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Bulletin SAF 1921


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Introduction à l’étude des vitraux de Bretagne

Paul Coroze, Fernand Guey

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1921 tome 48 - Pages 122 à 143

INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES VITRAUX
·DE BRETAGNE

Les monuments religieux du passé, si abondants surla
terre bretonne, ont fait l'objet de nombreuses e t intéres-
. santes recherches . Leur archit ecture a, depuis long temps,
relenu l'a tlention des savants et a livré, on peut le dire,
presque tous ses secrets. M ais la parure intérieure, plus
attrayante peut-être par son souci d'expression artistique,
demeure j llsqu'ici presque ignorée. Les vitraux, les
sculptures ont trouV0 pependant un nolateur profondEi- .
ment averti , un archéologue doublé d'un enthousiaste
admirateur: M le Chanoine AbgralL Il a su tracer la

- voie à tous les chercheurs dans des livres qui feront tou-
jours autorité pour la sûreté de leurs informations. Au
début de ces pages, c'est à lui que nous aimons à rendre
hommage en reco nnaissant tout ce que nous devons à ses
précieux travaux qui nous ont incités à entreprendre un e
étude de la peinture sur verre en Bretagne.
Nous nous proposons tout d'abord de dresser le cata­ logue et d'indiquer l'éla t de conservati on des vitres
encore existantes.
P uis. nous plaçant au point de vue de l'hîstoire de l'art

local, nous nous essaierons à l'étude des ateliers régio-
naux et de leurs artistes.
Enfin , comme contribution à l'histoire générale de la .

peinture, nous rechercherons les principaux courants
artistiqu es et les influences auxquels les uns et les autres
ont été soumis.
Notre premier objectif sera donc d'établir un répertoire
photographique des principales œuvres de la peinture sur

-123 -
Le vitrail est, parmi les œuvres d'art, une des plus
fragiles. Il souffre tout particulièrement des intempéries
si violentes dans nos pays. Il a eù (j'espère qu'ici on peut
employer le passé) à souffrir plus encore de la main des
hommes. Les protestants pendant la Ligue, les révolution­
naires, sous prétexte de faire disparaitre les blasons et
autres marques de domination féodale, se sont à l'envie
acharnés conLre les verrières. Mais, malheureusement, il
faut le dire, l'indifférence et l'ignorance générales leur
ont été plus fatales encore. Il en est qu'on a détruit de
propos délibéré. sous le fallacieux prétexte que la crasse
et les lichens qu'on avait laissa s'accumuler sùr les verres,
nuisaient à l'éclairage de l'édjfice. C'est ce qui s'est passé
à Pont-Croix par exemple. Mais, plus souvent, on a laissé,
on laisse encore chaque jour, tomber en ruine des ver­
rières. Le clergé ne peut pas les sauver, souvent n'en a
pas les moyens. parfois manque de compétence; les
fonctionnaires "des MonumenLs historique~ ne savent pas,
. ou ne veulent pas, ou n'ont pas les crédits, et surtout
ont autre chose à faire; personne ne veut s'en occuper,
et une ceu vre toujours intéressante, parfois admirable,
disparait à jamais. Quand on .3e décide, que le clergé '
ou l'adminislration a enfin trouvé les fonds, c'est souvent
bien tard, il faut des restaurations importantes et y'est
alors bien dangereux. Les verrières de la cathédrale de
Quimper offrent un lamentable exemple des ravages que
peut causer le zèle inconsidéré d'un réparateur dépourvu
de toute .conscience professionnelle .
. Un répertoire photographique nous paraît ùonc inté­ ressant pour fixer l'état actuel des vitraux de la région,
pour . aider tous ceux qui s'intéressent à leur conservatioQ,

enfin pour permettre éventuellement des réparations
judicieuses.

-124 -
au zèle de la Société archéologique et de ses membres.
Peut-être pourrons-nous, grâce à elle, réussir parfois le
sauvetage d'une œuvre d'art en péril. Un tel but, si nous
parvenons à l'atteindre, dans la limite de nos moyens,
et g ràce à votre appui , aurait déjà une très réelle utilité

et pourrait suffire à notre ambition,
Nous voudrions néanmoins que notre travail puisse en
outre servir à l'étude de l'histoire de l'art en Bretagne.
Malgré les nombreuses causes de destruction des vi­
traux, la Bretagne est un des pays de France où les ver­
rières sont encore les plus nombreuses. Rien que dans
les trois départements du Finistère, des Côtes-du-Nord

et du Morbihan nous avons pu relever une liste de plus
de deux. cents vitraux signalés comQle existant encore.
Il y a deux siècles, presque toutes, sinon toutes les égli-

ses et chapelles de ces territoires. étaient pourvues de
vitres peintes. Or, ces vitraux ont tous été exécutés, à de '
très rares exceptions près, entre le dernier tiers du XV·
siècle et les premières années du XVIIe, soit en 1 50 ans
environ. Une production aussi considérable en si peu de
temps est l'indice d'un e activ ité artistique importante et
. du plus haut intérêt. Malheureusement son étude est des
plus malaisées. Les documents font à peu près défaut. Si
quelq ues vitraux sont datés, ou possèdent, soit des ins­
criptions, soit des portraits de donateurs perrpettant de
fixer une date précise, la plupart ne peuvent être situés
approxima tivement que par des rapprochements, des
comparaisons de technique, de dessin ou de costume.
Quant aux auteurs de ces innombrables verrières et
quelques-uns furent de grands ar tistes, dont les œuvres
ne dépareraient aucun musée nous ne savons rien
d'eux; quelques noms très rares et c'est lout.
A Quimper travaillèrent les Soyer, dits Jamin, dont
M. Le Men a retrouvé les noms dans les comptes de la

