents
qu'il possède lui a également imposé la conviction que Louis-François
du Parc ne peut être le' féroce markiz-brunn de la légende.
(2) Les canons de Guerrand furent empruntés en :1.79:1. par la munici­
palité de Morlaix pour le service de la garde nationale. Sous la Restau­
ration, on en retrouva deux, et on les rendit à la famille Quemper de

président .à mortier au Parlement de Bretagne, et de dame
Madeleine Courtin (contrat du 12 février 17°7)' Elle lui
donna un fils, Jean-Marie-François , n é en 1708. S'ét.ant
rendu aux eaux de Bo~rbonne, diocèse d e Langres, pour
tâcher de rétablir sa santé ébranlée par les fatigues de ses
nombreuses campagnes, le marquis d e Locmaria y mourut
le 10 septembre 1709 et fut enterré dans l'église paroissiale
de cette localité. Son cœ ur sfml, enfermé dans une urne de
plomb, fut ramené en Bretagne par ses domestiques, et
déposé le 3 novemhre en grande cérémonie dans l'église de
Plouégat-Guerrand « en lieu de suretté soubz un drap mor­
tuaire jusqu'à ce que le mosolée qu'on doit lui faire ne soit
achevé » (1).

Est-il possible de retrouver, dans ce séduisant jeune
homme à «( l'air charmant)), formé dès l'adolescence aux.
façons les plus raffinées de la cour, dans ce vaillan t ofIicier­
général qlle les nécessités de la guerre et de ses affaires (2)
(i) Ce tombeau est décrit dans une enquête de InO relative aux
droits et prééminences des marquis de Locmaria. C'était« un mausolée
à une Iizière de marbre, sur le piédestal duquel était représenté en
r elief le seigneur marquis de Locmaria, lieutenant-général, décédé le
fO septembre 009, suivant les inscriptions portées sur deux plaques de
marbre. Ces plaques, placées aux deux extrémités, étaient soutenues
par deux piédestaux et accompagnées de deux statues de tuffeau, avec
des bustes représentant, l'un messire Vincent du Parc, dPcédé le
i 6 juillet i669" l'autre messire Joseph-Gabriel du Parc, comte de Loc­
maria, décédé le i5 septembre i7 t2 » le tout sur « un enfeu ou caveau voûté
de taille» . (A. K. Prééminences et 'droits honorifiques de la famille du
Parc de Locmaria en Basse-Bretagne, dans la Revue Historique de l'Ouest,
xv, f899, p. 2rt,8). Cette monumentale sépulture s'élevait au fond de la
chapelle de Saint-Yves, formant l'aile droite du chœur de l'église de
Plouégat. Démontée ou détruite sous la Révolution, on n'en trouve plus
aujourd'hui le moindre vestige, bien que la chapelle qui la contenait
existe encore. Peut-être a-t-on silliplement enfoui les statues et les
bustes dans le caveau seigneurial. Il serait bien à souhaiter que l'on y
fît des fouilles.

tinrent presque toujours éloigné de la Basse-Bretagne, le
farouche et brutal markiz brunn, la bête sauvage des légendes,
toujours prêt à se colleter avec les paysans et à faire leurs
femmes ou leurs filles « marquises par force » ~ D'ailleurs,
les gwerzes composées sur le trépas et le testament si curieux
du marquis, ce testament dont l'abbé Duine a pu dire qu'il
aurait besoin d'être accompagné d;une carte de géographie,
précisent toutes qu'il est mort au château de Guerrand, peu
de temps après avoir revu sa femme, qu'il avait fait mander
à Guingamp. Il ne peut donc s'agir de Louis-François,
décédé, comme nous l'avons vu, à Bourbonne. J'ajouterai
que M. l'abbé Plougoulm (r ) et moi avons dépouillé soigneu­
sement les registres paroissiaux de Plouégat-Guerrand et des
communes avoisinantes qui existent presque partout dans
celte région, pour la période postérieure à 1660, sans y avoir
relevé aucune trace des prétendus actes de violence reprochés

