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Bulletin SAF 1920


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Locronan (études archéologiques)

H. Waquet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1920 tome 47 - Pages 104 à 126

. (ÉTUDES ARCHÉOLOGIQUES)

LA LÉGENDE ET L'HISTOIRE

Il n'existe sur le passé le plus lointain de Locronan que de

traditions hagiographiques et populaires, matériaux trop fra
gilespourl'historien, très précieux pour le poète, nullemen
négligeables pour l'archéologue (1) .

On ' raconte que, dans les premières années du VIe siècle
tandis que le puissant roi Grallon régnait en Cornouaillt
armoricaine, un très saint homme nommé Ronan aborda su.
la côte du Léon, venant d'Irlande (2). Il aspirait à pratique
sans réserves les plus difficiles vertus des anachorètes; bien
tôt il se heurta à une difficulté imprévue : la réputation dl
ses exceptionnels mérites, trop vite répandue dans le voi·
sinage, attirait vers sa retraite une foule importune: Malade:
et mendiants l'assiégeaient. Résolu à chercher dans une corn
pIète solitude la véritable paix et l'oubli du monde, Ronan
poussé par UI~e inspiration céleste. se mit en route vers le sud

Il marcha longtemps. Finalement il s'établit dans une épaissI

forêt, au cœur du pays de Névet, non loin de Quimper. S'étan'

(i) Voir Bulletin archéologique de l'Association bretonne (congrès dl
t84,.9) et les deux pages de . . le chanoine Abgrall sur Locronan dan:
son Livre d'or des églises de Bretagne, 1.897.
(2) On dit indifféremment Ronan ou Renan. Aux xv

et XVIe siècles
et avant aussi sans doute, on désignait Locrouan sous le nom de Locro-

nan-Coat-Nevet ou de Saint-René-du-Bois pour le distinguer du Saint-
Renan léonard, appelé Locronan-ar-Fancq (Saint-Renan-du':"Marais) .

, ' 105 -"

bâti une modeste demeure, il y vécut dans une austère péni-
tence. Un jour, accusé de sorcellerie, il fut jeté en prison et,
en présence du roi Grallon~ se justifia, ressuscitant un je~ne
enfant, dont une méchante femme appelée Kében~ sa mère,
lui imputait la mort. A partir de ce moment tout le 'monde
le respecta; personne n'osa plus troubler l'obstination sou­
vent' fa'rouche qu'il montrait à fuir le commerce des autres

hommes. Il 'mourut plein d'années et voilé de mystère.

. Ses obsèques ne furent pas moins étranges que ne l'avait

été sa vie. Deux bœufs blancs traînaient une charrette de
paysan sur laquelle gisait son cadavre. Trois évêques menaient
le deuil, mais ne conduisaient pas les bœufs que, seule, mais
impérieuse et ferme, guidait une main invisible. Après mi
assez long parcours, troublé par l'intervention bruyante et

violente de la détestable Kében', les bêtes inspirées, revenant

à leur poini de départ, c'est-à-dire à l'ermitage de Rouan,
s'arrêtèrent brusquement. L'ordre était formel; on enterra le
saint en ce lieu, sur le penchant occidental de la montagne où

il prenait plaisir à se promener durant sa vie (1). ,

Voilà ce que rapporte la légende; voici ce que l'histoire

enseigne.

En 1031, à la suite d'une victoire remportée aux environs

(1) Fr. Albert Le Grand, La vie des saints de la Bretagne-Armorique,
édit. Thomas, Abgrall et Peyron, p.205-208. D'après la Vie inédite
publiée par Dom Plaine dans le Bulletin de la Société archéol. du Finis­
tére (t. XVI, 1889, p. 273-3f8), Ronan poursuivi par la rancune d~

Kében, abandonna la Cornouaille pour la Domnonée et mourut à Hillion ,
près de Saint-Brieuc. d'où son corps fut ensuite rapporté à Locronan. '
M. H. Latouche n'a pas eu de peine à montrer l'impossibilité de se servir
de ces textes pour l'his!oire (Mélanges d!histoire de Cornouaille, i9H):
Mais il n'y a aucune raison sérieuse cie nier, comme il le fait, l'existence
de Ronan. On trouvera repl'Oduite dans l'édition citée d'Albert Le Grand
(p. 2H-2'16) nne chanson pJpulaire recueillie par La villemarqué dans
son Barzaz-Breiz. D'autre part Ernest Renan, dans ses Souvenirs d'en­
fance et de jeunesse a écrit sur son saint patron quelq~es lignes ,plèines
d'une poétique , et caressante ironie.

-106 -

de. ia' for~t de Névet sur 'son suzerain le duc Alain V, le comte
de Cornouaille Alain Caignart fonda près de là un 'prieuré qui
fut rattaché à l'abbaye alors toute récente 'de Sainte-Croix de

Quimperlé. Dès -celte époque une certaine vénération pieuse
s'attachait · à ce coin de terre, car, avant le combat, Alain

Oaignart avait invoqué saint Ronan à son secours en même
temps que la sainte Croix. En tout cas, Locronan était au
XIIIe siècle un lieu de pélerinage bien ·connu et fréquenté .;
Pierre Mauclerc y vint, et, plus tard, saint Yves (J). 'Peu à p~u ,
il se forma ' autour du 'prieuré une bourgade que les princes
gratifièrent de nombreuses marques de leur faveur, notam­
ment de . privilèges financiers. Ainsi, lors de la naissance de
son fils, qui devait être Jean V, Jean IV accorda aux habitants

çl~ la paroisse l'exemption de fouages, exemption confirmée

par Jean V lui-même, lorsqu'il vint, au mois de juin 1408,

porter à « Monsieur saint Renan » son .tribut d' ( honneur
et révérence » (2). En 1643, le corps politique ' de la " ville

ct~, Saint-René...:du-Bbis » d~man .dait encore au jeune roi
Louis XIV la . confirmation de ses « privilèges, · franchises,
)ibertés, immunités et exemptions concédés par les souverains
ducs de Bretaigne et roys de France leurs successeurs» (3).
Les routiers qui. sous couvert de religion, désolèrent le
pays bas-breton à l'époque de la Ligue, n'épargnèrent pas
ces gens heureux. Le chanoine Moreau écrit du fameux
bandit La Maignanne que, de Châteaulin à Douarnenez, . il
{( .fit un très .. bon butin, ,car, par la longue paix qu'avoit eue
cette contrée, les habitants étoient riches en meubles. Il y
(i) Dom Plaine, Le tombeau monumental et le pélerinage de saint
Ronan, p. 12 (extrait de la Revue de l'Art chrétien) Ile série, t. XI,
U(79). Le culte de saint Ronan s'était répandu hors de Bretagne, car
son nom se lit dans des litanies du XIe siècle contenues dans un manus­
crit de Saint-Martial de Limoges (Revue ' celtique) t. nr, p. M9),

(2) itlàndements de Jean V, publiés par R. Blanchard; nOS 1034 et 1723.
(3) Archives du Finistère, 1,33 G 2, n° 3. , ;

avoit pe~ de faIJ)- illes où il n'y eût forcçe hap~:ps d'arg~ntr
cela vellt dire de~ tasses, qui étoie~t grapdes et. larges, dont
plusieurs étoient dorées 1) (1). En compensation, après l'orage,
une importante sour-ce de richesse, connue du reste au mOIns

dès le xv

siècle, devint plus a~ondante qu'auparavant:
Locronan', en effet, fut au XVIIe siècl~ un . des pripcipaux
centres de l'industrie de la toile à voiles en Br.etagn~ (2) .

