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Bulletin SAF 1919


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Excursion à Quimperlé

Chanoine Abgrall

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1919 tome 46 - Pages 133 à 149

Les membres de notre Société qui avaient pris part a

notre excursion du 10 Mai 1914, (Quilinen, Saint-Vennec,

Locronan), ou à celles des années de guerre: Pont-l'Abbé,

Kercaradec, Stang-Rohan, Pratanrous), en avaient gardé si

, bon souvenir, qu'ils en réclamaient une autre plus im por-

tante au cours de la belle saison inaugurant la Paix. Une
expédition fut donc concertée pOUl' notre pittoresque ville de

Quimperlé; c'était un but vraiment archéologique, d'autant
plus qu'on y annexait une visite à la vieille abbaye cister-

cienne de Saiilt-Maurice de Carnoët .

Le jeudi '31 Juillet, par une riante matinée, nous débar­
quions à la gare de Quimperlé, ayant- passé, un instant

auparavant, près du manoir de Beau bois où 'naquit celui qui
devint le bénédictin Dom Moriee, si célèbre par ses travaux
historiques et particuliérement par ses "Preuves". ' Un
groupe d'une cinquantaine d'excursionnistes se forme autour

de M. le Président et sans perdre de tem ps on se met en
route par la petite rue de l'Hôpital.

Tout au bord du rui~seau qui descend de 8eaubois,
Melle Comte, Directrice du Dispensaire antituberculeux, nous

invite à entrer dans son coquet établissement, et nous pou-

vons admirer la belle ordonnance de ses salles, l'heureuse
disposition du matériel, et constnter que le service médical
y est parfaitement assuré par les dévoués docteurs de la
ville. ' . . .
Quelques pas plus loin, c'est la chapelle de l'hôpital dont

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la porte gothique offre à notre curiosité l'inscription non
facilement déchiffrable à tous : En. Lan. Mil. Vcccts .

XX V III. la. rédification. 1528, c'est bien en effet la
date qui correspond au caractère architectural de l'édifice,
et ce sont aussi les mêmes notes architectoniques . que nous .
constatons dans les piliers et les arcades de l'intérieur.
. Au bout de la rue, on aborde la place Saint-Michel qni doit
sa dénomination à une ancienne église dédiée à l'Archange,
laquelle datait du XIIIe siècle, mais qui tombait en ruine en
1765. Elle a transmis s'on vocable à l'église Notre-Dame de
f Assomption que nous allons visiter tout à l'heure et que
l'on désigne indifféremment sous la double appellation
d'église Notre-Dame et d'église Saint-Michel.
Jetons un coup d'œil sur l'ensemble de ce monument, sur­
tout sur la grande tour imposante qui la domine et qui plJ1ne
majestueuse sur toute la cité; c'est une sorte de donjon
carré percé d'une baie unique sur chacune de ses faces,
mais ornée à sa partie supérieure d'une triple galerie décou­
pée et dentelée formant comme une riche colerette délicate­
ment brodée, avec, à ses angles, quatre clochetons pyrami­
daux semblant attendre, pour lui servir d'escorte, une flèche

aérienne qui est toujours restée inexécutée.
La nef, sobre' et simple dans. son ordonnance, offre dans
ses moulures, dans ses contreforts, dans ses fenêtres élan­
cées, les caractères du XIIIe siècle ou du XIVe; un porche
latéral, surmonté d'une chambre, dénote le XV8, puis, dans
le même style, la branche Sud du transept et les murs du
chœur, dans des propor,tions beaucoup plus élevées, avec des
fenêtres largement ouvertes,' une jolie porte aux fines colon­
nettes et aux élégantes voussure::;, . et ensuite, p~rticularité
saisissante et impressionnante, un vaste contrefort qui se
creuse en voûte ou en arc largement ouvert pour enjamber

et chevaucher la rue, ce qui va nous permettre de contourner
l'abside. Cette abside, ou ce large pignon rectiligne, est

-135 -

percée de deux fenêtres étroites et longues et d'u'ne grande
fenêtre centrale. Au contrefort de l'angle Nora est une gra­
cieuse 'statue dela Sainte Vierge allaitant l'Enfant-Jésus et
vénérée sous le vocable de Notre-Dame de Kergornet, voca-

ble emprunté sans doute à une chapelle de même nom, cen­
tre d'une gra:Qde dévo.tion dans la paroisse presque limitro-
phe de Gestel, aux confins du Morbihan. '
Continuant il circuler, on se trouve sous les saillies ou
, grandes avancées en encorbellement d'une maison moyen­
âgeuse qui forment un haut plafond au-dessus de Îlos têtes,
et l'on revoit la réplique du contrefort percé en arcade;
, même jolie porte, mêmes fenestrations qu'à la façade Sud,
et l'on arrive tout surpris et tout ému devant l'œuvr~ qui
constitue le summum décoratif et artistique de tout l'édifice;

c'est le porche Nord, pièce architecturale de premier ordre,
où l'on constate les mêmes inft.uences qu'à Saint-Fiacre du

