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Société Archéologique du Finistère - SAF 1927 tome 54 - Pages 3 à 10
Par la constitution du 5 fructidor an III, la Convention,
supprimant les districts, créa des municipalités de cantons
superposées aux petites communes, dans chacune des
quelle~ il ne resta plus que doux agents municipaux. On
compLait alors beaucoup plus de cantons qu'à présent:
80 dans le Finistère pour 43 en 1927. Plomeur se trouvait
de la sorte chef-lieu de canton, de même que Plopéour et
Plozévet, sans préjudice pour Pont-l'Abbé ni pour
Plogastel-Saint-Germain. Auprès de chaque administra
tion mllnicipale, un commissaire, nommé par le pouvoir
central et révocable par lui, reçut mission de surveiller
les élus et de requérir l'exécution des lois espèce de
préfet au petit pied, avant la lettre.
Le plus original des commissaires des cantons finis
tériens fut sans doute celui du canton de Plomeur, Jérôme
Loëdon. Des lettres et rapports qu'il adressait au com
missaire près l'administration départementale, et dont
nous avons encore un bon nombre, aucun n'est absolu-
ment insignifiant; l'un d'eux, consacré à la description
d'une fête patriotique à Saint-Jean-Trolimon, se fait
spécialement remarquer pour ce qu'il nous apprend à la
fois de l'auteur, de ses administrés et de l'esprit du
temps. C'est celui qu'on lira ci-après. Le général Bona
parte y est porté aux nues.
L'auteur, «homme plein d'esprit et de talent », à ce que
prétend Cambry, avait 61 ans en 1798, étant né à
Quimper le 17 jan vier 1737. Son père, Nicolas Loëdon,
sieur de I(erromen, époux de Marie- Josèphe Morice,
~tail procureur au présidial et receVflur de la communauté
de Quimper. Jérôme avait une sœur, qui se maria au
constituant Coroller du Moustoü' (1), et deux frères, dont
l'un, Joseph, prêtre, recteur de Gourin depuis lï72, siègea
sur les mêmes bancs que Coroller (2). Jérôme, lui a ussi,
était prêtre; il avait appartenu à la compagnie de Jésus,
ce qui lui avait "alu, lors de la di~solution de la compagnie.
l'amertume de se voir c'est lui qui l'écrivit plus tard
(en 1794) «banni, exclu pendant sept ans des droits
du citoyen ». La Révolution le trouva recteur de Beuzec Cap-Cavai et le fit curé de Plomeur (3) . Inquiété et
incarcéré à Landerneau en octobre 1793 à cause de son
amitié pour Kervélégan et les fédéralistes, il ne fut
r elâché qu'après quatorze mois de détention, sur l'inter
vention des rA présenlants en mission à Brest. Revenu
alors à Plomeur, il y reprit son ministère, peu absorbant,
à ce qu'il semble, et qu'il n'abandonna pas quand il devint
com missaire du Directoire.
Ses letlres porlent loutes, après la date, l'énoncé d'un
théorème d'Euclide, de sorte que l'ensemble de sa corres
pondance avec le commissaire près du département
(1) Surnommé Coroller-Soupape parce que, dans son excès de zèle
terroriste, il avait demandé à Carrier la recette de ses « ( bateaux à
soupape ».
(2) V oir son portrait dans Kerviler, Cent ans de représentation
bretonne, t. l, p. H6.
(3) C'est de lui que Cambry doit parl er quand il raconte qu'il serait mort
de froid et de faim dans le pays de Penmarch sans le « hon pasteur »,
qui lui servit c( une poularde au riz, une poularde fri cassée, une pou
larde grasse à la broche », le tout arrosé « du plus délicieux vin d. e
Ségur », trou vé en épave. Mais « sa soutane était composée de cinq
cents pièces de teintes difIérentes » (Voyage dans le Finistère, éd. de
Fréminville, p. 353) .
constitue comme un véritable cours de géométrie. Un jour,
pal' exemple, il écrit: « Dans les circonférences de diffé rents cercles, les arcs semblables sont entre eux comme
les cordes qui les soutiennent». Le surlendema.in : « La
surface d'un parallélogramme est égale au produit de sa
base par sa hauteur ».
