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Bulletin SAF 1927


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Le vieux manoir de Kersaliou en Saint-Pol-de-Léon

J.-M. Ausseur

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1927 tome 54 - Pages 84 à 96
Le Vieux Manoir de Kersaliou
EN SAINT-POL-DE-LÉON
Le vieux manoir de Kersaliou, en Saint-Pol-de-Léon, est un
précieux exemplaire, très bien conservé, de l'architecture
civile bretonne dans la première moitié du XVIe siècle (1).
Il fut bâti aux environs de 15IO par Bizien de Ker-
saintgilly, cadet de la maison de Keruzoret en Plouvorn, qui,
lors de son mariage avec Perrine de Kerret, vint habiter la
paroisse de Toussaints dans le Minihy du Léon.
Son fils aîné Guillaume se maria en 1547 à Jeanne de Ker-

sulguen. Leur pierre tombale armoriée se voyait encore, il y
a quelques années, dans le dallage de la chapelle de N.-D. de
Bon Secours, à la cathédrale de Saint-Pol. Les armes des
Kersaintgilly, vieille lignée issue d'ancienne chevalerie, qui a
produit un croisé en 1248 et plusieurs vaillants guerriers et
marins, sont: de sable à six trèfles d'argent, 3, 2, 1 avec la
devise: Florebunl sicul lilium , (ils fleuriront comme un lis),
Cette famille existe encore. Les Kersulguen, aujourd'hui
(i) Ces notes n'on! d'autre prétention que d'ouvrir la voie, peut-être,'
à d'autres études plus savantes et à d'autres restaurations plus précises,
en montrant comment, dans ce beau pays de Léon si plein de souvenirs,
l'initiative privée, heureusement secondée par des archéologues savants
et par des artistes éclairés, a pu, sans très grands efforts, sauver de la
ruine un des plus fins joyaux de l'architecture bretonne, si riche d'autre
part en magnifiques chefs-d'œuvre universellement admirés. Il aura suffi
d'un peu de goût et de beaucou p de bonne volonté. Les travaux de res­
tauration ont été très habilement dirigés, en i923, par un architecte de
M orlaix, M. Lionel Heuzé, D. P. L. G. , membre de la Société archéo­
logique du Finistère.

éteint.s, portaient: d'or au lion de gueules, comme Pont­
l'Abbé, dont ils étaient issus.
Le blason des Kersaintgilly a été reproduit sur l'un des
écussons du porche et de la porte d'entrée. Sur un autre, on
a placé les armes des Kerc'hoent, losangé d'argent et de sable,
parce que c'est une alliance avec cette famille, jadis puissante
au Minihy de Léon, qui a fait entrer la terre de Kersaliou
dans le patrimoine des Kersaintgilly. Les armes de la reine
Anne de Bretagne (d'azur à trois fleurs de lys d'or, qui est
France, mi-parti d'argent semé d'hermines, qui est Bretagne)
décorent en outre l'entrée principale.
Après Guillaume de Kersaintgilly vint son fils Hervé. En
159ll. il ét.ait " capitaine des ville et hâvre de RoscoiT, et
garde-côte du Minihy de Saint-Paul". Il avait épousé Guille­
mette Polart, de la maison de La Villeneuve, en Plouézoch.
Hamon de Kersaintgilly, leur fils aîné, aussi capitaine de
RoscolT, Toussaints, Saint-Pierre et l'Ile de Batz, mourut sans

héritier en 1640. Il laissait ses biens à ses neveux, enfants de
son frère Pierre, marié à Julienne de La Roche et dont l'aîné,

Rodolphe, avait épousé Anne de Kerguiziau. Le plus illustre
de ceux-ci est le bon marin Hervé de Kersaintgilly, né à
Kersaliou en 1612. A près s'être distingué contre les corsaires
barbaresques, et avoir pris une part glorieuse au siège d'Alger,
il fut nommé chef d'escadre des armées navales et envoyé par
Louis XIV dans l'océan Indien pour y prendre possession de
Madagascar et des Mascareignes.
Dans une récente étude sur la colonisation française, la

