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Bulletin SAF 1926


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En marge de l’histoire d’une vieille famille bretonne

Avocourt et Kerallain

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1926 tome 53 - Pages 26 à 72

EN MARGE DE L'HISTOIRE
D'UNE VIEILLE FAMILLE BRETONNE

Lorsque, dans les premiers temps des Guides Joanne,
aujourd'hui nos Guides bleus, M. Pol de Courcy rédigea
l'Itinéraire de Nantes à Bresl, l'auteur signalait au nord de
Lorient, dans la paroisse de Plouay, deux grandes terres dont
les familles, unies par le voisinage et souvent par le mariage,
demeuraient en possession depuis plus de trois cents ans,
Ménéhouarn et Kerdrého, appartenant aux Pluvié et aux
Botdéru. Un demi-siècle s'est écoulé, les familles demeurent
implantées sur leurs terres .; mais l'uue d'elles, celle des
des Botdéru, a perdu son nom, Cependant, comme les
propriétés des deux familles s'étendaient et débordaient
jusqu'en notre région, peut-être ne jugera-t-on pas inutile
d'emprunter à un mémoire, écrit pour des raisons personnelles,
quelques pages qui nous aideront à comprendre ces existences
d'autrefois: le développement des circonstances historiques
et surtout de la civilisation matérielle, encore plus que les
révolutions de pure politique, ont amené de telles transfor­
mations dans le monde que de telles vies ne semblent plus
désormais pouvoir se comparer à la nôtre.
La branche des Botdéru, qui devait s'installer à Kerdrého,

survivant à toutes les autres branches et gardant jusqu'au
bout les noms, titres et armes de la famille, habitait anté­
rieurement à Plùmelin, non loin de sa terre patronymique,
le Botderff (buisson de chênes) relevant du fief de Baud,

après avoir relevé de Rohan, Nous trou vans d'abord ces

Botdéru en Cornouaille, à Fouesnant, où le manoir de
Kergantel était entré dans la famille à raison du mariage de
Jean III du BotderfT avec Marguerite du Mur, damedeKerméno,
fille de Pierre du Mur et de Marguerite de Malestroit.

De leur descendance, nous ne voulons retenir que deux
noms : Charles et Yvon ; Charles, qui épousa Louise de
Langle, apporta la plupart de ses propres titres dans sa
nouvelle famille. où l'on dut les rechercher au XVIII' siècle
pour une présentation à la cour; mais ses petites filles, issues
de Louis du Botderff et de Louise de Kerméno, l'une Guyonne,
épouse de Guy Riou de La Porle,Camus, morte sans enfants,
l'autre, Jeanne, religieuse professe à l'abbaye de Saint-Georges
à Rennes, firent sorlir précisémen t le BotderIT, (( de ses seigneu rs
naturels », comme s'exprime un descendant, à la suite d'un
de ces procès curieux, qu'imposait, comme eITet de la mort
civile, l'entrée d'un profès en religion (1). L'autre fils de
Charles, Yvon, fut père de Jean du BotderIT, sire de Kergantel
et de Louis , seigneur de Kerdrého. Mais ce fut par manière
de transaction que ce Jean du BotderIT dans l'héritage de ses
deux cousines défuntes, garda Kergantel, en abandonnant la
terre même du Botderlf à un aulre cousin germain, également
peti t-fils de Charles ; Jean Le Sérazin, don t le nom se
retrouve comme celui des Botdéru, parmi les membres du
Parlement de Bretagne.
(1) On'notera que Jeanne du Botdertf, fille d'une demoiselle de Kerméno,
ell entrant à Saint-Georges de Rennes, s'y trouvait presque en famille
puisque l'illustre abbaye avait en ce temps pour supérieures successives
Marie de Kerméno (1535-1559) et Jeanne de Kcrméno (1557-Hî72).
Au siècle sui\'ant, coïncidence curieuse, l'hôpital Sainte-Catherine,
aujourd'hui l'hôtel de la Préfecture li Quimper, eut pareillement deux
supérieures successives de la m~me famille : Françoise-Corentine,
1659-1664 (1'e fois), 1.677-1682 (2

fois), Marie·Anne i6H3-i687.
(Albert Le Granrl, Vie des Saints de Bretagne, éd. de i90!, suppl. p. 13;

J flan du Botderff. sire de Kergan I.el, bien que marié deux fois
n'eut pas plus d'avenir dans sa descendance qu e sa cou sine
Gu yonn e de la Porte-Camu s. Mais, à travers la sécheresse de
la nomenclature généalogiqu e, sa physionomie commence de
se dessiner. Il avait épousé d'abord Fran çoise de La Fresnaye ,
veuve de Jean Philippe du Rest, ou Res te. Sa seconde femme
fut Jacq~lelte de Brignac, dame de la Villequelo ; et de celle-ci,
durant les fiançailles , il nous reste une lettre charmante où
l'on voit comment se menait alors une " florette », ou
« fleurette» , d'où est venu le m otjlirt, suivant les préceptes
de la courtoisie, même au fond de la campagne bretonne.
cc Monsieur de Km'gantel, j'ai vu les discours que m'avez
récrits les jou rs précédens, par lesquels me faites une infinité
de complaintes des ennuis que recevez à mon occasion. Mais
je ne puis croire qu e votre mal soit si extrême que ne le
puissiez supporter plus longuement qu'avez limite ; et, si
avez peine à votre persistance, vous en aurez plu s de m érite
quelque jour. Je vous supplie de ne m'avoir point en cette
réputation d'être si inhumaine ; c'est un e chose bien mal
convenable Ii ma condition . Ain si que je ne vou s voie pas en
telle extrémité qu'il y ait occasion d'avoir pitié de vou s.
Espérant vous dire le parsus (1) , à la premi ère vü e, ne vous
ferai-j e plus long discours, sinon saluer vos bonnes grâces
de mes bien humbles recommandations, priant Dieu,
Monsieur, vou s donner santé h eureuse et longue vie, et autant
d'heur et de contentement que ou vou s en désire du reste ».
{( Mademoiselle de Brignac», aj oute l'auteur par manière
de post-scriptum dans l'angle de la lettre, et parlant de sa
mère, cc m'a commandé de vous présenter ses très humbles
recommandations et ma sœ ur en pareil. Et vous remercions
infiniment des présents que vou s avez envoyés. J'ai prié votre

homme de les remporter: je vous suis trop obligée de
l'amitié que me faites ce bien de me porter sans m'y obliger

davan tage ».
" «( Votre bien obligée à jamais )),
cc Jacquette de BRIGNAC » .

Le certificat de noces et épousaiiies de M. de Kergantel avec
Mil, de Brignac est daté du l e" avril 1581. La cérémonie ayant
eu lieu dans la paroisse de Caudan, en la chapelle du Manoir
de Trémellec, qui appartenait à la dame Péronnelle de Dréseuc,
pour lors assistée de sa sœur, Françoise du Dréseuc, darne
de la Haye, et quelques autres personnes. Jacques du Botdéru,
neveu de Kergantel, avait signé comme seigneur de Kerdrého.
Kergantel, dans le cours de son existence seigneuriale, eut
mainte fois l'occasion de figurer, d'accord avec son voisin et
parent, le sire du Pontcallec, ainsi que d'autres membres de
sa famille, et son neveu de Kerdrého, dans les occasions
importantes de la vie provinciale; par exemple, aux Etats de
Bretagne de 1580, notamment à la seconde session, celle
d'octobre, dans le couvent des Carmes de Ploërmel, où fut

acceptée la nouvelle réformation de la coutume bretonne. On
le retrouve encore aux Etats de 1588 (1). Mais les guerres de
religion venaient d'éclater. Kergantel s'y jeta de plein cœur,
en son honnête conscience. « Le penultième jour d'octobre
1589, au moment de monter à cheval pou r aller à la guerre,
à la gloire de Dieu et à la défense de la religion », l'honnête
Ligueur, car on n'imagine guère qu'il fut autre, jetait
brièvement ses volontés pour le repos de son âme au dos d'un
vieux parchemin usagé; puis, se reprenant plus à loisir,
« dans la vraie forme de testament n, il écrivait: «( Je veux
aussi, mon dit décès avenu, il soit célébré, le lundy 1e chaque
(i) Bull. Soc. arch. du Finistère, t. IX, p. 197; cf. Ch . de Calan,
Doc. inéd. sur les Etats de Bretagne de 1491 à 1589. (Soc. des Bibl.

semaine, dans l'église paroissiale de Fouesnant, une messe,
et le vendredy dan s l'église de Notre Dame de la Forêst ;
et pour dotation, je donne 10 livres monn aie à prendre par
an sur le lieu de Kergantel, et veux qu'elles soient célébrées
par messire Bertrand Derrien, recteur de l'an 158g )) .
A lire dans les testaments la multiplicité de ces injonction s
pieuses, on se demande comment le clergé pouvait garder
l'observan ce de tant de fondations perpétuelles.
Jean de Kergantel mourut à Vannes, en 15go, sous la pro­
tec lion d'un foug ueux évêque lig ueu r, Georges d'Aradon (1 ) .

Sa femme, Jacquette de Brignac lui survécut jusqu'en 15g7,
conservant la jouissance des terres de Kerbourvdlec et de
Kerallain (2) , qui devaient revenir ensu ite à l'héritier de son
mari, le sire de Kerdrého, déjà nanti de Kergantel, ce qui
nous ramène à la terre principale dont nous d ésirons suivre
l'histoire.
L'année d'avant sa mort, une petite-fille des Brignac, petite
nièce des Kergantel, Marie Papin, qu e nous retrouverons plu s
loin, apportait en mariage à Charles de Guer la baronnie de
Pont· Callec et contribuait à resserrer l'union de ce noyau
familial (30 avril 15g8).
(i) Sur Georges d'Aradon, voir Pocquel, Hist. de Bretagne, t. v, p. i50.
(2) La terre de Keraltain , appartenant à la famille de ce nom , située
en Plumelin, non loin de Kerbourvellec, relevait du fief de Baud. Jean
de Ker~antel, le 2 janvier {i'ii3, avait acquis, de Julienne de Keraltain
et de Germain Champion, son mari, la propriété de deux moulins sous
le mème toit, dépendant du manoir de Kerallain, mais sur le~quels la
famille, dont plusieurs frères et sœurs, enfants, comme Jullienne, ùe
Jean de Kerallain et de Valérie (ou Valentine) du Chastel, élevèrent
des prétentions. D éboutés par le sénéchal de Ploërmel, le 25 mai i574,
les plaignants entamèrent une s~rie de procès qui se terminèrent par une
transaction, le i5 novembre i585 ; moye.nnant une somme de 4.000
livres, toute la propriété de Kerallain revint aux Kergant'3l. Le nom
et 13 famille semblent àisparaître ensuite, sauf un instant au XVlIl

siècle,
où l'on retrouve mention d'un Callino de Kerallain, dans l'Inventaire des

Le 14 décembre 1563. Louis 1" du Botdéru, de Kerbou r­
vellec, frère de Jean de Kergantel. épousait Catherine de
Pluvié, fille de Jean de Pluvié et de Marguerite de Launay,
établis à Kerdrého, en Plouay, de par l'acquisition faite par
leur arrière grand-père. Kerdrého était entré dans la famille

de Pluvié suivant l'échange conclu entre Paën, ou Payen, de
Pluvié, le :1 septembre 1456, avec Pierre Cadiou et Jean, son
fils aîné, contre une terre en Cléguer, non loin de Pont-Scorff.
Payen de Pluvié, dont le prénom singulier aujourd'hui, n'était
pas moins assez répandu au Moyen-âge, par opposition
sans doute à celui de Chrétien ou Christian, était fils d'Eon,
qui vivait en 1{.41, et de Jeanne de Lopriac. Lui-même avait
épousé Jeanne de Kermérien, dont il eut au moins deux
fils : Jean, qui figure dans la noblesse bretonne en 1477, et
Guillaume, qui épouse en IQ99 Jeanne du Pou.
Soit dit en passant, la fortune de Payen de Pluvié n'était
pas des plus grandes. Il est porté dans les montres de IQ77
et de 148! pour un revenu global de 80 livres, ce qui eût

représenté au début de notre siècle environ 3.200 francs:
chétif avoir à côté de son riche voisin, le sire du Pontcallec
c'était alors Jean 1

