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Bulletin SAF 1926


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Autour de R.-T.-H. Laënnec. Quelques lettres inédites de son père et de ses oncles

J. Savina

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1926 tome 53 - Pages 73 à 107

QUELQUES LETTRES INEDITES
DE SON

PERE ET DE SES ONCLES

La présente année verra célébrer le centenaire de la
mort du génial auteur de l'A uscultationiiiédiate et les
'admirateurs de Laënnec auront une nouvelle occasion
de raviver les souvenirs qui se rapportent à notre illustre

com patriote.
Nous avons pensé qu'il serait peut-être à propos de
mettre au jour quelques lettres inédites émanant de son
père et de ses oncles (1). Ces lettres écrites entre li8?

et 1793, jettent quelque lumière sur la famille Laënnec et
sur la bourgeoisie quimpérois8, à l'époque de la Révolu­
tion. L'intérêt de ces leUres vient surtout de ce qu'elles
révèlent chez leurs auteurs certains traits de caractère
qui aident à mieux comprendre lès dispositions innées du
futur savant.
Des influences multiples et parfois contradictoires se
sont exercées sur la formation intellectuelle et morale de
Laënnec. Nous eo discernerons quelques-unes qui, par des
voies diverses, l'hérédité, l'éducation ou l'exemple, ont
contribué à sa structure psychologiq ue. Incontestable -

(i ) Archives nationales , W, 304. Correspondances saisies, le 15 m~rs
1.793, au domicile d'Alexandre de La Roque, à Quimper, , et chez Victol'
de La Roque, à Loripnt, et produites au tribunal révolutionnaire, à Paris,

ment, Laënnec a subi la forte empreinte du milieu où il
vécut ses premières années. Au physique, une santé déli­
cate ; dans les familles Laënnec, Huchet et de La Roque,
les mères meurent jeunes, vers la trentaine. Au moral, on
remarque la prédominance des vocations intellectuelles,
l'amour de l'élude, le goût des choses de l'esprit qui font
des avocats, des médecins, des prêtres, des religieuses,
Les deux grands courants du XVIIIe siècle, l'esprit phi-

losophiq ue, d' une part, l' espri t religieu x et traditionnaliste,
de l'anlre, imprègnent fortem ent ces familles et les
divisent d'opinions.
Jean-Baptiste-François de La Roque et Théophile
Laënnec sont des épicuriens, jouisseurs el insouciants,
libertins de moeurs et de croyance. Moins sceptiques,
avec des dehors religieux même, Huchel de Kerourein,
Guillaume Laënnec et Guillaume-François de La Roque
seront, comme leurs cousins par alliance, les Charuel,
les Le Déan, des Jacobins. Par contre, le médecin
Alexandre de La Roque, deux de ses frères et leurs
soeur~, Michel Laënnec, les Guesdon, les Audouyn de
Keriner, les Du val de La Poterie demeureront fidèles à la
double tradition catholique et monarchique. Il semble
que les deux courants se soient rencontrés en Laënnec,
ce qui expliquerait sa conversion à l'àge d'homme,
conver"ion concordant d'ailleurs avec le réveil du sen­
timent religieux en France, à l'aurore du XIX' siècle.

A l'époque de la Révolution, les familles Laënnec et
de La Roque étaient unies par une double parenté. Jean­ Baptiste-François de La Roque, né vers 1725, négociant,
lieutenant de maire de la ville et communauté de
Quimper, de 1783 à lï89, élait fils de Marie-Corentine

Laënnec et cousin germain de Michel Laënnec, avocat,
maire de Quimper en 1764. Les deux cousins épousèrent
les deux sœurs Huchet de Kerourein ; Michel Laënnec,
l'aînée, Jeanne-Catherine, en 1746, et Jean-Bapliste
de La Roque, la cadette. Marie-Françoise-Corentine, en
1751. Les époux Laënnec eurent trois fils; Théophile
l'avocat, Guillaume le médecin, et Michel l'abbé.
Entre 1751 et J764, les époux de La Roque eurent, au
moins, huit enfants dont sepl vivaient en 1700: Alexan­
dre, médecin à Quimper, Guillaume·François, maire de
Châteaulin, Félix, capucin au couvent de Roscoff, Victor,
officier de la marine marchande, Jeanne-Marie-Thérèse,
religieuse au couvent du Calvaire, Floride el Françoise.
Seul des enfants de La Roque, Guillaume était marié;
sa sœur Floride était fiancée quand elle fut appelée à
comparaître devant le tribunal révolutionnaire.

Les charges de lieulenant de l'Amirauté et de sénéchal
des. Regaires ayant été supprimées en 1789 et celle de
receveur des décimes du Clergé devant disparaître en
1790, Théophile Laënnec se jeta avec ardeur dans le
mouvement révolutionnaire, espérant obtenir quelque
faveur du nouveau régime. Eternel quémandeur, il solli­
cita diverses places lucratives, puis, las d'attendre, se
rabattit sur une place de juge de district. Il fit sa cour
aux élus des assemblées primaires des différents cantons.
Comme il était bon vivant et gai compagnon, de nom­
breux amis le recommandèren t aux électeurs des diRlricts .

C'est ainsi qu'en octobre 1790, il fnt élu presque simulta- .
némenl juge au district de Pont-Croix et juge suppléant
au district de Quimperlé. Prévoyant une vacance immi­
nenLe au tribunal de Quimperlé, il opta pour ce siège où

l'un de ses a mis, camarade de collège, J.-T.-M. Guermeur
exerçait les fonctions de commissaire du roi. En janvier
1791, Laënnec est installé à Quim perlé.

A Victor de La Roque 0), à Port-Louis.
Quimperlé, 3 juin 1791.
MON CHER COUSIN,
« Je suis devenu votre voisin assez proche depuis le 1

janvier où j'ai quitté Quimper. Ma triste affaire du clergé
s'y est bien arrangée. Par un arrêté du 1 9 février, le direc­ toire du département se con tente d'être payé sur mes reve­
nus (2). Cet arrangement, qui n'est malheureusement pas
(1) Victor de La R oque, né à Quimper, paroisse de Saint-Mathieu, le
18 juillet 1760, eotra daos la marine royale en 1.778, comme volontaire
pour la guerre d'Amérique. Au cours de la campagne, Victor servit sur
les frégates La Concorde, L'Étourdie, puis sur le vaisseau Le Caton, en
qualité d·enseigne. Plusieurs fois blessé dans les combats, fait pri sonnier
en i782, il passa une année de captivité en Anl;(leterre. De 1.786 il 1789,
il navigua au service de la compagnie des Indes. Le 30 septembre 08\!,
il se fit recevoir capitaine au long-cours il l'Amiranté de Quimper. En
i 791, les armements dans la marine marchande ayant été considérable­
ment réduits, Victor de La Roque attendait vainement, à Port-Louis,
une occasion d'embarquer. Son grade d'enseigne non entretenu lui eût
permis de servir en qualité d'officier sur les vaisseaux de la Nation, mais
déjà contrerévo1utionnaire, à l'ex.emple de son frère Alexandrd, il s'y
refusa, malgré les conseils de son oncle Huchet de Kerourein.
(2) Le 17 février 1. 791. , le directoire du département du Finistère
examina et arrêta les comptes de Laënaec, receveur des décimes du Clergé
de Cornouaille. Laënnec fut déclaré débiteur d'une somme de 33.069
livres. Rapport fait au Conseil du département du Finistère, Derrien,
i792, broch. iu-4P, p. 17. Deux ans plus tard, la dette de Laëunec n'était
pas encore acquittée. Le 6 janvier 1.793, Belval , ancien procureur
général syndic, écrivait, au sujet de Laënnec : « Ce débiteur dont la
probité n'est pas douteuse. mais dont l'insouciance est connne, n'a pas
lait depuis la vérification de son compte la moindre démarche pour son
acquittement. Il fait espérer sur la liquidation de sa charge de lieutenant

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encore agréé par l' Assem blée nationale et par le roi, le sera
probablemerit et va me donn er une grande latitude pour
arranger mes autres affaires.
« Cet évènement a un peu rétabli ma santé que les chagrins
avaientfort délabrée, comme vous avez pu vous en apercevoir.
J'en ai toutefois trouvé de nouveaux ici. Les préjugés que.
mon infortune avait donnés contre moi à Quimper m'avaient
suivi ici. Mes nouveaux collègues eL jusqu'au greffier dont
j'étais devenu le commensal paraissaient s'accorder à m'en­
visager comme un de ces hommes faibles et mous que l'ou
croit bons parce qu'ils n'ont pas le courage d'être méchants,
homme d'esprit, si l'on veut, mais d'un esprit léger, super­
ficiel, peu propre aux affaires. Ils s'étaient, en conséquence,
mis en mesure pour me berner, me ballotter à qui mieux

mIeux.
« Je sais trop que ces indignités sont le tribut ordinaire que
les infortunés recueillent dans la société. Je m'étais prêté

loyalement dans ma patrle à payer ma dette au malheur et
j'ai dû la eroire acquittée. Après donc leur avoir prouvé que
la renommée leur avait men II et sur mes distractions (1) et sur 0
la dégénération de mes talents, je leur ai surtout bien montré
qu'elle les avait trompés sur l'apathie de mon caractère. J'ai
mis mes collègues à la raison .
« Mes collègues? Je dois en excepter le président, M. Des­
courbes (2), excellent homme et jurisconsulte éclairé auprès
particulier de l'Amiraute. C'est il l'adm inistration il prendre les mesures
nécessaires pour assurer à la Nation l'hypD thèque ou le remboursement
de sa creance sur le citoyen Laënnec, pui sq u'il ne s'en occupe pas
lui-même» . Rapport des opérations du directoil'e, brocb. in-fJ,o , Brest,
i 793, po 13.
(i) A Quimperlé, les juges n'étaient pas seuls il trouver Laënnec léger
et distrait. En i 795, Cambry en fai sa it le portrait suivant « L. o ' toujours

distrait, étourdi, dérangé, bête co mme La Fontaine, qui fait des
marlrigaux et des épigram mes tourn és, rimés comme ceux de Rousseau ~.
Cambry, Voyage dans le Finistère, éd il. Fréminville, po 373.
(2) Descourbes (Vincent-Julien), 1it l'ainé, né à Pont-Aven en i7fJ,9,

duquel je m'estimerais heureux de passer le reste de mes
jours. .