Revue des Deux Mondes a évoqué cette belle figure d'intrépide
marin : il paraît qu'il avait un réel talent de conférencier,
et qu'il l'employa, par ordre de Louis XIV, à faire dela propa­
gande pour attirer lèS Français aux colonies de l'océan Indien.
Il commandait la frégate La Maréchale, qui emmenait à
Madagascar les missionnaires de Saint-Vincent de Pau\. Au

qu'il appela Saint -Paul. en souvenir de son pays natal, · dans
l'île de Mascareigne nomm ée depuis Ile Bourbon .
Son navire portait également le nom du saint patron de sa
ville. Il est mort en 1667 ; son nom a été donné à une des
rues de Fort-Dauphin.
Enfin un autre fils de Pierre de Kersaintgill y. un frère
d'Hervé, fut le révérend Père Jacques de Kersa intgilly, prieur
des Dominicains de Morlaix. Capturé en mer, alors qu'il se
rendait au Portugal, il mourut en escla vage, prisonnier des
Turcs, vers 1665, sa rançon pour laquelle les Etats de
Bretagne avaient voté 12.000 livres . étant malheureusement
arri vée trop ta rd.
Par suite de l'alliance, en 1675, de Louise-Olive de Kersaint­
gilly, fille unique et seule héritière de Messire Hamon de
Kersaintgilly et d'Anne de Kerga riou, seigneur et dame de
Kersaliou et de François Simon, seigneur de Kerenez (en
Kerlouan), le manoir devint la prop riété de la famille Simon
de Keren ez, qui portait : de sable au lion d'argent armé et
lampassé de gueules. Cette famill e Simon tran smit le petit
manoir à la famill e David de Coalhllon dont les armes étai ent:
d'argent au pin arraché de sinople chargé de trois pommes
d'or " . Les David de Coathuon s'éteigniren t à leur tou r en 1792.
Une élégante inscription placée à l'intérieur dans la vous­
sure de la porte d'entrée, pour indiquer la date de la cons­
tru ction ( 15 IO) et celle de la restauration ( 19 23) fait appa raître
les armes de Bizien de KersaintgiJly, et celles d'A nn e de Ker­
c'hoent. sa mère, au milieu d'une gracieuse allégorie sculptée.
Elle évoque discrètement les cinq fils du propriétaire actuel
dont l'aîné fut tué à la guerre (1) .

(i) C'était un jeune architecte: il tomba aux Eparges le 6 mai H)1 5,
lieuteni mt au 25

bataillon des chasseurs à pied, cheva lier de la Légion
d'honneur: c'est pour lui une épée brisée. C'est une ancre pour le
second fils , qui a également. fait la guerre, et qui est maintenant Iieu-

Le type de construction du vieux Kersaliou, bâtiments en
équerre, avec, dans l'angle, un pavillon à tourelle contenant
l'escalier, est courant en Basse-Bretagne. Dans le Léon, on
peut citer comme exemples: la Grande-Palue près Lander­
neau, le Cosquérou en Guiclan, le Rest en Plabennec, Châ­
teaufllf en Ploun&.vez-Lochrist, Kerlan en Sibiril, etc .. Cepen­
dant, on n'a pu retrouver encore avec précision le nom de
l'architecte de cette élégante construction (1), et ce ne sont
que des présomptions qui le font apparenter à deux châteaux
également bien conçus et élégamment décorés: Mézarnou en
Plounéventer, dans lequel on admire une décoration d'escalier
semblable, et Tronjoly en Cléder, qui appartient à la famille

Hervé de Penhoat, et qui, sur un plan plus riche et plus vaste,
montre une disposition identiqu e .