C'est en ce temps que furent bâtis l~ pluPllrt des logis à qoble
figure qui . donnent presque de la solennité à la place grise
et silencieuse. Leur appareil de pierres de taille, leurs corni­
ches sculptées, leurs lucarnes décorées sobrement à la mode
classique, rappellent dans leur mélancolique déchéance les

Jours bruyants' d'une prospérité désormais bien morte.

LA GRANDE ÉGLISE

. Historiq Les derniers métiers se sont tus; la petite

ville demeure' toutefois ce qu'elle était tout ·d'abord : . un but

de pélerinage; La Révolution a fait disparél-ître le prieuré,

mais l'église subsiste, avec son annexe du. Pénity. Il n'y ~ut,
ce semble, aucun édifice important à c~t endroit avant l~

XIe siècle; tout au plus s'y trouvait-il, à l'époque Je·lii bataille,
une petite maison, aménagée en oratoire, que la tradition
présentait comme l'ermitage de saint Ronan. Quoi qu'il en
soit, il ne s'est rien conservé d'antérieur au xv

siède. L'église

romane elle-même, qui dut être bâtie aussitôt après la création

du prieuré, n'a laissé aucun vestige. D'ailleurs ell~ devait
(1) Mémoires, pd. de f857, p. 165 et l66 .

(2) D. Berpard, Notes sur les fabriques de toiles ... dans le Bulletin
de la Société archéol du Finistère, t. ~LV, 19i8, p. H6-i~O. Cf.)e
testament du corsaire et marchand morlaisien Nicolas Coëlanlem qui,
à la fin du xv

siècle, faisait avec des anglais le commerce de ces toiles
(même Bulletin, t. XIII, :1886, p. 273). -

" 108 -'

se trouver un peu plus au ~ud, là où s'élève maintenant le

Pénity. L'église actuelle a été construite, à une place jus-

qu'alors libre, aux frais des ducs Jean V et François II et avec
le concours des' seigneurs de Névet dont la baronnie englobait

Locronan (1). Aucun document ne nous révèle 'la date précise

à laquelle furent commencés les travaux. Mais nous savons
que, le 26 juillet 1439, un certain Jean Le Moine, bourgeois
de Quimper, léguait par testament une rente annuelle de dix

sous de monnaie courante à la fabrique de l'église' paroissiale

de Locronan (2). D'autre part, en 1444. ou peu auparavant,
on enterra dans la même église un certain Hervé, baron de
Névet, ce qui donne à supposer que l'édifice. avait déjà pris
forme (3). Enfin, il nous 'est parvenu un mandement du duC.
François II ordonnant, le 4 décembre 1475, à Henri du Juch,

capitaine de Quimper-Corentin, et au sénéchal de Cornouaille

de faire réserver pour trois ans le produit du devoir de billot,

, qui était un impôt sur les boissons, à l'achèvement de l'église,

« grandement et somptueusement édifiée». D'après la requête
présentée par les habitants il ne restait plus guère à faire que

la grande vitre (4). En raison de l'unité ' de style qui carac-

térise le monument, on est autorisé à croire qu'il fut construit
en urie seule campagne, à l'exception d':un petit nombre de

. détails exécutés seulement à la suite du mandement de

(i) Histoire de la maison de Névet, racontée par Jean, barou de
Névet en i64,4 et publi~e par J Trévédy dans le Bulletin de la Société
archéol. du Finistère, t. XV, i8~8, p. 338-361.
(2) Archives du Finistère, 2 G. 94, nO O. Le · même Jean Le Moine
léguait aussi deux livres de cire à « l'église neuve de Notre-Dame de
Locronan ,»' Il s'agit ici de la chapelle de Kelou-Mad qui fut presque
entièremeut refaite au siècle suivant.

(3) J. Trévédy. Ce qui reste des anciens nécrologes du couvent de
Saint-François de Quimper, nans le Bulletin de la Société archéol. du , .
. , Finistère, t. XV, i888, p. 1.1 i, nO 97. Le corps fut em,uite rpclamé par
les F'ranciscains de Quimper et inhumé chez eux.
(4) Archives du Finistère, H. t8i, fonds !:le Sainte-Croix de Quim-
perlé; prieuré de Locronan, copie du 15 mai 1476. '

PLAN

- - ----. #..11. ___ -- ""'.~ 1

DE LEGLISE DE

LOCRONAN

XV'S

XVPS

_. 110-

François II, le manque de resso~rces ayant entraîné une brève
suspension des travaux. Nous pouvons donc dire qu!il appar­
tient au deuxième tiers du xv

&iècle .

, Desert
Ce n'est par ses dimensions (1) qu'une

église rurale, mais qui a été bâtie avec sojn et avec un très

réel sou~i d'élégance. C'est ainsi que les profils de la nef y
sont plus fins qu'à la cathédrale, de Quimper dont la nef est
de la même époque. Pourtant nous verron~ que l'influe~ce
de Quimpër se fait sentir à Locronan. Sans doute, quelques
ouvriers eurent l'occasion de travailler aux deux églises, tel

ce 'PieFre Le Goaraguer qui, après avoir dil'igé la construction

du croisillon nord de la cathédrale de 1477 à 1479, apparait
à Locronan en 1485 (2). A cette date la plus grande partie de

l'églis~ se trouvait achevée, mais il est très possible que Le
, Goaraguer y eût travaillé antérieurement.
, Le plan présente un simple rectangle, orienté de l'est à
l'oriest, et comprenant six t~avée .s avec bas-côtés, plus la

travée de la tour. En réalité, comme ~e sol présentait une
déclivité assez forte, les ' architectes, afin de racheter un

peu cette disposiiion désavantageuse, ont divisé leur église

en deux parties égales, dans le sens de la longueur i celle de
l'est étànt légèrement surélevée par rapport à l'autre. Cepen-

dant, la ligne joignant les clefs des arçades reste, dans chaque
partie, d'une. horizontalité parfaite, et la rpasse des gl'OS

piliers cylindriques qui ' marquent la limite iniermédjaire

dissimule habilement la différence de niveau pour un visiteur

placé ad bas de la' nef. ' . '

(1) Longueur, à l'intérieur : ~6 mètres; largeur : i 6 mètres. .