au marqUIS.
Aucun acte de décès qui puisse se rapporter au drame de
l'Aire-Neuve de Kerhallon. Fort peu de naissances illégitimes,
et les pères la plupart du temps nommés en toutes lettres,
sans que jamais parmi eux figure aucun membre de la famille
du Parc. Absolvons donc et réhabilitons la mémoire du
lieutenant-général, en corrigeant la page mal inspirée du
Barzaz-Breiz, où La Villemarqué jette à l'étourdie la suspi-

procès contre le marquis de Goezbriand qui lui disputait l'héritage de la
famille de Kergu É'zay. Il finit par obtenir gain de cause, et, dans sa joie,
il offrit à Notre-Darne de Paris un tableau votif. D'après la De$cription
historique des curiosités de la ville de Paris, p H6, ce tableau repré­
sentait, dans une bordure cintrée et dorée, « le Parlement assemblé pour
juger un procès de conséquence, au-dessus duquel est une 'gloire céleste
où Saint-Yves parait intercéder le Seigneur ponr l'heureuse issue de cette
affaire. Ce tableau est un voeu de M. le marquis de Locmaria, d'une an­
cienne famille de Bretagne, mort lieutenant-général des armées du Roi ».
(:1.) Ancien recteur de Plouégat-Guerrand. Actuellement rect~ur de.

cion et le blâme sur une belle figure de gentilhomme breton,
dont La Chesnaye des Bois a écrit qu'il était cc connu pour
avoir toujours été honorable dans sa dépense, pour son assi­
duité et son application au service, pour son désintéresse­
ment et enfin pour la valeur et prudence qu'il a fait paraître
dans toutes les occasions de guerre où il s'est montré » (1 ).
Vincent du Parc, père de Louis-François, était fils lui-mên,e
de Louis du Parc, lieutenant de la compagnie de gendarmes
du duc de Retz, capitaine de l'arrière-ban de l'évêché de Tré­
guier, gouverneur de Guingamp, époux en 1606 de Françoise
dé Coëtredrez (:1). Avec ce Vincent, nous atteignons la première
moitié du grand siècle, c'est-à-dire une époque où les mœurs

se ressentaient encore des passions effrénées, de la barbarie et
du mépris de la vie humaine engendrés par les affreuses

(i) Le vicomte G. du Parc possède à son château d'Herzèle (Flandre
Orientale) un grand tableau dont il a bien voulu m'adresser une photo­
graphie, et qui représente le marquis de Locmaria il la bataille de Spire,
en uniforme de lieutenant-général, montant un cheval cabré. n est coiflf\
d'un tricorne galonné d'or, et les boucles d'une épaisse perruque enca­
drent son visage aux larges traits réguliers, il l'expression énergique et
fière. Au second plan se déploient les lignes de la cavalerie et de l'infan­
terie françaises; sur l'autre rive du Rhin, la ville de Spire élève les
nombreux clochers de ses églises et de ses monastères. :
Pendant la guerre de i9i4.-i9i8, qui a coûté au vicomte du Parc son
fils aîn~, le vicomte Raphaël' du Parc, lieutenant d'infanterie dans l'armée
belge, tombé glorieusement à 22 ans devant Dixmude le 4. marS'i9i8, le
château d'Herzèle a été souvent occupé par des états-majors allemands,
et son propriétaire éprouvait un patriotique orgueil à montrer aux
officiers ennemis le portrait du marquis de Locmaria, en leur apprenant
qu'il avait jadis combattu et vaincu leurs ancêtres. Par suite de ce respect
inné de la hiérarchie si vif chez les Allemands, il n'était pas rare
qu'un officier passant devant l'effigie du lieutenant-général lui fît le salut
militaire.
(2) M. Bourde de La Rogerie, archiviste d'Ille-et-Vilaine, me signale
obligeamment un arrêt du Parlement de Bretagne du 3i mars 1622,
interdisant au sieur de Locmaria de continuer les fortifications com­
mencées à sa maison, située à une demi-lieue de la mer. S'agit-il de
Guerrand ou de Coëtredrez ? .

