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Bulletin SAF 1924


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Quelques mots sur l’Emigration bretonne en Armorique, en réponse aux Quelques réflexions

J. Loth

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1924 tome 51 - Pages 68 à 73

Quelques lYlots
SUR

EN RÉPONSE A.UX

Quelques réflexions sur les origines du peuple breton
et sur la persistance de la langue bretonne, d'après
les écrits d'Albert Travers, par Camille Vallaux. (i)
M. Vallaux débute en déclarant modestement qu'il n'a rien
de tout à fait neuf à dire sur le sujet qui a provoqué ses
quelques remarques. Il ne savait pas si bien dire: il n'y a
même rien de neuf dans les quelques pages où il les délaye,
sauf des erreurs.
La principale auLorité de M. Vallaux, M. A. Travers serait
(i ) Le mémoire de M. C. Vallaux avait, lorsqu'il fut présenté à la
SociétP, soulevé di\"erses critiques ; publié, il en a provoqué encore
davantage. Le livre fondamen tal en ces matières, L'Emigration bretonne
en Armorique de M. J. Loth, étant devenu assez rare (il n'en existe
n,ème pas un exemplaire à la bibliothèquc municipale de Quimper), il
importait · que la thèse combattue par M. Vallaux fût exposée ici au
moins sOlpmairement. Nous sommes particulièrement honorés que
M : Loth, aujourd'hui membre de l'Institut et successeur de d'Arbois
de Jubainvilte au Coll ège de France, ait bien voulu prendre la peine de
défendre lui-même des doctrines qu'il a tout fait pour établir et dans
1 esquelles toutes ses recherches l'ont confirmé. Nous tenons à rappeler
que la Société, qui n'a pour but que de promouvoir les recherches
s ur le passé, né prend pas la responsabilité des idées émises par les

un celtisanl travailleur et consciencieux. Comme je l'ai dit
nettement, Travers ne sail rien, absolument rien, des langues
celtiques. Il est tout aussi ignorant en linguistique romane et
en linguistique générale. Or, ·c'est tout justement sur ces

langues qu'il ignore profondémen t qu'il a basé ses élucubra-
tions. M. Vallaux est resté évidemment lui-même à l'écart de
tout le mouvement scientifique, linguistique et historique,

concernant le celtique et les Celtes depuis vingt ans; ce qui
explique ses erreurs sans les justifier.
La romanisation de l'Armorique est un fait certain. Il y en
a une preuve qui dispense de toutes les autres: c'est que les
centaines de noms de lieux datant de l'époque gallo-romaine
que nous possédons sont en évolution romane et non celtique.
J'en ai ~pporté les preuves irréfutables dans mon livre:
Les mots latins dans les langues brittoniques avec une Intro­
duction sur la romanisation de l'île de Bretagne (1891).
J'ai achevé ma démonstration dans mon travail paru dans la
Revuè Celtique (tome XXVIlI, p. 374) : Les langues romane
et bretonne en Armorique.
Loin de part.ager l'opinion de La Borderie, dont je suis
resté l'ami, mais dont je me suis séparè sur des points impor­
tants, sur le désert armoricain, j'ai établi que les Bretons
insulaires se sont intimement mêlés aux indigènes ; que
l'Armorique entière a été bilingue; que le breton n'a étouffé
le roman que dans l'Ouest et qu'il a été lui-même étouffé par
le roman, on peut dire le français, du IX' au Xl" - xm

siècle,

dans la zone est, c'est-à-dire dans les départements actuels .