, seigneur .de l'Argentaye (1.000
livres, valant Qo.ooo francs dans les mêmes proportions) avec

qui sa descendance devait s'allier deux siècles plus tard, alors
que la fortune .les Pontcallec demeurait encore à la même
hauteur relative d'environ 40.000 francs de rente, suivant le
taux de naguère, tandis que celle des Botdéru égalait presque
maintenant leur situation.
Mais, malgré la modicité de ces ressources, au xvi' siècle,
le sire de Pluvié, habitant Kerdrého, devait fournir aux
montres un archer, un page et deux chevaux, dont l'équipage

ne répondait pas toujours aux exigences du règlement et lui
valait des remontrances. Or, il ne s'agissait pas de vassaux
quelconques, militarisés suivant l'occasion, car on se trouvait

trop près pendan t la guerre des Deux Jeannes, et don lIe grand
arc, le long bow, lançait jusqu'à 12 traits par minute, à la
distance de plus de 300 mètres, capables de percer un muid
de vin (1).
Peut-être ici, d'ailleurs, nous pardonnera-t'on un e remar­
que d'ordre général que viennent justifier les circonstances
présentes. Le service militaire, et, si l'on peut dire, le service
policier de la noblesse à l'intérieu r du pays, paraissait alors
assez onéreux pour autoriser ses exemptions d'impôt; et les
«( réformations» avaient moins pour obj et de lui disputer ses
avantages que de les refu ser aux gens retors, touj ours prêts à
se les attribuer en échappant aux charges de guerre. Et cet
accord demeu ra tant que la noblesse se battit. dans sa pro­ vince et pour sa province. Mais, dès que, la France se trouvant
unifiée, la royauté employa ses gentilshommes officiers h ors
des frontières, sur les champs de bataille d'Allemagne ou
d'Italie, le peuple se désintéressa de leurs services lointain s
dont il ne comprenait plus l'utilité, de même que, de nos
j ours, l'opinion publiflue anglaise, américaine, snrtou t dan s
le grand Ouest des Etats-Unis, se refu se à comprendre les
motifs de la garde que nous montons sur le Rhin (2).
(:1.) Quarterly Review, avril 1899 ; 349-50. Ibid , juill. i908 ; 143. -
Voir cependant Ibid, juill. 19:!4 ; 1.7tî ; et, plus généralement sur l'arc
et les flèches, le Times , suppl. Lit. 3 déc. 1.925, p. 832.
(2) Lucien Romier, le Royaume de Catherine de M édicis, t. l , p. 171 :
:1. 78-:1. 79; relation de Soranzo en H:i58. Paul Viollet, Histoire du Droitcivil
f'rançais, 2

édit., p. 258. Imbartdela Tour, les Origines de la Ré{orme,
t. l, p. 390-400. Sous Louis XIV encore, l'obliga tion d'honneur persiste
pour la noblesse d'être à la guerre sous peine d'être traité d'embusqué
par le populaire (v. M me de Sévigné, lettres des 29 avril et 6 juin 1672).
« Personne peut-êtl'e alors ne songea it à attaquer la légitimité des privi­
lèges nobiliaires, ni même à critiquer leur ca l'actère héréditaire. Mais
tous les nobles méritaient-ils leurs prérogatives, et tout d'abord tous les
privilégiés de fait étaient-ils de vrais nobles? » Là était la vraie question.
(Bourde de La Rogerie, La Ré{ormation de la Nob lesse en Bretagne,

Quoiqu'il en fût, Catherine de Pluvié, dame du Botdéru,
dite Catherine l'aînée, pour demeurer seule propriétaire de
Kerdrého, dut en venir à un accommodement avec ses sœurs
co-héritières des biens de famille. Jean de Plu vié et sa femme,
décédés, avaient laissé un fils, Jacques, sous la tutelle d'un
sien oncle Guillaume, et trois filles (1). La fortune des parents
Pluvié avait été évaluée, en 155 [, à 400 livres de rente, meu-

hies et immeubles compris ; ce qui les faisait qualifier de
« riches et opulen ts », alors que certaines branches de la
Trémoille ne possédait que 700 livres, que la fortune de bien
des gentilshommes ne passait pas 1.000 livres, et que
l'on dotait une fille avec 600 livres, sans autre espoir de
succession. Jacques de Pluvié, qui avait reconnu le I7 mars
1554 tenir noblement la terre de Kerdrého, laissait encore
300 livres tournois de rente et 500 "livres de monnaie.
Catherine du Botdéru maintenait- donc que sa succession
étant « noble et avantageuse »), devait se gouverner suivant
l'assise du comte Geffroy. Toutefois, pour le bon accord des
siens, sur la suppli cation, prière et requête de la- famille,
Catherine l'aînée consentit à racheter la part de ses sœurs,
Catherine la jeune, mariée à Charles Hervé du Rusquec,
demeurant à Plouay, et Marie de Pluvié, dame" douairière de
Kerhern.
L'accord fut conclu, le 9 janvier 1574 devant la cour du
Pontcallec, moyennant, pour la part de Catherine la jeune,
le paiement de 500 pistoles d'or, valant chacune 45 sols de
monnaie, qui furent réglées (( tant en or, argent et apréciement
de bleds ») , jusqu'à concurrence de 700 livres, et 425 livres
(i) M. de Rosmorduc, dans son ouvrage sur les demoiselles bretonn~s
à Saint-Cyr, attribuait plusieurs fils à Jean de Pluvié j quant à Marie de
Pluvié, elle avait épousé. Bertrand Jégado, seigneur de Kerhern, dont
elle demeura douairière. (Preuves de noblesse des Demoiselles Bretonnes
admises à la maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr. Versailles
i89i, p. 55).

de monnaie simple, en échange de tous les tt droits tant
héritels que mobiliers qui pouvaient compéter » chez les du
Rusquec, « au dit lieu et manoir de Kerdreho, Kerléan,
Kerlévéné, moulins, étangs, hommes, sujets, appendances et
dépendances, en quelques lieux qu'ils puissent être, soit en
l'évêché de Vannes, ou en l'évêché de Léon, entièrement et
généralement sans aucune réservation») (1).
Louis 1

du Botdéru, dont nous avons déjà mentionné les
deux frères, Christophe et Jean, sire de Kergantel, morts tous
deux sans postérité, suivit la carrière des armes: colonel du
. ban de l'évêché de Vannes, lieutenant de Sa Majesté sous le
seigneur de Bouillé et le duc. de Montpensier gouverneur
de la province - il prit part, comme .nous l'avons déjà dit, à
la Réformation de la coutume de Bretagne, à Ploërmel, en
1580 (2), sa mort survint le 28 mai 1584. De son mariage avec
Catherine de Pluvié, ' il avait eu trois fils: Jacques et .Jean,
morts jeunes; Louis, . qui lui succèda, comme seigneur de
. Kerdrého.
: Louis II, afin de recueillir l'héritage de son oncle de
Kergantel, le vieux Ligueur, dut obtenir un sauf-conduit pour
se rendre à Vannes. Le 19 mai 1600 il fit hommage au roi de
cette terre qui lui était échue par héritage, et fut mandé aux
Etats de Bretagne, le 16 octobre 1613. Il avait épousé le 20
·mars 1589, Louise Le Forestier,dame deLa Touche-Berthelot, du
.Plessis-au-Rebours, et de Trongoff, fille de Jean Le Forestier (3)
(i) L'acte fut remis également au mFquis de Pluvié, au château de
Ménéhouarn par le comte du Boldéru, le 24 nov. 1.784, pn échange
d'une copie authentique. Les du Rusqu ec n' y avaient point mis leur nom,
sous un prétexte peu plausible.
(2) Bull. de la Soc. archéol. dl. Finistère, t. IX, p. i98-1.99.
(3) Une note de Jacques·René du Botdéru dit que le père de Louise Le
Forestier était «fils d'une Coëtquen, fille d'une Rohan, neveu d'un
« vicomte du Fou, seigneur du Pont-l'Abbé qui avait épousé l'autre

capitaine des gentilshomm es de l'Évêché de Saint-Ma10.
et de Louise de Coëtlogon, qui ramenait dan s la famille du
Botdéru les descendances de diverses autres familles , avec
lesquelles, j adis, elle avait contracté des alliances , entre
autres les famill es Le Rebours, de La Bouere et Le Fores tier.
En 1330, on trouvait, en effet. un Botd éru. auleur de toute
la généalogie présente, marié à Guyonne Le Rebours, et en
1363, leur fils Pierre, époux de Jeanne de la Bouère. dont le
fils Guillaume marié à . Perrelte de Cadoudal (139 1) eut
lui-même pour fil s Sylvestre (1 424) qui devint le grand-père
de Jean Ill, possesseur de Kergantel, comme nous l'avons vu ,
par son mariage avec Marguerite du Mur.
Ce n'est pas le cas de se perdre en énumérations inutiles ;
mais parfois, sous la froideur indifférente des documents, il
semble encore ici que l'on puisse, ressuscitant un personnage,
sai sir en sa personne le j eu des in stitutionti et le m ouvem ent
de J'histoire, sans qu'il ait songé particulièrement à sortir de
ses attributions normales . La branche des Le Rebours . et Le
Forestier en offre quelques exemples.
Au xv' siècle, dans les temps de troubles , un Pierre Le
Rebours devient éc uyer du duc J ean V, en récompense de sa
fidélité lors de la fameuse « traïson u du comte de Penthièvre
! de Rohan ». Mais Jacques-René pouvait invoquer une relation plus
proche avec les Rohan. Le 2::1 août 1752, sa femme Claude-Aga the de
Bois de BrulIé, avait comparu, comme fondée de procuration de son
propre père, pour recueillir la succession de Darne Hélène de Broël,
veuve de Joseph de Nesmond, chef d'escadre et commandant de la M arine
à Brest (Arch. du Finistère, B. 1600; et passim, du mot Broël). Or, les
Broël étaient fort apparentés à la branche des Rohan-Pouldu . (Arch. de
Kerdrého; cl. Histoire de la bIaison de Lantivy, p. 67, 75, 285-286,
289-290). Quant à Joseph de Nesmond, Lacour-Gayet le donne pour fils
au grand chef d'escadre sous Louis XIV, André de Nesmond (La Marine
. sous Louis XV, 464, 465, 55i ). M ais, dans la grande édition de Sai nl­
Simon, les éditeurs affirment que ce dernier ne laissa qu'une fille, la
comtesse de Sézanne, morte elle-même sans enfants, en i 726 (t. xm ;

au pont de la Troubade, sur la route de Nantes à Château­
ceaux, le 13 février 1420; puis en 1429, il est capitaine
de La Garnache, à la frontière du pays nantais, par la
confiance de la Vicomtesse de Rohan, Béatrice de Clisson,
pour défendre le pays contre les entreprises du parti de
Penthièvre (1).
Son arrière petit·fils,Jean de La Bouère,fit édifier une chapelle
sur leur terre patrimoniale du Pessix au Rebours, à Ménéac,
près de Ploërmel « en contemplation de Dieu et de sa bonne
Mère » (19 avril 1529)' Or, une sœur de ce Jean de La Bouère,
Bertranne, avait épousé, le 1

janvier 1503, Pierre Le Forestier
de Kerhahuis (2), arrière grand-père de Louise, dame du
Botdéru, maître d'hôtel et conseiller de Jean de Laval, sire
de Châteaubriand, le mari de' la célèbre amie de François le'.

Chargé de missions de confiance, Pierre Le Forestier dut
régler entre autres la vente d'une terre, celle de Plugriffet,
consentie le 14juin 1515, par le sire de Châteaubriand, au
nom de sa mère, à Louis des Déserts, seigneur de Bréquigné.
Le prix devait être de 8.000 livres tournois. Mais la quittance
remise le 19 juin à Pierre Le Forestier pour sa décharge, une
fois la commission remplie, donne un singulier aperçu du
chaos monétaire qui régnait en France au moment où
François l e' montait sur le trône, chaos fort aggravé par la
frappe des pièces anglaises durant la guerre de Cent ans. On
y relève en monnaies d'or:

(i) M. de La Rogerie a donné un aperçu de son rôle et de sa carrière
dans la Revue de Bretagne (déc. 1910) en utilisant des documents tirés
des archives de Kerdrého et les Acles du Duc J eau V.
(2) Le 7 février 1.527, donation cl'enfeus el chapelle au couvent des
Cordeliers à Saint-Brieuc, par Pierre Le Foreslier, seigneur de Kerhahuis
el de la Touche Berthelot. Bertranne de La Bouère, dame Le Forestier, .
avait une sœur, Marie, qui avait épousé un Le Sérazin, seigneur de

Écus soleil (1) .

1843
Nobles de Henri (d'Angleterre) .

Francs à pié.

Royaux.

Saluts

325
Ducats.

2:14

FLeurins

Francs à cheval

Angelots

362
Nobles à la rose (sept vingt un et demi) .

141

Lyons (six vingt quatorze, chacun du poids de 2
marcs, :1 onces, :1 gros).

