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Société Archéologique du Finistère - SAF 1922 tome 49 - Pages 117 à 132
DES ENVIRONS DE QUIMPER
(Suite)
En revenant par celle-ci vers Quimper, nOBS trouvons bien
tôt à gauche l'entrée du parc du joli château moderne de
Quistinic, qui surveille, sur sa colline toute moutonnante
d'épaisses futaies, la profonde et sinueuse vallée du Stéir. Le
vieux manoir converti en ferme est une maison trapue du
XVII" siècle, ornée de trois lucarnes de pierre en hémicycle.
Dans la cour, le puits s'abrite sous un petit édicule hexa§Onal
en forme de toti relIe à double étage. qui présente sur deux de
ses faces des écussons frustes inscrits dans un encadrement
gothique.
En 1426, Pierre de Kergnisan avait un métayer exempt à
son manoir de Quistinic, qui appartenait en 1536 à Jean du
Guilly, sieur de Toulgoat. A la fin du siècle suivant, cette
terre était possédée par Jean-Baptiste de Malherbe, avocat,
syndic de Quimper de 1692 à 1703, père de Joseph-Hyacinthe
de Malherbe, écuyer, sieur de Quistinic, capitaine de la paroisse
' de Perihars, mort à Quistinic en 1741. Leur descendance
directe existe encore, mais la propriété a passé en d'au Lres
mains. La famille de Malherbe, originaire de Normandie et
apparentée au poète fameux, porte: d'hermines à six rose-s
de gueules, 3, 2,1. On ne peut donc lui attribuer l'écusson
sculpté sur le cadran solaire placé au-dessus de la porte de
l'ancien manoir, et qui présente un mi-parti d'un fas cé ondé
118
Presqu'en face de Quistinic, mais au Sud du chemin, est
l'ancien lieu noble de la Coudraie, signalé par les piliers de
granit à corniches et calotte arrondie qui ferment l'entrée de
son avenue . On a totalement rebâti la vieille maison, laquelle
avait, paraît-il, une avancée en encorbellemen t à pans de
bois, d'un caractère assez original.
Au bas des pentes boisées de Quistinic, nous atteignons la
route de Locronan, qui court au fond de la vallée, parallèle
ment à la voie ferrée et au Stéir. Près du confluent de celui
ci et du ruisseau de Pencran, se cache, sous quelques grands
arbres aux pu issantes ramures, le manoir de Loscoat (Lost
Coat, la queue ou la fin du bois) modeste demeure qui garde
encore, derrière une façade en pierres de taille du xvnr" siècle,
des constructions plus anciennes avec arcs en accolade et
baies moulurées. Au-dessus de la porte, deux écussons ovales
fln ronde-bosse ont été martelés. Derrière la maison s'élève
une petite tour carrée contenant l'escalier. A droite. dans la
cour, est la chapelle, amputée de son clocher, mais reconnais
sable à son chevet à trois pans et au monogramme pieux qui
timbre sa porte cintrée. L'intérieur sert de cellier. Une belle
fontaine voûtée coule au-dehors de l'enclos, et deux piliers de
granit, tout drapés de lierre et de ronces, émergent encore
dans un champ voisin. indiquant l'entrée d'une longue rabine
disparue qui menait du manoir au chemin de Trohéir_
Pour gagner ce dernier village, nous devons joindre le carre four où la vieille voie de Quimper à Brest par Lan véoc se sépare
de la route actuelle de Locronan, puis franchir le pont pitto
resque et buissonneux jeté sur le Stéir. Trohéir est une très
ancienne terre noble qui a donné son nom à ses possesseurs
primitifs. Geffroy de Tuonhéir, homme d'armes (armiger)
-119
laire de la cathédrale de Quimper, Dès 1426, . sa terre avait
passé aux du Juch de Pratanroux, qui y tenaient deux
métayers exempts de fouages . En 1475, Henry du Juch , capi
taine de Quimpet', passa avec l'évêqu e Thibaud de Rieux un
accord aux term es duquel il était autorisé à conserver la jus tice patibulaire de Trohéir, élevée sur la colline de Kergroac'h.
à condition de devoir à l'évêqu e une chefTrente d'une paire de
mitaines brodées de fil d'or, qui devaient être remises au
prélat, par le seigneur lui-même ou par un sien gentilhomme,
au commencement de la m esse de minuit célébrée dan s la
cathédrale. Cette redevance curieuse fut acquittée de façon
fort irrégulière, et donna lieu à bien des lu ttes de procédure .
