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Bulletin SAF 1921


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Laennec après 1806, d’après un livre récent

Dr Lagriffe

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1921 tome 48 - Pages 9 à 21

LAENNEC APRES 180
cl' après un livre récent
Vous n'avez pas oublié que, le 12 Oetobre 1919, sous les
auspices de la Société archéologique du Finistère, des
savants sont venus, de Nnr,tcs et de Paris, pOUl' louer
Laennec comme il convient qu'il soit loup. Il ne semble pas
'que l'idée d'une manifestation capitale, qui nous avait été
promise et que nou s n'avions pas sollicitée, ait SUl'véCll à
l'enthousiao;me des deux journée,; de Quimpel' et de Ploaré;
il parait qu'on nous laisse, dMînitivernent, Laennec et qu'on

se repose, dé,;ormais, sur nous, du soin de cultiver son sou-

venil' qui doit rester, impél'issable, parmi les hommes. Ne
nous en plaignons pa,; : ~i la décentl'alisation et le régiona­ lisme ont 'Ieu r source dans une communion avec les gloi res
du passé, et c'est bien là leu r véritable base; la Bretagne a
des litms de noblesse qui assurent, solidement, son indivi­
dualité dans le présent et dans l'avenir. Nou,; garderons
donc Laennec qui l'ail partie de cet héritage ; si nou s le
prêtons, quelquefois, comrne il se prêta si géné reusement
lui-même, que ce suit pOUl' veillel', jalousement, à son
prompt retou r dans celle Bretagne où il a voulu dormir so n
dernie l' sommeil.

Un de nos plus distingués et fidèles collègues de la Société,
M. le Dr Rouxeau, professeur à l'Ecole de méàecine de
Nantes, a entrepris, il y a plus de neuf a ns, la biographie
de Laennec ; des recherches longues et patientes, une critique
serrée des documents qui sont entre ses mains ou dont il a
provoqué, inlassablement, la mise au jour ont permis à
M, le Dr Rouxeau de publier, au début de l'année 1912, sous
la rubrique cc L'enfance et la jeunesse d'un grand homme »,

volume d'un e œuvre certainem ent C!éfinitive. Depuis cette
époqu e, notre collégue a continu é ses r ech erches et, en
Juillet 1914, il était en mesm e d'achever le monum ent

auquel il avait consacré de long ues heures , lorsqu e les évè­ nements que vous savez ont débuté. Ces évè nements et la
crise qui leur fait su ite n'ont pas peI'mis à M. R oux eau de
réali"er tout ce qu' il ,,'était promis ; le LAENN EC A PRÈS 1806
devait co mprendre deux fo rts volllm es que le s uj et pel'm~t­
bi t, réclamait ; il a dû être co ndensé et, il y a quelques
semain es , M. Roux eau nous a .donn é ce deuxi ème et derniel'
tome que nous attendi ons a vec l'impa ti ence qu'il sait.
Ma lg ré tout ce qu e nous y perdons, nous devons nous
réjouir, cependant, de cette condensati on d'un travail primi­
ti vement plus étendll : elle nous perm et de sa ti sfaire plutôt
notre curiosité et notre désir. .T e s uis d'a ill eurs persua dé que
nous IJ'Y perdJ'Ons ri en: qu e ce soit so us la form e d'un sup­
plément, qu e ce soit sous la form e d'un e publicati on indé­ pe nd ante, M. R oux eau, qui reste le gra nd-prêtre de Laennec,
nous don ne I'a plus ta rd ce dont il a dû nous pI'i ver a uj ou l'd'hui.
Laen nec avant 1806 c'est su rtou t l'en fa n t eH étudiant; a p l'ès
1806 c'est le savant, c'est-à-dire le Laenn ec qui nous inté-

l'esse le plus . Certes , da ns l'histoire d'un es prit, les divisions
so nt touj ours arbitraires ; peut~être dans la vie de Laennec
et da ns la progl'essio n rIe sa form ation intellectu elle, cette
date de 1806 est-ell e' un e des moin s im portantes . Ceci n' pst
pas un e chi ca ne que je ch erch e à M. R ouxeau ; en 1806,
Laennec e~t docteul' 8n médecin e depuis deux ans, il est déjâ.
connu, a u moi ns da ns le mond e savant, et il est assez co nnu

pour s'être qu erellé et brouillé a vec Dupuytren. Cette ann ée
]806 ne ma I'que, pa r co nséqu ent, rien de pa rti culi er pour