134
Philippes.

Le tout évalué simplement

la des 8.000 livres a somme
stipulées.
Pour revenir à Louis II du Botdéru et à sa femme Louise
Le Forestier, nous relevons dans leur correspondance une

lettre de Françoise Le Forestier à la châtelaine, sa sœur,
Mademoiselle de Kerdrého, « Là par où elle sera)) : « Je m'oublie
à vous dire que notre cousine de Coillan est cette fois mariée
à un brave et galant conseiller, fils de la maison des
Natumières ; ses noces en sont dimanche à Coillan avec grand
compagnie. Elle a partie ce matin de céans avec son père,
pour s'en aller se préparer à cette belle journée. Je lui ai dit
que j'envoyais savoir de tou s vos nouvelles ; et elle m'a donné
charge de baiser les mains à son cher cousin, et à vous elle
désire fort que vous viendriez en ce quartier contre ce
temps-là. Je vous prie, ma chère .sœur, que ce sujet soit

(il L'écu d'or « au Soleil», ou écu sol, était la monnaie qui servait
d'étalon au XVIe siècle et dont la disparition ou l'exportation amenait le
renchérissement de la vie (Romier, Le Royaume de Catherine de Jfédicis,

occasion que nous ayons l'honneur de
pays» (1).

vous VOlr en ce
On incline à croire que, dans ce vieil âge, où le ton de la
cour n'était pas encore établi, le cérémonial même domestique
demeurait plu s compassé que de nos j ours; et la femme ne
semble pas avoir toute la prééminence dont elle devait jouir,
par un renverse nlent chevaleresque des rôles, quelques
générations plu s tard, grâce aux préciosités de l'hôtel de
Rambouillet, pour ne la plus perdre jusque maintenant (~).
Quoi qu'il en soit, le conseiller des Natumières, dont on
annonce ici le mariage, était Simon des Nétumières (3), qui
(i ) Françoise Le Forestier n'est, d'ailleurs, pas autremp.nt étrangère à
celte histoire, après deux mariages inlructueux, sa fortune vint
augmenter d'un fief, le Plessis-Trongoff, celle de KerdrélJO. Elle et sa
sœur, Louise du Botdéru, étaient filles de Jean Le Forestier et de Loïse
de Coëtlogon. .
Françoise, mariée au seigneur du Demaine-Heuzelaye, avait hérité de
son lrère Jean, lui-même héritier d'un lrère ainé, Julien. De S"tln mariage,
elle n'eut, du reste, aucun l'nIant. Son ménage, fort médiocre d'accord,
aggravé de grandes prodigalités, amena ses héritiers présomptifs, les sieur
et dame de Kerdrého, à les appeler en interdiction, et Louis du Botdéru
devint leur curateur (1609).
Mais le seigneur du Demaine étant mort en septembre :1.613, Françoise
se remaria le 24 avril i614, avec Yves de K erguézec, déjà veuf de
Vincento Séjourné et père du Conseiller au Parlement, Georges de
Kerguézec (Saulnier, nO 734) ; puis, en 1616, l'interdiction de Françoise
ayant été levée, elle décéda le 5 jan vier :1.620, dans sa maison du
Plessis au Rebours, en M énéac, qu'elle a\"ait héritée dès :l.59! de Jacquette
de La Bouère. Louise de Kerdrého accepta, selon l'usage fréquent, la
succession sous bénéfice d'inventaire, mais par autorité de justice, vu
le relus du mari; elle ne garda que les immeubles.
(2) On trouve pourtant encore au XVIIIe siècle, de ces lormules
d'effacement léminin. Le colonel de Morant écrit au ca pitaine du Botdéru :
({ M me de M orant me charge ... de vous faire ses très humbles compliments»
(14 mai :1.762). Ces lormules de courtoisie g~nérale, d'ailleurs, même
dans l'armée, ne tiennent aucun compte des différences de grade.
(3) Saulnier, Le Parlement de Bretagne, n° 657; marié avant 1603 ;

épousa en effet Madeleine de Boisjean, dame de Coëllàn ; et ;
celle-ci lui apporta en dot la seigneurie de ce nom. Mais, en ,;
[58g, date de la lettre, il n'était pas encore pourvu, ni reçu "
conseiller (20 octobre 15g4; 15 fp.vriei: 15g5). Ce n'était de·nc.,
sans doute, ici, qu'une anticipation, appuyée sur les intentions ,'
connues du jeune homme et sur ses chances certaines :
d'élection, grâce à la sïtuation de sa famille. Notons simple­
ment, pour l'histoire des mœurs intimes d'autrefois, ' que:·né
vers [565, Simon des Nétumières devait avoir 24 ans lors de ;
son mariage avec une jeune fille d'environ rgans. ,n mourut
en 1635, et sa veuve se remaria en 1643, vers l'âge de 73 ans, '
avec Sébastien de Rosmadec, baron de Comper; puis en r650, '
aux environs de 80 'ans, - à messire Joseph de Carné, vicomte
de Cohignac. Elle-même décéda, presque nonagénaire,
en J 658, ayant mené aussi loin que" possible, avec une ,
persistance exemplaire, sa vie conjugale.
Entre temps, dans la li'gnée des Botdéru était né, du mariage
de Louis II avec Louise Le Forestier, un 'fils, Hiéronyme,
baptisé le 30 mars [5go, Quoique né d'un père royaliste; son
prénom de Hiéronyme lui , venait de Jérôme d' Aradon, seigneur
de Quinipily, gouverneur d'Hennebont, qui devait le tenir au
baptême. Mais, à cette heure difficile, le vieil et ferventligueul',
craignant les attaques du prince de Dombes ne pouvait se

distraire de son gouvernement (1 ), Il se fit donc remplacer au
baptême par Louis Hervé, seigneur ,du Rusquec; l'aïeule
Catherine de Pluvié fut la marraine.

Hiéronyme épousa en premières noces, (contrat du
10 novembre 16q ; mariage le ').7 avril 1618), Lou, ise Le
Sénéchal, dame de Tréduday, fille dre Jeanne de Kerguézec.
De celle union naquirent un fils, François, mort en décembre
163').', et une fille, Jeanne, née à Plumelin le JO mars , 16').1,
(i) Pocquet, Histoire de Bretagne, t. v, p. i56-i69.

mariée le 6 mai 1645, à Charles du Bot, sire de Grégo ; puis,
après le décès de ce dernier en 1650, remariée en novembre
1652 à Charles du Rosnyvinen, seigneur de Lattilay (1) et de
Saint-Rémy du Plain, né le 23 décembre 16~5, mort le
28 janvier 1687, veuf lui-même en premières noces de
GiUette de la Blinaye.
A ce propos, et ceci montre bien l'action modératrice et
. tutélaire de la royauté dans les familles, le maréchal de la
Meilleraye, gouverneur de Bretagne, au milieu des difficultés
que lui créent les Etats réunis à Nantes en 1657 (~), écrit à

Hiéronyme du Botdéru que, avisé d'un procès qui s'élève
entre le seigneur de Kerdrého et son gendre le sire de Rosny­
vinen, il prie les deux parties de se rendre à Nantes aussitôt
que possible, avant la fin des Etats, pour accommoder leur
différent à l'amiable et pour prévenir la suite du désordre
dans leur famille (3). Jeanne de Rosnyvinen mourut le
. 17 avril 1686, et son mari le ~8 janvier 1687.
Cepend'ant son père était depuis longtemps remarié. Louise
Le Sénéchal était décédée le 8 juin 1622, au lieu noble de
Tréduday, en la paroisse de Theix (4).
Suivant l'usage du temps où l'on n'admettait guère le
veu vage, à moins de le racheter par l'entrée en religion,
Hiéronyme avait épousé en secondes noces, le 18 novembre
1635, dans la chapelle du château de Ponlcallec, Anne de
Guer, demoiselle du Pontcallec même, tante d'Alain de Guer,
premier marquis de Pontcallec, mort en odeur de sainteté et
(i) Vicomte du Halgouët, Invent, des Archives du CMteau du Grégo;
p, 96. Jeanne du Hotdéru était douairière du Grégo.
(2) Pocquet, Hist. de Bretagne, 1. v, p. 4,4,7-8.
(3) Cf. Funck-Brentano, Le Roi, p. 256-262.
(q,) Règlement des frais et obsèques 32~ livres, f3 sols tournois
(10 juin) ; pour messes 'et anniversaires, en l'église de Marie, à Vannes;
36 livres (26 juin).

arrière grand-tante de Clément Chry~ogone, à qui la
ration de Cellamare devait coûter la tête.

conspl-
Cette terre du Pont-Callec, d'ailleurs, venue d'une dame
Tiphaine du Guesclin (1), et qui, après avoir passé momenta­
nément aux mains de Jean V, fut rendue par le duc aux petits
neveux de l'ancienne famille, a été longuement et savamment
étudiée par M. de La Borderie. Mais, dans la descendance qui
nous occupe de Charles de Guer et de Marie Papin, il s'est
glissé sous la plume de l'érudit historien deux ou trois erreurs
qu'il nous appartient de rectifier. Sur les cinq filles du
ménage, qui avait en outre deux fils, M. de La Borderie
comptait deux filles du nom de Anne; la première, que l'on
appelle parfois Suzanne, mariée à Claude Visdelou, seigneur
de la Goublaye, président de la Chambre des Enquêtes au
Parlement de Bretagne; et la seconde Anne, la jeune, mariée
il, François de Sallou, seigneur de Toulgoët; puis, il note
Marie, épouse de Claude du Botdéru .
En réali.té, la première Anne, dame de la Goublaye, s'appe­
lait Jeanne, et habitait son château de Bienassis, dans l'évêché
de Saint-Brieuc (l). La seconde Anne devint dame de Ker­
drého, par son mariage avec Hiéronyme du Botdéru. Ce fut
Marie de Guer qui épousa François de Sallou. Quant à Claude
du Botdéru, il n'apparait que deux générations plus tard en
1669, année de la mort de sa grand-mère, Anne de Guer.
Les propriétés de la famille de Guer, soit par héritages, soit
par alliances, s'étendaient sur l'évêché de Corn,ouaille, dans
la région actuelle du Finistère. Ainsi la veuve d'Olivier de
Guer, fils aîné, héritier principal, Jeanne de Kermeno, habitait
encore après la mort de son mari, le manoir de la Porte
(1.) Probablement nièce du Connétable, a bien voulu nous dire
M. Pocquel, et fille de son frère Olivier.
(2) La notice de M. Saulnier, nO H99, confirme les documents de
Kerdrého.

Neuve, venant des Guer eux-mêmes, et situé en Riec; la
dame de Toulgoët, son château de Toulgoët, paroisse d'Elli"ant . .
Des fermes, des domaines dans les autres parages, appar­
tenaient aux autres sœurs.
En 1644, le lundi de Pâques, 28 mars, s'ouvrit la succession ·
de Marie Papin, veuve de Charles de Guer et mère dela dame
de Kerdrého. Ses deux fils ( 1) et deux de ses filles, Jeanne,

dame de la Goublaye, et Mauricette, dite parfois aussi Margue- .
rite, dame de Kerdaoulas, avaient disparu avant elle. La terre ·
du Ponlcallec seule composait sa succession, mais elle com­
prenait plusieurs châlellenies en plusieurs paroisses circon­ voisines (2). Le règlement de comptes, moyennant des '
échanges amiables, porta sur des propriétés dépendant des
juridictions de Quimper et de Concarneau, dans les paroisses
de Nizon, Trégunc, Lanriec, Melgven et Moëllan. Au total,
chaeune de ces dames recueillit de l'héri. lage maternel un
revenu de 450 livres en terres. Mais, puisque le rentier de
Kerdrého, en ce temps d'Anne de Guer, pour 1668, se trouve
aux. archives départementales du Finistère, peut-être nous
pardonnera-t-on quelques remarques sur le régime de ces
terres et leurs redevances. Un travail de ce genre, comme il
en a été déjà fait historiquement. surtout à l'étranger, offre
des chances d'apporter quelques précisions utiles (3).
(1) Le second, Josias, n'apparait que dans le mémoire de M. de La
Borderie, mais non dans les comptes de Kerdrého, il n'était, du reste,
pas marié.
(2) (c La juridiclion est fort belle et ample, avec seize foires par an, ·
le four à ban, et le fief de grande estendu e en 6 ou 7 paroisses, le tout
au droit de rachat».

(3) Sur la condition générale du paysan aux. xvu

pt XVIII" siècles',
voir l'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 10 octobre 1.91.3; p. 424.
Pour les terres de Mm. de Sévigné dépendant de Quimpp,r (Lestl'emeur
et Lanros ), vendups par le marquis de Châteaugiron,· le 6 thermidor
an VII (23 août i 799), l'Intermédiaire indique des chiffres de redevances

Les baux bretom semblent d'ordinaire assez complets et·
précis, marquant toutes les obligations des tenanciers. Dans
le rentier d'Anne de Guer, nous notons comme charges
régulières les redevances, corvées, sans oublier le droit de
suite à la cour et au moulin, mais non toujours le champart,
sorte de dîme féodale, portant d'habitude sur la 10' ou 1:1'
gerbe de certaines céréales: le blé noir ne paraît pas entrer en
compte, bien qu'on en trouve note dans l'apprécie des
mercuriales utilisables, qui figure en d'autres baux et sur
d'autres terres des Botdéru. Les redevances sont assez peu
élevées et ne varient que peu ou point, jusqu'aux approches
de la Révolution, sauf pour les moulins; et cette immutabilité
s'explique assez bien, parce que les redevances étaient versées
en nature, à part une minime somme d'argent liquide, qui

dépasse rarement 10 livres, ou même 5, et, dans ce dernier
cas, représente alors toute la redevance; ainsi les changements
de prixprofiten t au seigneur non moins qu'au tenancier, comme
dans le métayage (1). Voici, par exemple, le couvenant Lizat
de 36 journaux et 13 cordes (:1), on peut ramener le total de sa
rente argent, froment, avoine, chapons, d'après l'apprécie
d'Hennebont annexée aux pièces, à 20 livres, 9 sols, corvée
comprise; un autre convenant, Kervrannic, de 60 journaux\
aujourd'hui ferme importante de Kerdrého, rapporte ainsi 39
livres. On multiplierait par 5 pour calculer la valeur à la fin
de notre XIX' siècle (3). En 1759 encore, pour un ensemble de
(i) Romier, Le Royaume de Catherine de Médicis, 1. Il, p. 52. -
1mbart de la Tour, les Origines de la Réforme, t. l, 4}4. . - Abbé
Kerbiriou, Monseigneur. Jean-François de La Marche, Evêque Comte
de Léon, i7:i!9-1806, Paris, Picard, i 924.. , p. 178.
(2) La corde 60 centiares; le journal il. Plouay 35 çentiares.
(3) Nous adoptons ici l'évaluation généralement admise: voir par
exemple Servols et Rebelliau. Caractères de la Bruyère, Paris, Hachette,
i901, p. 131. Dans les convenants ou domaines congéables, on évaluai t un
peu'différemment la part du capital propriétaire et celle du tenancier, suivant
~~s régions: 3/~ environ pour le maître [onder' en pays vannetais;

