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Bulletin SAF 1926


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Carhaix ou Châteaulin. Querelles et intrigues pour la possession d’un sous-préfet en 1818

H. Waquet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1926 tome 53 - Pages 108 à 115
Carhaix ou Châteaulin

Querelles et intrigues pour la possession
d'un Sous-Préfet en 1818
Les réformes administratives et judiciaires récemment
accomplies par le gouvernement de la République donnent
une valeur d'actualité à tout ce qui concerne l'histoire de la
formation des départements et arrondissements et des orga­
nismes divers qui correspondent à ces divisions territoriales.

Cette réforme n'était pas la première qui eût été en projet

durant cent vingt-cinq ans, mais elle est la seule qui ait

abouti. Depuis le développement des moyens modernes

, de communication, la tendance générale allait à réduire en
nombre les divisions et les organismes. Dans la première
moitié du XIX· siècle, au contraire, on songea de préférence
à les multiplier; en ISOS fut ainsi créé le département de
Tarn-et-Garonne avec des morceaux enlevés aux déparle·
ments voisins. C'est dans le même esprit qu'il fut question
en 1818 de remanier largement la carte du Finistère et de
toute la Basse-Bretagne en faisant de Carhaix le chef-lieu
d'un arrondissement. Le moment n'est-il pas opportun pour
retracer les phases de cette affaire assez peu connue ~ (1).
Les Carhaisiens ne se consolaient pas de la décadence où
(i ) F. Taldir-Jaffrennou en a dit quelques mots dans son Histoire
anecdotique de Carhaix (:1924,), p. 99. Pro H émon (Carhaix et le dis­
trict de Carhai.1l pendant la Révolution, p. 467·4,73) avait publié (1912\
de longs fragments, mais ' non les plus intéressants, des pétitions et

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l'œuvre de l'Assemblée constituante, aggravée en l'an III par
la Convention et en l'an VIII par Bonaparte. avait précipité
leur bonne ville. Avoir été, aux époques gauloise et romaine,
la capitale d'une cité vaste et puissante (1) et se trouverréduite
au modeste rang d'un chef-lieu de canton, quelle pitoyable
chute! (2). Les Carhaisiens n'en souffraient pas uniquement
dans leur amour-propre; la prospérité chez eux et dans leur
région avait notablement diminué. Tenus au silence par la forte
discipline impériale, ils profitèrent du retour des Bourbons
pour essayer d'obtenir quelque amélioration à leur sort (3).
A cet effet le Conseil municipal présenta une pétition aux
Chambres des Pairs et des Députés lors de l'ouverture de la
session. de 1817' L'importance historique de Carhaix y était
rappelée, les avantages de sa position naturelle y étaient
énumérés avec complaisance. Dans l'élan de leur zèle, les
rédacteurs se laissaient glisser à d'étranges hyperboles. Ils
plaçaient Carhaix sur les rives de l'Aulne, célébraient avec
emphase sa grandeur passée, du temps où « elle comportait
plus d'une lieue et demie de circonférence n, avant « les
révolutions de 1500 et de 1600 n, où elle « fut détruite, ainsi
que l'apprend l'histoire de Bretagne n (4). Ils vantaient la
salubrité des eaux, la succulence des fruits, des légumes, du
beurre, du laitage, la juste renommée dont jouissaient,
parait-il, la perdrix et le bétail du pays. Ils citaient les
(i) . Vorgium, chef-lieu de la civitas Osismiorum .
. (2) En supprimant les districts avec leurs tribunaux, la Convention
avait institué des tribunaux correctionnels ayant chacun un ressort dit
arrondissement. Châteaulin devint le siège d'un tribunal correctionnel,
mais pas Carhaix. Les autres arrondissements furent ceux de Quimper,
Brest, Landerneau, Morlaix et Quimperlé .
. (3) Tout ceci d'après un dossier conservé aux Archives du Finistère,
série F, fonds Le Hars-Hémon.
(4) Allusion sans doute à la prise de Carhaix par les chefs royalistes
110 -
mines de Poullaouen et de Huelgoat comme « les deux éta:'­
blissements les plus précieux de la France ». Carhaix possé­
dait, écrivaient-ils, « un superbe auditoire, des prisons, trois
communautés, un hospice, des promenades agréables, un
champ de foire magnifique, un beau champ de bataille, un
grand nombre d'édifices propres à loger toutes les autorités
administratives et judiciaires ». En conséquence, et, après
avoir consciencieusement dénigré Châteaulin, « composé de
deux rues, contenant le tiers de la population de Carhaix »,
ils proclamaient ( l'urgence el la nécessité )) de transférer
d'une ville à l'autre les autorités administratives eljudiciaires.
Très habilement, ils avaient lié leur sort à celui de la France
même. Leur infortune résultait d'évènements que les hommes
du nouveau gouvernement détestaient; victimes de la Révo­
lution abominable, ils estimaient pouvoir obtenir enfin jus­
tice en s'adressant à des députés qui, « amis de l'ordre et du
bonheur de leurs concitoyens, entourent le trône du plus
juste et du plus aimé des rois ~. .