calamités de la Ligue. C'est l'époque des duels sans merci
qui décimaient la noblesse, des rapts, des attentats, des
haines exaspérées qui exigeaient du sang. Plusieurs chansons
bretonnes datent de ce temps et nous ont conservé de
tragiques et saisissantes histoires. Elles nous montrent le sei­
gneur de Kervégant tuan t traîtreusement son ami Adrien de
Lezormel, seigneur des Tourelles, sur la Lieue de Grève, en
1624 (1 ) ; le seigneur de Coëtloury assassin an t le seigneur de
Porzlan au pardon de Sain t- Gildas en Tonq uédec (2) ; le mar
quis de Coëtredrez ravissant les jeunes filles sur le chemin
du Guéodet (3) ; le seigneur de Guémadeuc tranchant, aux
États de Rennes, en 1616, une querelle de préséaoce en
frappant à mort son compétiteur, le baron de Névet (4) ; ou
bien le comte des Chapelles, François de Rosmadec, exécuté
à Paris en 1627 pour avoir secondé soo cousin Montmorency­
Bouteville dans le célèbre combat singulier de la Place
Royale (5). C'est l'époque où Jean de Lannion, seigneur
des Aubrays, le Lézobré légendaire, triomphait de ses
ennemis et du « Maure du Roi », en d'épiques rencontres (6),
tandis que survivait encore le souvenir des rapts et des
massacres de La Fontenelle (7), des atrocités de la Char­
lézenn (8), des frères Rannoll (9). du seigneur de Vil­
laudrain (10).
Vincent du Parc avait. du reste, dans sa plus proche ascen-

(i) Luzel, Gwerziou Breiz-Izel, t. II, p. i89-201.
(2) Ibid, t. II , p. 203-21. 7.
(3) Ibid, t. I, p. 337-3lj,9.
(4,) Ibid, t, I. p. 367-381.
(5) Ibid, t. l, p. 4,57-4,6::1.
(6) Ibid, t. I, p. 29i-396 et t. li , p. 56lj,-58i.
(7) Ibid, t. Il, p. 55-73.
(8) Ibid, t. II, p. 74,-87.
(9 ) Ibid, t. II, p. 88-9::1.

dance, de qui tenir. Son père, Louis du Parc, avait tué en duel
ou autrement, son propre beau-frère Yves de Coëtredrez, ce
qui débarrassa, il est vrai, la région d'un vrai sacripant, accusé
de plusieurs crimes capitaux, et assura, d'autre part, à la
sœur du défunt, Françoise de Coëtredrez, femme de Louis
du Parc, un superbe héritage. Vincent dut naître vers 1607 ;
âgé d'à peine vingt ans, il était déjà orphelin de père et de
mère, ce qui lui permettait de se livrer sans retenue à toute
la fougue de sa nature emportée, aux désordres et aux atten­
tats flétris par les chants populaires. Mais cette orageuse
période de sa vie fut sans doute assez courte. Il se rendit à
Paris, obtint la faveur du cardinal duc de Richelieu, qui le
nomma enseigne, puis capitaine de sa compagnie de gens

d'armes. En cette qualité, il prit part au siège de La Rochelle,
combattit en Lorraine, en Alsace, à Trèves, à Mayence, à
Corbie et s'y distingua par son courage. En 1637, Louis XIII
reconnut « les grands et recommandables services que nostre
cher et bien aimé Vincent du Parc, chevalier,' seigneur de
Locmaria nous a rendus, dit-il, en plusieurs occasions impor­
tantes au bien de nostre service, maintien et accroissemimt
de nostre État l) par l'érection au titre de marquisat de la
terre de Guerrand. à laquelle furent annexées les châtellenies
du Portzmeur (en Plouégat-Guerrand), du Ponthou (paroisse
du même nom), de Lesquern (en Lanmeur), de Penenez (en
Locquirec), de Coatsaoff (en Plouigneau ), et de Guernaon (en
Lohuec), avec institution de quatre foires par an et d'un
marché chaque jeudi au bourg de Plouégat. Une copie
ancienne de ces lettres d'érection existe aux archives du
château de Lesquiffiou.
Le nouveau marquis épousa vers 1645 Claude de Névet,
dame du Plessis-Gaultron en Sévignac, fille de Jacques, baron
de Névet, et de Françoise de Tréal, et veuve de Gabriel de
Goulaine, baron du Faouët. Il devint rparéchal de camp, était
gouverneur de Concarneau en 1643, et présida la noblesse aux

