Responsive image
 

Bulletin SAF 1922


Télécharger le bulletin 1922

Le chemin du Tro-Breiz entre Quimper et Saint-Pol-de-Léon

Chanoine Abgrall, L. Le Guennec

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères

Société Archéologique du Finistère - SAF 1922 tome 49 - Pages 65 à 98
LE CHEMIN DU " TRO-BREIZ "

ENTRE QUIMPER ET SAINT-POL-DE-LEON
Le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne, Tro-Breiz,
a été étudié avec amour et passion par le vénérable M. Tré­
védy, ancien Président du tribunal civil de Quimper, dans
le Bulletin de la Societe archéologique da Finistère,
année 1896, p. 203-234. Dans cette étude il a indiqué a
grands traits le parcours que suivaient les pèlerins pen­
ùant les temporaux consacrés à cc vùynge si étendu ct
qui aurait l'espace d'un mois.
II resterait peut-être à faire une monographie détaillée de
la route qu'ils parcouraient, en notant toutes les particu­
larités qu'on y rencontl'e: vestiges de voies romaines,
camps ct retranchement;;, églises, chapelles, hôpitaux, fon­
taines, etc .. Entreprenons donc cc tr'avail en ce qui con­
cerne le chemin qui va de Quimper il Saint-Pol-de-Léon,
voie suivie par les troupes pieuses allant rendre leurs devoirs
aux vénérés 1'ondateUl's de ces deux diocèses, aujourd'hui
réunis en un seul.
Nous trouvons là une vieille vo ie romaine, utilisée pen­
dant tout le moyen-fige et même jusque vers le milieu du
XIX· siècle, et que l'on peut suivre sur tout son parcours,
bien qlle maintenant elle soit délaissée en bien des points,
si ce n'est pour les petites communications entre hameaux
et pour le servicr. des champs et des fermes. C'est une dis­
tance d'environ 80 kilomètres, fi. vol d'oiseau; la route s'en

à cause de certains détours inévitables, des montées et des
descentes dans un pays si accidenté, on peut porter la me­
sure réelle à 90 kilométl'es,
M. Trévédy dit que l'étape fournie chaque jour par les
pèlerins était d'environ trois lieues et demie. Il n'y a dans
cette supputation rien de rigoureux ni de mathématique;
la longueur de cette étape pouvait être de 4, 5 ou 6 lieues,
d'après les gite::; que l'on trou vait pOUl' le repos du soir, la
couchée: bourgs, hôtelleries, hôpitaux ou étab lissements
dépendan t des IIospi taliers de Sain t-J ean-cle-J érllsalem,
[ci, d'après les supputations les plu::; rationnelles . la pre­
mière étape pouvait être à la Madeleine, prè::; Briec, par­
cours d'environ 16 kilomètres depuis Quimpel'; la seconde à
Pleyben, 15 kilomètres; la troisième à Saint-.J ean-da-Mou­
gau, en Commana, environ 22 kilomètl'es; la qnatrième à
Pleyber-Christ, 15 kilomètres, ct la dernièl'e de Pleyber à
Saint-Pol , 23; en tout 91 kilomètres,

Sortant de la cathédrale de Quimper où ils avaient prié
devant l'autel des Sept Saints, adossé au pilier de l'entrée
du chœur, côté de l'épitre, les pèlel'ù1s du l'ro-Brei. co tra­
vel'saient la place Saint-Corentin, montaient l'ancienne rue
Obscu['e, appelée maintenant rue Elie Fréron, passaient
par la porte de la Tourbie, Tour- bian (petite tour), qui
était surmontée d'une statue de la Sainte Vierge avec la­
quelle conversait Cathel'ine DianéloLl, la voyante quimpé­
roise dont le Père Maunoir a écrit la vie merveilleuse.
Là s'ouvrait toute large la voie qui menait à Chùteaulin
ct à Morlaix; elle est devenue, sul' un parcours de 800 mè­
tres, la rue de Kerfeunteun. Au bout de 150 mètres, on

f rères , Sur cet emplacement se trouvait un poste gallo­
l 'omain trè:;; important, commandant l'entrée de Quimper
par ce côté, comme sur d'autres points le poste du champ
de manœ uvre, au-dessus de Loc-Maria, commandait les
routes de Concarneau et de Carhaix, de rnème que celui de
l'Ecole Normale, au-dessus du Bourlibou, dominait les rou­
tes de Pont-l'Abbé, de Douarnenez et du Cap-Sizun,
Uuit eellts lTIètres aprè:;; avoil' passé devant l'église de
[(erfeuntelln, à l'endroit appelé l'Ange Gardien, la route se
bi furqu e. La bran ch e qui va en lig ne directe est l'ancienne
rou te de Chflleaulin e t de Brest; celle qui s'infléchit à droite,
l'ancien ne voie romaine allant il. Mo r'iaix ct il. Saint-Pol­
de-Lùon; c'est ce lle qu e nOU 8 avons à étudier, Elle va pas­
ser près dll manoir du Loc'h, descend dans le vallon, tm­
verse la nonvelle route de Châ teaulin ct le ruissüau, remonte
l'alltre pente ell chemin creux, derrière Coat- Billy, ct
arrivée SUl' le platea u, près de Ty-Ma-Fourman, retrouve
:;80 largeur primitive jusqu'à 1'y- Sanquer, où elle se
co nl'ond avec la route de Briec, pendant deux kilomètres ,
Dans les parages de Ty-Sanquer on a trouvé c1es tuiles
l 'oma in es e t l' on peut observer dans le talus des champs
riverains des piel'rcs provenant de la chaussùe ancienne ou
Ile co ns tructions de cette ùpoq ue rec ulée , Au bou t de quelque
temps , on e:;;t à un e bonn e altitude, à la cote de 126 mètres,
et l' on découvre un bel horizon qu'enjolivent les hauteurs
de Loc ro na n, Puis o n an' ive au Pén ity, ap pelé autrefois
l)énity-Saint-Rona n, parce qu'il y existait une chapelle
sous le vocable de ce saint. Cette ch a pell e dépendait-elle
Iles Hos pita liers de Saint-Jean. et indiquait-elle un e balte
nt un repos pou l' les péleri ns ?
A 100 mètres plus loin> on laisse à droite la Douvelle
l'O U te de Briec, et l'on s'engage dans le chemin de gauche
qui est plus étroit, mais qui était autrelois bien plus large,

champs. Au bout de un kilométre ou 1.100 mètros, 1111
trouve à gauche l'entrée du village de GueHen. 'l'nI
dans ce village qu'était dressée autrefois la statue éqUOHL I'I\\
mutilée, que M. le président Trévédy fit transportol' 1111
musée de Quimper, et qu'il a décrite avec grande cOrYll'hl
sance sous le nom de cheval anguipède, dans le Bulleli" ,1.
l a Société archéologique du Finistère (1).
Ce monument, qui remonte sans doute au second .
de notre ère, avait-il quelque ravport avec la voie an .
qui passait dans son voisinage? Tout près de ce grOIl
équest !'e se trouvait aussi un menhir taillé, ou lec'h con iqllQj

ayant une hauteur totale de 3 m. 60, brisé maintenant en LI'III
tronçons séparés ct dispersés. M. Trévédy rapporte qUQ
lec'h provient du Pénity, mais les plus àgés de::; hab'
de Guellen l'ont vu debout et entie!' dans leur village.
En continuant à marcher par le même chemin on trou
encore à gauche, le village de Lanhoallien, qui est .
dans le cartulaire de Landévennec, sous le nom de 1

Hoedleian (XIV> p. 149> édition de 1867).
Ce hameau comprend maintenant deux fcrmes dont
bâtiments som vastes et reconstruits il y a 20 ou 30 n
mais dans les champs voisins sont des maçonneries et
substructions qui pourraient bien êtl'C los re"tes du
hoallien primitif.
Reprenons encol'e notre chemin et, au bout de deux k
métres, nous trouverons à notre gauche une voie char
qui nous mènera, au bout de 500 mètres, à la ferme de .... ,
vern et à la chapelle de Saint-Egaree qui en dépend. P
au bout de 400 mètres, on est à Ty-Fao ct la route cal'
sable s'infléchit à droite pour prencl,'e la direction du b
de Briec. C'est là un embranchement allant en effet
(i ) Tome XIl!, 1886, p. 38 et suiv. Cf. H. Waquat, Vieilles
bretonnes, p, 52-54.