-125-
cathédrale; et, à qui il attribue, dans sa monographie, la
plupart des vitraux de Saint-Corentin. Leurs œuvres sont
dans le plus piteux étal, à peu près méconnaissables, et
, l'on ne trouve rien d'autre que l'on puisse leur attribuer.
M. Le Men cite d'auLres noms, mais, fauLe de points dè '
comparaison, on ne peut . leur donner une seule œuvre.
Nous possédons bien le contrat signé par Gilles Le Sodee,
verrier de Quimper, pour un vitrail de Brasparts, contrat
qui a été publié dans le Bulletin de la Société archéolo­
gique. Malheureusement le vitrail a disparu.
On cite également le fameux Alain Cap, de Lesne'Yen,
à qui le P. Cyrille Le Pennee a attribué la maîtressèvilre
du FolgoêL La renommée aidant, de nombreux auteurs
ont associé son nom à beaucoup de verrières du Nord

FinisLère sansla moindre preuve à l'appui :(1). Malbeu-
reusementAlain Cap, qui faisait bien partie 'à titre de
peintre-verrier de 'la confrérie des maitres ès-arts vers

1620, est né à Le8neven en 1578 et n'a pu pal' conséquent
produire avant lès premières années du XVII" siècle. Or,
il -est bien peu de verrières de cette époque. La part
d'Alain Cap dans l'œuvre des verriers bretons a donc eté
pour le moins considérablement exagérée.
Le fameux vitrail de Saint-Fiacre du' Faouët porte bien
l'insùipLion "Pierre Androuet, ouvrier, demeurant à
Quimperalle 1552 ", nom . qui se Tetrou ve au 'bas d'une
fenêtre de la Trinité à Langonnet dans l'inscription sui­
vante: " le XXIII de mars p, .Androuet 1 57 ... "., mais,
M. André, dans son étude sur les vitraux de Bretagne,
fait remarquer que le terme ouvrier désigne généralement
dans la langue de l'époque le maître de l'œuvre, gouver­ neur ou fabricien qUi a ordonné et dirigé la pose des ",i-

(i) Voir André, Des vitraux peints dans l'ancienne propince de .Bre­
tagne, et Mâle daos 'son article sur le vitrail au xv

et XVIe siècles dans

traux et non l'm' tiste qui les a exécutés. La discussion reste
donc ouverte, faute d'un texte ou d'un document certain.
La comparaison détaillée des viLraux de Saint-Fiacre
et de Langonnet permettra peut-être de trancher cette
question sur laquelle nous nous promettons de revenir.
Faut-il admettre que les vi traux n'éta.ientjamais signés?
Ce serait, à notre avis, une opinion trop absolue. Ce qui
rend la ques tion plus difficile, c'est que la signature devait
vraisemblablement se trouver au bas des vitres et que
c'est cette partie qui a eu le plus à soutlrir et a disparu la
plupart du temps. Néanmoins, nous a vons pu relever
deux inscriptions en caractères gothiques assez curieuses.
L'un e, à demi détruite et presque illisible, se trouv E;) au bas
de la maîtresse viLre d'Ergué-Gabéric, formant une qua­
trième ligne au-dessous de l'inscription déjà connue et qui
es t ainsi rédigée : « Cette vitre fut faite en l'an 1517 el. ...
et pour lors fabrique .... ) ) puis viennent des traces de mots

que nous avons pu relever tanl bien que mal sans pouvoir
les lire complètement. .
Au bas de la maîtresse viLre de Plogonnec nous avons
trouvé un e inscription en lettres gothiques, non sig nalée
jusqu'aujourd'hui, croyons-nous. D'autres documents de
ce genre nous seraient indispensables pour nous per-

. me ttre d'échaffauder une hypothèse.

Si les maîtres des xv· et XVI' siècles n'avaient pas tou- .
jours l'habitude d'appos!')r au bas de leurs œuvres leur
signature au sens propre du mot, ils y introduisaient
souvent un signe, une marque. Les r écents travaux
de M. de Mély ont permis d'établir que les minia turistes
employaient ces sig nes, souvent presque invisibles ou ..
dissimulés aux endroits les plus inattendus de leurs œu-
vres. On peut ainsi déterminer, sinon l'exécutant, du
moins l'atelier d'où l'œuvre est sortie. Les vitriers

employaient peut-être des marques analogues . C'est ce

-127-
que pourrait laisser supposer le sigle que nous avons
relevé sur la maîtresse vitre de la chapelle Sainte-Cécile

en Briec (1). Il s'agit là sans doute d'une marque d'artiste.
Des élémen ls aussi rares, pour le moment tout au moins.
ne nous permettraient pas d'aller bien loin. Aussi, et sauf
. le cas de découvertes heureuses et, croyons·nous, proba­
bles, n'espérons-nous arriver à un résultat fructueux
qu'en employant avant toute autre la méthode de compa­ raison et de rapprochement des diverses œuvres étudiées .

