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Bulletin SAF 1923


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Discours prononcé à la cathédrale de Quimper le lundi 9 juillet 1923 par Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1923 tome 50 - Pages 114 à 123

DISCOURS DE MGR DUPARC
Evéque de Quimper et de Léon
Président d'honneur de la Société archéologique du Finistére
pr01wncé à la cathédrale de Quimper le lundi 9 Juillet 1923

MESSIEURS,
Votre Société archéologique compte maintenant
cinquante années d'existence.
Une des plus anciennes coutumes del'humanHé,
qui remonte à Moïse, veut qu'au terme d'une
période d'années déjà si longue, les hommes
réfiéchissen tu n moment au passé qui leur échappe,
et qu'ils s'unissent entre eux pour rendre grâces
à Dieu des bénédictions reçues pendant ce demi
siècle et en implorer de nouvelles pour l'avenir.
Avec vou s, je remel'cie le Divin Maître d'avoir
rendu votre Association prospère, et je lui demande
d'assurer à votre œuvre une fécondité croissante.
Toutes vos recherches sont utiles au Pays autant
qu'à la Science, et nous prenons un vif in. térêt
aux découvertes qui les couronnent. .
Vous comprendrez pourtant qu e je me réjouisse
surtout des résultats religieux de vos travaux.
Ma théologie s'appuie volontiers sur votre archéo­
logie, et j'aime à constater que, le plus souvent,
les « vieilles pierres bretonnes» que vous remuez

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avec tant de respect portent l'empreinte chré­
tienne, et que le paganisme druidique, lui-même,
avec sa foi en l'immortalité de l'âme, apparaît,
sur cette terre très ancienne, moins grossier peut­
être que le paganisme raffiné de la . Grèce et de
Rome, quoique ses monuments sans art soient

mÇl.nifestement incapables de rivaliser avec les
œuvres splendides des civilisations classiques.
C'est toujours une joie profonde pour l'anti­
quaire chrétien, qui . sait établir, selon un mot
expressif, une communication « entre son labora­
toire et son oratoire », de retrouver pleinement
vivante, il travers les siècles les plus lointains,
dans les débris de sculptures, dans .les parche­
mins jaunis, dans les vieux cantiques en langue
populaire, où même dans les traditions orales
qu'il contI'ôle par l'histoire, sa foi catholique tou­
jours la même, vibrante dès l'origine dans les
âmes de ses premiers missionnaires, de ses moi­
nes, de ses évêques, de ses fidèles innombrables,
qui ont fait il l'Eglise de Bretagne un visage si
pénétré de foi, de zèle, de ténacité et de douceur.
L'illustre archéologue romain, J.-B. de Rossi,
disait: « Je voudrais que les origines de chaque
église, les premières traces de la foi chrétienne
dans chaque ville, dans chaque bourgade, les
preuves du. développement et de l'épanouissement
de cette foi dans chaque province . ou région du
monde antique, fussent déroulées devant nous
dans les monuments géographiquement disposés
et expliqués historiquement. » .
-116 -

Pourquoi faut-il, Messieurs, que vous trouviez
sur notre sol si peu de vestiges vraiment anciens
des établissements primitifs du Christianisme en
Bretagne ~ Chose étrange, les mégalithes, les
tombes gauloises, les camps romains, les villas
bourgeoises des colons latins, les routes) les aque­
ducs, vous arrêtent chez nous pour ainsi dire à
chaque pas. Au contraire) les premiers monu­
ments chrétiens, à part peut-être quelque ermi­
tage, quelque fontaine, quelque croix, ont disparu.
Les siècles où les Normands les ont ruinés. Si
leurs pierres survivent, elles figurent ignorées
dans les murs des éd ifices qui leur ont succédé.
Dieu a permis que les témoins du . paganisme
mort subsistent pour nous rappelel' la ruine des
cu ltes vicieux à jamais disparu s et nous montrer

