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Bulletin SAF 1923


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Cinquantenaire de la Société archéologique du Finistère. Discours prononcé à la séance du 28 juin 1923 par H. WAQUET

H. Waquet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1923 tome 50 - Pages 97 à 113

CIN U ANTEN AIRE
DE LA

SOOIETE AROHEOLOGIQUE DU FINISTERE
(Discours prononcé à la séance du 28 Juin 1923)

MONSIEUR LE PRÉFET,
MESDAMES,
MESSIEURS,
Le 15 avril 1873, à deux heures de l'après-midi,
vingt-sept habitants du Finistère se trouvaient
r éunis à Quimper dans une salle de la mairie. Ils
ne visaient ni à conspirer contre l'Etat, ni à traiter
d'affaires avantageuses; une se ule passion, nulle­ m ent inquiétante pour personne, très saine au
contraire et très belle, absolument désintéressée,
les animait. Avec ardeur, avec zèle, avec pleine
confiance en l'avenir, ils aspiraient à constituer
une société qui travaillât à explorer et à éclairer le
passé du pays. Par leurs origines ou leurs occu­
pations, ils appartenaient aux milieux les plus
variés; il Y avait là M. Astor, maire de Quimper,
ami dévoué des bonnes études, des avocats, des
médecins, des prêtres, des propriétaires, des
membres du Conseil général; , il y avait même
un évêque, celui d'Autun, Mg r de Lezéleuc de
Kerouara, breton toujours fidèle à sa petite patrie.

L'entente fut facile ; les adhésions étaient venues
nombreuses. Un bureau fut tout de suite constitué:
un président, M. Aymar de Blois, deux vice-pré­
sidents) MM du Marc'hallac'h et Roussin, deux
secrétaires, MM. Le Men et de Montifault, un
trésorier, M. le commandant Faty. En ce jour,
venait de naître la Société archéologique du
Finistère.
Sa croissance fut rapide; à la fin de l'année,
la liste générale des membres comprenait 130
adhérents. En tête, dans l'ordre alphabétique, un
nom se lisait, qui nous est à tous familier et cher,
celui d'un tout jeune prêtre, alors professeur au
collège de Pont-Croix, et qui ne demandait qu'à
travailler. Il a, depuis, beaucoup travaillé: nous
l'avons élu, l'année dernière, président d'honneur.
Vou s avez tous, n'est-ce pas, sur les lèvres le nom
de M. le chanoine Abgrall. J'en dois ajouter deux
au tres, celui, si sympathique et j ustement re~pecté ,
de M. Valéry Cormier, membre de notre bureau
actuel en qualité de vice-président, celui, très
considéré dans les milieux savants, de M. Gaidoz,
fondateur de la Revue celtique. Bien peu d'entre
!:.ous ont eu l'honneur d'entrer en relations avec
M. Gaid oz, mais, qui ne connait MM. Abgrall et
Cormier, qui ne se plait il constater leur assiduité
à nos seances ~ Saluons, Messieues, saluons ces
derniers témoins, heureusement toujours actifs et
vigoureux, de l'époque héroïque. Puissions nous
les voir encore longtemps dans nos rangs ; ils
continueront à maintenir intact) avec l'esprit qui

fut celui des fondateurs, le sens des bonnes tradi­
tions qui ont permis le s uccès de l'œuvre: cour­
toisie parfaite, fuite des questions qui divisent,
union da ns l'amour de la Bretagne et du Finistère,
par dessus tout travail sincère qu'un seul souci
dirige : découvrir, établir la vérité.
Par leur intermédiaire, nous allons loin. MM .