I\riec, puis par Edern et la chapelle de Saint-Jean-Bod­
I.ann, et conduisant probablement a Carhaix par Château­
lIeuf; et c'est un emb ranchement romain, comme l'attes­
lent un petit pan de maçonnerie en appareil cubique ct des
luiles à rebord, mis a jour par M. Croissant fils, il. l'entrée
tl'un champ, il. 500 ou 600 mètres de cette bifurcation.
Mais la voie que nous devons continuer sc prolouge en
ligne dil'ecte vers le Nord; ct, comme elle n'a pas été
tlxploilée et appropriée comme chem in vicinal, elle gardesa
physionomie ancienne ct une largeur cons id6l'able. On l'ap­
pelle Carhent al' Guellen (le sentier ou la roule chanp,tièl'e
du Guellen), cc qui !:;cmble indiquer l'importance ancienne
tle ce village, Elle descend en pente douce dans le vallon,
lraverse des prairies Olt tourbières , rencontl'e la route de
LandT6varzee, remonte pour passer il. côt6 de Ty-Men et a
HOO mètres environ de la chapell e de la Madeleine.
L'existence d'une Madeleine en ce point, quoique à une
t:ertaine distance de la voie, semble significative . D'ordi­
naire, les chapelles ct établissements qui sont sous cc voca­
I,le indiquent une 16proserie, avec, aussi, parfois, un hôpi­ ~al ou hôtellerie pour recevoir les pèlerins. Ici, aucun 6crit
tLn cien, ni le caractère de la chapelle ne peuvent nOUi5 ren­
~eigne r. L'édifice actuel date de 1578, comme nous le ver­
t'ons tout il. l'heure, mais il a pu être précéd6 d'un autre, du
XIIe ou du Xlll" siècle, dont il ne reste aucun vestige. Ses
tlimensions extél'ieures sont envit'on 18 mètres de longueur
NUl' 5 mètres de largeur, avec deux petites branches de croix
I :t un embryon d'abside droite dont la saillie ne dépasse pas
lin mètre. Les portes et les fenêtres offrent bien tous les
I:aractères de la fin du style flamboyant, ainsi que le joli
docher il. flèche et lucarnes, dont la base porte une longue
inscription il. peu près effacée, sauf les del'Oières lignes où
l' on peut lire: '
GVILLAVM TRELLV FABRIQVE

Au-dessus de la porte latérale Sud est un écusson III' l,"il
fruste, mais où l'on croit pouvoir reconnaitre les armll. Ii
vantes: pai'ti d'or à 3 losanges de gueules en banrlt: ~ , IÏ
d'argent à la croix pattée d'awr) qui est La Bouexié l'I :.
A l'intérieur, au bas de la pile Sud, a l'entrée du sillu
tuaire, on lit cette inscription:
1578. 14 IOVR DE FEVRII!:.R
Le maître-autel ct les deux autels des branches de ;:"1'\
sont e n granit) avec plinthes et tables moulurées.
Les statues vénérées sont:
1. Dans une niche en bois assez large ct ouvrag!'l!\
Sainte Vierge à genoux , couronnée par cleu x anges.
2. Sainte Mad eleine, tenant son vase de parfums.
3. Sainte Cath erin e, de l'ormes très puissantes, aVill1

sa roue ct son épée traditionnelles, ct roulant aux piedx III
tête du tyran Maximin.
4. Vierge-Mère, en piene.
5. Saint-Sébastien.
6. Sainte tenant un livre ouve rt.
7. Saint en chape, tenant un liVl'e ct plongeant l'cxtl'I\
mité de son bàton dans la gueu le d'un monstre.
8. Sainte avec livre et palme.
A rentrée du sanctuaire, a la naissance ùe la eharpo lltt\;
deux corbeIs ou blochels sc ul ptés, représentent sainte M'I

deleine et sainte Catherine, et ccs sculptures sont d'ex ', {11 , ~
lent style et d'une grande cOlTection . \
Dans la fenêtre absida le, composée de trois baies el (\fl 1
sou fflets, existent des restes d'un vitm iI de la Passiou !
N otre-Seignem en cl'Oix, lcs deux larl'Ons, la Sainte Vitll'/(11
ct saint Jean . Probablement la Madeleine était représtl lltl'tll
au pied de la croix , mais on n'on voit plus ri en, le::; JI'IU
neaux inférieurs ayant dispam. Dans le vitrail du trallslIl'(
N(,rd On voit sfm!cment le buste de la Madeleine, tenallt SI)II

vase de parfums. Dans les soufflets se trouvent deux bla­
so ns : d'or à la croia: cl'a.ur accompagnée de quatre tour­
teaua: de gueules? pu is d'or ci trois losanges de gueules.
Au côté Sud de la chapelle est un e bell e croix en pierre
montée sur un piédestal a plusieurs march es, avec autel en
granit s llr la face Ouest. A cô té de Notre-Seigneu r c l 'ucifié
nl1 voit la Sainte Vi erge et saint Jean; au revors , sont: un
saint évêqllc cn chapc, mitre et crosse, bénissant; les :-;aints
Ctlme et Damien, patrons r les m(~decins, en robe de doctcurs
et bonnet carr'ù, tenant des vases d'ong ll ()llt ou fioles de mé­
di caments. La représentation de ccs den x saints semb lerait
indiqu er l'existence d'un hôpital ou d'ulle maladrerie. SUl'
ce revo l's on voit un ôCllsso n prése1ltant : : 1.llssi trois losanges
en bande et d'autres pieces indéterminées .
A l100 miMes au Sud de la ch a pelle est la fontaine de
dévo tion, abritée par un e voùte en g ['anit au fond de laqll elle
est un c s tatue de la Made1eir,e tenant son vase de par­
fum s (1).

R evcnant 6. notrc vieille voie qll e nous avons qnitt6e,
s uivons-la pendant 800 mètres et nous a rrivons ù l' endroit
dit les 'l'1'ois-CI'oix, où elle se confond avee la nouv el le route
j\lsqu'à la chapell e de N.-D. c k s FOlltaines, en Gouézcc. Mais
il, 300 mètref'i des 'l'l'Ois-Croix , observons un chemin vici nal
qlli prend à gauch e et qui conduit au viltnge de l\erdl'cin ct
à la chapelle de Notre-Dame d' Jlijour, à 1.500 métres de
dis tance . Cette chap elle est de reco nstru ctio n récente, ell e
l'nt bénite en 1~ 18, et le clocher porte la date de 1841.
(1.) Cette chapelle de la Madeleine ne serait-elle pas sur le trajet
d'une voie anciennp partant de Douarnenez (J(er-Is), et passant par
Lo Juc'h, Pl ogonnec, Nord de Landrév arz ec , pour aller à Châteauneu( ?
C'est ce qui se mble probable par la largeur et la rectitude de ce che­
min, et par la dénomination de lIent Is qu'elle porte à Landrévarzec
(L'ocCltpation romaine, clans le bassin de l'Odet, par M. le docteur Pic­ ql1enard, voie nU -14, Bulletin de la Soc· iété archéologique du Finis­

La chapelle primitive, quila précédait, était probablemollt
sous le vocable de Saint-Léger, que l'on nomme Lijour danK
le pays. L'enceinte triangulaire qui entoure l'édifice a touto!>
les apparences d'un camp ancien; elle est enclose de retrall­
chements avec douves intérieul'es. En tout cas, de l'autro
côté du chemin Ouest qui longe ce placltre, est un vasto
champ tout entouré de retl'anchements en tetTe, hauts clo
1 m. 60 il 2 mètres, accompagnés de clou ves intérieures ut
extérieu res, et mesurant 120 mètres de longueur sur 80
de largeur, Assez p['ès de l'angle Norcl-Ouest se voit Lili
espace rectangulaire de 20 métres sur 8, qu'il est impossiblo
de mettre en culture, rempli qu'il est cle débl'is de maçonne~

rie et de tuiles à rebord. De ce point, a l'altitude de 200
mètres, les soldats l'omains commandaient admirablement
tout le parcours de la route depuis la montagne de Gouézec
jusqu'au-dela de BI'iec, ils pou vaient observer le pays à plu­
sieurs lieues a la roncle, et communiquer par signaux a feu
avec Ganec-an-Tân et d'autres postes disséminés ; sanE!
compter que, en continuant à gravir la montagne juSqu'l~
sa cime, qùi es t a la cote de 231 métres, on a devant soi
le plus vaste horizon qui se puisse imaginer, partant do
la baie de Douarnenez et la pointe de la Chèvre, pOUl'
embrasser la presqu'île de Crozon, les mamelons du Ménez­
Horn, toute la chaîne des montagnes d'Arrée, et d'autro
part déeou vl'ir les hauteuI's de Coray ct celles du pays do
Quimper jusqu'au cap Sizun.
Reprenons notre chemin de pèlerinage, qui se confond
avec la route actuelle de Pleyben, jusqu'à la chapelle de
Notre-Dame-des-T 'ontaines, laquelle doit cette dénomination
aux trois font.aines qui l'avoisinent et qui ont leurs légendes
dans le pays. L'une s'appelle la Font&.ine de Notre-Darne,
la seconde, de Saint-J ean ; et la troisième, des Trois-Maries.
La chapelle est vaste, composée d'une nef, d'un bas-côtô

nale i l'architecture en est riche ct indique les dernières
années du xv· s iècle ou les premiè res du XVI e. Il faut sur­
tout remarquer la façade Ouest, le pOl'che Sud et l'abside
a vec ses gâbles aigus, ses contreforts , ses pinacles et ses
gargouilles bizarres. A l'intérieur, so nt quelques statues de
style, et dans cinq fen êtres se voient des vitraux ou des
restes de vitrau x dans lesquels on peut reconnaître :
La Sainte Trinité et l'Annonciation, l'Adoration des
Bergers, l'Adoration des Mages, la Transfiguration,
- le Crucifiemen t.
Au côté Sud de l' enclos est un calvaire à base triangu­
laiL'e, avec uiches sur les trois faces et IflS eo ntL'eforts d'an­
gles i il porte la date de 1584. Les statues ont dis paru, les
croix sont en partie brisées; il ne reste plus que la Sainte­
Vierge s UL' ie crois illon de lacro ix du milieu et, sur une croix
latérale, le Bon L arron, avec un ange qui emporte so n âme.
Les picces du procès de canonisation de saint Yves nous
ap prennen t qLLe notre g ra lld Saint breton résida fréquemme n t
au « manoir de Gouézec», ct qu'il aimait a prêcher la parole
de Dieu dUlLs les carrefours du vois inage. Si, comme c'est
t rcs probable, il y avait déjà au Xlll

