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Bulletin SAF 1921


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Les anciens manoirs des environs de Quimper

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1921 tome 48 - Pages 144 à 170

DES ENVIH.ONS DE QUIMPER

Le regretté M. Trévédy a délicieusement narré, dans notre
Bulletin, ses visites à certains manoirs de la banlieue quim­
péroise, et le récit de ces promenades, où s'affirm ent une fois
de plu s ses qualités d'attra ya nt conteur, de fouilleur patient
el sagace, constitue un vrai régal, tout ensemble savoureux
et profitabl e. Si quelqu e critique pouvait se formuler à l'égard
de tant de pages instructives et charmantes, ce serait, je crois, .

celle de n e concerner qu'un trop petit nombre des anciens
manoirs du pays . M. Trévédy avait ses p,éférences ; il a choisi
une di zaine de vieux castels ou gentilhommières au passé
p arti culièrement mouvementé, et il en a étudié l'histoire avec
la plu s minutieuse complaisance, l'érudi tion la mieux arm ée.
Aussi le loisir lui a t-il manqué pour s'occuper des autr es. Je
lâcherai, dans les pages qui vont suivre, ci e me montrer
moin s exclu sif, cie réserver sa place, si petite fut-elle, à cha-

cun e des anciennes maisons nobles qu'il m'a élé donné jus­ qu'ici ci e voir et de dessiner aux abords de Quimper, la
plupart sous la conduite de notre cher Président, M. le cha­ n oine Abgrall. Nous allons, si vou s le voulez bien, très
rap idement les parcourir ensemble. Notre randonnée s'effec ­ tuera selon la marche des aig uill es 'd'une montr~ mais d'un
pas bi en pl us agile, sans nous astreindre d'ailleurs à demeu ­ rer dans un rayon trop strictement mesuré, non plu s qu'à
suivre les routes,.battues. Chemin faisant, nous rencontrerons

certes m oins d'élégantes habitations restaurées et pimpantes

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que d'humbles et vétustes logis, mais les plus pauvres, les
plus déchus ont leur poésie et leur charme, car les ruines s'y
parent de cette fleur du souvenir, au mélancolique arome,
dont a parlé Brizeux:
J'entre en nos vieux manoirs; il est, sous leurs décombres,
Tant de fleurs à cueillir, ou brillantes ou sombres .

Suivons la route de Rosporden et gravissons les pentes Sud
du frais vallon du Jet. A 4 kilomètres de Quimper, nous trou­
vons sur la gauche une petite futaie dévalant jusqu'aux prai-

ries où serpente la rivière. Le manoir de Kergonan y cache
son corps de logis du XVII' siècle, couvert en croupe et flanqu é
de deux petits pavillons carrés à toitures pointues. Une cha­
pelle convertie en cellier se voit à gauche du portail. La
maison est devenue une ferme, assez pittoresque en sa négli­
gence . Elle a_ .remplacé un manoir bien plus · ancien pour

lequel Ael.. .more, degreppie (veuve) de feu M'" Guillaume de
Kerconan, rend aveu au duc en 1434 (1). L'un des seigneurs
du lieu, François Liziart, vivant vers 1520, est encore peint
sur le vitrail qu'il offrit à l'église voisine d'Ergué-Gabéric,
agenouillé dans son armure d'écuyer que recouvre une dalma­ tique blasonnée d'or à trois croissants de gueules. Sa femme,
figurée aussi près de lui, porte les mêmes armes sur sa robe.
En 1636, Jean de La Land e, sieur de Kerautret et de Kergo­ nan-Liziart, lieutenant de la cour des Régaires de Cornouaille,

s'enrôle dans l'arrière-ban. Kergonan appartint plus tard aux
Mahé de Kerouant et aux Clavel (2). Les seigneurs du lieu
avaient une sépulture dans la cathédrale de Quimper, chapelle
(i) Arch. de la Loire-Inférieure. B. 20B.
(2) Aveu rendu en 1778 par dame Marie-Jeanne Desloge, veuve d'écuyer
François Clavel, lieutenant des vaisseaux du Roi, chevalier de Saint­
Louis,pour le manoir de Kergonan, cour close, chapelle, jardin, colom·

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de Saint·Sauveur,où les armoiries écartelées des Liziart et
des La Lande se distinguent toujours. Une belle pierre tom­ bale fâcheusement enlevée à l'enfeu de Kergonan en l'église
d'Ergué-Gabéric, et gisant parmi les ronces près du manoir
du Cleuyou, même commune, est chargée d'un écusson aux
trois croissants des Liziart, timbré d'un heaume à volets et

lambrequins ayant pour cimier un cygne aux ailes éployées.
A 2 kilomètres au Sud-Ou est de Kergonan, entre les routes
de Rosporden et de Concarneau, sont les ruines du Plessis­
Ergué, jadis châtellenie et fief considérable dont le seigneur
partageait, avéc trois autres puissants feudataires dé l'évêqu e
de Cornouaille, l'obligation héréditaire de porter la chaise du
prélat, lors de sa joyeuse entrée dans sa ville épiscopale. La
primitive famill e du Plessis s'est fondue au xm

siècle dans
Plœuc, et les Maillé possédaient cette ter~e en 1703. a van t les
descendant enrichis du pâtissier rennais Gazon, qui l'acqui­
rent sous Louis XV, devenant ainsi fondateurs de l'église
d'Ergué-Arrnel et de la chapelle de Sainte-Anne-de-Guélen,
aujourd'hui ruinée et si romantique sous sa cape de lierre,
au bord de la grand'route de Rosporden.
Il subsiste, au Plessis-Ergué, une belle moUe féodale domi­
nant un pont, au confluent de deux ruisseaux. Cette motte,
. formant terrasse quadrangulaire aux angles arrondis, mesure
120 mètres de pourtour à la base et 65 mètres au sommet.
Son élévation est de 6 à 7 mètres. A mi-hauteur règne, partL
cularité peu commune, une sorte de banquette ou de che­ min de ronde. Quelques vestiges de murailles apparaissent
sur la motle. Les paysans nomment celle-ci Ar Vouden et
prétendent qu'elle a jadis été habitée par des Menec'h Ru (Moi­
nes Rouges) (1). Peut-être est-ce le siège primitif des posses-
(1) On dit qu'un trésor y est caché, que ce trésor apparaît à certains
moments et qu'on l'a maintes foi s vu briller de loin. Mais avant qu'on
soit arrivé à la butte, il est déjà rentré sous terre. On dit aussi que cette
.motte a 'été élevée pàr les prisoi:iniers 'du château, et qu'on sacrifiait ceux-
ci sur le dolmen de Parc-àn-Ermil, à 500 m. au Nord (!) .
147

sions des chevaliers Hospitaliers dans la paroisse, où ils
avaient une aumônerie, et cela expliquerai t pourquoi Sainte­
Anne-de-Guélen, qui dépendait du Plessis-Ergué, passe éga­ lement pour avoir appartenu aux Moines Rouges.
Les restes du manoir, déjà ruiné en 1703, « sans boisage ni
couverture » se trouvent à 150 mètres au Sud, sur une crête
commandant le vallon . Une modeste maison du XVIIIe siècle,
aux murs épais, aux fenêtres moulurées, s'appuie aux ruines
d'un édifice plus ancien : pignon couvert de lierre, soutenant
une cheminée à hotte; pan de muraille ajouré de baies golh i-