Abgrall et Cormier ont connu comme président
M. Aymar de Blois; cependant, M. Aymar de Blois
avait été lui· même ami de l'homme qui, en France,
principalement dans l'Ou est, a le plus fait pour

développer l'étude des antiquités régionales,
Arcisse de Caumont. Ce Normand de Caen goûtait,
aimait la Bretagne; nou s conservons au musée
départemental l'étendard qu'en 1843 il remit, a u
nom de l'Association normande, a l'Associatîon
bretonne. Souvenir précieux: il nous rappelle nos
premi8rs et vrais débuts; car, à proprement
parler, l'heureux évènement de 1873 était moins
une naissan'ce qu'une renaissance.
Le Finistère, en effet, n'était pas resté en dehor~
du magnifique mouvement qui, sous l'influ ence
en cela bienfaisante, . du romantisme et sous
l'impulsion active de Guizot, portait les Français
vers l'histoire. En 1845, sur l'initiative de l'Asso­ ciation bretonne, y avait été créée une société
d'archéologie et cette société avait accompli
aussitôt de si fructueuse besogne que, dès 1846,
elle provoquait l'établissement d'un musée pour
le dépôt des objets trouvés au cours de ses fouilles .
-100 -

ment arrêté en 1859. La France, alors, aimait le
cha ngement; en quatorze ans, ell e avait passé
par trois régimes. Le troisième, l'Empire, consi­
dérait les sociétés sans indulgence. L'Association
bretonne le gênait; illa supprima, bel et bien et,
avec elle, par contre-coup, supprima la Société
d'archéologie du Finistère.
Suppression déplorable; elle fut presque tout de

suite déplorée. L'Empire se faisait libéral; l'Em-
pereur se piquait d'archéologie ; un ministre
historien, Victor Duruy, institu ait l'École pratique
des Hautes-Études pour' stimuler et diriger suivant
de sû res méthodes les recherches de l'érudition .
N'y avait-il donc rien à faire chez nous ~ L'excel­ lent et in telligent préfet, baron Richard, qui, de
1861 à 1870, administrale département, essaya de
regrouper les hommes de bonne volonté; il ne
réussit qu'à sauver les collections de la Société
défunte en les recueillant dans les bâtiments de la
vieille abbaye de Kerlot, acquise à cette intention
par le Conseil général. Soyons reconnaissants au
baron Richard . . Il inaugurait à l'égard des études
archéologiques une politique salutaire dont la
Société, une fois reconstituée, désormais bien

vivan te, n'a cessé d'éprouver les avantages. Plus
heureux qu e nos 'prédécesseurs, nous n'empê­
chons personne de dormir. L'administration ne
veut plus notre m ort; au besoin, de temps en

temps, elle nous encourage comme elle peut, et
vOlci qu'à point nommé pour qu'il présidât notre

-101 -
nous a été envoyé, qui est breton, ami des archéo­ logues, fils d'archéologue, archéologue lui-même.
Mesdames, mes chers confrères, ne vous semble­ t-il pas que la Société de 1873 soit née sous une
bonne étoile?
Un rapide aperçu de son histoire doit nous
confirmer dans une persuasion aussi rér;onfor­
tante. Combien j'aimerais devant vous saluer
aujourd'hui la mémoire de tous ceux qui, soit
par leurs communications aux séances, soit par
leur collaboration il. nos bulletins) ont le plus
efficacement servi les intérêts de l'archéologie. Ils
sont trop. Force m'est de m'en tenir aux prési­
dents. Ce ne sera pas, du moins) sans avoir préa­ lablement rend u un bref hommage a de solides
mérites : l'érudit quimperlois Audran, Le Men,
historien de la cathédrale de Quimper, éditeur du
Catholicon de Lagadeuc, opiniâtre fouilleur de
stations gàuloises et de casernes romaines, le
commandant Faty, zélé compulseur d'archives,
l'inépuisable président Trévédy, modèle de pro­ bité historique, toujours en chasse d'erreurs chez
les autres et, ce qui est fort beau, chez lui-même,
aimable causeur a qui une érudition aussi exacte
que vaste doit fairé pardonner sa surabondance)
le barde Luzel, folkloriste ilisigne, scrupuleux ras­ sembleur, sauveur presque, de tant d'épiques
Gwerziou et de Sôniou amoureux, le pénétrant et
précis docteur Corre) le délicieux et souriant