SUl' leurs débris mystérieux et muets la victoire
de la foi nouvellej assez vigoul'euse pour renou­
veler de siècle en siècle et raj eunir d'année · en
année les églises où le Christ appelle les âmes à
la vie de l'Evangile, à la prière) et à l'espoir.
C'est que la foi s'enfonce dans les âmes à de
plus grandes profondeurs que les pierres dans le
sol. Devant l'énigme des dolmens et des menhirs
le Christianism e a fait éclater sa puee lumière,
bientôt maîtresse des esprits et des cœurs. Ç'a
été un spectacle magnifique. Saint Corentin et
saint Guénolé, saint Tudy et saint Ronan, saint
Th éleau , saint Gurthiern et saint Herbot, saint
Edern et saint Idunet, saint Pol Aurélien et
saint Jaoua, saint Tanguy, saint Kirek et saint

-' 117-
Hervé, fils du pays ou venus d'outre-mer avec
l'étincelle sacrée, parcourent nos campagnes sans
doute bénies déjà par -l'apostolat romain, et
répandent sans se lasser dans les âmes la doc­
trine du Christ et les leçons de leurs propres
vertus. Ils veulent aussitôt dys temples pour
Notre Seigneur et des monastères pour ceux qui
le servent. Sous leur in~piration, le granit, au lieu
de demeurer à l'état brut et massif comme dans
la période druidique, prend peu à peu les formes
d'une architecture d'abord très simple, première
ébauche des chefs-d'œuvre futurs. Et l'on voit
naitre et se développer toUt' à tour Quimper et
Castel-Paul, Landévennec et Loctudy, Quimperlé
et Locronan, Châteaulin et Daoulas, Le Relecq et
Saint-Mathieu fine-terre, Locquirec et Lanhouar­
neau. C'est de ces humbles constructions, vénéra­
bles par le sou venir de leurs saints fondateurs,
que nous regrettons surtout de ne plus retrouver
les vestiges. Nous sommes tentés de vous dire eT}
parlant de ces pierres ce que le Christ disait du
pain multiplié par son miracle : Colligite quœ
superaverunt fragmenta, ne pereant. Recueillez
les restes, pour qu'ils ne se perdent pas. Nous
serons heureux chaque fois que vous pounez en
découvrir et en identifiier quelque débris, relique
précieuse d'un passé qui nous est de plus en plus

cher.

Mais l'âme bretonne ne voulut pas longtemps se
contenter de ces modestes édifices. Le regard fixé

- 118-

monuments plus dignes de sa religion. La foi et
l'amour accompagnant le génie, l'art s'inspira des
plus belles oeuvres de· l'Occident et méme de
l'Orient. On vit alors s'élever, pour glorifier Dieu,
la sainte Vierge et les vieux saints nationaux, soit
dans le style roman, soit bientôt dans le style
ogival, les églises glorieuses que nous admirons

encore autant que nous les aimons, et qui, petites
comme des oratoires ou vastes comme des basi­
liques, s'accordent si bien au ton de nos coeurs
catholiques et bretons. Après l'église bénédictine
de Sainte-Croix de Quimpedé et nos trois grandes
églises abbatiales cisterciennes du Relecq, de
Langonnet et de Saint-Maul'ice de Carnoët, après
Locmaria, Fouesnant, Loctudy, Daoulas, après
Lanmeur et Kernitron, on'put saluer enfin, supé­
rieures à toutes leurs aînées par l'ampleur et
l'harmonie des formes, nos deux cathédrales de
Quimper et de Léon, éclipsant pour toujours avec
le Creisker les sanctuaires soumis à leur j uridic­
tion ; tandis que se multipliaient sans se lasser
les nouveaux établissements monastiques, Corde­ li ers dans la cité de Saint-Corentin, Dominicains
à Quimperlé et à Morlaix, Carmes à Saint-Pol et à
Pont-l'Abbé,chacun avecsanote artistique et pieuse
et qu'aux. pélerinages antiques comme Rumengol,

Sainte-Anne-La-Palud, Saint-Michel de Lesneven
et Lochrist-an-Izelvez, venaient s'en ajouter

d'autres, dans l'éclat d'une gloire miraculeuse plus
récente, comme Le Folgoët et Saint-Jean-du-Doigt,
ou l'art breton a créé des merveilles .