(~) R.-F. Le Men, Jfonographie de la cathédrate de Quimper, p. 288.
D'après les inductions de Le Men, Pierre Le Goaraguer devait être déjà

âgé à cette époque. Un Guillaume Le Goa,raguer que Le n regarde
comme son fils travailla avec et après lUi à Quimper. Le nom de cette
famille signifie: faiseur d'arcê!

.. , - 11-1 -

L'intérieur 'frappe par son ,unité de style et se· s formes
harmonieusement.prop'ottio· Ilnées. Sùivant une habitude qui
se retrouve dans presque toutes les églises rurales. bretonnes,
aucune fenêtre haute n'éclaire la nef. La lumière ne vient

guère que d'un seul côté: du sud, où s'ouvrent la chapelle

annexe du Pénity et, plus · loin, trois fenêtres de dimensions

normalt·s. Les ouvertures percées dans les nHHS du bas-côt~
nord sont. au contraire, petites et peunombreûses.

La travl-e correspondant à la Lour est, avec les travées des
bas-côtés qui la bordent, ]a partie la plus ancienne de tOlite
l'église. De fortes piles dont le plan dessine un losallge sont
l'el ées entre elles par une ar:cade en tiers:"poillt formant l'en-

trée de la nef proprement dile. L'arcade se compose de trois
rangs de claveaux. ceux de l'extérieur étant simplement
biseautés et celui du centre ofllé de lrois tores correspondant

SUl' les montants à trois colonnelles qui ont de petits chapi-
teaux l'enflés. Slll'chacun des bas-côtés. à gauche et à droite,

s'ou ne une a l'cade moin s ha ute. mais d' ornemén t ltion a na-

logue. sauf sur les montanfs de l'ouest, où les trois rangs de
claveaux reposent sur des, chapiteaux constituant une sorte, de
frise que sllrmonte un tailloir continu. Celle dis- position sem­
ble imitée de celle qu'on observe sur certaines piles du chœur
daus la cat::édrale de Quimper La t1'3v'êe de la LoU[' était

, jadis couverte d'tille croisée d'ogives dont les colonnettes sub-
sistant aujourd'hui dans les angles receva'ient les nf'rvu .es.
Elle a été crevée par la chute de la flèche en (~68.
Les piles de la nef sont Loutes semblablrs- entre elles, à
l'exception des grosses colonnes rondes qui s'élèvent à la
limite des deux parties. Chacune est un' massif cylindrique
cantonné de quatre colonnéttes à filet, l'ecevant en pénétra­
tion directe, celles de l~in térieur lesmoulurations centrales
des archiv~ltes, celles des côtés les doubleaux et ogives de la

rief et des :bas-côtés; Il n'apparaît plus de 'chapiteaux' Dulie

part. Les basés ~ont trës sim,ples. et peu 'élevéès, sans ~rien · de

'112

caractéristique. Chaque arcade se compose de

trois rangs

claveaux. découpés en rainures prismatiques qui vont se perd

NEF DE

LEGLISE

DE LOCRONAN

d~ns leJût des pile~. Une seule différence entre les travées de
la s~conde partie et celles deJa

premrere

c'est

que dans la.

-' 113 -

seconde, les bases des colonnettes ont un aspect plus fran-

chement prismatique, ce qui confi.rme l'hypothèse que l'église
a été construite dans le sens de l'ouest' à l'est. Une autre

preuve en est que la face orientale des grandes piles de

délimitation présente une amorce abandonnée de moulures

qui devaient être le point de départ des archivoltes qu'on se

décida ensuite à monter un peu plus haut.

La voûte d'ogives est du type flamboyant ordinaire, avec
une lierne longitudinale commune et des liernes transversales

à chaque travée. Le prpfil des nervures offre des arêtps vives .

Les GomparLimenls sont de blocage. Ainsi qu'à la .cathédrale
de Quimper et dans beaucoup d~ég.lises bretonnes, toules le~

clefs, même celle des . doubleaux, portent un écu, La clef .

, çentrale de la première travée de la deuxième partie e'st percé~

d'un large trou de cloche en relation avec le petit clocher qui

surmonte le toit en ce point. . '

. La vaste fenêtre qui aj ?ure le .chevet plat comprend six

. divisions, surmontées de soumets et mouchettes de pur style

~amboyant. On peut noter que le, fo~.meret n'épouse pas la

forme de cette fenêtre. mais décri~ .un arc en plein-cintre. .

Les bas côtés J)e donnent lieu à aUCl}ne observation impor-
tante. Un banc de pierr:e , y règne, d'un ,bout à l'autre le long

" des murs. Les croisées .d'ogives, tQutespareilles .à ce]]es de la
, nef, mais dépourvues . d.e liernes, p,résel1tent elles aussi des

~ écus martelés. Le bas",cô~~ sud prend,jql~r par, cinq fenêtres

correspondant ~ux cinq dern.~~res tra,:ée, s;. Sous la troisième
se trouve un enfeu dont l'arcade est ~n plein-c~ntre; il ne

renferme que de simples piçrres tompal~s du XVIIe siècle sans

: sculptures, mais ces pierres portent ~es: poms de deux. person-

. nages de la famille ' de Névet (1) et c:es~ peut-être là que fut .

(1) Henri-Anne de Névet, colonel-d-u ban et- de farrière-bande l'évêché
de Cornouaille, mort en '1622, et René de ·Névet, également colonel du
même ban, mort,au mois d'avril 1676. . ' .'" ' . .