:l6:l journaux, dont 48 de censives, dans les paroisses de
Lanriec et de Trégunc, on trouve après un dénombrement et
aveu à la Chambre des Comptes de Nantes, 23 livres, 13 sols,
9 deniers d'argent;
:l9 minots de froment ;
3 de seigle ;
16 d'avoine « comble et foullée » (1) ;
13 chapons.
Mais avec au besoin les droits en sus de champart, corvée,
moulin; toutefois le champart n'est pas expressément exigé
dans les baux d'Anne de Guer.
Cette modicité peut-être explique aussi pourquoi la corvée,
d'ailleurs fixe, limitée, et dont les censives étaient exemptes,
tenait plus de place dans les baux d'alors que dans les nôtres
aujourd'hui, où nous la gardons sous une forme plus

(i) Le minot de seigle
de froment
d'avoine
37 k. ~
4,0 k.
33 k. X

L'expression « comble et foull ée » semblait si naturelle à l'usage, que
Bourdaloue l'tlmploie dans son sermon sur la Ré~ompe1!ile des Saints:
« On versera dans votre sein une bonne mesure qui sera entassée,
pressée, comblée» (éd. de i77i, t. l, p. l6).
Pour le boisseau comble, cf. Kerbiriou, p. lO8.
Arthur Young fait très justement valoir à l'tlgard des droits féodaux
el de la dîme ecclésiastique celle-ci relativemeut peu rigoureuse en
France que les redevances portaient presque uniquement sur les
grains, laissant en général indemnes les autres produits de la terre
comme le bétail, la laine et, dans le Midi, les vers à soie ou les olives.
« Pareille mansuétude est absolument inconnue en Angleterre, dans la
levée de cet odieux impOt » (p. 320). C'est précisément cette indulgence
et cette douceur de la dîme qui amena en bonne partie parce qu'on ne
dimaît pas sur les légumes l'extension donnée par les paysans du
Léon à la culture maraîchère, y compris les pommes de terre et les
artichauts, qui sont aujourd'hui la grande ressource du Haut-Léon. De ce
fait les dîmes même seigneuriales avaient considérablement
diminué (Kerbiriou, Monseigneur Jean-François de La Marche, pp. HS,

modérée; c'était comme une sortede redevance supplémentaÎre,
ou de location, telles que le sont parfois en Bretagne les
journées du pen-ty. Dans les rentiers d'Anne de Guer, on
l'évalue toujours à 3 livres par an pour chaque tenue, ce qui
représentait évidemment au taux assez minime des salaires,
plusieurs journées, d'ailleurs nourries en même temps pal'
le maître. Il est à noter que, au Canada, où les Anglais
l'établirent en de certains cas, pour le service de leur armée,
après la conquête, ils invoquaient exactement les raisons que
ferait valoir un propriétaire de nos jours pour en justifier le

main tien. Du reste, leur propriété féodale ressemblait de très
près à la nôtre (1) ; et ils n'abolirent au Canada les anciens
droits féodaux, dont beaucoup jouissaient comme nouveaux:
seigneurs du pays, que par voie de rachat, et en 1854.
Précisément, à propos de ce droit de ·moulin, qui paraît à
nos contemporains une abusi ve vexation, les documents
canadiens appuient nettemen t la thèse de Taine, au début de
son Ancien Régime. La nouvelle France, en face del? sauvages
Iroquois, vit se dérouler, comme sur un film simplifié, en
moins de trois siècles, tous les incidents de l'histoire féodale
dans la vieille France, devant les Barbares d'Outre-Rhin (:1 ).
(i) Sir Henry Maine, « Décadence de la propriété féodale en France et
en Angleterre ,) (Etudes sur l'Ancien Droit et la Coutume primitive.
Paris, Thorin, i884, ; pp. 391, 4,53)
Voir sur la limitation des corvées, lmhart de la Tour, Origines de la
Réforme, t. l, pp. 4,73-4.
(2) Sur ces incidents de la féodalité dans la nou velle France, consulter les
Documents ou .Seigniorial Tenure, 1598-i85fJ" par M. Bennett Munro,
professeur à l'Université de Harvard (Société Champlain, Toronto, 1908) ;
elles rapports, aussi instructifs qu'impartiaux: des agents anglais au roi
Georges HI, publiés par Adam Shortt el Arthur Doughty, archi viste en
cht'f du Dominion Canadien: Constitutional Documents, 1759-:1. 791
(Ottawa, 2

éd., 19:1.8 ; notamment pour la corvée, pp. 757-8).
Quant au Canada, cfl': du Bois Cahall « The Sovereign Council of New
, ëe furent ies « habita'nts» qui exigèrent des seigneurs
l'érection de moulins et de fours trop dispendieux à construire
pour le menu peuple. L'État intervenait alors pour contraindre
" les propriétaires de fiefs récalcitrants, souvent gros bourgeois
de Québec ou de Montréal, à s'exécuter, de bon ou mauvais
gré : on conçoit que ces 'orvéables à rebours exigeassent,
sinon le remboursement de leurs impenses, du moins le

" revenu du capital déboursé. Mais cela devient en somme une
curieuse question de mœurs économiques, dont les animo­
sités politiques rétrospectives ~e permetten~ pas aisément
d'établir la balance du doit et avoir ( 1).
Enfin il est un grief sur lequel on insiste encore avec de
regrettables exagérations, celui des droits de lods et ventes
et de rachat devenu.s, avec aggravations énormes, notre droit
d'achat et vente; de donation ou de succession en général. On
rappelle volontiers aujourd'hui que le droit de lods et ventes
était de I:l % au profit des Seigneurs ou de 20 % au profit de
la Couronne, Mais on oublie, ' d'abord que les Seigneurs
payaient eux-mêmes ces droits à leurs propres suzerains
" (seigneurs ou roi) ; puis, que ce droit de rachat avantage

énorme pour l'acquéreur, ne frappait point les héritages en
ligne directe ; enfin qu'il était d'usage de marchander et de
(i) A l'égard des banalités, notamment des fours et moulins, vu ses
préjugés, Arthur Young ne devait rien comprendre non plus que son
éditrice Miss Belham Ed wards, qui appellp, le droit de banalité « une ,loi
horrible» (p. 3i8) voir Taine, Ancien Régime, ire éd. , p. 23. Marion ,
D ictionnaire des Institutiuns de la France aux XVII" et XVIIIe siècles,

V. « Banalités J . li est à noter que nos archives bretonnes nous montrent
; . parfois les vassaux deliés judiciairement du service de suite lorsque les
seigneurs n'entretiennent pas les moulins; et aussi qu'il existait autrefois
i des communautés de moulins et de fours, mais d'origine volontaire,
libre, et qui ne se montraient pas moins exclusives il l'encontre des
particuliers que ne l'était le seigneur féodal (Paul Viollet, Histoire du
Droit civil français, 2" éd" 7iO-7H).
t 47 ,.
r~duire ies iods et ventes à.la moyenne de 8 ou 8 Y2 % (1).
Une lettre d'Anne de Guer où se traduit sa décision de carac­
tèreet son amusante familiarité de style, nous montre la
coutume en jeu dans les circonstances ordinaires:
Veuve depuis 1659, son mari était mort le 10 février, à
.sa terre de la Touche-Berthelot, et inhumé à Mohon, elle
avait acquis, le 9 .novembre 1662, pour la somme de
11.000 livres, et par l'intermédiaire de son fils Pol, le fief de
Lespéran, que lui vendait René de Coëtlogon, . proche de sa
terre seigneuriale de la Touche-Berthelot, et .auquel
des lettres . patentes du Roi conférèrent en mars 1663,
l'union des justices haute, moyenne et basse, dans l'intérêt
des vassaux, éloignés de Ploërmel où opéraient .les officiers

de Justice ordinaire, par une distance de deux grandes
lieues, souvent difficiles à franchir, vu les chemins de Bre­
tagne. En conséquence de celle acquisition, Anne de Guer
écrit à son fermier, maître J Illien Lespéran, probablement
une sorte de fermier général, de tamu/us, comme disaient les
vieux textes du pays (2) :
li ) Calmon qui devint m.inislr(l des Finances de M. Thiers, l'évalue il
6 % il quoi s'ajoutait pour l'Etat le centième denier. i % « Les impôts
avant 1789 », Le Correspondant, 25 octobre i865; p. 50:1.). Lesimpôls,
ajoute l'auteur, « qui existent en France, furent établis pour la plupart
bien 'antérieurement à la Révolution; elle n'a fait, en changeant leur
dénomination, que .modifier ce qu'ils offraient d'inégal dans leur répa r­
tition, d'injuste dans leur assiette, de vexaloire dans leur perception ))
(p. 4(7). Pour les succes~ions exemptes en ligne direc te de tout droit

féodal ou d'Etal, Cf. ' Marion. Dictionnaire des Institutions au mot,
« Successions )J.
(2) La Borderie, Hist. de Bretagne, m, U6. M. de La Rogerie cite
plusieurs exemples de ces fermiers généraux ver~ cette époque, dans la

« Correspondance de Guillaume Charrier, dans le Bulletin de la
Soc. Arch. du Finistère, j 90i ; (tirage il part: p. 9-:1.3).

« A Querdréo le 14

Aoust 1664.
Mon Compère,
« Incontinent la présente reçue, je vous prie de livrer sans
manquer à M. de Changuiher, fermier ci-devant du Comte de
Porhoët, qui vous donnera la présente lettre de ma part, la
somme de J 17 livres, 10 sols tournois, de l'argent qu'avez
reçu pour moi de mes constituts, qui me persécute pour les
lods et ventes que je lui dois, pour l'acquît que je fais des
fiefs de Lespéran, et d'en prendre quittance à mon nom, et le
faire spécifier dans la dite quittance que mon argent que lui
donnez est seulemen t pour les lods et ventes, et non pour

autre sujet. S'il ne veut donner la quittance en ces termes,
gardez mon argent. Je me recommande à votre femme et · à
vos belles-filles, et à vous à qui je suis véritablement votre
aITectionnée servante, mon compère.
Anne DE GUER ».
La quittance se trouve au dos de la lettre, datée du 19 août,
ce qui nous a valu de la conserver, l'affaire s'étant arrangée
sans difficulté.
On voit que les impôts du temps supportaient des accommo-
dements notables, ici 1 %' pour les lods et ventes, dont
l'histoire ne tient pas toujours compte (1).
La dame de Kerdrého mourut en 1669, après avoir pourvu
à obtenir un service et un enterrement solennels, « tels qui
sa condition le mérite », puis réglé ses fondations aux églises
(i) Mais, lorsque Pol du Botdéru mourut en avril 1.669, sa femme
Renée du Louët paya q,OO livres au bureau d'Auray, pour le rachat de
Trongolf, qui relevait du Roi, par l'intermédiaire de sa sœur, la Prési­
dente de Marbeuf, née Louisè Gabrielle du Louët et fille des mêmes père
et mère (Sa ulnier nO Sq,8) ; sa belle-mère, Roberte Le Fèvre, autre Pré­
sidente de Marbeuf, était célèbre pour avoir eu 33 enfants d'un seul

manage .

ét ses legs aùx: domestiques, sans oublier un pauvre hère qui
devait demeurer entretenu, sa. vie durant à Kerdrého ; mais
sans dispositions spéciales pour sa famille; apparemment, la
coutume et l'accord des intéressés devaient y suffire.
Du mariage d'Anne de Guer étaient nés six fils, dont son
mari Hiéronyme du Botdéru gardait avec soin dans ses notes
détachées, comme en un livre de raison, les dates et heures,
lieux et chambres, témoins de naissance et célébrants de
baptême. Chacun des cinq premiers, Pol (7 mars 1637),
Pierre (l! août (638), Jean (29 janvier 1640), Alain (22 mars
164l), Jérôme (15 avril (643), fut nay », écrit le père,
dans la chambre basse du château de I erdrého ; seul, le
sixième, François (24 septembre (646), était né en la terre de
la Touche Berthelot, paroisse de Mohon, évêché de Saint-Malo,
Peu après, les aînés commençant à grandir,le père, qui avait
grand souci de leur éducation, commença sur d'autres feuilles
séparées une sorte de journal où apparait assez curieusement
la hiérarchie des études telle qu'on l'entendait à l'époque. En
décembre 1648, Tricam, écrivain (maître de grammaire aussi
bien) à Rennes, commence d'instruire les quatre premiers
enfants et reçoit pour tous quatre un écu par mois. Alain

