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Bulletin SAF 1924


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La ville d’Is. Ses origines, sa submersion

E. Delécluse

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1924 tome 51 - Pages 85 à 91

LA VILLE D'IS

Ses Origines Sa Submersion
On a souvent comparé la baie de Douarnenez à la baie de
Naples, et ce vers si harmonieux d'Horace;
« Nullus in orbe sinus Baïre prelueet amenis. ))
revient naturellement à la mémoire du touriste qui du haut
des falaises du Riz contemple par un beau soir d'été l'anse
ombragée de Ploma'ch.
Les Romains dans leur marche conquérante vers l'extré-

mité de la terre furent-ils retenus ici par le mirage de la loin-
taine patrie, je crois plutôt que, pressentant les avantages
considérables pour le ravitaillement de leurs troupes d'une

baie poissonneuse et bien abritée, ils y fondèrent une station

qui devait servir de base solide pour la poursuite de leurs

conquetes.
Le pays qu'ils avaient devant eux semble avoir été habité
par des populations très denses retranchées derrière ces
remparts faits de troncs d'arbres et de terre que nous a décrits
Jules César dans ses Commentaires et qu'elles devaient défendre
avec la furie du désespoir jusqu'à ce qu'acculées dans leurs
derniers retranchements, Castel-Coz, Castel-Roc, Castel-Meur,
Beg-ar-Raz, elles fussent précipitées à la mer.
Ces camps celtiques, dont les derniers vestiges sont en train
de disparaître, couvraient de grands espaces dans les com­
munes du Juch, Ploaré, Pouldergat, Meilars, Poullan. On en

suit encore le tracé aujourd'hui par le Merdi, Kersuliec, Kerlivit,

le Mont, Kerampape, Coatguilers, Lestreux, KeresquÎvit; et
combien d'autres ont été nivelés. Ce qui les caractérise, ce

sont les traces de feu qui ont rougi et même vitrifié les pierres
des remparts incendiés par les assaillants.
Les Romains eurent facilement raison de populations
armées de haches en pierre et de flèches avec pointe dë silex,
et, pour protéger contre des attaques ultérieures leur station
dont ils comprenaient J'importance, ils construisirent les
camps de Penguilly, de Castellien (r), de Kermaburon, de
Lesperbez, de Tresmalaouën et cou vrirent le pays de ces voies
dont on suit encore le parcours et dont six au moins rayon­
naient de la nou velle ville.
Celle-ci s'agrandit peu à péu au bord de la mer, dont elle
tirait des ressources qui firent sa richesse.

Elle s'étendit sur une longueur de 3 à 4 kilomètres et une
largeur de plus d'un kilomètre, espace qui, déduction faite de

la partie submergée, est encore aujourd'hui couvert de ruines
romaines qui ont fourni par leurs fouilles des indications

precIeuses.
Nous abordons ici la légende de la submersion de la ville
d'Is, nom qui lui vint sans doute de la déesse Isis à laquelle
un temple devait y être dédié, temple dont peut-être pro-

viennent deux chapiteaux d'ordre corinthien trouvés naguère

dans une fouille place des Pêcheurs.
La légende est souvent l'exagération embellie de l'histoire.
Ici elle semble avoir fort peu amplifié l'évènement qui ruina
la ville au v· siècle et qui fut un raz-de-marée.
Pour avoir les limites de la mer à cette époque, il suffit de
tracer sur une carte le raccordement d'une voie romaine qui,
de Vorganium, passant par Landerneau et Le Faou, franchissait
l'Aulne à Rosnoën, montait les flancs du Ménez-Hom pour
(i) Le camp de Castellien avait une grande importance puisque les
nomains construisirent, pour le desservir uuiquement, une voie' qui dans
la traversée de la Grande-Garenne conserve encorE) sa largeur de 1.0 a
_ 1.2 m. Le camp est aujourd'hui complètement nivellé, ses douves