« Le deuxième juge est un monsieur Horellou-Kergoz qui
porta, quelques annèes, à Quimper, incognito, le titre d'avocat
et qui, transplanté depuis à Quimperlé, n'y était guère plus
{Jonnu. Homme, au reste, d'une incorruptible droiture et d'un
esprit assez juste, mais qui a eu le tort de se faire l'écho
des mauvaises plaisanteries de Sévène son commensal.
Celui-ci est un avocat exer cé, un homme de plaisir, un bon
diable dont j'aurais fait mon camarade et peut-être mon ami,
mais qui, soufflé sur mon compte par son beau-frère Le Breton
et par mon très honoré frère l'abbé Laënnec, m'a r eçu ici
avec des goguenarderies qu'on pardonne moins que des
insultes plus graves, parce qu'elles semblent tenir davantage
du mépris. La manière dont je les ai r eçues a inspiré de la
circonspection à Lamarre, le quatrième juge, avocat, ci­
devant à Quimper, où les gens du barreau rendaient justice

à ses lumières, quoiqu'il n'en fît pas toujours un usage sans
reproche. Ne pouvant plus avoir intérêt à mentir à sa cons-
cience, il deviendra un membre très utile pour ce nouveau
tribunal.
«Nos suppléants sont: M. Malherbe( l), avocatà Concarneau,
qui ne me pardonnera point d'être venu prendre ici une place
représenta cette commune à la fédération de Pontivy_ Le i5 juin 17!JO,
l'assemblée électorale du Finistère le nomma administrateur du dépar­
tement. II refusa de sièger au Conseil général où il fut remplacé par
Lamarre, recteur de Moëlan. Quelques mois plus tard, il fut élu premier
juge au tribunal du district de Quimperlé. Le 16 novembre i 792, il fut
de nouveau élu membre du Conseil général et accepta ceU e fois. En mai
1794" traduit devant le tribunal révolutionnaire de Brest, en même temps
que ses collègues girondins de l'administra tion du département, il fut
acquitté, ainsi que Bienvenu de Quimperlé, Le Cornec et Pruné_ En l'an
X, Descourbes président du Tribunal civil de Quimperlé et son frère,
Descourbes jeune, notaire à Pont-Aven, figurent surla liste des notabilités
nationales du Finistère. Sous la Restauration, Descourbes fut maintenu
au tribunal de Quimperlé.
(1) Malherbe (Charles-Marie de), né vers i750, avocat, maire de Con­

qu'ii convoitait; M. Billette, de Rosporden, que nouS avons
fait accusateur public sur le refus de M. Malherbe; M. Le
Guillou-Penanros, d'Elliant, et un M. Le Merer, de Rennes,
qu'il faudra remplacer, parce qu'il était procureur au Parle­
ment et par conséquent inéligible.
«Le commissaire du roi, M. Guermeur (1), de 'l'réboul, est un
de mes amis de jeunesse. A des connaissances très étendues
en législation et en lit Lérature , il réunit un esprit juste et
brillant, que toutes les connaissances du monde ne sauraient
donner, mais malheureusement un cœur presque aussi bêLe
que celui de son ami.
« La société de Quimperlé, aujourd'hui fort dé visée par les
différences d'opinions sur laconstilulion nouvelleduroyaume
et surtout par l'impolitique réformation du clergé, par ce
maudit serment qui menace de nous laisser sans culte, la
société est ici ce qu'elle est, ce qu'elle sera longtemps partout

ailleurs. Les cartes sont au reste le seul aliment de la plupart
de nos cercles de petites villes et, de tous les insipides amu­
sements qui bercent ces grands enfants qu'on appelle les
gens du monde, celui-là m'a toujours paru le plus insuppor­
table.
«Une douzaine, à peu près, de personnes d'esprit donllaplu­
part sont très aimables, la promenade et les devoirs de ma
place ne me laissent guère le temps de m'ennuyer, sans
compter le plaisir de voir renaître mon aisance et l'espoir
plus vif que jamais d'être un jour placé dans ce Paris, où je
retrouverai le bonheur si ce n'e~L la fortune. Je continue .

(1) Guermeur (Jacques-Tanguy-Marie), né à Quimper en :l750, procu­
reur du roi à Quimperlé en i7H9. Le 9 septembre 1792, l'assemblée élec­
toraltl du Finistère. réunie à Brest, l'élut député à la Convention, par
277 voix contre 165 à Jean Le Noan, cultivateur et maire de Plouéz(\ch.
Guermeur vota la mort du roi, sans sursis ni appel au peuple. A deux
reprises, en i 793 et t'n i 795, la Conventiou lui confia d'importantes
missions en Bretagne. En :l 795, l'Assemblée électorale de France l'appela
il siéger au Conseil des Anciens. Eliminé par la voie du sort, le 20 mai
:1.797, Guermeur mourut l'année suivante à Quimper, ou il exerçait les

dans ce dessein, des études souvent interrompues mais
jamais abandonnées. Le club de Quimperlé en voit de temps
à autre des échan Lillons. C'est moi qui ai redigé l'adresse
d'affiliation au club des Jacobins. Vous avez, je crois, aussi
un club à Port-Louis. En êtes-vous?
« Je vais occuper un charmant appartement au monaslère
des Bénédictins. En attendant mes meubles que je ferai
venir de Quimper, je me suis logé en chambre garnie chez
M. Odeyé, maitre cbapelier, et père de la plus intéressante
physionomie de Quimperlé.
« Vous ne connaissez pas cette fière Julie :
Tremblez de la connaUre un jour » . '
« Pour moi qui suis guéri de l'amour plus que je ne voudrais
l'être, je suis entré chez la beauté de Quimperlé sans autre
but que d'être logé commodémen t et je la quitterai sans regret
pour être logé plus commodément encore.
« Je prends ma pension dans le voisinage de mon apparte­
ment fuLur el de mon apparlemen l actuel, chez Mme Forget,
veuve aimable, qui a beaucoup d'esprit et beaucoup de
conduite. Je me suis ménagé d'y inviter mes amis el j'espère
que vous m'y viendrez voir quelque jour. J'ai pour
co-pensionnaire un ci-devant Bénédictin (1), qui a de la
douceur dans le caractère, qui a dans les mœurs plus de
décence que ces bons moines ne s'en piquaient. Au demeu­
rant, un peu vain, c'est-à-dire un peu soL, ce qui est un
mérite de plus. Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs.
« J'y trouve des plaisirs d'un meilleur genre dans les
entretiens d'une demoiselle Le Roch qui est aussi avec
Mme Forget. Mlle Le Roch (on prononce Le Roque), a tout
l'esprit des La Roque. Elle n'est plus très jeune; elle est jeune

(1) Il s'agit de Pierre Daveau, ex-bénédictin de l'abbaye de Sainte­
Croix. Agé de 40 ans, en 1791, Daveau prêta le serment. A la fin de
1792, il devint maire de Quimperlé; à partir de l'an II, il se fit institu­
teur. En l'an X, Daveau figure sur la liste des notabilités départementales;
il exerçait à ce moment les fonctions de secrétaire de la sous-préfecture

pourtant par l'aménité de son caractère, par la dignité, par
les grâces de son maintien. Elle ferait les délices de la
meilleure sociétè des plus grandes villes.
« Vient en quatrième une demoiselle de Chef-du-Bois.
Arist.ocrate de naissance, dèmocrate par principes, jeune,
fraîche et même assez jolie, moins instruite, moins spirituelle
que Mlle Le Roch, Mlle de Chef-du-B ois n'est pas moins
aimable.
«C'estlà, chez Mme Forget, que je me suis rencontré avec un
parent de Mme Forget, M. Mauger, votre concitoyen. Cette
bonne fortune m'a dounél'idée de vous écrire une épitre qui,
devenue plus longue et m'ayant tenu par conséquent plus de
temps que je ne m'y étais attendu, n'a pu parUr par celLe
occasion.
« Présentez bien mes hommages à nos parents, M. et Mme
Cordier, eL surtout à l'intéressante veuve de notre malheureux
ami, avec laquelle tout ce que j'ai vu d'elle m'a inspiré le plus
grand désir de faire connaissance.
« Adieu enfin, mon cher cousin, mon métier m'appelle. Le
vôtre va vous ouvrir une belle carrière sous un ordre de

choses qui ne favorisera plus que les talents el le mérite ».
Votre cùusin, bon ami et serviteur,
Théophile-Marie LAËNNEC
Juge de district au Tribunal de Quimperlé, chez Mm' Forget
vis-à-vis les Bénédictins.

