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Bulletin SAF 1924


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Les anciens manoirs des environs de Quimper (suite et fin)

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1924 tome 51 - Pages 25 à 45

DES ENVIRONS DE QUIMPER
(Suite et fin)

La réformation de 1536 à KerfeuDteun mentionne Henry
du Brieuc, seigneur dudit lieu et de Penvern, père d'écuyer
François du Brieuc, capitaine de la paroisse de Kerfeunteun
en 1568, qui fournit aveu, le 20 juin 1562, pour son
manoir du Brieuc où il demeure, avec ses maisons, courtils,
jardins, vergers, four, porte, pourpris, colombier, moulin
et issues, le Lout chargé de 50 sols de rente à l'évêque de
Cornouaille. En 1636, ce lieu était à Marc du Brieuc, fils
aîné de feu Pierre et de Marie de Lamprat, et valait 200 livres
de renLe. La branche aînée se termi.na avec Jean-Baptiste
du Brieux, dont hérita dame Marie Le Ny, morte avant 1720.
Son mari, écuyer Mathieu-Robert Hamon, sieur du Costier,

tuteur naturel d'Anonyme Hamon, leur fille, rend aveu en
. 1720 pour la terre du Brieuc, qui appartenait en 1754 à dame
Jeanne-Renée Le Ny, veuye de Corentin Lair, sieur de Lanri­
vain . . Elle habitait le manoir, et le cède cette année-là à
Maître Thomas Martin, notaire et procureur à Quimper, à
condition d'en jouir sa vie durant, et de toucher une pension
viagère de 1500 livres.
Devenu propriétaire du Brieux en 1776, l'honnête notaire
se hâta d'en fournir un aveu détaillé au fief des Régaires. La
maison principale, grand logis en pierres de taille aspecté au
midi, tombait en ruines; seul, le pavillon du bout d'occident,

triple portail fermait la cour close. Le nouveau seigneur, féru
de privilèges honorifiques comme tous les bourgeois acqué­
reurs de terres nobles, réclama des prééminences à.Kerfeun­
teun, deux tombes et droit d'enfeu dans la chapelle de la
Vierge, du côté de l'évangile; plus le patronage de la chapelle
de N,-D. de Kernilis, avec la propriété du placître et des
arbres, les premières prééminences de la chapelle de Saint­
Hervé, où les armes de la maison du Brieux décoraient encore
une des vitres, et enfin « le droit de pêcherie avec écluse sur
la rivière du Their n, Quant au manoir de Penvern, dépen­
dance du Brieux, il était alors affermé « pour 780 livres argent,
50 livres de beurre, 12 poulets, une écuellée de beurre frais
par semaine et du lait quand il en est besoin)) (1),
Actuellement, il subsiste peu de choses des vieilles cons­
tructions : un étroit pavillon en pierres de taille, à lucarne de
pierre et quatre fenêtres dont deux arrondies aux extrémités.
l'ancien puits, des pignons de granges et crèches dont l'un
percé d'une meurtrière, et deux ou trois portes en arc brisé
ou encadrées de moulures amorties en accolade.

En qaittant le Brieux, nous passons bientôt devant la cha­
pelle de N.-D. de Kernilis modeste édifice du xvre siècle avec

une fenêtre de chevet à deux panneaux et soumets flam-
boyants. Outre la statue de la sainte patronne, Vierge-Mère
Louis XlV, on y remarque une jolie $ainte Barbe gothique à
longue chevelure ondulée. une Sainte Philomène, et un saint
moine ou solitaire. en froc et camail à capuchon. longue
barbe, visage ascétique, tenant bâton courbé et livre, peut­
être Saint Herbot. Dans l'enclos, un monolithe cylindrique
qui a supporté un tronc pounait être un ancien lech, Au

(i) Archives du Finistère, t. G. 39.

milieu du hameau voisin se trouve une petite maison du
XVIe siècle précédée d'un beau puits orné au pourtour de sa
margelle d'un boudin en torsade et d'une inscription en partie
fruste; H : NEO : DE : MOULlOEN ; ET : MARIE CHE . . , .
Moulioen ou Moullouen est un hameau situé près de Cuzon
en Kerfeunteun.
L'ancienne route de Châteaulin, large piste délaissée que
le gazon peu à peu envahit, nou s conduit ensuite au sentier
qui a remplacé l'avenue du vieux mar::oir de Parc-Poullic. On

a beaucoup démoli et reconstruit au tour de la gentilhommière
primitive, mai. s celle-ci subsiste à peu près intacte. On y
entre par une élégante porte en anse de panier, surmontée
d'une frise horizontale de pampres de vigne, et accostée de
deux pilastres à pinacles bosselés naissant d'un fût tordu en
spirale, à pointes de diamant. Plus bas, le pilastre devient
prismatique, avec base et chapiteau moulurés. Nous rencon­
trerons ce mélange d e: gothique et de Renaissance aux portes
plus riches des manoirs de Coatbily et de La Forêt. Au-dessus
de l'arcade se voit un écusson chargé d'un rencontre de cerf,
qui se retrouve aussi à l'intérieur, sculpté sur le manteau de
la principale cheminée.
Ce blason d'azur au rencontre de cerf d'or est celui
de la famille Ansquer,-connue depuis Jean Ansquer, que la
Réformation de 1443 cite comme noble homme et demeurant
au Parc-Poullic. Son petit- fils Jean Ansquer parut en archer
en brigandine parmi les nobles de Cuzon à la montre de 1481 ;
il fut père de Charles, époux de Jeanne du Brieuc. Leur fils,
Charles Ansquer, rend aveu en 1540 au fief des Régaires
pour son manoir de Parc-Poullic, bois, moulin, terres, « et
outre est accoustumé ledit Ansquer comparoir aux monstres
du ban et arrière-ban et mandées d'icelles des nobles dlldit
pays de Bretagne et suivre le Roy nostre Syre en ses guerres
et aITaires fidellemen t. »
Louise Le Gentil, veuve du précéden t et tutrice de J ucquel