Sans doute ne pourrons-nous pas ainsi parvenir à mettre
toujours un nom sur telles ou telles œuvres, mais nous
pourrons en grouper un certain nombre, déterminer

l'existence d'ateliers auxquels nous rattacherons des
ouvrages sinon sortis de la mêm'e main, du moins pré­
sentant une parenté souvent indiscutable.
Il ne faudrait pas croire, en effet, que les vitraux qué
nous étudions .soient issus de l'imagination d'artistes iso­
lés travaillant au gré de leU!' fantaisie.
Sans doute, à l'époque qui nous occupe ne voyons-nous
plus, comme pendant les siècles précédents, les artistes
étroitement gl'Oupés autour des chapitres ou des grandes

maisons abbatiales et travaillant sous la direction minu-

tieuse d'un maître de l'œuvre leur traçant la tâche jus-
que dans les détails. Les artistes se sont émancipés, ont
acquis un certain individualisme. Cette transformation
des mœurs et des habitudes de travail a eu une répèrcus·
sion très nette sur la technique el la conception même du
·vitrail. Depuis le XIIIe siècle jusqu'à la première moitié
du xv

, le vitrail est considéré comme un élément déco­
ratif qui concourt à l'effet général de l'édifice, mais qui
est strictement subordonné à des considérations archilec-
(il Ce fragment devait appartenir à un ensemble aujourd'hui détruit et
dont il ne subsiste plus que des fragments de dais. (xv· s. ?).

- . 128 ·-
iurales. Aussi,beaucoup de vitraux de cette époque sont-
. ils, dans les détails, pratiquement illisibles, .les grandes
roses de Paris, par exemple. ou encore les fenêtres hau­
tes du Mans. On sent que c'est le maître de l'œuvre,
architecte plutôt que peintre, qui dirige les vitriers; A
partir du milieu du xv' siècle le vitrail est considéré et .
traité comme un tableau ayant une valeur purement déco­
rative.
Mais, si les peintres verriers ne sont plus soumis à la
direction étroite du maître de l'œuvre, ils n'en restent

pas moins groupés entre eux par ateliers compre,nant un
nombre plus ou moins grand d'artistes collaborant sur les
mêmes cartons. lis ne font d'ailleurs qu'imiter en cela les
artisans qui travaillaient à la même époque dans d'autres
branches. Les miniaturistes formaient des ateliers sous la
direction d'un maître qui était en quelque sorte un éditeur.
Les sculpeurs sur bois, auteurs des retables si nombreux
en Flandre et en Allemagne, procédaient de même.
A ces raisons de mœurs et d'habitudes, les peintres
verriers en ajou taient une autre tirée de la technique
même de leur art. La confection d'un vitrai l. et nous en

voyons qui atteignaient des dimensions considérables,
nécessite la collaboration d'un personnel assez nombreux 0
et spécialisé : un dessinateur pour l'établissement des
cartons, uu peintre quelque peu chimiste pour la confec­
tion et l'application des émaux, des ouvriers du verre
pour le découpage, la cuisson, la mise en plombs. 11 y a

donc eu dans la région, aux xv' et XVI" siècles, non seule-
ment des peintres verriers isolés, mais encore de nom­
breux ateliers organisés. Lorsque l'on considère la pro-

duclion de ces ateliers rien qu'au point de vue matériel,

la quantité considérable de verres peints qu'ils ont fournis
dans l'espace d'un siècle environ, on s'étonne qu'un m~)U­
129 -

industrie, n'ait laissé que de rares traces dans les archi-
ves, un nombre aussi infime de documents en dehors des
œuvres qui ont survécu.

D'autre part, si, quitlant le point de vue malériel, nous
examinons la question du point de vue puremept artisti­
que, il saute aux yeux que, parmi les auteurs des verriè­
res que nous admirons il y avail de nombreux artistes de
très grande valeur, des dessinateurs maîtres de" leur
technique, possédant admirablement la science de la
composition. D'où venaient ces peintres si sûrs de leur
métier, joignant à une technique si serrée, une puissance
de conception aussi remarquable? Où avaienl -ils étudié
leur art? Nous abordons ainsi le troisième but que nous
avons fixé à notre travail: déterminer les influences aux­
quelles ont obéi les artistes qui ont Lravaillé aux viLraux
de Bretag ne. (1)
Il est permis, après l'examen que nous avons fait d'œ u­
vres d'épo" ques ' et de provenances diverses,de penser que
l'art du vitrail a suivi parallèlement, en quelque sorte,
l'évolution et les divers courants qui se sont manifestés à,
la même époque dans les arts plasliques en France. Est­ il besoin de rappeler com bien l'histoire de la peinture à
la fin du xv· siècle et pendant le XVIe est touffue et com­
plexe dans son aspect général, et. avouons-le, presque
i llconnue dans ses intimes délails. Au débu t de cette
période, nous trouvons des a rtistes encore profondément
imbus des traditions de l'a rt français médévial. Puis, peu
à peu, l'influence de la Renaissance ita.lienne g randil.
Pendant quelque temps il s'établit une sorle d'équilibre

(1) Ce qui suit résulte de l'examen de verrières si tuées toutes aux envi­ rons de Quimper, dans un rayon assez étendu il est vrai. Nos conclusions
ne sauroierit donc nous engager d'nne manière définiliv e ; nos travaux
devant se poursuivre sur toule l'étendue de la Bretagne, nous pOUVO IiS
- 130 -'
entre l'esprit français, son réalisme, son observation
aïguë, allanl parfois presque jusqu'à la malke, sa spon­
tanéité de conception pleine de verdeur, et l'esprit italien
a\'ec son goût de la composition large, visant à la gran­
deur. ~cs types idéalisés aux dépens de la note indivi­
dU811e, son dessin plus sûr, mais déjà tendant vers cet
acad(5misine par quoi, dans la, seconde moitié du XVIe
siècle, le Primatice et l'école de FonLainebleau assureront
définitiv ement la prédominance de la forme italienne.
Ce ne sont là que les deux courants principaux; d'au­
tres vienn ent s'y mêler. De nombreux Flamands attirés en
France. pour s'y perfectionner ou s'y établir, introduisent
leur vision personnelle. Ayant subi, eux aussi, l'influence
ilalienne. mais l'ayant comprise à leur manière, ils revê­ lent leurs conceptions d'un dessin qui, tout influencé qu'il
puisse être par les maîtres d'au delà des monts, n'en
conserve pas moins un trait tout particulier.
A la même époque on colporte les gravures allemandes
des Schongauer, des Dûrer et de leurs élèves. Ces pre­
miers essais de vulgarisation artistique, qui furent aussi
les premiers grands succès de librairie, ont laissé des
traces très nettes.
Toutes ces tendances nous les retrouvons écrites sur
les vitraux d'églises de village ou de chapelles isolées de
Bretagne
De nombreuses pièces d'archives ont établi, notam­
ment en ce qui concerne le Berry, que certains artistes
peig naient aussi bien des vitraux qu'ils en luminaien t des
manuscrits ou dessinaient des effigies destinées aux
jetons ou monnaies C'étaient des artisans qui exécutaient
tout ce qui avaient quelque rapport avec leur art. L'abbé
Requin lI) a prouvé que les grands maîtres Pierre Villatte
(i) Abbé Hequin, DOG!tments inédits SUT les peintres, peintres verriers

