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Bulletin SAF 1924


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Les mouvements populaires en Juilet et Août 1789 d’après quelques lettres inédites de Ange Conende Saint-Luc

Jean Savina

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1924 tome 51 - Pages 46 à 67

Les Mouvements Populaires

E N JUILLE T ET AOUT 1789
d'après quelques lettres inédites de Ange Conen de S aint-Luc

Nous avons trouvé aux Archives nalionales, dans les
dossiers du Tribunal révolutionnaire, parmi les papiers
saisis au château du Bot, en Quimerc'h, après l'arrestatioc.
de la famille de Saint-Luc, quelques leltres d'un jeune
officier de ca valerie en garnison à Sarreguemines en
1789 (1). Ces lettres nous ont paru intéressantes à divers
litres. On y trouve un écho des évènements importants

qui s'accom pliren t durant l'été de l ï 89. Puis, elles nous
font pénétrer dans l'intimité d'une famille bretonne de
vieille noblesse, au moment où éclalent les premières
agita tions, prologue du vaste ébranlemenL social qui
conduira à la grande Terreur. Enfin, la deslinée tragique
de l'auteur. Ange Conen de Saint-Luc, fusillé à vingt­ huit ans, après l'affaire de Quiberon, donne du piquant
à ces r elations simples et familières d'un jeune spectateur
plus étonné qu'indigné en face d'évènemen ls dont il ne
saisit pas encore toute la gra vilé.
(i) Archives nationales W 423, nO 958. Ces lettres ne parlent
pas de signature. Le jeuue officier s'adresse à son « chpr papa » et à sa
« chère maman». La susc ription porte: « A M onsieur Le Présidenl de
Saint-Luc, en son château du Bot, près Le Faou, par Landorneau. »
Dans une de ces lellres, datée du 25 mai 1.789; l'auteur se di t « cavalier
de 21. ans» ; il s'agit donc de Ange Conen de Saint-Luc, né à Rennes,
le 23 juillet 1.767, âgé de 21 ans 10 mois en mai 1.71)9. A ce moment,

Ce fut une destinée bien lamentable que celle do la
famille Conen de Sainl-Luc, au cours de la Révolution.
Cette malheureuse famille faillit disparaître tout entière
dans la tourmente r évolutionnaire. M gr de Saint-Luc,

évêque de Quimper, âgé de 65 ans, traînait une santé
languissante quand furent convoqués les Etats-Généraux.

Les tracas et les chagrins que lui causa l'installation du
nouveau régime hâtèrent sa mort qui survint le 30 sep­
tembre 1790. Son frère, Gilles-René Conen de Saint-Luc,
ancien président à mortiA r au Parlement de Rennes,
résidait au châ teau du Bot, en Quimerc'h. Resté fidèle
au roi, lors de la lulle du Parlement contre la royauté, il
avait été l'un des Ifs et membre du Parlement d'Aigui.llon.
Lui aussi, las des v exa tions que lui avaient fait subir à
Rennes les parlementaires rentrés en grâce, avait pris,
dès 1775, une retraite prématurée dans la gentilhom-

mière du Bot, patrimoine de sa femme, Marie-Françoise
du BoL.
Le président de Saint-Luc avait eu de nombreux en­
fants, nés à Rennes entre 1758 et 1770. A la veille de la
R8volution, l'aînée des filles, Victoire, était religieuse
de la Retraite à Quimper (1 ). Ses sœurs, Angé!ique el
Félicité, avaient épousé, la première le comte Toussaint
de Silguy, la seconde Jacques - Louis de Lantivy, et
toutes deux: étaient mères de famille. Euphrasie, née en
1765, était célibataire ; elle épousera, après la Terreur,
Gilénolé Le Saulx de Toula ncoat. Les deux fils, Ange et
Athanase, âgés respectivement de 21 e t de IG ans, étaient
(1 ) A. Crosnier, Une Dame de la Rp,traite de Quimper, martyre sous

entrés, le premier dans l'armée et l'autre dans la marine.
Le père, la mère et leur fille Victoire, accusés de
menées contre - révolutionnaires, moururent le même
jour sur l'échafaud, à Paris, le 19 juillet 1794. Ange de
Saint-Luc, ayant émigré et participé à l'expédiLioI;l de
Quiberon, fut pris et fusillé au début d'août 1795.

La famille du Bot avait fourni à la marine, au XVIIIe
siècle, plusieurs officiers distingués. Charles-Jacques,
dont la fille épousa Gilles Conen de Saint-Luc, avait été
capitaine de vaisseau et chevalier de Saint-Louis. Ses
sœurs épousèrent des officiers de marine. L'un de ceux-ci,
Louis Billouard de Kerlérec, d'origin~ quimpéroise, fut
gouverneur de la Louisiane de l752 à l769 (1). Son frère,
Jean-Louis du Bot, avait été capitaine de dragons.
Ange Conen de Saint-Luc suivill'exemplede son oncle
et choisit l'arme de la cavalerie. Vers 1788, il obtint une
sous-lieutenance dans le régiment français de Deux-Ponls,
qui avait pour lieutenant-colonel Christian de Deux-Ponls,
comte de Forbach. Une sœur de ce colonel, Caroline de
Deux-Ponts, avait épousé un gentilhomme brelon, César
Le Gac de Lansalut, seigneur du Hilguy, en Plogaslel­
Saint-Germain (2). M. et Mm. de Lansalut, ayant habité
Quimper, avaient eu certainement quelques rapports
avec Mgr de Saint-Luc et c'est peut-être à ces rapports
que Ange de Saint-Luc dut d'entrer au régiment de
Deux-Ponts.
(i) H. Bourde de La Rogerie, Les Bretons dans la Louisiane française,
dans le Bull. de la Soc. archéol. du Finistère, 1904, p. 290.
(2) J. Trévédy, La maison nO 17 de la rue Saint-François de Quimper,
bjoph

puimper i898, p. 46.