États de Bretagne de 1653. Il semble avoir, dès lors, quitté la
carrière des armes. Il passa ses dernières années au château
de Guerrand, qu'il fit restaurer ou rebâtir luxueusement au
goût du jour, et qu'il entoura d'un parc muré de 125 hectares.
On le voit offrant en 1654 des orgues à l'église de Plestin,
paroisse limitrophe de Plouégat. Il mOtJrut à Guen'and le
16 juillet 1669, à l'âge de 60 ans, en ordonnant par son testa­
ment, en date du même jour, qu'une rente de 700 livres fût
affectée à l'établissement et à l'entretien, au bourg de Plouégat,
d'un hôpital pour dix ou douze pauvres, avec une gouvernante
et un chapelain.
Or, cette fondation charitable se trOUVE: très explicitem, ent
spécifiée et détaillée dans 1& gwerze de Testament ar Markiz,
ce qui suffit, à mon sens, pour établir l'identité incontestable
du défunt. Voici la traduction des strophes qui intéressent
notre sujet: «Avec le reste de l'argent. Un hôpital sera
construit à Guerrand. - Pour loger douze pa:uvres. Dès
aujourd'h"ui jusqu'à loujours. On leur donnera de la bouillie
à midi. De la viande et de la soupe deux fois par jour. -
Du pain de seigle sera bon pour eux, Ils auront quatre
vaches à lait dans leur maison. Et un prêtre pour les
,instruire)J. Cet hôpital dresse encore sur la place de Plouégat
ses hautes toitures en croupe et sa façade de granit décorée
d'une statue de la Sainte Vierge. Il fonctionnait en 1673, et
hébergea douze pauvres jusqu'à la Révolution, qui le ferma
et le vendit (1). Une maison plus basse qui y attient, est
l'ancien auditoire de la juridiction du marquisat de Guerrand.
Un forgeron l'occupe aujourd'hui.
Diverses autres circonstances relatées dans le chant ne
(i) Son dernier allmOnier fut l'abbé Le Guern, qui émigra. Un arrêté
du département, en date du 2 messidor an II, ordonne la translation à
l'hospice de Morlaix des i7 pauvres de l'hôpital de Plouégat, en allouant
pour leur nourriture une somme annuelle dl' i 700 francs à prendre sur
peuvent non plus s'appliquer qu'à Vincent du Parc. En
premier lieu, son décès survenu à Guerrand, alors que
Louis-François est mort loin de Bretagne. Puis, le fait que

sa femme vivait séparée de lui, à Guingamp ou au château

voisin de Locmaria, ce qui décèle une mésintelligence ayant
peut-être ses causes dans certaines rechutes passagères du
marquis. Enfin, cette kyrielle de legs aux paroisses et aux
sanctuaires de la région, tandis que les testaments de Louis­
François, en date du l

août 1706 et du 10 mai 1709, se
bornent à fonder une messe quotidienne à perpétuité dans la

chapelle du château.
Ma démonstration eût encore été plus convaincante s'il
m'avait été donné de mettre la main sur quelque document
définitif. Par malheur, des archives criminelles de la juridic­
tion de Morlaix-Lanmeur, il ne subsiste que de rares débris
remontant à peine au milieu du xvm

siècle, et dans les
registres paroissiaux de Plouégat, Lanmeur, Guimaëc, Loc­
quirec, Plougasnou, Garlan, que j'ai dépouillés, je n'ai pu
découvrir, je le répète, aucune des traces qu'auraient dû y
laisser le dévergondage proverbial et l'humeur belliqueuse du