Faouët, et il Kernascleden et que l'on dirait dérivé du
Folgoat. A la façade, grande arcade entourée de fines colon­
nettes séparées par des gorges profondes où courent des
guirlandes feuillagées, et cette arcade est recoupée dans sa
hauteur par un bandeau horizontal que soutiennent deux
gentilles arcades géminées aux cintres à redents, séparées
par un pilier ou trumeau portant un bénitier. Sur les
parois latérales, niches ft.am boy antes avec trois ou quatre
statues d'apôtres, de bon style et de noble tou_ rnure.
, Pénétrons dans l'église et remarquons l'ampleur et la
hauteur de la nef du XIIIe siècle, ayant pour voûte lin ber­
ceau ou lambris en bois; voyons les grosses et puissantes
piles qui supportent la tour, les voûtes recoupées de nervu-' ,

res qui s'étendent sur le chœur et ses collatéraux, vénéron::i
les images de saint Michel, de Notre-Da'me de Bonne-Nou­
velle et de Notre-Dame de Bot-Scao ou du Buisson.de Su-

reau, ayant toutes deux des allures d'art ft.amand. De~cen­
dons jusqu'aux fonts baptismaux, pour admirer la belle vas-

-136 -

que en granit du XVe siècle entourèe d'une guirlande de

parnpres de vigne, et pour donner un coup d'œil aux trois
statues de la Vierge-Mère, de Notre-Dame de Pitié et de
Notre-Dame du Mont-Carmel, ayant sous ses pieds le crois",­
sant de la lune, toutes trois dans le style du XVIIe siècle.

Au sortir de l'église nous traversons la plaee en donnant
un coup d'œil à l'ancienne chapelle de Saint-Sébastien,
devenue mai~on d'habitation, et un vieux logis du XVIe siècle
à pignon sur rue, étage en encorbellement, étal de pierre
des deux. côtés de la porte, conservant encore toute sa phy­
sionomie du Moyen Age. Puis nous nous dirigeons vers
l'ancien couvent des Ursulines, datant de 167-1:, où il y a il
faire une bonne étude de la construction des communautés

au XVIIs siècle. M. Beaufrère, adjoint au Maire de Quim-

perlé, nous en fait les honneurs avec une grande. obligeance

et une parfaite urbanité.
Et d'abol'd la chapelle gardant encore le dispositif qu'on
y avait établi pour le paquet des prisonniers et le vestiaire
des réfugiés., bien encombrée par suite, mais où l'on peut
.reconnaître cependant le beau retable du maître-autel, la
, décoration de la voùte et la série des belles stalles du chœur
des religieuses. Puis c'est le cloître avec ses ,piliers, ses
arcades et ses voûtes, où l'on peut consta ler les liens de

parenté qui existent entre ces ouvrages dans les différents
anciens couvents d'Ursulines disséminés dans le pays: Petit
Séminaire ' de Pont-Croix, Caserne de Landerneau, Retraite

de Lesneven; un examen rapide des salles et services d!1

rez-de-chaussée, des couloirs, cellules et dortoirs de l'étage,
aspect noble et digne de l'extérieur des bâtiments, ordon-

nanc~ ' majestueuse des lucarnes le long des combles.

On aurait voulu pouvoir constater dans l'enclos le tracé

137 -

de l'ancien eastellum romain, mais les travaux de culture en

ont fait depuis longtemps dispàraître toute trace.

Le temps marche; retraversons la place Saint-Michel,
glissons-nous encore par l'arcade percée dans h~ contrefort
midi du coin de l'abside, et dévalons vers la ville basse par
le casse-cou qu'on est convenu d'appeler: la Grand'Rue. -
L~ tout est de s'entendre, car il y a encore d'autres ruelles

plus étroites, des boyaux plus torrentueux, et il faut savoir
gré à la Grand'Rue de nous ménager quelques aspects
curieux et quelques échappées agréables sur l'église Sainte­
Croix et sur les collines qui font rideau de l'autre côté du,
vallon . .
Nous voilà dans' la rue Isole et sur le pont Salé

où nos
yeux suivent le cours de la pacifique rivière, au-dessus de
laquelle surplombent quelque:i; vieilles maisons, comme à
. Quimper SUL' le Stéïr, près du pont Médard. La place Isole,
toute petite, montre avec fierté son haut pavillon à trois
encorbellements.
Une façade ancienne, de bel aspect, nous indique l'entrée
de la rue Dom-Moriee. Oh ! la singulière petite rue, toute en
zigzags et bordée de logis tout vieux, tout vieux, qui nous
sont comm~ une vraie exposition d'art ancien en fait de pans

de bois ouvragés, de menuiseries délicates du XVe siècle,
, de pignons branlants; et, pour terminer la série,une altière .

