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Bulletin SAF 1924


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La thèse de Laënnec

Dr Lagriffe

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1924 tome 51 - Pages 3 à 11
LA THÈSE DE LAENNE
Il est pre.bable qu'il existe, en
Faculté de médecine de . Paris,

dehors des collections de la

de celles des Facultés de
médecine de Montpellier et de Strasbourg, quelques exem­
plaires de la thèse de Laennec. Mais, il n'en est qu'un, un
seul, doat la valellf historique et documentaire soit consi-
. dérable ; c'est celui qui fut utilisé par l'auteur, le jour de sa
soutenance; c'est, d'abord, l'exemplaire de Laennec, ensuite,
de nombreus'.!s notes manuscrites en couvrent les marges et
des addenda, sur feuilles volantes, y sont encartés. Cet exem­
plaire, ce (c trésor)J, est entre les mains d'un arrière-neveu
du maître, M. René Laennec. M. René Laennec a eu la géné­
reuse pensée de le confier à un admirateur de son aïeul,
puis, d'en permettre une reproduction intégrale en fac-similé.
Sous la direetion de M. le professeur Maurice Letulle, dont
vous n'avez pas oublié l'hommage apporté de Paris à notre
compatriote à l'occasion des fêLes du centenaire du Traité de
l'Auscultation médiale en 1919, l'éditeur Boulangé a réalisé
cette reproduction dont je vous présente un exemplaire.
Cette présentation a un double but; le premier est de vous
faire admirer une réplique, tellement fidèle, tellement par-

faite, qu'elle donne une illusion qui peut aller jusqu'au douLe;
le deuxième est de parler encore de Laennec dont on ne
saurait trop s'entretenir; il appartient à notre plus glorieux
passé. Nous profiterons donc de cette occasion pour ouvrir,
une fois de plus, le livre de notre confrère, M. le docteur
Rouxeau (de Nantes) (1), pour le relire et pourle commenter.

La thèse que Laennec présenta, 1 0 '22 Prairial an XII

(Il juin 1804), aux suffrages de l'Ecole de médecine, n'était,
dans son espri t, qu'un pis aIJer. Nous savons, en elfet, qu'à
la fin de 1802 il avait choisi un premier sujet auquel il tra-
vailla dans le laboratoire de Dupuytren . Au début de 1804, il
renonça, ou il avait renoncé déjà, à ce sujet, pour s'occuper
d'Hippocrate. Est-ce parce que, le 2 Pluviose an XII (23 jan­
vier 1804), un de ses camarades, dans son travail inaugural,
avait mis en doute l'existence d'Hippocrate et l'unité de sa
doctrine ~ Est-ce, p lutôt, parce que, pressé par des besoins
matériels et par l'incurie de son père, il y avait nécessité
pour lui à gagner sa vie ~ Est-ce, enfin, parce qu'il estimait
le moment venu de terminer plus rapidement . ses études
pour se rap procher du corps en seignant ~ Les trois hypo­
thèses sont, sans doute, vraies : la première explique le choix
d'un nouvea u sujet, que les ciFconstances font actuel; les
deux autres expliquent la déterm ination subite d'en finir.
Il n'est pas douteux que Laennec était pressé : il avait
commencé, en eITet, d'écrire un Essai préliminaire sur la

doctrine d'Hippocrate : c'était là un travail de longue haleine ;
il dût se restreind rt:! et se contenter de n 'envisager qu'un seul
côté de la questio n : la doctrine d'H ippocrate au point , de

vue de la médecine pratique. C'est dan s ces conditions qu'il
composa les PROPOSITIONS SUR LA DOCTRIN E D'H IPPOCRATE

RE LATIVEMENT A LA MEDECINE PRATIQUE.
Cette thèse. gui p orte le n· 24 1 parce qu'elle fut la 24 1"
thèse sou ten ue deva nt l'Ecole de médecine de Paris depuis la
réorganisation de 1794, mise en ven le. nous dit M. le docteur
Rouxeau, chez Méquignon aîné, libraire. ru e des Cordeliers ( 1),
(1) M équignon est ce 1 i braire qui, pl us tard.édita l'Essai sur l'indifférence
en matière de reLi.gion; à ce moment. il fit de mauvaises affaires et dût
interrompre la pulil,cation . La M ennais crut devoir se plaindre, non seu­
lement de son altitude, mais encore, dp. ses procédés ; il le fit en termes
amers et ne recula pas à employer les épi thètes les plus fortes, ainsi qu'il se

fût imprimée par Didot. Au point de vu e typographique,
c'est un de ces trava ux qu'en terme de métier on appelle un
bilboquet : impression d'importance technique secondaire,
qu e les imp rimeurs, pas débordés, acceptent volontiers d'ac­ complir pour u n prix modiqu e, afin d'occuper les ouvriers
aux heures libres de la jO :lfnée. l\b is, tout de même, la tbèse

de Laenn ec fut imprimée par un petit-fils du grand Didot:
celui qui devint le chef de la branche cadette de la dynas tie,
qui édita le Voyage du j eune A nacharsis, dont la sœur avait