Troh éir a passé, comme Pratanroux, aux familles de Lezongar,
Le Baud et Rosily de Méros, avant d'être acquis, en 1775,
par le sieur Deredec, négociant à Quimper.
« Irons-nous jusqu'au m anoir et au m oulin ~ » dema nde
M. Trévédy aux lecteurs de ses instructives Promenades.
« Inutile », répond·il au ssitôt, « ils ne nou s offrent plus
rien à voir ». Ce grand travailleur prisait plu s les vieux
papiers que les vieilles pierres, et n'accordait qu'un regard
distrait aux restes défi gurés des manoirs anciens dont il a
écrit si doctement l'histoire. Mais pour nous, n'ayons pas de
ces dédains, et, à défaut de la demeure seigneuriale ruinée
et d émolie, contentons-nous de fragments accessoires, encore
marqués au sceau d'un lointain passé. Ce sera, à Trohéir,
une curieuse écurie gothique, avec ses portes cintrées ou en
accolade, ses fenêtres à traverse , ses petites lu ca rn es arron
dies ; elle oITre, telle quelle, le suj et d'une j oli e page d'al bum , bien que la réfection de sa ru stique toitu re de chaume,
plaquée de mousses vertes et roses, lui ait ravi b eaucoup de
son charme. N'oublions pas la maison voisine aux belles
assises de granit, a'llx lu carnes aiguës , le vénérable puits et
sa margelle ceinturée d'une moulure en torsade, ni m ême
120 -
railles rajeunies. Les seigneurs de Trohéir prétendaient les
premières prééminences après l'évêque de l'église de Ker
feunteun. et réclamaient aussi le droit de fondation de la
chapelle de Saint-Conogan, sur l'autre rive du Stéir.
En nous rapprochant de Quimper par le cliemin de Kerri
voal, nous rencontrons bientôt à droite le village de Kerben,
jadis Kerpaën. Il y a eu là un manoir dont les seigneur~
étaient héréditairement sergents féodés de l'évêque pour son
fief des Reguaires. On trouye cette terre aux mains, en 1437,
de Jean de la Couldraye, chevalier, et en 1539, de Richard de
Coetanezre, dont le fils Guillaume, seigneur de Pratmaria, rend
aveu en 154r. Elle a plus tard appartenu aux du Baffond de
Lestrédiagat. Les vieilles constructions ont été détruites par un
incendie vers 1880. Il n'en subsiste d'autres traces, dans les
bâtiments actuels, qu'une grange au pignon magnifiquement
appareillé, quelques linteaux ornés d'accolade, et une inscrip
tion très effritée qui doit être un nom propre : VALLA V ....
A un kilomètre au Nord de Kerben, au penchant d'un
agreste petit vallon, se trouve le hameau de Kervescar, autre
fois Kervastar, où existait une vieille maison noble qu'a pos
sédée la famille Lhonoré. L'habitation a été reconstruite. et
seuls les bâtiments de service ont gardé, ainsi que le puits,
identique à celui de Trohéir, un caractère ancien . Au-dessous
du village, dans la prairie, il y a une petite fontaine à pignon
daté de I7L~1 et creusé d'une niche à statuette.
Plu s près de Quimper, au sommet d'une colline dominant
le cours du Stéir et le vieux moulin des Salles, sont les
restes du manoir de Kervoyec ou Kermoyec, décrits par
Fréminville dans ses A ntiquités du Finistère (t. II, p. 517-
518). « Ce qu'il en reste de plus considérable est, dit-il, le
corps du logis où se trouve la grande salle, et à la façade
duquel sont tr~is grandes arcades cintrees à angle obtus, et
supportées par des colonnes fort courtes, fort écrasées et
121
carré sans aucun ornement. ... Tout le haut de ce bâtiment
est ruiné et couvert des guirlandes d'un lierre séculaire. Il
en est ainsi des murs de l'aile qui est adjacente à droite,
et qui, nous dit-on, était occupée par la chapelle. La porte
en est simplement carrée. mais l'architrave en est fort basse».