tourelle carrée se dressant d'un air presque rogue pour domi-

ner ce petit COÎrl si im pressionnant. .
La ruelle débouche' sur la rue du Château, en face du por­
tail délabré de l'église ruinée de Saini- Colomban

à laquellè
nous reviendrons tout-à-l'hcure; mais déambulons dans

cette large et longue rue qui se donne de~ airs de dignité et
de distinction, voyons la façade du vieil Auditoire avec sa

138 -
double rampe à lourds balustres, poussons jusqu'au pont de
. Gorréquer auquel est joint un reste de porte de vill~ atte­ nant à l'hôtel de l'ancien gouverneur. C'est là que, en mai
1590, François du Châtel, marquis de Mezle, commandant la
ville pendant la Ligue pOllr le duc de Mercœur, voyant la

porte enfoncée pendant la nuit par un parti de royaux, se
sauva bravement en chemise à travers la rivière. Ce qui
n-'empèche que nous avons, à notre musée départemental
de Quimper, la statue tumulaire de ce foudre de gùerre
équipé en chevalier sans peur et sans reproche. C'ét~it

l'époux avare et sans cœur de l'infortunée héritière de

Keroulas, qu'il envoya languir dans son manoir de Château- .
gal en Landeleau. .
Rebroussons :chemin et revenons à la façade de l'église

Saint-Colomban. A voir la porte désemparée avec sa
voussure à plein cintre, on est porté à la cf.oire' de l'époque
romane; mais elle est en réalité de la première époque
gothique, comme on le consfate par le profil des moulures
bien dégradées; et la date de la construction est en effet de
1255. Plus haut, des remaniements ont été faits au cours du '
xv· siècle.
Au-delà de cette entrée, rien n'existe plus, si ce n'est le
soubassement des murs latéraux et, à l'angle Nord-Est, un
pan de belle maçonnerie conservant une baie étroite et lon­ gue, avec des faisceaux de colonnettes et la nai$sance des
voûtes du bas-côté. Moyennant ce fragment et les arrache­ ments constatés sur le revers du pàrtail Ouest, il est facile
de reconstituel' le plan et les coupes de tout l'édifice, ' de
même que Cuvier, avec un ou deux os isolés, se faisait fort

de recomposer les monstres antédiluviens.
Au sortir de ces ruines nous longeons trois belles maisons
à pans de bois, d'aspect ~mposant, et nous avons devant nos
yeux la monumentale église de Sainte-Croix en forme de
majestueu~e rotonde. Mais avant de visiter, passons par la

-139

rue EUé pour nous rendre sur le pont d' Ovignon voir couler
la rivière, admirer du coin extrême - de la place le panorama
de la ville et écouter le caquetage de tout un peuple de lavan­
dières dont le babil musical réalise en toute vérité ce qu'en

dit Anatole Le Braz dans sa « Chanson de la Bretagne » :

Breton joli des Quimperloises,
Qui de leurs lèvres, grain à grain,
En perles fines, en turquoises,
S'égrène ainsi que d'un écrin!

Passons a l'examen de l'église Sainte- Croix au bout de
la rue Ellé~ remarquons la chapelle absidale, la plus ornée de ,
tout l'édifice, toute tapissée de colonnettes et d'arcatures en­
cadrant les fenêtres. Pénétrons par la porte Nord, et nous
sommes immédiatement saisis par l'aspect colossal des
quarre pHes qui soutiennent la rotonde centrale, par la
hauteur des murs du circuit, le développement et la pro­
digalité des colonnettes appliquées qui s'y accrochent, et par
l'élévaiion des voûtes. Montons -sur la plate-forme ,du milieu,
avançons jusqu'à l'abside et comptons ' les innombrables
colonnettes et les arcades qui en forment la ceinture; puis
descendons pour admirer le chef-d'œuvre de sculptur~ Re-

naissance adossé au mur occidental, ouvrage prodigieux
de 15H exécuté en pierre fine de Taillebourg et qui néces­
siterait plusieurs pages de description.