8iècle une chapelle
auprès des Trois-l·'ontaines, on sc plait à penser que saint
Yves y pria.
y avait-il un couvent attaché à cette chapelle ? c'est cc qui
\lemble résult e !' de la dénomina tion de Manac'h-ty, maison
des moin es, restée au g roupe d'habitations distant de 300
mètres, et du nom de Moulin-de·l'Abbé, à 800 mètres a u Nord.
Maintenan t, la route nouvelle se dirige le long du val­
lon, mais la vo ie ancienne passe prés du calvaire et attaque
franchement le flanc de la montag ne; elle s'élève rap ide­ menti sur 8es bords on trouve deux croix, àdes carrefours.
Ap rès avoir monté pendant deux kilomètres, on travel'se
Lln col entre deux cimes roch euses dont la plus haute porte

où l'on s'y attend le moins , apparaît devant les yeux le plil
saisissant s pectacle qui se puisse imaginer.
Nos automobilistcs et nos cyclistcs modernes ont /11\.
jouissances que n'ont pas connues nos pè t'es ; ils ont la !I11i!
trise de l'espace, la g riserie de la vitesse, la joie d'IIIIII
liberté toute pcrsonnellc; mais nos anciens ont eu al\~,.1
pour leur pat't des émotions ig not'écs de nos touristes . GI'il,dl
à leurs routes s'en allant pal' oaux et par monts, ils OIlL
con tem plé de g ra ndi o,;cs ho ri7.ons que ne pCII vcn t plus [11'1'­
sentc t' nos routes modernisées. Ici, le coup d'mil e::;t incolIl~
parable: c'cst toute la chaînc dcs montag nes d'AITltt
bleuissant dans le lointain et sc découpant nettement sll l'io
ciel, avec la culottc du Saint-Mich cl dom in ant le tOllll
ce sont les vastes campagnes de Pleybcn, Brasparts, Ch,\.
te au neu f, a vec lcu t's cham ps culü vés , lcu rs rich cs verdlll'oli,
leurs plaines, leurs coteaux, leurs clochers, Icurs bOUI'/{M
ct leurs villages aux maiso ns blanches; et pendant touto hL

dcscente du versant Nord, on aura deva nt lcs yeux ceILo
vision merveilleuse qui ira se diminuant, s'cffaçant peu h
pcu, a mesure que l'on de::;ccnclra dans la vall('c.
La route continue ainsi, sau vage , pierreuse, mvinée ot
t,mjours droite , jusqu'a ce qu'clic so it a l'l'ivée a POllt- ·
Caublant, où elle renco ntre l'Aulne , Ster- Aon, la plu"
g lorieuse de nos rivières, qui traverse tout nott'e dépal"
tement, de l'Est a l'Ouest , y décrivant des méandro
innombrables.
Il eût été intéressant de voir lc vieux pont romain ou hl
vieux pont Moyen-Age, qui franchissait autl'e fois ce COUI'I4
d'eau, mais depuis que la rivière a été ca nalisée , on y n
construit un pont n ouveau qui n'a plus pour nous le charlllU
d'ull ouvrage a nci en.
Nous som mes sur le terrain de Pleyben; nous contou rnon
un peu la hauteur qui se présente devant nous; au bOIlL

chemin, mais le cotoie a quelques vingt mètres de distance,
pour venir de nouveau se confondre avec lui avant d'arriver
au bourg.
Le bourg de Pleyben! Pomquoi ne pas dire la ville? Non,
c'est le bourg, mais un bourg représentatif, un bourg noble
et majestueux, avec une vaste place entourée de maisons
élégantes , et pour fond de décor, un cnsemble unique de
monuments : église, groupe de clochers, sacristie à dômes,
ossuaire, arc de triomphe et admirable calvaire. Pour les
décrire, il faudrait . une longue monographie qui du re5te
existe; fOI'ce nous est donc de les indiquer seulement, d'au­
tant plus que ces merveilles n'ont pas été contemplées par
les pèlerins du Tro-13rciz, car elles datent du XVI" et du XVII·
siècle. Mais, il est à croire que nos vieux bretons ont pu
voir à cette place d'autt' e::; monuments anci0ns et vénérables,
que les riches habitants dc Pleyben ont cru convenable de
rajeunir ct de ronou veler à la gloire de leurs saints patrons,
sainte Cathel'ine et saint Germain. Après avoir donc fait le
tour extérieur de ['église et admiré toutes ses splendeurs,
après avoir pénétré à l'intérieur, vénéré les Etatues et les
autels, étudié lu vieille verrière de 1530 et les innombrables
sculptures qui coure!:t sur les sab lières et les nervul'es de
la voùte, remettons-nOU5 en marche.
Désormais, le vieux chemin est plus imprécis; tantôt il
s'en va iso lé, tantôt il se confond avec le chemin modeme
datant de 1816, ou bien il est a lcaparé par les champs.
En tout cas , au bout de deux· kilom ètres, il va passer non
loin dc la chapelle de Notre-Dame de Lannellec, qui est
bâtie au milieu d'un camp assez vaste, dont on voit
encore les retranchements et les douves a l'Est et à
l'Ouest. Cette chapelle date de H90, comme l'indique une
belle inscription sU\' une colonne du chœur; on y remarque
deux belles statues de Notre-Dame et de Sainte Barbe dans

dans le retable du maître-autel et des resles de vitrall$

avec arm01rles.
A partir de ce point, quelle est la direction véritable dc III
vieille voie? suit-elle le chemin actuel ou va-t-elle vers 1 0-
riéquel et se perdre dans les bas-fonds impraticables? M:Li!'l
nous la retrouvons d'une façon sùre après la traversée du
vallon de Kel'yéau ; au lieu de faÎr'e une courbe par Ker­
merrien, elle monle tout droit vers Coatilioll, laissant 1 \
droite, à un peu plus d'un kilomètre, la jolie chapelle gothi­
que de la Madeleine, descend par l'entl'ée des terres du
manoir de Quillien, à Croaz-al'-C'hUI 'é, et traverse la rivièl'O
de Pont-Pras, séparant Pleyben de Bl'asparts, puis monto
vers le bourg en rampe assez ardue.
Compeza Brasparts,
Dioeina Berrien,
Diradenna Plouyé,
Zo tri zra dreist galloud Doué.
(Ap lanil' Brasparts, en lever les pierres de 13err'ien et les
fougères de Plouyé, tl'Ois choses impossibles à Dieu.)
C'est un dicton du pays, dont nous pourrons vérifier
l'exactitude pour ce qui concerne Brasparts, qui est en effet
tout en coll in es tourmentées et en vallons profonds.
Le bourg était vieux autrefois; il s'est tout rajeuni et s'est
donné la physionomie d'une petite villette de bons rentiers
et de commerçants opulents. L'église pode ft sa façade
Ouest la date de 1551 ; nous remarquerons le clochel' élégant,
avec sa tOUl'elle d'escalier, le porche de 1589, le joli petit
calvaire et l'ossuaire qui l'avoisinent; à l'intérieul', les
statues de Notre-Dame et de saint Tujean, l'autel du Rosaire,
les sculptures de la chaire à prèchel' et le vieux vitrail de la
Passion au pan Nord-Est de l'abside.
Il y a vingt ou tl'ente ans, Brasparts possédait une vieille
halle, chet~d'œuvre de charpenterie ancienne, très curieuse

et du Faou. Désormais, pour trouver les vieilles construc­
tions de ce genre, il faut aller a u Faouët ou à Plouescat.
Continuons notre pérég ein a tion. Prenons la route de
Morla ix jusqu'à l'em branchement du ch emin de Saint-Rivoal.
Tout prés sc trouve un g roupement triple de maiso ns, connll
sous le nom de Chà teau-Noir, puis un camp romain qui a
dù en premier lieu porte l' cette a ppellation. Da ns le champ
qui a remplacé le camp, on a fait disparaître des levées de
terre et des maçonneri es. Dans les abords du village on
voyait autrefo is des s ubs teuctions, des pa ns de murs, des
tuiles ct beaucou p de blocs de sco ri es de fe r'.
Si l'on veut voil' un oeau dépôt de ces scories, on n'a qu'a
poursuivre il un demi-kilomètre plus loin, da ns un e garenne
à l'O uest de Rün-a r-V ouale'h. Il y a là un tertre qui a ét6
explor6 pa r M. Jonco Ul', de Brasparts, et qui conti ent plus
de 50 mètl'es cubes de ces r6sidus, indices cel 'tains d'an-

eiennes l"ond eeies . Etaient-elles préromain es ,

roma lH es ou

du moyen- ùge ?
Des vestiges bien plus nombreux exi stent a l'Est de la
commune, à Bodri eè., où l' on trouve de grands amoncelle­ ment;; de sco ries , la trace des anciens fours et les éta ngs
pour la ver le min erai, vo il'e même l'emplacement des h abi­
tations des ou vriers.
Cette digees~ion fini e, quittons la gmnd'route. Le vieux
chemin, au li eu de passer a l'Es t du Saint-Michel pour
longer les bords du Yun-Elé, escalade la montagne, droit

vers le No rd. Il faut g ra vir un e pente assez raide au milieu
des cailloux roulants ct des fosses profondes , ra vinées par
des eaux paefois torrentielles. Arrivé au somm et, on est sur
un plateau assez étendu, et l' on voit au loin le chemin
s'avancer , à tra vers la montag ne aride, vers Bodenna,
R oquina re'h, R oudouderc'h, noms aux conso nna nces étran­
ges , en analogie a vec la nature qui leur sert de cadre.