Ansquer, leur fils aîné, fournit aveu en 1556 et 1562 pour le
manoir de Parcpoulic, volier (colombier ~) , bois, moulin et
·étang. Gauvain Ansquer, sieur de Parcpoulic et époux de
Marie Rozerch, était capitaine de la paroisse de Cuzon en
1568. Son fils François, marié à Jeanne de Landanet, déclare
à l'arrière-ban de 1636 être âgé de 63 ans et ne pouvoir
servir. Le sieur du Parc-Poullic Ansquer figure en 1694
comme cavalier dans la dixième compagnie du ban et
arrière-ban de l'évêché de Cornouaille. Sa descendance s'est
fondue au dix-huitième siècle dans Keroulas, et écuyer Louis

de Keroulas, sieur de Kerversio, épollx de dame Mathurine-
Marguerite Ansquer, décrit dans s~m aveu de 1740 le manoir
de Parcpoullic avec son grand corps de logis, cour close,
applacement de fuye, jardins, vergers, moulin à eau, ruine
de moulin à vent, prééminences à Kerfeunteun et à N.-D. de
Kernilis. On trouve en 1757 Parcpoullic aux mains de Messire
René de Keroulas, enseigne des vaisseaux du Roi, et en 1781
en celles de Messire François-Louis-Marie de Keroulas,
demeurant à Treffry en Quéménéven (1 ).
Revenons vers Kerfeunteun et Quimper. Après vingt mi­
nutes de marche, un bouquet de ramures vénérables émer­
geant à droite nous signale le manoi~ de Keranmaner, bâti
presque au sommet de la colline que couronnait un moulin

à vent et qui cache dans l'un de ses replis le gracieux ora-
toire de La Mère-de-Dieu. Pierre de Quenechquivilly était
seigneur du lieu en 1536 . Quelques années plus tard, Keran­
maner appartenait à Jehan Furie, époux d'Anne Fily, qui y
résidait avec sa femme à partir de 1551. Remarié alors à
Jeanne Le Cleuziou, il fournit aveu en 1562 au fief de l'évêque
pour le manoir, bois taillis, pièces de terre, montagne, prés.
En 1636, noble homme Julien Furie, sieur du Run, avocat à
la Cour, déclare posséder le manoir appelé Keranmanoir en

(i) Arch. du Finistère, i G. U4 .

la paroisse de Cuzon, valant 100 livres de rente, en (l conllortie ~
avec Yves Furic, sieur de Tréfentec, Jacques Furic, sieur de
Kernabat, et les héritiers de Guillaume Furic, sieur de Troben .

Ce Julien Furic, « célèbre avocat dans son tems », dit
Kerdanet, et que Missirien saluait comme (l un homme de
singulière érndition, probité et mérite n, a laissé quelques
travaux, un Usemenl du Comté de Cornouaille, Paris, 1644,
et Rennes, 1664. in-4°; des Réflexions sur le gouvernement du
cardinal de Richelieu, Paris, 1648, in-4°, et des Entretiens
civils du sieur Furic, advocat, Paris, Journel, 165g, in-18.
Dans ce dernier ouvrage, dédié à Renée-Mauricette de Plœuc,
marquise de Carman, il se plaint de ne pouvoir trouver chez
ses compatriotes quimpérois d'assez beaux esprits pour appré­
cier la distinction du sien, mais il s'en console en composant
à l'avance l'éloge funèbre de ses amis. Le catalogue de la
bibliothèque de Nantes cite trois curieuses épîtres imprimées,
adressées en 1657, de Quimper et de Keranmanoir, par Julien
Furic, sieur du Run, à Guy Autret de Missirien, à François
de Visdelou, évêque de Madame et coadj uteur de Cornouaille,
et à Jean du Louet du Quijac, frère de l'évêque René du Louet,
0)1 il sollicite de ses correspondants la permission de les tuer,
011 tout au moins de les supposer morts, afin de pouvoir, sans
alarmer leur modes lie, les louer à son aise dans leur epicedium
on épitaphe latine, qui accompagne chacuue de ces lettres.
En ~68g, dame Marie du Stangier, veuve de noble homme
Ignace Furie, sieur de Keranmanoir, et tu trice de leur fille
Anne-Marie-Corentine, transige avec l'évêque de Cornouaille
au sujet du rachat de feu Messire Corentin Furic, recteur de
Loctudy. Sa fille apporta Keranmaner aux Kerléan, par ma-

riage avec écuyer Germain-Gervais-Budoc de Kerléan, sieur
de l'Isle. Après le décès de Messire René-Corentin de Kerléan.
capitaine des vaisseaux du Roi et chevalier de Saint-Louis,
survenu en 1766 à son château de Kerléan en Plourin-Léon,

guélen, seigneur deTrémarec, chevalier de Saint-Louis, héri­
tier en partie au maternel en l'estoc des Furie, qui fournit
aveu en 1775 à Mgr. Conen de Sainl-Luc. Cet aveu décrit le
manoir avec sa cour close, sa « porte cochère au midy sous
ceinture et voûle de taille soutenant un pavillon quarré fré­
quenté par un escalier à vis en pierres de taille formé dans
l'épaisseur du mur au couchant de ladile porle et aboutissant
à une plateforme .. , deux guér~les construites de taille. et
couverte d'ardoise aux bouts du levant et couchant de la
partie supérieure des murs du rnidy de la cour )), puits avec
(( engorgure )) et couronnement, auges, jardins, placître,
pièces de terre, bois taillis, etc. (1 ).
L'amiral de Kerguélen de Trémarec, qui rendit l'aveu ci ­ dessus, est fameux par ses découvertes dans les mers australes
de 1771 à 1774. Né à Landudal en 1734, mort en 1797, il fut
le dernier seigneur de Keranmaner. Rappelons qu'en 18l2,
le propriétaire du lieu voulaiL obliger le brave paysan qui
avait acquis la chapelle de La Mère-de-Dieu, alors délabrée
et découverte, en dessein de la restaurer, à démolir ce que ce
vandale osait appeler une « misérable mazure )). Il soutenait
que le fond lui appartenait et que les assemblées des diman­
ches du carême portaient préjudice à ses récoltes. Si le conseil