, enterré en 1444 le 'baron Hervé de Névet dont il a été fait

mention plus haut; conjecture intéressante pour l'histoire de

la construction de rédifice, Sous le montant oriental de la cin-
quième fenêtre est creusé dans la mUraille un petit lavabo

décoré d'une arcade tréflée. Le bas-côté nord a, dans sa pre-

mière partie, des formerets dont le tracé en plein -cintre irré-

gulier ne marque 'pàs réellement la lirlliLe du compartiment

d'ogives, lequel s'appuie un peu plus haut SUI' le mur. 11 n'en
est pas ainsi dans la seconde partie. mais on y remarque une

amorce d'ogives et de formerets annonçant une construction

moins élev(~e que celle qui a été faiLe: on se l'appelle qlle nous

avons relevé dans lri nef uno amorce analogue. Tout ce uas-côté

n'est éclairé que pal' qllatre fenêtres. La dellxi me travée est

percée d'une porte communiquant avec un polit. porche latéral.
A la qua L l' ième est ado~sée la sflcrislie, voù 1 ée d' ogi \ es et. où se

voient quelques marques de tâcherolls.
, La Lravée qui, dans le prolungement du bas-côl(;, flanque la

tour au nord. commùniquc avec le bas-côté propremeut dit pal' '

une arcade en plein-Cintre composéede tr:ois rallgs de cl,Heaux

biseautés, retombant sur un gl'Oupe de 'çhapiteaux que cou-

'ronne un tai1loi,r continu. La décoration se compose de sim-

pies feuilles d'eau. Nous avons déjàl'cmal'qué celte disposition

dans la travée voisine, sous la tOUl'même. On la retrouveéga-

lement au sud. Cet ensemble' est' la plus ancienne partie de

l'église, sans que rien cependallt y soit antérieur au xv' siècle.
L'extérieur a beaucoup 'perdu de s, a beauté par la cl}ute de
, sa flèche (1), Le cloch~r n'a vait pas été réparé depuis longtemps

'lot'sque, le 3 janvier ' 1808, ·la foudre y ouvrit une immense

'brêche; il fallut aba;ttre les restes pantelants. P0U1' comble

de malheur, la déntoHtion fut accomplie sans aucune des

précautions nécessaires. Les toitùres de l'église et de la

, (i) Bigot, Jlémoiressur , les clocher:s au Finistère, dans le ' Bulletin de
la Société archéol. du Fi:nistère,' t. X~f; 1894':" p. 375: ' ,

- 115 _.

chapelle voisine furent défoncées, beaucoup d'ornements de

détail brisés. C'est ainsi que les balustrades qui orrient les
'rampants du gâble sur le porche sont Ulodernes . .

Ce porche, placé en avant du clocher, se distingue par sa

grâce bizarre et un peu massive. Son, arcade e~ plein-cintre
surbaissé s'ouvre béant~, presque aussi largeqtle la tour. L'in-

térieur est voûté d'ogives dont la clef porte un éc.u aux arme's

de Bretagne. Sur les parois, à gauche et à droite, au-dessus du

banc de pierre traditionnel, font saillie des niches vides, déco-

rées de motifs tréflés. On pénètre dans l'église par deux portes

jumelles en plein-cintre, enc. adrées dans un grand arc égale-

ment en plein-cintre. Dans le tympan, un dais recouvre une

assez mauvaise statue de saint Ronan. Les voussures des arcs

renferment des rangs de feuillage; les colonnettes des mon-
tants ont de petits chap.iteaux renflés. ,

La tour (1) dépasse en élévation le porche de deux étages

à peu près égaux,. dont le premier est or,né, sur ,la façade,
d'une fenêtre en tiers-point, le second, sur les qu~tre faces,

de d/jux longu~s baies amorties en plein-cintre" courçmnées
par une accolade et recoupées par des meneaux trans~7ersau ·x.

Ces meneaux ont une d~coration tréflée, c.omme· , ceux .qu'on

voU sur les tours de Quimper. Dans les angles i~ y a, comme

à Qui. mper aussi, de 'faui;ses arcades en mitre reliées aux
accolades des baies. D'ailleurs le clocher de Locronan n'est ·

qu'une réplique paysanne de ceux de la cathédrale cornouail-

laise,'Les colonnettes qui; à Quimper, garnissent les montants,

sont remplacés ici par des gorges simplement moulurées.

Ce type de clocher, inspiré de l'architecture normande, mais
,traité avec un caractère très personnel, a fait yraiment

fortune, car il fut conservé jusqu'en plein XVIe siècle, légère-
ment déformé ou simplifié, pour l'église de Ploaré près de

Locronan et pour Saint-Trémeur de Carhaix. Toutefois, à

(1) Elle est haute de 30

50, large de 9 rn 30.

-ll6 _ .

Locro~~~ i~ ~'y a pas de galerie couv.erte comme. sur beaucoup
qe iours de cette catégor~e. Une balustrade quadrilobée bO.rd~

la plate-forme, que domine un petit tam~our polygonal,
co~ffé d'un toit d'ardoises. Sur les côtés de ~a tour, on aperçoit
qes .amorçes d'arcs-boutants; mais il n'était pas utile d'en
préyoir p~)Ur la nef puisqu'elle est assez contrebutée par ses
bas-côtés dont les toits continuent le sien presque suivant
une même inclinaison.

I~a diyision de l'église en deux parties dans ~e sens de la
lo~gu~ur se trouve marquée très nettement à l'extérieur. Aux
deux grosses piles que nous avons signalées en décrivant la

nef correspond un pignon que domine un petit clocher conçu
tout li fait comme la plupart des clochers ruraux de la région:
une tourelle carrée avec, sur chaque face, une baie si larg~
qu'au lieu de murs il ne reste plus que les supports d'angle;
au-dessus, une mincenèche 9ctogoI1ale, ornée d~ crochets
sur les arêtes et reposant sur la base carrée par le moyen de

quatre gâbles ajourées correspondant à chacune des faces de

la base. Il y a là un .parti architectonique, très particulier au
pays de Quimper, et qui. plus cm moins développé, sl.lrchargé
de dét~ils, y est demeuré longtemps en usage. Les gâbles
furent q'aJ>ord divisés, comme ici, par un seul meneau
vertical. Puis, à partir de 1515. ou 1520, on fit des rn~ne8UX

en Y. Le ·type se maintint dans ses grandes lignes jusque

vers 1640; on n'en finirait pas à vouloir énumérer toutes les
chapelles où il se présen te. Si le clocher central de Locronan
remonte~ çomme rien n'empêche de le croire, au dernier
quart du xv

siècle, il serait le premier en date et peut-être
aurait-il servi de modèle à tous les autres.

En commençant par le nord le tour de l'église" Ç>n remar-

q~lera d'aJ::>ord le joli porche latéral aménag~ entre les contre-

for~s de 111 deuxième travée. La porte en tiers · point festonnée

est flanquée de deux petites fenêtres rectangulaires jumelles .

Plus loin, le bâtiment de la sacristie n'est pas moins pitto-

..-117

resque avec &a lucarne luxueusement parée de choux ·.frisés et
d'un remplage aux découpures fantaisistes. Quant aux
fenêtre, s du bas-côté, elles ne témoignent. elles, d'aucune
recherche. La dernière, à l'est, la plus grande, a un remplage
de tradition normande .