.' Quoi qu'il en soit, en août 1788, Ange de Saint-Luc est
à Sarreguemines. Cette petite ville, située au confluent
de la Sarre et de la Bliès, sur la fronti ère de la Prusse
Rhénane et à 5 kilomètres de la frontière du Palatinat,
était à ce moment la capitale militaire .de la Lorraine
allemande (1 ). Dans celte contrée rude où la vie de gar­
nison est sans charme, loin de sa Bretagne, le jeune
officier se trouve dépaysé. Seul le souci de poursuivre
honorablement la carrière des armes l'attache à ce

« pays oublié du monde », ce « pays maudit ». De temps
à autre pourtant, au cours des manœuvres , il rencontre

quelques compatriotes et il n'omet pas de signaler à ses
parents ces heureuses circonstances. C'est ainsi qu'il se
réjouit d'avoir rencontré, en 1788, M. et M me de Lansalut
venus du lointain pays de Quimper pour revoir leurs
parents de Lorraine et du Duché de Deux-Ponts.
Au printemps de 1789, Ange de Saint·Luc est en congé
de semestre au Bot; il Y demeure jusqu'au milieu de
mai 1789. Au moment où il doit rejoindre sa garnison,

Mgr de Saint-Luc est gravement malade à Quimper. Le
président de Saint-Luc est au chevet de son frère; Ange
est plein d'inquiétudes au sujet de son « pau vre oncle» (2) .

(i ) Cette partie de la Lorraine étai t dite allemande, par opposition à
la Lorraine propre, dont la capitate était Nancy.
(2) Mgr de Saint-Luc ne voulut pas assister à la derni ère tenue des
Etats de Bretagne. Son abstention fut motivée, sP lIJble-t il, par certains
« désagréments qu'on avait voulu lui donn l'r » à la session préc~dente .
De même, « il se refusa, malgré les conseils de ses paI ents et de ses

amis, d'aller à Saint-Brieuc pour la convocation du haut-clergé et de la
noblesse » . (LeUre de Du Rosel à M. le Président de Saint-Luc, 7 avril
i789.) D'ailleurs, l'état de santé de l'évêque n'l'· ût pas permis ces
longs voyages. Entré en convalescence, à la fin d'avril, M gr de Saint-Luc
se promettait de passer quelques semaines de rl'pos au Bot. « Voilà les
beaux jours. écrivait, le 7 mai. M. Du Rosel au préside .nt de Saint-Luc,
et j'espère que vous allez l'engager à vous aller, au bon air, au Bot.
C'est tout Je que vous pouvez, J'un et J'autre, faire de mieux. Se pro-

Néanmoins, il se met en route, passe par Rennes où il
s'arrête quelques jours et arrive à Paris, le '23 mai. Il a
voyagé en chaise de poste, avec un compagnon de route,
peut-être un camarade de régiment. Avant de quilLer
Paris, il informe son cher papa et sa chère maman des
incidents de son voyage. .

Paris, 25 mai 1789 .
« ... Nous arrivâmes ici samedi 23, à 11 heures du malin,

étant parti de Rennes le jeudi à 6 heures du matin.
Après diner,. je fus voir la petite dame de Champeaux. De
là, je fus voir les demoiselles Hardy qui me sautèrent au
col en me voyant, (chose qui ne laisse pas que d'être fort
agréable pour un cavalier de 21 ans). Je poussai ma tournée
jusque chez M. Desnos.
Nous partons ce soir à 7 heures. ·Je trouve que l'air de
Paris est furieusement cher malgré toutes les économies
possibles car je n'ai encore pris aucun fiacre ni été à aucun
spectacle. Mon oncle et ma tante furent hier à Versailles
de sorte que je n'ai pe.s pu manger chez eux. Aujourd'hui,
je dîne chez M. du Rocheret. » (1).

mener dans vos bois et vos jardins lui vaudra mieux que le local de
Quimper où, point content de tout ce qui se passe, la digestion se fait
mal. » Puis. le 4, juin ; « Vous m'avez bien marqué que vous deviez
aller la semaine dernière à Quimper pour y prendre et amener votre
lt'ère au Bot; mais vous ne me disiez pas que sa convalescence avait été
troublée. Vous me dites que tout est venu au bon ordre et qu'enfin il se

menage. »
La guérison parut complète à la fin de juillet; mais l'évêque ne dut
pas sui He très ponctuellement le régime qui lui avait été recommandé,
car, le 27 juillet, M. Du Rosel lui reprochait affectueusement de faire
" tout ce qu'un individu est excusé de faire lorsqu'il a un estomac de
canard» (Archives nationales; W 4,23).
(:1.) 11 s'agit, peut-être, de François-Xavier du Rocheret, seigneur de
Kervenargant, en M eilars. M. du Rocheret émigra. Son manoir de
Kervenargant, où le député girondin Barbaroux trou va un asile en

En rentrant à Sarreguemines, Ange de Saint-Luc
rassent vivement la nostalgie des rives de l'Armo­
rique. Il ne peut dissimuler à ses parents l'impression
de solitude morale qu'il éprouve à se retrouver dans
« ce pays maudit » où tout lui semble hostile ' ou

ndifférenl. Toutefois, de bonnes nouvelles lui vien-
nent bientôt de la Cornouaille. Le Il juin, il a
confirmation de la convalescence de son oncle l'évêque

de Quimper. Mais voici venir des soucis d'un autre
genre : le régiment de Deux - Ponts est appelé à
Versailles.