Le bu t de votre société, Messieurs, est de recher­
cher, d'étudier, de décrire ces monuments fameux,
et de veiller à leur conservation. Nous vous
. sommes reconnaissants des services que vous
pouvez nous rendre pour la sauvegarde de ce
patrimoine sacré et pour son illustration par vos
savantes études.
Ni l'art ni la piété ne s'endormiront après l'effort
du Moyen-A.ge. La dévotion, que n'avaient pu
ralentir ni la guerre de Succession de Bretagne ni
les troubles politiques et les drames de famille qui
remplirent le siècle suivant, demeura active a
travers le Protestantisme et la Ligue.
II y eut quelque relâchement dans l'étude et la
pratique de la religion. Mais la foi menacée fer­
menta avec plus d'ardeur, les populations voulu­
rent l'affirmer plus généreusement, les paroisses

riches réclamèrent des églises proportionnées a
leurs ressources. Vous savez quelle floraison de
monuments religieux se produisit alors dans le
bassin de l'Elorn, et avec quelle ingénieuse recher­
che ils furent décorés par les ouvriers de la pierre

et du bois. Ce fut une Renaissance, luxuriante
comme la végétation des forêts vierges. Elle prit
toutes les formes, clochers aériens a flèches ou a
coupoles, i calvaires mettant en scène tout un
peuple de figurants, arcs de triomphe, portes
solennelles et ornées, porches historiés, ossuaires
et reliquaires, expression variée et puissante des
convictions catholiques qui unissent dans nos

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de la mort, en présence du Dieu qui a vécu et est
mort pour nou s .
. Les prédications de Dom Mich el Le Nobletz et
du P. Maunoir ont-elles contribué à intensifier ce
mouvemènt d'art chrétien, en leur temps qui ne

fut pas toujours un temps de paix et de joie"? Je le
crois. Tout ce qui augmente la vie intérieure des
àmes accroît aussi le goût du beau intelle~tuel et
moral, et ce goût, même chez les peuples les moins
cultivés, aime à se traduire par la peinture et la
sculpture, comme par la poésie et le chant. Allez

voir ces vitraux éblouissants, finement fouillés,
ces vies de saintssculptéeset parlantes, ces repré­
sentations de nos mystères les pins vénérés misà

la portée des simples et ravissant aujourd'hui les
esprits délicats, ces autels du Rosaire ou du Sca­
pulaire du Carmel, où chaque médaillon est un
petit · poême. Le culte de la Vierge a été aussi
inspirateur que celui de l'Eucharistie. Plus l'ado­
ration du Christ prenait dans les âmes une nuance
de tendresse, plus l'hommage rendu à sa Sainte
Mère s'épanouissait filialement sur cette terre
choisie, qui lui a dédié deux cent soixante-dix
églises ou chapelles, où les mêmes motifs · de
dévotion et d'art se répètent sans se copier, avec
une richesse inouïe.
C'est le peuple lui-même qui demandait pour
mieux prier cette atmosphère de beauté. Aujour­
d'hui encore ce cadre enchanteur exalte sa foi et
aide à l'éclairer. Sajoie la plus douce est d'entendre
exposer, du haut de la chaire ouvragée, dims un
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breton plus soigné qu'autrefois, la doctrine subs­
tantielle qui nourrit son ardeur aux\ travaux de la
paix comme elle a engendré sa vaillance militaire.
Et rien n'égale le charme des cantiques où il
exprime à pleine voix toute son âme) dans cette
langue des aïeux dont un de vous a dit:
La langue des Césars, des Brutus, des Catons
Est morte, et nous parlons le celte, nous, Bretons.
o langue glorieuse! 0 langue maternelle!
Tu sembles, dans les temps, devoir être éternelle! (1) .

En associant nos cantiques à votre officej ubil aire)
vous avez montré, messieurs, le prix que vous
attachez à cette langue nationale, qui) selon le mot
du P. Maunoir) ne fut jamais souillée par aucune
hérésie, et qui attend de ses fils du xx

siècle une
fiùélité égale à celle de leurs aînés.
Beaucoup de nos visiteurs ne peuvent juger la
Bl'etagne que pal' ses paysages, ses costumes, ses

monuments. Nous sommes heureux d'attirer leur
sympathie par nos dons extériellrs. Mais c'est la
langue qui revèle l'âme d'un peuple, qui garde sa
personnalité, qui protège sa liberté, qui entretient
son patriotisme, qui unit fraternellement les cœurs
de ses enfants, qui enrichit son patrimoine intel­
lectuel, qui traduit bien tout ce qu'il a de plus
intime, ses convictions religieuses et ses affections
de famille. Quand une langue a de tels titres de
noblesse, et qu'elle possède des poèmes comme