aboutir par Plomodiern, Ploëven et Tréfuntec à la grève de
Tresmalaouën. Cette voie suivait alors une chaussée de galets.
Cette chaussée, nivelée par le raz-de-marée, forme encore un
haut fond bien connu des marins qui l'appellent Ar-Bern-Lastre
(tas de pierrailles). Elle allait aboutir par la pointe du Ros­
meur au Gué (arYed) et, à la 'cale de Tréboul, nous retrouvons
la voie qui condnit à Beg-ar-Van par Kergoulinet, Poullan,
Beuzec, Goulien. En dedans de cette digue naturelle se trou­
vait une grande plaine aujourd'hui en partie couverte d'ar­
bres qui, par un phénomène de regression des sables, réappa­
raissent tous les 30 ou 40 ans dans les grèves de Tresmalaouën
et de Trébou!.
Les restes de ces arbres nous donnent deux indications
D'abord le sens de la vague qui a emporté la digue. Ils sont
tou s abattus dans la direction du N.-O.-S.-E. En second lieu,
le niveau du sol primitif, dans lequel les racines encore très
visibles prouvent qu'il était sensiblement au même niveau
que la mer sinon au-dessous (1). Il importe d'ajouter que le
même cataclysme a · immergé l'anse de Tréboul où l'on
découvre aussi des arbres enfouis dans le sable et le vallon
où coulait dans de vertes prairies le ruisseau le Rhu (~), depuis
Port-Rhu jusqu'à Pouldavid. En dehors de la ville basse, qui
a été rasée par la mer, il reste assez de ruines romaines sous
le sol de la ville de Douarnenez pour prouver l'importance de
l'ancienne ville d'Iso
(i ) La hauteur de la vague nous est peul-être donnée par un Loës de
cO.:juillages (Palourdes, Prères, elc ... ) formant une bande de i5 à 20 %
d'épaisseur que j'ai découvert il y a qu'elques années en creusant des
fondations au Guet dans la partie S.-E. de mon usine, en bordure du
chemin privatif qui descend à la rivière et qui se trouve à 4. mètres
environ au-dessus des pleines mers d'équinoxes .

(~) Les établissements romains s'arrêtent à l'endroit oit se trouvait la
cale Ulliac. Ce nom, qui semble d'origine romaine, est sans doute formé
sur celui du propriétaire des grands magasins qui ont élé mis à jour dans
le terrain Berlré.

. Au Port-Rhu, au Guet, au Kerlosquet, au Rosmeur, aux
Plomac'h, on a découvert d'importantes substructions et com­
bien restent enfouies sous les maisons de la nouvelle vine.
SI l'on examine ces ruines, on est frappé du nombre consi­
dérable de constructions toutes semblables, de mêmes dimen­
sions et modèles (2 m. environ X 2 m.). On a voulu y voir
les caves d'habitations romaines, mais cette spécification ne
tient pas devant l'examen. D'abord, les caves de diverses villas
ne sauraient avoir des dimensions si uniformes, puis l'enduit
qui revêt ces constructions à l'intérieur, épais de 5 à 6 centi-

mètres , avec arrondissement des angles, montre bien que la

vraie destination était de contenir des liquides. J'ai d'ailleurs
trouv é, lors de la démolition d'une de ces cuves au Guet, un
trou de vidange en terre cuite que j'ai déposée sur le bureau
de la Société archéologique du Finistère et qui corrobore
cette assertion.
Je crois donc qu'il faut y voir des cuves destinées à la salai­
son du poisson; chaque maison en avait un nombre plus ou
moins grand. J'en ai compté six à la file dans la propriété
Demolon et, dans presque toutes ces cuves, on a trouvé des
arêtes et écailles de poissons .
Il est pour moi hors de doute que les conquérants se sont
hâté de profiter d'une situation privilégiée, qu'ils ont eu ici
un port important avec une flotte nombreuse et qu'ils ont
salé et séché le produit de leurs pêches pour en faire un

commerce remunerateur.
La ville était en pleine prospérité au v· siècle et ce lieu
abonde encore en souvenirs du roi Gradlon qui, suivant une
antique tradition, sinon d'après des textes historiques, règnait
à cette époque sur la Cornouaille. On y trouve l'anse du roi