Sarreguemines, 4 juillet 1789.
« . Tous les jours, on -envoie des troupes aux environs
de Paris. On dit qu'il va y avoir un camp de 30.000 hommes.
Nous avons reçu un ordre, hier à 2 heures après-midi, pour
partir pour Versailles et demain à 7 heures nous nous
mettrons en route sans savoir si nous recevrons contre­
ordre. Tout ceci devient fort sèrieux et fait faire de bien

tristes rèflexions. »
On sait qu'après la séance royale du 23 juin, la
reine et le comte d'Artois décidèrent le roi à une
résistance armée. Avant le renvoi de Necker, des
troupes an nombre de 25.000 hommes stationnaient
déjà aux environs de Paris. Le régiment de Deux-Ponts
ne devait arriver à destination, près de Versailles,
que vers le 25 juillet. On voit par l'exemple de ce
régiment que d'autres troupes avaient été appelées.
Le projet de résistance était donc sérieux. Il est vrai­
semblable que, si les évènements du 14 juillet n'avaient
pas déjoué les projets de la cour, il Y aurait eu,
yers la fin de juillet, autour de Paris, des troupes
si nombreuses qu'aucun mouvement populaire n'eût été

Vaucouleurs, 10 juillet 1789.
« . Arrivés ici à Il heures après fi jours de marche par
des chaleurs cruelles, ayant encore 15 jours de marche (1 ).
Il paraît que nous allons camper dans la plaine de Sablons
jusqu'à ce que tous les troubles soient tout à fait apaisés
On dit même que nous ferons le service à Versailles et que
nous serons chargés de la police intérieure de Paris.
Les affaires paraissent L ourner mal et il est . probable
qu'il y aura quelque coup d'éclat. Le roi rassemble autour
de lui la moitié de ses troupes et l'on prétend que nous
serons 60.000 aux environs de Paris. Plût à Dieu que cela en
imposât et que nous ne soyons pas obligés de répandre le
sang de nos compatriotes; mais on craint pourtant bien
que nous soyons obligés de punir les mutins et que le roi

soit for cé de faire un coup d'autorité. La noblesse et le

militaire paraissent bien disposés et sûrement à la moindre
révolte nous marcherons. Dieu veuille calmer les esprits et
ramener la paix au milieu d'une crise aussi violente.
Nous avons été de Sarreguemines coucher à Morhange
et de là à Vic, de là à Nancy où j'ai dîné avec six compa­
triotes du régiment du Roi; de là à Toul, puis à Vaucouleurs
où nous séjournerons demain.
Nous avons vu dans la Lorraine des blés de toute beauté;
je désire que chez vous ce soit de même et il est inoui
qu'avec de si belles apparences le pain soit si cher! Il faut
qu'il y ait quelque chose là-dessous et qu'on cherche à
mettre la discorde.
Mandez-moi un peu comment tout sé passe en Bretagne
eL si la désunion y règne encore.
Excusez mon gribouillage, mais la main me tremble en
descendant de cheval. »
(i) Comme le régimeut de Deux-Ponts emporlait tous ses équipages,
sa marche était assez lenle . Les étapes étaient, en moyenne, de 26 kilo­
mètr~ et. conformémfUt aux règlements de l'époque, après trois jours
de marche, le régiment prenait un jQur de repos, à moins de circons­

Ange de Saint-Luc semble attribuer la cherté excessive
du pain à des manœuvres d'accaparement inspirées par
la cupidité ou la malveillance. Certes, la spéculation sur
les grains était une pratique courante au XVIII' siècle.
Mais il ne semble pas cependant que cette spéculation ait

particulièrement joué en 1789. La cherté s'expliquait par
la pénurie. La récolte de 1788 avait été très déficitaire.
En Cornouaille, par exemple, il y avait eu «un tiers moins ,
de récolte qu'aux années ordinaires ». Les blés exportés
en 1788 avaient été payés environ 5 livres le boisseau 4e
seigle et 10 livres le boisseau de froment. En 1789, la
disette se fit cruellement sentir et il y eut, à partir du

mois de mai, à Pont· Croix, Douarnenez, Quimper et

Pont-l'Abbé, des émeutes occasionnées par des tentatives
d'exportation. Le prix du boisseau dépassa 12 livres pour
le froment et 6 livres pour le seigle. Ces priX étaient
considérés comme exol~bitants puisque les artisans de
Pont-l'Abbé. estimaient que le boisseau de seigle ne devait
jamais dépasser le prix de 4 livres.
Quoi qu'il en soit, le renchérissement était d'environ
90 % par rapport aux prix moyens constatés dans les
apprécis des marchés de Quimper au milieu du XVIIIe
siècle. En 1789, les bourgeois de Quimper reconnaissaient
que l'exportation devait être absolument interdite quand
les prix de , ces céréales dépassaient 12 livres et 6 livres.
- Les froments achetés en octobre 1789, aux environs de
Douarnenez et dans le Cap-Sizun, pour l'approvisionne­
ment de 'Brest, furent pay'és 12 livres le boisseau. A ce
moment encore on craignait la diselte (1).

(1) Archives du Finistère, Sie B : Cahiers de doléances de Pont-l'Abbé
(artisans.), Quimper. Arch. d'Ilte-et-Vilaine, C. i655, i675. -
Arch. municip. d'Audierne, rég. des délib. 22 octobre f789.
Cf. B. Pocquet, Les origines de la Révolution en Bretagne, t. Il, p. 2i
et sq. A. du Châtellier, Recherches statistiques, III, p. H5. '

Vitry-le-François, 20 juillet 1789.
[reçue, au Bot, le 30].
MON CHER PAPA,
« '" Nous avons reçu contre-ordre à La Fère-Champe-

noise où nous sommes arrivés le 17, ayant fait 70 lieues (1).
Nous en sommes partis, le dimanche . 19, pour nous en
retourner à Sarreguemines.
Demain nous partirons pour SI-Dizier, ayant encore 12
jours de marche. Nous séjournerons à Joinville puis à
Nan~. .
On dit, Dieu merci, que tout s'apaise, mais je crains bien
que cela ne dure pas. Vous savez, sans doute, toute la
rumeur qu'il y a eu; je rie vous en parle pas. La Bastille est
démolie, le gouverneur a eu la tête tranchée, Mf Flesselles,

la cervelle brûlée et M. Foullon [a été] empClisonné (2). Tous

les princes ont quitté Paris (3) et toutes les troupes s'en

retournent; mais ce n'est pas sans échec car le régiment de
Royal-Dragons a perdu, dit-on, beaucoup d'hommes. ' Mais

on ne sait rien encore de positif.
Tout le peuple est ici (à Vitry) comme fou. On a chanté
aujourd'hui le Te Deum pour remercier Dieu de la paix qui
commence, (dit-on), à régner dans les affaires. On a tiré le
canon et on criait par toute la ville « Vive le Tiers-Etat! » .