voie féodale frayée en pleine montagne sur un parcoul'>' dl
plusieurs lieues, et qui séparait autrefois les deux coml'
de Léon et de P oh er, comme elle limite aujourd'hui I( 1
arrondissements de Morlaix et de Châteaulin, la voie S il
perd sur une garenne, mais réapparaît bientôt, très large II(
fortement creusée, a la descente de Roudouderc'h (1), g l'ClM
hameau perdu dans ces fauves solitudes, SUl' le versallt
Oues t de Toussaines, le plus haut sommet de l' Arrée apl'l~l:I
le Mont Saint- Michel. La l'emarqne a déjà été faite qu e le,.;
lieux nommés R oudour se trouvent tous s itués sur les poinl~
où un vieux chemin traverse a gué un ruisseau, [ci, e n effet,
à un kilomètre au-dessous du hameau , on franchit, ail
milieu d'un immense cirquc piel'rcux et desséché, tapissé do
genêts nains et de bruyères, l'Elorn e nco re nais:::ant, a peino
so r'ti des marais du Roz-du, et qui décrit bientôt au Nord Ult
brusque c rochet pour s'échu pper des montag nes par la
sau vage gorge du Hengoat.
Devant nous se dresse une haute c rète schisteuse, bizar­
rement déchiquetée en saiHies aiguës, Notre voie l'attaque
résolument de front. Il y a là une montéc assez courte,
mais rude, Il faut reconnaitre que les créatcLlf's de cette
route ont h abilement choisi, pour lui faire passe r les mon­
tagnes, l'un des end l'oits les moins élevés de cette partie de
la ch aî ne, L'altitude est seu lement de 283 mètres, alors que
les somm ets voisins ont des cotes bi en Supé l'Î ellres , 324,
3'14,368 mètres. D'ailleurs, les quelques fatigues de l'ascen­
sion sont amplement l'achetées par la vue merveilleuse qu'on
découvre du faite, en même temps qu'u n so uffle vivifiant et
frais vient caresser le front. L e rega rd embrasse les riches
campagnes léonaises, étalant au pi'ld des montagnes leurs
cultures, leurs champs, leu r" bois, leurs vallées baignées
(1) N'est- ce pas le Rudheder du ca rtulaire de Landévennec ?

rl'ombre ct de lumière, leurs cent clochers à jour émergeant
L Ies verdures, jusqu'à la mer traçant sur l'horizon un demi­
cercle d'eau bleue. De là , les pèlerins du Tro-Breiz pou-
vaient aperce voir, par des temps dégagés, la flèche du
Creisker marquant Saint-Pol-de-Léon, le but de leur voyage .
Presque au sommet sc tl'ouve plantée sur un tertre, a
gauche du chemin, une croix dite Croas-M élar, Le Chris t
est a ncien, mais 1 0 fùt a été remplacé en 1901, lors d'une
mission, ct des inscriptions bretonnes et françaises couvrent
les quatre faces du dé. L'un e d' elles dema ncle au Sau veur cie
pl'Otéger toute la contrée qu'il domine, et d' en bénit' les
habitants, ainsi qu e leurs trépassés . Cette croix doit sans
do ute ma rqu fJr l' endroit qui vit a u s ixième siècle un fait
miraculeux relaté cl ans la Vi e de Saint M éloir pu bliée pa r
M. de Gouvello ( 1). Après avoir égorgé le jeune prince
Méla r ou Méloir au ch ;î.teau cie la Boissière, pres Lanm eur
(ve rs 538), I . erioltan lui trancha la tête ct l' emporta il.
Quimper pour la présenter a u tyra n Rivod, On sait com­
ment la co lèl'e divine chùtia les deux misérables. Le corps
de Méla r, inhum é il. Lanmeur, y fut la cause d'un grand
no mbl'e de guériso ns miraculeuses, dont le renom attira
bie ntô t autour de sa sépulture des foules de pélerins. Le ch ef
du jeune ma rty r, vénéré il. Quimper, accomplissait aussi les
mê mes prodiges , mais cc partage des reliques devint l' obj et
de contesta tions et de qu erelles entre les populations de
Domnonée et de Co rnouaille, ch acune d'elles voulant pos­ séder le précieux co rps da ns son intég rité. P our a paiser la
disco rde, une assemblée d'évêques, de mo ines et de pieux
laïques, résolut de s'en remettre au jugement de Dieu.
8elon la décis ion prise, le clergé ct les fid èles de Quimper
(1 ) Revue historique de l'Ouest, documenls, lU" année, 1887, p. 105 à
Hg. M. de Gouvello a rx.trail sa documentation du texte du P. du paz
ct d'une vie inédite du saint, romontant au XIe 5iècle, trouvée par dom

et de Lanmeur se mirent en chemin pi eds nus, aprf\,.; 111\
jeüne de trois jours, en portant le chef et le co rps du glll
rieux saint. Ils se rencontrèrent sur les fronti ères de 1(\111'11
deux pays, à l'endroit où la l'Oute franchissait les montagllil
d'Arrée, et, ayant placé les reliques à une certaine distallt'II
l'une de l'autre, ils sc mirent en priéres, attendant qllll ln
saint voulùt bien manifester sa volonté par quelque mimel\!.
Une foule immense assistait à l'épreuve, invoquant Dieli A
grands cl'is , et récitant l'oraiso n dominicale. Tout il CIIII(I,
aux yeux de la multitudc, la tête s'éleva dans les ail'''; Hl
vint rejoindrc le co rps. C'était un s ign e non équivoqun 1(lIn
Mélar vou lait l'eroser tout entier (lans so n tombeau 1111
Lanmeur. A cette vue, les Dornnonéens sc répandirent un
actions de grùces ct en acclamations joyeu ;es ; ils renll'Ih
rent chez eux triomphants avec leul' trésor, tnndis quo h
Cornouaillais s'en retournaient les mains vides, attrist{)H III
déçus . Cc grand prodige arriva le quatorzième jour de 111111.
En commémoration, une chapelle fut constl'uite peu a\ll'ilt
au lieu qui en avait été le témoin, ct chaque a nnée, à pal'( iII
date, une quantité de fidèles venaient vis iter cc sanctuail'nl
auquel ils laissaient de belles oH·randes. Cc pèlerinage dllt
jusqu'à cc que les pos8esseul's du terrain s'avisassent.
piller les offrandes ct de molester les d6vots du saint. COll
ne revinrent plus; l'oratoire abandonné tomba en ruir
Mais les témoins du miracle voulurent en conservo l'
moins le souvenir, ct plantèrent deux 6normes poteaux ILII
endroits où la tête et le CO I 'pS du :-;aint ava ient été dél
pour l'épreuve de Dieu. Le peuple les appela les po
de Saint-Mélar. P ellt-êt l'e la Croas-Mélal' incliquo-t·oll
l'emplacement de l'un d'eux. Cette circons tance expli'l
pourquoi le culte de l'innocente victim e de Rivod (Jll'
répandu dans ce coin du Léon, où l'on trouve, à Il'(th
kilomètres à peine, la chapelle ruinéo de Lestrérnôlill',
et à dix kilomètres l'église de Loc-Mélar, décoréo Il

sculptures ct de tableaux figurant les scènes de sa vie
et de son martyre.
A gau ch e de la cr oix, près du va llon de l'Elorn, s'aperçoit
parmi un bouquet d'arbres le village de Kerfornédic, men­
t ionné dans la ch arte de 1160 en fa veur des cheva li ers de
Saint·J ean-de-J érusalem, sous le nom de K aerfo rnerit in
Commana. C'est le centre primitif des possessions de l'ordre
de Ma lte dans cette paroisse, qui furent plus tard appelées
« le membl'e du Mougault » et dépendirent de la comm an­
r loL'ie do La F euillée. [[ su bsiste, il [(el 'fornédic, plil siolll'Oi
ma iso n'S anciennes , dont l'II ne, avec ses mul's d'a ppa reil
so ig né, ses portes cintrées , ses étroites C enêtl'es garnies de
ba rreaux de C C L', son puits abrité par l'auvent qui protège le
porta il, a encore, semble-t-il, un certain ca ractère mo nas_
tique. Près d'elles, un autro b,Uim ent, il ou vel'till'es gothiques,
a été rema nié. Ces dive rses cons tru c ti ons bordent une vas te
co ur' en pente que C erm a ient des murailles , a uj ourd' hui
ruinées.
L e village d ll Mo ugault, situ é sur la route même de
Quilllpel', entro Kerfornéd ie et Co mm ana, devint ensuite le
cher-lieu de l'étrtblissement des Hospitaliers dans la région.
IIs.Y établ irent probablement un hôpital pour recueillir les
voyagellrs ct les pélerins , fatig ués d'a voir tra ver'Sé la mon­
L ag ne, et co ns truisirent une cha pe lle dont on voit enco re
los restes . .T llsqll'au MOllgault, le vieux ch emin, pierreux ct
raviné, dég l ' illgo le de biais les pentes , en s'inclin ant ve l'S
l']i:s t. Aux f'ougeraies desséch ées, aux mo m es landes brùlées
par le so leil et le vent, succèdent des verdures de prés et de
taillis , quelques champs de céréales , puis l' on r encontre,
tout au bO l'd de la vi eille voie , un magnifique dolme n de
quatorze mètres de longucu r, nommé al Lia -Ven (la loge
de pierre). Il mesure intérieurement 1 m. 60 de ha uteur
sous pl rtfond.
Un peu plus loin, on voit un g roupe de trois moulins