étudie le latin chez M. Fontaine, prêtre; mais le prix n'est
que de 10 sols par mois. Hiérosme bientôt le suit; les maîtres
changent, mais les tarifs demeurent à peu près fixes, sauf que,
pour des enfants plus grandelets, le maître écrivain es t payé
un écu pour deux, tandis que le maître de danse est payé un
écu par tête; et le maître d'armes 4 livres (1). Rien de mieux
(i) Voici, pour J'histoire du vieux Rennes, les noms de ces maîtres;
1.648, Tricam ou Tricant (écrivain), Fontaine (prêtre), rue Kereslan ;
1.61J,9, du Sègle (écrivain), Fauchet (écrivain) ; i650·5i, Desmarets
(écrivain), rue Neu(ve, Lacroix (danse l, rue de la Boudraye, La Pierre
(maître d'armes); {65f, Lavigne (écrivain), rue Barcelone, La Pierre
(armes) ; i652, Chassaye (écrivain); i656, Denis Malouin (danse),
Farges (instituteur). En i65i seulement, «( Alain se retira de chez

ordonné, ce semble, suivant les convenances usuelles :
apprendre d'abord à se battre; puis, à se tenir dans le monde ;
acquérir l'instruction des chiffres utiles, avec quelque littéra­
ture à la mode; en dernier lieu, un peu d'érudition latin e, -
tel est le programme simplifié des études, sur lesquelles les
âges démocratiqu es n'ont pas encore pu s'accorder.
Le seigneur du Botdéru, nou s l'avon s déjà dit à l'occasion
de Pierre du Plessis, désigne ordinairement dans ses notes de
fa mille, ses fils aîn és sous des noms de terre : « Trongoff »
(Pol) ; « Plessis» (Pierre); « La Touche )) (Alain).
Après une tentative infructueuse pour épouser MIl. du
Bodéno (Bodign eau ?) où peut-être Anne de Guer marqua un
peu trop son sens pratique des affaires, Pierre épousa Guyonne
Le Flô (1) : leur descendance familiale continue sur la terre de

Desmarels pour aller en la classe sixième des Jésuites, sous le maître de
La Trémoille ». L'hôtel des Botdéru se trouvait en effet tout proche du
collège des Jésuites, comme nous le dirons plus loin; et le P. de La
Trémoille a laissé trace de son passage daus la province. Cette mention
nu P. de La Trémoille est fort -intéressante; car, dit Mlle Durtelle de
Saint-Sauveur, au sujet des Jésuites et de leur collège Saint-Thomas,
à RennE's, « nous ne relevons parmi eux qu'un petit nombre de noms
illustres, et la chose n'est pas faite pour· nous étonner : il est assez rare
. que la céléb ri té vi E'nne chercher des hommes qui sont entrés en religion».
(Bull. de la Soc. archéol d'Ille-et-Vilaine, i918, p. i82). En revanche,
VE'rs celle époque, le collège contenait environ 2.800 élèves, tous externes
(Ibid, p. Hi, i 74) . Pour les tarifs d'éducation, nous rappellerons que,
en i598, la communauté de la ville autorisait le principal du Collège,
q- ui n'était pas encore sous la direction des Jésuites, « à exiger des enfanls
des riches cinq sous par mois et de ceux des pauvres trois s ous '.
(Carré, Recherches sur l'Administration municipale de Rennes, Paris,
Quan'ti n i 888 ; p. 64-5).
(i) L'abbé Charrier , l'un des correspondants de Mme de Sévignp., parle
de cette branche familiale qui habitait aussi la paroisse de Saint-Colomban,
à Quimperlé, dans une lettre du 4 Janvier i 705 : « Je suis fort touché
des indispositions opiniâtres de Mme du Plessis de Kerdreho, je lui sou­
haite la bonne année, plus de santé et de bonheur qu'elle n'en a eu par le
passé». (Bourde de La Rogerie, Correspondance de Guillaump, Charrier,

Kerentré, près d'Auray. Plu sieurs fil s, Hiérosm e, François,
et peut- être un fils moins connu , Guy, moururent sans
postérité. Des autres enfants de ce mariage, l'aîn é, Pol,
n é en 1637 , Chevalier de l'Ordre de Saint-Michel. m ourut
la même année que sa mère. Il avait épou sé en 1665, Anne­ Renée de Lou ët, fille d'Olivier du Louët, Seigneur de
Coëtjunval, et de Catherine de Penhoadic. Renée du Louët
était p etite ni èce de Monseigneur René du Lou ët , évêqu e
de Cornou aille, fil s de Jean du Louët de Coëtjunval et
de Marie de Brézal (r), n é le ~I octobre 1583, baptisé le
Il n ovembre , ayant pour parrain René de Névet et p our
marraine une dame de Plœ uc, probablement Mauricette de
Plœ uc, qui figure précisément l'année suivante, 30 septembre
1584, comme m arraine avec le même parrain , au baptême
d'une fille née de Jacqu ette de Brézal.
Le mariage de Paul du Botdéru fut célébré en l a chap elle,
ou oratoire, du château de Kerancoat, terre de la famille, en
la paroisse de Dirinon, par Messire Olivier du Louët,
chanoine prébendé avec permission et dispense de l'Évêch é.
et vu le certifi cat de Messire Michel du Fresne. recteur de
Mohon, évêch é de Saint-Malo, ce qui indique suffisamment, si

l'on peut dire, l'assiette et la provenance actuelles des époux (:l ).
Pol du Botdéru , de son mariage, eût deux filles et un fil s,
né posthume, bapti sé le 17 avril 1669. L'arrêt de m aintenu e
des Botdéru , d'après la Réformation de la noblesse de 166'3,
rendu le .31 août 1669, fut donc remis à la veuve.
(i ) Et non Jacquette de Brézal, comme il est tlit, par erreur, au cata­ logue chronologique des Evêques de Bretagne, dans la réédition d'Albert
Le Grand (Quimpl'r, i901, 2

partie, p. H8).
(~ ) Sur la famille du Louët. voir Bulletin de la So c. archéol. du
Finistère, t. XXI (1896.), p. 427 et suiv. et Guy Autret, Seigneur de
M issirien, Correspondance avec Pierre d'Hozier publiée par le comte de
R osmorduc, Saint-Brieuc i899, lettre du 29 août :1.644. La pnrenlé

Au cours de son existence conjugale Paul du Botdéru, qui
résidait habituellement sur la terre de la Touche Berthelot,
en Mohon, se trouvant· « de présent» il Rennes, « et logé
à sa maison, flle Vasselot (1), passa le 17 octobre 1665 avec
Jean LeITugère (j), maître-sellier audit Rennes, y demeurant
près la place Sainte-Anne», un con trat notarié fort curieux
pour la construction d'un somptueux carrosse, que l'on a
peine il se représenter dans les étroits et rudes chemins de
la Bretagne, Ce carrosse il deux fonds devait tenir six per-
assez curieuses ; Jean du Louët et Marie de Brézal eurent cinq
I1l s, dont l'aîné fut Vincent, et le futur évêque, le quatrième. Vincent
se maria trois fois : i ° avec .Renée du Parc de Locmaria, dont il eut un
fils unique, Olivier; 2° av ec Odette de Coëtquen; 3° avec Marie Barbier
de Keréan, veuve de Jean de Penhoadic, qUI lui laissait une fille unique,
Catherine. Ce lut ainsi que ces deux enfants uniques du premier et du
troisième mariage, s'unirent à leur tour et eurent plusieurs enfants, dont
.René du Louët, vicomte de P irhuit, et Renée, dame du Botdéru.
11 n'est pas inutile de préciser, car les généalogistes attribuent à
Monseigneur du Louët des parentés et des dates de naissance différentes.
Les uns lui donnent pour père François du Louët et Claude de Carné, le
fai sant naître en février 1563 (XXI, 426, 434-5) ce qui lui donnait
105 ans au moment de sa mort en février 1668. L~ catalogue des
Evêques dans la réédition de la Vie des Saints d'Albert le Grand
(éd. de 1901, 2° partie, p. :148), lui indique pour père Jean du Louët et
pour mère Jacquette de Brézal, qui n'était que sa tante, fille de François
du Louët, mariée à Guillaume de Brézal, en 1578 (Soc. d'Archéo­
logie, Ibid, p. 438), En réalité il avait pour mère Marie de Brézal ct sa
naissauce se place au 21 octobre, fête des onze mille vierges, suivie
du baptême au 11 novembr~, jour de la Saint-Martin.
(i ) La rue Vasselot, par laquelle Henri IV pénétra dans Rennes en
1598 et qui longeait au nord l'enclos des Carmes, passait au nord-est
de l'église de Toussaint, alors chapelle des Jésuites, attenant à lenr
collège (Carré. Recherches sur l'Administration municipale de Rennes
au temps de Henri IV, voir le plan du vieux Rennes et p. 9). Si chétive,
étroite et triste qu'elle paraisse aujourd'hui, les Rennais l'admiraient
alors beaucoup; et l'un d'eux déclarait, en mai i7S9, que ce n'était pas
la peine de se mettre en frais pour voir la procession d'ouverture
des Etats Généraux quand on avait vu la procession de la Fête-Dieu
dans la rue Vasselot (Note de M. de Là.Rogerie, archiviste d'Ille-et-Vilaine) .

sonnes à l'aise, «le bateau duquel sera de bon bois valable
duement ferré Il, avec garniture de (( bon et fort cuir de
vache Il. Dans sa confection, Leffugère devait employer « cent
quarante grands clous dorés, cinquante clous de portière,
trois milieux de bordelets (ventelets ?), 4 pommettes aux
4 cornières, cent quarante boutonnières entières et vingt~
quatre de demyes n, « 4 harnais de bon cuir bordé, garni de
dorures jusques à la concurrence de trente livres sur les dits
harnais, comme aussi le tour du train duement ferré n,
ensemble la plume des coussins et les surpentes (suspentes)
et les courroies de travers, et davantage fournira les moutons
et entretoises, qui seront tournés à colonnes torses, et de la
part du dit Seigneur sera fourni le velours, franges et galons,
glands, aiguillettes et même le cordon, pour le doublage de

cuir, enfin l'étoffe à faire les rideaux et revers pour rendre le
dit carrosse fait et parfait», le tout livrable dans un mois
prochain, moyennant la somme de 680 livres, dont 1 20 payées
et le reste à la livraison. On travaillait vite, ce semble, en cet
heureux temps, et relativement à bon compte (1).
Pour terminer rapidement cet Le généalogie bretonne, qui
dut être, en l'histoire de ses membres, semblable à beaucoup
d'autres, il ne nous reste qu'à noter les dernières générations,
destinées à voir s'écrouler l'Ancien Régime. On peut vérifier à
ce propos comment se répandaient au service des armées de
terre et de mer, sans parler des fonctions nécessairement
plus indépendantes de la magistrature et du clergé, ces
nombreuses générations qui vivaient de carrières encombrées,
(i ) Ce carrosse devait représenter, à notre calcul, au début du xx'
siècle, 3500 livres, prix très convenable pour l'époque et la situation d'un
gentilhomme breton. Cent ans plus tard, Louis XV, qui n'ignorail
pas qu'on le volait comme dans un bois, demandait un jour à Choiseul,
combien il estimait un de ses carrosses, et, le duc se faisant fort d'en
avoir un pareil pour 5 à 6000 livres « Il m'en coûte 30.000 » dit le roi.
(Marcel Marion, Hist. financière de la France, depuis 1.71.5, t. 1

d ifficiles, toujours rénumérées ava rement par l':f:tat, pour
tenir à son gré les titulaires en h aleine et so us la main. L'his-

to rien de la Re;;;taura tion, Viel-Castel , neveu par sa m ère de
Mirabeau, da ns ses So uvenirs publiés par le duc Albert de
Broglie, montre très bien« que la simple nobl esse , la noblesse
de provin ce, était peut-être, avant la Révolution, de toutes les
classes de la société, la moins favorisée par la manière dont
cette société se trouvait con struite» (1).
Peu de j ours après la mort de Pol du Botdéru , lui était n é
U R fil s, Claude-J oseph , qui fut élevé au collège Louis·le-Grand
à Paris, où l'un de ses propres fils, j ésuite, devait devenir pro­ fesseur. Ap rès avoir été page de la petite-écurie, Claude, en 1689 ,
épousa, ce semble, un peu contre le g ré de sa m èT6, la
marquise de Kergroadès , qui d'ailleurs signa au contrat, mais
a vec l'appui de son cura teur Jacqu es de Pluvié, Jeanne du
Trévou, demoiselle de Bréfeillac, fill e puînée du seig neur de
Kersauson et de Catherine de la Forest, demeurant en leur
manoir de Tréfeunteniou, près de Morlaix [auj ourd'hui la
p ropriété de M. le maréchal Foch]. Claude mourut en 1709,
et sa veuve épousa en secondes noces un lieutenant de vais­
seau , Paul de Ravenel; mais ce premier m ariage avait laissé
six enfants, don t deux filles, une religieuse aux Ursulines de
Quimperlé, l'autre Lu ce, Mme de Forsanz. Des quatre fil s,
l'ainé Jean -Baptiste René 1 (1690-1752), d'abord capitaine au
régiment de Kergroadès , acquit à beaux deniers comptant s
une charge de Lieutenant des m aréchaux de France à la juri­
diction de Pornic ; il obtint en outre la capitainerie de Port­
Louis et reçu t la croix de Saint-Louis pour ses services. Mari é
à Pélagie-Rose Moro, dame de la Villebougault, il s'éteignit
en cette dernière terre à Cesson , près de Saint·Brieuc. Mais
aucun de ses deux fils ne lui ayant survécu , le fief de Kerdrého

passa à son second frère, Jacques-René, le seul de la
famille qui fût en mesure de continuer le nom. Des deux
autres frères, en effet, l'un , Toussaint-Joachim (1697- 1 773),
le jésuite dont nous avons parlé, après avoir été professeur
à Louis-le-Grand et dans plusieurs collèges de la compagnie,
devint supérieur du séminaire de la marine à Brest, où
vint le surprendre la dissolution de la Sociélé et la confis-.
cation de ses biens (1) .
Jacques-René, le dernier du nom qui laissât pareillement
une nombreuse famille (1692 - 1758), lieutenant-colonel au
régiment des dragons dela Reine, épousa Claude-Agathedu Bois
de Brullé (nom francisé de COëtlosquet), vemre de .Mathu­
rin de Baud, seigneur de Brésséant (2). Jacques-René eut deux
fils : Jean-Baptiste René II, capitaine au ré~iment de son père;
et qui, prenant sa retraite, épousa une riche hérilière, Jeanne­
Thornase de Plœuc; Nicolas-Hyacinthe, chef d'escadre,
marié à Jeanne de Mauduit du Plessis. Quatre filles complè­
taie nt cette génération: r