(i) On sait que. le 8 juillet, une députation remit au roi une adresse
de l'Assemblée nationale demandant le renvoi des troupes 'stationnées
autour de Versailles. Non seulement le roi ne déféra pas â ce d6sir mais
il n'arrêta pas la marche des régiments qui avaient été ·appelés. Le
contre-ordre ne fut donné qu'au lendemain de la prise de la Bastille.
(2) La nouvelle était, à ce moment, inexacte, !ln ce qui concernait
Foullon, conseiller d'Etat et ancien intendant chargé, en juillet, de
l'approvisionnernenl de l'armée sous Paris. Après la' prise de la Bastille,
on fit courir le bruit de sa mort afin de 'e soustraire aux vengeances
populairps. Il ne fut arrêté que le 22 juillet à Vitry. Ramené à Paris, il
fut pendu à un reverbère. Son gendre Berthier périt le même jour et
leurs têtes furent promeIlées sur des piques dans les rues de Paris .
. (3) Le comte d'Artois quitta la cour. le :1.7 juillet, pour se rendre à

Il Y avait dans l'église plus de 2.000 personnes avec des
cocardes bleues et rouges (1). Ils ont l'air d'être tous fous.
J'embrasse mes petites sœurs, mes frères, particuliè­
rement le chevalier, s. ans oublier le bon prieur. »
Sarreguemines, le 1"' août 1789 .

Jlt):ON CHER PAPA, ,
« " . [J'ai appris] l'entière gùérison de mon cher oncle.
Nous voilà arrivés. Nous avons fait 140 lieues et cela fort

inutilement. Vous n'avez pas idée des désagréments que
nous avons essuyés par la manière désagréable dont on
nous recevait. Heureusement qu'il ne nous est arrivé aucun
accident, mais si nOus avions encore fait 10 lieues, nous
étions peut-être tous taillés en pièces, car tous les villages
s'étaient rassemblés pour nous tomber sur le corps.
Il se commet partout ici des choses affreuses et il n'y a
plus aucun frein . Toutes les villes des environs se révoltent
et plusieurs . des troupes se laissent corrompre. A Metz, on
a mis à prix la tête du bon maréchal de Broglie et la gar-

nison est corrompue. A Strasbourg on a démoli de fond en
comble l'Hôtel de ville et brûlé et déchiré toutes les archi ves .

A Nancy, on s'est aussi révolté mais la garnison s'est bien
montrée.
Tous les voyageurs sont insultés et plusieurs ont été tués,

ayant pour crime d'être gentilshommes. Plusieurs châteaux
de particuliers ont été pillés et brûlés. La maison de cam­
pagne de l'évêque de Metz a eu le même sort. La France
touche à sa décadence et la misère va devenir affreuse car

outre la guerre civile on a encore à craindre la famine. »
(i) Le 20 juillet, à Vitry, les citoyens portaient la cocarde rouge et
bleùe, â. l'instar de la milice bourgeoise de Paris, au i4, juillet. La
cocarde tricolore ne fut inaugurée que le i 7 juillet, lors de la réception
du roi â. l'Hôtel de ville de Paris. Mais les détails de la cérémonie du i 7
n'étaient, sans doute, pas encore connus à Vitry; dans la matinée du 20.
La cocarde tricolqre fut portée pour ia première fois, à Quimper et il
Brest, le jeudi 23 juillet. ..

La Bretagne passait poUt' une province indisciplinée
et prompte à la révolte. Les bagarres sanglantes de
Rennes, à la fin .de janvier li89, avaient une fois de plus
accrédité la légende. Cependant, à l'époque de la « grande
peur », la Bretagne demeura relativement calme. En

Co'rnouaille et Léon notamment, l'ordre fut généralement

maintenu. Certes, l'effervescence y fut grande comme

dans le res te du royaume. Les récits des évènements de
Paris, déformés et amplifiés, semèrent de vives inquié­
tudes jusqu'au fond des cam pagnes. De fausses nouvelles,
des bruits de complots circulaient de tous côtés. « Dans
ce temps-ci, tout le monde ment », écrivait à M.le prési­
dent de Saint-Luc un de ses amis du Léon. Brest, disait-

on, allait être livré à l'ennemi. Les paysans parlaient de
se porter en armes sur les villfls pour s'emparer de leurs
seigneurs, nobles ou bourgeois . . A Brest, les troupes
meuaçaient de se saisir de leurs chefs. Les nobles, ne

sachant s'ils devaient demeurer dans leurs maisons de
campagne ou rentrer dans les villes, craignaient la

populace, tandis qu'en revanche on prêtait aux privilégiés
les plus noirs desseins. On vivaiL dans l'atlenLe d'évène­
ments mystérieux et l'on voyait partout des suspects.
C'est ainsi qu'à Plogoff, le 1

août 1789, on arrêta, poUt'
la transférer à la prison d'Audierne, une pauvre paysanne
de Keridreuff en' Plouhinec, parce qu'elle cherchait à
s'embarquer pour l'Ile-de-Sein (1).