ques ; base d'une tourelle carrée percé de meurtrières obli-
ques. Ces derniers débris vont prochainement disparaître. Le
fermier m'a assuré quc les seigneurs du Plessis-Ergué jouis­
saient du privilège d'entrer en carrosse dans l'église d'Ergué,
et aussi de pouvoil' choisir dans les récoltes de leurs vassaux
les gerbes qui leur convenaient. Ce sont· des souvenirs confus
de leurs droits de prééminences el dcs chefTrentes qu'ils per-

cevaient dans l'étend ue du fief.
Revenons vers Quimper. Bientôt, la poivrière de Kergoa­
dalez, pointant à travers les arbres tordus d'une vieille rabine,
nous attire sur la gauche, près de la voie romaine qui, débou­
chant devers Coray, montait au poste du ( champ de manœu­
vre n. Kergoadalez n'est pas grand'chose. M. le chanoine
Abgrall a même écrit que ce n'est rien; mais ce rien, agré-

menté d'une j olie tourelle d'appareil soigné, coupée d'un
ressaut .et munie de meurtrières, n'en forme pas moins, avec
sa large porte en accolade, ses fenêtres à moulures, sa cour en
pente meublée d'un puits à margelle ronde, ses murs drapés
de végétation, un tableau d'une rusticité fort plais·ante.
Clémence Jouan, damoiselle, veuve de feu René Finamour,
et tutrice de Richard et Guyonne Finamour leurs enfants,

rend aveu le 7 avril 1540 au fief des Régaires pour le manoir de
Kerarzelez (sic), en la paroisse de Lannizron. La construction

actuelle peut être attribuée à son fils, Maître Richard Fina-

148
mour, cité parmi les nobles de Quimper à la montre de 1562.
Un marchand espagnol naturalisé breton en 1583, Martin
Jauréguy, acquit le manoir, et le transmit à son fils Jacques
J auréguy. dont les enfan ts mineurs sont représentés à l'arrière­ ban de 1636 par leur tu teur Jean Le Lohéac, sénéchal de '
Quimperlé. En 1674, René de Lohéac, écuyer, sieur de Ker­
goadaJez et de Kervir, était conseiller du H.oy et maître ordi­
naire en la Chambre des Comptes de Nantes . Au XVIIIe siècle,

la famille GOllyquet de Bocozel possédait cette terre par
succession ( 1). .

En poursuivant vers le Champ de manœuvre, on
rencontre à gauche l'avenue, ombragée de chênes vénéra­
bles, qui menait au prieuré de Saint-Laurent, dépendance
ancienne de Sainte-Croix de Quimperlé. Il ne subsiste aucune
trace de la chapelle, ni du manoir où résidaient les prieurs, et
qui offrait encore au XVIIe siècle quelques traces d'ouvrages
défensifs, parapet à créneaux et tourelle en échauguette (2).
Au-dessous du hameau, la fontaine consacrée s'épanche dans
un bassin surmonté d'un édicule voûté, creu sé au fond d'une
niche à console .
Au revers des hauteurs du Mont-Frugy, près du vallon bo­
cager que rafraîchit le ruisseau de Lanniron, l'habitation mo­
derne de Kerustum, résidence d'un de nos confrères,
M. Camille Le Moing, conserve à ses côtés la vieille demeure
du XVlll

siècle, maison sans prétention. que rendent agréable
à voir sa façade en granit voilée de verdure, ses fenêtres aux
linteaux cintrés et aux petits carreaux anciens, ses lucarnes
d'ardoise, ses cheminées étroites . Elle a appartenu aux fa­
milles Le Taniou de Rosanduc et Le Jadé. En 1765, on Y fit
l'inventaire après décès des biens meubles de feu maître Guil­
laume Le Jadé, sieur de Kerustum (3). Les goûts cynégétiques
(i ) Arch. du Finistère. i G. 87.
(2) Bulletin de la Corn

diocésaine, t. IX, i909, p. 28.
(3) Arch. du Finistère, B. 283.

-149 -

du défunt, qui était conseiller au présidial, nous sont révélés
par l'existence d'un couteau de chasse, d'une carnassière avec
poivrier de coco, de deux sacs à plomb, d'un pulvérin et d'un
fusil. Un violon, deux tables à jeux nou s le montrent ami
des arts et de la bonne compagnie; mais on ne lui trouve, en
fait de bijoux, qu'une paire de boucles d'argent estimées ,6 li­
vres. Kerustum était habité, il ya une soixantaine d'année~,
par deux vieilles demoiselles Pic de La Mirandole, avec les­
quelles a dû s'éteindre la branche établie en Bretagne au
XVIIe siècle de cette lignée italienne, connue surtout par le
savant sans modestie qui, prétendait pouvoir discuter « de tout
et de plusieurs autres choses encore ».
Après avoir franchi, avec la route de Bénodet, le vieux Pont­
Uslum sous lequel passe l'eau de Lanniron, nous longeons à
gauche les taillis et les futaies de Keradennec, maison noble
possédée en 1636, d'après les déclarations pour l'arrière-ban,
par Guillaume Lhonoré, conseiller au présidial de Quimper,
et plus tard'par Tes Jauréguy. Autant qu'on peut s'en rendre
compte du chemin, l'habitation actuelle, jolim ent encadrée
de jardins et de bosquets, est moderne et peu monump,ntale.
A 1 kilomètre au Sud, le pelit manoir, converti en ferm e, de
Bourdonnel se cache dans la verdure de ce que le Guide
Conty nomme trop pompeusement « la for& du château de
Bourdonnel ». C'esl un logis sans prétentions, élevé d'un seul
étage, et qui pourrait dater du xvn

siècle. L'écrivain Edmond
Abou t y séjourna au temps du Second Empire chez so n ami
M, de Najac, l'auteur dramatique. Il remercia les Brelons de
leur hospitalité en les injuriant. Sales, dégénérés: ivrognes,
superstitieux, ainsi les vit-il. De Bourdonnel, assure ce Mon­ sieur, il flairait la sortie de la grand'messe d'Ergué-Armel,
pour peu que le vent soufflât de ce côté. L'auteur du Roi des
Montagnes et de L'Homme à ['oreille cassée passe générale­
ment pour avoir eu quelque esprit, mais il faut convenir qu'à,
150 -
Reprenons la direction de Locmaria. Après Kerustum, on
voit sur la gauche le manoir de Crechguen, demeure de notre
confrère M. Muret de Pagnac, ancien capitaine de frégate. La
maison, accôtée d'un pavillon plus récent, doit remonter au
XVIII' siècle et s'entoure d'un agreste bouquet de feuillage où
elle disparaît à demi.