Laenn ec : mais cette division répond ait, assurément, dans
l'esp ,'it de M. R oux eau, au projet primitif d'un La enn ec en
trois volumes ; je .pense qu e so n dessein était de nous donner
un Laennec entre 1806 et 18 16, où il nous eût montré le

jeune médecin s'efforçant, à défaut de mi eux, de se créer
un e clieJ.tèle, luttant contre la ({ r es angusta clomi », ch er­
chant, je ne dirai pas sa voie, mais cherchant à vivre ; puis,
un Laennec après 1816, c'est-a-dire un Laennec qui a percé,
le médecin des h ôpi taux, préparant au lit du malade, seul
laboratoire du praticien, nécessaire, et, pour l'époque, suffi­
sant, ur, li vre immortel.
Il y a, en rffet, et dans ceci qui flSt moins un compte rendu
qu'un e causerie vo us m' excuserez, co nfond ant un peu les
deux vol um es, de revenir sur le passé, il y a, dis-je, dans la
vi e de Laenn ec , en deh o rs même de 1819, des dates plus
importantes qu e I~06 . La philosoph ie ne saurait être co nsi­
dérée comm e un e simple branch e du savoir hum ain; elle est

ce sa voir lu i-m ê me et le savant ne peut pas plus se passer
d'un e ph ilosophi e qu e le co rps ne peut se passer d'ali­
ments. Pou r les un :3, ell e est un e base prim o rdiale, pour les
s,utres , elle est un e résultante ; certains se forgent un sys ­ tème, certains ch oisissent dans le passé ou acceptent de leur
passé le système qu i, pour eu x, conti ent les vèl 'ités éter­
nelles. Parmi ceux qui ont a ppris , le médecin est l'h omme
qui peu t le moin s se passer d'idées générales : il n'existe
a ucun médecin qui ne croit pas,à qu elqu e chose et soyez
assurés que crux qui font profession d'indifférence ga rdent,
néanm oin s , pour toujours , aù fond de leur ce rveau, si ce
n' est au fo nd de leU!' cœ Ul', la nostalgie ou la certitude de
croyances asso upies ou·dissimulées. C'est surtout aux épo­ ques où la science balbu tie et cherch e sa voie qu e se fait
sen tir, pl us impérieux qu e ja mais , le besoin d'aspira tions et

de régies. A la fin du XVIII' siècle et au co mm encement du
XIXe toutes les noti ons qu e d'aim a bles sce ptiques ont con­
densé da ns l'En cyc! opédie pamissent à beaucoup insuffi­
santes; les règles, éba uchées pa l' les uns, codifi ées a vec
rig ueur pa l ' les autres, ont conduit a la R évolution , qui était,

dehors du programme. A partir de 1795 une l'evision s'im­
pose à (ous , même aux s uccesseurs de d'Alembert et de
Did erot: les idéologues du Consulat et de rEm pi re sortiront
du salon de 'Mm e H elvétius avec Cabanis, Volney , Destutt
de Tracy. Les médecins, eux-mêmes , n'échappent donc pas
à cc besoi n ; il n' en est pa s un qui ue cherche une issue , qui
n'affi l'lTI e l'avoir t!'ou vée, qui ne prétend e l'impose I'. La ennec,
lui aussi, e n che rch e une ; il la trouve, ou plutôt, il la
retI 'ou ve le 19 Avril 1802 : voila une date irnportallte. Le
lendem::tin de ce jour de P âques 1802 qui vit la l'estàuration,
o ffi cicll e, du cul te ct, pa r s uite d'un enchain ement de
circo nsta nces -que M. R ou xeau ne nou s dit pas , Laenn ec ,
n eu r mois ap rès la signatu re du ConcOI'dat, se laisse entraî ner
cb ez le P. Delpuits . En suite de quoi , un an après, le 27 Mars
1803, suivant l'exe mple de so n ami 8 ayle, Laennec, nous dit
M. Roux eull, se fait affiliér et prend place dall s le cénacle.
Ce passage pa raîtm un peu obscur aux esprits non avertis
et je crois nécessaire de vou s donn e I" à cet égu I 'd, qu elqu es
explications qui ne seront pa s inutiles . [[ s'agit, en effet, ici,
de l'affiliation de Laenn ec a un e ~ocié té qui a joué un tI'ès
g I 'and rôle ap ré 1814, qu'on a co utum e d'appeler la Congré­ gation, appe llation générale prise, oI 'din airement, par cer­
tai ns, dans un sens f'ùch eux ct qu'il importe de précise r pour
l'ex plication de cc qui va s uivI'e. Cette cong régation, ca r il
s'agit bien d'une congl'égation était ce qu' on appelle une
co ng l'égation pi euse, c'est-à-dire, pouvant comprendre
des laïques, pa r opposition a ux congrégations relig ieuses
qui ne comprennent que des clercs. En 1560, le père
jésui te Jea n Léon, profp,;;:;flIlI' au Collège romain, forma
la co ng l'ég l.tlon pl'f)p rement dite, associa ti on de jeun es
gens , à laquelle il donna un règlement. Il s'agissait là, en
somme, d'une sorte de pal l'onage et d'œuv re post-scolaire.
D'au tres associations, filiales de cette Congl'égation, se cons­ tituèrent bientôt; celle::;, très nombreuses, qui existérent en