d'Ille-et-Vilaine, de la Loire: Inférieure, et dans une partie
du Morbihan et des Côtes-du-Nord, pour des raisons histo­
tiques (1). A la suite des victoires des Bretons et de la con-
(:\.) La langue bretonne a été parlée sur loute la côte j à l'intérieur,
dans le Rennais, elle ne paraît pas avoir franchi le Meu; dans le Nan­
tais, toute la péninsule Guérandaise, jusqu'à la Loire, en descendant

quête des pays · français de Rennes et de Nantes, les chefs
bretons et leur clientèle s'établirent en grand nombre dans
ces pays, notamment sur les marches de Bretagne; les ma­
riages avec des princesses françaises et le séjour en zone de
pure langue françai se amenèrent assez rapidement la prédo­
minance de la culture fran çaise dans l'aristocratie et, de pro­
che en proch e, dans la zone bilingue avoisinant le Rennais et
le Nantais.
Quant à la sûreté des méthodes linguistiques sur le terrain
celtique, M. Vallaux pourra en juger quand il connaîtra les
Graffites gaulois de La Graufesenque (Aveyron ) publiés il y a
un an par l'abbé Hermet ( 1). Les dix premiers nombres
ordinaux gaulois ont exactement la forme que les celtistes
avaient reconstituée pour le vieux celtique d'après les nom­
bres irlandais, gallois et bretons. Le gaulois et le celtique
insulaire, surtout le brittonique, étaient étroitement appa­
renLés ; mais le gaulois, réduit à l'état de langue populaire
(les Graffites sont du premier siècle de notre ère), ·a évolué
très rapidement, à tel point, par exemple, qu'il nous est
impossible d'expliquer l'in scription de Rom (Deux-Sèvres),
qui date du IV· siècle. Au contraire, au xo- Xl" siècles, le gallois
et le breton étaient simplement deux dialectes d'une même

langue. Il y a mieux; le cornique et le breton, au XVl

- XVII"
siècle, étaient encore si étroitement apparentés qu'on se com­
prenait facilement des deux côtés du détroit. J'ai pu constater
plus d'une fois à Rennes que mes étudiants bretonnants, une
fois mis au courant de la difficile orthographe cornique,

arrivaient très facilement au bout de quelques jours, à com-
prendre des textes corniques du XVIe siècle ; la - grammaire,
ils la savaient d'avance.
Les études celtiques sont arrivées aujourd'hui à un haut
(i ) Les Graffi.tes de La Grauvesenque, par J. Loth. Ce travail va
paraître chez Champion, 5 quai Malaquais, Paris.

degré de perfectionnement. En raison de leur importance
linguistique et historique, les langues celtiques sont ensei­
gnées presque partout en Europe: en Allemagne, à Berlin et
Bonn; en Angleterre, à Oxford; en Ecoss e, à Glasgow et

Edimbourg; dans le pays de Galles, dans les universités et
les collèges; en Irlande, l'irlandais est langue officielle et
était déjà enseigné à titre obligatoire dès 1909, par ordre du
gouvernement anglais, dans les districts de langue gaëlique.
Il y a des cours de celtique à Copenhague et à Christiana. Il
se fonde, en ce moment, à Prague, une chaire de linguistique
comparée et de linguistique celtique. Contrairement à ce
qu'avance M, Vallaux, il n'y a eu aucune divergence de vue
entre M. d'Arbois de Jubainville et moi au sujet des Bretons
et je ne vois pas franchement en quoi Dottin et moi nous
différons d'avis sur ce sujet.
Quant à l'émigration des Brelons insulaires en Armorique;
il n'y a pas de fait mieux établi. La langue en serait une
preuve qui pourrait dispenser de toutes les autres; mais,
outre les témoignages historiques, il y a ce fait que les évêchés
de Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Tréguier, Léon, sont de
fondation insulaire. Il en est de même de l'organisation du
culte paroissial, comme pourrait s'en convaincre M. Vallaux
en lisant mon travail sur Les noms des saints brelans. Les
Pères des conciles francs savaient fort bien distinguer les
deux zones, française et bretonne, d'Armorique par les

termes de Romania et de Britannia. Sur un véritable pan-
celtisme comprenant les Bretons d'Armorique, ceux des Iles
Britanniques et les Gaëls d'Irlande et d'Ecosse, je me
contenterai de renvoyer M. Vallaux à mon élude récemment
parue sur : La Vie la plus ancienne de saint Samson, abbé­
évêque de Dol.
Quant aux différentes races qui ont pu peupler l'Armorique
en dehors des Celtes depuis l'époque paléolithique jusqu'à
l'époque du métal, c'est naturellement une question sur