pittoresquement échelonnés près d'un étang, dont la chute
d'eau rebondit en écume sur les vieilles roueS ruisselantes
et noircies. Il y a là un joli site de feuillage et d'eau cou­
rante, délicieux à rencontrer au sortir de la montagne. L'un
de ces mouli ns s'appelle enco re le moulin de la Comman­
derie. Ensuite se montrent à gauche les ruines de la chap elle
de Saint-Jean-du-Mougault, qui trempent dans une sorte
de marécage. Cette chapelle, bâtie au quinzième ou au
seizième siècle, fut restaurée en 1659, date inscrite sur le
pignon Ouest. Elle se compose d'une nef et d'un bras de
croix, à droite, auquel est accolée une petite sacristie. La
maîtresse fenêtre a des restes de meneaux flamboyants.
Une autre fenêtl'e éclairait l'aile latérale, et une troisième,
garnie d'un meneaù unique soutenant un tympan à trois
lobes, est ouverte dans la façade Nord, garnie de contreforts
peu sai llants. Les plantes sauvages ont envahi tout l'inté­
ri eu r. Au-dessus du portail se voit un écusson portant des
pièces héraldiques diffi~ilement reconnaissables, qu'on pour­
rait peut-être iàentifier en consultant la liste et les armoiries
des commandeurs de La Feuillée données par M. l'abbé
Guillotin de Corson. Devant la chapelle est la base d'une
croix l'en versée, dont le fùt gît en morceaux, et un peu à
droite, il ya un e belle fontaine form ée d'un grand bassin
carré avec mur d'enclos, bancs de pierre pour le repos des
pèlerins, et, dans le fond, niche vide. Le joli retable de bois
scu lpté, style Louis XIII, qui ornait le maître-autel, a été
transporté dans la chapelle du cimetière de Commana, ainsi
que la statue gothique de saint Jean.
A la sO l ,tie du Mougault, on coupe l'a ncienne grand'route

de Landerneau à Carhaix, et l'on atteint le bourg de Com-
mana, posé sur le haut d'une colline, en face de l'impres­
sionnante perspective de l'Arrée. L'église est vraiment
monumentale, avec son grand clocher de 1592, son riche
porche de 1645-1653, son abside toute agrémentée de clo-

chetons; à l'intérieur, on aUl'a surtout à admirer les fonts
baptismaux, 1656-1682, et l'incomparable autel de · sainte
Anne, le plus riche retable à colonnes torses et à arabesques
de la région, 1662. Pour bien affirmer que nous sommes
réellement ici sur le parcours du vieux chemin de Quimper
à M(lrlaix et à Saint-Pol, il suffit de rappeler la déclaration -
faite par le recteur, M. Podeur, le 16 mars 1766, où il dit
que son bourg est situé sur le chemin de Morlaix à
Quimper (1).
Au Nord de Commana, notre voie parcourt un pays tour­
menté, coupé de vallons agrestes, hérissé d'énormes dente-

lures rocheuses ou jonché de ·blocs erratiques tantôt isolés,
tantôt superposés de la manière la plus étrange. A trois
kilomètres du bourg, on croise à droite l'aneienne avenue
du château du Bois de la Roche, près d'un étang endormi
sous son vert manteau de plantes aquatiques. Ce château
était possédé au quinzième siècle par la famille de Kermellec,
qui le transmit aux Cornouaille; il appartint ensuite aux
Bouvans et aux Coatarel. Il a été presque entièrement
démoli, à part un étroit corps de logis à porte gothique,
grandes fenêtres et petite rosace ogivale. Au centre de la
vieille cour pavée existe une vasque de granit, garnie
d'écussons frustes. Du côté du jardin se voit, encastré dans
le mur, un écusson aux armes alliées de Guillaume de
Cornouaille et de sa femme Marguerite de Kerriec, seigneur
et dame du Bois de la Roche en 1502. Un autre écusson
moderne porte le sautoir héraldique des du Laurens de la
Barre, possesseurs actuels du lieu, et sur une pierre prove­ nant d'une croix, qui est posée sur la balustrade du perron,
se trouvent les armes des Coëtlosquet, pleines et mi-parti
de Simon de Ke.ranot.
(1) Bulletin de la Commission diocésaine d'histoire et d'archéologie,
article: Commana. .

Au Nord-Ouest de la ferm e, dans un champ bordant la
route, sont des substructions gallo-romaines. La terre est
rem plie de fragm ents de poteries et de vases samiens, de
morceaux de tuiles et de briques à rebo rds droits, ayant dû
servir de conduite d'eau. Dan~ l'un des angles d'une cons­ tru ction détruite, on retrouve des rouleaux de terre cuite
longs de neuf centimètres et percés dans toute leur longueur
d'un trou cylindrique. C'étaient des cylindres isolant les uns
des autres les tuyaux de chaleur surgissant d'un hypocauste.
En tout cas, la présence sur notre voie d'une villa gallo­
romaine est un jalon propre à repérer cette partie du
parcours où le vieux chemin, resserré, sinu eux, transformé
en route vicinale, a perdu à peu près tout caractère.
On traverse la Penzé snI' un pont de pierre tout récènt,
puis l'on coupe le chemin de Plounéour-Ménez à Loc­
Eguinel', qui, sous sa form e modernisée, n'est rien autre chose
que la g rande voie romaine de Carhaix à Plouguerneau. Au
carrefour s'élève un e vieille croix de pierre (1 ). On passe
ensuite, à travers une région accidentée et à demi-inculte

près des hameau x de Kerandrao n, de Kergaër (à un kilo-
mètre et demi au Nord-Ouest, au bord du Coatoulsac'h,
village de la Boissière (2) et de Kervern. Ce dernier possède
un vieux manoir précédé d'un double portail à meurtrières
offrant la date de 1610 ; sur le pignon de l'édifice principal
est celle de 1647, mais la construction n'a rien de remar­
quable.
Un kilomètre plus loin, à la rencontre d'un vieux chemin
(i ) M. Livinec, de M orlaix , mA signale à foOD mètres du carrefour,
il gauche en allant vers Loc-Eguiner, une borne renversée rle i m. 50 de
longueur, en forme de tronc de cône allongé, et qui paraît être une borne

romame.
(2) Où l'une des pièces de terre f\st dite Goarem ar Coz-Castel (la
garenne du vieux château). Plus près de la route, à droite, hameau de
Lamarc'h, appelé dans des titres du xv· siècle, le manoir de Tour-Lan­
ar-marc' h.

venant de Plounéour-Ménez, il y a une belle croix a person­
nages . Le Christ, mutilé, est accompag né de la sainte
Vierge, saint Jean, saint François d'Assise montrant ses
stigmate::;, et sainte Marguerite foulant aux pieds un drago n
hideux. Sur le socle sont gravés les noms des donateurs :
YV ON : IN/ISAN : MA/RIE : MADEe (1 ).
A peu de distance de cette croix, sur le versant d'un e
haute colline parsemée de blocs granitiquo3, se montraient
il y a qu elques annér,s les ruin es de la chapelle de Saint­
Donoal. Elle existait déjà en 1459, d'après les aveux de la
terre de Lesquiffiou, mais elle avait été reconstruite da ns
les premières ann ées du dix-septième siècle, avec des maté­ riaux de choix soign eusement appareillés et a vait alors
échangé son vocable breton contre celui de saint Donat,
évêque d'Arrezo. C'était un édifi ce a un e seule nef, dont
les portes étaient ornées de moulures Renaissance très
simples. UÎl fin-' et léger clocheton surm ontait son pig non
Ouest. Abandonnée depuis longtemps, elle avait déjà,
lorsqu e je l'ai visitée, perdu tout es ses statues, mais
on y voyait des poutres à engueulements et des restes
de sablières, avec figures d'anges tenant des écusso ns. Cette
chal'elle est auj ourd'hui rasée de fond en comble ; on n'a
laissé debout que la croix voisin e, de facture gothique, qui
porte les statues du Christ, de la sainte Vierge, de la Mad e­ leine agenouillée, de saint Donat en évêque, bénissant, et
de saint Hervé accompag né de son petit guide Guiharan.
La route descend ensuite en laissant à droite le hamea u
de Gorréploué, au Nord duqu el M. Flagelle a signalé, da ns
un ch emin creux, un gisement de tuiles à rebord. On re­ marque a droite, appuyée au ta lus , une croix pattée, brisée