Pour assurer la sécurité publique, la bourgeoisie fît un
vigoureùx effort, à la fin de juillet. A son instigation,

(i) Les procès-verbaux du Comité permanent d'Audierne (une quin­
zaine'de délibérations pour le seul mois d'aOllt i789) retrac~nt de façon

jusque dans les plus petites villes, des Comités ou Conseils
permanents se substituèrent aux anciennes municipalités
trop timides et leur premier soin fut d'organiser un déta­
chement de milice municipale. Ainsi procéda-t-on à
Douarnenez, Pont-Croix et Audierne, comme à Brest et
Quimper. Même à Saint-Pol-de-Léon, où cependant la
noblesse et le clergé n'avaient rien perdu de leur crédit,
on sentilla nécessité de créer, « pour assurer la tranquil­
lité publique », un conseil permanent « à l'exemple des
autres villes de la Province )J. Tout d'abord, l'Evêque,

quelques membres du clergé et des nobles entrèrent dans

ce conseil; mais peu de jours après, le 16 août, ils durent
s'en retirer, «( comprenant que leur nomination pouvait
n'être pas conforme au vœu de tous les citoyens ~. Dès
lors, la bourgeoisie assuma seule la charge du maintien
de l'ordre (J ). .

Chose étonnante, nos paroisses rurales ne se conten-
tèrent pas, à cet égard, de suivre passivement l'impulsion
venue des villes ; elles prirent d'heureuses initiatives
dont il convient de leur faire honneur. Se fédére1', pour
garantir la sécurité publique, voilà ce que firent,' pett-

être les premières en France, les paroisses du Cap-Sizun.
Dès le 10 aoûl 1789, en effet, il y eut à Audierne une
véritable fédémtion capiste. Des syndics de paroisse, des

capitaines du guet, délégués des embryons de milice qui
deviendront bientôt des gardes na~ionales, accourus d'Es-

q uibien, Plogoff, Cléden, Primelin et Goulien se'dollnèreh t

rendez-vous à Audierne pOUl' se promettre, solennelle-
ment, un mutuel appui en cas de danger. L'adhésion des
ruraux fut toute spontanée et Mathieu Kerloch, du Mes­
meur en Goulien, pouvait déclarer au nom des citoyens

(i) J. Tanguy, Une ville bre, tonne sous la Révolution: Saint-Pol-de­
Léon, Brest i903, p. 35 et 37.

des campagnes « qu'il désirait dep~is lqnglemps l'union
propo. séej qu'il était aise de manifester ce sentimenl et
qu'il osait assurer qu'il était commun à tous l) (1) . .

Ainsi naissait, à l'extrême 'pointe de .l'Armorique, la
'fraternisation municipale qui devait s'étendre à loule la
France. Il convient de remarquer que la fédération capiste
précédaitde trois mois la fédération dauphinoise d'Etoi les,

de cinq mois la fédération bretonne de Pontivy et de
onze mois la grande Fédération nationale.

Sarreguemines, 11 aoùt 1789
[reçue, au Bot, le 20]
MON CHER PAPA,

'!' .. Vous avez sùrement vu les 26 articles qui suppriment ,

,tous les droits des seigneurs, entre autres tous les féodaux .

Je ne sais où cela va nous mener mais je crois que désormais
notre crédit et nos l'en Les ne seront pas bien considérables (2).

(i) Arch.' municip. d'Audierne, Reg. des délib. 1.0 août i 789.

(2) Ange de Saiat-Llic se méprenait sur la portée des décrels de
l'Assemblée nati.onale, des g, et 6 août 1. 789. Ces décrets n'élaient pas
susceptibles de réduire consid~rablement les revenus de ses parents, qui
consistaient s'urlout en rentes convenancières. D'ailleurs, la plûparl des
droits féodaux, y compris les dîmes étaient déclarés rachetables. Ces
droits ne furent vraiment .supprimés que par des décrets ultérieurs.
. Quelle pouvait être la situation de fortune de la famille de Saint-Luc?
A u rôle de 'la, capitation noble pour l'évêché de Cornouaille, en i 788,

M. de Saint-Luc ' figûre pour i50 livres. Sur les 4,08 cotes 'contenues ,
dans ce rôle, 1.2 -seûlement sont supérieures :à i50 line~ ' (Arch. 'du
Finistère, C. 58). . .'
La famille de Saint-Luè pouvaii donc êlre r~ngée parmi les plus riches
de la Corn· ouaille. Certes, elle était loin d'atteindre l'opulence du comte
de RoquefeUil, ' du marquis dû Gage ou du marquis de. Tinlépiac pu
même la richesse des marquis de Cheffontaines ou de Plo; lUc. Mais dans
la hiérarchie des ' fortunes, les Saint-Luc voisinai. ent, en rang très
énviable, avec les Saisy de Kerampuil, de Rosily, Euzenou de Kersalaün,
de Keratry, Du Couédic et de Moëllien .
En 1.790, Mme de Saint-Luc, écrivani à l'abbé ~oissière, précisait le
chiffre des revenus de la famille: « Il n'y a pas plus de 33.000 livres

de rentes dans la maison, avec les charges' ». Cité par A: Crosnier,

Pour moi, je crois que le meilleur métier ,et ,le plus
tranquille sera :de se mettre soi-même à la queue de, s~
charrue. Pour, moi, je le ferai avec plaisir si on change.'la
constitution des troupes, comme on le dit, car on prétend
qu'elles vont devenir nationales. »
Quand, vers le 10 août, on apprit en Cornouaille la
suppression de la féodalité, certains domaniers tentèrent
de contraindre leurs seigneurs à renoncer à la plupart
des droits qu'ils tenaient' des anciens usemenLs, notam-

ment au droit de congément. Çà et là, quelques seigneurs
futent molestés pour avoir usé de la facuHé de congédier
leurs vassaux ou pour en avoir exigé de trùp lourdes

« commisSIons» au renouvellement des baillées.M. et
Mm· de Saint-Luc avaient peut-être eu quelques inqui~tuqes

au s, uJet, de~ dispos~Lions peu c~)llcili~l.lltes de quelques-

uns qe leqrs propre~ vassaux.

Sarreguemines; 27 août 1789.