Ne sortons pas avant d'avoir pénétré dans la crypte qui
règne sous l'abside et examinons avec soin 'les curieuses

colonnes qui en supportent la yoûte, ainsi que les tombeaux

du fondateur, saint Gurloë::5 et de l'Abbé Henri de Lesper-
ver, mort en 1434. ,
Un_ coup d'œil a la sacristie sous la conduite de M. le
Curé - Archiprêtre, qui nolis fait voir les belles boiseries

-140 -

Louis XV, un crucifix en ivoire et une statuettè de la Vierge,
du XVIIe siècle. Une promenade au fond du jardin de la Cure

où l'on a groupè aussi bie~ qu'il a été possible, les person_
nage d'une ancienne mise au tombeau, remarquables par
leur style du commencement du XVIe siècle, leurs physio­
nomies et les draperies de leur~ costumes. Quelques-uns
sont désignés et identifiés par leurs noms gravés en jolies
lettres fleuries sur les bordures de leurs manteaux ou de leurs

étranges coiffures: Joseph ab Arimatheâ, Nicodemus, ._
Abibon, Gamaliel magister meus.
Visite rapide autour du cloître et examen des bâtiments
abbatiaux dans lesquels sont logés maintenant les services
les plus disparates: ' Presbytère, Gendarmerie, Hôtel
de Ville, , Sous-Préfecture, Tribunal et Justice de paix,
- , Pom pes à incendie.
Il y aurait d'ingénieuses observations à faire sur les

détails de cette majestueuse construction du XVHe siècle,
sur l'appareillage et les dispos, itions des escaliers dorit nous
trou vons des répliques à l'ancien évêché de Saint·-Pol-de­
Léon. Allons jeter un coup d'œil sur Ja belle façade ensQ-

leillée qui donne sur la place, pui. s au moulin de l'abbaye, por-
tant à son pignon la date de sa construction :' MDCCLXXVII,
et celle de-sa restauration: 1827.
, Il est midi. Le voyage du matin, les ëourses hâtives au
milieu de tous les vieux témoins du passé ont creusé nos

estomacs et nous faisons honneur au déjeuner qui nous est

servi à l'hôtel du Lion d

Or. Rien de plus gai et de plus
~ agréable que ce repas commun entre amis et confrères.
Au dessert. M. Léon Le Berre, le , sym pathique directeur

du journallocàl : « L'Union Agricole et Maritime ), se lève
pour nous adresser ce toast si bien senti: '
« Mesdames! Messieurs,

« Malgré les moments trop brefs dont nous disposons
encore,..je ne voudrais pas laisser passer l'heure de v'otre

-141-

présenc~ ici, sans assurer votre vénéré président, M. le
Chanoine Abgrall, de toute la re.connaissance que la Patrie
de Dom Morice du Beaubeois lui porte, pour le choix qu'il a
fait d'elle aujourd'hui. A coup sûr, rna voix n'est point celle

des p -ouvoirs publics! Elle est cependant, comme de l'His-
toire au brouillon, comme le premier vagissement d'une
critique historique à son berceau. Soyez certains qu'après
avoir vu, dans l'Union Agricole, le récit de cette belle jour­
née, plus d'un citoyen de l'antique Anaurot, va regretter de
ne pas s'être effol'cé de lire, avec vous, les p~ges du beau
livre d'Histoire, écrites dans la pierre par nos bons aïeux et
que M.le Chanoine Abgrall nous a fait épeler 'ce matin.
« Le livre est vaste et complet. .. Soyez assu.rés que
. 1' Ur..ion Agricole, en vulgarisera, après vous, les plus . beaux
passages ... Et comment ne le ferait~elle pas, lorsque son
directeur, né à Ergué-Armel, sous la protection du bon saint
Urlou ou Gurloës, élevé à St-Sauveur, dans cette abbaye de
Redon, dont Gurloës fut pi'ieur, veille encore la plume à la

main, pour le Droit et la Beauté de notre Bretagne, tout près
du tombeau de ce même Gurloës ?

« Le Droit et la Beauté! Droit pour les Bretons qui se sont
tant dévoués à la Mère-Patrie, de rester bien eux-mêmes, sur

les. chemins du Progrès. Beauté, apanage que nous reçûmes
de::; vieuX Saints .venus de Bretagne et d'Irlande, et qui du
domaine de l'esprit s'extériorisa dans la . pierre que nos
ancêtres n'avaient osé ciseler. C'est là ce que l'Union Agri-

cole a défendu et défendra toujours ... C'est là aussi,. ce que
vous défendez vous-mêmes, n'est-ce pas? C'est pourquoi elle
se pl'Oclame bienheureuse d'avoir à vous offrir les vœux de la

Presse Quimperloise, d'unir l~s échos de la Laïta, aux échos

de l'Odet, de réunir dans un même amour, Kemper de l'Odet
et Kemper de l'Ellé. Trois fois heureux, je lève mon verre
en l'honneur des nombreuses dames qui ont charmé cette
fête de leur présence, à la prospérité de la Société archéolo .....

