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Bulletin SAF 1919


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Laënnec bretonnant

Gaston Esnault

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1919 tome 46 - Pages 98 à 132

Seize pièces manuscrites bretonnes m'ont été soumises en '

1913, à Nantes, par M. le Dr Rouxeau ; huit d'entre elles

- ' de la main même de Laennec, sont ses personnels

essais de bretonnant, entre,1805 et 1815; elles offrent l'intérêt
historique qui s'attache à· la vie intellectuelle d'un gr.and

esprit. . . .'. -
M. Rouxeau avait eu communiéation de ces seiié pièces "

manuscrites par M. André de Miniac, de Brest, héritier d'une

partie des papiers de Laennec. Il avait d'abord pris copie des
autographes de -Laennec, puis les avait renvoyés à Brest. Sa'

. copie avait des erreurs de lecture, inévitables à quelqu'un qui
ignore le breton, et qui rendaient certains passages inintel- ,

ligibles. Il fit revenir à mon intention les textes originaux, et
je les collationnai.

Il va sans dire que les quelques renseignements biogra-
phiques dont j'aurai besoin ci-dessous seront puisés a u sûr

et charmantouvrage de M. Rouxeau, Laennec avan.t 1806,
(Paris, 1912). .' '

Aux pages 260-262 de cet ouvrage, mention est faite des

études 'celtiques de Laennec. Le volume que M. 'Rouxeau
prépare sur la suite de la vie de Laennec développera peut-être
ce sujet; mais la publication des textes bretons n'entre pas
dans le plan de M. Rouxeau. ' . .

. L _0 Laennec à son père .
27 aout 1805.
Va zad qer, recevet am eus ar pacq eus ar vouëzyegez
brezotinecq pehini c'houi oc'h . eus caçzet din me. En a so

'(, 99 _ ' l ,

êrruet ê gentell. Ar vacquanczou eus an academia a Lousaouréz
a rento din un nebeud amser evit disqui al Langaich-ze vamm ,

pehini en me am eus esprimet al' re guentan caranteziou hac,
ar re guentan prederyou eus ar va vugaleaich. Ar Veaich bihan
pehini me a ya ober en zy an itrounesed LaUbrière ha Pompery
a c'hallo, marteze, difrffia va inraucq. Me a aznevez yve daùu
scolyérien eus al Lousaouerez père a c'houvez al' vrezounecq,
ha c'hand pere ve a c'hallo prezecq, pa ve . a vezo un nebeud
creoc'h en Langaich-ze.

Je ne puis mieux , vous témoigner le plaisir que m'ont fait'
les livres que vous m'avez envoyés qu'en en faisant usage
sur-le,champ. Vous devinez bien que le début celtique de , ma
lettre n'a pas été composé sans feuilleter le Dictionnair~ et
la grammaire du P. Grégoire de Rostrenen, et malgré toute ,

la peine que je me suis donnée, je crois bien qu'il s'y trouvera
encore bien des fautes. Je vous prie de me les indiquer dans
votre première lettre. Mais écrivez-moi en français, car je ne
puis encore facilement traduire le breton. si cependant vous
pouviez me trouver un dictionnaire breton~français, j'en
viendrais aisément à bout.
Dites moi aussi à quel caractère on distingue qu'un ,
substantif breton est masculin ou féminin. le P. Grégoire n'est

pas clair là dessus.
Je désirerois encore avoir quelques notions sur la poésie
bretonne et sur la fabrique des vers. En regardant les cantiques
que vous m'avez envoyés, j'y ai trouvé des vers de quinze
syllabes, ce qui m'a fait penser qu'ils se mesurent par pieds
composés, de même que les vers grecs et romains.