épousé Bernardin de Saint :-Pierre et qu'il ne faut p as con-

fondre avec son cousin, Didot aîné, de la maison " Firmm-
Didot. Par comparaison avec les thèses d'aujourd'hui (et
d'hier), Laenn ec fu t bien servi, sauf pour les caractères grecs,
car il y a du grec dans la thèse de Laennec et nous y revien­
drons.
Le jury, copieux à cette époque, était offi ciellement com­
posé de six professeurs : un président et cinq examinateurs.
Du président, Bourdier, on f' e sait plus que le nom; les
examinateurs étaien l plù s illustres : voici Baudelocque, le

grand accoucheur; Boy~r, futur haron et premier chirurgien
de l'Empereur, professeur de médecine opéra~oire ; puis,
Chaussier, don t le nom doit être particulièrement retenu:
Chaussier, appelé d e Dijon à Paris, par Fourcroy, en 1794,
pour le conseiller sur la réorganisation. des Ecoles de Santé,
es t le véritable auteur du rapport qui fût lu à la Convention
et adopté par elle ; nommé, plus tard , professeur d'anatomie
et de physiologie à Paris, c'était un savant de premier ordre
dont la rép utation fût immense, mais un piètre professeur:
la trivialité de son langage ne pouvait compenser les diffi­
cultés de son élocution; il fut destitué en 182 2. Le quatrième
examinateur, gt'alld e figure, était Corvi sart: Corvisart des
Marets, un des pl us illustres profes~eurs de l'Ecole, qui eût
le mérite, rare pour le temps, de ,se préoccuper de ce qui
s'enseignait à l'étranger; fervent adepte de l'Ecole de Vienne

et, aussi, propagateur de la percussion, il a mérité d'être
appelé le Père du diagnostic. Ancien élève du Collège Sainte­
Barbe, il s'y était montré, au cours de ses études, d'une
médiocrité tèlle que sa famille avait résolu de le consacrer à
la chicane et de faire de lui un procureu r. Enfin, il y avait
Deyeux, dont je crois qu'il fùt pharmacien et botaniste de
très grand talent.
Je vous ai dit, en rendant compte de l'ouvrage de M. le
docteur Rouxeau en 19 2 l, à propos de la réorganisation de

la Faculté de médecine de 1822, combien trop nombreux
étaient les professeurs qui n'y faisaient point leur devoir; il
serait à croire qu'il en était déjà ainsi en 1804 : ce jury, eri
effet, ne fut point exactement celui qui examina les proposi­
tions de Laennec: le procès- verbal de réception est signé
par le seul Boyer; nous savons que Baudelocque, Chaussier
et Deyeux se firent remplacer; de Boudier et de Corvisart il
n'est pas question. Baudelocque est remplacé par Sue;
Pierre Sue, le plus célèbre d'une famille de chirurgiens, qui
fû t moins professeu r que bibliothécai re de l'Ecole et don t
Eugène Sue était le petit-cousin. Pinel, professeur de patho­
logie externe. suppléant Chaussier, a, surtout, gardé la répu­
tation d'avoir brisé « les chaînes des aliénés » ; esprit ppu

clair, cerveau embrumé par le choc des systèmes, son prin-
cipal ti,re de gloire, en dehors des chaînes citées plus haut,
est la Nosographie philosophique, un de ces livres dont on
parle mais qu'on ne lit pas, essai d'adaptation des déclama­
tions creuses du XVIII" siède aux précisions plus scientifiques
qu'apportait dans son berceau le XIX' siècle naissant; Pinel
fut, lui aussi, destitué en 1822. Il y avait, enfin, à l'Ecole de
médecine, un professeur de démonstration des drogues et
instruments de chirurgie qui savait de tout un peu, et à qui
ses connaissances va~iées permettaient de suppléer, au pied
levé, tout professeur défaillant; ce n'était pas, dit-on, une
sinécure; il s'appelait Thillaye et il remplaça Deyeux.

Lorsque le médiocre père de Laennec ilPprit que son fils
allait présenter son travail iua ugural, il se montra beaucoup
plus empressé de lui donner des conseils d'arriviste et de.
brouillon que de lui procurer les subsides nécessaires au
p,aiement de l'impression . Il 1 ui envoyait des dédicaces, lon ­ gues comme les inscriptions funéraires des personnages
accablés de charges. Mais, Laen r:ec avait et du cœur et du
goût: un seul homme avait pris soin de lui, un seul homme
l'avait dirigé dans la vie depuis ses premiers pas: c'était son.
oncle; à lui seul il déd ia sa thèse :. .