A côLé de ce léger trait de pédantisme, relevoDs une
décente familiarité, indulgente à l'étern elle infirmité
bretonne. Se servant d'un papier accidentellement sali,
il s'en excuse en ces termes: « L'empreinte du jus de
Bordeaux vous fera voir que nos agents de campagne
'(c'est un agent qui s'en étoit chargé) cèdent trop souvent
au penchant du roi Grallon, leur illustre ancêtre» (1), ~
Dans une adresse qu'il fit remettre aux administra teurs
du département le 1 er ocLobre 1794 en vue d'obtenir son
élargissement, il protestait de son ci "isme : « Je prie
l'adminisLration de se rappeler, .. mon zèle pour l'accep
tation de la constitution, pour l'exécution des lois, pour la
levée des volontaires et des réquisitions et les services
que j'ai pu rendre en faisant lever en masse ma commune
pour la défense des côtes et en faisant rembarquer des
Anglais descendus au nombre de trente dans une anse de
ma commune dans ' le L emps où les moissons pouvoient
être incendiées par eux ,). Il semble avoir été en effet
soucieux du bien public et c'est ce qui dut l'entraîner
d'abord dans le courant réformisle. A l'égard de la
constituLion eivile, son attitude fut assez hésitante. Son
nom se lit dans la liste des ecclésiastiques signataires
de la protestation épiscopale publiée après la mort de
Mgr de Saint-Luc. Il fut même choisi pour prononcer
l'éloge funèbre du prélat, ce qui prouve que celui-ci ne le
(i) Allusion à une vieille coutume, rapportée par Cambry (Voyage ... ,
considérait pas d'un œil défavorable. Néanmoins il prêta
serment le 20 mars 1791 ; le 24 mars il se rétractait, mais
les persécutions dirigées contre les réfraclaires eurent
raison de son orthodoxie. Tandis que son frère Joseph,
qui n'avail d'abord juré que sous réserve, partait pour
l'exil, Jérôme rétractait sa rétraction. Le 17 juin 1792 il
était élu curé de Plomeur. Partagé entre son sentiment
religieux et son goût pour le nouvel ordre de choses, il
fait l'effet d'un pauvre homme, aspirant de toutes ses
forces et par tous les moyens à sa tranquillité. Sa modé
ration, dont il se vantait, se fondait évidemment sur une
certaine médiocrité de caractère et sur un immense désir
de conserver sa place (l).
Pour aucune cause il ne s'était fait une àme de martyr.
Ayant reçu une lettre de menaces, il affirme: « Rien ne
m'arrachera à mon poste. J'y suis la sentinelle fidèle du
gouvernement. Je vis pour la patrie ; je saurai mourir
pour elle ». Deux jours après, il cràne moins: « Mes
jours courent des risques. Je ne suis pas un visionnaire,
encore moins un vieux rêveur », et, pour conclure, « je
vous prie de faire donner un ordre au capitaine de Kerity
de m'envoyer deux soldats en garnison chez moi pour
ma sûreté }). Il était bien de ces gens, si nombreux, dont
l'avènement de Bonaparte et la conclusion du Concordat
vinrent à point arranger les affaires. En l'an XII, Jérôme
Loëdon, soumis ou simplement résigné, était desservant
de la succursale de Sa,int-Jean-Trolimoll. Il y mourul le
16 septembre 1808 (2).
(i) Abgrall, dnns ses Observations ... sur les causes de l'annulation
de son élection, le rudoie fort et le trBite de versal'ile. Voir Archives
du Finistère, fonds Prosper Hémon, nO 20 (notes sur LOëdon).
(2) Tout ceci d'après les Archives départementales du Fiuistère (lands
Prosper Hémon, nO 20; dossiers de la police ct du personnel dans la
série L ; tables décennales de l'état-civil).