, « '.,' Ce n'est, pas sans émotion que je décachtete vos
, lettres, sachant tout le trouble qui vous environne. Que de
grâces n'avons-no,lls pas à rendre à la Providence, de vous
conserver saufs et tranquilles!
Il est bien vrai, aussi, que la plupart des gentilsl)ommes
,qui ont essuyé de si fâcheux contre-temps, se les sont : bien

altirés par leur conduite envers leurs v~ss~ux. C?,r, il est
probable qu'un gentilhomme vivant qans ses terres s'occu­
pant du bien de ses fermiers et aidant, à leurs b, esoins, les

faisant travailler, bien loin d'avoir q\lelque chose à craindre
de leur part eùt dl!. t~ouver, au contraire, en eux un soutien

et un appui. C'est cette id, ée, ma chère maman, ,quj m'a

toujours tranquillisé à votre sujet; car je n'ai pu imaginer
que des gens à qui vOllS ne désiriez que faire du o;en /!.ienl
pu se révolter contre vous. Mais hélas! où il n'existe plus
,ni respect, ni o):Jéissance, ni su~ordinl}tion, n~ pri~cipe~, ni

Ah ! ma chère maman, quel siècle! Que vous avez bien
raison de dire que la sotte et fausse philosophie d'aujourd'hui
n'engendre que crimes et horreurs!. .,. » (1 ).

Sa/'reguemir..es, 6 septembre 1 T89.

MON CHER PAPA ET MA CHERE MAMAN,
Je viens de recevoir enfin votre lettre du 23 qui me
tranquillise et me calme un peu les inquiétudes que votre
lettre du 18 m'.avait données car j'avoue, mon cher papa que

la visile de M.M. de Motreff n'a pas laissé que de m'in-
triguer un peu. Il est fort heureux qu'ils aiel1t été ainsi
arrêtés dans leur marche et qu'ils ne l'aienl pa~ . prolollgée
jusqu'au Bot car je crois que vous étiez dans. la résolution

de passer à peu près par tout ce qu'ils auraient voulu,

crainte de pis encore.

Vous me marquez que tout est à peu près fini. Que le bon
Dieu soit loué, car il n'était guère possible que c'eût été
plus loin sans qu'il y eût peut-être beaucoup de sang

répandu.

Nous autres ici nous sommes parfaitement tranquilles
car c'est un endroit oublié du monde. Mais il Il'en a pas été
de même partout. Le régiment de Belzunce qui était à Bar
a pensé être massacré. La populace de la ville en voulait à
M. de Belzunce qui en est colonel à cause de quelques étour­
deries qu'on lui reprochait, s'est assemblée autour du

quartier qu'ils ont environné, ont placé à l'entrée 8 'canons
chargés à mitraille et auraient exterminé tout le régiment
sans qu'il s'en fût échappé aucun, si M. de Belzunce à qui
ils en voulaient ne se fût livré lui-même entre les mains de
la milice bourgeoise qui avait juré répondre de sa vie.
La fureur du peuple a été si grande qu'ils n'ont pas plus tôt

aperçu M. de Belzunce qu'il est tombé sur lui une grêle de
balles qui ont tué autour de lui plusieurs bourgeois . de la

(il Celte lettre ainsi qu'un fragment de la lellre du 6 septembre ont
été cités par A. Crosnier ,op. cit. p. 236 et 355. "

milice qui le gardaient et l'ont percé de Il coups, Le
malheureux n'est pas plus tôt expiré qu'on le promène par
toute la ville, On ne s'est pas contenté de ce trait de cruauté.
On a poussé la barbarie jusqu'à l'ouvrir et lui arracher le
cœur qu'un malheureux a saisi et déchiré avec les dents.
Le régiment a été obligé de sortir de la ville. Je le tiens
d'un officier de ce régiment qui a son frère dans ce malheu­
reux corps.
Je désire bien qu'il ne se soit pas commis en Bretagne de
pareilles horreurs quoiqu'on ait dit pourtant que c'était la
province le plus en feu.
J'espère bien à la fin du mois partir pour vous embrasser.

«., .Non, ma chère maman, je suis bien revenu de mon
- erreur. Ne croyez pas que maintenant je prenne avec autant

de chaleur la défense de ce beau siècle de lumières. J'en suis

trop mal payé pour soutenir sa cause avec autant de'feu. Mais

que voulez~vous, les jeunes gens en veulent toujours savoir

autant que les personnes d'un certain âge et saut toujours

parlés à plaider pour leur temps. Pour moi, je vois bien que
je me blousais et que ce beau sièCle éclairé dont je faisais
tant l'éloge n'est bien plutôt que le siècle d'insubordination
et de barbarie. '
, Quelle catastrophe, grand Dieu ! et qui pourra jamais
croire que la nation française ait pu perdre la tête à un tel

pOlll .
Bien heureux sont ceux qui ont peu de biens, peu de
cj.ésirs et qui sont aimés de leurs alentours car je crois que

dans ce moment-ci plus on a de biens et ,plus on ,court de
dangers,
Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de

mon cher oncle. Il paraît qu'il est bien portant, qu'il s'aban-
donne à la bonne Providence et qu'il voit venir les choses
sans trop se chagriner. Quand vous le vairez (sic), faites-lui,
je vous prie, bien des amitiés de ma part. »
Adïeu, ma chère .et bonne maman. Permettez que votre

fils vous baise bien tendrement les mains et vous demande

voir et de recevoir vos lèçons, dont il profitera mieux qu
les années passées: car il croit que la cervelle commence à
lui venir, el il n'attend que le moment où il aura le bonheur
d'être auprès de vous pour vous montrer la suite de ses
résolutfons et vous prouver toute sa tendresse et touLe
l'effusion de son cœur. »