Les vieux habitants du pays appellent volontiers cette j olie
habitation la maison de La Fontenelle. Alors, avec un peu
d'imagination, servie par les deux barbacanes, en forme
d'hermine héraldique, qui flanquent la porte d'entrée, et,
aussi par les créneaux rébarbatifs qui la surmontent, on
évoque La Fontenelle, le grand bandit qui, à l'époque de la
Ligue, pillait les châteaux et terrorisait la Bretagne, Guy
Eder, seigneur de La Fontenelle, qui, à 29 ans, fut roué à
Paris en place de Grève, sous Henri IV et par ordre du Roi,
pour intelligence avec les ennemis de l'État.
La légende du beau bandit traversa les siècles, et pendant
tenant de vàissea u. C'est ensuite un maillet el un compas, pour deux autres
fils, Jont l'un est sculpteur-décorateur, et dont l'autre est architecte. Enfin
l'olivier de Minerl'e dit que !e dernier fils u'est encore (i923) qu'un jeune
étudiant.
(J) Ce doit êtra sans doute le même artiste qui traça et tailla dans le
gr.wit le pu'rche Ouest de l'église de Roscoff, une porte latérale dans la
longère Sud de la mêllJe église, et la porte d'une ancienne maison gothique
de Roscofl'. Ces ouvertures sont exactement traitées comme la porte anté­ rieure de Kersaliou.

plu sieurs généra tion s d'âmes sensibles, les complaintes popu­
laires ont répété sa triste histoire. On supposait qu'il aurait
pu avoir à Kersaliou , bien abrité et tout près de la côte, pour
faciliter ses relation s avec les agents du r oi d 'Espag ne , son
quartier gé néral dans la région. Il y aurait entassé son butin,
ses munitio ns et ses tréso rs; un sombre souterrain aurait
fait communiquer la cour du p etit manoir avec la plage dé­
serte d e Troméal.
L'on imagine fa cilement du hau t de l'escalier de la tour que
signale M. Le Guennec dans son étud e sur les Manoirs fortifiés
du Finistère (1), on imagine le g uetteu r j etant du plomb fondu,
ou les solda ts alertés dirigeant leur arquebusade au long de
la grande allée. Pauvre grand~ allée, dont plus tard , une
époque dénuée de poésie dévastera san s honte les ormes
cen tenaires !
Je crois qu'il y a p eut-être un e autre explication moins
brutale et plu s terre à terre : c'est un dessin à la plume du
dessinateur ren nais Rusnel, illustrant en 1886 le Pays de
Léon d e du Cleuziou qui nous la fournit; également un e
rep rodu ction som maire d e Kersaliou dan s les Contes et
Légendes de Bretagne, publiés par la Société des Bibliophiles
breton s. Enfin un e charman te sépia de M. Le Clech vers
1850, sur un album appartenant au chanoine Saluden, de
Bres t. On y voit clairem ent qu e le ruissea u qui de tout temps
coula dans la vallée s'élargissait deva n t la maison, en u ne petite
fontain e un e fonlenelle - où les animaux venaien t boire,
près du tennis, ou mieux, pour parler à la fran çaise , près
du terrain d e la longue pau me ; c'est exactem ent à l'endroit
où l'on essaie de faire revivre l'élégante ch armille de quelques
tilleuls taillés ,
Du reste, il serait p eut-être piquant d e remarqu er que le

(i ) Bulletin de l'Association Bretonne. Co ngrès de Qui1nper, 1923.