Au-dessus des contreforts à' glacis s'élancent des pinacles
à crochets. Les murs des bas-côtés et ceu.x de la nef sont
couronnés par une balustrade formée d'ornements en cœur

dont un pinacle interrompt la file à chaque travée. Les ram-
pants du pignon central portent, dans la partie correspondant
aux bas-côtés, des marches d'escalier, au second étage une
suite de choux frisés .; une tourelle en poivrière, abritant un
escalier, se voit, sur la face nord, au niveau de la balustrade
supérieure. Passant au chevet et à la face sud, il 'ne reste à
considérer que les fenêtres qui, sur la face sud~ sont plus
larges dans la partie de l'est que dans celle de l'ouest. Nous
avons vu, d'ailleurs, que c'est justement la partie de l'est qui
fut construite la dernière.
Après avoir aGhevé ainsi l'analyse des détails on peut
alors embrasser le tout d'un coup d~œil. L'enclos de l'ancien
cimetière y invite et une telle église ne révélerait pas autre­
ment toute sa beauté. Sous la tenace parure du lichen qui,
s'accrochant par plaques aux murailles, ajoute à l'œuvre des
hommes le prestige naturel de sa couleur vivànte; la robuste
masse de pierre semble incorporée au sol, produit nécessaire

et comme efflorescence fantastique du sol dur dont elle est
sortie.

biIier.· Le mobilier de l'église principale ne comprend
aucune œuvre d'art d'intérêt exceptionnel." Cependant on y
voit quelques intéressantes statues des XVIe et XVIIe siècles, un
vitrail du Xv

, une chaire à prêcher du XVIII", Parmi les nom­
breuses statues de bois, on s'arrêtera surtout devant celles de
saint Ronan et de saint Corentin placées des deux côtés du

-11, 6 - '

Locr~~~~ H ~'f a pas de galerie couverte comme, sur beaucoup
d~ ~ours de çette catégor~e. Une balustrade quadrilobée bO.rd~
la plate-forme, que domine un petit tambour polygonal

coiffé d'un toi~ d'ardoises. Sur les côtés de ~a tour, on aperçoit
4es ,amorçes d'arcs-boutants; mais il n'était pas utile d'en
prévoir pour la nef puisqu'elle est assez contrebutée par ses
bas-côtés dont les toits continuent le sien presque suivant
une même inclinaison.

I~a division de l'église en deux parties dans le sens de la
lo~gueur se trouve marquée très nettement à l'extérieur. Aux
deux grosses piles que nous avons signalées en décrivant la
nef corresp'~:md un pignon que domine un petit clocher conçu
tout li fait comme la plupart des clochers ruraux d~ la région:
une tourelle carrée avec, sur chaque face, une baie si larg~
qu'au lieu de murs il ne reste plus que !es supports d'a~gle ;
au-dessus, une mince 'flèche 9ctogol1ale, ornée d~ crochets
sur les arêtes et reposant sur la base carrée par le moyen de

quatre gâbles ajourées cOfrespondant à chacune des faces de

la base. Il y a là un parti architectonique, très particulier au
pays de Quimper, et qui, plus ou moins développé, surchargé
de dét?ils, y est demeuré longtemps en usage. Les gâples
furent d'apord divisés, comme ici, par un seul meneau
vertiçal. Pu~s, à partir de 1515 ou 15. 20, on fit des I11~ne3UX

en Y. Le type se maintint dans ses grandes lignes jusque
vers 1640; on n'en finirait pas à vouloir énuIIl:érer toutes les
chapelles où il se présente. Si le clocher central de LO'Cronan
remonte, çomme rien n'empêche de le croire, au dernier

quart du xv

siècle, il serait le premier en date et peut-être

aurait-il servi de modèle à tous les autres.

En cOf\1mençant par le nord le tour de l'église" on remar-

quera d'abord le joli porche latéral aménag~ entre les contre-

forts de l~ deuxième trav~e. La porte en tiers -poin,t festonnée

est . flanquée de deux petites fenêtres rectangulaires jumelles.
Plus loin, le bâtiment de la sacristie n'est pas moins pitto-

.-' 117 -

resque avec s- a lucar- ne luxueusement pa. rée de choux ·.frisés et

d'un remplage aux découpures fantaisistes. Quant aux

fenêtre, s du bas-côté, elles ne témoignent. elles, d'aucune
recherche. La dernière, à l'est, la plus grande, a un remplage
de tradition normande .

Au-dessus des contreforts à' glacis s'élancent des pinacles
à crochets. Les murs des bas-côtés et ceqx de la nef sont
couronnés par une balustrade formée d'ornements en cœur
dont un pinacle interrompt la file à chaque travée. Les ram­
pants du pignon central portent, dans la partie correspondant
aux bas-côtés, des marches d'escalier, au second étage une
suite de choux frisés .; une tourelle en poivrière, abritant un
. escalier, s. e voit, sur.la face nord, au niveau de la balustrade
supér· ieure. Passant au chevet et à la face sud,. il ne reste à
considérer que les fenêtres qui, sur la face sud, sont plus
larges dans la partie de l'est que dans celle de l'ouest. Nous
avons vu, d'ailleurs, que c'est justement la partie de l'est qui
fut construite la dernière.
Après avoir achevé ainsi l'analyse des détails on peut
alors embrasser le tout d'un coup d~œil. L'enclos de l'ancien
cimetière y invite eL une telle église ne révélerait pas autre­
ment toute sa beauté. Sous la tenace parure du lichen qui,
s'accrochant par plaques aux murailles, ajoute à l'œuvre des
hommes le prestige naturel de sa couleu,r vivante'; la robuste
masse de pierre semble incorporée au sol, produit nécessaire
et comme effiorescence fantastique du sol du'r dont elle est
sortie.

lier.· Le mobilier de l'église principale ne comprend
aucune œuvre d'art d'intérêt exceptionnel.' Cependant on y
voit quelques intéressantes statues des XVIe et XVIIe siècles, un

vitrail du xv

, une chaire à prêcher du XVIII", Parmi les nom-
breuses statues de bois, on s'arrêtera surtout devant celles 'de
saint Ronan et de saint Corentin placées des deux côtés du

.;;;.. 118 , ..

maitre ' abtel: celle de sai rit Roch, signé- e par un certain R. Guil~
limin et datée de 1509, et, dans le bas-côté de gauche, une Pietà.