dangereux marquis (r). On peut donc croire que celui-ci
exagérait singulièrement, en Trégorrois hâbleur. lorsqu'il .
déclarait, tel ce comte de Toulouse faisant parade de ses
« mille et trois » maîtresses :
(:1.) Voici le seul acte de décès des registres de Plouégat qui puisse
laisser supposer un crime. Encore ne s'agit-il probablement que d'un
accident de charroi ou de battage: « 3 août :1.668, Philippon Le Bail
mourut de mort violente et presque subite, et fut enterré en l'église
paroissiale, en témoignage de quoi j'ai signé : Rebours, prêtre, J. Le
Goff, prêtre et recteur ». La famille Le Bail, lignée paysanne importante
et aisée, habitait les lieux nobles du Dannol et de Kersalaün. Son nom
ne rappelle en rien celui du clerc Lammour ou Lambol de la complainte.
le ne cite que pour mémoire le décès au château de Guerrand, en i 703,
d'Yves Le Citolier, cc mort d'une blessure reçue par quelque malfàcteur
en la paroisse de Plouégat-Moisan » .

Etre Montroulez ha Gwerrand,
M'euz uguent markizes ha kant.
Tre Montroulez ha Pont-Meno
Em'euz kement ail tro war dro.
Red kant scoet da bep-hini 'n hê,
Evit sevel ho bugale.
Evit sevel ho bugale,
Pe ne gwir int d'in coulscoude.
(Entre Morlaix et Guerrand j'ai cent-vingt c ( marquises». -
Entre Morlaix et Pont-Menou (r)j'en ai autant ou environ. -
Donnez cent écus à chacune d'elles pour élever leurs enfants. -
Pour élever leurs enfants, puisque cependant ils sont de moi).

Quelques personnes ont songé aussi à incriminer Joseph­
Gabriel du Parc, comte de Locmaria, frère cadet du lieu-

tenant-générq,l, né à Guerrand le 25 août 1648, mort au
même lieu ' le 15 septembre 1712, sans avoir été marié. Mais
son nom ne se rencontre pas fréquemment sur les registres.
Il était en 1698 officier de vénerie, exactement c c lieutenant des
toiles ), de Monsieur. Il paraît s'être adonné à la dévotio~. Il fit
le voyage de Rome et en rapporta des reliques dont il fit don à
sa paroisse. On a même la transcription, faite de sa propre main
à Paris le 7 janvier 1694, signée: Joseph-Gabriel du Pa.rc, comte
de Locmaria, et scellée de son cachet en cire rouge, blasonné
de trois jumelles, de l'authentique de ces reliques, qu'il
reçu t des mains de Philippe-Thomas Honnardus, du titre de
Sain,te Marie sur la Minerve, cardinal prêtre de Morfoleia, le
29 mai 1692. Suit l'authentique de l'archevêché de Paris,
donné le '.J7 novembre 1693 par François, évêque de Bethléem,
lequel déclare qu'après avoir fait ouverture de « la bouette
(1.) Gros village enlre Lanmeur et Plestin, autrefois célèbre par ses
foires, et situé au nord de la commune de Plouégat.