(:\.) Ces deux époux: vivaient en i630 ; ils tenaient à convenant, sous
le seigneur de Lesquiffiou, le manoir de Kel'vern. Ils étaient morts en

en deux et surmontée d'un e statuette mutilée du Christ,
puis, après avoir passé un ruisseau, on atteint la chapelle
de Christ, voisine du bourg de Pleib er-Christ qui en a pris
le nom pour se distinguer de Pleiber-Sairit-Thégonnec. Ac­
tu ellement, aucun e confusion n'est possible, cette dernière
paroisse n'étant plus connue que sous le nom de son saint
patron . Dès le douzième siècle, le Christ était un prieuré de
l'abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer, au diocèse de Saint­
Malo. Une bulle du pape Alexandre ru, donnée en 1163
pour ce monastère, mentionne parmi ces dépendances « Dil­
lam Christi de Pleyber cum appendiciis suis (1) ». La cha­
pelle a été rebâtie en 1822. Une inscription encastrée dans
le jambage de sa porte latérale apprend qu'elle avait déjà
été remaniée au dix-huitième siècle: LORS: FA: P:

MARTIN: ET: Y : POULIQUEN : ] 747. Son mobilier

est également tout moderne. Au bord de la route, il y a une
vieille croix dont le socle porte une inscription en caractères
. gothiques très effrités , et la date de 1536. L'un des deux
personnages qui accompagnaient le Christ a disparu; l'au­
tre est sai nt Hervé conduit par Guiharan . Derrière se trouve
une Pitié; aux pieds du Christ, on lit la date de 1574. La
fontaine consacrée ne remonte qu'a 1736; son canal d'écou­
lpment, coudé a angle droit, offre trois petits bassin::=; ronds
dis posés symétriquement.
Encore un kilom ètre, et nous sommes a Pleiber-Christ,
SUl' la g rand'route de Mol'laix a Quimper. Là, notre voie se
bifurque ; l'un des embranchements continue vers Morlaix,
sous le nom de Hent Kemper. Tout a fait abandonné, mais
bien conservé et très large, il pas::;e au manoir de Kerj ézé­
quel, a la croix des Justices de Lesquiffiou, au manoir du
Treuscoat, a Kerivin , à Traonarvilin, et monte vers l'église
de Saint-Martin de Morlaix, sous laquelle il rejoint la voie
(i ) Ancie ns Evê chés de Bretagne, 1. VI, p. 278.

de Brest. Tandis que cette branche prolonge vers le Nord­
Est la direction générale suivie depuis les montagnes d'Ar­
rée> l'autre rameau s'incline légèrement au Nord-Ouest et
quitte Pleiber en traversant les landes marécageuses et nues
où s'est établie la station du ch· emin de fer. On l'appelle
toujours Hent Castél (la route de Saint-Pol) (1), et, en effet,
elle court droit vers cette ville. Nul doute donc qu'elle n'ait
été suivie par les pèlerins du Tro-Breiz. A remarquer que
Pleiber, éloigné de Brasparts d'environ vingt-cinq kilomé­
tres> devait être le terme d'une des étapes, « la couchée »,
des pieux voyageurs, qu'une distance a peu près égale,
vingt-deux kilomètres, sépa rait enco re de la capitale du
Léon. Une des maisons du bourg se nomme le Porz-Ru (la
Cour Rouge) et ce nom significatif, cité dans des actes du
xv· siècle, semble indiquer, soit un établissement gallo­ romain, soit plutôt une léproserie ou une aumônerie fondée
à l'intention des pèlerins. Une des pièces de terre qui en

dépendent se nomme encore, d'ailleurs, Parc-an-Hospital.
En marche donc par le Hent Castel. Nous traversons
bientôt le vieux hameau de Lemlac'h, perdu dans de mornes
garennes. A un kilomètre sur la gauche se trouvent, au­ dessus de la gorge profonde creusée par le ruisseau du

Dour-Ruz, les vestiges du château de la Roche-Héron,
démoli, paraît-il, pendant les guerres de la Ligue. C'était
une place forte, et les anciens aveus rapportent que les vas­
·saux de la seigneurie jouissaient du privilège d'exemption
de tous droits aux foires et marchés de Morlaix,. a cause
du service de guet et garde qu'en temps d'hostilités ils
devaient faire au château (2) . De ce château, on ne voit plus

(i) J'ai vu dans les archives de Lesquiffiou des titres de propriété du
dix-huitième siècle où cette voie est nommée: Le vieux chemin de
Quimper à Saint-Pol. D'autres titres des XVIe et XVII' siècles l'appellent:
Le grand chemin de Pleyber à Léon, le grand chemin de Penzé, etc.
(2) Bretagne contemporaine, Finistère, p. 86.

que l'assiette, bordée à l'Est d'une large douve, et à l'Ouest
su rplombant presque sur le ravin; quelques pans de mu­
railles dessinen t au pourtour la form e d'une enceinte ovale
flanquée de tourelles.
Nous croisons, peu après Lemlac'h, une vieille voie ve­ nant devers Morlaix, et qui parait avoir été importante.
Serait-ce l'ancienne voie du Faou? Au carrefour, dé de
pierre d'une croix détruite. A 300 mètres à gauche> est le
curieux hameau de P envern, avec ses vieux logis de tisse­ rands à escaliers extérieu rs. Nous atteignons la route ac­
tuelle de Morlaix à Brest, près de Keravézen, à un carrefour
où tombe un autre vieux ch emin qui conduisait à la chape lle
de Saint-Aler ou Saint-Eloi, à peine éloignée d'un kilomè­ tre. Cette chapelle vient d'être démolie; aussi est-il bon d' en
dire quelques mots ici, pour en conserver au moins le sou­
venir. Sous sa dernière form e, elle ne remontait pas à

l'époque du rro-Breiz, mais elle avait r emplacé un oratoire
plus ancien, dont les aveus de la terre de Lesquiffi ou font
mention en 1459. C'était une construction du dix-septième
siècle, avec clocheton sur le pignon Ouest, portes moulu­
rées dans ce pig non et dans la IOllgère Sud, fenêtre cintrée
au chevet, et chapelle latérale à gauche du ch?"ur. Deux
statues ornaient le maître-autel de pierre, un saint Eloi et
une Vierge-Mère. A droite, dans un e armoire à volets, était
une grande statue du saint patron, brandissant un marteau,
et tenan t sa crosse de la main gauche. Il ne restait plus
qu'un des volets, offrant quatre médaillons peints: Premier,
saint Eloi forgeant en présence du roi Dagobert, reconnais­ sable à sa couronne et à so n sceptre surmonté d'une fl eur

de lis ; deuxième, le saint ferraut le pied d'un cheval,
ap rès l'avoir détaché préalablement, pour plus de facilité.
L'animal attend sur trois pattes la fin de l'opération , tandis
qu'un homme lève les bras au ciel en signe d'étonnement;

dame richement vêtue; quatrième, il est sacré évêque de
Noyon par deux prélats qui lui posent sur la tête une mitre
épiscopale. Au h aut du volet, de'lx écussons ovales accolés,
timbrés d'une couronne comtale, portaient les armes de
Lesquiffiou : d'argent à trois souches déracinées de sable, et
de Kersauson : de gueules au f ermail d'argent; au bas était
la date de 1701. La maitresse poutre soutenait un Christ en
croix. Dans l'aile latérale, il y avait un autre autel de pierre
et une Vierge-Mère gothique, assise et couronn ée. Sur la
muraille de gauche, on distinguait des r estes de peintures

datées de 1730, entre autres un grand encadrem ent conte-
nant les instruments de la Passio n. Su r le placitre s'élève
encore une haute croix de pierre, couverte de lichens et de
mousses ; son croisillon supporte le Christ, saint François
d'Assise montrant ses stigmates, saint Pierre tenant sa
clef, sainte Madeleine avec son vase de parfums, et
derrière, saint _ Eloi armé de son marteau. Cette chapelle
était sur une vieille voie allant, semblerait-il, de Morlaix

au Faou (?), par Loc-Eguiner et Sizun. Son carrefour
avec le chemin du Tro-Breiz est marqué par une petite
. croix de granit.
Un peu plus loi n, nous trou vons le grand vieux village de
Coatilézec, ancienn e seigneuri e possédée en 1334 par Hervé
de Quoetiraezeuc, chevalier, et Agayce, sa femm e (Arch .
de Lesquiffiou). Les Penhoet la tran smirent ensuite aux
Kerguennec, aux Le Borgne de Lesquiffi ou et aux du Dres-

nay. Les traces du vieux château sont encore apparentes ~n
face du hameau, sur la rive droite de l'étroit vallonnet que
rafraîchit le ruisseau de Trépom pé. Ses vestiges consistent
en une terrasse carrée, environn ée d'un talus peu saillant;
cette esplanade peut avoir ving t mètres de côté; son reli ef,
insignifi an t du côté Est, où elle se trou ve dominée par un e
prairie en pente, est plus marqué au Nord et au Sud, et
surtout à l' Ouest, 'vers le ruisseau, duquel la sépare une

