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Bulletin SAF 1921


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Claude de Rohan, évêque de Cornouaille (1479-1540)

H. du Halgouet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1921 tome 48 - Pages 3 à 8

. EVÊQUE DE C ORNO UAILLE
(1479-

Claude de Rohan, évêque de Cornouaille, a laissé le SOll-

venir d'u n prélat (c né avec un heureu x naturel et des incli-
nations portées au bien Il , mais d'un caractère cc si simple qü'il
était facile de le tromper » ( 1). Son nom es t res té attaché à la
plus belle partie du palais épiscopal, appelée encore logis de
Rohan et commencée en r508 (2).
Ce qu'on sait peut-être moins, c'est que ce successeur de
saint Corentin ne prit personnellement aucune part à la
direction des travaux qui lui sont altribtl és et qu e la simplicité
qui le caractérise n'est pas, tant le signe d'un e vertu aposto­ lique, qu e J'expression d'une incapacité absolu e.
Pour s'expliquer comment Claude de Rohan put, dans ces
dispositions, être élevé à la dignité épiscopale, il faut se
rappeler qu'il était fil s de Jean II de Rohan, et petit-fils, par

Marie de Bretagne (3), du duc François 1

Ajoutons, avec

Dom Taillandier, que « la naissance et la faveur donnaient
alors tout le mérite requis par les conciles ».
Des documents inédits permettent aujourd'hui de jeter

quelques traits de lumière sur cette pa uvre figure de prélat.
(i ) D om Taillandier, Histoire de Bretagne, t. II, p. XXVIlI .
(2) H. Waquet, Yieilles P ierres Bretonnes, p. IJ,8.
(3) Marie de Bretagne était arrière petit~ fille du roi de Fran ce
Charles VI. Il est bon de se le rappeler: Claude de H ohan a pu subir
le poids de celte hérédité lointaine.

Pour l'honneur du chapitre et du diocèse, Claude de
Rohan n'occupa que peu de temps le siège de Quimper .

Pourvu en 1501, al ors qu'il n'avait que vingt-deux an s,
sacré n euf a ns plu s tard, dans la chapell e du ch â teau de Blain,
il fi t so o en trée dans la ville épiscop ale le 6 Juin 15 18.
Depuis dix-sept. an s, le diocèse était administré par l'abbé de
Dao ulas, Jean du Lm'gez. Le 18 Juillet) 533, J ean de la Motte.
archidiacre de Nantes, était n ommé coadjuteur de Claude de
Rohan: il fut remplacé, le 1 2 août 1538 , par Louis du Cam­
bout à qui succéda, le 8 Aoùt 1539, Guillaume Eder (I ).
La mort sans enfants de Jacqu es de Rohan, son frère, mit
Cla ude en posse"ssion des biens p a trimoniaux . Un acte du
3 1 octobre 1527 , règle le p a rtage de l' importante succession
qui s'ouvrait entre le prélat et ses deux sœurs, Anne, dame
de Fon tenay, et Marie, dame de Guém éné (2) . Presque aussitô t,
ces dames, crai gnant qu'on n'abu sât de leur frère, lui firent
donner un conseil par le roi 12 2 Décembre; (3) .
D'après l'ordonnance de François 1 cr , relative à la conduite
des affaires spirituelles et temporelles de Mgr de Cornouaille,
il es t trop aisé de comprendre que Claude était privé de sens
normal. Le roi prenail pour prétexte la proximité de son
lignage pour intervenir près du nou vea u vicomte de Roh an.
Deux offi ciers de robe long ue et deux offi ciers d e robe courte
étaient ch argés de dresser un état des revenus et dépenses,
tant de l'évêché de Cornouaille que de la vicomté de Rohan,
revi ser an nuellement les comptes des receveurs et pourvoir à
l'adm inistration générale des bien s. Le spirituel de la Cor­
nouaille devait être exercé par deu x vicaires généraux, et
« pour ce que iceluy évêque est h omme de dévotion, non
entendant a ux faits de ce m onde - J'es t-il dit et que par

(t) Fr. Albert Le Grand, Les Vies des Saints, etc., édit. Thomas,
Abgrall et Peyron, p. :\AB de la 2

partie (notes de M . Peyron).
(2) Bibl. nat., ms. Ir. 22342.
(3) Dom M arice, Prenves, III. 973.

cy-devant au cuns ont peü mal administrer ses affaires et
revenu s, les dessus dits (membres du con seil ) feront con­
. tr'aindre par justice et aultres voyes raisonnables tous ceux
qui auront malversé et le~ comptables à rendre leurs comptes
etc. »
. Vraisem blablement, dès cette époque, Claude a quitté
QUiLD per où sa présence aurai t pu être un e occasion de sca n­ dale ; des témoins l'ont connu alors au ch âteau de Guémené.
Marie de Hoh an devenue p our sa p art h éritière aussi de la
ch atellenie de Corlay semble avoir vE lU é une affection
p articulière à son frère ; pO Uf n e pas l'abandonner à des
serviteurs don t il serait devenu le j ouet , elle le prit sous sa

garde et n e l'abandonna g uére depui s ce temps jusqu'à ses
dernier s j ou rs.