F~ance ne di sparurent qu'au XVIIIe siécle lors de la dis pe r­
sion de la Société de Jésus. En 1801, très probablement à
l'instigation d'un de ces membl'es de la Curie romain e qlli
vinrent en Fmnce négocier le Co neo rflat, une de ces congré­
gations , affiliée dès le début, à celle, touj ours pl'ospère, du
Collége rom ain, se l'efol'ma sous le no m de congrégation
de la Sainte- Viel'ge P.t sous ladil'ec tion du P. Delpuits. L'hls­
toil'e générale, elle-mêm e, a retenu, parmi les noms des
adhél'ent? de la premièl'e heUl'e, d'abord celui de Laennec.
Vers 1809, cette congrégation fut soupçonnée d'avoir pris
une pad très importante à la divulgation de la bulle d' ex­ communication lancée par Pic VI[ con tI'e Napoléon; à la
suite de certaines menaces de l'Empereu i', la société se
dispersa d'elle-même ; elle ne se reco nstitua qu'en 1814, pl'it
un gmnd développement so us la Restau ration, mais ne
survécut pas à la chùte de Chades X. Est-elle cou pable de
tou s les méfaits dont la charge Montlausier dans so n l'oten­ tissant mémoVe? Est-il exact que, so us Louis XVIII ct,
snrtout, sous Charles X, elle ait dis posé , ft son g ré, de
toutes les places, de toutes les fa veurs , de tou s les h onneu rs?
C'est ce que, seul e, une histoire impartiale, s'il en est une,

pourrait dire. Il faut être bien rigo riste pour reprocher à
la Restauration, qui fùt, non seulement, une restauration
politique, mais encore, une restauration religieuse, d'avoir
réservé toute sa bi enveilla nce à ceux qui la servirent.
Quoiqu'il en soit, le fait d'avoi r appartenu à la ·congl'éga,..
ti on a, incon testablement, nui , fort injustement, même au
delà du tombeau, au succés et à la renommée de Laennec.
C'est a cette affiliation qu e Laenn ec doit d'av oir porté,
presque >,eul, le poids des responsabilités d'une réorgani­
sation, pourtant très urgente, de la Faculté de médecine de
Pal'is . M. Rouxeau nous conte l'a ventUl'e. Dans le but,
évident, de se débal'l'asser de professeurs qui passaient pour
être et qui étaient hostiles aux pouvoirs établis, le Gouver-