chanoine Peyron, chez qui une science imposante
-102 -
assurément incomparable, Prosper Hémon, cons­
ciencieux et robuste historien du personnel
politique à l'époqu e révolutionnaire, le patient,
souvent spirituel, abbé Antoine Favé, si adroit à
extraire des plus monoton es procédures les anec­
dotes les plus significatives ou les plus savou­
reuses. Et je n'ai .voulu parler qu e des morts.
'Qui d'entre eux n'eût dû à son tour occuper la
présidence, si la présidence devait être tenue seule­
ment pour un honneur ~ N'en doutez pas c'est une
charge, et souvent lourde. H ana P) anus, les deux
mots ont même racin e ; ils sont frères jumeaux,
disent les philologues, et) en vérité, quand je consi­
dère qui fureilt la plupart de mes prédécesseurs,
ce qu'ils fiTent, les devoirs qu e leur exemple im­
pose, je sens combien les philologues ont raison.
En 1873, la direction revenait tout naturellement
à Aymar de Blois ; ayant m ené la premiére Société
à la satisfaction de tous, il reprenait une place

qu'on aurait pas dû lui ravir. Une sérieuse cultme
générale, une sage mod ération d'esprit, une
connaissance approfondie du pays, des publica­
tions nombreuses et justement estimées, faisaient
de lui comme le président idéal. Il n'a pas laissé

de véritable livre, mais beaucoup de ses articles
ont conservé leur valeur, et celui qu'il donna sur
Quimper dans la nouvelle édition du Dictionnaire

d'Ogée n'aurait guère besoin de retouches pour
obtenir, so us la forme d'une brochure, le succès
-103 -

d'après les meilleures sources, rédigé dans un
style de fort bon gOlÎt. Nul ne contribua autant

que lui à la fondation du Musée archéologique;
son parfait désintéressement personnel lui permet­
tait d'agir en infatigable solliciteur; la considéra­
tion que lui valait son caractère faisait tomber tous
les obstacles. Par malheur, la Société ne profita
pas longtemps de ses qualités; le 3 décembre 1874,
presque subitement, s'arrêtait cette vie ex toute
pleine d'œuvres utiles )J .

« Toute pleine d'œuvres utiles D, ainsi parlait
son successeur, Louis-Marie de Carné-Marcein.
Celui-ci avait peut-être rendu moins de services
aux antiquités locales, mais il apportait le prestige
d'un nom illustre, d'une activité dépensée sur de
grands sujets, d'une carrière exceptionnellement
brillante; depuis 1863, il appartenait à l'Académie
française. Son Histoù'e des Etats de Bretagne, un
peu oubliée aujourd'hui, n'en restera pas moins
encore longtemps un ouvrage capital. C'est par
ce beau livre que le comte de Carné se rattachait
à nos études. Sans avoir eu le temps de rien
donner à nos mémoires, il mourut le 12 février 1876.
Dans sa séance du 1

juillet suivant, la Société
élisait le vicomte Théodore-Claude-Henri Hersart
de La Villemarqué, membre libre de J'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres. Choix excellent;
les malentendus fâcheux qui surgirent tout d'abord
ne purent rien compromettre; le nouveau prési­
dent garda dix-neuf ans ses fonctions, jusqu'à sa
mort. Ce n'est pas que les adversaires lui aient

- 10- 1 -
manqué. Il était l'auteur du Barzaz-Breiz , le .livre
q. ui a provoqu é en Bretagne les plus impétueuses,
les plus durables. disons le mot) les plus injustes
contl'Overses. Il ne m'appartient pas, et ce ne
serait pas ici le lieu, de ranimer encore une fois
ce débat fameux. Une pétulance déplacée, presque
injurieuse, gâte, du reste, certaines des critiques
ad ressées à La Villemarqué. On a été injuste pour
lui parce qu'en montrant les erreurs de sa
méthode, on a méconnu la grandeur, la beauté,

la féc.ondité de son action. Il ne fut pas un véri-
tabl e érudit; l'exactitude philologique et histori­
que ne le préoccupait guère. La minutie avec
laquelle un homm e aussi hautement dou é qu e
Luzel pouvait publie! ' , sans retouche, des textes
corrompus, abominablement mêlés de termes
français, cette minutie lui parut jusqu'au bout
ehose incompréhensible, presque condamnable.
Voilà ce qu'on peut dire, ce qu'il faut dire. Mais
ceux qu i, là-dessus, triomphent contre lui, n'ou­
blient qu'une chose : s'ils voulaient être sincères,
loyaux, ils se reconnaîtraient presque tous comme
ses débiteurs. Un grand savant, d'esprit mordant,
qui n'a jamais pêché par excès de complaisance,
Henri d'Arbois de Jubainville, écrivait, peu après
la disparition de La Villemarqué : « Les publica­
tions beaucoup plus scientifiques de Le Men
(Catholicon) 1867) et de Luzel (Gwerziou Breiz­ Izel, 18.68) ont été provoquées pa r l'accueil fa vo­