Si vous avez quelquechose à m'en ,?oyer, tâchez de : trouver
quelque chose de plus économique que celle que vous avez
employée celte fois ci: la caisse a couté t9 fr. de port et encore
vos menuisiers de Quimper avaient ils eu le soin d'enfoncér
si ,bien les clous de la fermeture et des adresses que la couver- "
ture de deux volumes d'ügée en a été blessée. ,

iOn -

Traductionfrançaise du début:
Mon cher père, j'ai reçu la caisse de littéralure bretonne

que vous m'avez envoyée. Elle est arrivée à temps. Les vacan .
ces de l'Académie de Médecine me rendront un peu detemps
pour apprendre cette langue-mère, dans laquelle j'ai exprimé
les premières affections et les premières pensées de mon
enfance. Le petit voyage que je vais faire chez Mesdames
. de Laubrière eL de Pompery pourra, peut-être, hâter mon
progrès. Je connais aussi deux élèves de médecine qui savent
le breLon, et avec qui je pQurrai parler~ quand je serai Un
peu plus fort en cette langue.
L. 'orthographe bretonne de Laennec est naturellement celIé
de Grégoire. (Je représente par n italique le n surmonté
d'accent circonflexe). Les équivalents français des termes
dont se sert notre débutant, il est aisé de les déterminer, en
se reportant au dictionnaire français-breton de Grégoire,
articles littérature, médecine, affection, pensée, hâter, parler,
à te.mps, etc. ; le livre l'a renvoyé pour progrès à avancement,
pOUr élèvé à disciple et de disciple à écolier, mais l'a trop peu
aidé à rendre la tournure de futur je vais faire, et à conj uguer
le verbe gouzvez, (savoir).
Quiconque met le nez dans une nouvelle langue, souhaite
trouver des mots qui lui soient neufs ; ce purisme naïf se
retrouve chez Laennec ; s'il accepte esprima (et laisse dans

Grégoire disclœrya) , il saute par dessus songeson, midicinérez,
qUe Grégoire indique d'abord pour rendre pensée, médecine;
ne trouvant sous caisse que boëstl et couffric, il va chercher
sous paquet un mot moins latin. .-
Dans ses lettres françaises, Laennec dit « Mon cher pa pa ») ;
Grégoire offrait tata, Laennec l'a jugé trop familier, (et ne
s~'est pas avisé de tadik).
Des inadvertances sont dues au recopiage d'un brouillon:
pehini en (pour en pehini), lousaourez à côté de lousaouerez,
ar laissé devan t va.

41 " 40~ "

Outre le barbarisme a c'houvez, (a oar), Jes mutations, on
te devine, ont fait trébucher Laennec; mais, pour deux qui
ne sont pas faites, .(gouiüyegez brezounecq, beaich bihart), il
en invente sept, qui sont dues à trop de scrupule, (ê ge'fl,tell,
va 'lJugaleaich, en' zy, ar vrezounecq, ha c' hand, pere ve,

pa ve) ; ces péchés par excès sont, dans l'espèce, une promesse
pour l'avenir. '

Ainsi que tout néophyte, Laennec préfère conjuguer à .

l'impersonnel; on évite mieux le barbarisme; mais on choit,
a ux propositions subordonnées, dans le solécisme, par exemple
après en pehini, gand pere et pa ..
. Quand nous aurons relevé une confusion de l'adjectif et du
pronom dans ar re gucntan caranteziou, (GrégOIre donnait
ar re guentan, les premiers), et le pluriel après daou, et l'ordre
de mots barbare al langaich-ze vamm, et la confusion des
« questions » ubi et quo dans en zy (pour da dy), il ne restera
plus qu'à taxer l'ensemble de galliçisme (1).
A quelques pièces que fasse allusion Laennec par son mot
de « cantiques », les textes qu'il envisage sont ou' des vers
de 13 ou 12 syllabes contenant 2 ou 3 diphtongues, ou des

textes fautifs. .
C'est du « printemps » de 1805 que M. Rouxeau date chez
Laennec la soif du breton. Du printemps ou de l'été, en août
Laennec a 24 ans passés, est doctèur depuis plus d'un an, a
. professé en public, est en pleine polémique avec ' Dupuytren.
D'où jaillit One curiosité intellectuelle aussi dégagée des
besoins professionnels? Laennec a soumis à son père en 1802
une composition burlesque, salade d'ossianeries archéolo­
giques, intitulée· la Guerre des. Vénètes, (ROUXEAU, p. 148), et
(i) Plus bretonne serait par exemple une phrase~: Gant ar veaich vihan
a zo warnolln ober da di an i. L. ha P., marteze e vezinn kaset .war raok.
- Laennee se plaint à juste titre de Grégoire au · sujet du genre des
8ubstantifs : Grégoire y est non seulement obscur, mais faux: le genre,
dit-il, se connaît par la sig-nification, jamais par la terminaison, (éd. an Ill,
pa~e 33). .