Gradlon, la baignoire de Dahut, formée à marée basse par une
retenue d'eau que produisent des snbstructions romàines. On

y montre dans la roche l'empreinte du sabot du cheval de

L'histoire ne sait rien de certain concernant le règne de ce
prince. Les statues de Mars et d'Hercule trouvées à Douarne­
nez sont évidemment de l'époque où l'administration romaine
encore intacte ne laissait pas de place à l'existence d'un petit
souverain local. Gradlon devait être breton, mais des influences
étrangères avaient pu s'exercer dans son entourage; la tradi­
tion qui nous donne la destruction de la ville d'Is comme une
punition des désordres de la cour et du peuple ne peut
étonner ceux qui ont lu la description que nous donnent les
auteurs de l'époque de la corruption du bas- empire. Un
nom de lieu nous fixe l'endroit où se joua, sans doute, le
dernier acte de cette tragédie .

Les routes de l'Est et de l'Ouest étant coupées, il ne restait
aux fugitifs que les deux voies du Sud. Or, ces voies traversant le
Rhu au lieu qu'on nomme depuis Poul-Dahut, il n'est pas
téméraire de croire que c'est en ce passage raviné par le flot
qui s'y est arrêté que se noya la fille du roi.
n y a tout lieu de penser que Gradlon ne revint pas dans
sa bonne ville d'Is ; des souvenirs trop douloureux s'atta­
chaient à ces lieux témoins d'un cataclysme qui avait d'ail­
leurs enseveli à jamais une grande partie de la ville et détruit
toute la flotte. ' La ville privée de son commerce ~e put se
relever de ses ruines, qu'aggravèrent encore les incursions
des pirates du Nord qui, jusqu'au commencement du x' siècle,
avec les Normands, ravagèrent tout le littoral de la Bre­
tagne. Alors fut pillée et incendiée la fameuse abbaye de
Lant-Tévennec où dormait son dernier sommeil Gradlon
Meur. Alors furent brùlées les dernières villas encore habi­
tées, dans ce qui fut la ville d'Is, (dans l'une d'elles on a
trouvé un squelette carbonisé.)
A ceux qui s'étonneraient que les archives de la célèbre
abbaye n'aient conservé aucun récit d'un évènement si sensa-

tionnel, on peut répondre que les manuscrits le relatant ont
pu être brûlés" il. cette époque troublée.

Ne peut-on pas admettre également que les moines amis du
vieux roi voulurent faire le silence sur un évènement si doulou­
reux pOUl' son cœur de père.
Ainsi la ville d'Is fut doublement enfouie dans les sables
de la mer et dans l'oubli de l'l!istoire.

E. DELÉCLUSE .

109 ..
DEüXIÈME ' PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1924
PAGES

I. La thèse de Laënnec, par le D' LAGRIFFE . . " 3
II. Quelques réflexions sur les origines du peuple bre-
ton et sur la persistance de la langue bretonne
. d'après les écrits d'Albert Travers, par CAMILLE
. V ALLAUX. . . . . . . . . . . .

III. Les anciens manoirs des environs de Quimper
(sui te et fin), par 1. LE GUENNEC. . . . . .. 25
IV. Les mouvements populaires en Juillet et Août 1789
d'après quelques letlres inédites de Ange Conen
de Saint-Luc, par JEAN SAVINA . . . . . .. 46
V. Quelques mots sur l'Emigration bretonneen Armo­
rique, en réponse aux « Quelques réflexions l) ,
par J . LOTH. . . . . . . . . . . . . . .. 68
VI. Une rentrée des classes à Quimper, en l'an VlU,
par fI . W AQ UET .. . . . . . . . . . . . ., 74
VII. Vieilles chansons bretonnes. III Le Clerc de

Trom~lin, par 1. LE GUENNEC. .... . . 78
VIII. La ville d'Iso Ses origines, sa submersion, par
E. DELÉCLUSE. . . . . . . . . .. '.. 85
IX. Le clocher de Ploaré (étude architectonique), par
CHARLES CHAUSSEPIED [u ne planche J. . . . .' 92
X. Le dernier évêque de Léon: Jean-François de La