Jeanne-Ursule-Agathe-Sainte, non
mariée; 2 ° Adélaïde, Hyacinthe-Félicité, épouse de Joseph­
Simon Blanc du Bos, chef d'escadre (3) ; 3° Catherine-Ursule­
Pauline, 1728, demoiselle de Saint-Cyr, mariée à André Buttel,
cornette de cavalerie, fils d'un riche planteur . de Saint-

(i ) Arch. du Finistère, B. i 9H. L'aumônerie de la marine avait une
grave importance, comme on le voit à l'occasion de Bougainville, sur le
Guerrier,. à l'escadre du comte d'Estaing, en 1.778, qui eut de tels
déboires avec son aumônier, un ancien capucin ordonné à Rome, et de
si scandaleux démêlés, que, après l'avoir mis aux arrêts avec défense de
célébrer la messe, il pria le général de l'en délivrer: décision qui lui prise
par un conseil d'aumôniers réunis à bord du vaisseau amiral le Lan­
guedoc (Journ. du bord, U et 24, août, t 8 octobre i778 ).
(2) Arch. du Finistère, B. i600.
(3) Bien que son nom, par une omission singulière, ne fignre pas dans
l'Histoire de la Maison de Lantivy, mais seulement le nom de sa sœur
Mme de Montendre (p. i08), on y trouvera cependant toule sa deSCen­

Domingue, officier de l'armée coloniale (1) ; de ce mariage
vint une fi lle, Louise-Félicité, qui épousa en premières
noces, Jacques-François de Pérusse, frère du duc des
Cars ; puis, après la m ort de celui-ci, tu é glorieuse­ m ent à la bataille des Saintes (1782), la baronn e des Cars,
,'euve, épousa le marquis de Faudoas, d'où le général de
. Faudoas (1788 - 1838), commandant la division de Bordeaux,
et Marie-Charlot.te-Félicité, mariée au général Savary, duc de
Rovigo (1785-184r) (:1) ; 4° Yvonne-Guillemette-Adélaïde
(1729- 1793), m ariée à Charles-Claude de Longchamps d e
Montendre.
Du fils aîné de Jacques-René du Botderu, Jean-Baptiste­ René II (1726-r 787) et de sa femme Thomase de Plœuc, deux
enfants étaient venus au monde : u ne fille, Amélie, non mariée ;
un fils , Hyacinthe-Auguste-Jean- Baptiste- Victor (1764-1834)
le dernier descendant direct du nom. Après avoir servi au
régiment de cavalerie du comte d'Artois, et avoir été présenté à
la cour, Victor accompagna en émigration, à l'armée de
Brabant, son beau-père, le m arquis de Coislin , et son beau­
frère. Tous les trois rentrèrent en France . après 1800. Le comte
du Botdéru devint député de Pontivy à la Chambre « introu­
vable)J , et, en 182 7, il alla rejoindre son beau-frère Pierre­ Louis du Cambout à la Chambre des pairs, où le général d e
Coislin siégeait depuis 1824. Victor du Botdéru mourut au
début du règne de Louis-Philippe sans laisser d'enfants. bien
qu'il eût épousé les d eux sœ!lrs, demoiselles de Coislin. Il

(1. ) Comte de Rosmorduc. Les D emoiselles Breto nnes de Saint-Cyr,
p. 5i et suiv.
(2) M. M adelin , dans ses conférences récentes sur la France de l'Em­
pire, semble ignorer complètement la famille de M me Savary (Rev. lIebd.,
13 Février 1926 : 187). Frédéric M asson, mieux. renseigné (Joséphine
Impératrice et Reine, i899, p. 103), fut cependant très surpris d'appren­
dre la proche et amicale parenté de la duchesse avec le sénateur

disparaissait avec la royauté légitime que les seigneurs de
Kerdrého avaient fidèlement servie depuis son début au tra­
vers des troubles de la Ligue. Différent en son intégrisme
légitimiste de son beau-frère. qui s'était rallié au régime
« orangiste ,) des Orléans, et qui continuait de siéger à la
Chambre des pairs, il pouvait murmurer en mourant la
mélancolique épigramme d'un fervent Jacobite au temps de
Cromwell, le duc d'Ormonde:
a: Le loyalisme est tout pareil.
(\ En dépit des jeux du Destin,
« Au cadran fait pOllr le soleil
« Que tient à l'ombre un sort mutin ll.
Le 10 décembre 1780, un correspondant anonyme écrivait
de Paris, racontant les nouvelles du jour: « M ,. de Bougainville
épouse Mademoiselle de La Rochefoucauld, orpheline, fille
d'un capitaine de vaisseau (1 ) ') Bougainville n'épousait pas
Mademoiselle de La Rochefoucauld, mais une demoiselle de
Montendre, d'une branche collatérale, authentique et recon­
nue des la Rochefoucauld. Et ceci nous amène à raconter le
mariage de Madame de Montendre. troisième fille de Jacques
René du Botdéru, lieutenant-colonel des dragons de la Reine,
ou du régiment de la Reine-dragons, comme on disait dans
le style de l'époque.
Yvonne-Guillemette Adélaïde. née à Hennebont. le 12
mars 17:19, avait été simplement ondoyée lors de sa
naissance, et les cérémonies complémen taires du baptême ne
lui furent «supplées» que le JO juin 1754. trois semaines
avant son mariage. Le 2 juillet. en effet. elle épousait à l'église
Saint-Gilles d'Hennebont, Charles-Claude de Montendre, né
(i) Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette,
la Cour et la Ville (1777-1792. Publiée par M . de Lescure. Paris, Plon,

vers qI 5 (r), seigneur de Longchamps, lieutenant de Marine
et d'artillerie, chevalier de Saint-Louis, fils de Louis de
. Montendre, seigneur de Lon gchamps et de Kerguénnadic, ou
Kerguénodic, suivant la généalogie des Lantivy, d'une part,
et de Marie-Françoise de Lantivy, d'autre part. La 8eigneurie
de Monténdre appartenait aux la Roch efoucauld. La branche
des Lon gchamps, portant le nom de cette terre, remontait à
Isaac de La Rochefoucauld , baron de Montendre.
Isaac avait épousé, le 2 août 1600, Hélène de Fonsèque,
qui lui avait apporté le marquisat de Surgères, dont il prit
aussitôt le titre ; et de celte union lui était née une fille,
Lucie, qui, par son mariage avec César de Cotentin, comte
de Tourville, devint la mère du grand amiral de Louis XIV,

Anne-Hilarion de Tcurville Mais, a vaut son mariage, il avait
eu, de Madeleine Mareschal, deux fils illégitimes, Charles et
Louis, qui firent leur carrière sous les armes, puis furent, en
conséquence, anoblis et légitimés en 1644 (:1).
Si lepère de celle double lignée, Isaac de La Rochefoucauld,
ava it eu son roman de jeu nesse, ses deux filiations eurent
chacune le sien. M. Claude Farrère a récemment conté les
aventures honnêtes de Tou rville avec un e fiancée digne du
roi de Garbe au pays de Casanova (3). La dynastie des
Montendre eut aussi ses expériences de poésie qui ont laissé
leur marque. jusque dan s l'histoi re littéraire ; et nous allons
retrouver, dans son cadre véritable, l'une d'elles qui séduisit
(i) Claude de Montendre est dit âgé de 9 ans 1/2 dans l'acte de tutelle
confiée à sa mère le 26 novem bre ~ ni , après le décès de son père
survenu le 9 mai précédent (Arch. du Finistère B. i513 ) ; donc, en ce
cas, né au printemps de i 712.
(2) Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 20 avril i 922, p. 363.­
Communication de M. Audiat à M. de La Ragerie, archiviste du Finis­ tère, 10 Février .i899.
(3) U ne aventure amo ureuse de ld. de · Tourville, Vice-Amiral et

les âmes « sensibles)) à la fin du XVIIIe siècle, mais dont avec
les noms nous connaîtrons mieux les personnages.
Charles de Montendre, né en 1584 ( 1) écuyer de Monsieur,
frère de Louis XIV, marié à Langres avec dame Edme Julliot
de Thol-les-M inières, eut cinq enfanls. parmi lesquels Louis,
qui, époux de Dame N. du Plessis, eut plusieurs enfants, au
nombre desquels Louis II, le mari de Françoi se de Lantivy ;
et ce dernier ménage eut à son tour six enfants, trois fill es et
trois garçons, qui avaient respectivement, au début de leur
tutelle ouverte par la mort du père : Claude-Elisabeth,
14 ans; Françoise Gabrielle, 1 2 ans; Anne, 7 ans; François­
Louis 9 ans (2) ; Charles-Claude, 6 ans l/ :l; Louis-Hiérome,
5 ans. Nous n'aurons à nous occuper que de ces deux
derniers, du plus jeune notamment, disparu au cours d'une
aventure tragiqu e qui rappelle la plus ' gracieuse idylle de
l'antiquité, celle de Daphnis et Chloé, mais une idylle éclose
en plein XVIIIe siècle, transportée à la latitude de Tahiti,
baptisée à la manière de l'époque. com me si elle avait eu
pour parrain le Génie du Christianisme et pour marraine
l'Encyclopédie.
Le 24 mars 1744, un navire de 600 tonneaux, monté par
100 hommes d'équipage. quittait Lorient pour se rendre à l'Ile
de France. Ce navire, le Saint- Géran, sous le commandement
du capitaine de La Marre, emmenait huit passagers, dont six
voyageu rs et deux voyageuses, Mesdemoiselles Caillou et
Mallet. L'un des voyageurs, M. de Belval, ancien ingénieur
en chef de la Colonie, était, dit-on, l'oncle de Milo Caillou, qui
retournait auprès de sa mère, devenue par uu second mariage

(t ) L'Intermédiaire donne la date de 1594 ; mais Madame de
Bongainville. Flor~-Josèphe de Montendre, dans une noIe autographe,
indique la date que nous imprimons pour ce premier aieul de son
nom, le grand'père de son père.
(2) La généalogie des Lantivy porte à lort.Louis-Emmanuel Clément,

Mme M allet, ce qui permet de croire qu e l'autre jeune fille por­
tant ce même nom , appartenait également à la famille. lW'e
Caillou on ignore son prénom qui venait de terminer son
éduca tion dan s un couvent de F rance, et, sous la direction
d'une tante religieuse, y avait pris le goù t de la vie monastique ;
mais, au cours du voyage, une amitié fervente s'établit entre
elle et M. de Montendre, p remier enseigne de vaisseau, alors
âgé de 28 an s. La fin de ce petit ro man eùt été san s doute un
gentil mariage, lorsque, le 17 aoù t, une tempête jeta le
navire sur les rochers qui séparent au Nord-Est l'île d'Ambre
de l'Ile de France. On essayait en vain d'organiser le
sau vetage. M. de Montendre, après avoir supplié M'" Caillou
de se débarrasser d'une partie de ses vêtements afin de ne
point gêner son sa uveur, s'était jeté lui-même à la mer ponr

gagner la cô te. Mais. apercevant la jeune fille seule sur la
dunette qui s'écroulait, il remonta à bord ne voulant point
l'abandonner, insista de nouveau, et. comme elle tombait
évanoüie, l'enleva et se précipita une seconde fois dans les
vagues démontées avec son précieux fardeau.
Ainsi qu'il l'avait prévu, les vêtements de Mlle Caillon
entravaient son avance, il approchait cependant du rivage,
lorsqu' une planche, lancée à son secours par des spectateurs
émus et trop bienveillants, vint le blesser à la poitrine. Tous
deux sombrèrent. On recueillit leurs corps. quelqu es jours
plus tard sur le sable de la grève ; on les enterra, l'un près
de l'autre, à l'église et dans le cimetière des Pamplemousses.
Quant au capitaine, M. de La Marre, il avait disparu avec le
radeau qui le portait; il ne resta que neuf survivanls (1 ).