de préfecture n'avait pojnt débouté ce barbare, il rie resterait
plus trace aujourd'hui d'un des plus pittoresques sanctuaires
de la région quimpéroise.
Si Keranmaner a perdu le martial frontispice que lui for­
maient son portail surmonté d'un pavillon à mâchicoulis et
ses deux échauguettes d'angle, la porte subsiste du moins,
et elle est d'un grand effet avec ses pilastres carrés terminés
en pinacles, son arcade surbaissée à crossettes végétales, ses
lions sculptés, le manteau de lier· re d'où émergen l encore un
ou deux corbelets de sa galerie de défense. Au fond d'une

cour fangeuse se développe la façade du manoir, faite de
vieilles pierres noirâtres que broden t des lichens blancs ou
dorés. Celte façade, remaniée au XVII" siècle, est décorée d'une
porte à tympan courbe et de trois lucarnes arrondies canton-

nées de vases à godrons, dont celle du milieu présente un
écusson timbré, chargé des trois croix héraldiques de la
famille Furic. Le même blason, mi-parti d'autres armes indis_
tinctes, se déchiffre aussi dans un cartouche ovale, sur la
margelle du puits. Les chevronnières des deux pignons sont
garnies de crochets et terminées par des lions dont l'un, à
gauche, tient un écussou fruste.
Il n'y a à l'intérieur que quatre vastes salles. On pénètre
dans l'une d'elles, à gauche du vestibule d'entrée, par une
porte Renaissance surmontée d'un écusson ovale aux armes
des Furic alliées à un croissant posé en chef. Celte pièce pos­
sède une belle cheminée; celle de l'autre salle d'en bas a ses

consoles amorties par des têtes humaines. Les sablières des
plafonds, soutenues par des consoles de pierre, supportent
d'énormes poutres. La partie la plus remarquable du manoir
est l'escalier, magnifique vis de granit aux marches mono­
lithes moulurées par dessous, pourvu de niches d'éclairage
avec un pertuis pour l'échappement de la fumée. Il s'enroule
dans une tour carrée et se continuait, après le palier de l'étage,
dans une petite tourelle formant échauguette, qui a été sup­
primée. Des murs croulants enclosent les trois terrasses du
jardin, abandoimé et inculte.

Sans descendre jusqu'à la chapelle de La Mère-de-Dieu, où
nous retrouverions les armoiries des Furic sculptées par deux
fois au pied de la tribune, suivons sur la gauche, à travers
taillis, landes et friches, un sentier qui nous mènera dans le
vallon du Frout, à la route de Quimper à Châteaulin. De l'autre

côté du ruisseau, sur une petite butte arrondie et boisée,
nous apercevons les poivrières aiguës du manoir de Coatbily
qui pointent leurs girouettes à travers le feuillage. Ce manoir
a dû succéder à un château plus ancien, dont on distingue
encore la douve mi-comblée à l'ouest dps bâtiments. Perrot
de Quoitbilly figure en 1369 parmi les 60 écuyers de Jean,
sire de Beaumanoir, au service du roi de France, et en 1371
dans deux montres de Bertrand du Guesclin (1). Guillau me

de Coelbilly, commissaire à la Réformation de 1426 pour
Cuzon, était alors seigneur du lieu. Au siècle suivant, Coat­
bily appartenait aux Kerc'hoant ( 1536) puis aux Le Minee,
qui firent construire l'édifice actuel, comme en témoigne
l'inscription suivante, sculptée en caractères gothiques au
palier de l'escalier contenu dans la tourelle; L'an: mil V' L VlI
( 1557) ; Pierre : Le : Minec : me : fil : (aire.
Cette· inscription est accompagnée d'un écusson chargé de
trois (usées en fasce accompagnée de six besants.
En 1571, écuyer Guyomarc'h de Tréanna et Marie de Penlan
sa femme, sieur et dame de Poulras et de Kermenaouet, ren­
dent aveu au fief des Régaires pour les trois quarts du lieu et
manoir de Coatbily, dont l'autre quart était à d

- Marie
Rubiern, veuve de Guillaume Le Baron. Pierre Grasset, bour­
geois de Quimper, déclare à l'arrière-ban de 1636 posséder
le manoir de Coatbily en Cuzon, valant 60 livres de rente, et
provenant de l'héritage de Marie Le Baron. Puis en [679 nous
trouvons Coatbily aux mains de Marguerite Grasset, veuve de
feu écuyer Olivier de Poulpiquet, sieur de Goueletquer, et en
17 10, en celles de dUe Marguerite de Poulpiquet, dame de
Kerligonan. La famille Horellou le possédait en 1785 (2).
Coatbily est une demeure remarquable par l'élégance de sa

décora tion et le soin apporté à sa construction, toute en belles
(i) Dom Moriee. Preuves, l, i637-i655-~657.
(2) Arch. du Finistère, i G. i08.