- 131
et Nicolas Fromenl d'Uzès n'ont pas limité leur activité à
la seule peinture de tableaux, mais ont exécut8 également
des verrières malheureusement disparues. Les cartons du
vitrail qui orne la cha pelle Pfindzing a Saint Sébald de
Nuremberg sortiraie nt de l'atelier d'Albert Durer.
Ce sera donc souven t dans les miniatures de manus­
crits que nous irons puiser les meilleurs et les plus sûrs
de nos renseignements, pour les époques les-plus ancien­ nes, tout au moins. Nous y r etrouverons les' sources
d'inspiration, les principes de composition, les caractères
de dessin qui nous permettront peut-être le groupement
des œuvres et l'étude de leur filialion .
A la lumière de ces co mparaisons, nous avons déjà pu
reconnaître et grouper une série de verrières au carac­
tère netLement français , au dessin fra nchement écrit. au
réa tisme de bon aloi, à la composition souvent condensée
en registres de dimensions moyennes.
Parmi les vi tràux de cette catégo rie, nous voyons à
KERGO AT EN QUEl\fENEVEN un fragm ent de vitrail repré­
sentant quatre apôtres et quatre prophètes se faisant face
deux à de ux dans quatre niches e r. cad rées d'a rchitectures.
et surmontées de dais. Chacun des personnages porle un
phylactère où est inscrit le début dll Credo ou de la pro­ phé tie correspond ante dont il es t l'auteur (1). C'est un
symbole de la concordance de l'Ancien et du Nouveau
Testament.
Ce sujet a été traité cou ramment au début du xv' siè­ cle et, à différentes reprises, par les artistes du duc de
Berry, nota mment dans les nombreux manuscrits que ce
(i) Les quatre persollnages du bas, répar(ls tant bien flue mal, ne cor­
respondent pas et leurs inscriptions ne se répondent plus. Nous trouvons
en effet Malachias près de Philippe. C'est Simon qui devrait être rappro­ ché de Malachias et Sophonie de Philippe. D e même en face d'André
devrait être David. Ce bouleversement est l'œuvre des réparations

132 -
Mécène fit exécuter. et dans les yitraux de sa Sainte Cha­
p('lle à Bourges (1). Le vitrail de Kergoat présente avec
CeS ouvrages des affinités certaines, bien que son dessin

plus veule n'en soit que l'écho affaibli.
On troll verait à LANNÉLEC EN PLEYBEN, dans des frag­
ments hélas! ruinés, un souvenir plus vivace de ces
œuvres célèbres.
Issu de la· même lignée. mais d'une date postérieure,
et d'un art plus complètement évolué, nous rencontrons
un chef-d'œuvre à GUENGA T : la vitre du fond du bas-côté
méridional représentant la Vierge entre saint Michel et
saint Jean.
Le caractère tout particulier du dessin d.e cette verrière
nous fait pressentir un atelier en relations étroites avec
les artistes parisiens ou de la vallée de la Loire, qui
étaient soumis alors à ce double courant d'influences fla­
mandes et italiennes que nous avons signalé plus haut.
Mais elles n'ont pas encore marqué d'une empreinte pro­
fond~ l'art tout français qui rayonne dans ces admirables
figures. Ce vitrail doit être mis tout à fait à part, tant
par son extraordinaire valeur artistique que par sa fac­
ture. rare dans la région. Il est complet, (~e qui également
est exceptionnel. Malheureusement la figure de l'Enfant
Jésus est fendue. Une réparation. peu difficile à l'heure
actuelle. s'impose. Les monuments historiques doivent,
depuis dix ans, s'occuper des vitraux de Guengat, d'après
ce que nous en dit le curé de cette paroisse. Il a réclamé
une intervention avec impatience; l'administration attend

(1 ) La chapelle du duc de Berry ful commencée en HOO. Sa dédicace
eut lieu le 5 avril i405 et les vitraux étaient en plaGe à cette époque. Ils
lurent peut-être exécutés par des artistes de l'atelier d'André Beauneveu
qui peignit les prophètes du psautier du duc (B. N., m. français i309i ).
il venait de mourir quand on commença les travaux. Une partie des
vitraux ont pu échapper à la ruiDe rie la chapelle et se trouvent aujour­

-133 -
sans doute pour précipiter son action que tombe en l'uine
un de ces chefs-d'œuvres, dont elle estime probablement
la région trop abondamment pourvue, si l'on en juge
d'après sa méthode.