Vers le 15 février 1791, des dénonciations parvinrent

au club de Quimper contre Al'exandre de La Roque, méde-
cin. On l'accusait «( d'a voir voulu soulever tout le canton
de Quimper et l'armer contre la Constilution ». La dénon­
ciation était peu fondée. Dans une lettre, Alexandre de La
Roque avait mandé à M. Chevalier, recteur de Briec, une
nouvelle déjà publiée par l'A mi du roi et la Gazette de

Pa1"is, a savoir « que par une lettre du Cardinal deRohan,
il paraissait constaté que le Sou verain Pontife désapprou­
vait formellement la constiLulion prétendue civile du
clergé de France }). Certains soupçonnèrent Laënnec d'êlre
l'auteur de la dénonciation; le capucin Félix de La Roque,
mal informé, adressa à son cousin de très vifs reproches.
Brest, 3 mars 1791.
«Sans gite (1), sans éLat et presque sans espoir, vous
daignâtes paraître citoyen, vous osâtes vous lancer dans le
tourbillon régénérateur et, cequi vous augure une immortalité
superbe, vous réussîtes malgré votre inconséquence natu­
relle à capti ver des esprits excellents, à surmonler paisible­
ment mille et cent mille et un obstacles.
«Voyageur, sédentaire, fugiLif, clubiste et revenant, vous
devintes, à titre jusLissime, l'obj et des complaisances enchan­
teresses de nos sublimes législateurs. Le peuple instruit de
vos nombreux cantons, ravi de votre trés laborieux patrio­
tisme, exprima fortement son vœu, déclara sa volonté
(:1.) A la fin de :1.788, après l'enquête faite à Quimper au sujet des
manifestalions outra geantes dirigées coutre. le marquis de. Kersalaün et
quelques-uns de ses collègues du Parlement, Théoph ile Laënnec fut, à
juste titre, accusé d'être l'un des meneurs de la cabale antiparlementaire.
Mrnacé d'arrestalion, il prit la fuile, après avoir chargé son cousin le
capucin de lui trouver un refu ge. Le méJecin, Alexandre de La Roque,
prit courageusemeut la défense du Iugitif. Laëunec ne reparut à Quimper
qu'en février :1.789, lorsque l'information faite à Quimper eût été close
par UIl arrêt de non lieu rendu en Conseil du roi. .
Le véritable dénonciateur du médecin de La Roque Iut Bouriquen de
Quéuerdu, avocat et ancien sénéchal de Douarnenez, autre cousin des
lrères de La Roque. Or, coincidence vraiment curieuse, le capucin avait
rendu à Quénerdu le même service qu'à Th. Laennec. Fin de juillet 1789,
le sénéchal de Douarnenez s'était opposé à l'exportation des grains.
Sommé pal' le Comité permanent de Quimper de venir s'expliquer et
menacé d'arres tal.ion, Quénerdu prit la luile. Il alla demander asile au
capucin qui se Irouvait à ce moment à llr€ st. (Lettres d'Al. de. La Haqur,

suprême. Des zélateurs plus éclairés encore du mérite
transcendan t élurent pour juge de district à Pont· Croix celui
qui, pareil à Brutus, épris d'amour pour la patrie, plein de
reconnaissance au moins, a voulu dénoncer, el l'a fait, au
club quimpérois, son ci~devant et presque unique libérateur!
« Qu'il est doux, qu'il est beau, qu'il est grand de surpasser

en civisme impromp tu l'Assemblée législative elle-même !
Qui ne verrait chez vous le coup d'œil de l'aigle, la candeur
du lys, l'activité du serpent réchauffé? Qui ne vous donne­
rait, dût-il vous l'accorder gra t.is , le surnom d'honnête et de
grand homme? »

La 'lettre suivante montre que la correction, le respect de
l'usage et des règles et même le souci d'une élégance de
bon aloi étaient de tradition dans l'ancienne bourgeoisie

quimpéroise. Pour ceux mêmes dont les préoccupations
dominantes étaien t d'ordre matériel, gens de négoce
et d'affaires, l'arl de bien dire demeurait la marque
d'une éducation soignée. Ainsi Huchet de Kerourein, l'un
des plus nolables négociants de Quimper, tout absorbé
qu'il fût par ses affaires, n'admettait pas qu'un homme
bien élevé pût offenser sans vergogne les règles de
l'orthographe ou de la syntaxe, Il écrit à son neveu Victor
de La Roque, qu'il avait recommandé aux administra-
teurs de la compagnie des Indes : .
Quimper, 25 novembre 1789.
« Je viens, mon cher La Roque, d'écrire à MM. Dodun et
Jaffriü, Je souhaite, comme vous le pouvez croire, que mes
sollicitations aient l'effet que vous désirez.
« Je vois avec plaisir, dans votre dernière leUre, que vous
y avez fait beaucoup moins de fauLes d'or thographe que dans
vos précédentes, J'y vois cependant que vous n'êtes pas

ce défaut prévient conlre nous les gens trop délicats et trop
portés à juger par là d'une éducation négligée. Je vous
inviterai à vous procurer, s'il était possible, quelque bonne
grammaire française qui vous familiariserait à distinguer le
masculin du féminin, le singulier du pluriel. Dieu vous garde
surtout de ce mauvais amour-propre ou soUe vanité qui
nous fait rougir de demander des conseils et des instructions. '
«Puisque j'entame ici, vis-à-vis de vous, une espèce de petit
sermon d'amitié, je vais encore attaquer une habitude prise
dont vous ne vous déferez pas au premier instant et que je
vous engage cependant à combattre et à surveiller: celle de
la ricanerie en parlant et surtout en racontant. Je vous l'ai
fait sentir, à Quimper , le plus honnêtement qu'il m'a été
possible eL je crois m'être aperçu de vos efforts pour répri­
mer ce Lte mauvaise habitude qui donne un air niais aux
meilleures choses racontées ... ,.., KEROUREIN-HuCHET.

Alexandre de La Roque (1) fut, de 1790 à 1793, à

(i) Alexandre-Marie de La Roque, né à Quimper, le 23 octob~e 1751,
médecin, conseiller délibérant de la Communauté de Quimper de 1785
à 1789.
Nous nous bornons à transcrü'e ici quelques fragmen ls de la corres­
pondance des frères de La Roque se rapportant aux membres de la
famille Laënnec. Nous nous proposons de retracer, plus tard, les agisse·
ments corrtrerévolutionnaires des frères de La Roque et des royalistes
quimpérois sous la Révolution.
Alexandre de La Roque fut détenu à Quimper, du 22 août au 14
octobre 1792. Le 15 mars i 793, une lettre très compromettante ayant
été saisie par le Comité de surveillance de Quimper, Alexandre et
Victor de La Roque lurent mis en arrestation, le premier à Quimper et
le second à Lorient. Après une longue détention, tous deux comparurent
devant le tribunal révolutionnaire de Paris, furent condamnés à mort et
guillotinés, le 26 décembre 1793. Quelques semaines plus tard, leurs deux
sœurs, Floride et Françoise, également compromises par la correspon­
dance de Ipurs frères, furent an·~tées, traduites au tribunal révolution­
naire 'et guillotin&es, à Paris, le 19 juillet 1794 .

Quimper, l'auxiliaire le plus actif et le pIns dévoué du
clergé réfractaire . Quelques jours après la mort de Mgr
de Saint-Luc, dont il avait été le médecin, il publia un
opuscule où, après avoir fait le plus grand éloge du prélat
défunt, il portait témoignage de l'authenticité de la pro­ testation dictée pa r cet évêque quand on lui notifia la
Constitution civile du clergé. Dès lors Alexandre de La
Roque devint très suspect aux patriotes. Plusieurs fois
dénoncé au club et à la municipalité comme le plus dan-
gereux des conspirateurs, il jugea prudent de s'éloigner
de Quimper. En juin et juillet 1792, il ne fut pas étranger
à l'organisation de la révolte au pays de Fouesnant. Ce
mouvement contre-révolutionnaire ayan t échoué, il se
réfugia à Roscoff, auprès de son frère, le capucin, et
quelques jours plus tard, au château du Bot, où il fut l'hôte
du présidenl de Saint-Luc. C'est de là que , le 22 juillet
1792, il renouvelle à son frère Victor, sa profession de foi
catholique et monarchique. A ce moment, Victor de La
Roque cherchait à se procurer à Nantes un navire qui lui
eût permis de conduire à Ostende des roya listes quim­
pérois résolus à rej oindre l'armée des Princes.
A Victor de La Roque, à Lorient.
Du Bot, 22 juillet 1792.
« .. Défiez-vous des monarchiens. Quoiqu'ils ne soient
point aussi sanguinaires que les démocrates, ils forment
cependant au rétablissemen t de l'autel et du trône le plus
grand obstacle, en proposant des moyens et des accommode­
ments perfides qui, s'ils étaient adoptés, en délivrant pour le
moment notre patrie d'une partie des maux actuels, lui en
prépareraient pour la suite et pour longtemps .
« Il ne nous faut qu'une religion dominante et qu'un roi,

Tenez à ces principes et, gràce au Ciel. j'espèr e que nous
aurons la consolation de les voir triompher et que toutes
assemblées nationales d'arisLocrates ou monarchiens, de
démocrates ou anarchiens seront proscrites pour toujours
de notre gouvernement, qui ne sera jamais plus fort et plus

heureux que quand il sera purement monarchique.
Vouloir qu'il n'y ail jamais d'abus parmi les hommes et
croire que l'on peut les détruire tous est une vraie folie et
des plus danger euses. L'expérience que nous faisons de tant
d'essais de r éformes, depuis plus de trois ans, en est. une
preuve démonstrative.
« Mes compliments au médecin Laënnec, le démagogue,
dont vous devez vous défier. Il cher chera à vous séduire 'en
vous trompant. Tenez touj ours ferme au bon parti, puisque
vous y L enez depuis longtemps et malgré tous vos malheurs » .