. Il considérait les fêtes ci viques « comme un des moyens
les plus puissants pour faire goûter nos institutions
républicaines ». « POUl' l\ls rendre plus intéressantes au
peuple, ajoutait-il , j'y mets quelquefois des luttes et des
sonneurs» (1). C'est bien dans cet esprit, on va le voir, qu'il
organisa la fête donnée dans son canton le 26 août 17gB,
en mémoire des éclatantes viCtoires de la première
campagne d'Italie.
PROCÈS-VERBAL DE L~INAUGURATlON DU MONUMENT ÉRIGÉ
A LA MÉMOIRE DU CITOYEN GÉNÉRAL BONAPARTE DANS
LA COMMUNE DE TROLIMON, CANTON DE PLOMEUR, L'AN 6
DE LA REPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE, LE 9 FRUCTIDOR (2)
L'Administration municipale de Plomeur, assemblée
extraordinaire par convocation de son président pour l'inau
guration du monument érigé dans son canton à la gloire du
citoyen général Bonaparte, après a voir fait toutes les dispo- .
sitions nécessaires à l'ordre et . à l'éclat de la fête, est sortie
en écharpe sur les trois heures de l'après-midi et s'est.
rendue au lieu où est placé le monument, escortée par la
troupe des canonniers du poste de Kerity aux ordres du
.citoyen d'Aymé, capitaine d'artillerie, commandant le sous
arrondissement du Pont-l'Abbé.
Pour imprimer plus de respect au p. euple, elle a voit
associé à son cortège plusieurs vieillards respectables par
leur âge et leur patriotisme, parmi lesquels on. distinguoit
·le citoyen Kerilis Calloch, ancien capitaine des gardes-côtes,
âgé de 78 ans, et le citoyen Larue, ministre du culte, âgé
de 74 (3).
(1) Abbé Peyron, Documents pour servir à l'histoire du clergé ... dans
J le Finistère; ire partie, p. 4i9-~20. .
(2) 26 août :1.'198. Loëdon commettait sur les participes quelques
fautes d'orthographe ; il n'y avait aucune raison de les reproduire ici._
(3) Jean-,M8rie Larue, vicaire , à Saint-Jean-Trolimon, né le
La place et les issues qui conduisent au monument 'pou-
voient· à peine contenir l'affluence prodigieuse ,du peuple qui
s'y étoit r endu. '! .
, Rendus au monument, le détachement s'est rangé à la
droite. et à la gauche, la municipalité s'est ,placée au centre,
Après quelques évolutions militaires et préparatoires'
une salve générale de l'artillerie a annoncé l'ouverture de la
fête et a commandé aussitôt le silence.
Le Commissaire du pouvoir exécutif du canton s'est alors
avancé de quelques pas sur l'éminence qui environne le
monument, et, adressant la parole au 'peuple, il lui a rappelé
les services signalés que le général a r endus à la République,
les victoires éclatantes qu'il a r emportées sur nos ennemis,
les traités fameux qu'il a conclus, les négociations impor
tantes auxquelles il a concouru, la mission actuelle dont il
est chargé et dont on conçoit les augures les plus favorables
par la conquête de l'île de Malte (1). ,
Quelques citoyens ayant demandé dans quelle partie du
monde il étoit, il a été r épondu qu'il étoit ou étoit la vicloire.
Le discours fini, les cris de «Vive la République» oilt
retenti de toute part avec un enthousiasme peu commun. La
municipalité a r emarqué avec satisfaction que le nombre de
ceux qui prenoient intérêt à la chose dépassoit infiniment
ceux qui paroissoient froids el indiffér ents. . .
L'hymne triomphal à la liberté a èté chanté par les 'soldats
et toutes les voix r épétoient à l'envie le r efrain : «Aux
armes, citoyens ».