nom m ême du noble pillard n'a sans doute pas une autre
origine. Guy Eder, qu'on croit natif de Bothoa ea Cornouaille,
prit le nom d'une p etite terre qu'il possédait près de Saint­
Brieuc simple ferme sans grande impor taryce où il y a l'ait
une fontaine et il se fit appeler seig neur de La Fontenell e.
Les pl'Opriétaires actuels, qui ont des goû ts inodestes, des
m œ urs tranquilles et un caractère accueillant, préfèrent de
beaucoup cette seconde version. Ils ont rétabli la table de
marbre blanc du cadran solaire sur laquelle ils ont écrit
" hora quœlibet amicis" (l'heure qu'il plaît aux amis), et
comme formule de salutation et de courtoisie à ceux qui
en passant ont bien voulu les venir voir, ils ont gravé au
cintre de la porte cavalière, peut-être avec plu s de Lonne
volon té que de syntaxe: "hep kenavo ", ce qui, en breton ,
pourrait vouloir dire" sans adieu",
De graves érudits ne manqu eront pas de critiquer sévère­
ment tout ce q u'il y a de fantai siste dan s celte explication
bucolique, D'abord l'étude approfondie des racines de la
langue bretonne, et même du celtique, ne permet pas de dire
que fontenelle ait jamais pu signifier fontain e dans la Basse
Bretagne. En suite, le séjour de Guy Eder de La Fontenelle à
Kersaliou est possible, sinon probable. Guy Ed e l' a pu très
bien s'arrêter et séjourner qu elqu es . jours à Kersalio ll,
lorsqu 'il vint, en 1596, de son île Tristan pOll r piller Rosco ff,
de compte à demi avec un autre brigand de m ême acabit .
La Magnanne, Mais on sait qu'ils ne pur~nt s'entendre pour
le pa rtage du butin et qu'ils se livrèrent un violen t combat,
où La Fontenelle semble avoir eu le dessous, près du manoir

de Pontplancoet en Plougo ulm, sur la route de Plouesca t ( 1 ).
Après la tourmente révolutionnaire, on trouve le domaine
de Kersaliou , avec ses ferm es et so n vieux manoir délabré,

(i l Cependont Jean Lorédan n'en fait pas mention dans sou livre SUI'
ta Fontenelle, seigneur de la Ligue (Paris Perriu, 1926),

aux mains 'd u comte de Champagny, parent (hl' duc de Cadore,

qui fut ministre de Napoléon I"'. Puis quelques générations
passèrent, et. en 1914, le propriétaire était M. le comte de
Gouyon de Beaufort, gend re du comte de Champagny. Enfin
M, de Beaufort ayant eu la douleur de perdre ses deux fils,
glorieusement tués à la grande guerre, le domaine dèvint en
19 [8 la propriété de M. 'Reindre. Celui -ci le garda peu. le
négligea beaucoup , et le morcela aussitôt, non sans y avoir
fait quelques coupes sombres et quelques destructions sau­
vages. Et c'est de ce vendeur que " le propriétaire actuel dut
acquérir dans le dessein de le sauver ce qui restait du
vieux manoir de Kersaliou.
Les châtelains avaient depuis longtemps délaissé celte
habitation humide, sombre et trop exiguë . Ils ' l'avaient
remplacé par le château actuel, vas L ebâtisse qu'occu pe l'œuvre
des colonies de vacances de Ml le Le Goaziou, de Morlaix. Le

nouveau château est du reste magnifiquement placé, au mi lieu
d'un parc centenaire, sur un e admirable terra SS3 dominant la "
mer. Mais Je vieux manoir , de Kersalion, p endant tout Je
XIX· siècle et au début du xx", n'était plus qu'un petit bâtiment
de ferme, logis éventuel de qnelque pauvre métayer, habitati on
morne, incommode et négligée. Fréminville en donn e une
description exacte dans ses Anliqiûlés du Finislère (Lome 1 c',
1832, pp. 60 et 61 ). Qualld aux pièces du manoir, on les vit
vers IgOO, transformées en poulailler, en bergerie, en étables
et en remises,
Suivant la formu le des vieilles habitations qui avaient eu à
se défendre, il n'existait dans le vieux Kersaliou de portes et
de fenêtres q ue sur la cour intérieure, rigoureusem ent fermée

par ses deux portes: cavalière et piétonne; l'extérieur était
un mur plein et continu. On a compté que, pour y recons­ tituer un logis habitable, Je propriétaire actuel n'avait pas
ouvert ou démasqué moins de dix-neuf croisées .