DE LA ROQUE-TRÉMARIA, médecin.

A diverses reprises, Guillaume Laënnec fit des démar­
ches auprès des armateurs nantais, en faveur de son
cousin Victor.
G. Laënnec, médecin, à Victor.
Nantes. 10 décembre 1789.
MON CHER COUSIN,
« ... Un autre désavantage pour se placer à Nantes est la
nécessité de s'intéresser dans l'armement pour une somme
quelconque. Il est ici tel lieutenant pour la Côte qui a placé
3.000 ou 4.000 livres sur le navire pour y être employé. Vous

concevez bien que dans une ville de commerce où les officiers
de mer fourmillent, les armateurs, maîtres du choix,

tions, et les officiers en état de faire cette avance ne sont pas
rares ici. Je prévois donc de grandes difficultés pour vous
trouver ce que vous cherchez.
« On m'a répondu par des promesses et de belles paroles :
on n'en est pas plus économe ici qu'ailleurs. Mais je connais
assez mes Nantais pour ne compter qu'à demi sur de si

grandes protestations. Si vous éLiez en état de prendre un
intérêt (ne serait-il que de 2.000 livres), je crois que je serais
assuré de réussir ».
LAËNNEC, D. M.
Victor de La Roque étant sans emploi, son cousin
Guillaume, toujours généreux, lui offre l'hospitalité à
Nantes, en attendant qu'il trouve à s'embarquer.
Nantes, 8 mai 1792.
MON CHER COUSIN ET BON AMI,
« ... Nous partagerons fraternellement avec vous notre
pain, un pain que personne auj ourd'hui ne gagne, vous le savez,
'sans inquiétude et sans peine.
« Mes bonnes compagnes et vos quatre neveux se r ecom­
mandent à votre bon souvenir. Vous trouverez ailleurs, mon
cher cousin , des égards et de l'affection, parce que vous êtes
fait pour en inspirer, mais vous ne trouverez nulle part des
amis plus vrais et qui vous soient plus sincèrement attachés ».

Ami, bon parent et serviteur,
LAËNNEC, D. M .
Guillaume Laënnec Ct Victor.
Nantes, 20 juin 1792.
«Tranquillisez-vous, mon cher et bOll ami j nous sommes à
Nantes plus en sùreté que nous ne l'avons jamais été depuis
trois ans. Le peuple n'a pas seulement eu l'idée de remuer .

C'est une nouvelle d'aristocrates dont on a voulu vous
régaler à Quimper. J'imagine cependant que la méprise a pu
venir de l'histoire d'un mouvement d'ivrognes et de paysans
superstitieux qui s'est manifesté dans la petite paroisse de
Saint-Joachim (1), près Montoir, à une lieue de Paimbœuf.
Deux dragons tombés dans un marais ont été massacrés par
celte bande de fanatiques. Mais leurs camarades revenus en
force, le lendemain, ont incendié le village et fusillé quelques
paysans. Seize officiers municipaux du canton et un maudit
prêtre (car ces coquins·là se fourrent partout) sont dans nos
prisons. Ils n'en sortiront qu'aprés avoir payé de leurs
personnes et de leurs bourses les frais funéraires des deux
dragons et la promenade de nos volontaires.
«Depuis cette petite leçon dont on a saisi le prétexte pour
claquemurer au sèminaire toute la huaille noire qui four­
millait ici, nous vivons dans la plus profonde paix. Il n'est
pas plus question de prêtres à Nantes que si nous étions
Quakers. Les dévotes mêmes paraissent déjà lasses d'aller
leur porter leur chocolat. Il est vrai que ces huguenots
d'habits-bleus ont l'insolence d'avaler d'un seul trait toutes
ces .saintes douceurs, à la barbe des pauvres prisonniers.
Mais' enfin on s'y fait et, comme les moutons de Panurge,
nos bonnes femmes deviennent patriotes à force de les voir
tous les jours.
(i) Des troubles ayant éclaté dans La Grande-Brière, dans la nuit du
2 au 3 juin, deux dragons nationaux furent massacrés à Satnt-Joachim.
Le 4 juin, des troupes venues de Paimbœuf et de Savenay se rendirent
à Saint· Joachim pour . réprimer l'émeute et saisir les coupables. La
plupart des habitants avaient pris 1& fuite. « Les dragons, rendus furi eux
par la mort de leurs camarades, mi rent le feu aux maisons désignées
comme appartenant aux meneurs de la révolte, sans qu'il fût possible à
leurs officiers de les arrêter n. Cependant, une' vingtaine d'arrestations
purent être opérées: le maire de Saint-Joachim, Guillaume Aoustin,
l'abbé Glotin et quelques officiers municipaux du canlon furent conduits
au château de Nantes. Les frais occasionnés par l'insurrection, i.20:l
livres, furent payés par la commune de Saint-Joachim. Cf. H. Quilgars,
L'insurrection du mois de juin 1792 dans le district de Guérande,
brochure in-So, Vannes, Lafolye, 1905.

« Notre évêque (1) est revenu de Paris. Les cafards avaient
bien juré que N.-D. de Bon-Secours lui tordrait le cou plutôt
que de le revoir à Nantes. Point du tout. C'est que le voici,
lui-même, en personne. Il a fait la procession de la petite
Fête-Dieu en corps et en âme. Il y a de quoi dire des sottises
à tous les saints. Dé.ià 12 ou 13 réfractaires en ont fait leur
serment, de rage: vaut mieux tard que jamais.
«Je suis touché de la capture du pauvre jésuite Le Clerc (2).
C'était un ,bon diable. qui n'avait d'autre défaut que d'être
prêtre et de croire qu'avec une calotte et un petit collet on
. pouvait encore braver les lois ».

Ami LAËNNEC, D. M.
Alexandre (L Victor, (L Port-Louis.

Quimper, 6 février 1790.
« '" Il Y avait à Quimper deux cabales, donU'une voulait un
gentilhomme pour maire et l'autre M. Le Déan l'aîné :
M. Kerincutf l'a donc emporté. C'est un honnête homme,
capable, mais qui, je pense, a trop d'ennemis pour être en
état de faire le bien avec facilité. M. Le Déan est le premier
conseiller, MM. Lamarre, Coïc et Villeblanche sont du
nombre des 7 autres. Parmi les notables on voit briller Elly,
perruquier de M. Le Déan, Chevalier, ivrogne et boulanger,
Cajean, ivrogne et menuisier, Armenou, ancien laquais d'un
gentilhomme et le nommé Le Maire, ancien soldat, ivrogne,
libertin, crapuleux et banqueroutier .
(i) Minée (Julien), curé de Saiot-Thomas d'Aquin a Paris, élu le
J4 mars i791, évêque constitutionnel de la Loire-Inférieure, installé à
Nantes, en avril i 791. Minée abjura le sacerdoce eo i 793.
(2) Le Clerc (Charles-César), recteur de Ploaré, oocle des fl'ères
de La Roque, fut arrêté à Quimper et conduit au Château de Brest, le

« Et c'est à cô té de pareils su.i ets que nos anciens maires,
Le Gendre, Le Thou et Des Déserts on t accepté des places!
J'oubliais de vous dire que Girard père es t destiné à suppléer
une foule de gens nuls que con lien L cette municipalité el que
le sieur Desnos en es t le procureur-syndic (1).
«La section de Saint-Mathieu a été présidée par notre oncle
Kerourein qui, trop sensible à ceL honneur, a pleuré presque
à chaque fois qu'il a parlé. Mon père, s'étant depuis deux
mois r etiré des districts el des comités, a perdu la faveur
populaire. Quant à moi, je n'y ai point paru. Ce que vous

connaissez de mes principes doit vous faire croire que je
n'avais pu proférer le serment qu'on exigeait.
« Quant à l'argent que vous désirez de notre pér e, il m'a
répondu être absolument hor s d'état de vous satisfaire, vu
que depuis six ans les carrières ne lui ont pas même produit
l'intérêt de son argent et qu'il voudrait bien, lui-même, en
retirer ses fonds. Dans le fait, je ne conçois pas comment il