Cette pétition, signée de tous les membr~s du Conseil
municipal et, pour adhésion, d'un ancien sénéchal, Le Guil­
lou de Stangalen, fut prise en considération par les Chambres
et renvoyée au ministère de l'Intérieur le 27 février I81S à
fin d'examen par les autorités supérieures du département.
Elle fut soumise au Conseil général du Finistère dans sa
session du mois de juin suivant. Entre temps, et dans l'in­
tention « de meUre l'autorité à portée d'apprécier les motifs
qui ont dicté la démarche du Conseil municipal », le maire,
Henri de Kerampuil, composait un important mémoire où,

avec de nombreuses précisions ~ l'appui, il reprenait en détail
les ' arguments contenus dans la pétition (1). Sous l'ancien
régime, observait- il, Carhaix, centre géographique d'un pays
formant un tout distinct, était vraiment aussi un ' centre
(i) Imprimé à Morlaix, chez Lédan, in-q,o de 22 pages . .
-111 -
administratif et judiciaire. Outre la cour royale, comprenant
dans son ressort 42 paroisses (1) et 33 juridictions seigneu­
riales, on y trouvait une maîtrise des Eaux-et-Forêts et une
direction des Devoirs. Le gouvernement y entretenait en temps
de guerre (e une nombreuse garnison et il y plaçait habituel­
lement en temps de paix des dépô ts de cavalerie ». Un hospice
militaire y servait comme d'annexe et de succursale à ceux
de Brest et de Lorient. Les trois grandes foires annuelles pour
la vente et l'achat des gros draps, les marchés pour la vente
des bestiaux. y entretenaient la vie et le mouvement commer­
cial; des négociants de Tours, de Rouen, de Falaise, s'y ren­
contraient et, par les six grandes routes rayonnant vers toutes
les parties de la Bretagne, accouraient tous les marchands des
localités circonvoisines. Là-dessus, la Révolution survenant à
tout changé. Abandonnée à ses propres ressources, la ville « a
bientôt perdu la moitié de sa population ; ses marchés pour
la vente du bétail sont devenus déserts, ses foires ont été
abandonnées ll. Ge qui est plus grave, l'appauvrissement a
entraîné un accroissement du vagabondage et du brigandage,
l'insécurité dans la campagne, le relâchement des mœurs.
Qu'on transportât à Carhaix les administrations dont le siège
était à Châteaulin et alors, certainement, comme par magie,
tout allait s'arranger; aussitôt cesseraient « les effrayantes
calamités Il qui, si on n'y remédiait, allaient vouer à une
ruine « entière et irrévocable » une population de plus de
cent mille ~ âmes. Au surplus, s'il importait de réaliser
immédiatement la translation, on pouvait faire mieux ensuite:
les cantons du Faou, de Châteaulin et de Crozon étaient bien'
loin de Carhaix; d'autre part le territoire dépendant naturel­
lement de cette dernière ville avait été morcelé entre trois
départements. Il fallait changer complètement la répartition
(i) Exagéré ; il n'yen avait pas plus d'une trentaine, dont plus de
112 -
des cantons: ceux de Rostrenen, de Maël-Carhaix etde Callac,
détachés tous trois des Côtes-du- Nord, celui de Gourin, déta­
taché du Morbihan, seraient joints à ceux de Carhaix, Châ­
teauneuf, Huelgoat et Pleyben pour former un arrondissement
dont le chef-lieu se trouverait à Carhaix (1). Châteaulin,
rendue à sa paisible médiocrité, dont elle ne méritait pas de
sortir, serait rattachée avec toutson canton à l'arrondissement
de Quimper; de même pour Crozon. Le canton du Faou,
dont les habitants ne voulaient pas avoir à se rendre à
Carhaix (2), entrerait dans l'arrondissement de Brest.