La tradition place à Kermoyec une ancienne maison de
Templiers, et Fréminville, toujours féru des souvenirs de ces
moines belliqueux, voyait nalurellement dans la ruine qu'il
a examinée un manoir « bâti et habité dans le treizième
siècle par les chevaliers du Temple)). Aussi ne s' étonne- t-il
point (( du style égyptien qui règne dans l'architecture de
cette façade ... puisque ceux qui l'ont fait construire en avaient
pu prendre des modèles lors de leurs expéditions guerrières
contre les soudans d'Egypte )J. M.ême, le nom du lieu, qu'il
écrit /{ergouïec et traduit par l'habitation du savoir ou de
ceux qui savent, des savants, lui fournit prétexte à disserter
sur la science-dont les Templiers avaient acquis les éléments
par suite de leurs rapports avec les peu pIes d'Orient, et qu'ils
rapportèrent dans leur patrie. Par malheur, cette ingénieuse
étymologie semble toute fantaisiste, car'Kermoyec est la véri
table appellation de l'endroit et le second terme de ce vocable
ne peut être qu'un nom propre .
Les titres relatifs à Kermoyec conservés aux Archives du
Finistère (1 G 34) ne remontent pas au-delà de 1633. Ce
manoir était alors la propriété et la résidence de d
Françoise
Le Lagadec, veuve d'écuyer Corentin Le Béguec, sieur de
Chefbocage, conseiller du Roi au présidial de Quimper, qui
fournit aveu il l'évêque. En 1670, il appartenait, par acquêt
sans doute, à un paysan, Alain Ollivier, dont les descendants
le tenaient en core en 1774. Aujourd'hui, l'étrange édifice à ar
cades vu par Fréminville a disparu (1), mais il subsiste encore
(i) M. Chabal, architeclp à Bres t, possède un album de (dessins de
Fréminville dans lequel le savant antiquaire a reproduit les ruines de
(( J{ergouiec1 ançiepne n13Îson de l'Ordrl? d\l Temple. » ' .
122
quelques bâtisses anciennes. La construction qui flanquait à
droite le portail de la cour est en bel appareil et munie d'un
escalier tournant en pierre. A côté existe un puits à haute mar
gelle octogonale. Plus loin, les chevronnières moulurées d'une
maison ont pour amortissements une sirène à queue recourbée
en angle aigu. un lion décapité et un petit personnage
portant une gourde à la ceinture; d'une main, il se
gratte l'occiput, de l'autre, il lient une coup~ , En face est
la vieille métairie noble avec sa cour ravinée. ses portes
à linteaux gothiques, ses fenêtres à moulures, appuis et
tra verses, et ses crédences de pierre pra tiqu ées dans les
murailles.
Au-dessus du manoir moderne de I :errivoal, · que mas quent d'agrestes bosquets, s'étagent sur · la pente Est d'un
côteau au profil arrondi, les édifices du hameau de Stangbi han (le petit étang). aulre vieille seigneurie possédée en 1480
par Jehan Gauvain, archer en brigandine parmi les nohles
de Kerfeunteun à la rriontre de 1481, et vers 1530 par écuyer
Christophe Gauvain. époux de d
lle
Jeanne PezrOD. Demeuré
veuve, celle· ci fut pourvue en 1535 de la tutelle de son fils
François Gauvain, et fournit en 1530, 1540 et 1543 des aveus
et déclarations au fief des H.eguaires pour le manoir de Stang
hihan, avec ses bois de fu taie, ses taillis, son moulin, les
lieux nohles de PenguiJer et Stangbihan-Huella. etc.
François Gauvain, sieur de Stangbihan. époux de d
ll e
therine de Kervicher, rend aveu en r562 pour ce manoir et
comparaît la même année à la montre des nobles de Cor-
nouaille, où il « dict qu'il faict picque sèche)J . Son petit-fils
Jacques Gauvain, sieur de Stangbihan et de Penguilezre,
s'enrôla en 1636 dans l'arrière-ban de l'évêché de Quimper,
et cette famille fut maintenue en qualité de noble d'extraction
en 1670. Stangbihan appartenait, en 1710, à écu)'er Guillaume
de Kerguélen, sieur de Kerbiquet, qui le tenait de la succes
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affermé à un cultivateur. En 1747, Claud~-Marie de Kergué
len, seigneur de Kerbiquet, rend aveu pour Stangbihan; sa
veuve Guillemette de la Jumelaye félit de même en 1766, et
leur fils Joseph-François-Annibal de Kerguélen rend aveu à
son tour en 1777 (1). D'après la description qu'en donne cette
dernière pièce, la maison n'avait de remarquable que sa
façade en grand appareil et ne possédait ni chapelle, ni
colombier. Depuis tout a été reconstruit, et de belles pierres
de taille employées çà et là dans les nouveaux bâtiments sont,
avec une fontaine à édicule et niche, les seuls vestiges de
l'ancien Stangbihan.