(1,) Les élections mU1licipales eurent lieu à Quimper, les 26, 27 et
28 janvier i-790 . La population de la ville étant inférienre à 8.000 habi­
tants, il n'y eut que dpux sectious de vole : la première, en l'église du
collège, présidée par M. de Kergariou, la seconJe, en l'église de 8aint­
Mathieu, présid ée par M. Huchet-Kerourein. Le nombre des abstentions
paraît avoir été assez considérable. Quimper comptait, en 1,790,
679 citoyens actifs (non compris Locmaria qui avait à ce moment une
municipalit~ distincte) . Le 26 janvier, il y eut 362 yotants et seulement
335 le lendemain. Le maire fut élu , le 27 janvier. par 247 suffrages.
Conformément à la loi du 1.4, décembre 1,789, la nouvelle municipalité
comprit un maire, un procureur de la commune, 8 officiers municipaux
et 1,8 notables. Les élus furent, dans l'ordre des suffrages: maire, Le
Guillou-h.érincuff, avocat, ex-député aux Etats Grnéraux et à la Consti­
tuante ; procLlreur de la commune : Desnos, procureur; officiers muni­
ciPaux : Le Dé~n aîné, frère du député à la Constituante, négociant, Le
Breton de Villeblanche, avocat, Le Guillou-Penanros, avocat, Piriou,
procureur, Keril is-Calloch, notaire et procureur, Lamarre, avocat, COïC ,
procureur, Charuel ainé, avocat; notables : Elly, Cajean. G elin, O ebon,
Bigot, Girard , avocat, Duval, Le Gendre aillé, Chevalier, Bonnaire,
Oanguy-Des D éserls, Tahon, L e Thou, Guermeur, avocat, Kergozien,
Daniélou, Le M aire, Armenou. (Arch . . municip. ·de Quimper, reg. des

pourrait vivre sans ce qu'il gagne au jeu. Mais quand la
fortune lui tournera le dos, il faudra bien que nous le nour­
rissions. Ces r éflexions, qui m'occupen L souvent, m'afflige­ raient si je ne complais plus sur les soins de la Providence
que sur toute autre chose.
«Nous avons eu le capucin à Quimper, avant Noël, pour
faire ordonner prêtre l'un de ses étudiants.
«Crozon, Châteaulin eL Douarnenez (1) sont en feu pour
la formation de leurs municipalités » .
Victor à Alexandre .

Port-Louis, 30 avril 1791.
«Mon oncle Kerourein me boude, sans doute parce que je
ne peux pas m'embarquer. Il doit s'en prendre à la Révo­
lution qui anéantit le commerce, Révolution don t il es t, à ce
que je crois, grandement partisan, parce que ses intérêts
n'en souffrent pas ou au moins peu de chose .. , ».
A lexandr e à Victor.

Quimper, 9 mai 1791.
«J e ne suis pas fort étonné du silence de Tonton Kerourein.
Ses affaires sont si mulLipliées, y com pris toutefois celles
qu'il prend sans nécessité, comme la direction de M. Expilly

(i) L'. élection de la municipalité de Douarnenezeutlieu le5 4, et 5 lévrier
i790. L'assemblée électorale, présidée par M. Grivart de Kerstrat, com­
prenait 98 citoyens actifs présents. Pour l'élection du maire, la pluralité
des suffrages se porta sur M. Halna un Fre ta y. Le prés ident, « rrgrettanl
l'obstination d'une partie des citoyens à donner leur voix à un citoyen
inéligible »), leva la séa'nce, ce qni provoqua une vive agitation. Conseil
fut demandé d'urgence à la municipalité de Quimper; les bommes de loi
Mclarèrent que M. du Fretay, non domicilié à D ouarnenez, était iné­ ligible. Le 5 fév rier, l'effervescence se calma et les scrutins recommen­
cèrent. Jérôme-Joachim Grivart de Kerstrat fut élu maire par 5i voix
sur 98 votants et Louis-Jean-Marie Guillier du Marnay, procurèur de la

et de M. Le Coz dans leurs brillantes carrières, qu'il n'est
pas possible qu'il puisse vaquer également au spirituel et au
temporel de la patrie, car vous savez que le bonhomme tout
en philosophant ne se contente pas d'être démocrate et
schismatique et qu'il voudrait aussi que tous ses amis
pensassent comme lui et surtout les prêtres qu'il a toujours
chéris par dessus les autres hommes. Ceci dit entre nous.
«Quant à la bouderie de Tonton contre le malheur que vous
avez de ne pouvoir embarquer, il voudrait que vous eussiez
pris parti pour la marine royale, au risque de vous faire
couper la gorge journellement par la foule de démagogues
dont les vaisseaux de Sa Majesté sont empoisonnés. 11 disait
que quand on n'a pas de pain, il faut aller le chercher partout
où l'on trouve à le gagner, fùt-ce comme pilotin.
« Je con venais que le commerce était préférable, mais
qu'actuellement si la marine royale offrait aux roturiers de
grands avantages, c'était en cas que l'Etat pùt remplir ses
engagements. C'est de quoi je doute et dont ne doute point
notre cher' oncle.
« Plusieurs ecclésiasliques se sont rétractés dans nos can­
tons. Nous avons déjà dans le département plus de50 recteurs
intrus. Ils sont presque L ous ou libertins ou ivrognes ou
ignorants. Nous avons ici pour troisième vicaire le cèlèbre
Gomaire qui m'a l'air d'un fouilleur de filles. Le Fr vicaire
esl M. Bourbria, et le 2", M. Le Franc qui, pour montrer qu'il
n'est pas scrupuleux, mangea vendredi dernier de l'andouille.
Voilà nos saints .du jour.
« Les assignats ne perdent encore ici qu'un et demi pour
cent : il y a même quelques personnes qui les ont pris au pair.

« Le capucin est ici depuis bientôt trois semaines et notre
père y est depuis le 7 de ce mois. Nous vivons tous ensemble,
de notre mieux, et tout ira passablement si Dieu me donne
du travail el de la santé pour le faire. Le capucin restera
chez moi jusqu'a nouvel ordre.
commune, pal' 54 voix. (Arch. municip. de Douarnenez, reg. des délib.

« La bulle du pape (1) circule malgré Lous les empêchements
lâches et criminels de nos ennemis ».
DE LA ROQUE-TRÉMARIA, médecin.
Victor de La Roque à Alexandre.
Nantes, 24 juillet 1792.
« ... J'ai trouvé le Docteur bien portant mais on ne peut
plus enragé : il ne veut que tuer et massacrer.
«Voici l'opinion des Démocrates: que l'on mette en
arrestation tous les ecclésiastiques, femmes, mères, sœurs
et parents des émigrés el tous hommes soupçonnés d'aristo­
cratie; que toutes ces victimes, sans en excepter leurs
enfants, seront massacrées au moment où l'armée doublera
la première ligne de France ; que le 'roi soit également
détenu prisonnier avec toute sa famille; que la tête de la
reine soiL portée à l'armèe aussitôt qu'elle sera rentrée;
mais le roi et le dauphin seront conservés parce que sans
cela Monsieur se trou verait roi ».
Nantes, 30 juillet 1792.
« . . . Si je ne puis faire aucune affaire ici, ou je partirai
pour Paris ou je retournerai à Lorieut, mon intention
n'étant pas de rester ici plus longtemps. Guillaume est
Jacobin et cela ne m'arrange pas. Les Jacobins disent bien
ici qu'il faut aller tous aux frontières, mais pas un d'eux
ne bouge. Les autres attendent les événements ».
Nantes, 10 août 1792.
« ... J'ai écrit à Guillaume pour prendre congé de lui ne
l'ayant pas vu depuis quatre jours. L'esprit sanguinaire et

(i) Le bref du 13 avril tî!:Jl circulait secrètement, mais il ne fut
connu du public quimpéroi::1 qu'à partir du i8 mai.

pie-grièche de S3 belle-mère (1 ) ne m'arrange point. Elle fut
sur le point de m'arracher les yeux pour n'avoir point
approuvé son désir qu'elle manifesla avec la plus grande
for ce de faire une Saint-Barthélémy de tous les aristocrates,
sans en excepter femmes ni enfants » .
Lorient, 21 août 1792.
« ... Il y avait S jours que je n'avais été chez Guillaume
à cause d'une sotLise insolente que me dit sa belle-mère.
La veille de parLir, je fus faire aux darnes une visite dans le
plus grand cérémonial, ce qu'elles sentirent parfaiLement et
je mordis la mère avec force. Elle sentit sa sottise et garda
le silence. J e leur annonçai que je partais pour Paris, que

je ferais en sorte de me joindre aux honnêtes gens qui
réprimeraient les esprits sanguinaires ce qui fil pâlir la
mère et je suis per suadé qu'elle en (ici un mot grossier)
de peur » .
De La- R oque-Trémaria, père, à Victor.
Quimper, 29 septembre 1792.
« Nous avons, depuis 8 jours (2), votre sœur la calvai­
rien ne qu'on a chassée de sa maison et probablement qu'elle
sera sans pension: c'est ce dont on la menace, si elle ne fait
. pas le serment (qu'elle ne fera sûrement pas).
« Mercredi dernier [26 septembre], nous eûmes une grande
cérémonie pour la publication du décret de l'Assemblée
conventionnelle qui abolit la royauté et qui constitue l'Etat
français en République (3). Il y eut beaucoup d'appareil.

(i ) M me de G ennes, belle-mère de Guillaume Laënnec.
(2) Les bénédictines du Calvaire furent expulsées le 14, septembre i 792.
(3) Le décret du 21 septerrJbre 1. 792 atolissaut la royauté en France fut
envoyé aux. départements par un courrier ex. traordinaire. 11 parvint à
Quimper dans la matinée du 25 et fut proclamé solennellement, le 26.
Le même jour, les Quimpérois proclamèrent la République. Ce faisant,

Toute la garde naLionale était en armes, la compagnie de
canonniers avec ses canons. Carol en est le capitaine.
« J e finis en vous prian t d'être prudent et très circonspect
dans vos lettres. Le moment n'est pas favorable pour
s'expliquer aussi francbement qûe vous le faites ».
DE LA R OQUE, père.
[P. S. de la main de l'une des sœurs de Victorl· '
« Tàcbe de te modérer et de prendre patience. Quand tu
écriras, sois pruden t, car toutes les lettres sont ouvertes.
Le médecin est toujours détenu ».
Alexandre à Victor.
A la prison d'arr êt, Quimper, 29 sepLembre 1792 .

