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Bulletin SAF 1922


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Élie Fréron,d’après un livre récent

L. Lagriffe

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1922 tome 49 - Pages 20 à 25

~LIE 'FR . RON

d'après un livre récent (1)

. Ne serai t- on pas tenté de di re, en voyant les 500 pages
in-8° que M. le chanoine Cornou vient de consacrer à Élie
Fréron: « Que voilà donc un bien gros livre pour un si
petit homme ! » Lisez-le, vous verrez que le livre n'est pas
trop gros et que l'homme est grand. Pour être certain que
vous le lirez, nous allons le f~uiJleter ensèmble : bien des
préventions tomberont.

Il y a quelques années, une initiati ve heureuse, à laquelle
notre Société est loin d'avoir été étrangère, a permis de
donner, à un certain nombre de rues de Quimper dont la

dénomination ne s'imposait plus, le nom de quelques-uns
des plus illustres enfants de la Cité. C'est ainsi que la rue
Royale, qui avait perdu depuis longtemps son vieux nom

de rue Obscure, se vit attribuer celui d'Elie Fréron. Sur une

première plaque indicatrice, Elie Fréron était qualifié de
pamphlétaire. Pourquoi ? Est-ce par confusionavec son fils,
Stanislas Fréron, filleul du roi de Pologne Leczinski, rédac­
teur plus tard de l'Orateur du P euple, un des plus violents
journaux de la Révolution; Stanislas Fréron, surnommé
dans l'intimité « Lapin », qui, après avoir rempli de massa­
cres Toulon et Marseille, s'être paré du titre de lieutenant

de Marat, puis a voir conduit la Jeunesse dorée, mourut '

. sous-préfet, et sans gloire, à Saint-Domingue, en 1802? Je
ne crois pas; ce fut, apparemment, par inadvertance ou
par confusion entre le pamphlet et la critique. Cette erreur
(il ELIE FRÉRON, par M. le c4anoine Cornou, Paris-Quimper, i922.

a été, heureusement et justement, réparée sans difficultés:
Voltaire n'y était donc pour rien. '
Élie-Catherine Fréron est né a Quimper, rue Obscure,
dans une ' maison que remplace, aujourd'hui, le n° 3 de la
rue Fréron, le 20 janvier 1718; son père était originaire
d'Agen, sa mère appartenait à une famille de Pont-l'Abbé .

Après avoir, en quelque manière, appris a lire dans un
volume des œuvres de son petit-cousin maternel Malherbe,
le grand Malherbe, ~l entra au Collège de Quimper et passa;
ensuite, le 24 décembre 1734, au Collège Louis~le- Grand, a
Paris. Novice de la Compagnie de Jésus, dès 1735, il deve-
. nait, en 1736, professeur de 5' au Collége royal de Caen et,

à partir de 1737, successivement professeur de 5" et de 4" à
Louis-le-Grand. Au début de l'année 1739, il est envoyé,
sans chaire, a Alençon, pour avoir paru au théâtre en habits
laïques, contrairement aux régies de l'Ordre, qu'il quitta le
]0 avril 1739.
A ce ino~ent~ il devint le collaborateur de l'abbé Desfon-

taines, critique littéraire, aux Observations sur quelques
écrits modernes. Après un véritable apprentissage, il com-

mença, le }Or septem bre 1745, la publication des Lettres de
la Comtesse de ... Cette publication lui valut, dès janvier 1746,
~n emprisonnement a Vincennes suivi, ou remplacé, par un
exil a Bar-sur-Seine, pour une allusion a la faveur dont
jouissait, auprès de Mme de Pompadour, l'abbé de Bernis,
comte de Brioude, académicien de 29 ans. Au terme de

l'exil, là Comtesse de . .. était morte et, le 1 e

janvier 1749,
Fréron commençait la publication des Lettres sur quelques
écrits de ce temps, sa premièro œuvre de grande critique.
« Parcere personis, dicere de vitiis )J. Deux mois après, il se
trouva que l'Oreste de Voltaire venait d'être « hué d'une
commune voix » ; il se trouva aussi que Fréron ' avait dit
pourquoi l'Oreste était tombé, puis que Voltaire insistait
beaucoup pour que le pouvoir punit Fréron de sa critique;

alors, faisant droit aux dénonciations de M. de- Voltaire,
le directeur de la Librairie supprima les Lettres de Fréron.
L'ancien régime était terrible : il 'avait fallu de très nom­
breuses sollicitations pour que Voltaire obtint satisfaction.
Reparaissant en 1752, les Lettres étaient supprimées la
même année pour une critique de l'ouvrage posthume dans
lequel Lord Bolingbroke déchirait la France, sa protectrice,
et Louis XIV, qui l'avait comblé de biens : c'était l'entente
cordiale.