sorte de douve marécageuse, Le retranchement de Coati­
lézec est demeuré jusqu'ici à peu prés inconnu, sans
doute en raiso n de sa médiocre im portance; cependant,
l' existence en cet endroit d'un ouvrage fortifié se trouve
attestée, en tant que besoin, par le nom même de la
pièce de terre où il se trouve, dite Prat-Goarem ar Coz­
Castel. Sa position lui permettait la surveillance d'un
double recoupement de voies , celles de Saint-Pol et de
Brest, au Nord.
Tout près de Coatilézec, on rencontre l'ancienne route
de Morl aix à Brest au-dessus de la vallée du Coatoulsac'h,
combe profond e et déserte qui fut jadis le théâtre de g uet­ apens nocturnes , de vols à main armée, de pilleries et d'as­ sassin ats, et qui en a gardé un renom sinistre. La route
dévale d'un trait jusqu'à la rivière, avec une de ces déclivi­
tés dangereuses dont ne s'effrayaient pas les ingéni eurs du
dix-huitième siècle, puis escalade d'un e seule halein e le
versant opposé, et semble brusquement fini,' SUI' la crête, au
ras du ciel. Cinq cents mètres plus loin , nouveau carrefour.
Cette fois , c'est la voie romain e de Morlaix (ou plutôt d'Yf­
finiac) à Brest que nous croisons , beau grand chemin qui '
resla jusqu'au règne de Louis XV le seul moyen de commu­
nication entre le célèbre port bas-breton et toute la pa rtie
Nord de la provin ce, de la France même y compris Paris.
Aband onn é à cette époque, lorsqu'on ouvrit, sur les ordres
du duc d'Aiguillon, tout un réseau de voies stl'atégiques et
rectilignes, il a pparaît enco re par places, à droite de la
viei lle route déclassée, désertée à son tour, et montre · des
tronçons de chaussée solide, feutl'ée d'un tapis de fin e herbe

roussie ou le ra re passage de quelques charrettes de meu-
niers laisse à peine de Ü'aces.
Après le carrefour, la voi e oblique un peu à droite, passe
au Palais, vieille ferme au Sud de laqu elle on a tmu vé,
parait-il, il y a plus d'un demi-.3iecle, des ::>ubstru ction::>

anciennes, puits, caves et murs (1), puis à Trépompé, gros
village d'une dizaine de feux , jadis chef-lieu d'une des cor­
dellées ou fréries de la paroisse de St-Martin-des-Champs.
Il dépend actuell ement de la commune de Sainte-Sève,

ancienne trève de cette paroisse. Dans une courte vi e de
saint Tugdual, écrite vers la fin du sixième siècle, par son
disciple saint Louénan, on lit que le saint, venu en Armo-

rique avec sa mère Pompaia, sa sœur Sena ou Seva, une
pieuse veuve , nomm ée Maëlhen, et une trou pe nombreuse
de disciples , de laïques et de serviteurs , reçut, vers 530,
du roi de la Domnonée Deroch, trois domaines, situés dans
le territoire dit alors pagus Doudur, et compris entre le
K efieut et le bas cours de l'Elorn. Ces domaines se nom­ maient, selon saint Louénan, Trépompac, Sant-Seguo et
Tregurdel (2). Le premier est très certainement Trépompé,
où saint Tugdual établit sa mère, et qui en prit le nom
(Tref-Pompée). Le second avait pour centre le bourg

actuel de Sainte- Sève, appelé touj ours en breton pa r ses
habitants Sant-Seo, du nom de leur patron primitif. qu'ils
savent fort bien différencier de Santez-Seva , ou Sainte­
Sève. Quant au troisièm e, on pourrait peut-être y voir
Tréoudal, manoit' situé non loin, sur le bord du Kefieut.
La tradition dit que sainte Pompée m ourut dans sa
retraite du Léon, et que son corps fut plus tard transporté
a Langoat, près de Tréguier, où on lui éleva dans l'église
un beau tombeau de marbre qui s ubsiste encore. Trépompé
devint seigneurie au moy en-âge; la famille qui en tirait son
nom se prétendait issue de la même race royale que 'Tug­ dual, Pompée et Sève. Dès le quinzième siècle, elle se fon­ dit dans les Coëtnempren, et la terre de Trépompé a passé
(i) A. de La Herblinays. Promenades à travers le Pays de Morlaix,
1.908, p. i 7.
(2) A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, I, 357.

depuis aux Blanchard, Héliès de Crechelez, Léon de Tré­
verret et Forestier. La chapelle de Saint-Pompée a dis paru
sans laisser de traces , à part le dé brisé en deux d'une croix
érigée autrefois prè;; de l'entrée du manoir. Ce manoir a
subi le même sort; il n' en subsiste qu e deux ou trois ma i­
sons,. plus délabrées qu'anciennes , avec quelqu es portes
cintrées et des débris de murs d'enceinte. La situation sur la
voie du Tro-Breiz du très ancien village de Trépo mpé est
significati ve; il faut noter aussi que S,l.Înte-Séve est sur la
voie de Morlaix à Brest, et Tréoudal, à proximité de la
voie de Morlaix à Quimper.
Au sortir de Trépompé, le H ent Castel redevi ent chemin
vicinal sur la long ueur d'un kilomètre, puis, à la hauteur
du manoir de P enanvern, il reprend son caractère pittores­ qu e de vieille sente herbeuse et infréquentée. C'est là un d0s
plus jolis points de son parcou rs, depuis Pleiber jusqu'à
P enzé. Des hêtres vigoureux lui font un e fraî ch e voûte de
feuillage, où l'on march e à l'abri du soleil, s ur' le gazon et
la mousse ; à gauche, à l'entrée de l'ancienn e avenu e de
l?enanvern, sont les ruines d'un e vieille croix gothique ren­
versée. Le dé a été déraciné de son piédestal et gît à c6té,
enco re surm onté de la moiti é d'un fût octogo ne ; l'autre
moitié, appuyée s ur la marche du socle, offre une image du
Christ, grossièrement taillée et très fru ste. Cette croix a dû
être érigée par la famille Guingamp , qui possédait P enan­
vern au seizième siècle. Le manoir actuel, reco nstruit à
l'époque de Loui s XIII par la fam ille du Louët, est aujour­ d'hui. co nverti en ferme. Il n'est peut-être pas inutile de
noter ici , bien qu'elle ne se rattache en aucune faço n au pèle-

rinage des Sept-Saints , la tradition d'après laquelle le jeune
Napoléon Bonaparte, alors élève de l'école de Brienne, serait
venu en vacances à Penanvern, avec son protecteur Louis­ Cbad es-René, comte de Marbeuf, lieutenant général des

nait alors ce manoir (1). La même légende se retrouve dans
le Morbihan, au château de Callac, autre propriété du comte

de Marbeuf, et expliquerait, si quelque document la confir-
mait, la sympathie du g rand capitaine pour la Bretagn e,
« ce pays des bons prêtres , des bons so ldats, des bons ser­
viteurs. Il
En quittant les futa ies de Penanvern, la voie pénètre dans
une immense lande d'ajoncs et de bruyè res , qui s'étendait
jadis de la forêt de Cuburien à la rivière de P enzé, et qui,
bien qu'entamée de tous côtés par la culture, étend enco re
sur des centaines d'hectares sa végétation courte et dme,
tour à tour, selon les saiso ns , rutilante d'or, brodée de pour­
pre, desséchée et flétrie. L'espace de trois kilomètres, on
tra verse du Sud au Nord ce plateau désert et inculte, planté
çà et là de quelques pins isolés, d'une maig re venue. Tantôt
les ajoncs et les ronces ont tellement envahi le vieux che­ min, qu'à g rand peine peut-on suivre le sentier frayé par
les très rares pàssants; tantôt, au contraire, la voie brus­
qu ement se dégage et se dilate en une sorte d'avenue triom­
phale, large de 20 mètres et plus. Ce traj et n'est pas sans
charmes. Les bois de Kervéguen eL de Lan-Penhoat ferment
d'assez près l'horizon, au Nord et à l'Est, mais vers l'Ouest,
on voit se creuser les vallées de la Penzé et du Coatoulsac'h,
dominées pa r la vieille motte féodale de Castel-D ouar, et
plus loin, su r la lig ne onduleuse des hautes terres de Gui­ clan et de Plouvorn, surgit un clocher que les pèlerins du
Tro-Breiz ont dù saluer de bien des invocations , la fam euse
tour de Notre-Dame de Lambader, ce chef-d'œuvre de l'ar-
(1) Une aulre tradition plus surprenante fait de Penanvern le berceau
même de Napoléon, qui y serait né des amours illégitimes du comte de
Marbeuf et de Lcntilia Ramolino. Cette légende, qui semble ne reposer
sur aucun fondement réel, a été très sérieusement examinée et réfutée
pal' notre érudit conlrère M. Charles Chassé, dans la Revue de la Semaine

chitecture gothique si h eureusement raj euni et consolidé.
Au Sud bleuissent les crêtes des montagnes d'Arrée.
Au sortir de la lande, nous croisons de nouveau un e voie
ancienne, celle de Morlaix à Lesneven et à Plouguerneau.
La route actuelle de Plouvorn lui a emprunté une partie de
son parcours, mais ici, elle s'est inclinée à droite, pour cir­
cuiter prudemment dans la descente de la Penzé, tandis que
le vieux chemin continuait sans déviati on. Au carrefour, il
y avait un e croix , dont il ne reste plus qu e le socle, grande
et haute terrasse carrée de près de trois mètres de côté, for­
mée de blocs de quartz assez réguli èrement supel'posé::,.
N'était-ce pas une de ces Croajou-ar-Salud qu'on rencontre

fréqu emment en Bretagne, sur des points élevés , et où les
fidèles en marche vers quelqu e pieux sanctuaire récitaient
une prière en l'apercevant pour la première fois? On dé·
cou vre, en effet, à plus de trois lieues de distance, la flèche
du Creisker et les clochers de la cathédrale de Léon. Le

calvaire a été renversé sous la Révol1ltion par les soldats des
généraux Canclaux ou Oshée. Un fmgm ent de granit, qui
semble en provenir, peut-être un tronçon du fùt, se voit
adossé au talus voisin. Nous som mes ici dans les anciens
domain es des sires de P enhoet, et l'on apercevrait bientôt,
en suivant à gauche la voie de Lesneven, les vieilles tours
éventrées de ce château parant de leurs débris roma ntiques
un délicieux paysage de prairies, d'eaux courantes et de
futaies . Aussi est-il vraisemblable de croire qu e la croix fut
él 'igée par les soins de ces puissants barons.
Ensuite, il n'y a plus, en fait de I- Ient Castel, qu'un étroit

sentier encaissé et pierreux, qui dévale au flanc d'un coteau,
parmi des taillis et des landes. A gauche, la voie a pparaît
par intervalles, creusant la lande d'un large sillon tout em­
broussaillé, et dessinant de chaqu e côté deux so rtes de longs
monticules ovales, dont l'un a été pris par M. de La Herbli·