Revenus dans la vallée, et toujours plus près de Quimper,
nous rencontrons · à droite l'avenue du vieux manoir des
Salles, Dès le début du xv· siècle, il était à l'une des princi
pales branch es de l'antique maison de Coëtanezre, et ses
possesseurs comptaient au nombre des insignes bienfaiteurs
du monastère des Cordeliers de Quimper, où leurs sépultures
s'abritaient.dans. le chœur de l'église conventuelle. M. Tré
védy affirme que Jean de Coëtanezre, procureur-général du
duc Pierre II en Basse-Bretagne, mort au pays de Léon en
1466 et inhumé aux Cordeliers, était seigneur des Salles. Son
petit-fils Jean de Coatanezre, époux de Catherine de Lescuz,
mourut en 1537, laissant le manoir des Salles à leur fils
François, marié à Isabelle de Kerguélen, père et mère d'autre
François de Coëtanezre, seigneur des Salles, époux d'Hélène
Geffroy. .
Leur fille aînée et héritière Julienne de Coëtanezre, dame
des Salles, s'allia a René du Dresnay, sieur de Kercour
tois, jeune et vaillant gentilhomme qui trouva une mort
glorieuse en 1594, alors qu'il escorLait les députés de Basse
Bretagne convoqués par Mercœur à Lamhalle, et qu'il défen
dait contre les ltoyaux le passage d'un pont, près Pontivy. Il
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laissait une fille unique, Marguerite du Dresnay, mariée à
Claude de Bragelonne, issu d'une illustre famille de robe, qui
devint lui-même président aux Enquêtes du Parlement de
Paris. Depuis, la terre des Salles a passé par voie d'alliance
aux Le Jacobin de Keramprat. Eû 1708, l'abbé de Penamprat,
archidiacre et grand-vicaire de Léon, la vendit pour 6.600
livres au sieur Desprès, et elle était en 1781 à écuyer François
Marie Duyal de la Poterie, ancien capitaine d'infanterie au
bataillon de Crozon, époux d'Augustine Furie de Kerguiffi
nan.
Un grand porLail à arcade, flanqué de deux tours rondes,
donnait jadifi accès dans la cour du manoir, mais il a totale
ment disparu et a été remplacé par une clôture coupée de
piliers de granit. A droite, une maison remaniée au XVll
siècle a conservé une élégante porte gothique à archivolte
feuillagée, pinacles bosselés et fleuron timbré d'un écusson.
De l'autre côté, des constructions plus anciennes en pierres
de taille, à portes et fenêtres moulurées dans la note du x v'
siècle, sont devenues des écuries et des étables. Au fond de
la cour, une rangée de piliers sépare le manoir d'une vaste
priürie bordée par la rivière. L'un d'eux porte deux écussons
ovales blasonnés d'un chevron accompagné en chef de deux
éloiles el en pointe d'un croissant, armes que M. Tréyédy
attribue aux Duval de la Poterie, derniers seigneurs des Sal
les. Un jardin cerné de vieilles murailles ébréchées et tapis
sées de lierre, s'étend au Sud de l'habitation.
A trois cents mètres à peine des Salles se rencontre le ma
noir du Parc. baigné par les eaux paisibles du Stéir. Ce lieu
a été le berceau d'une famille de même nom, dont était
Maistre Jehan du Parc, représenté entre les nobles de Ker
feunteun à la montre de 1481 par Pierre son fils, archer en
brigandine. En 1550, on trouve le Parc aux mains de Jean
de Kerbezcat, sieur du Buliec, puis il appartint à diverses
125
melin de Lancelin, de Lesguern, Gouesnou de Kerguénès par
acquêt en 166 r, Despcès, Gouesnou de Kerdour et Le Bou
teiller.
On y a beaucoup remanié et démoli, mais il reste encore. à
gauche, un édifice du XVIe siècle, bâti en équerre, à porte en
anse de panier, fenêtres barrées de meneaux en croix, et tou
relle d'angle découroonée. A ce bâtiment se relie, vers la
droite, une autre construction décorée de deux lucarnes Re-
naissance oITrant des écussons à cartouches déchiquetés, et
des figures de lions ou de chiens au bas de leurs rampants.