Pratmaria n'a rien conservé de l'important manoir des
Coëtanezre, parfois qualifié château, titre qui jadis ne s'accor­
dait pas à la légère. On peut cependan t évoquer la mémoire de
ce Guillaume de Coatanezre, seigneur de Pratmaria, vaillant
capitaine qui reprit en 1576 Concarneau sur les protestants, et
qui avait bâti la fameuse forteresse du Granec, en Collorec, dont
Fontenelle fit l'un de ses repaires sous la Ligue. La petite-fille
de ce GuilIaume, Anne de Coëtanezre, marquise de La Roche­
Coatarmoal, épousa un Kernezne et fut, comme l'a établi
M. Trévédy. femme, belle-mère, mère et grand'mère de
gouverneurs de Quimper.
C'est en lavant son linge au doué de Pratmaria que Cathe­
rille Daniélou eut, vers 1640, la vision d'un fantôme vêtu de
blanc, qui sortit du vieux manoir en ruines et. s'avança vers
elle. Il avait l'aspect d'un jeune gentilhomme à la mise
archaïque. Jugeant qu'il s'agissait d'une âme en peine,
Catherine lui dit: « Allez donc, au nom de Dieu et de la
Vierge, dans le paradis ». Depuis deux siècles, le trépassé
attendait vainement cette parole de délivrance. Il remercia sa
bienfaitrice et s'envola vers le ciel. Le P. Maunoir, qui rap­
porte ce fait dans sa biographie de la célèbre voyante. la
rattache à l'histoire merveilleuse de Joseph-Corentin de Coëta­ nezre, fils aîné de la maison de Pratmaria, dont Emile
Souvestre a tiré {'Heureux Mao, l'une des plus belleslegendes
du Foyer Breton.
Voici les bois de Poulguinan, bordant l'Odet et ses palues.
C'étai t. dit la tradi lion, un des séjours fa yoris du roi Gracllon,
qui y fixa sa résidence après la submersion de la ville d'Is et

151

le don qu'il fit à saint Corentin de SOIl palais de Quimper. En
1845, Fréminville croyait retrouver les ves tiges de ce manoir
royal dans {( des massifs de très vieux murs» qui bordaient
la cour de Poulguinan . Ce qui semble plu s probabl e, c'est
qu'il a existé là une villa gallo- rom aine, ca r on trouve dan s
les j ardiu s un e aire en béton et des substructions ancienn es . .
Au xv· siècle, Poulguinan était a ux Le Glu yclic ; ce nom
signifie en breton: petit saumon, el il s en portaient trois en

gui se d'armoiri es , blason pa rl ant qui apparaît en core sur leur
tombeau, dans la cathédrale. Celte terre passa ensuite aux
Le Ves tle,l'une des rares lignées huguenotes de Cornouaille
au XVI' siècle, puis aux Quéleon ec, de Charmoy, Le Borgne
de Kermorva n et de Blois. L'édifi ce principal es t gothique ;
on lui a plaqu é au x VIII' siècle un e ~évère fa çade dont les
fenêtres ont des linteaux légèrement courbes. Au-dessu s de la
porte est encastré un écusson Renaissance timbré d'un
h eaume à visière pointu e, coiffé d'une couronne à 3 pointes
et fl anqué de dèux cols de cygne. avec des lambrequin s fes­
tonn és. Sur l'écu, j'ai cru di stin guer un dextrochère tenant
une branche feuillue, mais au cu ne des famill es énu mérées
plu s haut ne portait ce blason.
A gauche, du côté de la colline, qui s'élève rapidement
jusqu'au nivea u des combl es , se dresse une grosse tour rond e
accô tant l'an gle de l'arrière·façade, et surm ontée d'une tou- "
l'elle dont le parapet crénelé es t un e addition moderne. ain si
qu e les con struction s de droite. Au devan t du manoir se
trouve (, l'escalier du roi Gradlon », vi s de granit à demi sub­
m ergée sou s un épais manteau de verdure, et menant aux
jardins. Elle s'enroule dans une tour auj ourd'hui démantelée
qui défendait autrefois le portail d'entrée De vieilles maçon ­ neries apparentes à sa base sout formées de pierres de petit
appareil mêlées à def. briques réunies par un ciment rou geâtre.
Peut-être son t-Ge .un reste des antiqu es murailles remarquées

- 152
Plus loin, au premier tournant de l'Odet, le château de
Lanniron regarde la rivière et la pointe de Corniguel du tertre
en gradins' où il ' s'adosse au x sombres frondaisons de son
parc. Je n'entreprendrai pas de refaire l'historique et la des­
cription de cette ancienne maison de campagne des évêques
de Cornouaille, notre secrétaire général, M. Waquet, ayant
récemment traité le sujet de main .de maître, dans les très
intéressants commentaires dont il a entouré sa piquante ana­
lyse du poème que le médecin Nicolas de Bonnecamp consa­
crait en 1695 aux merveilles des jardins de Lanniron et à
l'éloge de leur créateur, Mg' François de Coëtlogon. Ce noble
prélat, fastueux et magnifique, hantait volontiers la cour et
les beaux 'esprits parisiens. C'est peut-être en l'écoutant nar­
rer avec verve la fâcheuse aventure de son carrosse enlisé
jusqu'au moyeu dans une fondrière, près de sa ville épisco­ pale, que La Fontaine eut l'idée de loealiser sa fable du
Charretier embourbé:

Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne,

Appelé Quimper-Corentin.
Depuis, Brizeux a vivement relevé le Bonhomme, en pas­
sant à Quimper par une 'radieuse journée de printemps qui
. fleurissait les vieux remparts et revêtait le Frugy d'une tendre
verdure:
Il sied vraiment de se moquer d'autrui
Aux malheureux nés à Château-Thierry!
Dans son Catalogue des Objets échappés au vandalisme,
Cambry consacra en 1795 quelques lignes à Lanniron, sans se
dDuter que la vente révolutionnaire de ce beau domaine allait
être le prélude de sa dévastation et de la démolition du château
des évêque! : « Ses formes, dit-il, son t grandes et belles ;
une vaste balustrade forme un fer à cheval avancé sur un
- 15.3
les allées, les bois qui l'entourent, la plus belle orangerie, deux
orangers entre autres plus beaux qu'aucun de ceux qu'on
entretient à Versailles, de riches espaliers embellissent cet
heureux séjou r ».
Un tableau du peintre vannetais Lhermitais, conservé à
l'ancien évêché, nous montre l'aspect de Lanniton tel qu'il
était au XVIIIe siècle. L'habitation était formée de deux édifices
d'âges et de styles bien différents; à l'Est, une sorte de bas­
tille gothique, cantonnée de quatre tourelles rondes; à l'Ouest,
vers la rivière, un pavillon élégant, à comble brisés, lucarnes
arrondies et haut perron. Cette seconde partie doit être posté­
rieure à Mgr. de Coëtlogon, mort en 1706, car Nicolas de
Bonnecamp n'eut pas manqué d'en faire honneur au « sage et
grand prélat» qu'il encense avec un zèle si empressé. On peut
l'attribuer plutôt à Mgr. de Farcy de Cuillé. nommé en 1739,
qui aimait beaucoup Lanniron et l'enrichit des plantes les
plus rares, Ce pavillon a probablement remplacé un donjon
mentionné en termes assez peu précis dans une pièce de vers
anonyme annexé au poème de Bonnecamp ;
'" D'un antique Palais une salle parée
Du souffle impétueux du turbulent Borée
A pour couronnement une solide tour,
Où viennent se nicher les oiseaux d'alentour.

Le manoir actuel fut bâti sous la Restauration dans le genre
néo-classique. JI n'a gardé du vieux château disparu que
quelques pans de murs et deux plaques de cheminée aux
armoiries de Mgr. de Farcy de Cuillé (unjretté surmonté d'un
chef). Il appartient aujourd'hui à la famille Blanchet de La
Sablière. Les années lui ont déjà rendu quelque patine, et il
décore aimablement le paysage au milieu duquel sa longue
façade basse, relevée de frontons et d'une colonnade, se déta­
che sur d'opulen tes verdures. au-dessus des jardins descendant
en terrasses jusqu'à la nappe étincelante de l'Odet.