Ce projet n'était vraiment pas mal conçu et n'avait guère
d'autre tort sans parler des inquiétudes qu'il inspirait -aux
Castellinois pour leurs intérêts privés que d'accroître la
superficie du Finistère au delà des proportions généralement

admises pour les départements. En tout cas le Conseil général,
dans son ensemble, ne pouvait lui faire grise mine. Il l'accueillit
avec faveur. Voici pourquoi. La partie centrale de la Basse­
Bretagne, correspondant grosso modo à l'ancien archidiaconé
de Poher, n'avait pas très bonne réputation; à l'écart de toute
ville importante, elle demeurait en quelque sorte le refuge de
tout ce qu'il y avait de moins policé, certains disaient de plus
barbare, dans toute la province. Il sembla désirable aux con­
seillers généraux qu'elle fût les termes ici sont à citer -
(( vivifiée par les soins d'un sous-préfet et par les administra­
tions qu'il entraîne après lui et que la population malheureuse
qui la couvrait fût contenue par la présence d'un tribunal» .
. Le rapport du Préfet donnait même beaucoup à espérer des
(( connaissances agronomiques» que les magistrats et autres

(i) El comptant une population de 94.700 habitants.
(2) D élibération du Conseil municipal dllFaoll en date du 25 mars 1818.
Les principaux considérants sont (ondés sur l'état affreux des chemins
entre les deux localités, chemins « souvent impraticables, surtout dans
les temps pluivieux» et sur le fait que la route n'offrait « pas de
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fonctionnaires feraient pénétrer peu à peu dans les campagnes
(( où quelques-uns finiraient par devenir propriétaires ».
L'opinion du Conseil général se montra « à peu près
unanime» sur la nécessité d'installer un sous-préfet et un
tribunal de première instance à Carhaix, mais à condition
que la cironscription de l'arrondissement fût changée suivant
les suggestions de M. de Kerampuil. Car, pour ce qui était
de conserver tel quel l'arrondissement en se contentant
d'une translation de chef-lieu, cette idée, presque unaniment
aùssi, illa déclara inacceptable: la position de Châteaulin était
de beaucoup la meilleure, presque cen traIe. Restait donc à obte­
nir d'abord le consentement des départements des Côtes-du­
Nord et du Morbihan, puis l'autorisation gouvernementale.
C'est à ce point qUè l'affaire devenait ardue. Les habitants
cie Châteaulin qui, de toute manière, se voyaient sacrifiés, se
démenaient avec énergie. Tout en reconnaissantle (( ton sage»;
le «( style spécieux» du mémoire de M. de Kerampuil, ils y
relevaient sans peine, observaient-ils, des erreurs et des exagé­
rations: le maire de Carhaix donne à son pays une importance
qu'il n'a pas; celui de Châteaulin, loin de lui céder en res­
sources, ne le surpasse-t-il pas du fait que Port-Launay,
devenu port de mer, va devenir un point vital de commu­
nication entre Brest et Nantes après l'entrée en service
du canal en constrution ~ Quand il déplore les mœurs
violentes et sauvages des populations rurales voisines de sa
ville, le même magistrat flatte assurément peu, trop peu, ses
administrés, il ne se commet pas tellement plus de délits et de
crimes dans cette région du département que dans les autres.
Peut-être, certes, y a-t-on souffert plus qu'ailleurs des misères
communes; c'est que les cantons de Carhaix, de Châteauneuf
et d'Huelgoat ne produisent pas de froment; ils n'ont que du
seigle et du sarrazin. Or ces deux espèces de grains ont manqué
en 1816 et 1817 ; d'où une disette de subsistances d'autant
plus .sensible que la , culture 'de .Iapomme de terre y est peu
ii4 -
pratiquée. Les mines de Poullaouen et de Huelgoat ont dû
renvoyer une grande partie de leurs ouvriers. Ceux-ci se sont
faits vagabonds, mendiants. Brigands ~ Non pas. En tout cas,
ce n'est pas un sous-préfet et son secrétaire, même flanqué
d'un président de tribunal et suivi de deux juges et de quel­
ques avoués, qui suffira à guérir ces maux. En vain le maire
de Carhaix fait-il grand état de la commodité des édifices
publics que ~a ville possède; Châteaulin possède les mêmes
établissements, et, si sa population est un peu moindre
que celle de sa rivale (1.000 contre 1.382), elle s'augmente,
« On y bâtit tous les jours. Dans ce moment même de nou­
velles maisons s'élevaient, mais M. le maire de Carhaix et son
mémoire ont fait cesser les travaux ». Dans sa délibération
en date du 6 avril 1818, le Conseil municipal assUre que,
si Carhaix compte peut-être quelques rues de plus que
Châteaulin, du moins on n'y voit qu'un très petit nombre