les notes ont paru sou s le titre " Par les Champs et par les

Grèves ", Flaubert vit le vieux manoir de l( ersaliou envahi
par les ronces et désert. Les po ules picoraient dans la haute
cheminée sculptée, et aux robustes poutres du . plancher
l'araignée tissait sa toile. Flaubert vit le porche que surmon­
tent les écussons armoriés. Il décrit la grande lu carne de
pierre oll deux robu stes figures sculptées - Hercule et le
lion de Némée font de pittoresqu es saillies. Mais il ne vit
pas, dissimulés par les mou sses; le lierre, ou les plantes
parasites, ni les deux angelots qui , gracieusement, présen­
tent deux écussons, de ch aque côté de la porte, ni la belle
et so uple et naïve accolade qui l'encadre avec ses jolies
sculptures, si bien conservées ; ni enfin la charmante figure
du petit page breton qui la surmonte, et que Michel Colomb,
le grand sculp teur natif de Saint-Pol, n'aurait peut-être pas
désavoué. Et cependant tout cela con stitu e, avec la porte en
bois très habilement composée de motifs anciens, etjudicieu­
sement orn ée d'une robuste et belle ferronnerie, un ensemble
gracieux et parfait. A l'intérieur, des menui series habilement
conçues , encadrent de leurs lignes sobres et pu l'es une belle
décoration de " verdures" en toiles peintes.
Puis voici la grande salle, qu'un beau dallage noir et blan c
et une co upe de pierre de bonn e tenu e font valoir. Va ste et
monumentale, la chemin ée de granit sculpté avec sa cré­ maillère forgée et ses hauts landiers s'accompagne de qu el ­ ques vieux meubl es choisis. Au milieu, des faïences , de vieilles
armes, des grès, des cuivres , des étains mettent diversement
leur note de pittoresque et de clarté.
A droite et à ga uche sont deux beaux pann eaux de bois
sculpté du xv" siècle, représentant deux sa ints intercesseurs :
sainte Catherine avec la roue de son supplice et confondant
les docteurs, et saint Cyriaque, dans un grand geste bénisseur,
qui exorci sa la reine de Hong rie.
Il a suffi ri'un plancher avec un petit escalier de bois pour

rendre habitable le dessus de la cuisine. Un autre plancher
encore au-dessus de l'écurie, a permis de faire deux belles
chambres d'enfant.

'~~ ..... ",-. fi ,,''''''; Il.

CHEMINÉE AU PREMIER ÉTAGE DU MANOIR DE KERSALlOU
Puis ici une assise de pierre intercalée, rehaussant le linteau,
a fait de la laiterie une pelite pièce accessible.
Enfin, à travers la remise éventrée, une belle traverse
sculptée en bois, du XVIIe siècle, a permis de placer l'entrée
Pour accéder au premier étage, l'escalier de granit, appa­
reillé en tour rond e sur noyau central est parfaitement
conservé ; plusieurs portes s'y ouvrent successivement sur le
décrochemen t des ma rches .
La pièce située au-dessus de la grande salle possède comme
celle-ci un e cheminée gothique jadis blasonnée sur son
manteau de l'écu des Kersaintgilly. Une malencontreuse
réparation fit disparaî~re ces armoiries peu après 19OO, date

à laquelle M. Le Guennec en avait pris un croquis
Puis le noyau se prolonge et 's'évase en un élégant motif
en forme de chapiteau, pour supporter les dalles rayonnantes
qui font le sol de la petite chambre de guetteur; ce n'était
plus à la fin, hélas, qu'un simple et modeste colombier!
A cette amusante petite pièce et à celles du comble, on
arrive par un petit escalier tournant, visible du dehors, où il
forme une tourelle .ronde . engagée, terminée en cul de lampe ;
sa poivrière, cou verte en vieilles ardoises, complète la plai­
sante silhouette de cette gentilhommière d'autrefois.
La seule liberté que les occupants aient osé prendre avec
la reconstitution scrupuleuse de ce joli joyau d'architecture
bretonne, a été de , . signer" la petite chambre du guetteur
et de la dater. Ils ont voulu la traiter dans le goût moderne,
et ont . fait figurer sa. décoration et son vitrail, son tapis et
ses meubles sculptés, à l'Exposition des Arts décoratifs . de
Ig25, à Paris, où elle fut ! 'emarquée.
Il faut bien encore aV01ler une autre concession à l'esprit
moderne et au goût du jour; pour donner à la cour plus
d'air et plus de lumière, on y a mis une grille en fers carrés,
une simple grille forgée, robuste et sobre comme une herse,
au lieu. des .vantaux .en épaisses planches de chêne barrées,
écharpées, cloutées et frettées, que l'archéologie voulait, y
tolérant seulement un étroit judas .