(1. ) Archives de la 1l1arine à Lorient. Sur le naufrage du Saint-
Géran, voir Anatole France, le Temps. 1.9 juillet 1.89 1. j Adolphe
Brisson, Ibid, 1.9 et 29 août i 902 j Charles Benoit, Annales de l'Est.
octobre 1.89i , pp . !JeS8-9. Les versions diverses du naufrage ne
sont pas très coucordantes. M. Benoît, doyen de la Faculté des Lettres

La fin de Claude de Montendre ne fnt guère moiris drama·
ique, sauf qu'il eut le bonheur précieux pour un militaire
d'êlre tué à l'ennemi. Petit-fils d'un capitaine de vaisseau,
garde marine en 1734, lieu tenant en 1751, Claude avait fait
preuve dans sa carrière mari lime d'autant d'intelligence que
d'activité. Pendant l'année q46, par exemple, où les Anglais
se montrèrent très agressifs sur nos côteii et qnivit la déroute
finale des Jacobiles en Angleterre, sa feuille de services le
montre commandant la Dryade, escortant des convois de
Brest au Hâvre, de Sain t-Malo à Brest, en différentes
occasions, traqué par les frégates ennemies, leur tenapt tête,
relâchant dans les îles de Batz ou de Bréhat quand le
mau vais temps accable ces navires, se battant contre un
corsaire avec une ténacité de bon chien de garde; et, sur la
côle sud de la Bretagne qui est presque sans défense,
signalant en sa qualité d'artilleur, les points à fortifier. Sa
mort, à la fin de la guerre de Sept ans fut le digne couronne­
ment de sa vie (1).
avait fort connu M. Mallet, le demi-frère de Mlle Caillou. dont les
souvenirs, fréquemment ravivés dans sa famille maternelle, étaient
encore trés précis, bien qu'il n'eût que trois ou quatre ans à l'époque
de l'évén€\ment; et, de plusieurs témoignages écrits ou recueillis à
part, il reste as~ez de détails vraisemblables pOUl' permettre de se
représenter la scène avec son triste dénouement. Ce n'est assuré­ ment pas une descendante de la famille qui se fût permis, en
1872, cette raillerie à l'égard du comte de Chambord, hésitant
à lancer la royauté dans des voies nouvelles : « Ce pauvre
prince, avec son drapeau blan?, me fait l'effet de Yirginie qui s'est
laIssée noyer plutôt que de laIsser tomber sa chemIse ,. (Abrabam
Hayward, Selected Essays Londres, Longmans, 1878; t. II page 301).
L'essai de Hayward avait paru dans la Quarterly Review à l'occasion
des Notes sur l'Angleterre, de Taine, vers 1872 ; on trouvera dans cette
même revue le mot, tout contraire. d'une autre grande dame en 1877
(octobre 19B, p. 356) ; et peut-être préférera-t-on s'en tenir, sur cette
délicate casuistique à la conclusion prudente, mais récente et désahusée,
du Journal des Débats, le 25 février 1925.
(i) Les détails complémentaires sur sa carrière ont, parait-il, disparu
depuis peu aux archives de la Marine, depuis le temps où nous les
consultions, quoique déjà fort écrémés .

A la fin de mats 1760, -le capitaine de Breugnon, comman­
dant le Diadème de 74, l'un des officiers les plus énergiques
et décidés de la marine française, fut avisé de la mission
qu'on lui confiait de conduire à Saint-Domingue, malgré les
croisières anglaises, le nouvel intendant Bernard de Clugny,
conseiller au Parlement de Bourgogne, et qui devait plus
tard devenir en France contrô leur général des finances.
Breugnon se mit aussitôt à ses préparatifs, passant (c à
pieds joints sur toutes les commisérations particulières »,
faisant « remuer toutes les personn es du vaisseau sans
difficulté », dont était au premier rang Claude de Montendre,
qui remplissait à bord le poste de second. « Je n'ai point mes
provisions arriyées », écrivait Breugnon à un ami. C( C'est une
chose de conséquence pour tout autre. Pour moi, ce n'est
rien. Cela ne valait pas la peine d'en parler. Le Roi doit être
servi; voilà tout ce que je sais· ». Ne trouvant pas les vivres
nécessaires dans les , magasins de l'État qui manquent de
farine et n'ont « que de très gros vins », Breugnon achète à
un traitant le nécessaire, « à la triste condition de remeltre
dans la colonie un excédent)). « Je ne sais ce que je devien­
drai à mon retour. Ce sera pour le coup que je réclamerai
votre bourse pour me parer dé la prise de corps)) (r).
Pendant ce temps, avec les ballots de l'Intendant, des
complaisants embarquaient une pacotille énorme, surtout
pour des gens de Gour, - puisque le commerce avec le~ Iles

ne dérogeait point, « pour MM. de Conflans, de Brancas,
de Choiseul, Michel (2), Mme de Ségur et beaucoup
d'autres n, le nom de M. de Choiseul étant écrit tout au
long sur des ballots énormes. Le commissaire n'osait rien
dire, pas même au Ministre. Mais cela alourdissait le navire

(i) 2 avril i74,O (Arch. de la "farine, Bh los M-M).
(2) Sur M: Michel voir H. de La Rogerie, Mémoire de la Société

et enfonçait un peu la batterie basse. Enfin, ie 15 niaI té
vaisseau mit à la voile; mais dès le 16, la surveillance de la
croisière ennemie ne s'étant point ralentie, les difficultés du
voyage commencèrent (1).
« Sur les sept heures, nous avons dépassé l'île d'Ouessant;
le vent s'est un peu renforcé, cependant nous ne faisons pas
tou t-à-fait une lieue par heure».
« Vers les neuf heures, on a découvert deux bâtiments
sous le vent à nous, ce qui a fort alarmé toutes nos dames et
tous nos passagers )).
Le Dia~ème portait en effet un assez grand Dombre de
voyageurs et fonctionnaires à destination de Saint-Domingue,
y compris Mm. de Clugny.
« On a braqué toutes les lunettes et chacun a fait sur cette
rencontre des raisonnements à perte de vue, dont la plupart
n'avaient pas le sens commun. A l'approche de ces navires,
on a commencé à les distinguer et à respirer; ils ont été
reconnus pour deux petits bâtiments incapables de nous
attaquer. Aussitôt, la tranquillité a été rétablie, et chacun a
repris son ,visage gai et content.
« Cette sérénité n'a pas été de longue durée: environ une
heure après, nous avons découvert, fort près de nous, cinq
bâtiments que la brume nous avait empêchés de voir plus tôt.
On n'a pas tardé de les reconnaître pour des vaisseaux de
guerre et on a distingué qu'il y en avait trois de ligne et
deux frégates. Ils formaient une ligne circulaire qui nous
entourait et nous fermait absolument passage.

(i) Les documents officiels nous avaient permis d'en tracer une
esquisse suffisamment exacte, lorsqu'une communication obligeante
nous a confié le Journal même de l'Intendant de Clugny, adressé à l'une
de ses amies. Nous lui empruntons la partie relative à Claude de
Montendre et au combat magnifique où cel officier fut tué, mais dont
M. Lacour-Gayel ne parle pas dans la ire édition de sa Jfarine Militaire

« Aussitôt que leur force a été bien constatée par le moyen
de nos longues vues, notre capitaine a fait revirer de bord
pour porter sur terre et tâcher de gagner le Port· Louis, sur
lequel les vents nous chassaient, dans l'espérance d'y arriver
avant d'être joints par les ennemis. Ils se sont mis aussitôt à
nous poursuivre à toutes voiles. Celte chasse nous a donné
les plus vives inquiétudes; elle nous annonçait un combat
inévitable, et un combat à force inégale ...
« A midi, nous avons mangé un morceau sans nous
mettre à table. La Providence qui nous avait toujours suivis,
d'un peu loin, élant près d'être jointe par la frégate qui nous
chassait de plus près, a changé de route et a poursuivi son
chemin. Les ennemis l'ont laissé faire, aimant mieux avoir
affaire à nous, dont ils espéraient avoir bon marché, vu leur .
su périorité.
« Sur les trois heures après-midi, on s'est aperçu que la
frégate nous gagnait considérablement. Le gros vaisseau
paraissait rester à la même distance; il était suivi d'assez
près d'une seconde frégate. A l'égard des deux derniers
hâtiments, nous en perdîmes un de vue, et l'autre fit route
du côté du passage du Raz pour nous en barrer le chemin
au cas que nous eussions voulu retourner à Brest.
« Toutes ces circonstances annonçaient un combat prochain.
Notre commandant s'y prépara avec toute la présence d'esprit,
le sang-froid et la prudence qui caractérisen t un homme du
métier. Sur les six heures, la frégate nous envoya sa hanche
gauche; on lui répondit par des coups de canon de retraite
placé à l'arrière du vaisseau . C'est de cette façon que le com­
bat s'engagea. Nous faisions toujours route pour le Port-Louis,
où tous nos passagers, et surtout nos dames, désiraient fort
d'être rendus. Mais les COllpS de cànons que nous donnions et
que nous recevions ralentissaient notre marche. Pour surcroît
d'obstacle, le vent changea tout-à-coup et devint absolument
contraire pour rentrer au Port-Louis. Cet évènement engagea

M' de Breugnon à prendre sur le champ son parti en grand
capitaine. Il se détermina à retourn er sur les ennemis, les
attaquer malgré leur supériorité, et à s'ouvrir un passage pour
continuer sa route. Cette résoluti on pouvait être d'une dange­
reuse conséquence. Le premier fruit qu'elle produisit fut de
continuer le combat avec la frégate qui nous avait d'abord
attaqués et de l'engager avec le gros vaisseau qui la suivait de
près. L'un nou s prit par le côté droit, l'autre par le côté gau­
che. Ce fut alors que l'on fit un feu terrible de part et d'autre.
La frégate ne put soutenir la vivacité du nôtre et fut . obligée
de quitter la partie peu après. Le gros vaisseau tint plus long­
temps et nous canonâmes jusqu'à une heure après minuit.
qu'il fut obligé de nous abandonner.
« Nous commencions à resp irer, ct nous espérions el?- être
quittes, lorsque, sur les den x heures, le troisième bâtiment

qui nous poursuivait vint nous attaquer de nouveau; mais il
fut si fort maltraité de notre première bordée qu'il fut obligé
de se retirer, apparemment pour se regréer. Cette manœuvre
nous donna le temps de nous éloigner et de continuer notre
route. Le même navire se remit à notre poursuite, mais il
était si éloigné que nous avions tout lieu d·espérer qu'il ne
nous joindrait pas.
- « DU. 17' Le même vaisseau nous a poursuivis pendant
toute la nuit el toute la matinée sans ri en gagner sur nous.
Sur les neuf heures, on a découvert, à environ six lieues de

nous, une escadre de six vaisseaux croisant précisément sur.
notre passage. Aussitôt notre capitaine a fait revirer de bord
pour éviter leur rencontre; mais celle manœ uvre nous rame­
nait précisément sur le bâtiment qui nous chassait et nous
nous attendions à un second combat, ce qui nous déplaisait
infiniment; mais notre enneffii, craignan t sans doute notre
approche, et ne découvrant pa s l'escadre qui nous obligeait à
courir sur lui, prit le parti de retourner aussi sur ses pas et de
fuir à son tour devan t nous.

« Nous lui avons su très bon gré de cette manœuvre; et,
après avoir suivi notre bordée pendant environ deux heures,
et après avoir perdu de vue l'escadre que nous avions laissée-

derrière nous, nous sommes retournés sur nos pas pour
reprendre à peu près notre route. Le vaisseau qui fuyait
devant nous s'est remis à nous chasser et a tiré quatre coups
de canon, sans doute pour avertir ses camarades; mais notre
marche étant supérieure à la sienne, nous n'avons pas tardé
à le perdre de vue (1).
{( Nous avons perdu dans le combat M. de Longchamps
Montendre, notre premier lieutenant, faisant fonction de
capitaine en second; il a eu la cuisse emportée d'un boulet
ramé et il est expiré environ une demi-heure après. Sa mort
nous a causé les plus vifs regrets. Il joignait à beaucoup de
bravoure une intelligence singulière de son métier; il était
. d'un caractère ferme sans être dur et qui le rendait d'un
commerce fort sûr dans la Société. Il laisse une femme, des
enfants, qui avaient grand besoin de lui. Il était persuadé en
s'embarquant qu'il n'en reviendrait pas, et. ce pressentiment
ne fut malheureusement que trop vérifié. Nous avons, en outre,

eu cinq hommes tués et plusieurs blessés (2). Notre vaisseau

(i) Le combat du Diadème justifie l'éloge que décerne à la France le
Lieutenant-Colonel William Wood, président de la Société historique de
Québec, dans son ou vrage sur les Livres de Loch, publié par la Société
Champlain: « Certilinement la maîtrise des mers par les Anglais, ne
doit rien, pendant toute la guerre maritime, à l~ supériorité de son
administration ni de son approvisionnement. Pas davantage CP, ne fut le
résultat de son matériel et de sa puissance navale. L'Angleterre n'était
supé.rieure que par la quantité; au point de vue du matériel, l'étranger
avait décidément l'avantage 1). The Logs of the Conquest of Canada
Toronto, i909 ; pp. 25-26). Nons rappellerons que Claude de Montendre
était, par spécialité, lieutenant d'artillerie et que l'habileté de son tir
dut pontribuer fortement à désemparer l'ennemi.