pierres de granit bien appareillées. Malheureusement, une
notable partie en a été abattue, et cette destruction date de
loin, puisqu'en 1763 le manoir offrait le même aspect qu'au­
jourd'hui ; mais ce qui subsiste mériterait d'être étudié en
détail. Dans les sculptures du portail, dont le tracé général
est gothique, le style Renaissance apparaît sur les pilastres
prismatiques, ornés de croissants et de losanges alternés, et
sur leurs couronnements, sommés il gauche d'un chapiteau
feuillagé et il droite d'un grotesque. A u-dessus, les irois (usées
héraldiques des Le Minec sont toujours reconnaissables,
malgré le marteau révolutionnaire, sur un écusson incliné,
soutenu de deux lions et timbré d'un casque. Le même
écusson se retrouve aussi sur une pierre gisan t dans la cour,
près du puits, et qui est tombée d'une des deux gracieuses
lucarnes à coquilles, flanquées de pinacles curieusement
dissemblables.
Une vaste fenêtre à double croisillon éclaire la grande salle
basse, dont la monumentale cheminée était jadis couverte de
peintures héraldiqu es. Plus haut, une autre magistrale fenêtre,
il l'appui décoré d'une frise végétale, est accostée de deux
consoles destinées peut-être à recevoir des statues pieuses.
On gagne l'étage par un superbe escalier de pierre tournant
dans une tour aux murs épais de 1 mètre 20, et qui, carrée à
sa base, prend ensuite, par des amortissements en biseau, la
forme octogonale. Une fine tourelle ronde à cul-de-lampe y
est adossée. Sur les rampants du pignon Est, percé d'une
meurtrière batlant vers l'avenue, sont sculptés divers sujets,
un ange déployant une banderole chargée de lettres indis­
tinctes, un lion rongeant un os, un monstre ailé. Aperçues
de la vieille rabine montueuse qui reliait · le manoir à l'an-

cienne voie romaine de Qnimper à Morlaix, les tourelles se
dessinent noblement dans la ramure de quelques châtaigniers
séculaires et impriment à l'habitation une belle allure de
fierté seigneuriale. L'écrivain breton Narcisse QuelIien en fu t

frappé; dans son ouvrage : Loin de Bretagne, il a placé à
r:oatbily le bercea u ancestral et la résidence de Raoul de
Coatbily, l'élégiaque héros de ce livre.
Er;. suivant, à partir du carrefour voisin, la vieille route de
Cuzon à Briec, si agrestement accidentée et raboteuse, on
dépasse le hameau de Bécherel, aujourd'hui Bécharle, dont
le m anoir di sparu était en 1426 possédé et habité par Guil­
laume de Keraër, puis, sur la gauch e, l'allée qui m ène au
manoir de Penhoat, autrefois l'un e des premières terres de la
paroisse de Cuzon. Pierre de Kerinizan (alias Kernnzan ou
Kernysan), issu d'un cadet de la maisûn de Pon t-J'Abbé, en
était seigneur en 14 26. Son fil s Armel épousa Yvonne Guillot,
veuve en 148 1. et fu t père de Pierre de Kerinizan, archer à
deu x chevaux à la montre de 148 1 tenue à Carhaix . En 1496.
l-'évêque de Corno uaille fait don du devoir de bail ou de rachat
à Armel de Keriniza n, fil s du précéden t, à la prière de son
oncle et tuteur Jehan d e Keriniza n, pri eur de Saint-Nicola s
d l3 Poitiers, auqu(!'lle prélat déclare « désirer singulièrement
faire plaisir n.
Cet Armel épou sa Aliz de Trégouët et mourut en 1515. Leur
fils aîné Pierre est cité dans la Réforma tion de 1535 comm e
seig neur d e Penhoa t. Sa mère ava it, en 15 [6, fourni aveu au
fief des Régaires pour le manoir de Pencoet, rabines, bois
anciens et taillis. la montagne « fros te n ou vague de Rozla­
zarou, les lieux de Leuzreou, T y-M at-Formant, Kervilli c, le
moulin de Pencoel, eL c. Lui même rend aveu en [540 pour
les deux. manoirs de Pencoet-Doulou et Pencoet-Didreuz,
rab in es, pièces de L erre, ga renn es , « refu ges à conils n, bois,
tai llis et de fntaie, et se prése nLe en éq uipa ge d'arquebusier à

cheval à la mon tre de Quimper en 1562 .
Pierre de Kerinizan. qualifié dans les actes de « noble
escuyer 1) ou de « nobles homs n, ce qui in diqne une noblesse
di sting uée , mourut vers 1570. Il fut enterré dans l'enfeu de
ses ancêtres en l'égli se de Cuzon, sous une belle tombe à son

effigie. La dalle de ce mausolée, retrouvée en 1898 dans les
décombres de l'église, et cédée à M. du Châtellier pour ses
collections du château de Kernuz, a été dessinée et décrite par
M. E. Ducrest de Villeneuve dans le Bulletin de la Société
archéologique du Finistère Ct. XXVI, 1889, pp. 41 2-416). Mais
l'auteur de ce mémoire n'a pu identifier l'homme d'armes
sculpté en demi-relief sur la pierre tumulaire. Cependant, les
armes de la famille de K erinizan, ramage d es sires de Pont­
l'Abbé, et blasonnant comme eux d'or aLL lion de gueules,
sont facilem ent reconnaissables , quoique ( ( contournées» par
suite d'une erreur de l'artiste, sur l'écusson Renaissance
placé à la droite du personnage , ainsi qu'en mi-parti sur les
écussons ciselés aux angles supérieu rs de la dalle. Sans blâ­
mer aucunement M. du Châtellier d'avoir donné asile dans