Au surplus, on prévoit que le sol de cetta cour pourrait

les joints d'herbe - avec, au pourtour, des emplacements
réseryÉ's pour les arbres en es paliers, les arbustes verts et
les fleurs.
Les manoirs anciens ne comportaient qu'un e grande pièce
où l'on vivait journellement; où les femm es filaient, où l'on
mangeait, où l'on buvait devant l'âtre, où les hommes
arm es, en cas d'alerte, pouvaient se réunir. Les chambl'es,
peu nombreuses, ne servaient guère qu'à y coucher. Le juris­
consulte et écrivain rennais Noël du Fai! a donné, dans ses
Gonles el Discours d'Eulrapel, une jolie description de la vie
dans les manoirs bretons du XVI' siècle.
Les manoirs avaient de plus leur colombier en forme de
tour, leur moulin à eau ou à vent, et ils avaient leur chapelle.
Le manoir de Kersaliou possède encore la sienne, Enfouie
dans les arbres, à quelque di stance de l'habitation, c'est un '
modeste oratoire consacré à N.-D. de la Clarté. Les marins
en détresse l'invoquaient, comme le rappelle un petit bateau
votif, suspend u à la charpente, et comme nous l'apprend le
bon Père Cyrille Le Pennec, religieux carme de Saint-Pol­
dans un rarissime opuscule imprimé à Morlaix en 1647.
Un gracieux campanile abrite la cloche; et sur l'autel,
au milieu d'un élégant retable, est une belle statuette de
la Sainte Vierge, en bois sculpté et doré, du xvm' siècle.
Une porte naïvement taillée, dans l'esprit du xv ' siècle,
montre sur une grande croix la Sainte Vierge, les yeux au
ciel, serran t sur son cœur un e barque désemparée, tandis
que sur les bras de la croix on lit, dans les flots et sous les
étoiles, l'invoca tion " Maris Stella " . Deux: statues, un
saint Antoine entouré de flamm es et tenant sa clochette,
et un saint évêque crossé, mitré et bénissant, mais sans
attribut caractéristiqu e, vieux bois sculptés et peints du
XVI e siècle contribuent à orner ce petit sanctuaire.
Enfin à la limite de la propriété, au fond d'un édicule

claire source jaillissante, on a placé l'image tutélaire
royale et couronnée de la Vierge du xv· siècle connue sous
le nom de Vierge de N.-D. de Paros.
Lors .de l'achèvement des travaux de la restauration, la
consécration fut faite et la bénédiction donnée par M gr de
Guébrianf, supérieur de la Société des Missions Étrangères,
qu'assistait M. le chanoine Esquerré, du chapitre de N.-D.
de Paris, le 15 août 1924.
J .-M. AUSSEUR.

107 -

DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1927
PAGES
1. Bonaparte glorifié au pays bigouden (26 août 1798),
par H. WAQUET. . . . . . . . . . . . . '. 3
Il. Un libraire morlaisien au XVI" siècle. Bernard de
Lea u, par L. LE GUENNEC. . . . . . . . . .. 11
III. Le nom de Laënnec. Un cas difficile d'onomastique.
par Joseph LOTH . . . . . . . . . . . . .. 32

IV. L'allée couverte de Men-Meur (Guilvinec), par
Marthe et Saint-Just P ÉQUART .. ...... , 48
V. Dolmen de Brunec (tIes Glénans), par Marthe et
Saint-Just PÉQUART . . . . .

VI. Le vieux manoir de Kersaliou en Saint-Pol-de-
Léon, par J.-M. AUSSEUR. . . . . . . . . .. 84
VII. Une émeute à Kernilis en 166(j, par H. WAQUET. 97