- 105-

à la clientèle que ces publications, surtout le Bar-
zaz-Breiz, avaient créée aux études celtiques ». Et
il proclamait notre président « le père des études
celtiques en France )) . Au fond, La Villemarqué
était un poète. S'il avait vécu au Moyen-Age, sa
place eût été, non pas à réd iger des chr,:miques .
dans le froid scriptorium d'une abbaye bénédic­
tine, m ais, tel le saint duc Charles de Blois, à ins-

pirer, à mener des chœurs enthou siastes de ces
« joculatores » bretons, dont il a si bien retracé la
carrière dans nos mémoires avec une sympathie
d'accent fl'atem el. La Société) qu'il honorait gran­
dement, et qui doit être fière de lui, conquit, durant
sa présidE'nce, un des premiers rangs parmi les
sociétés locales. Le 20 mars 1889, grâce à l'heureuse
initiative du conseiller Hardouin , vice-président,
grâce aussi au concours tout dévou~ du breton
ardent que fut Louis Hémon, dép uté du Finistère)
elle se voyait reconnue d'utilité publique. Affirma­ tion officielle de son activité productrice; le péni­ ble affront de 1859 était bien vengé.
Le baron Halna du Fretay, élu le 30j anvier1896,
ne fut qu'un e étoile filante. Ex.trêmement ingé-

nieux, trop ingénieux peut-être, un peu plus rêveur
qu'il n'est permis à un archéologue, il ne resta en
fonctions que six mois. Sa démission entraîna
immédi atement Félection de M. Jean Lemoine,
archiviste du département. M. Lemoine, auteur
de publications très estimées sur le XIV' siècle,
dressé à la pratique ùes plus rigoureuses métho­

- 106 -

des progrès ; de légitimes raisons de carrière
l'appelèrent à Paris en 1897.
C'est alors que Pa ul Du Châtellier put occuper
un poste dont un très regrettable concours de
circonstances avait écarté Armand Du Châtellier,
son père. Qu'ai-j e besoin de vous dire quelle fut
l'ampleur de son œ uvre, de leur œuvre~ Tous vous
avez visité les collections de Kernuz, fruit et

témoin d'un persévérant travail poursuivi durant
deux générations. Armand Du Châtellier s'était
consacré à l'histoire politique et sociale; son fils,
notre président) se tourna vers la préhistoire et
les périodes les plus reculées de l'histoire armo­ ricaine. Quand il se mit à travailler, le sol du
Finistère avait été relativement peu exploré ; en
Bretagne, les recherches de préhistoire semblaient
être comme la chasse gardée des archéologues
morbihannais. Paul Du Châtellier ne ménagea ni
son temps ni sa peine. Avec la collaboration de
ses deux zélés et sagaces amis, les commandants
Martin et Le Pontois, il passa partout dans le
département. Sans a ucun doute, sur beaucoup de
points, ses recherches furent incompl ètes; il le

reconnaissait lui-même. Son rôle était de fmyer,
de débl ayer un e route sans prétendre à la suivre
jusqu'au bout. Un précurseur, ce terme, dont on
ab use parfois, le définit pleinement. Ses Epoques
préhistoriques et gauloises clans le Finistère, dont
une seconde édition, tenue au courant des décou­
vertes nou velles, parut en 1907, demeurent la base