nement ferm e la l''aculté en 1822 et décide de la recons titu er
sur d'autres bases . Laennec, médecin de l'hô pital Necker
depui s 1816, professeur et lecteur royal au Collège de France
depuis le 31 Juillet 1822, ap rès avoir refusé d'entrer au
. Conseil royal de l'Instru ctio n publiqu e, ca r, depuis quelques
mois, L es fa veurs co mmençaient d'arriver jusqu'a lui la
faveur était a cette époque, le se ul moyen officiel de par­
venir ,Laennec, dis-j e, accepta de faire padie de la com­ mission de réorga nisation de la Faculté. Celle-ci r enfermait
en son sein cinq pro fesseurs âgés de plus de 75 ans qui,
imités en cela pa r de plus jeune~, ne faisaient plus leurs
CO UI'S ou , même, n' en avaient ja mais fait. En deh ors de la
politique, le Go uv ern ement avait donc plus de raiso ns qu'il
n'en fa ll ait pour procéder à une ép ul'a ti on; m ais, la com ­ missio n eût le tort de ne pas s'en tenir a ces autres raiso ns ,

so n attention porta , surtout, vers ceux dont la distinction
pC l'l!l ettait a l'école de dissimuler des chFwellx blancs sous
une auréole de g loire : Antoine Dubois , Boyer, Desge nettes ,
Vauquelin, Béclard. Il fa ut rendre a Laennec cette justice
qu'il s'employa a les défendl'e, qu'il sauva Boye l', qu'il sauva
Béclal'd, le plus compromis , et qu'il put m érite r les rem er­
ciements d' ull g ra nd sacrifié, Desgen ettes . Mais , eu so mm e,
il y eût peu de rnal : SUI' vingt-cin q prol'esseul's, onze fUI'ent
mis à la retraite et nommés h o noraiJ'es. Malheureusement,
tout en institu ant ce co ncours d'agréga tion qui, s'il n'a pas
été une pa nacée, a permis de justifier toutes les nominations
faites jusqu'a nos jours , comme il s'agissait, avant qu e le
nouveau mode de recrutemen t ait pu produire son plein
effet, de combler les vides, la politique fi t encore so n
oeuv re : il y eût des choix malheureux; mais enco re con­ vient-il d'incl'imin er, plus qu e la politique, la s uffisance des
ins uffisants qui sollicitèrent des emplois dont ils n'étaien t
pas dig nes . Laennec ne s'oublia nt pas sur cette liste , on pût

fallait ce nom pour faire passe r quelques autres. « N' est-ce
)) pas, dit M. Rouxeau, à cette heureuse initiative que la
)) Faculté de médecine de P a ris doit d'avoir évité la honte
» de ne l'avoi r pas a ppelé dan s so n sein ?)) Laennec refusa,
d'aill eUl'S, le décanat que, par surcroît, lui offrait Mg r Frays­
sin ous, grand-maltre de l'Univel'sité. En somme, vue à .

distan ce, cette réo J"'ganisation apparaît comme ayant été
des plus heureuses ; c'est en 1823 que s'o uvre, pour la
Faculté de medecine de Pa ris, un e ère de gloire; loin de
faire g ri ef à Laenn ec d'avoir pris une part importante à cette
mesu re, il convient de lui savoi r gl'é d'avoir appol'té da ns la
commission un espl'it et un sens de la mesure dont les l'ésu l­
tats ont été des plus féco nds . Si la co ngl'ègatio n a vr·aimen t
joué le rôle qu'on lui prête dans cette affaire, il raut l'en
remerciel ' et reconnaîtr p. qu'elle n'a pas perdu son temps.
Dans tous les cas, soyo ns reeo nnaissants a M. Rouxeau
d'avoir ex posè cette affaire avec assez de détails pour qu'un
rep roch e qui pc_ sait su r la renommée, par ai lleu rs si pure,
de Laerin ec, soit enti èrement dissi pé .
. Ce que nous savo ns du cal'actère de Laennec ne nous
perm et pas, en effet, de mettre en doute la dl'oiture de toutes
ses intentions ; si la raiso n de ce rtains de ses gestes a pu
être dénaturée pai' l' envie de certains rivaux ou par l'esprit
de système, sa vie entière le met a l'abri de tout rep roche.
PI'em ier médecin du cardinal Fesch en 1809, acclama nt, en
1814, le reto Ul' des Bourbons, sans avoÏl' autrement servi

l'Empire qu'allprès de ce' Prin ce de l'Eglise, rapidement

démonétisé, il n'h ésite pas, aux Cent-J ours, à reprendre Jn e
foncti on qui pourrait le rendre suspect a la cour de Gand;
il fait ceci par reconnaissance. Lorsque, au mois de Mai
1826, épuisé, mùlade, il se décide a quitter Paris pour Ker­
louarnec, il faut toute l'insistance affectueuse de Mm e la
duchesse de Bert y pour l'empêch er de donn er sa démission
de médecin de cette princesse; au lieu de se contenter,