« M.M. de Motreff» qui s'étaient proposé de faire une
visite au Bot n'étaient autres que des paysans, domaniers
de M. de Saint·Luc, à qui l'on avait fait croire que la sup­
pression 'des droits féodaux entraînait la destruction du
domaine congéable. Ces domaniers, ou comme on disait
en ce temps·là, ces , « vassaux» avaient conçu le projet de
se rendre en armes auprès de leur seigneur pour le
sommer de lem' livrer les titres établissant le caractère

domanial de leurs tenues.
Dès que les décrets des 4 et 6 août ' furent connus, un
commencement de jacquerie éclata dans la région de
Carhaix, Les quatre paroisses contiguës, Motreff, Plévin,
Sainl-Hernin et Spézet se distinguèrent à cette occasion (1).
C'est ainsi que, le JI août, le tocsin sonna à Spézet, à
4 heures du matin pour rassembler les domaniers. Ceux­
ci se portèrent en troupe sur le château de Kerlouet où
habitait Mm. la comtesse de Roquefeuil. (( Mm. de Roque­
feuil refusant ses titres, les vassaux, sans pitié pour son

âge, lui passèrent une corde sous les bras et, à plusieurs

reprises, la plongèrent dans un puits, lui réd~mant à

(:1. ) Sous la Restauration, les mêmes paroisses se soulevèrent encore
« à l'occasion de quelques cODgémeDts laits à Spézet et qui leur sem­
blaient menacer la popriété rurale. L'intervention de M. du Laz, tl'ès
aimé des paysans, Iut décisive pour le rétablis' semen! de l'ordre,. G. Le
Jean, Annuaire de Brest et du Finistère, Brest, i85i, p. !78.

chaque plongeon la remise de ses titres, A bout de forces,
Mme de Roquefeuil se rendit et les titres furent'brûlés, D (1)
L'attitude des paysans de la région de Motreff ne résul­
Lait pas d'un malentendu, mais d'un plan netLement
concerté en vue de l'expropriation des seigneurs fonciers

(2), En certaines paroisses, les domaniers cessèrent de
payer les rentes convenancières et se mirent à exploiter,
pour leur propre compte les bois fonciers, (tous les arbres

autres que les fruitiel~s proprement dits), considérés par

les usemenls comme propriété exclusive des seigneurs,
La lettre suivante adressée à Mme la comtesse de Saint­
Luc, le 9 mai 1790, montre que les paysans de Molreffne
renonçaien t pas à leurs pl'éten Lions.

« Ce 9 mai 1790

MA CHERE PETITE AMIE, .
« ". Comme on avait flatté le paysan de la suppression
de nos domaines congéables, il y a plusieurs paroisses, aux
environs d'ici, qui ne veulen t point payer les rentes aux '

seigneurs et les seigneurs n'osent rien dire crainte de pis
encore, Aussi, ces braves gens ravagent-ils toutes les tenues

et voit-on, à Carhaix, arriver sans cesse des charretées de
bois de seigneurs que les colons ont abattus, sans autre

forme de procès, Vous n'êtes pas plus ménagée qu'une aut.re,
(i) J Trévédy, La Famille de La Tour d'Auvergne-Corret, broch.
in-So , Quimper, 1906, p.40,
(2) La Constituante n'apporta pas de profondes modifications au régime
du domaiue congeable, La loi du 6 aoüt i 791 maintint aux propriétaires
fonciers le droit de congément, mais elle accorda aux domaniers le droit
corr~lali! de provoquer le remboursement dd la valeur des édifices et
superfices. La Législative, (loi du 27 août 1792), donna complète satis­
faction aux domaniel's en les rendant propriétaires incommutables du
londs, moyennant l'affranchissement de la rente convenancière. Les pro­
priétaires fonciers crièrent à la spolia tion j ils obtinrent, le 30 oclobrl'
1797, l'abrogation de la loi du 27 août 1792 et, dès lors, on se borna à
appliquer les dispositions de la loi de i79L

ma chère amie. Je vous assure que l'on vous en abat tant
que l'on peut à Motreff. J'ai été chargée de vous en prévenir.
Il y a surlout un de vos vassaux qui en a abattu 30 ou
40 cordes, pour les vendre. Un homm e de la paroisse a .
voulu s'y opposer et a été menacé d'un coup de fusil s'il en

parlait davantage. }) (1) .

Les confidences d'Ange de Saint-Luc à sa mère, dans
. la lettre du 6 septembre, sont fort instructives en ce qui
touche à l'état des esprits dans les classes pri vilégiées, à

la vellie de la Révolution. Il est avéré qu'à cette époque,
une bonne partie de la noblesse travaillait inconsciem­
ment à la ruine de l'ancien régime. Les idées nouvelles

avaient pénétré dans les milieux les plus aristocratiques.
Quel témoignage plus éclatant de la force d'expansion de
l'esprit philosophique que de le voir s'introduire dans les
familles les plus imbues de la tradition monarchique el
religieuse 1 Ainsi la famille de Saint-Luc venait, au prix
des plus durs sacrifices, de manifester envers le roi un
loyalisme à toute épreuve. Un de ses membres occupait
une place éminente dans l'Eg lise et, depuis longtemps

cette famille é tait toute dévouée à l'ordre des Jésuites .

Quel trait révélateur de la crise morale qui, au XVIIIe siècle,
a précédé la crise politique, que d'enlendre au sein de cette
famille un jeune homme de vingt ans vanter son « siècle
de lumières. » Pendant que l'oncle tonnait à Quimper
contre la franc-maçonnerie et les doctrines pernicieuses
d'un siècle d'incrédulité. le neveu se laissait doucement

entraîner par les théories des philosophes!
Du moins, Ange de Saint-Luc comprit, dès août 1789,
que les idées de rénoyation politique et sociale condui-
(i) Archives nationales: même carton. Cette leUre n'est pas signée ;
elle a dû être écrite par Mme de Roquefeuil ou Mme Saisy de Kerampuil
qui entretenaient des relations d'amitié av ec la famille de Sainl-Luc.

saient à la rnine de la noblesse. A sa mère, il confessa
humblement son erreur. Bien d'autres jeunes gentils­
hommes commirent la même méprise. « Voltaire entraέ
nait nos esprits, a écrit le comte de Ségur; Rousseau
touchait nos cœurs, nous sentions un secret plaisir à les
voir attaquer le vieil échafaudage qui nons semblait

gothique et ridicule» (1).