-154 -

Franchissons d'un bond le chenal, comme si nous chaus­
sions les boltes de sept lieues de l'Ogre, et rejoignons l'allée
de Kerlagatn, en Pen hars. Il y a là deux manoirs, mais un
seul mérite quelque attention. C'est une construction très
remaniée du XVI" siècle, avec potte décorée d'un tore dessinant
un e accolade, baies moulurées et lu carnes à fronton de granit.
Derrière, une haute tour carrée contient un escalier de pierte.
Dans l'étroite cour, se voient un puits à margelle polygonal e
et une chapelle désaffectée. Mai stre Guillaume Phily, sieur
de Kerlagatu, comparaît entre les nobles de Qui mper à la
montre de 1 562 . Au XVIll

siècle, ce lieu était à la famille
Goueznou, de ri che et vieille souche bourgeo i~e, qui fit sculp­
ter ses armes, aujourd'hui frustes, su r la façade du manoir.
Le dernier seigneur de Kerlagatu fut un M. Le Boutellier,
officier d'infanterie. C'est au r etour d'une partie de, crêpes
offerte par lui en ] 789 que survint ce petit accident dont
Madame de Pompéry a fait, dan s sa co rrespondance, le récit
enjoué. L'une des voitures qui ramenait en ville les invités

alla se précipiter dans une douve pleine d'eau, en fa ce du
moulin de Melven. L'amphytrion reçut un e légère blessUre
au front; les dames qui l'accompagnaien t en furent quittes
pour la peur: l'une d'elles pourtant, Madame de Kermorial.
prit un bain forcé qui l'obligea d'emprunter une chemise à la

meumere.
Depuis, Kerlagatu a appartenu aux Briot de La Mallerie ;
ils l'ont récemmentaliéné. et les b eaux bois qui entouraient
le manoir ont été, non pas exploités, mai s massacrés hideuse­ ment par le nouveau propriétaire.
La « route des châteaux)) nou s mène ensuite à celui de

Keraval en Plomelin , admirablem ent posé sur sa colline om-
breuse, au débouché d'un minu scule estuaire, devant la baie
J e Keroga n qui, à marée haute, dan s les beaux jours, donne

-155 -
l'illusion parfaite d'un lac m agnifiqu e. Guillaume Moreau,
sieur de Keraval, entre les nobles de Plomelin à la montre de
156~, fut l'oncle du fameux chanoine Moreau , auteur de
l'Histoire des guerres de la Ligue en Bretagne, et construisit
le manoir, que Sébastien Le Gubaër possédait en 1636 et
décora de j olies lucarnes Louis XIII. D'importantes additions,
faites depuis moin s d'un demi-siècle, ont quelque peu altéré

la ph ys ionomie ancienne, m ais le tout forme un allrayant
ensemble. Le portail à portes ca valière et piétonne, surmon té

d'une galerie de défen se munie de corbelets et de meurtrières,
a été remonté du côté des jardins. On conse rve à Keraval les
débris d'u n groupe anguipède provenant du manoir de Ker­ lot, que nou s verron s plu s loin.
Les hauteurs où s'élève Keraval portent, à un kilomètre au
Sud, un autre manoir, Km" dour, auquel les Guides de Breta­ gne ont fait une répu ta tion qui dépasse ses mérites. L'un
d'eux le qu alifie, ni plus ni moins, de « ( château-fort ») . Un
autre y mentionn e des (( ruines imposantes n. Kerdour n'a
pas de telles prétentions. Il se contente d'être une charmante
et hospitalière maison, placée dans un site ravissant, en face
de la baie qui découpe a ses pieds une j oli e anse discrète.
Les Gallo-Romai.n s appréci ai.ent déj à ces parages . On y a
trouvé des tuiles a rebord, du ciment, et naguère encore, une
statuette en terre blanche.
Le corps principal du manoir est du XVI' siècle ; mais,
comme la plupart des vieilles demeures avoisinant Quimper,
il a vu remanier ensuite sa façade et modifier ses fenêtres à
meneaux. Sur la gauche, il se relie à un bâtimen t ancien par
un curieux petit passage voûté en croisée d'ogive et couvert
de robustes dall es de granit, ain si que les porches de Poul­
dreuzic et de Plovan, et.le corps-de-garde de Sain te-Marin e.
Derrière, un pavillon carré d'allure rébarbative, flanqu é de
deux tou l"Clles rondes percées d'embrasures , domine les cons-

tructions. Il contient un escalier de pierre qui se poursuit

156 -
dans l'une des tours pour desservir la chamhre supérieure;
l'autre tour est condamnée, et l'on ignore ce qu'elle contient.
La famille Le Torcol a jadis bâti et possédé Kerdour. Son bla­
son: un chevron accompagné de trois besants, se voit encore.
sou tenu de deux lions, dans un pignon de la nouvelle église
de Plomelin. Plus tard, Kerdour a appartenu, comme Kera­
val, aux Goueznoll ; ces deux terres sont aujourd'hui à la

famille Roussin.
Gagnons la route de Pont-l'Abbé et le carrefour de Croas­
Ty-Souben, où existait la chapelle de la Trinité, totalement
disparue. A 200 mètres au Sud se trouvait le vieu x manoir
de la Boixiè~e, dont il ne reste plus, au milieu d'édifices
modernes, qu'une petite tourelle du XVI" siècle. Aplatie à
l'Ouest, arrondie sur le reste de son pourtour, elle est parta-

gée en deux pièces circulaires. Celle d'en bas offre une

meurtrière en forme de sablier; l'autre a des latrines formant

logette sur corbelets. Un écusson encastré dans le mur d'une
écurie est difficilement lisible; on peut y voir un château à
3 tours, mi-parti de 7 billettes pnsées 3, 3, 1. Charles de Tré­
millec, seigneur de la Boixière, comparaît en homme d'armes
parmi les nobles de Pluguffan, à la montre de 1562. Le
manoir a depuis appartenu aux familles Jégado, de Trécesson
et des Landes. Selon une règle presque sans exceptions, cette
Boixière a succédé à une villa gallo-romaine, et des fragmeuts
de tuiles à rebord se rencontrent partout à l'entour. Au-des­
sous, le ruisseau de Dour-Raz (l'Eau-Rouge) rafraîchit les
herbages de Prat-ar-Mil-Goj (le pré des mille ventres), noms
sinistres, évoquant l'écrasement et la tuerie des paysans
révoltés, après leur première defaite de Pratanras, en 1490.
A 2 kilomètres 1/2 au Sud-OLlest de la Boixière, entre la
route de Pont-l'Abbé et celle de Plomelin, su bsistent quelques
ruines du manoir de Kerlot, où se déroula, au temps de
Louis XIV, une vraie tragi-comédie, digne d'inspirer un