- 107 . -
ceux qui cheminent sur les mêmes sentiers. Ainsi
que de tout savant sérieux, on peut dire de lui que
ses erreurs mêmes n'auront pas été inutiles; ce
qui n'empêche pas les résultats positifs de ses
recherches d'être fort considérables : il fut notam­
ment le premier à comprendre et à mettre en
lumière l'intérêt de la poteeie néolithique. A la
Société, où l'entourait l'affection respectueuse de
tous, on se souvient de son dévouement à sa tâche,
de son affabilité pour ses confrères, de son atten­
tion à veiller sur la bonne matche du bulletin. Sa
" mort, en 1911, provoqua d'unanimes regrets.
Les deux présidents qui, depuis lors et jusqu'à
la fin de Hl22 , gouvernèrent les destins ùe la
Société archéologique, sont encore des nôtres.
M. de La Rogerie, archiviste du département, a
quitté en 1912 le Finistère pour l'Ille· et-Vilaine,
mais nous savons qu'il ne nous ouhlie pas; les
chercheurs finistériens ne s'adressent Jamais en
vain à sa large expérience des archives bretonnes.
Quant à M. Abgl'all, sa retraite volontaire le laisse
tout à nous; c'est un inestimable secours pout' le
président titulaire de pouvoie, en toute occasion,

profiter de l'autorité de ses avis.
Mesdames, m.es chers confrères. Telle a été la
Société archéologique du Finistère dans le passé;
telle elle doit rester dans l'avenir. « L'avenir,
l'avenir, mystère 1) dit le poète, grand mot vague
et troublnnt. Nous pouvons, nous, le pron011cer
- 108-
de mal la formidable crise de la guerre où tant
'd'autres groupements analogues ontpéri ou perdu
des forces, Hélas, nous avons été touchés comme
les autres, tou chés, et cruellement, dans nos
amitiés, touchés aussi, sensiblement, dans nos
ressources, Une administration prudente, une
augmentation aussi modérée que possible -
de la cotisation, ont rétabli l'équilibre finan cier.
Ce qui nous a sauvés aussi, ce qui nous a sauvés
surtout, c'est le noble élan de l'opinion publique
qui, dans notre France victorieu~e, s'éprend plus
que jamais des antiquités nationales. Il semble
que le passé de la pat:--i e soit devenu plus cher
depuis qu'une étrange fureur bestiale' s'est déchaî­ née contre lui. Tous veulent connaître, aider à
conserver ce qui nous reste, châteaux forts et
cathédrales, énigmatiques menhirs et demeures
gallo-rom ai n es, archi ves,m éd a illes,sta tu es, aspects
de la nature elle-même. Jadis on ne voyaitgu ére, à
s'inscrire dans nos rangs, que des hommes mûrs;
maintenant, le mouvement a gagné jusqu'aux
dames et, à contempler cette généreuse émulation
d'enthousiasme, on ne pRut se défendre de songer
à celle qui emportait vers la science renouvelée
les m eilleurs esprits féminins du XVIe siècle.
Réjouissons-nous donc à constater qu e, suivant la
pittoresque form ule de Maître François, d'éruditis­
sime mémoire, cc les femmes et filles ont aspiré à
cette louange et manne céleste de bonne doctrine )) .
Les chiffres ont leur éloquence. En 1914 la
Société comptait 140 membres; au début de la

- 109-
présente année, elle en comptait 325. A cet égard,
nulle sociéte d'archéologie, en Bretagne; ne la
dépasse. Mais il ne suffit pas d'être nombreux; il
faut, dans toutes les directions, poursuivre des
recherches, produire, publier des mémoires. Il
faut, malgré la dureté des temps, qu'aux tra­
vailleurs disparus en succèdent toujours d'autres,
qu'inspirera toujours la même ardeur, que récom­
pensera toujours le même succès. P ersonne ne

discute plus de l'utilité de l'histoire. Quand même
elle ne ferait tout simplement que répondre à un
. besoin de l'intelligen ce, ell e serait utile, de l'utilité
directe, qui est la vraie, celle des choses qui sont
des fins et non pas des moyens pour passer
ailleurs. Mais elle a bien d'autres vertus, surtout
quand on cherche par elle à pénétrer jusqu'à
l'homme même, dans un pays qu'on aime et qu'on
habite. Plus que l'histoire générale, nécessaire­
ment un peu vague et lointaine, au moins pour
la plupart des esprits, l'histoire locale, suivie de
près, rend clairement sensible l'étroite solidarité
des générations; elle chasse la présomption; ell e
enseigne le respect de l'œ uvre des morts, sans
interdire, en la continuant, de la réform er. Je ne
crois pas qu'il puisse jamais être un malhonnête
homme celui qui se livre en toute sincérité à nos
études.
Livrez-vous-y, Messieurs. Si modeste qu e soit
votre rôle, vous n'aurez pas perdu votre temps.
Dans le cercle de votre influence, veillez sur notre
riche patrimoine d'art; si les circonstances vous