Jacqu es de Rohan avait été déplorable administrateur,
Claude aurai t précipité sa maison à la ruin e.
Il fallut des an-nées pour rétablir l'ordre dan s les finan ces ;
fermiers et receveurs servaient trop bien leurs intérêts et,
con sidérant sans doute la vicomté comme san s maître, refu­
saient d'op tempérer au x inj on ction s des réformateurs. Dix an s
après sa p remière ordonn ance, Fran çois 1 " nommait une

importante commission de magistrats p our obtenir justice
des préva rications et s'employer là où la Chambre des
Co rn ptes seig neuriale et le conseil avaient échoué ( [ 3 Octobre
i 536) (1 ).
Toutes' les p ersonnes qui, depuis ving t et un ans et plus,
avaien t été ch argées de la recette et du m aniement des deniers
de la Vicomté devaient comparaître devant l'assembl ée d es
m agistra ts. Certains agents seigneuriaux avaient agi comme
si les comptes n er elevaient que d'eux-mêmes et, s'ils refu saient
encore tout contrôle, des sancti on s deven aient nécessaires .

À-nne de Rohan, veuve de Pien e de Rohan-Gié, baron de

Fontenay, s'éteignit à Blain l'année 1529. René. l'aîné de ses
fil s, fut mis par le roi sous la tutelle de la reine de Navarre;
il fit bientôt définitivement partie de la petite cour méridionale
en épousan t Isabeau d'Albret (1 534) (1) .

A l'occasion de son mariage, René de Rohan porte le titre
de vicomte de Rohan . Il tient donc en main s le fi ef prin cipal
et jouit des préroga tiv.es qüi en dépendent. Dans plusieurs
actes postérieu rs, il agit comme chef de nom et d'arm es et les

lettres royales de J 53 6 dont nous venons de parler, qui
établissent 11n contrôle admini stratif, sont exclu sivement en

sa faveur.
Il n'est pas douteux qu e, sous certaines concJ..ition s, le roi
et J'entourage de Claude de Rohan aient amené le prélat 'à
renoncer à ses droits sur fa Vi comté. Déjà précédemment,
« en consideration des detlf)s qui grevaient sa ma ison et pour
subvenir aux besoin s de ses n eveux )J , il avait fait abandon
de ses terres du Léon (7 Juin 1532) (2) .
Celte dernière renonciation. dont nous connaissons la date,

eslla conséquence imm édiate d'une enqu ête faite par autorité
de la Chancellerie de Bretagne et sur la prière de la reine de
Navarre, tut rice de René de Rohan. Le hasard des recherch es,
nous a fait rencontrer au Trésor des Chartes des rois de Fran ce

ce curieux document . Il fait tomber définitivement le voile
q11i cachait plu s ou moins jusqu'ici le vrai caractère de Claude .

L'acte est intitulé : « Déposition sur la foli e de Claude de
Rohan , évêque de Cornouailles}) (lIMai 1532) (3) .
(i ) Dom M orice, Preuv es, III, 987 et 10i7.
(2) Cité par A. de Barlhélemy d~ns sa Notice S UT le cMteau de C O Tlay,
le. procureur de cedit pays el mpssire Robert Ferrand, cbev~liel', seigneur
de Vaubergiel' et n~naud Bouchelel, grand archidiacre d'Angiers, ayant
la I,;hal'ge de la lulelle onéraire sous l~ reine de Navarre, tutrice honoraire.
(3) Euquêle par autorité de chancellerie et conseil de ce pays, p. O UI'

du haut el puissant seigneur René de Rohan. comte de Porh oët, laile sur
le contenu en un mandement desd its chancellerie et conseil, oûnné a '
Hennes, le 27 Avril 1532, signé par le roi. A laqup lle enquête a été