Sans quitLer GUEl'\GAT, notons encore la vitre du tran-
sept méridional où figurent diverses présentations de
donateurs et plusieurs panneaux provenanld'une passion)
rassemblés en désordre. C'est également une œuvre
d'inspiration purement fran ç.aise, peut.-être même appa­ rentée, pour quelques fragm ents tout au moins à la
précédente, La présentation du donateur habillé d'her­
mines au chef endenché de sable, paraît provenir du
même atelier, et des dais identiques couronnent les deux
vitraux.
D'exécution presque analogue, à LA TRINITÉ EN M8LG­
VEN, nous trouvons un reste à demi brisé d'une œ uvre
qui dut être remarquable et dont il ne subsiste guère que
la tête d'un saint Christophe à la physionomie fine, por­
Lant un enfant Jésus au minois éyeillé.
Les quelques œuvres que nous venons de passer rapi­
dement en revue se caractérisenl par une conception
idéaliste, la recherche de form es affinées et de physiono­
mies spiritualisées. On y reconnaît l'influence d'artistes
délicats et raffinés comme ceux qui travaillèrent à la cour
du duc de Berry, plus tard pour Jacques Cœur et, au
début du XVI" siècle, pour Louis XII et Anne de Bretagne.
Mais il y en a d'autres, plus populaires, dont les œuvres
ont une verdeur, Un goût de terroir plus prononcc '>. Ils se
contentent de formes plus rustiques. plus largement trai­
tées, mais, avec un côté plus humain, qui les laisse plus
proches de nous,
De ce genre, citons en première ligne le Jugement
dernier dont les fragments, arbitrairement rapprochés

_. 134 .
nateur aux moustaches tombantes, à l'air désabusé et
las, est manifestement un portrait. L'auteur, plein de
verve, pousse le réalisme jusqu'aux limites de la carica­
ture. Un élu, qu'un ange arrache aux griffes du démon,

jetLe les bras autour du cou de son sauveur et le regarde,
les yeux écarquillés d'épouvante, la bouche ouverte et la
langue pendante avec la mimique d'un enfant affolé de
terreur qui se précipite auprès de sa mère. Un diablotin
malicieux rattrape par les cheveux une dame pressée de
lui fausser compagnie. Un autre diable, plein de jovialité,
armé d'une massue à piquanls s'amuse à bosseler la phy­
sionomie d'un damné empalé dans la gueule de l'enfer.
L'artiste a cherché à caractériser chacun des 'laints qu'il
figure. Saint François montre ses stigmates avec douceur,
tandis que, près de lui, saint Etienne paraît protester en­
core contre son martyre, en montrant une des pierres qui
ont servi à le lapider et dont deux exemplai res sont res­
tés co llés au crâne, sans doute à titre d'échantillons.
Saint Sébastien est plongé dans l'extase, et son voisin,
dont on ne voi t que la tête, jubi le. Au-dessus d'eux sain t
Paul, armé de son épée, paraît vouloir discuter encore
avec quelque contradicteur. .
On l'f'ltrouve d'autres œuvres qui sorten l, sinon de la
même maison, du moins certaineD1ent du même atelier.
A PLOGONNEC la vitre du fond du chœur, à droite, re­ présente un Jugement d2rnier complet. mais qui a moins
d'ampleur que n'en ayait celui de Kergoat lorsqu'il était
en entier. .
Le . M USEE DEPARTEMENTAL DE QUIMPER possède un
fragment de provenance in connu ou est reproduit l'ange
sauvant un élu de Kergoat, mais c'est une copie déjà ap­ pauvrie, ayaut perdu de sa sponlanéïté.
A GUENGAT, au contraire, où il ne reste plus que des
fragments épars d'ane verrière de cet atelier, r~prtlsen-

-135 -
tant aussi un Jugement dernier, on remarque, parmi un
cortège d'élus, une tête de saint Pierre admirablement
traitée.
D'un autre atelier m,lis obéissant aux mêmes influences,
nous trouvons à PLOGONNEC une vitre assez curieuse par
les sujets qu'elle représente : un Christ ressuscitant, en­
touré de sainLs locaux. Les saints du pays onl eu assez
rarement l'honneur d'être représentés sur un vitrail.
Les mêmes tendances devaient se retrouver dans les
vitraux de l'ancienne église SAINT-FHANÇOIS DE QUIMPER
autant qu'on peut en juger d'après deux dessin s faits au
XVIIe siècle à l'appui d'un procès-verbal de constat dans
une instance au sujet d'une question de prééminences. Nous
devons ces documents il l'obligeance de M. Le Gu ennec.
Il ne faudrait pas croire que la technique de ces ar tis­
tes populaires soit toujours un peu fruste ; elle est sur­
tout large et parfois s'affirme aussi dans un maniement

de la brosse plus appuyé, dans une recherche de couleurs
plus serrée et dans un modèle plus fouillé.
Tel est, par exemple, le petit vitrail de GARNILIS EN
BRIEC où l'on voil saint Pierre présentant un donateur et
un!) Vierge de Pitié. Cetle vitre , remarquable par sa fac­ ture d'inspiration puremen t française, l'est aussi par sa
date : au bas est écrit « Celte vitre : dom Guillom J5li l ».
En 1561 le Primatice. qui est en France depuis 1 5:32 a
fait définitivement triompher les conceplions italiennes.
C'est donc en Bretagne qu'il faut venir pour lrouver l'ul­
time épanouissement de l'école française soustraite à
l'écrasante emprise de l'art ita lien, de cetle g rande école
française des xv· et début du XVIe siècles. oubliée pendant
si longtemps et encore si imparfailement connue, malgré

les nombreuses études dont elle a été l'objet depuis une
vingtaine d'années. Celle persistance en Bretagne du
goût tout spécial à nos grands artistes du xv

siècle est

-136 -

bien faite pour donner à ces œuvres un intérêt tout par-
ticulier. A ce seul point de vue, e lles mériteraient une