OPTIMO, DILECTO PATRUO,
SECUNDO P ATRI,

GUILRELMO-FRANCISCO '

LAENNEC,

DOCTORI MEDICO MONSPELIENSI,
exercituum olim medico,
nosocomiorum nannetensium primario medico, elc.
Ob edu cationem à pueritiâ institutam,

Optima in studio Medico consilia,
Et omnis generis beneficia,
THESES RASCE INAUGURALES
Dicat et vovet,

Gratus et amantissi.mus discipulus .
R.-T.-H.- LAENNEC .

« A son très bon, et aimé oncle paternel à son deuxième
père Guillaume-François Laennec docteur en médecine
de Montpellier ancien médecin des armées premier
médecin des hôpitaux de Nantes, etc. pour [ 'éducation qu'il
a reçue de lui depuis l'enfance les excellents conseils qu'il

bienfaits de ' toule nalure - ces thèses inaugurales - sont
son disciple reconnaissant el très dédiées el vouées par
affectueux - R.-T.-H. Laennec. Il
Les lignes, élégamment mesurées, de cette dédicace se
déroulent :lU seuil du travail, écrites en ce latin correct qui
était, autrefois, le langage du cœur. C'est que Laennecappar­
tenait à une génération qui De professait pas l'inutilité de la
connaissance des langues mortes, par l'intermédiaire des­
quelles les peuples anciens ont exprimé des idées et condensé

des doctrines sans quoi notre civilisation ne serait pas. C'est
pour connaître, dans la fraîcheur de ses origines, la pensée
hellène qu'autrefois Laennec a, non sans difficultés, appris
le grec. A la fin de septembre 1795, âgé de 14 ans et demi, il
commence ses études de médecine; le 29 ju in 1796. l'Ecole
centrale de Nantes, origine du lycée, ouvre ses portes; è'est
un endroit où l'on peut apprendre; Laennec y suit des cours
d'histoire naturelle, de physique et de chimie; il Y commence
l'étude du grec dont son oncle lui avait signalé l'utilité, la
. nécessité même, pour le médecin. Peu à peu, non sans inter­
ruptions causées par le manque de numéraire (ces cours
n'étaient pas gratuits). il se perfectionne dans cette langu~ ;
inscrit, dès son arri vée à Paris . à l'Ecole des Quatre-Nations.
il y suivit, au moins jusqu'en 1803. les leçons Je l'abbé
Guéroult. C'est grâce à cette fréquentation post-scolaire que
Laennec pût lire, dans le texte et à livre ouvert, les œuvres
d'Hippocrate.
La thèse de Laennec est donc une profession de foi de
médeCin et d'humaniste. Il y a, dit-il, dans Hippocrate, deux
choses: une méthode, qui est immortelle parce qu'elle est de
consentement universel, puis, une doctrine, qui ne l'egt pas
toujours; la première est indiscutable. car elle estla méthode
par excellence; la deuxième peut. assez souvent, être dis­
cutée, critiquée, parce qu'elle varie suivant les conceptions

du moment et au gré des découvertes qui sont faites tous les
jours. Or, la méthode d'Hippocrate nous enseigne que toute
maladie comporte des symptômes propres, qui permettent
d'en faire le diagnostic, et des symptômes communs à toutes
ou à d'autres maladies, qui permettent de porter un pronostic,
le pronostic étant le juge:uent que l'on rédige d'avance sur
les changements qui peuvent survenir au cours d'une maladie;
parmi ces changements, le plus important, le seul qui, dans
la réalité, compte au point de yue pratique, c'est celui qui
juge, qui termine la maladie, annonçant ou occasionnant soit
la guériso. n, soit la mort. Les réalistes, ceux dont les circons­ tances n'ont fait ni des savants, ni des snobs, ne s'intéressent
qu'au pronostic et ils ont raison. Lorsque, aux audiences du
matin, Napoléon recevait de Corvisart, son premier médecin,
des renseignements sur l'état de santé des personnages de
l'entourage impérial, s'il apprenait que l'un d'eux était gra­
vement malade, il ne posait qu'une question : c( Mourra-t-il ~»
Que lui importait le nom de la maladie? Il était pressé, il
avait d'autres préoccupations en tête, celle, ·surtout, de savoir
s'il pourrait encore utiliser les connaissances et les capacités
du malade.
Dans les trois paragraphes qui divisent les trente-quatre
pages formant la thèse de Laennec, l'auteur, après avoir
énuméré ces symptômes communs, s'attache, plus particu­
lièrement, à exposer les idées du Père de la médecine sur les
fièvres; puis il montre que les connaissances de son temps
permettent de compléter cette méthode d'Hippocrate et de la
doubler d'une doctrine plus précise et plus sûre, de telle
sorte que le médecin est, maintenant, en mesure de ne plus
se désintéresser du diagnostic; cette possibilité lui fait une
obligation de classer les maladies d'uoe façon régulière.
Laennec lerminait par une déclaratiou de principe conlre
l'esprit de système; s'autorisant du Commenlaire clinique de