-110 -
le permettent, présentez des communications. Ne
quittez pas de vue les exemples que nous ont
légués nos prédécesseurs. Et ne croyez pas que
par prédécesseurs je ne veuille désigner que les
hommes de 1845 et de 1873. Notre société, en
réalité

est bien plus ancienne qu'on ne pense. Le
grand âge classique fut, sans doute, assez peu
fa vorable a l' Ilrchéologie; elle se main Lenai t
su rtout chez les fils de saint Benoît. Mais, quel
éclat dans la première moitié du XVII" siècle! Il
Y eut alors, sur le territoire qui devait devenir
celui du Finistère, une vive curiosité pour les .
époques dispa rues. La société archéologiqu e
idéale, celle qu e ne bornent ni les temps ni les
lieux, y recruterait successivement quatre adhé­
rents de grand poids: un chanoine, c'est Jean
Moreau; un haut officier nous dirions fonction­
naire c'estle gouverneur de Quimper, Sébastien
de Rosmadec, baron de Molac ; un religieux, c'est
ft'ère Albert Le Grand; un gentilhomme campa­
gnard, c'est Guy Autret de Missirien. A l'exception
de la préhistoire, création du XIX

siècle, il n'est
pas, dans notre programme, de partie qu'ils aient
négligée. Moreau, racontant avec un e curiosité

malicieuse les intrigues et batailles des années
où sévit la Ligu e, rapporte, si l'occasion s'en
pr'ésente, de plus lointains souvenirs; les ruines
romaines sollicitent son attention; c'est lui qui
nous révèle l'existence d'un livre, jusqu'a présent
introuvable, que son ami et compatriote, le
chirurgien Gourmelen, avait consacré aux anti­ quités de la Cornouaille .

- 111-
Vous le voyez. Les quartiers de noblesse ne
manquent pas à la Société archéologique du

Finistère .; elle doit les reconnaître, non pour
s'en contenter, mais pour y ajouter. Plaçons là
en esprit sous le patronage des Moreau, des
Gourmelen, des Molac, des Albert Le Grand, des
-Guy Autret et, avant de finir, arrêtons-nous un
instant en face de celui de nos devanciers qui me
semble représenter avec le plus de vérité et de
bonhomie l'archéologie d'autrefois, Guy Autret,

seigneur de Mis.3irien et de Lezergué. Gentilhomme
attaché à la terre, non des plus opulents peut-être,
mais cel'tes. des plus sages, il ne s'éloignait guère
de ses manoirs, tantôt sous les grands arbres de
Lezergué, en Ergué-Gabéric, tantôt sur les âpres
landes du Cap, à Lezoualc'h, en Goulien. Il y vécut
paisible, ennemi des agitations vaines, mais aussi
de l'oisiveté déprimante. Il s'occupait à s'orner
l'esprit et à remuer des archives. Il en remua des

quantités prodigieuses. Les familles volontiers lui
confiaient leurs titres. Il était principalement gé-

néalogiste, mais toujoms à un point de vue élevé.
Les généalogistes sont quelquefois de terribles
gens, à l'esprit trop flatteur ou ingénuement
inventif. Lui, il marchait lentement, s'informant
sans repos, se tenant en défiance. Sa prudence
fut telle que la mort le surprit avant qu'il eût
achevé sa tâche. De la grande Histoire généalo-c­
gique de Bretagne qu'il méditait, à laquelle il
travailla plus de trente années, nous ne connais­
sons que le projet; presque tous les matériaux ont