son parc au mausolée de Pierre de Kerinizan, on peul regretter
que ce monument n'ait pas plutôt été conse rvé il Cuzon, où
il eut cons titué un précieux souvenir du passé dans la chapelle
sans intérêt rebâ tie sur les ruines de la vi eille église.
En 1604, écuyer René Hémery, seigneur de CheITdubois et
de Kerinizan, demeurant en son manoir de CheITdubois, rend
aveu à l'évêqùe pour ladite terre de ChelTdubois. autrement
Penhoat-Dollou, jardins, courtils, pourpris, parcs, bois taillis,
rabines, moulin à eau. Sa fille h éritière Julienne Hémery
. épousa un gentilhomme léonai s, éc uyer René de Penancoët,
seigneur de Keroualze, dont le fil s, Messire Guillaume de
Penancoë t, ch evalier, seigneur de Keroualze, Coatsaliou,
Kerboronné, Chefdubois (père de la fameuse duchesse de
Porsmouth , favorite du roi d'Angleterre Charles II), obtint
en 1657 la commutation en droit de rachat du droit de bail
prétendu par l'évêqu e sur sa terre de Chefdllbois. Celle-ci
avait passé en 1694, par voie d'acquêt, à Maître Jea n Le Livec,
sieur de Kerlivein, conseiller du Roi et son procureur au siège
présidial de Quimper (1).
Quoique demeuré ancien, le manoir de Penhoat ne
donne pas une haute idée de la puissance de ses seigneurs.
Il occ upe un e agréable situation, adossé à un e colline
esca rpée et boisée de 88 mètres, et tournant au midi
l'arcade de son portail d'entrée, pratiqué dans une robuste
muraille de granit, mais sans autre défense qu'une embra­
sure en œil-de-bœ uf. Ce portail, dessiné en tiers-point et
sobrement mouluré, est décoré d'un · tore sa illan t retombant
sur deux masques grotesques formant consoles. Au fond
d'une petite cour pavée, la façade en bel appareil du
corps de logis ouvre l'arc gothique de sa porte, à droite
de laq uelle une grande fenêtre à croisillon ajoure la salle
basse. Particularité peu commune, au milieu de cette
façade fait saillie une avancée rectangulaire, dans laquelle
on a logé l'escalier en granit qui mène au premier
étage, et que commande une meurtrière percée à l'angle

de la sa lle haute. Les fenêtres ont leurs embrasures garnies
de bancs de pierre. A l'an gle nord de l'arrière - fa çade
s'élève une tourelle carrée, drapée de lierre, contenant
un second escalier au pied duquel un cavea u précède
un sou terrain voû té en pierres de taill e que le propriétaire
actuel, M. Le Cœur, LI reconnu sur une lon gueur d'une
dizaine de mètres. De crainte d'accident, il a comblé ce
mystérieux passage en y jetant plusieurs charretées d'attraits.
Dans la cour, un puits à margelle octogonale est timbré
d'écussons martelés . Le moulin féodal, enfoui non loin du
manoir dans l'un des sites les plus délicieux de la vallée de
l'Odet, a inspiré au han poète Adolphe Pahan ce joli sonnet
mélancolique:

MOlLlin de Penhoat, qui sur tes murs agrestes
Vois courir en (es/ons les roses de Kerné,
Ton doux pays n'est pas le sol où j e suis né,
Mais j'aime tun ean vive et tes /'onages prestes .

T 37

Encore un peu de temps, la terre aura mes restes.
Un matin plein d'aurore, un soir illuminé,
Et pour moi, sous ton ciel, le· glas aura sonné .

Aurai-je le repos contre quoi tu protestes?
Non, mais abandonnant l'Armor, suave aux yeux,
J'habiterai, là-haut, quelque astre merveilleux
Qui te caressera de ses lueurs lointaines.
El toi tu tourneras, moulin de Penhoat,
Et les filles iront toujol.lrs en tes fontaines
Mirer leur coiffe blanche et leurs cheveux d'or mat (1).

De l'autre côté du vallon du Frout, le manoir du Loc'h

(loc'h étang) se devine dans ses jardins et ses feuillages.
La Réformation de 1426 ne le cite pas comme maison noble,
mais en 154 1, Maître J ehan Le Doucyc ou Dou Isic rend aveu
au fief des Régaires pour le manoir du Louch, maisons, cour,
colombier, « faulx a conilz » (fosses a lapins), bois taillis et
de futaie, le manoir de Becherell et le moulin Kerscau. Son
fils Jacques était décédé lors de la montl'ede 1562. Guillaume
de Kermerien, sieur du Loc'h, meurt en 1602, laissant cette
terre a sa sœur Françoise de Kermerien, femme d'écuyer
Charles Le Saux, sieur de Lanthon. Leur fils Michel Le Saux,
époux de Marie de Tréouret, fournit aveu en 1664 pour le
manoir du Loc'h; il laissa deux fils, Jean ct Olivier, déclarés
nobles d'extraction par arrêt du 10 janvier 1671. L'aîné,
Messire Jean de Saux, seigneur du Loc'h et de Missirien,
rend aveu en 17IO pour le Loc'h, maisons, cour close,
avant-cour, fosses à conils, crèches, aire, terres, moulin, et
meurt en 1714.
(il Adolphe Paban. Les Roses de Kerné. Maisonneuve, édit. i899, p. U.

Son fils Ronan-Joseph de Saux du Loc'h, réformé 'à la paix
de 1714 comme capitaine d'infanterie, se montra dès lors
assidu au x séances es Etats de Bretagne, où il fut longtemps. -
avec ses amis de Groësquer, de Chambellay, de Talhouët,
de Lescouët et autres, l'un des chefs de l'opposition dans
l'ordre de la noblesse. L'intendant Feydeau de Brou le dépeint
en 1724 comme (( ayant peu d'esprit, mais entêté et brutal,