157
Rapilla, Ce lieu était, vers 1650, à un vieux gentilhomme
d'excellente maison. Pierre Jégado, écu)T er de la petite écurie
du roi, capitaine garde-côtes de l'évêché de Cornouaille,
seigneur de Kerlot, la Boixière, Trémillec, elc. N'ayant point
d'enfants, il voulut consacrer ses biens à des œuvres pies ,
et il fond a en 1653, dan s son manoir de Kerlot. un monastère

de religieu ses cisterciennes dont sa sœur Elisabeth Jégado,
professe à l'abbaye de la Joie près Hennebont, devait être
l'abbesse. Mais son neveu et héritier présomplif, Michel Pou­
lain de Pontlo, trouva la chose peu à son goût et tenta d'y
apporter toutes les entraves possibles. Ses oppositions légales
furent rejetées ; alors, profilant de la mort de Pierre Jégado,
il se jeta sur Kerlot, en 1658, avec une troupe d'hommes
armés, chassa les serviteurs de l'ab1'aye, ruina la chapelle,
déjà à demi-édifiée, et s'installa en maître au logis, jurant de
n'en plu s sortit'-
Pendant deux ans, rien ne troubla sa quiétude, d'autant

qu'Elisabeth Jégado, venait, elle aussi, de passer de vie à
trépas _ Mais en 1660, la nouvelle abbesse nommée, Anne Le
Coigneux, émit la prétention très légitime d'entrer dans son
monastère, et envoya un prêlre d'Hennebont prendre posses­ sion pour elle. Le pauvre ecclésiastiqu e vint se casser le nez
au portail barricadé du manoir. conslala 'l'existence d'une
garnison sé rieuse, entrevit d'inquiétants canons de mous­ quets, et batlit précipitamment en retraite. Madame Le Coi­
gneux voulut ten ter la chance elle-même. Le 10 octobre 1660,
elle se présenta devant Kerlot, mais que pouvait sa pacifique
escorte de chanoines, de procureurs et d'huissiers contre
quarante co upe-jarrets armés jusqu'aux dents et postés sur
le parapet crénelé dont le sieur de PonUo avait garni le por­
tail du manoir ~ Injuriée, bravée, étourdie de vociférations et
de blasphèmes, menacée d'être canardée sans miséricorde si
elle essayait d'approcher davantage, la malheureuse abbesse

158
A sa prière, le Roi donna l'ordre au m arquis de La Roche,
gouverneur de Quimper, de prendre toutes les mesures
p ropres à introduire Madame Le Coigneux chez elle. Ce puis­ sant seigneur ne reçut pas un plu s cordial accueil que ses
devanciers. Malgré ses représentations, mal gré les nombreux
gentilshommes qui l'accompagn aient, la porte demeura obsti-

nément close et M. de Ponllo irréductible. Le marquis de la
Roche en référa au Roi: Celui-ci invita le duc de La Meilleraye,
son lieutenant général en Bretag ne. à mettre à la raison
l'effronté usurpateur du monastère. l Vlais les vingt soldats qu e
le du c prêta dans ce but à l'abbesse, ne co nstituaient pas une
force suffi sante pour intimider le sieur de PonLlo, et celle

tentative échoua aussi ridiculement qu e les autres.
Le gouverneur de Quimper résolut alors d'agir avec vigueur.
Il partit en reconnaissance le 16 Juillet 1662, trouva
Kerlot remparé comme une place de guerre, ayant gu érites,

cbemins de ronde et embrasures pratiqu ées de toutes parts,
somma inutilement la garnison de capituler, sous la menace
de traiter M. de Pontlo et ses acolytes en séditieux coupables
de lèse-majes té, et il s'en revint convaincu ci e la nécessité
d'un siège en règle. Pour cela, il lui fallait des troupes . Il en
demanda à la communau té de ville. Les prudents bourgeois
répondirent. .. qu'ils répondraient dan s un mois, et, ce délai
expiré, se retranchèrent derrière les pri vilèges cie la cité, qui
les exemptait de servir bors cie son enceinte.
Les ordres rovaux étant formels, M. de La Roche se tourna

vers son collègue le go uverneur de Port-Louis qui lui expédia,
sous la concluite de son lieutenant, cent homm es du régiment
de Champagne et deux canon s. Cette fois, l'héritier de Pierre
J égado jugea qu'il était temps de battre la chamade et de cesser
ses facéties . Sans attendre que l'artillerie fit brèche aux mu­
railles, il évacua Kerlot avec armes et bagages , et, après deux

159 _.
emportés ou brûlés, le restaura, le regarnit tant bien que
mal, et s'y établit avec quatre religieuses et un aumônier.
Ses peines n'étaient pourtant pas finies D'assiégeante, elle
devint assiégée à son tour, M. de Pontlo tenant la campagne
aux environs, exerçant des violences contre ses tenanciers et
ses fermiers, rôdant aux abords du manoir avec des gens sans
aveu. Ses persécutions, jointes il divers inconvénien ts, porLè­
rent Mme Le Coigneux -à solliciter du Roi la permission de
transférer l'abbaye à Quimper, et la communauté de ville
l'autorisa, en 1667, à s'établir au manoir de l'Isle, paroisse de

Saint-Mathieu. Ce nouveau monastère a subsisté jusqu'en
1791, sous le nom de Notre-Dame de Kerlot (1 ).
A Kerlot même, il ne reste plus que l'extrémité Ouest de
l'ancien corps de logis, édifice du XVie siècle dont la façade de
granit est percée de fenêtres à meneaux et d'une seule porte .
Sur l'arrière-façade, on voit au premier étage deux meur­
trières jumelées _ battant au Nord, dernières traces sans doute

des défenses établies par l'enragé sieur de PonLlo. Devant la
maison règne une grande cour pavée, et au-dessous coule
une belle fontaine gothique couronnée d'une accolade, avec
pieds-droits aux bases moulurées. Le fermier m'a montré, un
peu au Sud, l'emplacement de l'église conventuelle. On a
trouvé il Kerlot un groupe anguipède de l'époque gallo­
romaine, aujourd'hui transporté à Keraval.

Entre le carrefour de Croas-Ty-Souben et le chemin de
Pluguffan, le vieux manoir mutilé de Treyer ou Tréguer est
tapi au flanc du côteau. M. Aveneau de La Grancière l'a
décrit, très pittoresque encore, il y a quelque trente ans, et la
grande artiste quimpéroise, lWle Emma Herland, en a fait,' à
(1. ) Chanoine Peyron. Fondation de l'abbaye de N.-D.
(Bulletin de Za S. A. F., t. XVI, i889, pp. 3-22).
de KerZot.

160

la même époque, une charmante étude peinte à l'huile.
Depuis, il a été restauré, c'est-à-dire enlaidi. Sa façade refaite
a pourtant gardé une porte en accolade ayant à sa pointe un
. écusson Renaissance, et deux grandes fenêtres à meneaux en
croix. Un petit personnage sculpté provenant d'une encoi­
gnure de chevronnière, déploie un cartel où se distinguent
comme des mailles. Le bâtiment de droite, non remanié,
possède une belle lucarne ou gerbière à fronton courbe. Tré­ guer a appartenu aux familles de Tréganvez, de Trémillec et
de Kernaffien.
A un kilomètre au-delà, à droite de la route de Pluguffan,
le manoir de Keriner, jadis Kerinezre, apparaît dans le cadre
riant de ses bosquets et de ses prairies. La maison n'offre,
malgré sa porte gothique, qu'une façade assez morn e et plate,
. mais, en la contournant, on trouye un joli groupement
d'édifices anciens, surmontés de deux tourelles accolées, l'une
hexagonale, l'autre ronde, et d'une martiale silhouette. A
droite, dans le pignon d'une construction en appentis, la
fenêtre de la chapelle découpe son tympan trilobé. Le portail
extérieur et sa muraille crénelée, vus par 'Fréminville vers
1830, ont disparu. En avant du manoir, le colombier féodal,
tout encapuchonné de lierre, se dresse encore comme une
tour de défense.
Tanguy de Botmeur, sieur de Kerin ezre, était à la fin du
XVI· siècle conseiller au présidial de Quimper, et fut l'un de
ces arden ts li gueurs qui défendirent si bien les murailles de
leur ville, que le maréchal d'Aumont. s'exclamait stupéfait:
(( Mé Dieu, mais ce sont gens de guerre que ces habi­
tants! 1) Lors d'une attaque précédente, celle de Lézonnet,
Tanguy de Botmeur reçut à la barricade de la porte Sainte-