Le 3 févri er 1754 parût le premier numéro de L'année
littéraire, le journal que Fréron rédigera jusqu'a sa mort et
sur lequ el repose toute sa gloire. L'année littéraire lui sur­
vécut même; a partir du 10 mars J 776, date de la mort de
Fréron en sa maison de campa,gne de Fantaisie, à Mon­
trouge, la publication en fût continuée par les soins de sa
femme et de son beau-frère, Thomas Royou, jusqu'au mo­
ment où, en 1790, elle fût emportée par la tourmente. Ce
fut la le dernier de ses avatars, elle en avait connu d'au­
tres. J e vous ai dit que l'ancien régime était terrible, tout le
monde le sait; j'ajoute que la censure était capricieuse.
La censure, organisée dès 1521, sous François l e " était
assurée par la Direction de la Librairie, laquelle faisait
partie des attributions du Chancelier de France. Aucune
publication ne pouvait être faite sans un privilège, une per­
mission renouvelable ou une tolérance verbale. A partir de
ce de rnier cas, y compris, tous les articles devaient recevoi r,
avant impression , l'approbation de la censure. Il ne restait
donc comme ressource, a ceux qui voulaient tourner la loi,
que l'impression a l'étranger, a Genève, a Amsterdam ou a
Bâle ou du moins que l'emprun't d'une firme étrangère:
nombreux sont les ouvrages sortis des presses de Panckouke
(de Paris) et dont le frontispice porte : a Genève, ou a
Amsterdam, sans nom d'imprimeur. Fréron n'usa jamais
de ce subterfuge ; respectueux de la réglementation en

vigueur, il ne chercha jamais à esquiver le visa de la cen-

sure, mais il n'en fût pas plus heureux pour cela, car, à part
Mme de Pompadour, et les maîtresses passent, il y avait ,
M. de Voltaire et les Encyclopédistes. Or, M. de Voltaire

n'admettait la critique ni pour lui-même, ni pour ceux qui
se réclamaiènt de lui: c'est un fait, je dirai même que c'est
un fait général: que n'a-t-on pas dit contre Geoffroy, contre
J ules Janin, éontre Gusla ve Planche, contre Jules Lemaître?
Voltaire ne s'est pas contenté de dire, il a fait: il a obtenu
contre Fréron 1 es refus de visa, les suspensions, les suppres­
»ions de pri vilège, les em prisonnements : en 1757, à propos
d'un article -où Fréron montre les coïncidences qui se

remarquent dans le Fils natur~'l de Diderot avec Il vero
amico de Goldoni, Collé note dans »on Journal: « Messieurs
les Encyclopédistes qui ne cessent d'écrire contre l'inquisi­
tion sur les choses que l'on imprime, désireraient fort exercer

cette même inqu!sitionen faveur de -leurs ouvrages ... , ils
ont remué ciel 'et terre auprès de M. de Malesherbes pour

contenir Fréron ». Voltaire était, comme chacun sait, un
écrivain du plus grand talent, et reste une des gloires de la
littérature française; Fréron l'a dit avant qui que ce soit;
mais c'était aussi un très vilain Monsieur' ; Fréron ne l'a
point dit, mais il l'a la.issé entendre ~1 pour ceci il avait,
personnellement, de fort bonnes raisons. Un anonyme écri­
vait, dès 1725 : « Gai par complexion, sérieux par régime,
ouvert sans franchise, politique sans finesse, sociable sans

amis, il sait le monde et l'oublie. Le matin Aristippe et

Diogène le soir, il aime la grandeur et méprise les grands.
Libertin sans tempérament, il sait, aussi; moraliser ses
mœurs. Vain à l'excès, mais encore plus intéressé, il tra­
vaille moins pour la réputation ' que pour l'argent; il se
presse de travailler pour se presser de vivre. Il était fait
pour jouir, il veut amasser. Voilà l'homme ». On a écrit, à

d'en écrire un sur nos autres gloires nationales et qui est
intitulé : Les ennemis de Voltaire. Le seul fait qu'on ait
pu, qu'on ait dû écrire un tel livre, et c'e~t un de ses admi­
rateurs sans phrases qui l'a écrit, est une preuve de l'irasci­
bilité de ce grand écrivain. Or, il n'était pas seulement
irascible, il était méchant et vous trouverez dans le livre de