comme certains de ces prédéce,;:;eur ,;: , de ne plus fuire de
cou!'s, il dem ande un congé l'égulier au Collège de France,
a la Faculté de médecine ct il désigne son suppléan t, Je ne
parle pas de sa bonté, du dévouement qu'il appol'te, s ponta­
némen t, en 18 1 b, a so ign el ' et à coni"ole r les co nscrits bas­ bretons ravagés par le typhu,;, qu'il. so n inten tion et S Ul' ses
instances o n groupe il. la Salpé tr'iè re, J e ne pade pas , no n
pin s , de la co nscience métic uleuse qu'il a ppo rte dans j'exer­
cice dc sa professio n, malgl'é les fati g ucs d'uli c cl ientèle, de
jour' e n jour plus importante i ct, qll elle patience n c fallait-il
pas déploye r pOlir affro nter di g nem cnt, :-;ans, cependf\llt, s e
le>; aliéner, l'o "g neil d'lIli Chatcau bl'i,lnd ct la suffisance
d'ull e Mme de Staël '1
Laennec a fait tout cela ct, cepcllda nt, il li cOlltinu é de
tm vaillcl' CO mrne par le pas,;é, En deh ol's dc so n labcur
comme journaliste médica l, l) Jl deux ail::;, il Iïlet s uc' pied
l'Allsenltaiion médiate, c'es t-o.·dil'c un !lvrc entièrement
nouveall, clans lcquel il a dù, prc:;que ~L la lettre, raire table
rase de tout cc que l'on savait de so n temps sur les maladies
de poitl'ine i Ult livre qui n'a pas vi eilli c t do nt M. Giey et
M, Letull e vous ont dit, cent ans ap rès , en 19 19, qll c c'cst
un livrc immortel.
En Septemb re 1816, o u en Octobrc , Laennec était préoc­ cllpé par lc coeur d'une jeun e fill e i la pcrcllsOiion était
diffi cile à cause de l'embonpoint ct l'ins pectio n a uss i, Faut-il
c roil'e que, vrairn ent, l'auscultation immédiate n'était pas
autorisée pal' les convenances '? J e ne cro is pas: s i Laennec
parle d'auscultation médiate c'es t que l'auscultatio n immé­
diate était cou ram ment pratiquée. Quoi qu'il e n so it, traver­
sant la cour du Louvre, son atten tion est attirée pa r de
jeunes enfants qui s'amusent Il écoute r, au bout d'une
poutre, de légers bruits provoqués, à l'autre extrémité, par
leurs camamcles , Le gén ie opère et le sthétoscope est trouvé.
« Lc voilà a u chevet de sa jeune malade, Il demande un