Catherine une arquebus'ade quile blessa mortellement (1594).
On dit que Fontenelle a occupé Keriner au cours d'un des trois
coups de main qu'il tenta sur Quimper, et qu'on a retiré du

-161
Antérieurement aux Botmeur, le manoir avait appartenu
à la famille de Fouesnant, dont était Jehan Fouesnant, sieur
de Kerinezre, archer en brigandine à la montre de 1481.
Depuis, il a passé aux Bougeant, Audouyn et Delécluse de
Longraye.
Au-dessus du moulin de Melven, une crête boisée, située
en Penhars, porte le manoir de Kermoisan, construction du
xvn

siècle sans grand caractère. L'architrave droite de la
porte d'entrée n'a d'autre ornement qu'un petit bandeau
mouluré formant larmier. Deux lucarnes en ' arc-de-cercle
coupent la corniche du toit, et une tourelle hexagonale à poi­
vrière aiguë épaule l'arrière-façade. Dans le jardin muré, il y
a, sur un piédestal de granit, un cadran solaire en ardoisine
bleue, daté de 1702, où se lit l'inscription fatidique: VULNERANT
OMNES, ULT1MA NECAT, dont s'effrayait le poète:
Quatre m()ts solennels, quatre mots de latin,

Où tout homme en passant peut lire son destin:
{( Chaque heure jait sa plaie, et la dernière achève! »
Les enfants mineurs de feu Alain BarIot, sieur de Kermoi­
son, sont convoqués à la montre de 1562 , et écuyer Rolland
Duault, sieur du même lieu, est cité dans le rôle de 1636. Au
xvm

siècle, Kermoisan appartenait aux Guesdon de Keru-

helIez, puis aux A).ldouyn. Près du manoir se dressait un
chêne magnifique, qu'on venait visiter comme ' une curiosité

du règne végétal. Madame de Pompéry en parle dans une
pièce de bouts-rimés (gymnastique littéraire où elle excellait)
adressée en 1789 à son frère, le bon abbé Audouyn, alors châ-

telain de Kermoisan :

A Rome dussiez-vous espérer le chapeau,
Ah! plutôt demeurez près de ce fameux chêne.
La grandeur à nQs yeux off re un brillant tableau,
Mais qui l'obtient, souvent est en proie à la peine.

162
Dans un état obscur on est plus près du ciel;
Les prés , les bois, les fleurs, le bord d'une rivière
Donnent mille plaisirs sans mélange de fiel
A celui que l'orgueil ne tient pas en, lisière.
Le chêne de Kermoisan n'existe plus; les bois viennent
dlê~re cruellement décimés, mais le site demeure très beau,
et le coup d'œil sur Quimper, le cours de l'Odet, les vallons
ombreux, les collines d'alentour, est d'une ampleur et d'un
charme rares.
Je viens de nommer Madame de Pompéry, cette aimable et
spirituelle femme dont la correspondance a été publiée en
1884 par son petit-fils (1). Nous allons visiter, tout à l'entrée dû.
bourg de Penhars, un vieux logis qu'elle habita, où elle vécut

des jours heureux, et qui fut un peu le château des Rochers
de la Sévigné cornouaillaise. En 1789, son mari ayant loué
cette maison à Madame de Madec, la veuve du nabab, elle
annonça joyeusement la nouvelle à M, Audouyn de Kergus,
son cousin d'Hennebont; cc Vous souvient-il de cette petite
maisonnette de Penhars où je vous ai connu aimable, com­
plaisant, écoutant avec une grande indulgence le bavardage
de votre très jeune et très naïve cousine?. Eh bien, j'afferme
cette jolie habitation pour y aller passer l'été. Depuis que j'ai
lu Bernardin de Saint-Pierre, j e raffole de verdure, de prairies,
de bocages épais,. d'oi seaux qui chantent, et, comme dans
mon obscur quartier je vois à peine un petit coin du firma­
ment, je désire voir le ciel tout à mon aise, et jouir des biens
de la nature ».

Dans sa soif de plaisirs champêtres, elle n'attendit pas les
beaux jours pour s'installer à Penhars, et, dès le 20 avril 1790,
elle avait quitté sa sombre maison de la rue Royale. (c Je ne
me promène guère encore, Car le temps es. t mauvais, mais je

(1.) E. de Pompéry. Un coin de Bretagne pendant la Révolution, 2 vol.
in-1.2. Lemerre éd. ,1884. .. .
163
regarde par la fenêtre le vert naissant, j'entends le rossignol,
voire même le coucou qui chante en ce moment. je vais voir
traire mes vaches, je joue du forte-piano, je chante des
romances, je relis les Etudes de la Nature de M. de Saint-Pierre,
et... je n'entends pas parler politique, article très essentiel
pour le bonheur de ma vie ». A son auteur préféré, elle traçait
dans le même temps une esquisse de cet abri bocager: « J'ha­
bite une petite campagne simple, mais riante. Ma chaumière
est sans tapis au-dedans, mais la nature lui en _ a donné
de superbes au-dehors. J'ai autour de ma maison de jolis
bosquets qui ne m'appartiennent pas, mais qui jamais ne me
refusent leur ombrage».
Madame de Pompéry y passa six mois ravissants entre son
mari, son jeune fils Louis-Charles, son amie Mlle de Casan bon,

et quelques amis qui venaient égayer leur retraite. Aussi

avoue-t-elle qu'en quittant sa maison, en novembre 1790,
elle lui donna « deux ou trois larmes ». « Notre allée est

encore si jolie par les couleurs variées des dernières feuilles;
l'air est si pur; on yest si tranquille, si loin de la politique ... »

L'année suivante, elle revint avec le printemps, et le jour du
pardon de Penhars, elle reçut force visites de gens à qui
elle avait vanté les charmes de sa villégiatu re. On fit de la
musique, on chanta, on se promena. « Vingt ou trente per-

sonnes bien parées donnaient à mon avenue un air de fête,
éCrit-elle à son cousin; je vous souhaitai là pour le coup
d'œil, et puis pour observer, et puis encore pour me donner
un petit pain d'un sou au pardon ». Avec la cordiale simpli­
cité d'autrefois, elle accueillait dans son ermitage, non seule­
ment ses amis, mais les amis de ses amis. Une fois, elle fut
envahie par trente visiteurs « qui avaient fait la partie d'y
venir l'après-midi. » Elle déclare une autre fois: « J'ai douze
personnes et peut-ê~re plus à dîner, des gens que je n'ai
jamais vus, qui ne parlent ni n'entendent le français». Un
prêtre même, l'abbé Crouard, chassé de sa paroisse pour refus

164 -
de serment, se réfugia chez elle, et paya son' hospitalité en 'lui
copiant des vers et de la prose. Jusqu'au colonel de la gen­
darmerie du Finistère, M. Renouard, supérieur de M. de Pom­
,péry, qui se trouva si men de quelques jours passés à
Penhars, qu'il se mit en tête de n'en plus déloger et de vivre en
tiers dans le ménage, Il fallut toute la diplomatie féminine de
la maîtresse de céans pour l'éconduire sans le vexer.
L'émigration battait alors son plein; mais M. et Mme de
Pompéry eurent le bon esprit de ne point suivre le torrent.
Cette dernière employait ses loisirs à composer un petit pro­
verbe (C pour le lire au coin du feu à mon colonel et à mon
mari 1) . On les soupçonnait pourtant de s'attarder à Penhars
afin d'y préparer sans bruit leur départ. « Bien des gens
, croient que nous allons émigrer, et, par la raison que tous

chemins mènent à Rome, que nous irons à Bruxelles par
Pluguffan ».
Avertis que le du b de Quimper prenait ombrage de leur
absence, ils durent regagner la ville attristée, non sans que
Madame de Pompéry eut salué dans la langue des dieux le
calme asile qu'elle abandonnait;