. laquelle les hypothèses les pl us diverses peuvent se donner

carrière. Il est bien év ident que les Celtes ne constituent et
ne constituaient pas une race homogène mais formaient une
résultante de races diverses, parlant un e langue unique, pré­
sentant des caractères tranchés, mais appartenant au groupe
des langues dites indo-européennes. L'anthropologie peut
signaler pour une même contrée les variétés physiques des
individus qui l'habitent ; elle peut les réduire à certains
types. mais non sans ehance d'erreurs ; elle se contente trop
souvent de critériums insuffisants, commé, par exemple,
l'indice céphalique : un des anthropologistes les plus émi-

nents, l'autrichien Von Torok estimait que, pour déterminer
un type, il fallait environ 700 mensurations; Obermaier,
archéologue éminent, les réduit à 300 ! Les moyennes dissi­
mulent trop souvent l'état réel d'une population. Il y avait en
anthropologie un dogme véritable: c'es t la dolichocéphalie
des Scandinaves . Or, un Suédois, Nystrom, a trouvé que, sur
500 crânes de Suédois qu'il a mensurés, il y avait une
moitié de brachycéphales. Les statistiques de Broca, que cite
M. Vallaux, étaient absolument insuffisantes : on pourra s'en
convaincre en consultant les tables de l'indice céphalique, de
la couleur des yeux et des cheveux pour l'Armorique dans le
Manuel d'A nthropologie de Deniker. .
Il Y a quelques années, l'auteur d'une petite histoire de
Bretagne avançait que l'Emigration bretonne en Armorique

n'avait pu être considérable parce que les Bretons insulaires
sont grands, dolicocéphales et blonds, ce que ne sont pas les
Bretons d' Armorique. Or ce type grand, dolichocéphale et
blond n'est pas le moins du monde celui des habitants du
Cornwall ni du Pays de Galles, ni même de l'Angleterre dans
son ensemble, sans parler de l'Irlande et de l'Ecosse, comme
le reconnaissent d'ailleurs les archéologues et les anthropolo­
gistes anglais.

M, Vallaux remettent en question des choses depuis assez
longtemps jugées et tranchées, Je ne me serais certainement
pas donné la peine de faire ressortir la futilité de ses Quelques
réflexions si elles n'avaient paru dans le Bulletin dc la Société
archéologique du Finistère, ce qui pouvait lem do nner en
apparence quelque importance et troubler des lecteurs peu an
courant des études linguistiques et historiques touchant au
domaine celtique et, en particulier, à l'Armorique .

J. LOTH,
Membre de l'Institut .

109 ..
DEüXIÈME ' PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1924
PAGES

I. La thèse de Laënnec, par le D' LAGRIFFE . . " 3
II. Quelques réflexions sur les origines du peuple bre-
ton et sur la persistance de la langue bretonne
. d'après les écrits d'Albert Travers, par CAMILLE
. V ALLAUX. . . . . . . . . . . .

III. Les anciens manoirs des environs de Quimper
(sui te et fin), par 1. LE GUENNEC. . . . . .. 25
IV. Les mouvements populaires en Juillet et Août 1789
d'après quelques letlres inédites de Ange Conen
de Saint-Luc, par JEAN SAVINA . . . . . .. 46
V. Quelques mots sur l'Emigration bretonneen Armo­
rique, en réponse aux « Quelques réflexions l) ,
par J . LOTH. . . . . . . . . . . . . . .. 68
VI. Une rentrée des classes à Quimper, en l'an VlU,
par fI . W AQ UET .. . . . . . . . . . . . ., 74
VII. Vieilles chansons bretonnes. III Le Clerc de

Trom~lin, par 1. LE GUENNEC. .... . . 78
VIII. La ville d'Iso Ses origines, sa submersion, par
E. DELÉCLUSE. . . . . . . . . .. '.. 85
IX. Le clocher de Ploaré (étude architectonique), par
CHARLES CHAUSSEPIED [u ne planche J. . . . .' 92
X. Le dernier évêque de Léon: Jean-François de La