Cette dernière statue, contemporaine. semble-t-il. de.la pré-
-céd'erite, est un exemplaire achevé de l'art rural breton. La

vél'Ïté oblige à dire qu'elle témoigne de plus d'ardeur originale
et sincère dans l'émotion religieuse que de science du modelé .
~ . Au chevet, à gauche, l'autel du Rosaire a un· retàble du
XVll

siècle,à colonnes torses de bois sur lesquelles s'entre_
. lacent des pampres de vigne. Au centre, la grande fenêtre est

occupée par un vitrail de la fin du xv· siècle, malheureusement

très endommagé, présentant sur trois rangées superposées
di'x-sept scènes de la Passion, à comilHincer par le second
compartiment à gauche (à droite pour le visiteur) de la rangée
inférieure. Le premier compartiment contient un chevalier
portant l'armure. complète de l'époque et arborant sa bannière.
C'est un seigneur de la maison de Névet, la plus puissante du
voisinage, qui, pour 'avoir contribué à l'érection de l'église, y
possédait les prééminences après les ducs. Ses armes sont
figurées dans les soufflets du grand vitrail, en alliance avec
celles· de diverses autres familles bretonnes.
· La chaire à prêcher est un ouvrage. de bois sculpté et peint,

datant de 1707 ,dont lesmédaillonsallx couleurs 'trop rafraîChies

et criardes racontent avec beaucoup de fidélité les plus impor-
tants' épisodes de la vie de saint Ronan (1) .

· (1) Voici l'explication de la séria: 1.° Un ange conduit _ saint Ronan
dans la solitude; 2° saint Ronan s'entretient avec un paysan prèi de
son ermitage; colère de Kében qui les surprènd ; 3° saint Ronan .
délivre une bt'ebis qu'un loup empol'tait ; Kében lui tend le poing;
4,0, guérison d'un boiteux et d'uno femme paralytique ; 5° saint Ronan .
fait reculer deux chiens sauvages qu'on avait lancés sur lui. Ce panneau
montre deux paysans vêtus de' la veste bleue encore en usage qui a fait
surnommer les paysans des environs de Quimper les " glazic" et de
l'antique " bragou Qraz" ; 6° saint Ronan est conduit il Quimper; -'
7° il ressuscite la fille de Kében ; 8° mort de saint Ronan; ' 9° Son
convoi funèbre; iO

saint Ronan bénit un seigneur et une dame age-
nouillés. ',' . .

119 -' . . . .....

Le trésor possède encore, malgré les déprédation~ révolu-

tionnaires, trois belles pièces: un petit ostensoir du temps de

Louis XIII. un reliquaire de saint Eutrope, en forme de coffret,

c;Ju XVIe siècle, un calice de 0 m 25 de hauteur, don de Margue-
rite de Foix, femme du dernier duc, François II. Il ·ne faut

pas négliger non plus une cloche très singulière, haute d'en­
viron 0 m 20 et constituée par deux feuilles de laiton. On la.

vénère comme la cloche· du saint patron de l'endroit et on la

porte dans les processions suivant les prescriptions , d'un

antique rituel. Or, les plus anciennes cloches connues ' sont
irlandaises, portatives, du moins pour la plupart, précisément ·

comme celle-ci, et faites, comme elle, de deux pièces de tôle

ployées et fixées par des rivets. Qui peut dire si la vénération
populai,re n'aurait pas raison (i) ~ " , ,. ,.

CHAPELLE DU PÉNITY

All .~ud de l'église et orientée de même façon s'élève ia':cha-·
pelle '.du Pénity, abritant le tômbeau de saint Ronàù. Le plan
ev est très simple: un rectangle de trois ttavêe' s rd(mt la deü­
xièine et là troisième communiquent aveè le bas-côté de l'église:
princlpale, la prèmiere faisant en avant, sur la place, une saillie ' .

à peu près égale à celle du porche voisin .

','Bistoriq. Cette chapelle, qui succéda à, utt,e petite
église romane du XI" siècle, occupe, selon toute vraisemblance,

remplacement qui passait pour avoir été celuide l'ern:titage

du saint. On en attribue généralement la construction 'à. Renée
de France, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne. De ·fait,

aucun argum~nt solide n'autorise cette at.tribution que pIn-

(1) H.-B.Wallers} Church bells of England} compte rendu ;par

berl dans le J9urnal des Savants} 1913, p. 376. ' .

120 -

sieurs excellentes raisons rendent impossible. D'abord, Renée
mariée à dix-hùit ans, en 1528, à Hercule d'Este, marquis de
Ferrare, peu curieuse d'art et de littérature, devait fort peu
s'intéresser à ce sanctuaire perdu dans les brumes armori_
caines et qu'elle n'avait jamais visité. Bien plus, elle se trou­
vait en coquetterie avec le parti huguenot : on sait qu'elle
reçut Marot et qu'elle protégea Calvin (1). Evidemment, le
culte de saint Ronan ne pouvait lui faire l'effet que d'une
superstition tout à fait méprisable. D'autre part, il existe aux
Archives du Finistère un document qu'il ne serait pas trop
téméraire de qualifier de décisif (2). C'est le procès-verbal

d'une enquête que le sénéchal et le procureur royal de Châ-
teaulin firent le 15 mai 1618 sur les droits et revenus du

prieuré. Le prêtre -chargé du' service de l'église en qualité de
vicaire perpétuel pour le prieur déclara .. ainsi que le marguil­
lier, après , avoir signalé la dévotion de la reine Anne pour
Locronan, que le Pénity avait été bâti sur l'ordre de " la dite

dame rennée Anne de Bretagne" qui, pour l'entretien d'une
fondation perpétuelle en cette chapelle, avait constitué une
rente de cinq cents livres sur les devoirs du sel au pays de

, Guérande. Le mot" rennée " a trompé certains lecteurs, trop
attentifs à une fantaisie graphiqüe. En réalité il n'est question

dans les phrases précédentes que de la reine Anne. Renée, sa
fille, n'est même nommée nulle part dans tout le texte du
procès-verbal (3). Au surplus, comment la marquise d'Este
eût-elle pu constituer une rente sur les devoirs du pays de

, (1) Voir SÙl' elle Emm. Rodocanachi, Renée de Franc-e, duchesse de
Fe'rrate, Paris, i896, in-8°. Elle revint sur le tard au bercail, mais à
une époque où le Péuity de Locronan était achevé.
(2) Série et fonds indiqués sur;ra. '
(3) Les titulaires de' la chapellenie de " Monsieur saint René" four­
nissant aveu à la Chambre d, es comptes en 1..548 et 1574 pour Jt,'s marais
salants qu'ils tiennent en ~esqlJer et Saint-Molf ne parlent q_ ue d"" Anne
de bonne mémoire" , (Archives de la ~oire-IntérieU1'e, 13 74~) .