sOn ·père, qui a trou\'é l'œuvre admirable. rêve de la lt'aduh'e

en , kèrnevod, et de publier la traduction comme · le texte
odginal, (c'est l'esprit du Rœrzàz H1'eiz). D'ailleurs, les théories
de Le Brigant sur la langue-mère ont en France une grande
vogue. A ces deux motifs. familial et national, démêlés par
M. Rouxeàu (p. 260), j'ajouterais une raison psychologique:
si tout homme arrive. tôt ou ta~'d , à s'interroger sur sa langue,

c'est un fait bien connu que le retour du dépatrié vers les
images du pays natal. le patriotisme des exilés, et en particu­
lier le culLe de la Bretagne chez les étudiants bretons de Paris .

Enfin. c'est le 30 mars 18ü;> que s'est tenue à Paris la première
sé' arice de l'Académie Celtique .

· Laennec a balbutié le breton pendant ses mois de nourrice;
il a sucé le lait d'une paysanne de Quimper ou d'Elliant ou .
de Douarnenez, (ROUXEAU, p. 17) : s'il pouvait attribuer
d'efficaces leçons de breton à son père, à sa mère, (morte quand
il avait cinq ans et demi), ou à son oncle Michel, (recteur
d'Elliant, chez qui il a vécu un an, 1787-février 1788),' il ne

manquerait pas d'évoquer ces souvenirs dans sa lettre
inaugurale.- J'ignore l'impression que son père reçut de la
lettre du 27 août; le 29 septembre, il n'y avait pas encore
répondu.
Quant à Mesdames de Laubrière 'et-de Pompery, il est
probable que Laennec compte moins sur elles-mêmes comme
sur des professeurs, qu'il n'espère trouv~r dans les vacances
et la vie de château des loisirs studieux. Quelle erreur! ...

2. Deux couplets (.ç;epternbre 1805)

Fête de Mme de G.
: Couplets du père Boniface (sur l'air breton, prenons la poèle,
mes gars, faisons des crêpes), . . _

G \ ~03 , '

Ur pautl' oun sqyantus meurbed pehiny
Peu-r-redet am eus an holl douarou.,

Compset am eus, hep mar, da meur a hiny, '
ha me a gouvez an holl Langaichou.

E lavar anezy gand guïryonez,
Va Loysa, en 011 an yezou,
Ur hano c'huecquoc'h n'em eus aznevet,
egued hoz hiny da hor c'halounou.
Ce qui veut dire: ' .

Je suis un gars tl'ès savant, qui ai parcouru toutes les
terres. J'ai parlé, sans doute, [n'en doutez pas J J à plus d'un,
et je sais toutes les langues. Je le dis avec vérité, ma Louise,

dans Lous les idiomes, je n'ai pas c, onnu un nom plus doux

que le vôtre pour nos cœurs.
Laennec est en vacances chez ses parentes Mesdames de
Pompery et de Laubrière. M. de Pompery a hérité Couvrelles,

près de Soissons; à une lieue de là Madame de Laubrière
habite le. manoir de Bruys. Le jeune homme passe : dix-sept

jours à Couvrelles, six à Bruys. La société, avec les voisins,
tels que Madame de G., se divertit à des improvisations de

musique, de charades, de proverbes. ,Le jour de la fête de
Madame de G., Laennec compose un scenario à six person­
nages, prose et vers. (quinze pages) : des pélerins passant par
- le détroit de Bab-el-Mandeb ont appris que c'est la fête de '

Louise de G., ils accourent lui offrir des vœux, des'présents,
le récit de leurs voyages, et c'est le plus grotesque de la bande,
le père Boniface, qui déclame les vers bretons qu'on vient
de lire; (ROUXEAU, p.269).

Bretagne est poésie; il est de règle, je crois, que la seconde .
phase du culte pour la langue bretonne se déclare par le désir

de versifier.
On peut supposer que les

ve~s ci-dessus sont en principe .