Un page du feu vicomte J ean de Rohan, Jacques de Ses·
maisons, demeurant à la Saulzinière près de Nantes, rapporte
qu'il est resté douze ans à la cour de Rohan et qu'il a toUj O ll rs
connu le fils de son seign eur « en carence de sens », tel qu'il
est encore. Dans la demeure seigneuriale, les pages riaient et
s'amusaient du j eune Claude, le poussant de côté et d'autre
et le tirant par sa robe. Lui, riait sans propos et devisait
stupidement. Sans cesse des serviteurs se tenaient à ses côtés
{( pour le garder qu'il ne fist quelque follye '), et, lorsque
quelque personnage de marque venait chez le vicomte, on
fai sait disparaître Claude dans sa chambre pour qu'on ne le
vît point. Même, il prenait rarement ses repas à la table de
famille {( de crainte qu'il ne fi st quelqu e salle ou folle conte­ nance. ,)
On remarquera que nous nous sommes tenu le plu s près
possible du te_ xte, en respectant la simplicité naturelle de
certains termes.
D'autres personnages, officiers de la suite ou parents,
viennent certifier ce qu'ils ont vu ; ce sont: J ean Lebaud,
receveur et fermier de Quimper-Corentin qui assista à l'entrée
du prélat dans sa ville épiscopale Jea n Crosse!ay, écuyer,
seiglleur de Lavirllaye. résidant à Blain, Jean de Cambout,
écuyer, seigneur de Chefdebaud, François de Keroniant,

écuyer, seigneur de Coëtvoult, capitaine de Morlaix, - Olivier
Morel, maître d'hôtel du sire de Chateaubriant, qui a servi

J ean de Rohan et Claude lui-même, au château deG uéméné,-
haut et puissant Jean de Laval, sire de Chateaubriant, Derval,
Candé, Malestroit, lieutenarit général et gouverneur pour le
roi en Bretagne, haut et pui ssa nt René, sire de Montjean,
chevalier, seigneur de Combour et Renac, haut et puissant

procédé par moi Christophe Breul, sénéchal de Nantes, cons. ord o eso .
chancellerie" et conseil et Arthur L e Fourbeur, secrétaire desd. chancel­
lerie et conseil. »
Arch. nat., trésor des charles, J. 246, n° i25. .

Jean d'Accigné, sire d'Accigné, Fontenay, baron de Coëtmen
et vicomte de Tonquédec. Tous ces témoins déposent dans le
sens de Jacques de Sesmaisons, et les trois derniers, qui sont
de la parenté de Claude, font ressortir que celui-ci est gou­
verné par ses serviteurs : « il baille signature à tous leurs

mandements et ne s'en rapporte qu'à ses gens de la direction
de ses affaires. Il
Comme conclusion, l'enquête porte ces simples mots dictés
par le Conseil du roi: « Il faut le faire régir dans l'intérêt de
son neveu et du nom de Rohan. JI C'est bien là ce qu'en
attendait la reine de Navarre.
Ainsi dépossédé de la vicomté de Rohan, le pauvre Claude
qu'on a appelé irrévér:mcieusement, mais non sans raison,
« l'évêque demi-idiot de Cornouaille» a terminé son existence
pour le monde. Depuis plusieurs années nous l'avons
vu sa sœur, Madame de Fontenay, l'a relégué à Guéméné,
et il ne quitte plus cette résidence. C'est de là qu'il descendit
dans la tombe, le 8 juillet 1540. Les obsèques furent célébrées
à Notre Dame de la Fosse et son cœur fut transporté à Corlay.
Peut-être Claude de Rohan, eut-il de la dévotion, comme
veut le faire entendre François 1

, mais on se demande
aujourd'hui par quelle aberration la maison de Rohan
prétendit élever à l'épiscopa.t cet enfant déshérité de la
Providence!
H.' DU HALGOUET.

-174 -

DEUXIÈME PARTIE
Table des Mémoires publiés en 1921

PAGES
l Claude de Rohan, évêque de Cornouaille (1479-15'10)
par If. DU HALGOUET. . . . . . . . . . . . . 3
JI Laennec après 1806, d'après un livre récent, par le
Dr LAGRIFFE . . . . . . . . . . . . . . .. 9
III Deuxième campagne de fouilles dans la région de la
Torche et les îles Glénans, par le commandant
BÉNARD, l'abbé FAVRET, GEORGES A. BOISSELIER, '
Th. M ONOD [22 planches]. . . . . . . . . '. 22
IV Un prélat amateur des jardins, François de Coetlo-
gon, évêque de Cornouaille (1 668-1706) par H . .

W AQUET l2 planches] . . . . . . . . . . '. 49
V Les forêts royales en Cornouaille à la fin de l'ancien
régime, par JEAN SA VINA. . . . . . . . . " 8 :~
VI L'Elégie de Monsieur de Névet et le baron Huet,
par 1. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . 112
VII Introduction à l'étude des vitraux de Bretagne, par
PAU L ConoZE et FERNAND GUEY [2 planches] . . . 122

VIII Les anciens manoirs des environs de Quïmper par
L. LE GUENNEC ............... 144