venue de Rome» el en avoir vérifié le contenu, il a placé les
reliques dans neuf reliquaires de bois doré, à l'exception de
celles de Saint Alban, qui ont élé données à la paroisse de
Saint Sulpice (1), Il ne semble vraimenl pas qu'on puisse
retrouver en ce pacifique et 'pieux gentilhomme à l'existence
effacée l'assassin du clerc,
Pour épuiser jusqu'au bout la série de conjectures. reste à
parler de Jean-Marie-François du Parc, fils unique de Messire
Louis-François du Parc, marquis de Locmaria et de Guerrand,
lieutenant-général des armées du Roi, et de dame Marie­
Renée-Angélique de Larlan de K.ercadio de Rochefort, né le 7
juin J 708 à Guerrand et baptisé le 7 septembre suivant dans
l'église de Plouégat. Ses parrain et marraine furent deux
pauvres de l'hôpital, Noël Le Caer et Marie Le Laour. A sept
ans, il rendit aveu au Roi pour l'héritage de son père,
comprenant 35 fiefs de haute justice. En 1724, il se trouvait
, à Paris, à l'Académie du sieur de la Guérinière, et servait
son quartier près du Roi en qualité de mousquetaire. Devenu
capitaine de cavalerie au régiment de Royal-Piémont, sa mau­
"Vaise santé l'obligea, après la bataille de Guastalla, de quitter
ie s' ervice, tout en conservant le titre honoraire de colonel du
régiment de gentilshommes de l'évêché de Tréguier (en
1739-40). Dès lors, il vécut surtout dans la capitale, s'ocr.upa
de recherches scientifiques, correspondit avec des savants el
même avec Voltaire. Ayant fait graver en 1741 le portrait du
célèbre géomètre et mathématicirn Moreau de Maupertuis, il
en adressa une épreuve à Voltaire en lui demandant un
'quatrain à inscrire au-dessous. L'auteur de La Henriade lul
envoya les vers suivants:
Ce globe mal connu, qu'il a su mesurer,
Devient un monument où sa gloire se fonde.

Son sort est de fixer la figure da monde,
De lui plaire et de l'éclairer (1) .

Le dernier marquis de Locmaria est mort à Paris, sans
alliance, à 37 ans, le 2 octobre . 1745. Par testament en date
du 26 septembre, il instituait pour légataire universel son
cousin au 6' degré Charles-Marie-Gabriel du Parc de Lezver­
sault, et il ordonnait qu'une fondation de 24.000 livres, valant
1. 200 livres de rente, fût employée à doubler le nombre des
pauvres entretenus à l'hôpital de Plouégat. Aucun trait de la
légende du terrible marquis ne peut non plus convenir à ce
dernier, bien plus Parisien que Breton, de tempérament
débile et d'humeur studieuse, qui hantait surtout les philo­
sophes et les intellectuels de son temps, et dont la signature
n'apparaît presque jamais sur. les registres de sa paroisse
natale.

Depuis le XVIIIe siècle, le splendide domaine de Guerrand
a connu bien des vissicitudes. Lors de la chute de l'ancien
régime, il appartenait à Charlotte-Marie de Cleuz du Gage,
épouse de Charles-Claude Quemper, comte de Lanascol.
Cette famille émigra en s'embarquant au port voisin de Toul­
an-Héry, en Locquirec, après avoir pris, dit-on, la précaution
d'enfouir beaucoup d'or et d'argent monnayé, d'argenterie et
de bijoux en certain endroit proche de la grande avenue.
Mais à son retour, les arbres avaient été coupés, le terrain
transformé, les points de repère n'existaient plus et toutes les
fouilles demeurèrent inutiles. Quant à la propriété, elle avait
été lotie et vendue nationalement, les II floréal et 11 prairial
an 11, 14 frimaire et 7 thermidor an IV, et acquise par les
citoyens Guillaume Mahé, François Pezron et Favier. Favier
(i) OEuvres complètes de Voltaire, Paris, i8i7, t. IX, 485.

ceda sa part aux deux autres, qui divisèrent le parc el les
bâtiments par moitié. Mahé eut le cbâteau et Pezron l'oran­
gerie, qu'il aménagea en habitation. Les bois furent exploités
pour le service de la marine.
Un demi-siècle plus tard, l'œuvre de destruction était déjà
bien ayancée. Voici ce qu'en disait Emile Souvestre. dans son
Finistère en 1836, (p. 16); « Suivez les murs du parc de
Guerrand, qui ont plus d'une lieue de long et jetez un regard
sm son château magnifique qu'entourent des prairies, des
eaux, des bois, des jardins, mais qu'attriste un air d'abandon,
de délabrement. Naguère, cette demeure royale retentissait
du joyeux tumulte des fêtes; ces taillis, dont les ombrages
rampent honteusement à terre, s'élevaient en majestueuses
futaies, et l'on en entendait sortir par rafales, vers le soir, les
sons étouffés du cor et les aboiements des meutes égarées;
mais la révolution a ôté à ce lieu toutes ses pompes. Le château
de Guerrand, tombé aux mains d'honnêtes bourgeois, menace
ruine, et vous ne verrez plus que l'ombre de ce qu'il était
autrefois )).
M. Marcel de Jaegher. peintre et graveur de grand talent,