Un double portail, dont la porte piétonne bouchée subsiste
seule, s'ouvrait au Nord, sur le chemin de l'hôpital Saint-
Yves. Derrière la maison, le petit « plessis» humide et her
beux meptionné par les vieux titres, et si joliment décrit par
M. Trévédy, voit couler toujours sa fontaine mystérieuse
ombragée de deux séculaires ormeaux.
Gagnons à présent le bourg de Kerfeunteun. Bien que la
paroisse comptât bon nombre de maisons nobles nous en
avons vu plusieurs depuis Trohéir, et nous en visiterons
encore diverses autres son église du XVIe siècle est d'une
désolante pauvreté en fait d'armoiries et d'insignes seigneu
riaux. Des blasons peints daus la maîtresse vître de Gilles Le
Sodec, il n'existe plus, aux soufflets du tympan, que les vides
remplis par des disques de verre blanc. Aucun enfeu, aucune
dalle tumulaire n'ont survécu aux « réparations» du siècle
dernier. Deux culs-de-lampe expulsés de l'église et déposés
dans la cour du presbytère oITrent pourtant, le premier un
mi-parti de trois têtes de loup (Visdelou) et d'un croissant sur
monté d'une hache d'armes et accompagné de trois coquilles,
le second un arbre f euillu. Un autre écusson encastré dans
l'escalier extérieur de la maison d'école est chargé d'un
126 -
ours (?) accompagné en chef de deux étoiles. Enfin, au-dessus
de la porte d'une maison moderne située en face de l'allée
qui mène à l'église, on a placé un écusson blasonné d'un
sautoir et encadré de moulures gothiques.
Au sortir de Kerfeunteun, à droite de l'ancienne grand'route
de Châteaulin et de Morlaix, deux piliers de granit au pied
d'une croix moderne signalent le vieux manoir de Missirien
(la carte d'état-major écrit Messilien, conformément à la
prononciation locale). Jehan du Plessis, sieur de Missirien,
comparut à la montre de ]L181 par Guillaume, son fils, archer
en brigandine. En 1506, l'évêque de Cornouaille Claude de
Rohan fait don du droit de bail ou de rachat à lui acquis par
le décès d'Alain du Plessis, sieur en son vivant de Maesirien,
à Lorans du Plessis, fils aîné du défunt, su r la recommanda
tion de l'abbé de Daoulas, Jean du Largez, évêque suffragant
de Vannes. L'année suivante, Henry de Kerminihy, curateur
dudit Lorans du Plessis, sieur dudit lieu et de Messeryen,
fournit aveu à l'évêque pour ce manoir, avec ses bois,
prairies, largesses et autres appartenances, le tout chargé du
douaire dû à Marie de Lescuz, veuve d'Alain du Plessis.
Lorans du Plessis était fils d'un premier mariage de celui
ci et de Françoise de Kerminihy. Il épousa lui-même Plézou
Richart, et mourut avant 1526, laissant pour fils autre Lorans
du Plessis, écuyer, sieur de Kerminihy et de Messuryen, qui
rendit aveu en 1542 pour le manoir et métairie noble de
Messuryen, maisons, bois taillis, ancien parc, clostures, feniers,
frostages, issues et appartenances, valant /5 livres de rentes .
Sa femme Marie de Coetanezre lui donna un fils, Pierre, époux
de Barbe de Toulalan; ils n'euren t qu'une fille héri tière,
Gillette du Plessis, dame de Kerminihy et de Missirien,
mariée vers 1595 à Claude Autret, sieur de Lezoualch, dont
elle fut la seconde femme.
Leur fils Guy Autret, seigneur de Missirien et de Lezergué,
a i~rimé une certaine illustration à ce nom de Missirien
127 -
sous lequel il est habituellement connu. Après avoir servi le
roi à la guerre, il se retira au manoir de Lezergué, où nous
retrouverons bientôt son souvenir, et sc livra avec délices à
l'étude de l'histoire de Bretagne, compulsant les archives,
rédigeant sur les familles nobles de son pays de curieux
mémoires qu'il communiquait complaisamment à ses corres
pondants, le marquis de Molac, d'Hozier et autres. Il mourut
à Paris en 1660. L'année suivante, sa nièce Renée de la Mar
che, dame douairière de Mezle, propriétaire de Bodriec et
Missirien, rendait aveu au fief des Regaires pour le manoir de
Missirien, ses bois de hau te futaie et taillis, terres et tenues,
le village et le moulin à fouler de Sain t-Denis en Cuzon,
prééminences, armes et tombes à Kerfeunteun et dans la
chapelle de Saint-Sébastien en la cathédrale, et possession
prohibitive de la chapelle de Saint-Denis (1). Au XVIIIe siècle,
Missirien appartenait à la famille Le Saux du Loch.