121 - '

Guérande ~ Ce n'est pas à dire toutefois que le Pénity ne
conserve en rien son souvenir. Il commémore peut-être sa
naissance. Le " benoît et glorieux confesseur" Monsieur saint
Roilan ou René était traditionnellement invoqué par les ducs
et duchesses désireux de postérité. Nous avons le droit de
supposer qu'Anne de Bretagne, lors de la venue au monde de
sa fille, voulut témoigner sa reconnaissance au' saint dont,
aussi bien, elle lui donnait le nom. La naissance de Renée

étant survenue en 1510 et la mort d'Anne en 1514, la cons-

truction du Pénity devrait donc être placée dans l'intervalle (1).
Description. Examinons maintenant l'édifice même;
tout y justifie cette dat.e.
L'intérieür est voûté d'ogives avec liernes; en outre, des
écus aujouhi'hui martelés décorent les clefs des croisées et
des doubleaux. Le style est, dans l'ensemble, assez semblable
à celui de l'église principale, avec, dans les remplages des

fenêtres, une çertaine mollesse de formes qui annonce l'art de
la Renaissance. La seule particularité qu'il faille signaler est
la forme angulaire du formeret de l'ouest qui fait songer à

l'architecture anglaise. Le portail en tiers-point, sans tympan,

e'st encadré par des colonnettes, des moulures piriformes et
par un rang de feuilles frisées: le gâble, rehaussé de crochets,
s'appuie sur deux lions. Il fàut observer que les colonnettes,

qui portent toutes un petit chapiteau, n'ont pa~ toutes de filet.
Or après 1515 on ne trouve plus guère en Cornouaille que des
portails à ' mouluration prismatique et continue. La petite

fenêtre qui se trouve au-dessus dt" la porte a tin remplage

normand à deu'x divisions, ce qui devient de plus en plus rare'

à mesure qu'on avance dans le XVIe siècle, Quimt au clocher

posé sur le pignon, il est, à très peu de chose près, l'exacte

(1) Tenons poOr assuré qu'Anne connaissait Locronan. Elie avait du
s'y a~rêter durant le voyage triomphal qu'elle fit d'ans sa chère Brelasne
en t505 pour se consoler de ses déboires diplomatiques.

-122 -

réplique de celui qu'on voit au pignon central de la grande

église. Nulle part,ni à l'intérieur nià l'extérieur, n'apparaît
la moindre trace de la Renaissance, même pas mie colonne à .
torsades comme celles du portail occidental de Saint-Herbot,

daté de 1516. . .

obilier. Ce qui fait le principal intérêt de cette chapelle,
c'est le mobilie'r qn'elle renferme. Il Il'y~ pas à s'attarder sur
les fragments trop mutilés de vitraux qui subsistent dans la
fenêtre du chevet. L'attention est accaparée tout de suite par
)a sculpture. 'A 'l'angle nord-est, adossée au pilier, une statue
qe bois représente le Christ. attendant le supplice. Ce motif
iconographique, étudié par M. Mâle, a été très en faveur auprès

~es sculpteurs sur bois de la campagne bretonne. L'exemplaire

de Locronan est un. des plus beaux du pays. A côté, dans la

chapelle même, une Mise au tombeau de pierre se distingne,

en dépit de la gaucherie des formes, par une réelle beauté

dans l'expression pathétique des visages. Un vieillard, aux

pieds du Christ, tient une couronne; un autre, à la tête, étale
un ~uaire pour y recevoir le précieux corps du Supplicié.

Celui:ci n'est pas .couché, mais assis, le 'haut du torse légère-
rpent incliné en arrière, la tête retombant 'sur' les épaules ~vec

in air d'indicible douleur. Au centre, la Vierge se penche vers
fui,. entotlrée de saint Jean et de la Madeleine. Il est impossi­
ble d'assign'er nne date précise à cette Mise au tombeau qui

paraît avoir été exécutée lors de la construction de la cha.,..

pelle. Les deux pe~its bas-reliefs mal rapportés ' au soubas-

sement racontent deüx scènes postérieures à la ;Résurrection:

èelle des pélerins d'Emmaüs et celle du No li, me tangere, ou

rencontre du Christ . etde sainte Madeleine.

· La grande s~atue de pierre figurant saint Michel et placée
entre les deux arcades paraît être aussi du début du XVIe siècle .

Elle montre l'archange nu-tête, vêtu d'un long manteau jeté

sur son armure; de la main droite, il tient son épée ,dont la

-' 123 -

pointe s'engage dans le co~ps d'un dragon; à la main gauche

pend une balance dont les plateaux contiennent de petits per-

sonnages. Du point de vue de l'art, l'œuvre est quelconque,
mais elle rappelle une antique dévotion subsistant en Basse-
Bretagne. Saint Michel est balanceur d'âmes" balancer an
ankou ": Durant les veillées mortuaires, les paysans l'invo-,

quent : ils lui demandent que dans ses mains la balance pen-

che du côté droit en faveur de la pauvre âme du trépassé (1).
Cependant, dès l'entrée dans la chapelle, le tombeau de
saint. Ronan s'est imposé aux yeux (2 \. Placé au céntre d, e '
l'édifice, il en est II lui seul toute la raison d'être. Le but

auquel aspire l'âme ardente ét passiorinée des pieux pélerins

n'est-ce pas en effet de venir s'agenoui1Ier près de ce bloc, de
pierre et, après en avoir fait trois fois le .tour" de poser leurs

lèvres sur la face rigide du saint ~ Six anges, !TI, oinsgrands de

moitié que le gisant, portent sur leurs ailes massives une dalle
funéraire où Ronan, revêtu de ses orriements: repose coucJ1é. '

Deux autres petits anges soutiennent le coussin placé sous.1a

tête. La tête elle-même est coiffée de la mitre, souvenir des

'fonctions épiscopales qu'avant de passer en Bretagne-Armo-

rique Ronan exerçait sur la terre d'lr~ande. De la main gau-

che, il tient une crosse; la main dr~ite esquis'se le signe de 'la

bénédiction. L'extrémité inférieure de la crosse pénêtre dans
la gueule d'un lion allongé et qui tient dans ses griffes un " écu.
Onze autres écus se trouvent répartis en divers points du tom-

beau, dont six sur les bras des anges. L'aspect'de l'ensemble
est rude et massif; le sculpteur n'a pas su animer sa matière,
ce granit de Kersanton qui pourtant se prêtait mieux.: qu'au-

cu ne autre pierre bretonne aux fantaisies du ciseau. Le visage

:' (t) Chanoine Peyron" Recherches sur le culte de Saint-Jlichelau
diocèse de Quimper et de Léon, Rennes. 1.900. in-8°, 30 p.
(2) Il est vide. Des restes humains considérés comme reliques du
saint sont conservés ' a Locronan même, d'autres à la cathédrale de
Quimper. . , ' : ' , .