(2) Dont un sergent, les deux jambes coupées aussi, qui mourut à la
Corogne.

a eu une partie de la galerie emportée, les voiles percée!! en
plusieurs endroits, une bonnette et sa vergue emportées,
plusieurs manœuvres coupées, deux ou trois coups de canon
à fleur d'eau et plusieurs autres dans les mâts et vergues.
Sur les deux heures après·midi, les ennemis ne paraissant
pIns, la tranquillité a commencé à renaître. Nous avons
mangé un morceau; l'équipage en a fait autant et en avait
grand besoin. Tout le monde était excédé de fatigue. Il y
avait deux nuits que personne ne s'était couché et on avait
eu une besogne considérable pendant le combat )l.
(i Le Diadème s'était donc tire d'affaire grâce à sa supériorité
de marche et de manœuvre, après avoir combattu pendant
sept ou huit heures jusqu'à la nuit, sous la lumière fâcheuse
de la lune, et tiré de 3 à 400 coups de canon. L'ennemi
contrairement à son habitude, avait essayé de le dégréer
plutôt que de l'atteindre en plein corps, tactique dont il nous

faisait ordinairement reproche.
« Malgré vents et mer contraires, le vaisseau se hâta de
poursuivre sa route, sans graves accidents sauf une alert~
qui obligea de faire encore branle-bas el de renvoyer à fond
de cale toutes les femmes qui se lamentaient de leur malchance.
Le ~o mai, il entrait finalement à la Corogne qu'il abandonna
bientôt pour le Ferrol, où les vents promettaient d'être plus
favorables. Les Espagnols lui rendirent tous les bons offices
nécessaires ; mais les Anglais vinrent promptement l'y
bloquer. C'était l'amiral Saunders, qui, passant avec 12 vais­
seaux «-destines pour la Méditerran ée )l avait détaché de 'sa
flotte une petite escadre composée de 4 vaisseaux de ligne et
de deux frégates sous les ordres du commodore Augustus
Keppel, fils de l'ancien Ambassadeur d'Angleterre en France,
Lord Albemarle (1 ) .

(1) Sur les Keppel d'AnglelerrlJ, famille d'origine hollandaise. cr,
Le Commandant Keppel, vers la fin de juillet, sur le
Vaillant britannique, entra même à la Corogne et y passa
quatre ou cinq jours pour se ravitailler, invitant à sa table
les officiers du Diadème qui refu sèren t. « Nous apprîmes,
dans le même temps, par un déserteur de la flotte anglaise 1),
matelot napolitain, « quelques circonstances de notre combat
du 16 mai. Nous fûm es d'abord attaqués par la frégate
La Pallas, de 36 canons, ensuite par le Shrewsbury, vaisseau
de 74 canons. La première ful si maltraitée qu'elle fût obligée
de s'en retourner en Angleterre pour se regréer. Le vaisseau
reçut un coup de canon qui lui emporta son mât de beaupré.
Ce fut ce coup heureux qui nous sauva, en l'obligeant de

quitter prise. Le dernier bâtiment qui nous attaqua sur les
2 heures du malin, fut la frégate le Nègre, qui fut si
maltraitée par notre première bordée qu'elle n'en voulut
plus ». Le matelot napolitain avait ajouté: « Si ce qu'il dit
n'est pas vrai, il n'y aura pas grand mal», écrivait le
commandant de Breugnon,mais les renseignements

 

accordent assez bien, que le 16 mai vers 5 heures du soir,

le Suffolk et la Mélampe, appartenant, comme les autres

navires engagés, à la flotte de l'amiral Boscawen, avaien t
entendu les coups de canon à l'Ouest de Belle-Isle et vu le

combat de loin, entre 9 et 10 heures. A minuit passé, ils
pp. fJ,fJ,8 et suiv., et les mémoires de la Margrave d'Anspach, Lady Craven.
Le vice-amiral Charles SaundeJ's avait l'année précMente, 17D9,
commandé la flotte anglaise au siège de Québec, et détaché, devant
. Bougainville, en amont de la ville sur le Saint-Laurent, une .escadre
sous les ordres du contre-amiral Holmes, composée des uavires le
Sutherland, le Squirrel (l'Ecureuil ), le Lowestoffe. l'Hippocampe
(Seahorse) et le sloop le Chasseur (Hunter). Cette escadre, remontant à
chaque marée avec le flot et descendant avec le jusant, tenait en haleine
la petite troupe de B ougainville, que le capitaine Knox, da os son Journal,
nous montre en mouvement nuit nt jour, pour empêcher un débarque­
ment ennemi qui eût coupé la comm unication de la ville avec j'intérieur

avaient joint le Shrewsbury et la Pallas, dont le capitaine
Clemens déclarait avoir trois pieds d'eau dans sa cale et ne
pouvoir plus suivre. A la question du monde tué, il 'avait
répondu qu'il le verrait demain et répondrait en conséquence.
La Mélampe avait chassé jusqu'au 18, perdu de vue , le
Diadème, regagné Quiberon le 19' La Pallas était obligée de

se regréer, « ses mâts de hune étant hors d'état de porter d'autres
voiles Il ; elle avait en outre « huit coups de canon à l'eau Il.
Les autres navires anglais mêlés à ces opérations étaient la
frégate l'A venture, le Venise (Vénus '1) et le Royal Guillaume,
qui chassa le vaisseau fran çais jusqu'à la Corogne et recom­
manda de le bien surveiller.
Le blocus fut ainsi maintenu pendant près de cinq .mois,
Breugnon s'in. téressant parfois à suivre ses évolutions des
hauteurs avoisinant le Ferrol. Au dire des Espagnols, qui se
montraient toujours très accueillants, l'Angleterre y employait
presque toute une escadre: le Royal-Guillaume, de 100 canons;
le Neptune, de 80 ; le Somerset, de 74 ; le Ferme, de 60 ; le
Preston, de50 ; la Vestale, de 3::1 ; le Vaillant, de 70 ; l'Or­
donnance, de 34; le Magnanime, de 74 (1) . Enfin le 3 octobre,
échappant aux espions anglais répandus dans le pays , le
Diadème reprit sa course vers Saint-Domingue, où il atterrit

au Cap Français le 17 novembre, sans autre retard que
1:! jours de calme, mais non sans souffrances pour les malheu­
reuses passagères, obligées dese coucher et de vivre la nuit sans
feu ni 'lumières, afin de ne pas éveiller l'attention de l'ennemi.
Lorsque la nouvelle du combat survenu le 16 mai fut connue
à Brest, les- autorités ne perdirent point de temps pou'r

(i) i t juin i 760. Ce fut pendant ce séjour au Ferrol que deux: navires
de guerre arrivant de la Martinique, d'où ils étaient partis le i2 juin,
entrèrent avec des passagers: le Vaillant (français) de M, et l'Améthyste.
Le Vaillant portait une dame Renaudin, tante de la future impératrice,
dont Frédéric Masson a raconté l'histoire dans Joséphine de Beauharnais,
ch. III.

annoncer à la cour la pertede Claude de Montèndre : C'Mait
un très bon officier qui servait dans la marine depuis :.16 ans,
pendant lesquels il a fait J 7 campagnes et s'est trouvé à plu­
sieurs combats: il laisse une veuve chargée de 3 enfants et
sans bien, pour laqu elle le commandant et l'Intendant de la
marine de Brest sollicitent les bontés du Roi Il (26 juin 1760).
Dès le J" juillet, le Ministre Berryer répond à l'Intendant
Hocquart qu'il a rendu compte au Roi de la trigte situation
dans laquelle cette veuve reste avec trois enfan ts; « Sa Maj esté
a bien voulu y avoir égard et lui a accordé une pension de
1.000 francs sur le trésor royal; ce qui fut ordonnancé le
I:l août )) (1 ). En 1777} les pensions furent révisées par
Louis XVI. De 1.000 francs, la pension de Mme de Montendre
fut portée à 1.300 par les arrérages capitalisés de cinq années
en retard. Les deux filles encore vivantes de Claude de Monten­
dre furent pourvues, l'aînée, Elisabeth déjà marié à son cousin
germain, enseigne de vaisseau, Philippe de Montendre (2),
d'une rente reversible de 300 francs à prendre au décès de sa
mère sur la pension de 1.300 francs; la cadette, Flore. d'une
pension de 300 francs à dater du 1

juillet précédent (3 ).
(i ) Le bon est en elfet du i2 août 1760, « La pension d'un lieutenant
se monte à 4,00 ou 600 francs, quelquefois à 800 ... Les veuves étaient
pensionnées j mais il semble qu'aucune règle ne présidât â la concession
de leurs secours ». (Maurice Loir, La Marine ]loyale en 1789, Paris,
Colin; p.95·96). La demande des autorités portait LOOO francs. Sur
le brouillon on avait d'abord inscrit 800 francs, puis rayé ce chiffre et
mis â la marge : « Laisser la somme en blanc n. Mme de M ontendre
paraît donc avoir été traitée aussi généreusement que possible.
(2) Arch. du Finistère, B. t660. Décret de mariage, {2 décembre {776,
Marie-Elizabeth-Hyacinthe de Montendre, (1755 H décembre iS15),
et Philippe, Marquis de Montendre, capitaine de vaisseau, (i 751 5sep­
temhre i818).
(3) Le Ministre Sartine à M. de Laporte, intendant à Brest, f3 décem­
bre. Nouvelle révisian, le ter juin 1779. avec arriéré de c(lmptes de
3.771 fr. 2

j mais la pension n'est plus que de Li03 fr. 15'.
Flore-Josèphe devint Mme de Boul(aill\'ilIe, femme du navigateur
(nov, i780. Arch. du Finistère, B. 1680) .

Mais, en 1769, Mme de Montendre avait épousé un autre
lieutenant de vaisseau, Augustin Passerat de Silans, d'une
vieille famille du Bugey, que l'on croit apparentée à Jean
Passerat, l'auteur de la Satire Ménippée, né à Corbonod-sur­
Seyssel, le 5 mars 1735 (1).
Nous n'essaierons pas de raconter la carrière du chevalier
de Silans, qui se termina brutalement par un coup du sort
vraiment immérité. Désigné par le « Général)) d'Orvilliers
d'après sonrôle et son activité lors de l'expédition de 1778 sur
les côtes d'Angleterre, comme l'un des futurs chefs d'escadre
du service, Silans avait accepté et même sollicité par pur
dévouement professionnel le commandement onéreux d'un
navire, armé dans des conditions déplorables et hâtivement
construit, ne possédant qu'un équipage entièrement novice,

le Pégase, qui fut enlevé, . par cinq vaisseaux anglais, avec tout
le convoi qu'il escortait vers l'Inde au sortir de Brest.
Le Pégase fut pris nommément par le capitaine Jervis, le
futur Lord Saint-Vincent, après un combat qui se livra lon­
guement en pleine nuit et nous causa de lourdes pertes (:.1 ).
Ce désastre survenant presque en même temps que la défaite
sanglante éprouvée à la bataille des Saintes, exaspéra l'opinion
de la cour et du public; le chevalier de Silans fnt rayé de la
marine et se retira à Lyon où sa femme mourut en 1793 et où
lui-même s'éteignit en 1801.
Les historiens de la marine conviennent que Silans n'était
pas responsable des conditions déplorables où dut s'engager
l'action; mais ils lui reprochent d'avoir accepté ce comman­
dement désastreux.
Or, lui-même avait exposé dans sa lettre de défense au Roi,
(i) C'est l'opinion qu'a bien voulu nous indiquer M. de La Ragerie.
(j!) Le commandant Chevalier et M. Lacour-Gayet indiquent seulement
90 hommes hors de combat; SilaIJ,s, dans sa lettre au Roi, marque UO

que l'administration ministérielle savait parfaitement à quoi
s'en tenir. Il ne convient pas à un officier de refu ser un service
commandé pour éviter des risques trop probables ou même
certains. Le précepte de Talleyrand « surtout pas de zèle! »
n'est pas de mise en l'espèce : ce ne sont pas là des conseils et
précautions qu'eussent acceptés Napoléon pour sa marine, ni
Nelson pour sa direction (1).
Le chevalier de Silans et sa femme laissèrent une fille,
Olympe, qui, élevée à!' Abbaye-aux-Bois, et mariée à un cousin
germain du côté paternel, pareillement officier de marine, le
marquis du Vivier de Fay-Soligna c, devint la grand-mère du
cardinal de Cabrières (2).
AVOCOURT et KERALLAIN . .

(i 1 Sur la prise du Pégase, voir le commandant Chevalier, Hist. de
la jf arine franç. pendant la guerre de l1ndépendance A mëricaine,
530-4. Lacour-Gayel, La Marine militaire sous Louis XVI, 379-380.
- Tucker, M emoires o( AdmiraI Earl Saint-Vincent; Londres, Ben­
tley, i81J,4, 70-77. Silans, M émoire justificatif (inédit), 43 p. in-fa
(copie avec corrections autographes de l'auteur). Pour l'opinion de Napo­
léon, cl. Johannès Tramont!, Manuel d'Hist. maritime, p. 799. Nelson
déclarait qu'il n'ent jamais gagné la balaille d'Aboukir si l'amirauté lui
avait cherché noise chaqne fois qu'il risquait de mettre son nayil't~ t la côte.
(2) Sur la marquise du Vivier et son affection pour sa famille bretonne
de Kerdrého, voir les souvenirs rie son petit-fils, Cabrières et Yeaunes,
Paris, Plon, 1917, p. :1.97,202, 2H.

- ,- 122 -

DEUXIÊME PARTIE'

Tnbledes Mémoires publiés en 1926 .

PAGES
I. Première contribution à l'étude des noms d'hommes

. et de lieux du Cap-Sizun, par 'DANIEL BERNARD

et J. LOTif .. ' , . . . . . . . . . . . . " 3
II. En marge de l'histoire d'une vieille famille bre- ,
tonne, par AVOCOURT et KERALLAIN. " . . .. 26

III Autour de R,-T.-I-L Laënnec, Quelques lettres
inédites de son père et de ses oncles, par J. SAVINA. 73

IV. , Carhaix ou Châteaulin., Querelles et intrigues pou~

la possession d'un sous-préfet en 1818, par
, . ' H, W AQUET. ' . ' . . . . . '. . . . .: . . ' . . 108

Additions et corrections, . .

116