« Depuis le 22 du mois dernier, je suis dans les prisons. Il
nous est absolument défendu d'écrire sans communiquer les
lettres qu'on nous écrit et que nous écrivons. C'est le comité
de surveillance qui nous a fait mettre ici. Nous sommes au
nombre de 34 aristocrates. Nous étions davantage mais on
a conduit 7 ou S prêtres à l'hôpital. Deux autres ecclésias­
tiques se sont évadés et l'ami Flamant, huissier. J e n'ai pas
voulu suivr e ce dernier, parce que je ne puis prendre sur
moi d'abandonner mes parents, mes amis. J'aime autant
mourir ici (parce que je me crois à mon po~te) que de courir
inutilement les cbemins en faveur d'une cause que je
défends mieux par ma présence et mon exemple que par
mes fatigues et mes courses .
. « Guermeur est ici el Corre eL RabuLeau boulanger et le
jeune Saint-Alouarn arrété en revenant de Paris. Tu sais
que la r eligieuse es t cbassée de son couvent, il y a 15 jours
ainsi que toutes les auLres et qu'elle est chez moi. Le maire
ils anticipaient sur les événements, car le déaet du 22 septembre,
établissant la République, n'ayant pas été adressé par courrier extraor­
de Châteaulin, quoique monarcl1ien m'a témoigné combien il
était sensible à won arrestation. Il m'a prêté 120 livres. Je
suis écrasé si cela dure et peut-être pour jamais. Mercredi
dernier, notre ami Carot (1) étant à la tête deR canons a été
brûlé par une gargousse. J'ai craint 24 heures pour ses
yeux; je les crois sauvés. Il sera défiguré.
« Tu sais sans doute les nouvelles de guerre. Il y a trois
ville~ de prises dont Thionville est la dernière et l'armée des
vengeurs est entre Châlons et Vitry-le-François (2).
« Le jeune Saint-Alouarn (3) qui vient de Paris dit que la
journée du 10 a coûté à la France au moins 15.000 hommes,
que tous les Suisses ont été massacrés, qu'il n'y avait que
1.800 hommes à faire tête à plus de 40.000 grationaux, que
la garde nationale de Paris a livré le roi en ne le défendant
pas et même en se tournant aux trois quarts contre lui,
que depuis, il a été égorgé à Paris plus de 40.000 personnes
dont plus de 500 prêtres, deux dames d'honneur de la reine
qui ont été hachées, éventrées et presque mangées par
les femmes.
(i) Carot, commis au directoire du département était fiancé à
Floride de La Roque. Il faillit être inculpé de complicité avec les frères
de La Roque, mais il a v ait quitté Quimper, à la fin de i 793.
(2) Investie, du 23 août au i6 octobre 1.792. Thionville, bien
défendue par le général Wimpfen, ne fui pas prise. Par contre, Longwy
avait succombé le 23 août et Verdun, le 2 septembre. Alexandre
de La Roque ignorait encore la bataille de Valmy (20 septembre).
(3) Aleno de Saint-.Alouarn (A.imé-~ouis-Marie) né en f 765, officier
de la marine, à la veIlle de la RevolutIOn, figure en 1788 au rôle de la
capitation noble dans la paroisse de Guengat. Il avait épousé Mlle Marie­ Josèphe de Kerret. Le chevalier de Saint-Alouarn se rendit il Paris, en
juillet 1792, et participa il la défense du château des Tuileries, le
10 août. Témoin oculaire des événements du iD août, et, peut-être,
d'une partie des massacres de septembre, de Saint-Alounrn exagéra
énorml' Illent le nombre des victimes. Les morls du iD août furent au
nombre de 1..500 environ dont un tiers du côté des assaillants ;
quant aux victi~es des ~assacres de s~ptembre , le ,ur nombre varie,
selon les estimatIOns des hlstol'lens les mIeux m(orrnes, entre LiOO et

«Nous avons ici, en prison, le sieur Royou, cadet (1) qui se
disait commissaire du pouvoir exécutif. Soit jalousie, soit
prudence, les administrateurs l'ont fait incarcérer. Mais il
ne tardera pas à être délivré par ses commettants de Paris.
On le calomnie; il n'était venu que pour intriguer et on l'a
dit venu pour assassiner. Voilà comme les patriotes se
caressent!
« Que je suis fâché de ne pas te voir hors de France! car je
crains plus pour toi que pour moi: la vivacité qui n'est pas
toujours prudente peut t'exposer souvent et beaucoup (2).
« On dit ici que les Le Déan ont fait préparer leur fuite à
Lorient. Tâche d'en savoir quelque chose. Le capucin est
sauvé; il esL loin, Dieu merçi ! Je le crois en Angleterre.
Quand tu m'écriras, adresse ta lettre à Soizic ».
TRÉMARIA.
A le xandre à Victor, à Lorient.
Quimper, 18 octobre 1792.
«Je suis enfin hors de cage, depuis dimanche au soir, 14 de
ce mois. Il ne restait plus que moi de la Fe et de la 2

fournée.

(i) Royou (Claude), dit Guermeur, né à Pont-l'Abbé le 2 octo-
bre i758. Royou-Guermeur, procureur-fiscal de la baronnie de POnt­
l'Abbé de i 785 à i 787, était le frère de l'abbé Thomas Royou, rédacteur
de l'Ami du Roi, et le cousin de Stanislas Fréron. Montagnard exalté, '
Royou-Guermeur fut chargé, le ~ septembre i 792, par la Commune
de Paris, d'une mission de propagande en Basse-Bretagne. Dès son
arrivép. à Quimper, le 22.septembre, Guermeur distribua une violente
proclamation du comité révolutionnaire de Paris. Ses (( propos incen­
diaires » rapportés à la municipalité de Quimpnr et au directoire
du département provoquèrent son arrestation immédiate. Sa détention
dura ~ mois, Il voua une haine implacable aux administrateurs du
, Finistère et, avec acharnement, travailla à leur perte, en l'an Il.
Cl. J. Trévédy, Royou-Guermeur, broch. in-8°, Vannes, Lafolye, i892.
(2) Trois passages de cette lettre ont été soulignés au crayon rOl,lge par
Fouquier-Tinville : « Je n'ai pas voulu suivre ce dernier... mes
courses»; « il a été égorgé à Paris ... par les femmes» ; «que je suis
fâché ... souvent et beaucoup». ,

On m'a fait sortir sans raison, comme j'y étais entré. Ma
détention a duré 54 jours. Cela m'écrase car je n'ai eu de
permission de sortir pour voir des malades que pour une
heure par jour.
«De 48 que nous avons été dans cette maison d'arrêt, il ne
resle plus que 10, dont Saint-Alouarn. Il était parti d'ici,
avant la Fédération, pour Paris où il s'est montré en brave
et bon Français. Après tous les massacres qui pendant près
d'un mois ont inondé les rues de Paris de sang, il en est parti
comme il a pu, à pied et déguisé (1), accompagné d'un sergent
national de Quimper, lequel soldat dégoûlé de la Nation
voulait revoir sa famille et fut pris avec Saint-Alouarn, à
une heure après minuit, par la patrouille, comme ils traver­
saient ensemble la ville pour se rendre à la campagne, près
de Pont-l'Abbé.
«Vous savez que Flamant et Ruelle, Donard et Kerjeall,
chirurgien, sont émigrés pour éviter l'incarcération. Pour
moi, je n'ai pas voulu fuir pour mille raisons.
~ Le mariage du maire de Châteaulin avec Mlle de Kerguif­
finec est manqué, malheur auquel je me suis toujours attendu.
Quant au capucin, il est parti avec un passe-port de la muni­
cipalité de Roscoff, en conformité du décret de déportation
ou d'expulsion. Je le crois à Jersey mais je n'ai pas encore
eu de ses nouvelles et j'en suis inquiet » .
Quimper, 16 février 1793.
MON CHER VICTOR,

« Il est 10 heures passées du soir et je suis seul et tranquille
auprès de mon feu. Margot tremble la fièvre quarte et je lui
donne à boire. L'amoureux de Soizic s'est allé coucher et
(1) Ce passage concernant Aleno de Saint-Alouarn : « il était parti
d'ici ... à pied et déguisé» a été souligné au crayon rouge par Fouquier­
Tinville qui y trouva une charge accablante contre Saint-Alouarn. Après
la condamnation des frères de La Roque, cette lettre fut jointe à un autre