-112 -
péri. Guy Autret n'avait assez écrit que pour
donner a regretter qu'il n'eût pas fait davantage
et aussi, ce qui nous importe, pour laisser des
enseignements utiles. Ce généalogiste possédait
l'esprit avisé d'un historien critique et l'âme gé­ néreuse d'un vrai patriote. Un feu sacré flambait
en lui. Expose-t-il sa méthode, il insiste sur sa ·
« forte et constante résolution de ne rien advancer
sur la foy des mémoires s'ils ne sont confrontéz
aux titres» . Aucune considération « n'est capable,
dit-il, de me résoudre a une telle complaisance
ou ' plutôt lascheté que d'estre l'a utheur d'un
mensonge ou l'inventeur d'une narration fabu­
leuse » . Il veut, s'il donne aux. grands> même aux
princes,leséloges qu'ils méritent, qu'on le dispense

« des affections et dissimulations qui sont -- et sa
voix s'élève les vices ou plustost les crimes ord i­
naires des historiens». Son plaisir personnel et la
gloire de son pays, voila ses buts essentiels; tout ce
qu'il peut souhaiter de plus satisfaisant, c'est de
prouver « qu'il n'y a province en France en laquell e
on puisse rencontrer si grand nombre d'anciennes
. familles ni d'hommes illustres en toutes professions
comme. en celle de Bretagne ». Ce livre, qui n'a
jamais été composé, eût appartenu assurément a
une espèce bien originale : œuvre d'un érudit
capable a la fois de pénétrer les détails et de
, dominer sa matière, de juger et de s'émouvoir (1).
(1) Voir Guy Antret, seigneur de Mïssirien, correspondant de Pierre
d'Hozier en Basse-Bretagne (1635-1660). Lettres inédites, recueillies et

- 113 -
Et dans quelle langue cela eût été écrit, vive,
personnelle, fraîche, s ucculente ! E cou tez: « Je ne
mets point en doute que quelques satyriqu es ne
s'attaquent à mes escrits ; aùssi ne dois-je pas
présumer qu e mes productions puissent ressem­ bler le miel de Crette, auquel les mouches ne
touchent jamais ; mais cette crainte n'est pas
capable d'attiédir m a résolution ; l'or n'au l'oit
jamais sort y des Indes si nos pilotes a voient
appréhendé les orages et les fromens ne seroient
ja mais seméz si les laboureurs ne mesprisoient les
chenilles. »
Ah le brave homme, le gentil conft'ere ! Co mrhe
il est encourageant, comme on se sent tout de
s uite pris de sympathie pour lui, rien qu'à le lire!
J'en s uis sûr: vous a uriez aimé le connaître. Au
moins recueillons avec. soin tous ses tres sages
conseils. Bons laboureurs, m éprisez les chenilles ;
archéologues, travaillez; soyez h onnêtes ; des
« affections et ra vissements in croya bles» ce
sont les mots de notre a mi paieront votre
consta nte et droite application.

Pour de tels conseils, il valait bien la peine, .
vous le reconnaîtrez, d'évoqll er en ce jour la
physionomie docte, souriante et courtoise de Guy
Autret, seigneur de Missirien et de Lezergué,
chevalier de l'ordre du Roi.
H. W AQUET .

181 -
DEUXIÈME PARTIE

Table des Mémoires publiés en 1923

PA.GES
1. Quelques notes sur le célèbre centenaire Jean
Causeur, par DAlllEL BERNARD. . . . . . .. 3
II. Vieilles chansons bretonnes : II. La chanson de
Monsieur de Boisalain, par 1. LE GUENNEC . " 8
III. Archives du château de Kerjean-Mol . . . . .. 24
IV. L'expansion romaine dans le Sud-Ouest de l'Ar­
morique, par le D' PICQUENARD [1 planche]. 49, 124
V. Quatrième campagne de fouill es préhistoriques
dans le Finistère (1922), par l'abbé FAVRET, le

commandant BÉ:\'ARD, G. MONOD [7 planches]. 83
VI. Cinquantenaire de la Société archéologique du
Finistère. Discours prononcé li. la séance du
28 juin 1923 par H. WAQUET . . . . . : . '. 98
VII. Discours prononcé à la ca thédrale de Quimper le
lundi 9 juillet 1923 par Mg' DUPARC, évêque de
Quimper et de Léon . . . . . . . . . . . . 1 H
VIII. La Société archéologique et la préhistoire: Etude
rétrospective par H. LE CARGUET et le chanoine
ABGRALL.. . . .

161