124 -'

3plati de saint Ronan, le parallélisme maladroit et monotone
des plis, la raideur du modelé donnent au tombeau un carac­
tère archaïque qui, au premier abord, étonne l'observateur,
le déroute. Toutefois, il n'y a pas de doute possible. Nous

sommes là en présence d'une œuvre du début du XVI~ siècle.
Un double courant d'idées s'y reconnaît. Le saint a les yeux
ouverts, conformément à la noble tradition de la pensée
médiévale: il n'est mort qu'en appa~ence; soustrait aux agi-

tations de ce monde qui passe, s'il ne contemple plus les
choses vaines de la terre, ses yeux se sorit ouverts à une clarté

nouvelle et plus pure : il participe déjà à la vie éternelle .

D'autre part, la présence des anges placés en manière de
cariatides sous la dall~ témoigne d'un esprit jusqu'alors
incorinu dans la région, d'une influence italienne. Tout nous
porte donc à considérer ce tombeau comme contemporain
de la chapélle. La reine Anne, qui entretenait d'e~ relations

suivIes ayec les artistes d'Italie, exprima sans doute le désir de

voir les humbles artisans cornouaillais s'inspirer de leurs prin­
cipes. La chapelle du Pénity de Locronan posséderait donc
l'œuvre où se serait pour la première fois manifestée en Basse­
Bretagne la sculpture de la Renaissance ( 1) .

. LA CHAPELLE DE BONNE-NOUVELLE

Au nord de la grande place s'ouvre une ruelle aux pavés

bosselés qoi, descendant le flanc du, coteau, longe l'emplace-
mén't, aujourd'hui marqué seulement par quelques vestiges

(1.) Ce tombpau a été étudié avec force détails el comparaisons de toute
espèce plil' M. Conrad Esch"r (Le tombeau de Sainf-Ronan à Locronan
dans le Bnlletin de la Société archéol. du Finistère, t. XXXIX, i912,
pp. 123-1511, traduction rie l'allemand par M. l'abbé Philippon). Le baron
dé Nevet qui en 1.644 écrivit l'histoire de sa famille attribue hien lui
aussi le tombeau à la munificelice reconnaissante de " la dite duchesse

et reine" (Ibidem, t. XV, i8BB, p. 351) .

- 1'25 -

de maçonnerie, d'un hôpital du Xv

siècle, dit dy' Saint-
Eutrope (1). On accède par ce chemin à la chapelle de Bonne-
Nouvelle (Kélou-Mad), dont le petit dôme émerge du feuillage
au premier plan d'un paysage profond que ferment dans les

lointains les lignes onduleuses et douces de la baie de Douar-
nenez. Comme la plupart des innombrables sanctuaires enfouis
dans les massifs hocagers des petites vallées bretonnes. c'èst

une construction rectangulaire, du XVIe siècle', antérieure de
très peu d'années sans doute à 1560. Une fontaine datée de
16g8 l'avoisine au sud-ouest; à l'est se dresse une modeste
croix-calvaire. Un clocheton du XVIIe siècle qu'amortit un
dôme domine, au cen tre du toit, la masse grise et moussue.
L'ornementation en est du style classique. Ailleurs s'étalent,
très som'mairement' traités, des motifs de la dernière période
flamboyante. Les fenêtres rares et petites ont des remplages
à soumets. Lïntérieur, couvert d'une charpente apparente,
est d'une nudité mélancolique et les reflets du soleil, en se
jouant sur les salpêtres qui rongent les murs, y entretiennent
une mystérieuse lumière. On y voit des fragments de vitraux
et une Mise au tombeau qui reproduit avec une maladresse
touchante celle du Pénity. '

Ainsi il subsiste dans celte toute petite ville déchue de,

Locronan quelques monuments, nullement grandioses certes,
mais éminemment bretons. Quel qu'en , soit l'intérêt perma-

nent, il semble néanmoins que, pour en bien goûter la beauté
originale, il faudrait voÏl' Locronan dans son animation des

(1.) L'apôtre de la Saintonge est, on le sait, honoré comme le protec­
teur spécial des hôpitaux. L'bôpital de Quimperlé se trouve encore sous
son patronage Il y a mêmd aux environs de Morlaix, dans la paroisse
de Plougonven (canton de Plouigneau) une chapelle, remontant à H2~,
et placée sous son vocable. Son culte a été beaucoup dévoloppé en
Basse-Bretaglle par Ufle darne de Rosampoul, qui était fille du seIgneur
des Landes en Saintonge. C'est elle qui, avec son mari, fit édifier la
chapelle de Plougonven.

-126 -

jOl1rs de fête, lors de cette fameuse cérémonie de la grande

Troménie (Tro-Minihy, tour de l'asile), dont la célébration

séculaire explique la présence en ce lieu d'une église rurale

exceptionnellement belle, "en forme de cathédrale", écrivait-

on au XVll

. siècle. Alors, de tous les cantons de Cornouaille
accourt une Joule aux costumes bariolés qui, à eux seuls,

suffiraient à piquer et à retenir l'attention. 'En Bretagne les

choses ne se transforment que lentement. Ces solennités reli-
gieuses, ces costumes reportent la pensée à des âges qui, pour
le reste de la France, sont abolis. depuis. longtemps. Contem-

pler les monuments vénérables d'alltrefois dans un cadre qui a

gardé lui au~siun peu de son caractère d'autrefois, n'est-ce pas

là une des plus vives séductions que réserve aux pélerins de
l'histoire et de l'art la " Terre du Passé " ~ .

- DU FINfSTERE

de YlUe
B.P .. 531
29107 QUIMPER

- 210

DEUXIÈME PARTIE

Table des mémoires publiés en 1920.

PAGElS

1 La ville d'Is par H. LE CARGUET. . . . . . . 3
II Quimper (études archéologiques) par [H. VVAQUET]

-(planches) . . . . . . . . . . . . . . .. 26
HI Locronan (études archéologiques) par [H. W AQUET]
, (planches) . . . . . . . . . . . . . . .. 10 l
IV Essai d'histoire économique d'une paroisse rurale,
Plogastel-Saint-Germain a'u XVIIIo siécley par

J. SAVINA

127
V Les Monuments historiques du Finistère, par [H.
WAQUET]. . . .. .. ' . . . . . .. 160
VI Plaidoyer pour la "chapelle des bergers " par C.
V ALLAUX. . . . . . . . .

VII Discours de fin d'année de M. le PRÉSIDENT.

187
200

Quimper, Imp. M .... CHAVET - BARGAIN, Rue Asto!' et Quai du Steïl'