Ce manoir ~~t une grande et sombre maison élevée d'un
seul étage. De ses deux portes, l'une a une arcade gothique
sobrement moulurée, avec un amortissement en griffe à la
base des pieds-droits; l'autre, très grande et cintrée dans la
note du XVII" siècle, est en partie bouchée. Les fenêtres ont
été modernisées, mais on y remarque encore les amorces des
meneaux disparus. L'habitation semble avoir été aménagée
bourgeoisement au temps de Louis XV ; on a recouvert, à
l'étage, les vieilles cheminées de boiseries peintes et posé sur
l'une des pièces une porte vitrée à petits carreaux verdâtres.
Dans la salle du rez-de-chaussée, une porte s'ouvrant sur un
appentis adossé à l'arrière-façade, est surmontée d'un écusson
mi-parti d'argent au chêne de sinople, au franc canton de
gueules chargé de deux haches d'armes d'argent, et d'azur à
l'éléphant d'argent portant une tour d'or. Ce sont les armes
respectives des familles du Plessis et de Penhoat (des sieurs
- 128
dudit lieu et de Kerdanet en Poullan). Devant la maison est
uo puits carré peu orné. Quelques restes de vieux murs bien
appareillés qui bordent la route sont probablement les vestiges
des clôtures de cet « ancien parc » cité dans l'aveu de 1542.
Nous laissons sur la droite, à la Croix-des-Gardiens, ainsi
désignée du nom d'une antique lignée paysanne, la vieille
route de Pleyben et de Morlaix, puis nous descendons vers la
petite vallée où se cache la chapelle de la Mère-de-Dieu. Selon
le cantique breton composé par le P. Martin sur la vie du
P. Maunoir, c'est en suivant ce même chemin:
(( Entre Croaz-ar- Gardien ha maner J(ermorvan »
que l'illustre missionnaire eu t une révélation céleste de l'apos
tolat auquel Dieu le destinait en Basse-Bretagne. Après avoir
quitté l'ancienne voie abandonnée de Châteaulin, qui escalade
à droite une côte rocheuse, nous trouvons bientôt vers la
gauche les restes pittoresques du manoir de Kermorvan, une
l~rge grange au vaste toit, terminée par deux grands pignons
à chevronnières, et dan s la façade de laquelle a été encastrée
une haute porte gothique à l'arcade aigüe, aux pieds-droits
ornés d'une triple moulure prismatique. Le moulin seigneu
rial, ruiné depuis le XVII" siècle et envahi par le lierre,
s'aperçoit encore dans la prairie que coupe une chaussée
relian t le village à la l'OU te . .
Thomas Kermorial, sieur de Kermorvan, fournit aveu à
l' évêque en 151
3 pour son manoir de Kermorvan, paroisses
de Cuzon et de Kerfeunteun, avec maisons, pourpris, jardins,
courtils, bois et prairies. Son fils Pierre épousa Catherine
Pérault, dont maître Guillaume Kermorial, sieur de Ker
morvan, qui rend aveu pour ledit lieu en 1563. Louis de Ker
morial, dans son aveu pour Kermorvan fourni en 1620, dit
tenir ce manoir de l'héritage de son neveu Guillaume
Rubiern, écuyer, sieur de Kermorvan, décédé vers 1618, Il
s'enrôle en 1636 dans l'arrière-ban de Cornouaille, et déclare
-1 29
posséder une valeur de 300 livres de rente. Il meurt sans
enfants de sa femme Françoise du Dremiet, et son neveu
Pierre de Kermorial, après avoir recueilli sa succession, rend
aveu en 165 1 pour le manoir de Kermorvan, cour non close,
aire, courtils, pourpris, bois de futaie, taillis, moulin ruiné
et étang. Sa veuve Marie du Stangier rend aveu en 1679, et
son fils Louis en 1699 et en 1713. Dans ce dernier acte, il se
qualifie de lieutenant-général de la capitainerie de Crozon.