(i ) Frédéric Le Guyader.
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ceux du Barzaz B7°eiz, des chants populaires
comme ceux des qu atre cantons de Bretagne, et
des œuvres religieuses) historiques, poétiques,
dramatiques, comme celles qu'admirent aujour­
d'hui les juges les plus autorisés, elle devrait
pouvoir entrer, la tête haute: dans tous les éta­
blissements scolaires. Elle y apporterait sa note
d'équilibre et de vigu eur, et ne nuirait en rien à.
la culture grecque et latine, car son style et sa

pensée n'ont rien de nu age.ux, et la mélancolie qui
parfois la caractérise n'a pas moins de charme
pénétrant qu e celle d'Homère et de Virgile.
Je touche cette question devant vous, Messieurs,
parce qu'en étudiant le passé vous vous intéressez
au présen t, et que la langu e est le lien intellectu el
entre ce qui est, ce qui fut, et ce qui sera. Votre
suffrage sera le meilleur appui de nos revendica- -
tians bretonnes.
Vos études sont une révélation souvent merveil-

leuse de l'âme de nos ancêtres. Elles nous aident
à. mieux comprendre leurs traditions de foi et de
vertus. Puissent-elles contribuer a ussi à. les main­
tenir ! Vous ne faites pas d'apologétique, mais
votre science cherche ta vérité, et vos découvertes
nous fournissent les matériaux solides du monu­
ment élevé à. l'honneur de l'Eglise de Bretagne et
de la race dont elle a formé l'âme.
J'aurais pu, j'aurais dû peut-être, mentionner
déjà. ici les noms des prin cipaux travailleurs qui
ont présidé parmi vous à. cette œuvre historique.

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évoquera tous dans la cathédrale où ils ont prié,
et Dieu, qui les connaît plus intimement que nous,
les retrouvera unis a vous dans le memento du
prêtre vénérable qui est ce matin votre ambassa­
deur a u saint autel. Ce que je souhaite, c'est que

tous les vieux évêques, les prêtres, les moines, les
laïcs illustres, fondateurs de notre nation, peres
de notre civilisation, docteurs de notre foi, que
vous avez' rencontrés en explorant l'histoire ou
les monuments de Cornouaille, de Léon et de
Tréguier, se groupent autour de Notre Seigneur a
l'heure du sacrifice et vous obtiennent la grâce de
vivre toujours en vrais bretons et de travailler, de
toutes vos forces au bien et a la gloire du p euple
qu'ils n'ont pas cessé d'aimer et de servir dans
leur éternité .

181 -
DEUXIÈME PARTIE

Table des Mémoires publiés en 1923

PA.GES
1. Quelques notes sur le célèbre centenaire Jean
Causeur, par DAlllEL BERNARD. . . . . . .. 3
II. Vieilles chansons bretonnes : II. La chanson de
Monsieur de Boisalain, par 1. LE GUENNEC . " 8
III. Archives du château de Kerjean-Mol . . . . .. 24
IV. L'expansion romaine dans le Sud-Ouest de l'Ar­
morique, par le D' PICQUENARD [1 planche]. 49, 124
V. Quatrième campagne de fouill es préhistoriques
dans le Finistère (1922), par l'abbé FAVRET, le

commandant BÉ:\'ARD, G. MONOD [7 planches]. 83
VI. Cinquantenaire de la Société archéologique du
Finistère. Discours prononcé li. la séance du
28 juin 1923 par H. WAQUET . . . . . : . '. 98
VII. Discours prononcé à la ca thédrale de Quimper le
lundi 9 juillet 1923 par Mg' DUPARC, évêque de
Quimper et de Léon . . . . . . . . . . . . 1 H
VIII. La Société archéologique et la préhistoire: Etude
rétrospective par H. LE CARGUET et le chanoine
ABGRALL.. . . .

161