né à Morlaix et habitant Paris, possède un dessin du château
de Guerrand, exécuté par son oncle Jules de Jaegber. C'était
un majestueux édifice du XVIIe siècle, à pavillon central décoré
d'un fronton, et deux autres pavillons flanquant les extré­
mités du corps de logis, avec des toitures élancées que cou­
paient de riches lucarnes. Il a été démoli avant 1840 ; lors
des travaux, on découvrit des tuiles et des fragments de poterie
remarquables, révélant que le manoir féodal avait succédé à
une villa gallo-romaine. L'habitation actuelle, de style hy­
bride, est accolée à l'ancienne chapelle conservée, qui ter­
minait l'une des ailes; son campanile contient encore cette
cloche dont la mère du markiz-brunn allait tirer la corde
dès que son scélérat de fils s'esquivait du logis. La chapelle .
était dédiée à Sainte Anne. On a remonté aussi deux ou trois

luca'rnes de pierre et adossé au pignon un petit oratoire de
1677 qùi se trouvait il y a quelque vingt ans à l'angle Sud­
Ouest du parc.
Celui-ci a subi dernièrement un affront irréparable, dans
sa moitié appartenant aux héritiers de la famille Swiney, qui
la tenait par alliance des Pezron. Elle est tombée aux griffes
des marchands de biens, 4ui naturellement en ont rasé
aussitôt les belles avenues, les futaies et jusqu'aux taillis.
Après avoir tondu le sol à blanc, ils l'ont découpé en par­
celles et quelques maisons paysannes s'élèvent déjà SUI' la
partie avoisinant le bourg. Le parc avait une surface de " 1 25
hectares entièrement murés. L'angle rentrant assez prononcé,
décrit par l'enceinte du côté de l'Est, témoigne, paraît-il, de
l'obstination d'un seigneur jaloux de son fastueux voisin, et
qui, pour einpêcher ce dernier d'arrondir son domaine, refusa
à tout prix de lui céder le terrain nécessaire.
L. LE GUEN NEC,

119 -

DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1928
PAGES.
1. Matériaux pour la bibliugraphie de l'histoire de
la H.évolution dans le département du Finistère
par D. BERNARD. . . . . . . . . . . . .. 3
II. La légende du marquis de Guenand et la famille
Du Parc de Locmaria par L. LE GUENNEC . .. 15
Ill. Lettres de service du lieu tenan t-géI1éral marquis
de Locmaria par L. LE GUENNEC . . . . . .. 36
IV. Trois bretonnes à la maison de Saint-C)'r par
J. DANIEL. . . . . . . . . . . . . . . .. 42
V. Matériaux pour la bibliographie de l'histoire de
la Révolution (suite) par D. BERNARD. . . .. 48
VI. Au sujet d'une chapelle dans l'église paroissiale
de Crozon par J. DANIEL. . . . . . . .. . 68
VII. Notes sur des cachettes de prêtres assermentés à
Saint- Martin-des-Champs (près Morlaix) par
L. PÉRON .....

VIII. Notes sur quelques orfèvres bas-bretons
L. LE GUENNEC. . . . . . . . . . . . .

par

IX. Deux billets à Kerguélen par Auguste Dupouy ..
X. A propos d'une clef de voûte aux armes de la

maison de Trébéron par R. ANTHONY. . . .
XI. Marques et signes sur des pierres tombales à

. Penmarc'h par L. LE GUEN NEC. . . . . .. 100
XII. Curieuses signatures relevées ~ur les registres
. de baptêmes de Tréoultré-Penmarc'h par l'abbé
J. TOULElIiONT . . . . . . . . . . . . . .. 107
XIII. De quelques points intéressants de nos côtes
(Dinan, Lostmarc'h et Lesteven en Crozon) par
A. JARNO. . . . . . . . . . " lOg