~ 04 -1"

des décasyllabes; la con traction de azner-ezet en aznevet ne
suffit pas à le faire rimer avec guïryonfz, (Laennec a d'abord
écrit aznevez).
La forme hoz hini est donnée dans Grégoire.

Les mêmes fautes signalées ci'-devant reparaissent, notam-

ment dans le maniement des conjugaisons. Notons cependant
l'heureuse apparition des verbes au personnel: ur pautr oun,
compset am eus.

La plus amusante audace de Laennec est d~ns e ZaDar anezy,
(pour: me hen lavar) ; notre celtisant a cru élégant d'employer
ce pronom à forme féminine et à sens neutre, sur lequel
Grégoire insiste dans sa G1'ammaire, p. 32, (à cause d'une
glorieuse ressemblance avec la syntaxe hébraïque). .
Pour reconstituer l'état d'âme de Laennec composant les

couplets du père Boniface, il me manque l'air breton

. de « Prenons la poèle ... ».

3. A son père .

15 janvier 1-806 .
Mon cher pa pa,
Ur Bloazvez mad a reqedtan deoc'h, da va mam qer, ha da
va c'hoar, digant douë. .

(Le reste de la lettre est en français).

Je souhaite une bonne année à vous, à ma chère mère, et

a ma sœur .

. Cf. : « Je vous souhaite la bonne année. Bloazvez mad a

reqedLan déc'h diga nd DO. uë. » Grégoire, Dictionn., p. 880 ;
mot·à-mot : une bonne année je demande pour vous à Dieu.
da va mam qel' : Geneviève Urvoy de Saint-Bédan,veuve
d'André de Léhec, épousée par le père de Laennec le 3 février

1795, huit ans après la mort de sa première femme .
da V(l c'ftOar : M;lrje-Anne, née le 1~ ;lvril 178Q .

"-' ~ 05 . ,p

4. A son père.
10 mars 1806.
Va zad qer

Recevet am eus ho Ijzer eus an naon teg Guenver pehiny
casset hoc'h eus din gant an autrou Delecluze. Recevet am

boa en e amser al lizer ceinch eus an 340 pere gant peb leal-
ded beza ez ynt paeët din. .
mal' gu'illit, cassit din hep daleidiguez an ·300 f. ail abal'z
ar fin rneurz : rag yzomm bras am eus ur guisqamand.
an journal de rnedecine hag ar c'hlenvet bennac pere am
eus rei a reont din, hep mal', ur arc'hant bennac el' bloazvez­
ma . hoguen, mal' gu'illin, . en impligeout a l'in da gemeret ul

logeyz deread d'an ur médiein. rag qllemenze eo e baris un
dra redd evit tenna var e benn al' fizyançz eus 'an 011.
seri vit din el' brezoneg. ne allan qet c'hoaz scriva vad ha
yuan. hoguen lenn a l'an gand œzony al levriou bere gasset
hoc'h eus din, hag al lizer- ma scrivet am eus hogos hep
diccioner. .
Ne c'hall quet disqi al' vrezoneg nemed en ur lenn : rag

n'am eus qet an amser da ober ur study reizus eus an yez-ze . .
gass a ran deoc'b gand al lizer ma al' c'hantic pehiny c'huy a
c'houlenn din. ne l'an muy qet eus al' rimaou. alluguderez-ze
ne dere qet gant lentegues eus an vedicinerez. rag· -ze ne
livil'it qet penaus an diotaichou-hont a so bet grœt gand ho
map, pe guell c'hoas ne disquezit qet anezo. -
An autrou Poussielgue stageta ra atau e zemeurançz ér

baris. hoguE'n goude un ezvezançz eus ' an qehyd amser ne
c'hillin qet monnet da compset dezan, mal' ne gassit qet din

an 011 a c'boulennas deoc'h-hu en amser. achuit hYl'io qent

eguit ma vac'boaz, mehoped, va zad qer, an affœr-ze cassaüs

pehiny ar guenlan hag ar brincipalan eo elre ail 011 oc'h eus
er peq-ijlq. " ..