-·142 -

gique qui a su réunir tant d'admirate,llrs du Passé, à la co­
opération productrice et fraternelle de nos chercheurs, en
particulier de MM. le Chanoine Abgrall et Waquet, notre

distingué archi viste départemental!
« Ha dreist-oll e savan va gweren en en or hor bro garet
Breiz-Izel. Breiz da viken! »
M. le Président répond en remerciant M. Le Berre des
sentiments qu'il vient d'exprimer et ' qu'il connaît déjà de
longue date. Il déclare que la ville de Quimperlé ~st chère à
la Société archéologique, non seulement pour ses monu­
ments et ses sites si prenants, ses eaux vives et ses rivières

chantées par Brizeux,. mais aussi pour les grands hommes

qu'elle a produits ou qui y ont vécu : saint Gunti-ern, saint'
Gurloës et dom Morice déjà évoqués, dom Placide Le Duc,
l'historiographe de l'abbaye noire, Yves Pinsart, de l'aLbaye
blanche ou Dominicains, l'amiral' du Couédic, le héros de la
Surveillante, puis deux des fondateurs de notre Société

archéologique, le barde Hersart de la Villemarqué, qui fut
notre Président, ' et le non moins dévoué François Audran,

Vice-Président; Il ne faut p.as oublier notre Vice-Président

actuel, également enfant de Quimperlé, M. le chanoine Pey-
ron qui butine depuis plus de 50 ans au milieu des richesses

de nos archives 'diocésaines et départementales et dont la
somme de travail peut être comparée à celle de dom Morice
et de dom Lobineau. U ne mention respectueuse à notre

Evêque et Président d'honneur, qui peut se réclâmer avec
raison des belles années de son enfance et de sa jeunesse

passées dans cette ville.
Donnons un souvenir au duc Jean de Montfort, décédé à
Hennebont, le 20 septem bre 1315, et qui voulut qu~ son corps

reposât dans l'église des Dominicains de Quimperlé; puis à

ce bon Lancelot, l'auteur du « Jardin des racines grecques »,
qui, par· ordre du roi, (cui contradicere ne/as).) fut envoyé en

disgrâce de l'abbaye de Saint-Cyran à celle de Quimperlé,

-143 -

pour cause de J ansénisme,'le 5 janvier 1680. Les moines
n'ayant pas voulu le recevoir dans leur couvent de peur d'être
soupçonnés de pactiser avec l'hérésie, l'abbé Charrier lui
donna asile dans sa maison, attenante aux, bâtiments claus-

traux, où il passa les 17 dernières années de sa vie; de sorte
que c'est à l'endroit exact où nous sommes en ce moment,
car le logis abbatial est devenu l'hôtel du Lion d'or, que ,
Lancelot a fait son paisible ermitage et qu'il est mort, vénéré
de tous.
lit
!Il !Il

Une heure. et demie. En voiture pour Saint-Maurice. -
Trois voitures emportant u'netrentaine d'excursionnistes, plus
cinq ou ,six roulant en vélo. On longe le quai, on passe à
Saint-Nicolas puis so.us les grands arceaux du viaduc, à côté

'du bois et du château de QUéblin, puis à Toulfoën à l'orée
de la forêt, l'emplacement si connu du pardon des Oiseaux,
tout sile~cieux et solitaire aujourd'hui, si mouvementé et si
bruyant au lundi de la Pentecôte. Et à partir de ce point la

route de Clohars nOus mène à travers la forêt dans un sous-

bois idéal; et tous les cœurs, tous les cerveaux subissent
cette emprise, les langues se délient, les yeux se dilatent, et.
c'est de toutes parts un bavardage comme inconscient, tout
plein d'hilarité, tant on se trouve-sous le charme. de ce grand
bain de soleil et do verdure. Et le charme dure l'e~pace de
quatre grands kilomètres, sans compter qu'il se prolonge,

car le joyeux soleil nous inonde en~ore plus abondamment,
et l'on continue à côtoyer cette mer de verdure au milieu de
laquelle on vient de voguer. -
A l'approche de l'abbaye tout le monde met pied à terre,
car nous avons a descendre un sentier abrupt, absolument
alpestre, où les chevaux auront fort à faire pour maintenir

les voitures complétement déchargées. A un détour du che-
min, les bâtiments du monastère devenu manoir nous ap-