étude approfondie, comme contribution à l'histoire de l'art
français de cette époque, histoire encore entourée de tant
d'incertitudes.
La Brelagne, rebelle à l'influence de l'art italien, reste
a ttachée longtemps après la France au gothique flam­
bloyant qui lui es t cher. Jusqu'aux dernières années du
XVIe siècle les architectes n'adoptent que timidement et
peu à peu quelques motifs d'ornementation empruntés au
goût nOuveau. Les peintres verriers sont plus hardis Dès
la première partie du XVIe siècle, à côté de ceux qui res­
ten t fid èles aux traditions puremen t françaises, on en voit
quelques-uns adopter franchement les formules nou­
velles . Mais, s'ils veulent faire œuvre de novateurs, l'art
italien ne va pas sans les effar oucher un peu; ils le sen­
tent trop étranger à leur esprit, à leur mentalité, et c'est
vers la Renaissance italienne, telle que l'ont comprise les
a rti s tes du Nord, parti culièr emenlles Flamands, qu'ils se
tou rnent. Les ra pports co mmerciaux, très suivis à cette
époque entre la Flandre (~t la Bretagne favorisaient d'ail­
leurs les échanges d'idées entre les deux peuples. Nous
allons donc trou ver une série d'œuvres d'inspiration
italo-flamande.
La place d'honneur parmi les artistes qui ont subi celte
iufiuence est prise par un maître encore inconnu, mais
, qu'une pièce d'archives ou un rapprochement heureux
permettra peut-être un jour, nous l'espérons, d'identifier ,
Ce serait souhaitable. car il mérite d'être placé auprès des
plus g rands artistes de lion époque. Il s'agit de l'auteur des
verrières de N -D. DU CRANN EN SPEZET. La vitre de saint

Eloi ,datée 1 550,n'est signée ma lheureusement que de deux

initiales: V. D On ne dira pas qu'il s'agit ici d'un nom de
fabricien; l'excellent marguillier a fait mettre son nom

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sur plusieurs vitres de la chapelle, il se nommait Charles
Quampion. Nous devons donc nous contenter de désigner
ceL artiste provisoirement sous le nom de «Maître inconnu
V. D.». La pièce principa.le de cette collection unique, la
Mort el l'Assomption de la Vierge, indique très nettement
que le maître V. D. a connu les œuvres de Raphaël et les
a comprises. Les lignes générales de la composition rap­
pellent la (( Dispute du Saint-Sacrement». Cette cc)mposi~ .
tion savamment balancée, le dessin largement traité et
pourtant précis, ·la noblesse des physionomies et des
attitudes . l'élégante souplesse des draperies, lout est d'un
grand maître. Le coloris est, lui aussi, d'une qualité
tout à fait exceptionnelle par sa finesse. C'est une
harmonie de bleus pàles et d'or, releyés de rouge, d'une
suavité qui sait éviter la fad eur. Mais, si le maître
V. D. a connu les Italiens, el les a compris au point de
prouver qu'il Btait capable de tenir sa place auprès de
leurs plus gTands maîtres, il n'en était pas moins attiré
plus encore par les artistes des pays du Nord, et c'est
peut- être auprès d'eux, au travers de leurs œuvres, qu'il
a seulement connu les Italiens. Il le prouve dans deux
autres verrières du Crann: «Le Baptême du Christ» et
le «Saint Eloi ». On y retrouve la même sûreté de dessin,
la même douceur de coloris, mais la conception est ici
nettement apparentée aux œuvres des Français du Nord
et des Flamands.
Un des vitraux de l'église de PLOGONNEC. celui de la
Transfiguration, nous offre également un exemple de
l'influence italo flamand e. Au-dessous de la scène de la
Transfig'uration, on voit la Vierge entre sainte Madeleine
et sainte Catherine. Parmi ces trois admirables figures . .
celle de la Vierge offrant un fruit à l'Enfant Jésus, est
tout particulièrement remarquable. Ces trois panneaux
analogue da ns le vitra il de DINÉAULT, ac tuellement a u
musée départemental de Quimper et où figure, comme à
Plogonnec, la Vierge e t sainte Madeleine. Le rapproche­ ment de ces deux œ uvres est du plus haut intérêt. cal' le
vitrail de Dinéault es t d'inspira tion nettement italienne.
Nous pouvons donc saisir d'un e façon frappan te les
nuances qui disting uent l'inspiration venue directe ment
d' Ita lie, de celle qui est préala blement passée pa r les
Flandres.ll est facile de prouver que le vitrail de Dinéault
est ne tLement inspiré de r art ita lien. Il suffiL de considérer
la Sainte Madeleine dont le type ethniqu e correspond exac­ tement à celui de la femme tel qu'il était conçu pa r les
artis tes de la Renaissance ilalienne pré-raphaëlique. Elle
a le dos légèrement voûL é, la poitrine rentrée, le ventre en
avant. Ce sont la les caracté ristiques qui ont été écrites
par le Dr R icher dans son ouvrage L' A natomie ar tis­ tique de la Femme. comme étant celles que l'on retrouve
dans les œ uvres de la première Renaissance italienne.
L'art italien étant décidement à la mode à la fin du
XVI ' siècle , tout le monde crut devoir se mettre à son
école. Des a rtistes bien fra n ;ais de tempéra ment voulurent
satisfaire au goût du jour, sans pou voir se défaire de
leurs habitudes d'espri t. Ces tendances contraires chez un
ar tisL e médiocrement doué a menèrent. une gauchA rie dans
l'exécution qui est fra ppante dans cer taines œ uvres. Au
CRANN EN SPÉZET on remarque deux vitres caractérisLi­
ques à ce point de vue : ce so nt celles consacrées aux his­ toires de sa int Jacques et de saint Laurent. Dans l'histoire
de saint La uren t l'artiste s'est cru obligé d'h abiller ses
personnages ( , à l'antique) , d'une antiquité toute arbitraire.
Un certain effo rL dans la co mpoo iLion n'arrive pas à rache­ Ler la lourdeur du des::;in ni le convenu de l'agencement de
la scène. C'est l'appariti on de l'art classique académique
- 139-
Nous avons vu que les maîtres de la gravure allemande
avaient eu aussi leur par~ dans l'évolution artistique du
XVIe siècle en France. Ce sont les peintres verriers qui
ont subi le plus fréquemment leur influence. Cela se com­
prend aisément. La gravure, surtout la gravure sur bois,
qui était à cette époque l'apanage presque exclusif des
maîtres du nord. particulièrement des maHres germa ni -
ques, se lransforme facilemen t, par simple agrandisse­
ment, en un carton de vitrail. Le ,graveur, comme le
peintre verrier, procède par masses, par plans largement
indiqués. Le dessin ferm ement accusé, les contr)Urscer­
nés de la gravure correspondent à la mise en plombs du
vitrail, Aussi les peiutres verriers, débordés de comman­
des, ne se sont-ils pas fait faute, non seulement de s'ins­
pirer, mais mèrhe de copier servilemenl des gravures.
Le point d'honneur arListique, à celte époque, différait
d'ailleurs du nôtre, et on trouvait tout naturel qu'un
artiste copiàt un deyancier dont il trouvait l'œuHe
bonne,
En France, les vitraux imités de.gravurns allemandes
sont assez nombreux C'est Dûrer que les peintres ver­
riers se sont appropriés le plus fréquemment. Sa Passion
sur cuivre es t reconnaissa.ble sur les vitres des églises
de Brou, de Conches et des Riceys (Aube). Son Apoca­ lypse a élé copiée à Saint-Martin-des-Vignes de Troyes, à
Granville, à Chavanges (Aube) et à La Ferté -Milon.
Enfin M. Màle a démontré que les vitraux de la Sainte­ Chapelle de Vincennp,s. attribués à Jean Cousin. sont
un e tranSCI 'iption littérale de l'Apocalypse de Dûrer.
arrangée au goût de l'école de Fontainebleau: Dûrer vu
au travers du Primatice !
CerLa.ins peinlr8s verriers bretons ont eux aussi tra­
vaillé d'après des gravures. Une des rares pièces d'archi­