Jeannette est dans le bain pour ses yeux qui sont affligés de
fluxion. Floride, touj ours la même, es t rarement en paix
avec les deux autres et notre père, touj ours plus heureux
que sage, se couche bien pansé et bien lesté de vins et de
liqueurs, malgré la cherté dont ils sonL C'est pour la cin­ quième fois de cette semaine qu'il se saoule. C'est une de
mes croix que cette ivrognerie ; mais je ne la trouve pas
encore aussi lourde que la coquetterie de ma filleule et la
lichouserie de la religieuse jointe à son inexpérience volon­
taire. Aussi je vous assure que je la voudrais ailleurs que
chez moi, car depuis qu'elle y est, j"ai beaucoup plus de
peine à diriger ma filleule.
« Quant à nos frères : le capucin est toujours à Jersey où sa
petite santé a de la peine à se soutenir; l'autre, encore maire
de Châteaulin, a sur les bras une affaire assez grave pour
une affiche mise par ordre du district et qu'il a fait déchirer.
C'était pour affermer la pêcherie de Châteaulin et comme le
gaillard a peur de ne l'avoir pas, craignant la concurrence,
il fit arracher les affiches. Il a, je vous assure, une bonne
secousse: puisse-t-il en être plus sage.
«Pour nos autres parents, ils sont mieux portants que mieux
pensants. De toute la famille, le seul qui m'étonne touj ours
et qui m'afflige vivement c'est notre oncle Kerourein. A
peine a-t-il été sensible à la mort du roi. A l'entendre, on le
dirait con vaincu que les patriotes assassins du roi l'empor­
teront partout et que les trois quarts des aristocrates ne sont
que des scélérats. Il est impossible qu'avec les lumières et
le jugement qu'il a il pense ce qu'il dit et cependant si, comme
je le crois, il ne le pense pas quelle làche duplicité !
«Croirez-vous, mon ami, que le neveu et les enfants de
Marnet (1) vont à la chasse des prêtres et que, l'autre jour,
(i l Il s'agit du fils de Louis-Jean-Marie Gl1illier-Dl1marnay et de son
neveu Le Léal. Guillier-Dumal'llay, négociant à Douarnenez était, à cette
époque, membre du directoire du département et habitait Quimper.
Dumarnay partagea le sort des administrateurs girondins et fut guillotiné

-100 -
ils en amenèrent un qui jadis avait été leur précepteur. A
peine l'eurent-ils traîné dans la prison qu'ils demandèrent
les 100 livres de salaire ct qu'ils l'obtinrent. Mais ils onl eu
tous la douleur de le voir échapper, le même soir, de la
maison d'arrêt, à travers deux barreaux de fer d'une petite
fenêtre donnant sur l'escalier du côLè de chez Mnle de Ker­
morvan.
«A la Retraite, les malheureux prêtres vieillards qu'on y
entasse (il y en a 55), y sont exténués de faim et de plus
empoisonnés par l'infection de plus de 80 volontaires malades
qui y sont et par la malpropreté qu'on laisse autour d'eux.
Ceux du Chàteau du Taureau sont un peu mieux pour la
nourriture et pour les procédés de ceux qui les gardent, mais
plusieurs ont la poitrine dèchirée par l'air de la mer. Ce
serait un bon tour à jouer aux patriotes finistériens que les
Anglais enlevassent de cette prison Loutes les malheureuses
victimes qui depuis longtemps y gémissent. Cette action
serait belle parce qu'elle serait généreuse, parce qu'elle serait
utile au bon parti. Nous n'avons pas de vaisseaux de marine
dehors: avec un peu de finesse, de force, une poignée d'émi­
grés sous pavillon national et sous l'uniforme patriote
entreraient bientôt dans le Château. Quelle jouissance pour
nous, si quelqu'un pouvaiL nous jouer ce tour-là! (1).
«Autre afI'aire. Les dames Le Brun, la veuve et la fille du
fameux peintre Le Brun, désireraient faire, au mois d'avril
prochain, un voyage à Lorient pour y exercer pendant un
mois ou six semaines le talent que mademoiselle a pour la
peinture, surtout pour les portraits en miniature. Mais
avant que d'entreprendre ce voyage, elles m'ont chargé de
vous demander et de vous prier de tâter pour elles le terrain
de la place. Avant de parlir d'ici, elles voudraient être assu­
rées de 5 ou 6 portraits ce qui leur donnerait tout lieu de
penser qu'il en viendrait d'autres à la suite. Elles prendront

(i) Ce passage: « Ce serait un bon tour ... jouer ce tour-là» a été
souligné au crayon rouge par Fouquier-Tinville qui en fit état, le q, nivose,
an Il, dans son acte d'accusation contre Alexandre de La Roque.
-101
quat.re louis par portrait. Si les choses s'arrangeaient, ellês
ne voudraient descendre qu'en maison bourgeoise, chez des
personnes honnêtes et tranquilles et même vivant retirées .
Elles y paieraient leur pension au prix convenu pour elles
deux et la perruche. On admire ici le talent de cette jeune
demoiselle pour cet art. Elle a peint en miniature plusieurs
personnes, notamment les deux demoiselles de La Poterie,
le fils de M. Kergoz, l'aîné, l'officier national. Tous ces

portraits frappen t par la ressemblance et par la fraîcheur du
coloris. Ils sont d'ailleurs agréables aux intéressés parce
qu'ils embellissent la ressemblance.
«Ces dames viennent de me dire que vu les circonstances,
elles ne prendraient que trois louis par portrait. La jeune
femme peint aussi au pastel et peut ainsi dans son art satis­
faire les différents goûts ».

Adieu,ton frère et ami,
TRÉMARIA, médecin.
Quimperlé, 3 vendémiaire an III.
[24 septembre 1794].
La Société populaire à la Convention nationale.
« [L'Assemblée Constituante avait fixé à Quimper le chef· lieu
du département du Finistère. Une loi de circonstance, le
décret du 19 juillet 1793, transféra le chef-lieu à Landerneaul
Il n'y eut contre Quimper que quelques administrateurs
amoureux de popularité et l'établissement semblait cimenté
pour les siècles. Des circonstances désastreuses le transfé­
rèrent momentanément à Landerneau; elles ne sont plus (1).
«Interprètes du vœu bien prononcé et certes aujourd'hui
(i) La tixation ttu chef-lieu du Finistère provoqua, dès la tin de :1789,
une longue et ardente querelle entre le Léon et la Cornouaille.-Brest,
appuyée par tout le Léon et le district de Morlaix, tenait pour Landerneau.

102

plus éclairé que jamais de toutes les parties du département,
ses administrateurs actuels viennent de solliciter le rappel
de l'administration dans son domicile premier et naturel et,
si nous l'osons dire, dans ses foyers. Ce vœu du peuple ne
saurait plus êtr e travesti par l'art des orateurs. Nous ne
saurions exprim.er combien nous avons eu à souffrir du
déplacement de notre administration supérieure.
« Landerneau est aussi opulent que Quimper est pauvre et
nous ne r appellerons pas à nos frères de Brest et de Lan­
derneau qu'on fit pour eux un argument de cette différence .
Nous étions trop voisins alors de ce règime insensé qui
donnait tout à celui qui avait déjà beaucoup et l'aristocratie
des riches travaillait à remplacer l'aristocratie des grands .

«On a beaucoup écrit pour fixer à Quimper, pour fixer à
Landerneau, pour fixer à Carhaix le centre géométrique du
Finistère. Dans un pays mont.ueux et irrégulier, le centre
n'est nulle part; mais il ne s'agissait point de chercher le
centre des lieux: Quimper est le centre des relatioos.
«Paris n'est pas le point central de la France pour les
géomètres; il l'est pour les législateurs parce que c'est la
ville des ar ts, la ville des sciences, le rendez-vous de tous les
Français, parce que pour placer ailleurs le chef-lieu de la
République, il faudrait y transporter Paris » .

BATAILLE, président. Théophile-Marie LAËNNEC,
secrétaire (1).
bretons, la Constituante fixa provisoirement le chef-lieu à Quimper. Ce
choix fut rendu définitif par le décret du 20 août 1790. Les districts de
Brest, Landerneau, Lesneven el Morlaix ne se tinrent pas pour battus.
Ils renouvelèrent, à partir du 12 novembre 1792, d'innombrabl es péti­
tions en faveur de Landerneau. La révolte girondine écrasée, les Monta­
gnards jugènmt que la ville de Quimper s'était compromise dans le
mouvement fédéraliste ct, pour la punir de ses sympathies girondines,
la Convention, par le décret du 19 juillet 1793, transféra le chef-lieu à
Landerneau. Sous la réaction thermidorienne, le décret du 15 brumaire,
an III, (5 novembre 1794), rétablit à Quimper l'administration du
département. (Arch. nat. D. IV bis 62).
(1) Arch. nationales D. IV bis 62.

- 103-

On sait que Laënnec, un peu sur le tard, le doctorat en
médecine conquis, s'éprit d'une belle passion pour la
langue bretonne et la littérature celtique. La même
particularité s'était déjà rencontrée chez un de ses oncles,
capucin, le frère Alexandre de Quimper, lecteur en
théologie, au couvent de Roscoff. Avec une ardeur de
néophyte et une ténacilé toute bretonne, le capucin, vers
l'âge de 35 ans, se jeta sur l'étude du breton. Et il ne
s'agissait pas d'un capriced'amateurcherchantdestudieux
loisirs; le moine « suait sur lA breton )~ , pour en avoir
une connaissance approfondie, car il entendait s'en servir
pour la prédication. Il écrit à son frère, le médecin :

Roscoff, 26 décembre 1787.
« .. Je sue sur le latin, sur le français, sur le breton et, en
conséQuence, je déraisonne. Peut-être me demanderas-tu
pourquoi en entreprendre tant? Pourquoi mon ami? Je lis
le latin pour mon instruction etma satisfaction particulière:
je l'aime. J'étudie le français parce qu'il m'est nécessaire
pour me faire comprendre à bien des gens, comme tu le sais.
Enfin j'apprends le breton pour m'en servir en Basse-Bre­
tagne et un peu aussi il ne faut pas mentir pour plaire
aux moines (j'aurai de la peine, n'importe ! ) et pour faire
mentir le proverbe capucin qui déclare que nous, capucins
quimpérois, ne prêchons jamais breton .
« Vois-tu, hien cher frère, que l'amour-propre aussi bien que
le fiel se glisse parfois dans l'àme des dévots. En vérité, je
crois que c'est là le principe de mon étude bretonne. Je tâche
de le rectifier autant qu'il m'est possible ».