- 144 - "

paraissent tout ensoleillés dans cette large cuvette où ils Sont

assis, au milieu d'un cadre forestier, avec les eaux riantes
de la Laïta faisant bordure du côté de l'Est. Et nous voyons
arri ver à notre rencontre ]e châtelairl, M. de Rodellec du

Porzic qui, par une attention délicate dont on ne peut lui être
trop reconnaissant, a abrég0" d'une journée un voyage en
cours, afin de pou voir nous recevoir et nous faire les hon­
neurs de sa propriété. ""

Vers l'année 1170, le duc Conan IV, tout dévoué à l'ordre
de Cîteaux, avait offert à Maurice, abbé de Langonnet, des
terres qu'il possédait dans la forêt de Carnoët, sur les rives
de. la Laïta. En 1177, fut effectuée la fondation de l'a b-

baye, d'après la chronique de Quimperlé. Maurice ayant

donné sa démission d'abbé de Langonnet fut envoyé dans
ce nouveau monastère avec douze religieux qui l'aidèrent

à défricher ces terres inculte:s et à en faire un séjour dé-
licieux." Com" me toutes les égliBes de l'ordre de Cîteaux, celle
de la nouvelle abbaye fut dédiée a la Mère de Di~u, mais
peu de temps après la mort de l'abbé, ses nombreux miracles
et son renom de sainteté tirent associer le nom de Saint­
Maurice à celui de Notl'e-Dame, et c'est ce nom qui " a
prévalu d, ans la suite. " .
Il ne nous convient pas de faire ici l'historique de cette
, vén~rable abbaye pendant le cours de son existence. Dans
le dernier quart du XIXe siècle elle était la propl'iété de
M. Lorois, ancien député du Finistère. Par alliance, M. de

Rodellec du Porzic, ancien officier, commandant en retraite,
est devenu le neveu et J'héritier de M. Lorois, et c'est 'lui
qui va nous conduire dans les belles dépendances de son
domaine.

Nous traversons d'abord le jardin d'honneur, avec ses ifs
taillés à la façon dù grand siècle, puis nous montons dans

les jardins en terrasse, qui se superposent pour profiter en
tout avantage de leur belle exposition au soleil et form ent

- 145 -

ainsi d'excellents potagers et des vergers de bon rapport.
Cette ·tournée nou' s conduit vers la chapelle en puine. Le
portail Ouest est encore assez bien c0!1servé, avec sa porte
principale, deux jolies niches latérales et une fenêtre à plein

cintre, qui la feraient d'abord attribuer au XVIIe siècle;
mais quelques détails que nous observons à l'intérieur nous
indiqueront que nous sommes en pleine Renaissance et, sans

aucun doute, à la première moitié du XVIe siècle .

On dit qu'autrefois on lisait sur cette façade ces deux vers

latins: ..

Stet domus hœe donee jluetus formica marinos '

. Ebibat et totum testudo perambulet orbem .

« Dure cette maison autant de temps qu'une fourmi mettra
à boire toute l'eau de la mer, et une tortue à faire le tour du
monde ». . .

On peut voir que ce vœu ne s'est pas réalisé.
En pénétrant à l'i!1-térieur on constate que le mur du cir­
cuit s'est en grande partie écroulé, du moins du côté Nord et
à l'absidy Est. Sont-ce les déblais de ces maçonneries qui
encombrent la nef et le chœur et forment un remblai de un
mètre d'épaisseur, montant jusqu'au niveau de la table du

maître-autel? L'aspect de l'édifice gagnerait beaucoup à être

remis au niveau du pavé primitif, d'autant plus qu'on déga-
gerait ainsi les très fines sculptures Renaissance de deux

pls.cmes qu on ne peut mamtenant qu entrevOIr . .

Nous passons à la chapelle actuelle qui est formée par la
b~.anche Midi du transept ancien. On y. remarque un autel à

retable d'un beau travail, les peintures. de la voûte, un cru-

cifi.x en bronze de grand st Y le et. une châsse ou reliquaire en
bois sculpté et doré d'une extrême richesse, contenant des
reliques notables et très précieuses du fondateur saint Mau­
rice. Ce r. eliquaire est posé sur. une table de. marbre blanc

146 _:

portant une inscription en caractères hébraïques. C'est une
pierre tombale transportée du ·cimetière de Lorient au COm­
mencement du XIXe siècle portant l'épitaphe d'une jeune fille
juive" avec inscription en hébreu du. texte de Job: Le Sei-

gneur me ravait donnée

le Seigneur me l'a enlevée

qUe le

nom du Seigneur soit béni.