Séjour pour moi délicieux,
C'est à regret que je vous quit/e,
Ici, du moins la paix habite,
Et dans ces moments orageux,
Etre en repos, c'est être heureux!
L'époque était difficile, surtout pour des Cc ci-devant )J, et
malgré son optimisme naturel, la charmante femme envisa­
geait l'avenir avec effroi. {( Je ne ris que du bout des lèvres;
j'ai toujours devant les yeux le tableau déchirant de' la vertu
persécutée. Je me lève tard, je dors mal, je ne trouve de goût
à rien; je n'ai même pas un endroit commode où je puisse
:me recùeillir)J. Elle revit Penhars en août 1792, mais bientôt,
son mari ayant été réformé, ils quittèrent Quimper pour le

165

Séquer, dans la banlieue de Pont-l'Abbé, modeste bien où la
Révolution les oublia et où Madame de Pompéry mit en action
le beau programme de philosophie chrétienne qu'elle se tra­
çait au moment du départ: « Vivre pour mon mari et pour
mon fils, borner mon avenir, instruire l'un, amuser l'autre,
cultiver pour eux mes faibles talents et remettre leur sort et
le mien entre les mains de Dieu »).
Au mois de juin 1793. la maisonnette de Penhars abritait
encore un nouveau bonheur, mais combien fragile et menacé.
combien hanté de pressentimen ts tragiques! Après le 3 [ mai
et la dispersion des députés Girondins, plusieurs d'entre eux,
Buzot, Pétion, Louvet, Barbaroux, Kervélégan et d'autres, se
réfugièrent dans le Finistère, où ils espéraient trouver des
défenseurs. Parvenus à Quimper, ils durent se séparer pour
dérouter les espions. « Lodoïska, écrit Louvet dans ses Mé­
moires, venait de trouver à la campagne une jolie petite
maison avec un as. sez grand jardin; elle m'attendait. j'y vola i ...
D'abord, en cas d'attaque, elle me construisit une retraite
impénétrable aux assassins. Nos précautions prises, nous
nous abandonnâmes à la douceur présente de notre position ...
Peu de personnes venaient troubler notre délicieuse retraite,
et ce n'était jamais que le soir. Tout ie jour, nous jouissions
du bonheur d'être ensemble ... Quelles étaient belles, ces

journées obtenues après tant d'orages, hélas, et que tant
d'orages encore allaient suivre! 0 Pénars ! lieux à jamais
présens à mon souvenir, devenez chers aux vrais amans !
Vous m"avez rendu toutes les délices d'Evry! l)' (1).
Mais bientôt, des visites domiciliaires eurent. lieu dans
diverses maisons où le bruit courait que des députés traîtres
à la patrie étaient recélés. « Le bonheur de Pénars était trop
grand; ii fut court; à peine il commençait quand il fallut y
(:1.) Louvet de Couvray. Memoires. Paris, B eaudouin frères, :1.823,

166

renoncer)). Louvet alla se cacher à Kervenargan en Poullan,
et, trois semaines plus tard, il gagna la Gironde par mer avec
Guadet, Buzot, Pétion et Barbaroux. On sait quelle épouvan­
table fin les y altendait. Louvet seul put revoir Paris, et ther­
midor sauva sa tête, mais ses épreuves avaient été trop
cruelles; il mourut peu après.
Depuis la fin du XVlll' siècle, la maison de Pen):J.ars n'a pas
changé d'aspect. C'est toujour~ la façade grisâtre ajourée de
fenêtres au linteau infléchi, aux châssis de bois découpés en
petits carrés de vitre verte, aux lucarnes en arc-de-cercle.
Devant, sur la pelouse devenue une aire de terre battue,
végètent un vieux laurier, un vieux figuier et un vieux prunier
qui ont vu sans doute Madame de Pompéry, Louvet et sa
Lodoïska. Entre la cour et le jardin est le puits à margelle
carrée et moulurée, surmonté d'une traverse courbe, égale­
ment en pierre. Des murailles moussues et branlantes cernent
l'enclos de toutes parts, et le portail extérieur, dont les
battants ont gardé leurs anciennes pentures, s'ouvre sur une
avenue où quelques hêtres séculaires se souviennent encore
des jours d'autrefois . Dans ce cadre presque inchangé, on
évoque sans effort ceux qui ont passé là, et qui ne sont plus.
« Les pierres, a dit Lenôtre, ne s'assimilent-elles point quelque
parcelle de la vie des êtres qu'elles' ont abrités ~ Doit-on
croire qu'une sorte de fluide émané d'eux flotte encore autour
des murs où ils ont vécu ~ Sinon, d'où vient l'attrait de ces
choses ~ Comment expliquer que là, plus qu'ailleurs, s'établit
avec le passé une communication mystérieuse ~ ,). (1).

En redescendant vers l'ancien Grand-Séminaire, on trouve,
à l'Est et en contre-bas de la route de Pont-l'Abbé, une vieille
maison affaissée sous sa lourde carapace d'ardoises violâtres.

-- 167-
C'est le manoir de Penanguer, bâti au début du XVIe siècle,
avec quelques retouches postérieures. Le portail dt: la cour.
s'ouvrait sous une voûte en croisée d'ogive, dont les amorces
sont encore apparentes à droite et à gauche de l'entrée. Des
fenêtres irrégulières ajourent pittoresquement la façade, acco­
lée d'un escalier extérieur desservant au premier étage une
porte décorée d'accolades bien moulurées. Une des lucarnes
à fronton triangulaire a seule su rvécu. A droite, deux pilastres
dans la note du xvu

siècle soutiennent le linteau en anse­
de-paniér d'une porte latérale. La tourelle qui flanquait
l'arrière-façade a été démolie. A l'angle Nord, vers le grand
chemin, est ménagé un pan coupé, muni d'une longue baie
que surmonte üne accolade à crossettes feuillagées. Dans la
maison, on remarque quelques cheminées à hotte et corbelets,
et les embrasures de deux vastes fenêtres encore munies de
leurs bancs de pierre.
Penanguer se recommande surtout par le grand nom qu'il

évoque, celui de Michel Marion, cet héroïque patriote quim-
pérois qui sacrifia à la Bretagne ses biens et sa vie. Michel
Marion était le frère de François Marion, sieur de Penanguer
en Il

80. A la nouvelle que le duc François II se trouvait
assiégé dans Nantes par les Français, il arma en guerre un
navire qui lui appartenait, leva et équipa à ses frais une
troupe de 120 hommes, avec laquelle il s'embarqua pour aller
secourir son souverain. Durant tout le siège, il combattit
généreusement, maltraita fort les ennemis, et exposa si bien
,ses compagnons, son vaisseau et sa personne, que beaucoup
des premiers succombèrent, que le second sombra, et que
Marion lui-même mourut de ses blessures, en 1487, Il eut du
moins la consolation suprême de voir le siège levé et les
assaillants en retraite. Il s'était ruiné pour organiser sa vail­
lante expédition; aussi le duc prit-il soin de sa jeune fille et
la maria-t-il à l'un de ses secrétaires, François . Le Saux.