La vie mondaine tenait une grande place dans la

104 -
gens d'esprit, sans distinction de classes, aimaient à se .
réunir pour le seul plaisir de la conversation. A la
Chambre littéraire, dans les saJons, à la loge maçonnique,
on se plaisait à parler de littératme, de sciences et de .
philosophie.

Epris de beau langage, avides du plaisir littéraire, à ·
l'instar de Fréron, d'Olivier Morvan et de Mme de Pompery,
nos Quimpérois applaudissaient, avec une égale chaleur,
vaudevilles, nobles harangues, lettres bien tournées,

chansons spirituelles, épigrammes, quatmins et inpromp-
tus. Sans doute, ces exercices littéraires n'étaient que
jeux; mais les jeux d'argent et les jeux d'esprit passion­
naient tout le monde; la cartomanie et la métromanie
sévissaient avec une étrange intensité dans cette heureuse
petite ville. Les moines même ne pouvaient s'en
défendre.
La manie de rimer parait avoir été héréditaire dans la
famille Laënnec. L E:) jeune Laënnec rima comme son
père et son grand-père et comme son oncle le capucin .

Brest, 14 novembre 1788.
« Si j'avais eu à faire l'épitaphe satirique de cet abbé
Reymond (1), je me serais contenté, d'après l'idée que je

(:l ) L'abbé De Reymond, chanoine, conseiller au présidial, appartenait
depuis i775 à la loge « La parfaite union »de Quimper. Il fut vénérable
de celte loge en 1776. Dans une lettre à l'intendant, le 3 avril i789,
Le Goazre l'appelle «( une tète chaude qui depuis longtemps porte le
trouble dans tous les ordres». L'abbé D e Reymond semble avoir joué un
rôle actillors de la convocation du clergé do Cornouaille, en avril i789.
Pour paraître à l'Assemblée du clergé de second ordre, « il se fit donner
une procuration par l'abbesse de KerJot et, de concert avec MM. de
Kermorvan, chanoine, Quéré, l'un des vicaires de Quimper et Coroller
recteur de Saint-Mathieu, il a d'abord essayé d'empêcher que l'assemblée
se formât au lieu indiqué (le collège). Il est arrivé de ce tte manière que

105 -
m'en suis faite, de la faire en style lapidaire et par conséquent
de supposer la pierre tombale disant aux passants:
« Ci-glt U11 abbé Reymond
« Dieu vous garde d'un second '»
« Ou pour me rapprocher tant soit peu de l'idée première de
notre nouveau matérialiste et pour satisfaire les amateurs
de rimes croisées;
« Ci-gît cet abbé Reymond
« Qui dépensa, dit-Lon, sa vie
« A chercher un état fécond
« En singes de sa folie '».
« Je ne dis pas qu'il fut de tont état; au contraire. je veux
dire qu'il n'en eut jamais, qu'il en flaira opiniâtrement un ou
plusieurs, si l'on veut, qu'il ne convint à aucun et que, vice­
versa, aucun ne lui convint parce qu'il lui fut comme
impossible d'en trouver un qui eût quelque analogie, surtout

par les membres, avec sa folie maniaque. Ceci posé, si ces
épitaphes, dont la première quoique très réticente me semble
la plus mordante, blessent les règles, sache que c'est par ma
très grande faute. Au reste, elles n'attaquent que l'abbé à
épitaphes, selon mon plan. J'ose espérer que si la pensée te
plaît tu te garderas de nommer ton frère, le capucin, qui les
fit et qui paierait très et trop cher quelques syllabes
hasan;lécs pour plaire à toi et à toi seul.
« Au moment où j'allais plier ma lettre, mon étudiant s'est
trouvé si mal que j'ai oublié l'heure du courrier. Cet oubli
m'a donné le temps de relire en plein jour cette besogne
nocturne. Il m'a pris fantaisie d'expliquer la première strophe
en disant: .
se réunirent au collège. M. De Reymond pérora les recteurs qui s'étaient
rendus au séminaire. les menaça de la Noblesse et du Haut-Clergé et du
Parlement surtout. « Vous allez voir le Parlement, dit· il, s'élever sur les
débris du Tiers et si vous ne vous joignpz à lui vous ne serez point
épargnés ... ». (Arch. d'lIIe-et-Vilaine, C. 1808) .

-106
« Ci-git Monsieur l'abbé Reymond
« En sottises si fertile
« Que des humains le plus fragile
« Ne saurait être son second ».
« Je crois le « Monsieur» du premier vers nécessaire pour
faire image. J'ai aussi refait la seconde épitaphe parce que
ces pensa, sa et sa des 2· et 4

vers me déplaisent:
« Ci-git Monsieur l'abbé Reymond
« Qui consuma fortune et vie
« A chercher un état fécond
« En singes de sa folie ».
« Je crois que singe et folie ne disent pas mal un fou mania­
que ».
Du 15 novembre, après-midi.
Brest, 2 novembre 1790.
. « ... Moi, capucin de cœur, d'esprit et de corps, moi qui
tiens à gloire et à honneur d'être du nombre de ces citoyens

que M. Le Coz (1) appelle médiocrement instruits, de ces
ecclésiastiques qu'il taxe gratuitement et sans preuve
ri'ignorance et de mauvaise foi, moi, dis-je qui suis tout cela
et qui pour tout an monde ne voudrais pas être M. Le Coz,
enc.ore moins ce qu'il voudrait sans doute bien être, je dis,
soutiens et m'engagerais, s'il le fallait, à le démontrer en
forme que, dans ses Observations, M. Le Coz ne sait ce qu'il
dit, que s'il le sait il n'en est que plus coupable.
(i) Claude Le Coz (17 40-18i5), pl'ofesseur au collège de Quimper de
1764 à i778 ; principal de ce collège de i778 à 179i ; procureur-syndic
du district de Quiruper en 1790; évAque d'Ille·et-Vilaine et métropolitain
du Nord-Ouest, le 28 février i 79i ; député à l'Assemblée législative, en
septembre i791 ; archevêque de Besançon, le 9 avril 1802. L'abbé
Le Coz écrivit en i 790 des « Observations $ur le décret de l'Assemblée
nationale pour la constitution civile du clergé». Celle apologie de la
nouvelle organisa tion religieuse fut imprimée aux frais du département
107 -
« M. Le Coz pour ses observations mériterait au moins six
mois de séminaire. M. Le Coz s'est rappelé qu'il fut jadis
régent, faiseur de phrases, diseur de mots sans sens, facteur
de vers illisibles ».
Et le brave capucin transporté par son ardeur combative
ne résiste pas au désir de rimer quelque peu aux dépens de
M. Le Coz:
« Par l'écrit scandaleux dont MO' est l'appui
« Monsieur Le Coz ne s'est fait autre chose
« Que copiste effronté des sottises d'autrui.
« Monsieur Le Coz ne sera jamais lui
« Dût-il être syndic de la métempsycose ».
FR. ALEXANDRE.
Roscoff, 24 février 1792.
« ... L'épigramme et la satire entrent pour quelque chose
dans mon règlement de vie. Si par ces mots tu entends mes
études, non, mon ami; je m'amuse tout simplement alors et
je n'étudie pas. Je barbouille du papier, je le noircis parfois
des sottises de nos intrus parce que j'aimp, mieux décharger

ma bile sur ces monstres en politique et en religion que de
murmurer contre eux sans rien dire. Ce n'est pas cependant
pour le leur faire lire et, si tu le faisais, tu outrepasserais
mon intention. M. Le Coz ne m'a pas plus échappé qu'Olitrault
et une boutade m'a vengé de ses impiétés, de son républica­
nisme et de ses sornettes littéraires. M. Expilly est à présent
sur le.tapis et je le tapisserai du mieux qu'il me sera possible.
Tout cela sera pour toi, si tu veux, el pour d'autres, si tu le
juges à propos, parce que je ne vois pas qu'il soit défendu de
badiner, de pincer même durement quiconque vous écorche
et nous voudrait autant de Saint-Barthélémy».

J. SAVINA .

- ,- 122 -

DEUXIÊME PARTIE'

Tnbledes Mémoires publiés en 1926 .

PAGES
I. Première contribution à l'étude des noms d'hommes

. et de lieux du Cap-Sizun, par 'DANIEL BERNARD

et J. LOTif .. ' , . . . . . . . . . . . . " 3
II. En marge de l'histoire d'une vieille famille bre- ,
tonne, par AVOCOURT et KERALLAIN. " . . .. 26

III Autour de R,-T.-I-L Laënnec, Quelques lettres
inédites de son père et de ses oncles, par J. SAVINA. 73

IV. , Carhaix ou Châteaulin., Querelles et intrigues pou~

la possession d'un sous-préfet en 1818, par
, . ' H, W AQUET. ' . ' . . . . . '. . . . .: . . ' . . 108

Additions et corrections, . .

116