Au milieu du pavé nous voyons une dalle funéraire por-

tant gravée l'effigie d'une rlame vêtue d'un manteau de vair,
avec inscription en caractères du XIIIe'siécle. Notre confrèl'e,
M. Le Guennec la copie et la déchiffre, telle du reste qu'~lle
avait été lue autrefois par M. Le Men: Hic-jacet-Dna-Ma­
bilia~quondam-uxor-Dni-H elgomar~i. Cornubie-militis. '
Quel peut être ce chevalier Helgomar de Cornouaille, mari
de cette dame Mabilie ? En tout cas le nom de la famille de

Cornouaille est encore porté en ce moment par notre con-
frère M. Hersart de la Villemarqué Cornouaille.

Au sortir de la chapelle ' nous nous rangeons devant la
façade Ouest; il est en viron quatre heures, et elle est admi­
rablement éclairée en ce moment; et c'est une sOrte de stu­
peur ou de surprise étrange qui saisit la plupart des visiteurs

en se trouvant en face d'une architect.ure absolument impré-
vue et toute nouvelle à leurs yeux : c'est la riche façêide de

la vieille salle capitulaire du XIIIe siècle, mais toutJ fraîch e,

toute pimpante, toute neuve, comme si elle datait d'hier ;

car ce granit abrité par le cloître jusqu'au siècle dernier, et

défendu contre les intempéries de l'atmosphère, a conservé
tOJte la fines; e de son grain, et il suffit d'un léger ravage
pour lui redonner toute sa fraîcheur native.
C'est une ordonnance simple, mais si élégante et si noble:
une porte centrale en arc ogival, deu~ fenêtres géminées de
même forme, ayant leurs ébrasements garnis de colonnes

cylin(
pite a
lures
M. le
un pfj
tectUi
. autre

avale
riche
enco]
éCI'Ol
III
vatel
lui a
qui l'
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prIe.
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driques d'une extrême correction, couronnées de cha-

ux feuillagés, et de tailloirs circulaire~, avec les mou-
et tores des vo. ussures d'un galbe absolument classique,
~ président profite de cette émotion générale pour faire
etit cours d'archéologie, décrire cette belle page archi­
raIe, et rappeler que les salles capitulaires des deux
~s monastères cisterciens, Langonnet et Le Relecq,

mt absolument les mêmes dispositions et la même
~sse ; seulement pendant que la salle de Langonnet est

re en très bon état de conserva!ion, celle du Relecq s est
uléeet n'offre plus que des ·décombres.
félicite M. de Rodellec d'être le propriétaire et le conser­
r soigneux et conscient d'une si belle œuvre d'art, et
. ffre en son nom et au nom de tous les excursionnistes

accompagnent les plus vifs sentiments de gratitude pour
ourtoise et cordiale réception et pour toute l'obligeance

met à nous guider et à nous éclairer.
a eemomentnotre archiviste départemental, M.Waquet,

le dépouille jamais son flair et sa curiosité de chercheur,
M. de Rodellec de vouloir bien nous indiquer la disposi­
ancienne de l'ensemble des bâtiments et l'emplacement
loître avec les ailes qui l'entouraient, ce que le maître
il maison s'empresse de faire avec une grande clarté, en '
o faisant voir le puits central qui existe encore, avec les
ensions exactes du cloître formant le carré .

ais nous n'avons vu encore que l'extérieur de la salle
tulaire ; et maintenant c'est la ruée vers l'intérieur ;
ploie ce terme, parée qu'il est exact, car, affriandés
ce qu'ils voient au dehors, tous ont hâte de voir ce que
t bien enfermer le dedans, et en vérité la curiosité n'est
déçue, car la disposition de cet intérieur dépasse encore
~râce et en élégance ce que promettait la façade. Deux

tes colonnes centrales, presque graciles, reçoivent sur
's chapiteaux la retombée des arcs ou nervures qui sou- '

...:.- 148 ......;.

tiennent la voûte,tandis que les autres branches de ces ner_

vuresqui s'en vont sur les parois et les angles de la salle,
viennent poser sur des culs-de-lampe ou des corbelets ornés

des mêmes feuillages et crochets. Aux ébrasements de la
porte et des fenêtres se répètent les mêmes colonnettes et les
mêtnes voussures', et c'est un même cri d'admiration qui

s'échappe detoute _ s les lèvres, la même expression de Sur-

prise ' et de satisfaction qui se peint snI' toutes les physio
nomies, car.on jouit profondément de cette belle évocati6
d'un siècle où florissait l'art, où les rudes moines qui cuIr

vaient la terre et chantaient les louanges du Seigneur, do

naient une si haute place aux œuvres nobles et élevé
reflet de la beauté et de la noblesse de leur âme. '
On veut vivre pendant quelqnes minutes cette vie
par quelques-uns, et qui se révèle ici sous un jour absolu

nouveau. Sans façon et sans gêne les dames vont s'ass

sur les coussins qui garnissent les sièges de pierre des

tees, dans les stalles et fauteuils qui composent l'aIT!