En 1754, Kermorvan était la résidence de dame Marie-Jeanne
Boutouillic, veuve de Messire Jean-Marie-Léonard de Ker
morial, mort en 1747, et tutri ce de leurs enfan ts. L'un d'eux,
Pierre-François de Kermorial, chevalier, seigneur de 1\.er
morvan, lieutenant des vaisseaux du Roi et chevalier de Saint
Louis, fournit déclaration en 1784 pour la succession de sa
tante Marie-Barbe de Kermoria1. (1) Cette ancienne famille,
originaire de la paroisse de Baye près Quimperlé, s'est étein te
seulement au XIX· siècle. .
Saluons de la route de Plogonnec la charmante chapelle d e la
Mère de Dieu, admirée de Gustave Flaubert, et que fonda au
début du XVIe siècle un seigneur de Keranmanoir, curieuse
maison noble que nous visiterons bien tôt, puis gravissons à
gauche les hauteurs de Kerlividic. Ce manoir, où nous.conduit
une courte avenue, est encore un ancien domaine de la
famille de Coëtanezre, si richement possessionnée jadis aux
abords de Quimper. J ehan CoeLanezre, sieur de Kerlividic,
paraît en archer à deux chevau x, entre les gen Lilshommes de
KerfeunLeun, à la montre de lL~8 [. Maître Alain de CoëL a nezre rend aveu à l'évêque, en 1540, pour le manoir de
Kerlividic, avec son bois taillis et de haute futaie. Jacques
de Coëtanezre possédait le même lieu en 1562. Dame Claude
de Chibaa (Cybouault), dame de Kerenbiquet, veuve d'écuyer
Charles Lhonoré et tutrice de leurs enfants, déclare vouloir
130 -
contribu er à l'arrière-ban, en 1636, pour les lieux nobles de
Kerenbiquet, [(erlividic, etc., valant 600 livres de rente.
I erlividic passa plus tard en d es mains roturières . Mes
sire Jean -I-Iyacinthe de Lh onoré le vendit, en 1693, à Fran çois
Le Cocq et Marie I-Iervieu, sa femme, sieur et dame de La
Touch e. En 1740, maître René-Corentin Hervieu, ci-devant
doyen des juges conseillers magistrats du siège présidial de
Quimper, et à présent conseiller h onoraire audit siège, rend
aveu au fi ef des Régaires, en qualité de nouvel acquéreur,
pour le manoir noble de Kerlividic, cour et jardin muré,
chapelle, auvent, cellier, rabines et avenues, bois de décora
tion , préémin ences en l'église de Kerfeunteun, consistant
en trois tombes sous le marche pied du grand au tel. Ses
héritiers, rep résentés par Messire Vincent Henry, chevalier,
seigneur de Botquigny, époux de dame Josèphe I-Iervieu,
Charles-Marie Le Baron du Boisjaffray, et Marie-Guillemette
Huon' de l( ermerien, faisant pour Bonaventure Briant; sieur
du Slang-Briant, fournissent en 1759 au même fief un
minu pour I erlividic et autres terres dépendant de la
succession (1) .
Le manoir de Kerlividi c, aujourd 'hui propriété bourgeoise,
est bâti sur une pente qui donne beaucoup d'élévation à son
pignon Sud, mais sa façad e grise, tapissée de verdure et éle
vée d'un seul étage, n'a d'autre agrément qu'une arcade
saillante encadrant l'archivolte du port lil en tiers-point, avec
un écusson fru ste à la clef et deux consoles feuillagées. Quel
qu es-unes des fenêtres sont ornées d'accolades ou coupées
de montants verticaux. La chapelle est défigurée et convertie
en débarras. Une fontaine voûtée laisse couler ses eaux au
pied du manoir, dans le chemin creux qui m ène, au fond
d'un j oli vallon tout proche, à l'ancienne mine de charbon
de Kergogne.
131
Nous sommes au point culminant de la colline, en face de
l'agreste panorama qu'offre la profonde vallée accidentée du
Stéir et les terres houleuses de Plogonnec, dominées par la
silhouette bleue de la mon tagne de Locronan. A gauche, le
chemin dévale rapidement jusqu'à la rivière, séparé par un
ruisselet d'une crête que couronne I ervigou, vieille cons
truction à l'air renfrogné de maison forte, avec ses étroites
fenêtres, son mur d'enclos rébarbatif percé d'une unique
poterne, et les ruines enlierrées qui l'en toment. Ce n'était
pourtant pas un manoir, mais un simple lieu noble dépen
dant au XVIe siècle de Kerlividic. A droite, une large voie
herbeuse, sans doute jadis rabine seigneuriale, se dirige vers
le manoir de Kergadou, enfoui dans ses bois aux sauvages
aspects. La famille primitive de I( ergadou avait disparu dès
avant 1500, et son berceau appartenait à cette époque à la
falpille de Kergueleoen. Françoise de Kel'Ouant, douairière
de Kerguelenen, et tutrice de soo fils François, rend aveu à
l'évêque, en 1563, pour le manoir de I(ergadou, métairie,
terres, bois de haute futaie, plusieurs taillis, moulin et
tenues.