-140 -

donne .la preuve. Il s'agit d'un contrat passé entre les
mains de l'abbaye de Beauport en Kérity (C.-du-N.) et
Noël Allaire, vitrier. En voici le début:
(C Du sep tième jour de décembre 1 606 a été fait marché
« avec MaiLre Noël Allaire vitrier, de faire les sept vitres
« du chapitre: savoir la vitre du milieu toute en verre
« peint cuit, figuré d'une Trinité au désir d'une feuille en
« taille douce qui lui a été baillée, etc. » Le vitrail a été
détruit; nous ne saurons donc jamais quel était le modèle
que les moines avaient imposé à Noël Allaire ni comment
il avait exécuté sa tâche.
Par contre, nous trouvons dans la région toute une
série de verrières des plus importa ntes par leurs dimen­
sions, dont la conception, d'origine franco-fla mande, se
modifie ou se developpe au contact évident de ces œuvres
gravées germaniques si fort en vogue à cette époque.
Il s'agit de ce grand vi tra il représen L a nt la scène du
Calvairo qui es t presque identiquement reproduit à LA
ROCHE-M AURICE, à T OURC'H et à SAINT-MATHIEU DE
QUIMPER. La version de Tourc'h esL la plus complète. A
La Roche-Maurice, Vot partie du bas, les soldats qui se
ba llen L pour le partage des vêtements du Sauveur,
manque. A Quimper tout le bas et la partie centrale sont
dùs à une restauration modern e com me on peut s'en
rendre co mpte en comparant l'état actuel et la descrip­
tion qu'en a faiL e M. Philippe Lavallée en 1847.
. L'ordonnance générale de cette vitre correspond à un
poncif cher aux Allemands el Pays-Bas à la même épo­ que. Elle s'appar r nte à de nombreuses œuvres parmi
lesquelles on peut citer la Crucifixion de la Grande Pas-

sion sur bois de Dûrer et un vitrail conservé actuellement
au Kunstgerwcrbemuseum de Cologne . Les costumes,
assez orig inaux, étaient ceux à la mode vers 1 510-1520;
on en trouve de presque identiques dans le Triomphe de

141-
Maximilien par Dûrer. Les larrons en croix sont galam­
ment costumés de culottes à crevés et de petites vestes
élégantes. La disposition traditionnelle des personnages
est bouleversée ; saint Jean est réuni au groupe de saintes
Femmes autour de la Vierge défaillante à droite de la
croix et sa place est occupée par un superbe Joseph
d'Arimathie à cheval, en grand costume d'apparat et
coiffé du chapeau pointu réglementaire. Le fond de la
scène est hérissé de tout un appareil militaire, de lances,
de hallebardes et d'oriflammes déployées Le groupe des
soldats qui se battellt est la partie la plus originale de
l'œuvre. A Tourc'h, quelques-unes des têtes de ces sou­
dards ont été refaites , mais celui de gauche, qui tire son
épée, est intact. Son béret enfoncé sur l'oreille, en casseur
d'assiettes, sa barbe courte, taillée en carré sur une ma­
choire proéminente, sa physionomie bestiale font de lui
un portrait vivant de ces reîtres allemands qui, à l'épo­
que, étaient déjà la terreur des populations paisibles. Des
détails aussi peu famili ers à un artiste breton du début du
XVI" siècle permettraient déjà de supposer, avec quelque
chance de certitude que l'œ uvre a été exécutée d'après un
document étranger. L'examen détaillé de la technique
du seul panneau ancien de Saint-Mathieu qui soit acces- .
sible, « Le Christ devant Anne» fait cesser le dou te. On
.. y remarque que les ombres sont traitées par hachures,
semblables aux « tailles» d'une gravure et non pas tous