ment, et pendant un petit quart d'heure on cause, on d
on admire, et on refait tin peu l'histoire des siècles p
M. ais il faut quitter cette salle vieille de sept si

toute neuve comme au premier jour, qui a vu passe
de générations de moines, où se sont traitées ta
questions de la vie claustrale, où le père Abbé' a do

ses enfants tant de bons conseiLs et de sages direction

Le Maître nous conduit dans le salon, la sall~ à lTI .
le billard, la cuisine, partou t ce sont des remarques St

foule de points remarquables de l'art du XVIIe et du

siècle, èt aussi sur des œuvres et des productions

modernes .

L'heure du départ sonne. L'aimable châtelain nous a

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pagne pendant un gl'and kilomètre, car ici encore, quoique
dans la direction opposée, la route aussi est d'un escar-

pement praticable aux seuls piétons. On prend congé ~n
remerciant encore avec effusion'; et les voitures nous mènent

par une route différente de celle de .l'arrivée, passant en

plein cœur de la forêt, à travers les hautes futaies, en frôlant
des précipices qui donnent le frisson, des ravins profonds, .
dévalant jusqu"au bord de la Laïta, avec des ruisseau.x tor­
rentueux et des roches roulées, et toujours des arbres de

toutes essences se pressant, se coudoyant, entremêlant leurs
branches, avec des jeux de lumières et d'ombre, des fl3uilles
ensoleillées et transparentes, à faire rêver peintres, aquarel-

listes, artistes de tout genre, et jusqu'au dernier profane.
Notre tournée s'est faite prestement et sans encombre, et
à la grapde joie et dilatation de tous les cœurs. n n'est pas
encore sept heures; il nous reste près d'une heure avant le

départ du train. Aussi plusieurs profitent de ces moments

pour revoir certains coins visités le matin ou en chercher
. d'autres restés ignorés. Et je vois deux de nos fervents qui

retournent prendre un croquis rapide du' vieux pont fleuri,
le pont d'Ovignon sur l'Ellé; et quand moi-même je passe

pour prendre congé de la chèr~ ruelle Dom Moriee y je les y

retrouve croquant rageusem~nt sur lears albums les masu-
res éclopées et chancelantes de ce petit coin qui n'a pas son
pareil.
Ils emportent ces quelques souvenirs sur leurs pages d'al­
bums, mais tous s'€m vont l'imagination et la mémoire rem- .

plies de toutes les beautés qu'ils ont vues en un si court
espace de temps, et rêvent déjà de refaire semblable prome­
nade à la future belle saison, en ~es parages différents, car
notre pêlys breton surabonde de sites, de 'monuments et
d'œuvres d'arts introuvables ailleurs.

Chanoine J .-M. ABGRALL .

DEUX1ÈME PARTIE

publiés en 1919

1 Les trou pes de guerre àLesneven sous Louis XIV
par l'abbé G. PONDAVEN. . . . . . . . . .
/ Il Etablissement gallo-romain de GOfré-Ploué en

Plouescat par le chanoine ABGRALL (2planches)
III La révolution en Bretagne. Les derniers Monta­
gnards 1795 (suite) par PRo HÉMON. . . .
IV Laënnec bretonnant par GASTON ESNAULT. . .

V Excursion à Quimperlé par le chanoine ABGRALL
VI Etablissement gallo-romain de Pors-Guen en

. Gouesnac'h par 1. OGÈs. . . . . . . . . .
VII La chapelle Notre-Dame de Kerinec et les hôpi-

taux des chapelles bretonnes par H. WAQUET
(1 planche).. . . . . . . . . . . . . .
VIII Un jeune matelot bigouden otage de corsaires

jersyais (1744-17 t8) par LE BOURDELLÈS. . .

IX Importance archéologique de la région de la

presqu'île de la Torche par le commandant
CHARLES BÉNARD, l'abbé FAVHET et GEORGES
BOISSE LIER.. . . . . . . . . . . . . .
X Note sur le squelette exhumé à Roz-en-Tremen
dans la région de la Torche par le docteur
LAGRIFFE ... . . . . . .. . . . . . . .. .
XI L'enseignement de la langue bretonne par L.
OG~:S. .. .. . .. .. .. .. .. . .. . .. .. .. ..

XlI Discours de M. le PRÉSIDENT. .

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