de maisons commodes et bien bâties. « Le reste n'est

qU'llne réunion mal ordonnée de maisons construites en bois,
anciennes et mal éclairées, une infinité de cabanes couvertes
en chaume, uh amas de ruines qui, certes, ne rappellent nulle­
.rp.ent l'ancienne splendeur de la cité ». Donner suite au
projet en question ce serait, afin de satisfaire à quelques
intérêts particuliers, s'engager dans une voie pleine de périls
pour la stabilité des institutions françaises .
. Au mois de janvier 1819 le maire de Châteaulin adressa au
Ministre de l'Intérieur un second mémoire pour se plaindre
des « misérables intrigues» de la population « ambitieuse et
turbulente» de Carhaix. « Une ligne, Monseigneur, écrivait-il,
une ligne suffirait de votre part pour faire cesser l'état
. d'incertitude et d'anxiété dans lequel nous gémissons depuis
trop longtemps ».
Tout cela était du pathétique inutile. En effet il semble bien
que, dès le début, l'avis du ministre était arrêté. Le 16 mai

1818 il faisait observer au président du Conseil général que
115 -
le gouvernement se refusait à provoquer des changements
à la circonscription des préfectures. Au demeurant, si
beaucoup d'habitants du canton de Rostrenen avaient adhéré
au projet des Carhaisiens, ni les cantons de Callac et Maël ne
consentaient à se laisser détacher des Côtes-du-Nord ni celui
de Gourin ne consentait à son rattachement à un arrondisse­
ment de Carhaix. De son côté, le Conseil général des Côtes­
du-Nord, dans sa session d'août 1819, se déclarait résolu à ne
jamais admettre les prétentions «ambitieuses et insidieuses»
de la ville Finistérienne (1). Par dessus le marché, les gens du
canton d'Huelgoat, également mécontents de dépendre de
Châteaulin ou de Carhaix, demandaient à faire partie de
l'arrondissement de Morlaix.
Dans ces conditions la sagesse voulait que les choses
demeurassent en état. Les Carhaisiens se résignèrent à ne

compter que sur leurs propres efforts pour rétablir leur
prospérité compromise. Quant aux Castellinois, ils continuèrent
à se laisser « vivifier)) par les soins d'un sous-préfet; la
réforme accomplie 108 ans plus tard ne les a pas privés de ce
précieux fonctionnaire et, plus heureux, avec leurs « deux
rues )J, que les bourgeois de villes plus peuplées, ils n'auront
eu à « gémir)J que sur la suppression de leur tribunal (:1).
H. WAQUET .

(i) D'après des renseignements fournis obligeamment par 1\'1. Fr. M erlet,
archiviste des Côtes-du-Nord.
(2) En 1.822, sous le couvert de «considérations sur les causes du
dépérissement de l'agriculture et de l'industrie", les députés du Finistère
tentèrent en vain de nouvelles démarches en faveur du projet qui tendait
li. l'agrandissement de leur département (Pr. Hémon, Ouvrage cité,

- ,- 122 -

DEUXIÊME PARTIE'

Tnbledes Mémoires publiés en 1926 .

PAGES
I. Première contribution à l'étude des noms d'hommes

. et de lieux du Cap-Sizun, par 'DANIEL BERNARD

et J. LOTif .. ' , . . . . . . . . . . . . " 3
II. En marge de l'histoire d'une vieille famille bre- ,
tonne, par AVOCOURT et KERALLAIN. " . . .. 26

III Autour de R,-T.-I-L Laënnec, Quelques lettres
inédites de son père et de ses oncles, par J. SAVINA. 73

IV. , Carhaix ou Châteaulin., Querelles et intrigues pou~

la possession d'un sous-préfet en 1818, par
, . ' H, W AQUET. ' . ' . . . . . '. . . . .: . . ' . . 108

Additions et corrections, . .

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