,. h .. ' 106 .:.:-'

An autrou Rruté va vignon ha va breuzr er midicin, pehiny

adalec dau bloazyou;antreet eo er seminera ('1) a baris a
c'houlen din alies eus ho quèlou.

Mar an ranseignamanchou pere c'hùuy a c'houlen din var

sujet an afféBl' eus al' vuguel-ze henvet Guennolë, n'edynt
qet eus ur pouës bras, qemeret ne rin qeL an affcer-ze pehiny
a vez leu nyet a drevelou bras ..
ne ouzonn qet la var deoc'h mar an autrou Casab' ianca
vervel en deus gnet, ha nan.
n'ancounec'haït qet, me ho ped, cass'din an hinvisyou bere
ziouganet hoc'h eus gant ho lizer diveza. . .
al' c'hoazouniyez eus ur penn-tieguez ne deo qet guelloc'h
ha dereadoc'h Bremail ma en e amser. .
me a fell din 011 an t1'aou obel' evit ma c'hillin monnet da
guenlper el' mis aost : en ur gortos, me ho ped a bresanti va
respejou da va vam (2) qer. Ar tieguez St Allouarn ha le veyer
he saludi a reon t hag hoc'h yvez.
Roït ur pocq evidon-me da
veza vreman brassoc'h ma he
zad qer.
hO 'map aboissant.
paris an degved meurz 1806.

va c'hoar biha n pehiny die
breuzr ; me hoc'h pocq, va

RTh Laennec D M P.

Mon cher père,

J'ai reçu votre lettre du dix-. neuf janvier que vous m'avez
envoyée par Monsieur Deleclus~. J'avais reçu ·en son temps
la lettre dé change des 340, lesquels, avec une parfaite
fidélité, m'ont été payés .

(i) Lettre finale, une sorte d'œ, résultant de seminel'e, et d'une dési­
nence a que Laennec trouve dans Grégoire .

(2) Laennec a .d'abord écrit (( mam» .

Si vous pouvez, envoyez-moi sans retardement les 300 au-
tres francs avant la fin de mars; car j'ai grand besoin de
vêtements. .

Le Journal de Médecine, et les quelques malades que j'ai.
me donneront, sans doute, quelque argent cette année. Mais,
si je puis, je l'emploierai à prendre un logement convenable
pour un méilecin. Car c'est une chose nécessaire à Paris pour
s'a ttirer la confiance de tout le monde.
Ecrivez-moi en breton. Je ne puis pas encore écrire bien et
vite. Mais je lis facilement les livres que vous m'avez envoyés,
et j'ai écrit cette présente lettre presque sans dictionnaire .

Je ne puis apprendre le breton qu'en lisant: car je n'ai pas
Je temps de faire une étude régulière de cette langue. Je vous
envoie avec la . présente lettre le cantique que vous me

demandez. Je ne fais plus de rimes. Cet amusement ne con-

vient pas au sérieux de la médecine. En conséqu~nce, ne
dites pas que ces bagatelles ont été faites par votre fils, ou
mieux encore, ne les montrez pas!

Monsieur Poussielgue.a toujours sa résidence fixée à Paris.
Mais après une absence d'une te]le durée, je ne puis 'aller lui
parler, si vous ne m'envoyez pas tout ce qu'il vous demanda
dans le temps. Achevez, aujourd'hui plutôt que demain, je

vous en ' prie, mon cher père, cette haïssable affaire, qui est la
première et la principale entre toutes celles que vous avez en

ce monde.

Monsieur Bruté, mon ami et mon frère en médecine, qui
depuis deux ans est entré au séminaire à Paris, me demande
souvent de vos nouvelles.
Si les renseignements que vous me demandez au sujet de
l'affaire de cet enfant nommé Guennolé, ne sont pas de grande

importance, acceptez que je ne fasse pas cette affaire, qui

serait remplie de grandes difficultés.
Je ne saurais [littéralement: je ne sais] vous dire si
Monsieur Casabianca est mort ou non.