croyant s'attirer la considération parmi ses confrères en sou-
lenantJes thèses les plus déraisonnables, cherchant à exciter
des cabales )) . Cette note malveillante signifie simplement que
M. du Loc'h savait défendre les privilèges de la province contre
les empiétements du pouvoir royal. Nommé en 1734 commis­
saire des Etats pour l'évêché de Quimper, il sollicita
vainement en 1738 la charge de procureur-général syndic,
devint membre de la commission intermédiaire en 1742, et
fut emprisonné à la suite des longs et turlmltueux Etats
de 1752(1).
Après la mort, en 1771, de ce patriote breton, son neveu
Messire Jean-Marie de Penfeunteniou, chevalier, seigneur de
ChefIontaines de Trévien, h érita le manoir du Loc'h et y fixa
sa résidence. Il était capitaine des vaisseaux du Roi et cheva­
lier de Saint-Louis lorsqu'il fut tué le 16 mars 1781 sur le
vaisseau le Conquérant clans l'escadre de M. de Ternay. Le
(( tuteur onéraire » de sa fille mineure Françoise, Maître
Pierre Danguy des Déserts, procureur à Quimper, rendit aveu
en 1782 pour le Loc'h, au nom de celle-ci (2). Le manoir a
été très rajeuni et ne présente plus, sur sa façade sud, que
l'apparence d'une hanale maison de campagne. Mais l'autre
face, épaulée d'un pavillon à comble brisé, garde encore,
avec ses fenêtres irrégulières, un certain aspect d'autrefois .

(i) B. Pocque!. Histoire de Bretagne (la Bretagne Province), VI,
p. i87-2ML
(2) Arch. du Finistère; i G. 53.

. Le chemin de Cuzon croise sur la droite, à uri kilomètre de
Penhoat. l'avenue déboisée du manoir de Kermahonet, bâti
à mi-pente du vallon du Frou t. C'est encore là une vieille
terre noble, que possédait en 1426 Charles Le Cbever, exempt
de fouages par grâce des paroissiens de Cuzon, et employé
comme témoin à la Réformation de 1443. François Le Chever.
sieur de Kerrnabonet, paraît en arcber Cil brigandine à la
montre de 1481. Son fils Jean, vivant en 1536, fut pèrè de
Charles Le Chever, qui fournit aveu en 1540 et 1543 au fief
de l'évêque pour son manoir de Kermahonet, valant 25 livres
de revenu, mais grevé de nombreuses rentes pour fondations

pieuses et autres cbarges qui ne devaient pas laisser grandes
ressources à son propriétaire. Aussi n'est · on point surpris de
voir Kermahonet saisi judiciairemeut peu après, et acquîs en
1548 par Maître Daniel Le Gubaër, qui en rendit aveu, en
1556, au cardinal Simonelta, évêque et administrateur de
l'évêcbé de Cornouaille. Son fils Jean Le Gubaër, époux. de
Margilie Le Digoys, était en 1564 bailli dela cour dès Régaires.
Au XVII" siècle, Kermahonet passa par mariage aux Le Goazr. e ;

ct écuyer Jacques Le Goazre, sieur de Kerlevic, Kermahonel,
fournit aveu en 1656 pour ce lieu qu'il tenait dela sticcession

de sa mère Marie Le Gllbaër. Marguerite de Trégouet, veuve
du précédent en 1670, maria sa fille béritière Jeanne Le Goazre
à Messire René de Penandreff, seigneur dudit lieu, capitaine
d'infanterie au bataillon-colonel du régiment de Picardie .

dont le fils Messire François-Joseph de Penandreff, chevalier,
seigneur de Penandreff, Keranstret et Kermahonet, rend en
1740 un intéressant aveu à la cour de l'évêque. Après s'être
inféodé du droit de « havage et coustllme )) sur toutes les
marchandises qui se vendent au placître de Rllbilien et aux.
dépendances de l'église et du presbytère de Cuzon.il réclame
en ladite église les prééminences et prérogatives suivantes:
dans la maîtresse-vitre deux. écussons: d'or à une croix pattée

d'azur chargée' de cinq roses d'argent et une mâcle au premier

chef (1); enfeu et tombe élevée, chapelle prohibitive du côté
de l'évangile, où il n'y a d'autres armes que celles ci-dessus,
celles de Penandreff qui sont d'argent à un croissant de gueules
surmonté de deux éloiles de même et celles de dame Jeanne­
Renée de Landanet, épouse de l'avouant, qui sont d'azur au
greslier d'argent accompagné en chef d'un fer de lance de
même, la pointe en haut, ( le tout timbré du cordon de che­
valier et autres timbres convenables à leur naissance» ; droit
exclusif de lizière dans celte chapelle; droit d'a voir une porte
particulière sur ladite église, au pignon nord de sa chapelle
prohibitive ; droit de recevoir tous les dimanches et fêtes les
honneurs du pain bénit, et du rameau bénit le dimanche des
Rameaux, de la main du recteur; droit de marcher aux pro­
cessions les premiers après le clergé, etc .. En 1774, Ker­
mahonet appartenait à son fils Messire Sébastien de Penan­
dreff, seigneur dudit nom, major du bataillon d'infanterie
garde-côtes de Pont-Croix (2).
Il ne subsiste plus de l'ancien manoir qu'un édifice du
xv· siècle, remanié et tronqué, offrant une porte gothiquè fort
simple, mais d'un tracé très pur, aux pieds-droits garnis
d'une colonnette ronde à base et chapiteau moulurés_ Les
fenêtres on t été privées de leurs meneaux et surmontées de
. linteaux en arc-de-cercle. Derrière la maison était une tourelle
qui fut endommagée par la chute d'un grand sapin vétuste,
et qu'il fallut abattre. A l'entrée de la cour, on voit, encastrée

à l'angle d'un pignon, une console figurant un petit person-
nage accroupi, les bras élevés; de l'autre côté gît dans l'herbe
une pierre sculptée qui représente un dragon d'assez belle
dimension, la gueule béante, le corps squameux, la queue
enroulée. Le ( dragon de Kermahonet» avait sa légende,
aujourd'hui à peu près oubliée.
(1) Armes probables de la famille Le Goazre, à laquelle l'Armorial
de i696 attribue: d'argent à la croix pattée de sinofle, cantonnée de
quatre molettes de sable.