En 1671, aveu est fourni par Marguerite Le Provost, dame
douairière du Cleuzmeur, héritière de son frère écuyer Charles
Le Provost, sieur de Treyer et de Kergadou , pou r les manoirs
du Haut et du Bas Kergadou, cour, jardins, chapelle, colom
bier ruiné, bois de futaie et taillis, moulins, prééminences
à Kerfeunteun « dans la fenestre estant au bout suzain de
la chapelle costière devers le midy », et tombe dans le balus-
tre du grand autel. On trouve en 1692 un mimi présenté
pour Kergadou par Catherine-Périne de Kerleuguy, veuve
de Messire Yves-~abriel Le Jar, seigneur du Cleuzmeur, et
tutrice de leurs enfants mineurs. L'une d'eux, Marie-Ga
brielle, épousa Messire Joseph-Marie du Dresnay, chevalier,
seigneur des Roches, et lui apporta les terres de Kergadou
132 -
réclame le droit de pêche en la rivière du Stéir. En 1780,
Kergadou ap partenait au chevalier du Dresnay des Roches,
chef d'escad res des armées naval es , gouverneur des Iles de
France et Bourbon (1), marin intrépide et savant distingué,
dont la Bibliothèqu e de Quimper possède divers manu scrits,
papiers et corre~pondances d'un grand intérêt. Le manoir
actuel a été remanié au HIll
siècle; c'est un lourd bâtiment
qui n'a pour lui que sa pittoresque situation parmi de belles
verdures, à mi-pente d'une étroite coulée qui jette ses eaux
dans la rivière voisi ne.
De Kergadou, nous atteignons en quelques minutes le
ham ea u du Brieux, formé des derniers débris et des dépen
dances reconslruites d'un ancien manoir important. L'avenue
a une belle ampleur et l'échalier du portail qui la fermait
es t encore muni d'une meurtrière. La famille du Brieuc, selon
la form e primitive, ou du Brieux était l'un e des principales de
Kerfeunleun; connu e depu is Guillaume du Brieuc, époux en
14g8 de Jeanne de TrManio, elle blasonnait: d'azur à trois
fasces ondées d'argent, une croix de gueules SUi' le tnut, et sa
dernière branche, celle de Kerven en Plonéis, n'a disparu
qu'au XiX· siècle.
(A suivre). 1. LE GUENNEC,
136
DEUXIÈME
PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1922
1 Sur l'étude de la civilisa tion préhistorique armori
caine, d'après ses monuments, par ALF RED
P AGES
DEvou'\, . . . . . . . . , . . . . . . " 3
II Élie Fréron,d'après un livre récent, par 1. LAGRIFFE 20
III Vieilles chansons bretonn es : I. François de Coëtlo-
gon, prieur de Kernitron, par L. LE GUENNE C. 26
IV Le bouton breton, par E. CHARBONNIER . . . ., 33
V Troisième campagne de fouilles en pays bigouden ,
par le commandant BÉNARD, l'abbé FAVRET,
GE ORGES A. - 1. BOISSELIER, GEOR GES M ONOT
[2 planches]. . . . . . . ' . . . . . . . .' 37
VI Les sépultures à coffrets et la chapelle Saint-Gilles
en Bénodet, par 1. OGÈs . . . . . . . . .. 51
VII Les anciens manoirs des environs de Quimper,
par 1. LE GUEN 'EC (suite) . . . ' . . . . 57, 11 7
VIII Le chemin du « Tro-Breiz )) entre Quimper et Sain t·
Pol· de-Léon, par le chanoine ABGRA LL et 1. LE
GUENNEC r 1 planche] . . . . . , . . . . . . 65
IX Le Cap Sizun à l'époque néoliLhique, par H. LE
CARGPET. . ..... , , .. , .... , 99.
X Quimper au XVIIIe siècl e. Notes et documents (II),
par DANIEL BERNAR D,
105
Quimper, - Imp. Mm . BARGAIN & C" , 1, Rue Astor et Quai du Stéir