N'oubliez pas, je vous prie, de m'envoyer les chemises que
vous m'avez promises par votre dernière lettre.
L'Hommage d'un père de famille n'est pas meille ur ni
mie~x séant aujourd'hui que dans son temps.
Je veux tout faire pour pouvoir aller à, Quimper au mois
d'août. En a ttendant, je vous prie de présen ter mes respects
à ma chère maman. La famille Saint-Allouarn et [la famille]
Le Veyer la saluent et vous aussi.
Donnez un baiser pour moi à ma petite sœur, qui doit être
. maintenant plus grande que son frère ; je vous 'baise,
mon cher papa.

Votre fils obéissant.

Paris, le dixième mars 1806.
R[ené]-Th[éophileJ Laennec, n[octor] M[edicus] P[arisinusJ .
C'est toujours Gregoire qui fournit la traduction des mots
difficiles, comme dictionnaire, réguLier, amusement, sérieux,
bagatetle, résidence, a.bsence, ha'issabLe, tacilement, difficulté,

hommage, et de la locution s'attirer quelque chose.
Mais Laennec a feuilleté son livre de trop haut parfois. Il a
besoin de chemises, et voilà qu'au lieu des rochedou que
Grégoire lui conseille modestement, il demande à son père

des chemises de femme (hinvisyou) ! Il a des malades, tud
klanv; klr.lnDourien, et raconte qu'il a une maladie (klenved)!
Il n'analyse pas assez le sens de son original français, traduit
rempli de difficultés par un participe passé, Leu,nyet, au lieu
d'un adjectif, leûn, un que de comparaison par ma (au

lieu de eguet) ou par eguet ma, un si d'interrogation
indirecte par mar (au lieu de hac ê ou ha l,' un depuis de

temps par adaLek (au lieu de abaoc).
Il est vrai q'ue, dans un 'cas special, trop d'analyse logique
lui fait rendre par hoc'h un vous complément direct: l'usage
veut: he saludi a reont ha c'houy yvez. ,

Ses léctures dè textes bretons l'ont convaincu que lé breton
tel qu'on le parle en 1806 n'est pas un pur tissu de celtis­
mes; aussi ne se fait-il pas scrupule de mêler au mystérieux
diougani (pl us bea u que p'l'ometi) les prcsanti et abo:issant de
. Grégoire, et même, Grégoire n'ayant pas d'article pour ren­
seignement, un ranseignamanchou assez joyeux.
Mais il n'a guère causé breton, depuis six mois qu'il se le
promet: l'impersonnel, le personnel, l'emphatique, sont des
tours verbaux qu'il saupoudre plutôt qu'il ne les adapte. Les
mutations flottent entre le trop, (scdva ' va; d ha vuan, levriou
be/te gasset), et le pas assez (en ur gortos, dau bloazyou);
le verbe gaUout n'est pas sûr de soi, (de mar gu'illit et mar

gu'iLLin. employés en des cas identiques, l'un des deux, que ce
soient des futurs ou des prèsents, est fa utif); on trouve

encore des combinaisons d'articles, de particules, des range-
ments de mots antibretons, an affer-ze cassaus, olt an tfaon
aber, (tout raire), g0ude un ezvezançz eus an qehyd amser,
(c.-à-d. keit amzer zo n'oun ket eat el'e gaout) ; .et le pluriel
après un nom de nombre, une des habitudes que la pratique
orale fait perdre le plus aisément. '
Mais félicitons le jeune celtiste d'avoir maintenant tâté,

c'est visible, de tous les chapitres de sa grammaire, et surtout
de prendre poUr exercices ses lettres à son père: il y a là du
jeu; mais remarquez qu'il demande en breton l'argent de sa
pension: se fera-t-il comprendre? c'est comme une expérience

qu'il institue.
Son père lui fait 1.200 fr. par an, qui arrivent irrégulière-
ment. L'année derniére, 'ses consultations lui ont rapporté

400 fr. ; en 1804, 150 fI'. . Son urgent besoin de chemises
dure depuis deux ans; il a été cambriolé le 11 mars 1804, et
depuis 10l'sn'a pas pu regrouper une douzaine de chemises,
(ROl1XEAU, p. 237, 278).