Rejoignant la route nationale de Châteaulin et continuant
de descendre le vallon, qui s'encaisse et se creuse aux appro-

ches de Quimper, nous rencontrons à droite la propriété de
Tréqueffelec, où Maître Jehan de Coelanezre avait en IM4
deux métayers exempts. Son fils Jean de Coetanezre, seigneur
de Tréqueffelec, comparut en archer en brigandine à la
montre de 1481. En 1536, c'est encore un Jean de Coetanezre

qui possède Tréqueffelec, mais en 1556 nous trouvons ce lieu
aux mains de noble homme Thomas Guégan, époux de Marie
Colombe!, présent à la montre de 1562 parmi les nobles de
Kerfeunleun. Il rendit aveu la même année à l'évêque pour le
manoir de Tréqueffelec, maisons, cour close, bois taillis con­
tenant « une esleveure de terre appelée le vieux chasteau de
Kerfily Il, pièces de terre, deux moulins, etc .. En 1607, hono­
rable personne Martin de La Masse habitait son manoir de
Tréqueffelec, qui était en 1665 à noble homme René Pitouays,
docteur en médecine à Quimper, et dll. Marie Tréguer, sa
femme, sieur et dame de Penanrun, et en 1710 à la famille
de Kerloaguen. DII. Catherine Bougeant, femme de Simon­
Corentin Horellou, sieur de Penanguer, fournit aveu pour le

meme lieu en 1758 (1).
L'ancien manoir a été remplacé par une maison assez ché­
tive, bâtie en 1790 et flanquée à son extrémité est d'une sorte
de belvédère où l'on accède par un escalier extérieur. Les
dépendances, ainsi que le moulin, ont conservé quelques
ouvertures à moulures et accolades du XVIe siècle. Au-devant
de la cour, sur le placître, se dresse le fameux (( chêne de
Tréqueffelec .)J, l'une des merveilles du règne végétal dans le
Finistère. Il mesure 7 mètres 30 de pourtour au milieu du
tronc. On lui attribue sept à huit siècles d'existence. Malgré

l'ablation de quelques grosses branches desséchées, il est

encore d'un port splendide, et il étend bien loin autour de lui
sa coupole de ramures et de feuillage d'où s'échappe, aux
heures matinales de la saison des nids, un magnifique con­
cert de gazouillements. C'est alors en vérité le « vieux chêne

plein d'oiseaux» à quoi François Coppée comparait Victor
Hugo. NOllloin est aussi un très beau hêtre. Par malheur, les
dernières futaies de Tréqueffelec, naguère si opulentes, sont
sauvagement exploitées, et bientôt ces deux arbres vénérables
sembleront, parmi quelques rares baliveaux échappés au
massacre, deux patriarches pleurant sur la destruction de
leur tribu.

A l'angle de l'aven ue, tout contre le ca rrefour du chemin
de Kerfeunteun, ulle grande butte de forme ronde, en partie
éventrée par la route nationale, domine le ruisseau du Frout
et le moulin seigneuriaL C'est sans doute cette « esleveure de
terre appelée le vieux chasteau de Kerfily », ces « anciens
vestiges dits Caslel-Tréqueffelee » dont les archives font men­
tion. Quelques traces de douves sont visibles au nord-ouest,
. et la terrasse supérieure, tran sform ée en jardin, a un diamètre
d'environ 25 mètres. La Réformation de 144 l~ à Ketfeunteun
mentionne le lieu noble de Kerfily, où Maître ThébauL Guil­
lemot avait un métayer exempt; mais au XVI" siècle, cette
terre de Kerfily était annexée au domaine de Tréqueffelec.
Derrière le pensionnat Saint-Yves, sur la pente ensoleillée

qui monte vers l'église de Kerfeunteun, nous pouvons visiter
aussi le vieux p eLit manoir de Crechallan. C'est un logis sans
prétentions; toutefois sa façade, aux ajours variés, porte
Renaissance ,à tympan triangulaire et marmou sets soutenant
des urnes, fenêtres à croisillon ou encadrées de bandeaux,
œils-de-bœuf ovales .... haute gerbière à baie cintrée, ne man­
que pas d'un certain caractère. Thomas du Plesseis et Jeanne
de Kergadou sa compagne, sieur et dame de « Quenech­

« 0 ses yssues, largesses et appartenances, contenant un
journal de terre Il. En 1605, aveu est fourni par François
Brusseaulx et sa femme Catherine du Plesseis, sieur et dame
du Tertre et de Crechallan. Cette terre passa ensuite aux
DencuIT (1658), aux Bélard, et appartenait en 1705 à écuyer
Laurent- Guillaume de Kervenozael, sieur du Cosquer, comme
fils de feu écuyer Jean de Kervenozael et de dame Clémence
Marchand. En 1740, Crechallan était à Messire Louis·Guil­
laume de Kervenozaël, seigneur de Kerambris, dont la fille
Renée-Louise-Jeanne épousa d'abord Messire Jean Baillon,
maître des requêtes, intendant de la ville et généralité de Lyon
(aveu de 1763). Un autre aveu de 1776 la dit veuve de Messire
Joseph-Elisabeth de Cornulier, vicomte dudit lieu et de
La Touche, capitaine au régiment de Monsieur-Dragons, et
demeurant à Paris, rue Vieille-du-Temple (1 ).
Nous terminerons dignement notre longue et fructueuse
randonnée en visitant, sur le bord de l'Odet, le vieux et
curieux manoir de La Forêt, l'une des gentilshommières
quimpéroises les plus dignes d'attention qu'il nous ait été
donné de rencontrer au cours de cette promenade. Il a été bâti,
vers le milieu du XVIe siècle, par une famille Rozerc'h dont les
armes: un greslier accompagné de trois feuilles de houx, sont

sculptées au portail, sur la façade et sur le manteau d'une
cheminée de la salle haute. Le Nobiliaire de Courcy aLtribue
ce blason à la famille Mahault, sans cependant indiquer que
celle-ci ait possédé la terre de La Forêt. Mais s'il n'y a point
d'erreur dans cette altribu tion, il fau t alors admettre que les
Mahault et les Rozerc'h portaient les mêmes armoiries (avec
peut-être des émaux différents), car ce manoir appartenait
sans conteste, en 1550, à Maître Yves Rozerc'h, époux de
Guillemette Martin, lequel en a certainement été le construc­
teur. Son petit-fils, écuyer Jacques Rozerc'h, seigneur de