Voici la nouvelle route de Plouvorn. De l'autre côté se

continue notre voie, utilisée, pendant un kilomètre, par le
chemin vicinal de Taulé. Elle s'en sépare bientô t, à gauche,
et plonge au fond d'une petite co ulée détrempée et ver­
doyante, où elle se transforme en lit de ruisseau. L'eau
glisse, rapide et clapotante, sur les pierres bouleversées de
l'antique chaussée romain e, qui doit être submergée depuis
des siècles. Jadis, on s'embarrassait peu de semblables
misères, et l'on barbotait bravement, a défaut de passerelle;;,
dans l'eau et la bourb e des gués les moins commodes . Gâtés
par la civilisation, nous sommes devenus plus diffi ciles en
fait de chemins. Cet endroit est d'ailleurs le seul impratica­ ble du vieux Hent Castel, depuis les montagnes d'Arrée
jusqu'à Saint-P ol- de-Léon, et, après l'avoir franchi en se
déchaussant co mme je l'ai fait, on atteint tout de
suite, par le plus frappant des contrastes , la blanche et pou­
droyante route nationale où passent en trombe, a vec leur
aveuglant sillàge de poussière, les autos qui emportent les
heureux touristes du ving tiéme siècle vers les merveilles de
la c ( Ville Sainte. »
Maintenant, l'ancien chemin de Quimper n'est qu'un e
banale voie charretière, sans autre caractère que sa direc­ tion touj ours rectiligne. Mêmfl, passé l'ancienne route de

Saint-Pol au ha meau de Croas-Hent ou Croissant, elle se
rétrécit encore, en une sorte de (c venelle » caillouteuse et
très déclive. Elle laisse à gauche le hameau de Locmiq uel,
où les Tem pliers avaient jadis , selon la tradition, un établis­ sement, et vient tomber en plein village de P enzé, entre la
chapelle et sa fontaine, juste dans l'ax e du vieux pont qu'a
rendu fameux la F oire des M ariages .
A P enzé se confondaient les deux voies de Quimper et de
Morlaix, q ui n'e n faisaient plus ensuite qu'une seul e jusqu'à
Saint-PoL On trouve dans ce village des tuiles à rebord et

romain. Une clef de . cuivre, découverte en 1825.· dans un
banc d'argile près de Penzé et conservée au muséè de
Morlaix, a la même origine. Au Moyen-Age, il y eut là un
château, siège d'une seigneurie dém embrée de la vicomté
de Léon en faveur d'Alain, quatrième fils d'Hervé de Léon,
seigneu r de Landerneau, qui vivait vers 1200. La châtellenie
de Penzé a passé ensuite aux Rohan, aux Tournemine, aux
Kergroadez, Le Meneust de Bréquigny et de Morant. Au
centre du hameau est la chapelle de Notre-Dame, recons· ­ truite en 178~. Au-dessus du portail, un ange formant con­ sole tient un écusson aux armoiries des sires de Penhoet,
qui doit provenir de l'ancienne chapelle, ainsi qu'un bénitier
gothique. La statue de Notre-Dame de Penzé est une belle
Vierge-M ère assise du quinzième siècle.
Au sortir de Penzé, le nouveau chemin va longer le bord
de la rivière, mais la vieille voie escalade braVement la côte
qui nous sépare du vallon de Pontéon. Au haut du plateau,

nous laissons à droite l'ancienn e avenue du château de
Lanuzouarn, dont il ne subsiste plus que quelques pans de
murs couverts de végétation, un colombier et une fontaine;
à gauche, dans le valloIl, sont les restes du château de
Penanéac'h, seigneurie jadis importante. De ce même côté
existait le prieuré de Notre-Dame de Locpréden, appartenant
à l'al?baye de Saint-Mathieu.
Le hameau de P.ontéon, autrefois animé pal' le passage
des voyageurs, est désormais abandonné et se mble l'empli
de tristesse. Sa vieille chapelle dédiée à saint Jean, devait
faire partie d'un des membres appartenant à la comman­
derie de La Feuillée ; elle a complètement disparu, et on
n'en trouve plus aucun ves tige.
Remontons la pente qui se présente devant nous, puis
dévalons vers le moulin de Ker·bic; la route par places est
envahie par l'herb e, mais sa chaussée conserve encore le
vieux pavé ou macadam en pierres rougeâtres. A notre

gauche se montrent les deux vieux manoirs gothiques de
Mezhélou et de Kerbic. Maintenant les deux routes se con­
fondent; passons à la station de Rel'laudy, donnons un coup
d'œil à la très longue et imposante avenue du château, et
arrivons au hameau du Mouster, au nom sig nificatif, mais
qui n' a conservé aucune trace de sa vieille chapelle de
Saint-Grégoire.

Bientôt on se trouve au haut d'une longue pente qui des-
cend vers Saint-Pol et l'on a devant soi un paysage admi­
l'able; la vaste campagne, si riche et si cultivée, l'anse
riante de P en poul et la mer au loin; les hauteurs du Champ­
de-la-Rive et le g l'and parc boisé du château de Kernévez.
Puis Saint-Pot la ville aux clochers a jour, l'admirable
Creisker, unique au monde, et les deux tours xm" siècle de
la cathédrale. Un regard en passant au hameau de la
Madeleine, autrefois habité par des cordiers, descendants
des lépreux; un souvenir à sa chapelle disparue; longeons

le parc de Kernévez, l'enclos du cimetière de Saint-Pierre,
enfilons la rue Verderel ou des Avocats, ei passons entre
les deux piliers qui signalent l' emplacement de l'ancienne
porte Saint-Guillaume, par laquelle les évêques faisaient
leur joyeuse entl'ée dans la vill e"
Nous frôlons les murs de l'église de N.-D. du Creisker,
nous sommes au pied de son clocher, gloire de la Bretagne;
tournons à droite pal' la Grand'Rue, conservant encore
quelques maisons originales du vieux temps.
Nous voici sur la grande place) en face de la cathédrale
qui déploie devant nous son imposante façade méridionale,
si bien relevée par son porche du XIll

siècle et la maj estueuse
rose du transept. Entrons par le porche Ouest, gardé par la
statue du saint Patron, et pénétrons dans cette nef toute
fleurie et toute imposan te pour aller vénérer ce qui nous
reste de ses précieuses reliques ; un os du bras et le chef

épiscopale le vieux castellum romain abandonné et désolé
dans lequel il pénétra par la porte occidentale, et qu'il bénit
et sanctifia en l'aspergeant, au chant des psaumes et des
hymnes, avec l'eau de la fontain e connue sous le nom de
Lenn-ar-Gloar.
CHANOINE ABGRALL.
LOUIS LE GUENNEC .

136
DEUXIÈME

PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1922
1 Sur l'étude de la civilisa tion préhistorique armori­
caine, d'après ses monuments, par ALF RED
P AGES
DEvou'\, . . . . . . . . , . . . . . . " 3
II Élie Fréron,d'après un livre récent, par 1. LAGRIFFE 20
III Vieilles chansons bretonn es : I. François de Coëtlo-
gon, prieur de Kernitron, par L. LE GUENNE C. 26
IV Le bouton breton, par E. CHARBONNIER . . . ., 33
V Troisième campagne de fouilles en pays bigouden ,
par le commandant BÉNARD, l'abbé FAVRET,
GE ORGES A. - 1. BOISSELIER, GEOR GES M ONOT
[2 planches]. . . . . . . ' . . . . . . . .' 37
VI Les sépultures à coffrets et la chapelle Saint-Gilles
en Bénodet, par 1. OGÈs . . . . . . . . .. 51
VII Les anciens manoirs des environs de Quimper,
par 1. LE GUEN 'EC (suite) . . . ' . . . . 57, 11 7
VIII Le chemin du « Tro-Breiz )) entre Quimper et Sain t·

Pol· de-Léon, par le chanoine ABGRA LL et 1. LE

GUENNEC r 1 planche] . . . . . , . . . . . . 65
IX Le Cap Sizun à l'époque néoliLhique, par H. LE
CARGPET. . ..... , , .. , .... , 99.
X Quimper au XVIIIe siècl e. Notes et documents (II),
par DANIEL BERNAR D,

105

Quimper, - Imp. Mm . BARGAIN & C" , 1, Rue Astor et Quai du Stéir