M. le chanoine Cornou des preuves innombrables de cette
méchanceté. Comme c'était son droit, et c'était, à l'époque,
un devoir, Fréron a critiqué, quand il le fallait, les œuvre~
signées ou anonymes de Voltaire et des autres écrivains de
son temps ; comme il l'indiqùait dans l'épigramme des
Lettres sur quelques écrits de ce temps, il critiquait ce qu'il
considérait comme des défauts, défauts de goût, défauts de
doctrine, mais il épargnait la personne. Voltaire ne voulait
supporter pas même cela et quand il ne pouvait obtenir

contre Fréron les mesures de rigueur qu'il sollicitait des
ministres il trouvait, comme on a dit, « plus aisé de cher­
cher à diffamer son censeur que d'a voir raison contre lui Il :
c'est un procédé. Jusqu'ici, toute la réputation de Fréron
découle de ces diffamations de Voltaire et de ses courtisans,

je ne puis dire de ses amis; il n'en avait pas; elles ont pesé
sur sa mémoire comme elles ont pesé sur sa vie, parce que
les Encyclopédistes ont exercé sur tout le xvm· siècle une

tyrannie dont notre temps porte encore le poids.
Il ne faut pas que l'immense réputation de Voltaire laisse
dans l'ombre, absorbe ou défigure tout ce que le XVlII· siècle
a laissé de beau et de bien; il est temps de reviser des pro­
cès qui ne sont pas jugés parce qu'ils n'ont pas été plaidés:
celui de Fréron, malgré toute la haine et la perfidie de
Voltaire, est de ceux-là. L'avocat de notre grand critique,
et, pourquoi ne pas le dire, du père de la critique moderne,
a écrit ce plaidoyer qui n'avait pas été fait et qu'il suffit de
lire pour demeurer convaincu; lisez-le; il ne vous empê­
chera pas de prendre gOtH il. la lecture de {( Candide», dont

l'anonymat permettait à Voltaire, lui-même, de dire: {( Dieu
me garde d'avoir la moindre part à cet ouvrage .... Il faut
avoir perdu le sens pour m'attribuer cette co .... ; j'ai, Dieu
merci, de meilleures occupations », mais il vous permettra

de considérer, a votre tour, Elie Fréron comme . un des
hommes dont Quim per et la Basse-Bretagne doivent le plus
se glorifier. cc Il parlait une langue abondante, harmonieuse,
élégante. Il montrait dè l'imagination, de la verve, de l'in-

dépendance. Il possédait la qualité que le temps appréciait
le plus: l'esprit» ; et puis, enfin, c'était un courageux et un
honnête homme .
.le ne connais que M. le chanoine Cornou qui fùt tout
désigné pour écrire sur Fréron le livre qui convient. Ce
livre, il l'a écrit avec cette conviction, cette chaleur de pen-

. sée, cet enthousiasme, cette éloquence, qui n'appartiennent
qu'a lui et qui font que son œuvre dépasse, et de beaucoup,

les limites ordinairement assignées a l'histoire locale. C'est
ce que l'Académie Française, assurément, a voulu marquer
en accordant a son auteur le « Prix Mont yon )J, pour la
littérature, ce qui ne veut pas dire que M. le chanoine Cornou

n'en mérite pas d'autres, et je suis heureux de' l'occasion
qui m'est offerte ici de dire publiquement tout le bien que je
pense de lui.
L. LAGRIFFE .

136
DEUXIÈME

PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1922
1 Sur l'étude de la civilisa tion préhistorique armori­
caine, d'après ses monuments, par ALF RED
P AGES
DEvou'\, . . . . . . . . , . . . . . . " 3
II Élie Fréron,d'après un livre récent, par 1. LAGRIFFE 20
III Vieilles chansons bretonn es : I. François de Coëtlo-
gon, prieur de Kernitron, par L. LE GUENNE C. 26
IV Le bouton breton, par E. CHARBONNIER . . . ., 33
V Troisième campagne de fouilles en pays bigouden ,
par le commandant BÉNARD, l'abbé FAVRET,
GE ORGES A. - 1. BOISSELIER, GEOR GES M ONOT
[2 planches]. . . . . . . ' . . . . . . . .' 37
VI Les sépultures à coffrets et la chapelle Saint-Gilles
en Bénodet, par 1. OGÈs . . . . . . . . .. 51
VII Les anciens manoirs des environs de Quimper,
par 1. LE GUEN 'EC (suite) . . . ' . . . . 57, 11 7
VIII Le chemin du « Tro-Breiz )) entre Quimper et Sain t·

Pol· de-Léon, par le chanoine ABGRA LL et 1. LE

GUENNEC r 1 planche] . . . . . , . . . . . . 65
IX Le Cap Sizun à l'époque néoliLhique, par H. LE
CARGPET. . ..... , , .. , .... , 99.
X Quimper au XVIIIe siècl e. Notes et documents (II),
par DANIEL BERNAR D,

105

Quimper, - Imp. Mm . BARGAIN & C" , 1, Rue Astor et Quai du Stéir