La Forêt, déclare en 1636 posséder 400 livres de rente et
s'enrôle pour servir dans l'arrière-ban.
Cette famille Rozerc'h, éteinte avant la Réformation de
1668-71, n'est pas mentionnée par Courcy, chose assez sur­
prenante, en raison du rang honorable qu'elle tenait parmi la
haute bourgeoisie quimpéroise. Elle avait à la cathédrale une
tombe dont la pierre armoriée existe encore, selon Le Men,
sous le dallage de la chapelle Saint-Corentin. Elle s'est fondue
dans Glémarec, et le manoir de La Forêt était en 1682 la
propriété de Messire Pierre-François Glémarec, sieur de Tré­
varas, prêtre et bachelier de Sorbonne. D'après Fréminville,
il aurait plus tard appartenu à la famille de Roquefeuil.
On pénètre dans la cour par une porte gothique à arcature
décorée d'un fleuron, de crossettes végétales et de deux lions
tenant des branches noueuses, que défend, à droite, une solide
tourelle carrée percée de nombreuses embrasures et meur­
trières permettant de faire feu à la fois au dedans et au dehors .
A cette tourelle attient la façade du grand corps de logis,
dont la belle porte d'entrée combine d'intéressante façon les
styles gothique-breton et Renaissance. Au-dessus du fleuron
central un petit personnage Henri III que le lichen habille
d'un pourpoint d'or fauve, es t campé crânement, sa rapière
sur répaule. On remarque aussi quelques jolies fenêtres
encadrées de moulures, avec appuis sculptés, et près de l'une
d'elles, un angelot soutenant un écusson mi-parti du greslier
des Rozerc'h et de deux fasces. Sur les rampants des chevron­
ni ères font saillie divers sujets : deux lions montrant leurs
crocs, un homme prêt à choir dans le vide, un pourceau, un
chien, une tête de loup, un quidam accroupi, le nez en l'air,
et s'appliquant à l'exercice d'une fonction naturelle que
Rabelais seul pourrait préciser ...
Au fond de la cour règne une galerie de piliers cylindriques
qui soutenaient le plancher de l'ancienne chapelle, située au

flamboyante s'ouvre encore dans le pignon. A l'angle de

gauche, un petit colombier couvert de chaume complète
l'aspect pittoresque de cette cour de ferme qui a séduit bien
des artistes et qui a été reproduite en partie au village breton

de l'Exposition de 1900.
Dans l'intérieur du manoir, il y a à voir de grandes chemi­
nées, un joli huis Renaissance tout vermoulu, à personnages
mythologiques, qui a été copié pour le Musée départemental;

les plafonds aux robustes solives travaillées supportant de
nombreuses poutrelles; l'escalier de la tourelle et son palier
adorné de scènes grotesques, un baladin se livrant à d'é­
tranges contorsions et une ribaude entre deux joyeux lans­
quenets dont l'un rit de toutes ses dents. Ces sujets sortent
certainement du même ciseau que ceux qui décorent le rez­
de-chaussée du vieux logis de la rue du Guéodet dit ' « Maison
des Cariatides ». L'arrière-façade, où paraissent les traces des

mutilations dénoncées par Fréminville, oirre quelques meur-
trières et de rares fenêtres jadis garnies d'épais barreaux de
fer. Dans le pan coupé de l'angle ouest s'ouvre une baie qui
permettait aux châtelains d'apercevoir, au pied du Mont­
Frugy, par de là l'Odet paisible reflétant le ciel et la 'colline
feuillue de Crecheuzen, ces deux imposantes tours jumelles
de Saint-Corentin qui ont été cÇlmme le pivot et le centre de
notre voyage à travers les fraîches campagnes quimpéroises
et à travers les siècles passés.

109 ..
DEüXIÈME ' PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1924
PAGES

I. La thèse de Laënnec, par le D' LAGRIFFE . . " 3
II. Quelques réflexions sur les origines du peuple bre-
ton et sur la persistance de la langue bretonne
. d'après les écrits d'Albert Travers, par CAMILLE
. V ALLAUX. . . . . . . . . . . .

III. Les anciens manoirs des environs de Quimper
(sui te et fin), par 1. LE GUENNEC. . . . . .. 25
IV. Les mouvements populaires en Juillet et Août 1789
d'après quelques letlres inédites de Ange Conen
de Saint-Luc, par JEAN SAVINA . . . . . .. 46
V. Quelques mots sur l'Emigration bretonneen Armo­
rique, en réponse aux « Quelques réflexions l) ,
par J . LOTH. . . . . . . . . . . . . . .. 68
VI. Une rentrée des classes à Quimper, en l'an VlU,
par fI . W AQ UET .. . . . . . . . . . . . ., 74
VII. Vieilles chansons bretonnes. III Le Clerc de

Trom~lin, par 1. LE GUENNEC. .... . . 78
VIII. La ville d'Iso Ses origines, sa submersion, par
E. DELÉCLUSE. . . . . . . . . .. '.. 85
IX. Le clocher de Ploaré (étude architectonique), par
CHARLES CHAUSSEPIED [u ne planche J. . . . .' 92
X. Le dernier évêque de Léon: Jean-François de La