librement, aussi bien chez les anciens que chez les modernes,
ce qu'il croit être la vérité.
Quand il n'y aurait là qu'un simple exposé, le travail de
Laennec n'en serait pas moins considérable, malgré son petit
volume; car, pour recueillir tous les éléments qui lui étaient
nécessaires, il avait été obligé de lire tou t Hippocrate et les
hippocratiqu es; mais il n'y a pas que ce simple exposé: il y
a des discussions philologiques qui sont de véritables com­
m entaires, des aperçus étymologiques, preuves d'une très
haute culture, enfin des rapprochements avec ce que la clini­
que avait permis à l'étudiant d'observer et d'apprendre.
Hippocrate n'a pas été, pour Laennec, le simple sujet pas­
sager d'une discussion d'école, sujet que le temps vous fait
négliger, puis oublier. Plus tard, après la soutenance qui se
termina par un satisfecit, Laennec reprend son sujet, l'amé­ liore, le complète et ce travail de révision est consigné dans
ces notes marginales qui font plus haute la valeur de l'exem­ plaire reproduit. Ce que ces notes ont d'intéressant c'est
qu'elles ne marquent point un changement dans les idées de
notre compatriote" elles ne font que compléter les notations
du jeune étudiant; ce qu'il avait pensé là, il l'a pensé défini­
tivement, ne varielur, el l'homme des PROPOSITIONS SUR LA

DOCTRINE D'HIPPOCRATE est le même qui, quinze ans plus tard,
à l'apogée de sa gloire, écrira ce. livre définitif et immortel:
le TRAITÉ DE L'AUSCULTATION MÉDIATE.
Il reste, enfin, à la dernière page imprimée de cette thèse,
une trace du travail plus complet que Laennec avait médité
d'abord sous la forme d'un essai préliminaire sur la doc­
trine: c'est le résumé, en sept aphorismes, de la physiologie
d'Hippocrate.
La première grande publication de Laennec n'a pour ainsi
dire pas vieilli; il suffirait de modifier bien peu de choses,
de rajeunir certains termes, pour faire, en quelques heures,

thèse de 1923, parce que les principes qu'il a puisés dans
Hippocrate sont bien, comme il le disait, éternels ; mais il
fallait les choisir et ce choix, seul, un Laennec, doué du
génie de l'observation et armé d'une grande culture classique,
pouvait le faire.
Il n'y a pas à regretter que Laennec, pressé par le temps ou
par les circonstances, ait abandonné le premier sujet auquel
il avait songé et dans lequel il devait parler de sa découverte
des tuniques fibreuses; à cet égard, l'article qu'il avait écrit,
en 1803, dans le Journal de médecine, suffisait. Les circons­
tances sont heureuses qui nous ont valu, à la place d'une
réédition, une paraphrase délicieuse du médecin de Cos par
un breton.
Dr LAGRIFFE.

109 ..
DEüXIÈME ' PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1924
PAGES

I. La thèse de Laënnec, par le D' LAGRIFFE . . " 3
II. Quelques réflexions sur les origines du peuple bre-
ton et sur la persistance de la langue bretonne
. d'après les écrits d'Albert Travers, par CAMILLE
. V ALLAUX. . . . . . . . . . . .

III. Les anciens manoirs des environs de Quimper
(sui te et fin), par 1. LE GUENNEC. . . . . .. 25
IV. Les mouvements populaires en Juillet et Août 1789
d'après quelques letlres inédites de Ange Conen
de Saint-Luc, par JEAN SAVINA . . . . . .. 46
V. Quelques mots sur l'Emigration bretonneen Armo­
rique, en réponse aux « Quelques réflexions l) ,
par J . LOTH. . . . . . . . . . . . . . .. 68
VI. Une rentrée des classes à Quimper, en l'an VlU,
par fI . W AQ UET .. . . . . . . . . . . . ., 74
VII. Vieilles chansons bretonnes. III Le Clerc de

Trom~lin, par 1. LE GUENNEC. .... . . 78
VIII. La ville d'Iso Ses origines, sa submersion, par
E. DELÉCLUSE. . . . . . . . . .. '.. 85
IX. Le clocher de Ploaré (étude architectonique), par
CHARLES CHAUSSEPIED [u ne planche J. . . . .' 92
X. Le dernier évêque de Léon: Jean-François de La