fondus comme dans une peinture. Cette technique, anor-
male chez un peintre, prouve bien que l'exécutant avait
une gravure sous les yeux en travaillant et qu'il en a
copié jusqu'au procédé. Remarquons tout de suite qu'il
n'en reste pas moins un grand artiste. La résignation du

Christ, la véhémence interrogative du grand prêtre. la
physionomie haineuse du sbire, toute l'exécution puis-

- 142
vaient être rendues que par un dessinateur hors de pair.
D'ailleurs, bien qu'une gravure se prête il. la mise en
carton, l'agrandissement à une aussi vaste échelle pré­
sente des difficultés techniques qu'un praticien r om pu au
métier est seul capable de vaincre.
Ce vitrail de la Crucifixion, encadré ou non, suivant les
dimensions des fenêtres, de scènes adventives, a eu la
fortune qu'il méritait. Non seulement nous le trouvons à
La Roche-Maurice, à Tourc'h et à Saint-Mathieu. mais il
en existait encore un exemplaire aujourd'hui disparu à
l'Abbaye de Daoulas On le reconnaît dans la description
qu'en a laissé le chanoine dom Pinson en 1703.
Des élèves ou des imitateurs ont voulu reprendre un
suj et qui avait eu tant de succès. Nous en voyons une
réplique au JUCH. Mais ce n'est plus de la main de l'artiste
qui avait exécuté les belles verrières de Tourc'h et de
Sain t-Mathieu ; c'est tout au plus une œuvre de son atelier.
L'exécutant n'a plus compris les crevés des costumes qu'il
traite comme si c'étaient des broderies à plat.
Même sujet également modifié à LABAB A.N A t à GUEN­
GAT , maîtresse vitre Dans ce dernier vitrail , qui a
manifestement été exécuté par plusieurs mains, il y a
néanmoins des fig ures fort habilement traitées et dont
quelq ues-unes son t très proches de celles de Sain t-Mathieu.
tandis que d'autres sonL d'inspiration différente.
Le pauvre peintre verrier qui a exécuté le vitrail
provenant de LANGOLEN . et qui est maintenant au Musée
archéologique, a été fort ennuyé. On l'a obligé à intro­
duire une présentation de donateur dans la scène
devenue traditionnelle, qu'il a voulu quand même repro­
duire; gêné en outre par les petites dimensions de la
fenêtre, il n'arrive plus à disposer ses personnages et les
entasse en fouillis.
Enfin à PLEYBEN, à la fin du XVIe siècle, ne pouvant se

-143
débarrasser du modèle fam eux devenu poncif, l'artiste a
cru tout au moins le rajeunir en habillant ses soldats en
pseudo-guerriers romains coiffés de casques de pompiers
à chenille. La douceur des tem ps a eu son effet jusque
sur les mœurs des soudards : au lieu de se battre pour
les pauvres dépouilles du Christ, ils reviennent à la tra­
dition, et les jouent paisiblement aux dés.
Nous assistons ainsi à toute l'évolution d'une œuvre
puissante qui, passant de mains en mains, se déforme,
s'affaiblit, se vulgarise. Nous nous promettons d'appro­
fondir l'élude de cette transformation. que nous ne faisons
qu'effleurer, lorsque nous aurons pu examiner en délail
tous les vitraux de cette série .
Ce ne sont là que quelques indications sur des travaux
que nous venons à peine d'entreprendre, et donlles résul-

tals sont loin d'être définitifs. étant donné le développe-
ment que peut prendre une pareille étude, si nous avons
la bonne fortmle de la mener à bout.
En terminant, nous tenons à remercier ici M. le Cha­
noine Abgrall , MM. Waquel et Le Guennec, qui ont bien
voulu nous donner des renseignements qui nous furenL

precleux.

PAUL COROZE
et FERNAND GUEY,
C onservateur des lJusées de Quimper

-174 -

DEUXIÈME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1921

PAGES
l Claude de Rohan, évêque de Cornouaille (1479-15'10)
par If. DU HALGOUET. . . . . . . . . . . . . 3
JI Laennec après 1806, d'après un livre récent, par le
Dr LAGRIFFE . . . . . . . . . . . . . . .. 9
III Deuxième campagne de fouilles dans la région de la
Torche et les îles Glénans, par le commandant
BÉNARD, l'abbé FAVRET, GEORGES A. BOISSELIER, '
Th. M ONOD [22 planches]. . . . . . . . . '. 22
IV Un prélat amateur des jardins, François de Coetlo-
gon, évêque de Cornouaille (1 668-1706) par H . .

W AQUET l2 planches] . . . . . . . . . . '. 49
V Les forêts royales en Cornouaille à la fin de l'ancien
régime, par JEAN SA VINA. . . . . . . . . " 8 :~
VI L'Elégie de Monsieur de Névet et le baron Huet,
par 1. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . 112
VII Introduction à l'étude des vitraux de Bretagne, par
PAU L ConoZE et FERNAND GUEY [2 planches] . . . 122

VIII Les anciens manoirs des environs de Quïmper par
L. LE GUENNEC ............... 144