-168 -

fu'néraire de Jean Marion, receveur des décimes en 1530, et
.de sa femme Andrée Le Baud, blasonnée à leurs armes.
Cette famille Le Baud possédait à la sortie de Quimper,
sur la voie romaine de Douarnenez, le manoir de Kernisy,
dont les bâtiments sont encore debout, avec leurs nombreuses
lucarnes Louis XIV et leur imposant portail à fronton clas­
sique. Saisi sur la famille de Rospiec comme bien d'émigré,
ce manoir devint en 1793-94 la prison des femmes suspectes.
des « calotinocratinettes », comme on disait alors. C'est
aujourd'hui un établissement religieux et une maison de
refuge.
Dans le vallon qui sépare Penhars du quartier de la Terre­
Noire, il y avait deux manoirs aux noms presque identiques;
Pratanroz et Pratanroux, l'un et l'autre importants et terres
de chevalerie. Riou Le Saux, seigneur de Pratanroz, comparaît
en homme d'armes à la montre de 1481. Sa fille héritière,

Louise, épouse Guillaume de Kerloaguen, seigneur de Rosam­
poul. En 1642, Pratanroz est à Jacques Visdelou du Hilguy,
capitaine garde-côtes de l'évêché de Cornouaille, et en 1661 à
son fils Jacques, alloué au siège présidial de Quimper. Des
vieux édifices,· il ne subsiste qu'une maison aux murs épais,
munie d'un escalier extérieur, sans style ni apparence.
On place à Pratanroux une ancienne commanderie de
Templiers, et divers auteurs, Cambry, Fréminville, MM. de
Blois et Trévidy ont épilogué sur le nom de Temple des Faux
Dieux , que le peuple lui attribuait jadis. Une charte de II60
mentionne parmi les biens des chevaliers Hospitaliers l'aumô­
nerie de Penharlh, mais ceux-ci constituaient un ordre
distinct des Templiers. Ce qu'on a pris pour un temple,
assure M. de Blois, c'était la grande sa'Be du manoir, à
laquelle ses fenêtres en ogive et sa haute cheminée couverte
en lanterne ou clocheton donnaient l'apparence d'un édifice
religieux. D'autre part,le blason des seigneurs de Pratanroux,
169 -,
la même croix pattée qui timbrait l'écu du Temple. Cette
famille s'est fondue avant 1400 dans celle du Juch, et la
branche des du Juch de Pratanroux a produit au XVI' siècle
un capitaine de Quimper. Les Le Baudet les Rosily de Méros
ont depuis possédé ce manoir, ruiné dès la fin du XVIII' siècle.
Aujourd'hui, le soi-disant Temple des Jaux Dieux a totalement

disparu, et il ne reste plus que la grande arcade ogivale' , flan-
quée de deux chétives tourelles, qui ferme la cour. Gustave
Flaubert ne trouva rien autre chose, et s'en alla peu séduit:
(( Nous avons vu, dit-il, une masure en ruines où l'on entrait
par un portail gothique; plus loin se dressait un vieux. pan
de mur troué d'une porte en ogive; une ronce dépouillée ~'y
balançaït à la brise. Dans la cour, le terrain inégal est couvert
de bruyères, de violettes et de cailloux. On distingue vague­
ment des res tf'S d'anciennes douves; on entre quelques pas
dans un souterrain comblé; on se promène là-dedans, on
regarde et on s'en va )J. ( 1)

Si quelque conteur du pays s'était rencontré à Pratanroux
avec le célèbre écrivain, peut-être l'eût-il déridé en lui nar­
rant la légende du roi Guinvarch. dont le portrait sculpté en
relid, avec sa couronne, ses oreilles pointues et sa barbe éta­
lée, se voyait jadis sur le manteau de la cheminée. Très mor-

tifié de ses oreilles de cheval, d'ailleurs toujours ~oigneuse-
ment dissimulées sous sa coiffure. Guinvarch avait menacé
son barbier des peines les plus terribles, pour peu qu'il s'avi­
sât d'en souiller mot à âme qui vive. Etouffé par ce lourd

i'ecret, le barbier bavard imagina de le confier à la terre. Il

creusa un trou a u pied d'une touffe de sureaux, et y répéta à

satIete:

A r Roue Guinvarch Le Roi Guinvarch
Deuz diskouarn march. A des oreilles de cheval.

(I ) G. Flaubert. Par les champs et par les grèves.' Fasquelle éd. i9i8

- 170
Peu après. il y eut une aire-neuve à Pratanroux. Pour
mieux mettre les danseu rs en branle, le sonneur crut bon de

renouveler l'anche de son biniou, et coupa dans ce but une
tige au sureau. Mais à peine, perché sur sa barrique, a-t-il
attaqué l'abaden, que de l'instrument s'exhale, sur un ton
moqueur, le secret redoutable:
Ar Roue Guinvarch
Deuz di~kouarn marclt.
Justement, le roi Guinvarch était là, venu en monarque
débonnaire pour assister aux ébats de son peuple. Atterré

d'abord, puis furieux, il s'élance sur le malencontreux son-

neur, le culbute de sa barrique, et, appelant ses gardes, leur
ordonne de brancher à l'instant ce coupable de lèse-majesté.
« Pardonnez-moi, Sire! balbutie l'infortuné. Je suis innocent.
C'est ce maudit biniou qui parle tout seul. Voyez plutôt! »
- Incrédule, le roi approche l'instrument de ses lèvres, et
aussitôt le biniou de redire, avec des notes stridentes, le dis ­ tique fatal. De ce jour, ajoute-t-on, nul ne vit plus à Quim­
per le roi Guinvarch . Il s'en alla cacher sa honte près de Pont­
l'Abbé, dans l'île Chevalier, où subsistent quelques vestiges
d'un château auquel reste attaché son souvenir.
Je n'ai pas retrouvé l'écusson des Pratanroux signalé par
Fréminville et de ilois, mais on voit, au-dessus d'une porte
d'étable, le blason des du Juch (un lion), mi-parti de celui
des Trémillec (trois croissants) Sur un des piliers de l'entrée
de l'avenue est posée une' pierre ronde armoriée des neuf
mâcles de la maison de Rohan, qui doit probablement prove­
nir des fourches patibulaires du fief de Quéménet, autrefois
dressées sur la hauteur voisine de Ménez"':Rohan, entre l'an­
cienne et la nouvelle route de Douarnenez .

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DEUXIÈME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1921

PAGES
l Claude de Rohan, évêque de Cornouaille (1479-15'10)
par If. DU HALGOUET. . . . . . . . . . . . . 3
JI Laennec après 1806, d'après un livre récent, par le
Dr LAGRIFFE . . . . . . . . . . . . . . .. 9
III Deuxième campagne de fouilles dans la région de la
Torche et les îles Glénans, par le commandant
BÉNARD, l'abbé FAVRET, GEORGES A. BOISSELIER, '
Th. M ONOD [22 planches]. . . . . . . . . '. 22
IV Un prélat amateur des jardins, François de Coetlo-
gon, évêque de Cornouaille (1 668-1706) par H . .

W AQUET l2 planches] . . . . . . . . . . '. 49
V Les forêts royales en Cornouaille à la fin de l'ancien
régime, par JEAN SA VINA. . . . . . . . . " 8 :~
VI L'Elégie de Monsieur de Névet et le baron Huet,
par 1. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . 112
VII Introduction à l'étude des vitraux de Bretagne, par
PAU L ConoZE et FERNAND GUEY [2 planches] . . . 122

VIII Les anciens manoirs des environs de Quïmper par
L. LE GUENNEC ............... 144