,"IIII~l' de papier a lettres , Ille roule aussi serré qu'il le peut,
10111 ; . .. il applique une des extrémités du rouleau sur la .. ,
1",iI.l'lll e " A l'autre, il colle son orei lle et il écoute ».
1,'''' lllI ec entend, il entend même plus qu'il n'aurait besoin
,j "' lllI:ndre ; (t dès le lendemain, a Necker, il se mettra a
1 ''''llvre ». Le 15 Août 1819 il publi e tout ce qu'il a observé
III 1.!lIIt ce qu'on peut observer: cent années d'études et de
" ,,· .hurch es n'y changeront rien. Dans tout ceci, d'ailleurs,
1" :d,ltétoscope n' es t qu'un moyen, un moyen dont d'autres
Il '''IIssent probablement pas tiré ce qu'il en a tiré: un traité
Idli, du ment nouveau et co mplet des maladies de poitrine,
1 I'"isons rapidement ce paragraphe: le sthétoscope en
l''' l' ll:r rou lé est un instrument extemporané, l'abriquù au lit
0111 Illalaùe ; a partir de Juilli et 1817, Laennec ~onge a créer
1111 illstrum ent définitif: cet instrument est, touj ours, en
1'"l'i ol' forteme nt serré, e nveloppé cl'une gaine vel'le collée,
0111111. les extrém ités sont aplanies a la lim e. Mais, bientôt,
l'III.; l.l'ument se perfectionne enco re; Laennec se met au
1.11111' d il fabrique ses premie r's modèles en bois; il se serait,
1 '1 la l'igueu r, contenté du pap ier qui lui donnait des résultats
h ll.I ,isfaisants, mais, il vou lait fai re disparaitre le canal
""lIl.ml qui persis tait, malgré tous ses d rol,ts, puis, il augu-
1 '11 11. mieux d'une matière plus homogène. Laennec établit
, 11'IIi s modèles : un rouleau plei n pou r l'auscu lta ti o:J du cœur,
1111 ",ylindre a canal central de diamélt'e égal, pOlir étudier
ln l't'~sonnance de la voix, un cylindre a canal évasé il sa
1 111 ',1', pou r l' étude de la respir'ation ct des l'flIcs , Au moment
II I! 1!lllllier son Traité, il trouve, cependant, ce tte instrum en­
ill,H Il 1 1 encore trop comp li quée et encombrantc (chacun de
'III! c :ylind res avait 33 cm de long ueu r) ; cn co nséqucnce, il se
.j.''''\I!;t à supprim er le cylindre pl ei n et s'arrêta ft. un modèle
'1'11 1'~l.ai t la synthèse des dcux dern iers, c'cst-a-dirc, il.
YII I, ,"l6, évasé ou non a l'u ne de scs ex trémi tès . C'est de ce

un nombre suffisant d'exemplaires pour satisfaire aux
demandes éventuelles des acheteurs de son livre. Laennec
appelait l'instrument le cylindre ou le bâton ; cependant,
pour satisfaire aux désirs de son oncle, le Dr Guillaume
Laennec, de Nantes, il accepta de l'appeler sthétoscope,
mais il ne se ~el'vit que rarement de cc mot. Quant au nom de
pectol'iloq1le, employé couramment par ses contemporains,
certains le lui ont prêté: il n'y a pas à douter qu'il n'cst pas
de lui. En voyant,je dirai presque, sa répugnance à employer
un mot nouveau on ne peut s'empêchc r de croire que sa
modestie voulut lui éviter le l'eproche qu'il avait fait, :ln jour,
à un amateur de néologismes: « on ne doit faire un mot
nouveau que si l'on a unc chose nouvelle à expose l' )l.
N'est-ce pas aussi parce que Ini-même avait la conscience
tl'ÔS nette quc ce qui importait Sl.ll'tnut c'était moins le
moyen qu'il avait trouvé que ce qu'il avait tiré de lui. C'est
pourquoi, tous les sarcasmcs, directs ou indir'ccts, qui ont
accueilli ou poursuivi sa découvcl'le nous choquent tant
aujourd'hui ct nous surprennent: on vit trop le sthétoscope
et pas assez l'avènement de ln. pathologie pulmonaire. En
et'fct, sauf des lettres élogieuses de Hailé, de Husson, nous
voyons, partout, un acclleil froiel. Pour citer une opinion
moyenne, prise dans la foule, savez- vous cc que dit un
Dr Bidault de Villiers, moins d'un an après la publication

du Traité, en Juillet 1820, dans le Journal complémentaire
du Dictionnaire des sciences médicales, au sujet d'une Note
sur la perception ct la propagation du son? « Lorsqu'on
approche l'oreille ou qu'on l'applique immédiatcment à
l'extrémité d'une longue poutre, tandis qu'on frappe légère­ ment celle-ci à l'autre extrèmité avec un corps solide, ne
fut-ce qu'avec la tôte d'une épinglc, on entend très bien le
coup. La théorie de l'auscultation médiate de M. Laennec

repose sur cette base et est fondée sur cette expé rience J;
d'acoustique, L'instrument qu'il a inventé, auquel il a donné