A la suite des chants patriotiques, le Commissaire du
pou voit exécutif a demandé une seco.nde fois le silence et a
saisi ce moment pour publier la loi du 17 thermidor en
présence de la for ce armée, conformément à l'article 2 de
l'arrêté du Directoire du 18 du même mois. Pendant qu'il
lisoit l'article 10 de cette loi, qui est un peu étendu, quelques
murmures l'ont interrompu ; mais, ayant prié le peuple
(i ) La prise de Malte est de juin f798. Bonaparte débarqua en Egyple
le i er juillet,
d'écouter jusqu'au bout, quand ils out entendu que leur.
travaux dans le temps des semailles et des r écoltes· étaient
exceptés, ils ont universellement applaudi (1 ).
Une seconde salve a ann oncé au peuple l'ouverture des
jeux, et le président a publié les prix que la municipalité
destinait pour la course à pied. Huit athlètes se sont
présentés et l'agent de la commune les a conduils au point
de déparL pour leur donner le signal. Ils se sont élancés avec
la rapidité de l'éclair: trois sont arrivés presqu'au même
moment à la pyramide. La municipalité les a déclarés vain
queurs et leur a ajugé les prix qui -leur étaient destinés.
A la course à pied ont succédé les luLles. Un canonnier
s'est présenté dans l'arène, et, en ayant fait les trois tours
d'usage, personne ne se présentant, le prix lui a été aj ugé.
Au secoild prix, il s'est de nouveau présenté. Lors un
cultivateur vigoureux est entré en lice ponl' le lui disputer.
Le canonnier l'a terrassé à trois reprises et le prix lui a éL é
aJuge.
Le troisième prix était pour de petits jeunes gens de
quinze à seize ·ans. Deux sont entrés dans l'arène ; ils ont
déploié beau coup de souplesse et d'agilité eL onL beauco up
amusé le peuple.
Sur le soir, la troupe a fait une troisième salve pour
annoncer la cIo Lure de la fête et la municipalité es t reL ournée
au lieu d'où elle était parLie dans le même ordre que
ci-devant.
Le peuple s'était rangé en deux haies pour voir passer la
municipalité et faisait r etentir l'air des cris de « Vive la
République, vive Bonaparte ».
Tout s'est passé dans le plus grand ordre et la plus grande
décence, grâce au zèle des canonniers et de leur brave
(i) La loi ici visée se rapporte aux mesures à prendre pour coor
donner les jours de repos avec le calendrier républicain; elle rendai t
obligatoire le repos décadaire. Le lexte de l'article 10 n'es! pas tellement
" étendu" : huit lignes dans le Bulletin des Lois de la Republiqùe, Le
commandant, Qui dan s celte circonstance ont donné au
peuple des exemples d'un républicanisme tres prononcé.
A Trolimon, le 9 fructidor an 6.
Il parait
l'année sui vanle
g ra nd effet » .
P OUl' copie conforme :
LOËDON,
Commissaire du Pouvoir executi[.
c'est Loëdon lui-même qui l'assurait
qu e (, ce tte fê te produisit le plus
H. WAQUET.
107 -
DEUXIEME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1927
PAGES
1. Bonaparte glorifié au pays bigouden (26 août 1798),
par H. WAQUET. . . . . . . . . . . . . '. 3
Il. Un libraire morlaisien au XVI" siècle. Bernard de
Lea u, par L. LE GUENNEC. . . . . . . . . .. 11
III. Le nom de Laënnec. Un cas difficile d'onomastique.
par Joseph LOTH . . . . . . . . . . . . .. 32
IV. L'allée couverte de Men-Meur (Guilvinec), par
Marthe et Saint-Just P ÉQUART .. ...... , 48
V. Dolmen de Brunec (tIes Glénans), par Marthe et
Saint-Just PÉQUART . . . . .
VI. Le vieux manoir de Kersaliou en Saint-Pol-de-
Léon, par J.-M. AUSSEUR. . . . . . . . . .. 84
VII. Une émeute à Kernilis en 166(j, par H. WAQUET. 97