A la fin de l'été de 1789, le régiment de Deux-Ponts eut
pour mission de surveiller étroitement la frontière de
Lorraine pour empêcher toute exportation des blés {2) .

Le 17 septembre, Ange de Saint-Luc écrivait encore de
Sarreguemines. Peu après, il se rendit au camp de Fres­
caty, près de Metz où son régiment dut participer à des
manoeuvres.
Le 8 octobre, ayant obtenu un congé de semestre, il
quitta Sarreguemines pou r revenir au Bot. Il passa par
Paris mais ne s'y arrêta g uère, puisque, le 16 octobre, il
arrivaiLau chàteau de Keram puil (près de Carhaix), ayant
voyagé en chaise de poste en compagnie d'un camarade
de régiment. Le 18 octobre, il éorivait à ses parents :
« Je viens de remettre chez lui mon camarade Kerampuil.
Nous sommes partis de Sarreguemines, le 8 et arrivés ici
le 16 ». Use proposait de faire à cheval le trajet de Keram­ puil au BoL et, à cet effet, il priait son père de lui envoyer
une monture.
(i ) Comte de Ségur, Souvenirs et anecdotes sur le règne de Louis XVI.
(2) La Lorraine éta it une prov ince il l'instar de l'étranger effectif où
le commerce élait, en principe, libre avec les pays étran gers, mais non
avec le reste du royaume. En i7 89, élant donnée la disette, l'exportation
des grains y lut momentanément interdite.

Au moment où Ange de Saint-Luc séjournait à Keram­
puil, La Tour J 'Auvergne était en congé à Carhaix. Le
jeune lieutenant de cavalerie y renconLra-t-il l'illustre
Grenadier? Nous l'ignorons, car la correspondance s'arrête
ici. La Tour d'Auvergne n'était pas un inconnu pour la

famille de Sainl-Luc. Le P. jésuite Thomas Corret, oncle
de La Tour d'AuY el'gne, avait été le professeur et l'ami
du Président de Saint-Luc et celui-ci, par de chaleureuses
rp.commandations, avait facilité l'entrée de La Tour d'Au­
Yergne aux Mousquetaires du roi. En ce temps-là, la
présence simultanée, dans une petite ville comme Carhaix,
d'officiers venant de garnisons lointaines dut paraître un
évènement notable. Peut-être, la rencontre eut-elle lieu
entre le 16 et le 21 octobre, bien qu'à ce moment même
La Tour d'Au vergne fût occupé de la pacification entre
Brest et Lannion, au sujet de la fameuse affaire des

gralOs.
Vers le 22 octobre, Ange de Saint-Luc rentra dans sa
famille et nous le perdons de vue jusqu'en juin 1791. Lors
d8 la fuite du roi, par mesure de sûreté, le district de
Landerneau crut devoir mettre la famille de Saint-Luc en
arrestation aux Ursulines de Landerneau. Ange de Saint-
Luc partagea le sort de son père, de sa mère et de son
ancien précepteur, le prieur de Saint-Herbot, Hervé­
Rolland Le Guillou·Penanros. Sans doute, en cette circons-

lance, le bouillant officier ne se plia-t-il pas de bonne
grâce à toutes les exigences des gardes nationaux lan­
dernéens. Toujours est-il qu'il «( osa menacer un sergent
de la garde nationale, en fonction) de lui brûler la cer­
velle» ce qui lui valut un8 condamnation à 48 heures de
prison (1).
(i) Chanoine Peyron, Documents pour servir à l'histoire du clergé,
II, p. :1.7.

Aussitôt libéré, Ange de Saint-Luc résolut d'émigrer et, '
en vue d'un prochain départ,dutse concerter avec quelques
gentilshommes du voisinage. Des conciliabules nocturnes
furent tenus à cet effet dans les bois du Cranou etdu Nivot.
Au dossier du tribunal révolutionnaire, on trouve un billet,
signé du pseudonyme cc Pellerin », conviant Ange de
Saint-Luc à un rendez-vous, au Nivot, la nuit. La chouan­
nerie n'étant pas 6ncore née, à cetle date, il ne pouvait
être question dans ces entrevues clandestines que d'orga­
niser l'émigration.
Ange de Saint-Luc émigra, en effet, dès août 1791.
Quatre ans plus tard, il tentera l'aventure de Quiberon
ct, après un jugement sommaire, succombera, en ther­
midor an III, sous les balles des soldats de Hoche.
JEAN SA VINA.

109 ..
DEüXIÈME ' PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1924
PAGES

I. La thèse de Laënnec, par le D' LAGRIFFE . . " 3
II. Quelques réflexions sur les origines du peuple bre-
ton et sur la persistance de la langue bretonne
. d'après les écrits d'Albert Travers, par CAMILLE
. V ALLAUX. . . . . . . . . . . .

III. Les anciens manoirs des environs de Quimper
(sui te et fin), par 1. LE GUENNEC. . . . . .. 25
IV. Les mouvements populaires en Juillet et Août 1789
d'après quelques letlres inédites de Ange Conen
de Saint-Luc, par JEAN SAVINA . . . . . .. 46
V. Quelques mots sur l'Emigration bretonneen Armo­
rique, en réponse aux « Quelques réflexions l) ,
par J . LOTH. . . . . . . . . . . . . . .. 68
VI. Une rentrée des classes à Quimper, en l'an VlU,
par fI . W AQ UET .. . . . . . . . . . . . ., 74
VII. Vieilles chansons bretonnes. III Le Clerc de

Trom~lin, par 1. LE GUENNEC. .... . . 78
VIII. La ville d'Iso Ses origines, sa submersion, par
E. DELÉCLUSE. . . . . . . . . .. '.. 85
IX. Le clocher de Ploaré (étude architectonique), par
CHARLES CHAUSSEPIED [u ne planche J. . . . .' 92
X. Le dernier évêque de Léon: Jean-François de La