I,~ nom de pectoI'iloque, et dont il sc sert pour la mettre en
lisage n'en est qu'une imitation ou, si l'on veut, une modifi­
I:ation ingénieuse Il. C'e5t tout ce que M. Bidault de Villiers
;1. retenu du livre de Laennec. Peut-être, dim-t-on que
I:'était un élève de Broussais? Je ne vous parlerai pas de
I :ette querelle qui mit aux prises Broussais et Laennec: le
Lemps en a fait justice. On peu t se demander si, Brou'5sais
I:onservant, peut-être, de gros torts, cette animosité n'a pas
':té entretcnue et envenimée, un peu a plaisir et par zèle,
l'al' les élèves de Broussais ct par ceux de Laennec, plus
illtmnsigeants qllC leur maître. « Il est rare, dit M. France,
,!u'un maître app.U'tienlie autant que ses élèves a l'école
'Iu'il a fondée l) ; cette boutade était déjù. vraie en 1819.
I\roussais s'est servi du sthétoseope, qui semble, d'ailleurs,
Ile lui avoir l'ien appI'is, et) dans scs ollvrages, il cite
I.aennec. Je nc mets pas en doute qu'il ne l'ait, quelquefois,
plaisanté ct raillé, mais, il ne faut pas oublier que Broussais
iL joui, pendant longtemps, d'une notoriété supérieure à celle
d,~ Laennec. Andml, qui t'üt le second agl'égé reçu au con­
(·.ours, qui n'était pas un adversaire de Laennec ct, l'un des
l'l'effiiers, propagea sa méthode, écrivait ccci, en ]837,
dix-huit ans après ln. puolication du 'l'mité de l'auscultation
1l1édiate, dans son Cours de pathologie interne: « Que de
progrès immenses n'avons-nous pas [ait depuis vingt ans.
1 :'est pour moi un plaisir ct un devoir de proclamer que, de
tolUS les médecins contemporains, M. Broussais est celui
'Illi a le plus contribué à ces progl'ès. La génération médi­
cale actuelle est, peut-être, lin pe ~l ingrate envel'S lui.
11,oportons-nous à cc qu'était la médecine a l'époque où parut
I II Traité des phlegmasies chroniques, n'est-il pas incontes­
lable que la plupart des fièvres que l'on disait essentielles
\lollvent être rapportées à des lésions locales'? A côté des
illllnenses travaux de cc médecin, a jamais célèbre, viennent
HI~ mnger ceux de Corvisart et de Laennec . »

Il ne faut pas trop reprocher à Broussais d'avoir, volon­
tiers, accepté une suprématie qui lui était aussi généreuse­
ment offerte et de n'avoir pas fait fi de tout le bien que l'on
disait de lui. L'histoire de la que r'elle de Broussais et de
Laennec, qu 'il faut lire, tout au lo ng , da ns le livre de M.
R oux eau n' a pas lieu de nous étonner; c'est la lutte é temelle
et je puis vous dire que l'invidia m edicorum n'est pas LI ne
légende ; mais, je dois vous certifie r qU'6ll e ne va pas au
dela des pointes et des sarca,; mes : Beoussais a appo rté
dans l'exe rcice de sa profession e t auprès de ses malades la
méme conscience ct la mêm e pitié que Laë nn ec.
Le livre de M. R ouxeau n'est pas exclusivement co nsacré
à ces débats . Ma is , l'a ffaire de la Faculté de médecine et le
duel avec Broussais ont joué un tel rôle da ns la vic de notre
co mpatrio te que vous m'excuse rez d'y a voir tant in s is té. A
côté de ces misères, M. n ouxea l.l nO lis montre un Laennec
pro priétaire, cons ta mm ent pl'6()ccupé de l' a m énagement de
!(e rl o l.l a rnec en ruines , p"is de so n embe lli::;semcnt, en proie
à des difficultés cons idé rab les ft. l'occas io n du desséch ement
et de la mi::;e en valeur de la Palud du Cosquer à P ont-l'Ab bé;
enfin , un Laennec sc préparant une retraite où. il ne re vien­
dra que pour mourir.
M. Roux eau n e nous di t point le dernier mot sur l' o l'ig ine
du mal qui terrassa Laennec; il fa it, ce pe ncla nt, justice cie
l'o ri gin e de sa phtisie don t il mourut, pa r piqure li. l'a mphi­
thM tl'e. NI. R ou x eau ne sem b le pas , no n plus, sc p 1'0 -
no nce r' s u l' la questio n de l'hérédité ; c'éta it, ins is te-t- il,
da ns sa pl'e mièl'e enfa nce, lion un enfant ch étif mais un bel "
enfa nt. Quoiq u'il en so it, Laennec no us ap pa l'ait comme ··
éta nt, dès sa jeunesse, de complexi on délicate : il so uffre
plus tard, s uccessivem ent, d'accés d' aths m e (?), de goutte,
de gastro- entéri te rebelle, d'angine de poitrine ; aj outez,
sur cette co nstitutio n pe rsonnelle, des privations occasion­
nées par l'incurable ég oïs me de son père, qui, non content

(l'avoi r dilapidé le patrimoine de ses enfants du premier lit,
met à lui servi r une pension, qu'il lui doit à double tit l'e,
une mauvaise volonté évidente, La situation sera telle, vers
1803, qu'on s'inquiétera en haut lieu, que l'Écolc de médecine
SCl'a c hargée d'une enquête discrètc que la dignité de Laell ­ nec rendra inopérante. Si Laennec eùt, :1 n'en pas douter,
ti cs raisons pcr:so nnelles de devenir poitl'inaire, il s'en faut
que le terrain n'ait 0riginaircmcllt joué chez lui a ueun ['ü\e:
l'oncle d'JWiant meuet [loitrinuir'e cu ém igration, Michaud,
le frère de Laennec, qui, plus avisé et moins dülaissé que
lui, litt pourvu mpidellient d'un emploi acl min istt'atif qui
nssumit sa subsistance, lllüurtjellne do tuberculose. LnClilIOC
6tait donc lar-gerncnt prédisposé; il avait plus de raisons
qu'il n'en {"allait pOlll' payer il la contngioll un large tribut.
Lorsqu'il mourut, le 13 Aoùt 182G, il [(erlouu rll oe, il Ile
semb le pas quc les eOl'ps savant::;, qui, be:lucottp pltts tnrd,
(levaient s'enorgueillir de l'avoir reçu dans leu!" sein, aient
ressenti toute \'(!tcndue de la porlo qu'ils venaiellt de {"airo :
e'était, ap rès tout, des places à p rendre, Il semble, rlestil[(!ü
bizarre, que seul, Chateaubriand, ait [lr(!vu, dès 1819, la
gloir'e qui s 'attacherait plus tar'cl au nom de so n compat ri ote;
au mi lieu cl'unD indifférence qtli n'est pas it la louange des
augures de cc monde, le plus \.)(:1 éloge l[ui ait été {"ait de
I.aennec est sorti de la plUIIIO de l'incorrigible et géllial
orgueilleux: « Now, ne pouvons résister >l, dit-il en [)éeern­
bl'e 1819, (e à l'envie de dir'e un mot d'un ouv rage de !3cience
'1118 nOlls avons sous les yeux: il est intitulé de l'Auscultation
médiate, Au moyen cl'un tub~ app liqué aux parties exté­
rieures clu corps, notre savant compatriote breton, le Dr
I.(tcnnec, es t parvenu à reconnaître, par ln. nature du bruit
dn la respiration, la nature des maladies du cœu r et .cle la
poitrine, Cette belle et grande découverte l'era époqlle dans
l'histoi re de l'art )J.

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DEUXIÈME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1921

PAGES
l Claude de Rohan, évêque de Cornouaille (1479-15'10)
par If. DU HALGOUET. . . . . . . . . . . . . 3
JI Laennec après 1806, d'après un livre récent, par le
Dr LAGRIFFE . . . . . . . . . . . . . . .. 9
III Deuxième campagne de fouilles dans la région de la
Torche et les îles Glénans, par le commandant
BÉNARD, l'abbé FAVRET, GEORGES A. BOISSELIER, '
Th. M ONOD [22 planches]. . . . . . . . . '. 22
IV Un prélat amateur des jardins, François de Coetlo-
gon, évêque de Cornouaille (1 668-1706) par H . .

W AQUET l2 planches] . . . . . . . . . . '. 49
V Les forêts royales en Cornouaille à la fin de l'ancien
régime, par JEAN SA VINA. . . . . . . . . " 8 :~
VI L'Elégie de Monsieur de Névet et le baron Huet,
par 1. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . 112
VII Introduction à l'étude des vitraux de Bretagne, par
PAU L ConoZE et FERNAND GUEY [2 planches] . . . 122

VIII Les anciens manoirs des environs de Quïmper par
L. LE GUENNEC ............... 144