. C b . '~ Q . G l' ') .
Ul est asa lanca ...... m, uenno e ...... SImon
Bruté, Rennais ami de Laennec depuis 1801, mourra évêque
dans l'Illinois, (ROUXEAU, p. '168, 199,219,2::36)

, t'affaire Poussielgue, ou « affaire du clergé», est l'un des
multiples différends et procès de ce névropathe hrouillon qu'est
le père de Laennec; et cette affaire est en panne depuis au moins

octobre 1803, (ROUXEAU, p. 220, 23:5). ' Autre sujet de déso-

lation pour Laerinec : cet 11 ommage d'un père de famille,
opuscule imprimé que le père 'de Laennec adressa, en juillet
1804, à plusieurs personnages officiels, pour obtenir du pou­
voir une place à Paris, en faveur des mérites de ses fils, .
(ROUXEAU, p. 245). '

5. - A son père
Paris 31 décembre 1806
Va zad qer

Recevet em eus ho lizerou hag ho Clugiri. Guellet em eus
an autrou Leon-Treverret hag an autrou BOllllé ar Rirriadeller.
Gand Levenez bras a zesqan penaus abarz-nemeur distrei a
reot e Quemper. me a fell din . rei deoc'h abarz ho distro ur

cusul bihan pe guell ur quelennadurez pehiny ne vezo qet
marteze didalvez pe dibrofidd d'eoc'h. Beza ez eus en hor 'bro
abavouë un amser bennac un Den hanvet an autrou Le/~bvre

de la chauvière pehini en deus un implich bennac e Guil'y@u-
f'rammet hag a so un den hetus meurbed. comps a ra gand
cals a speret, cals en deus Jennet, cals en deus guellet ;
G, uerzyou pe rimadellou a ra, musician bras eo ; Gueichall a
vouë vignon eus va eontr ar Midicin. hoguen ne fizyit qet
enhan, ha mar 'eo possubl ne grit quet e aznaoudeguez ha
dreist pep tra ne l'oÏl qet dezan donnediguez en ho ty. Racg
ècreis meur a qualiteou din da veza meulet, ur sy pe tin deffaut
en deus pehiny e daçzor' (1) , a Ta grevus bras, pouner ha
dangerus de Vignonet. mar en deffé cant mil scoet, en ur

(i) Sans être biffé, « daçzor» est surmonté dans l'interligne de « réllt>l,
qui est moins extl'avag'ant.

bloaz en deffe daibret an 011 eguet ar map prodig eus an -

aviel. ne prestit qet, ha, mal' credit din, ne roÏl quel memes
dezan arc'hant. .rag arc'hant collet eve.
Voilà assez de breton pour une fois, car je ne pense pas

vite dans cette langue et j'ai été plus d'une demi-heure a faire
ce que je viens d'écrire.

La leUre se termine en bret'on : '
Ur bloazvez nevez adezrou. digant Douë a reqedtan he ve ,
ri:lad hag eurus eyit va zad qer
paris 31 qerzu 1806. ho map caret.

Mon cher père,

J'ai reçu vos leUres et vos perdrix. J'ai vu Monsieur Léon
Treverret et Monsieur Boullé, le rimailleur. C'est avec une

grande joie que j'apprends qu'avant peu vous retournerez
à Quimper. Je veux vous donner avant votre retour 'un petit
avis ,ou mieux un averlissemen t qui ne vous sera peut­
être pas inutile ou sans profit. Il y a dans notre pays, depuis
quelque temps, un homme nommé Monsieur LefebV1°e de
la Chauvière, qui a quelque emploi dans les Droits-Réunis,
el qui est un homme tout à fait agréable. Il parle avec,
beaucoup d'esprit, il a beaucoup lu, il a beaucoup vu ; il fait

des vers ou des rimaille' s, il est grand musicien; autrefois
il fut ami de mon oncle le médecin. Mais ne vous fiez pas à
lui, et, si c'est possible, ne faites pas sa connaissance, et
surtout ne lui donnez pas entrée en volre maison. Car au
milieu de beaucoup de qualités dignes d'ètl'e louées, il a un
si ou un défaut qui le rend incommode, pesant et dangereux
pour ses amis. Quand il aurait cent mille écus, en un an il
aurait- tout mangé, comme le Fils Prodigue de l'évangile.
Ne lui prêtez, et, si vous m'en croyez, ne lui donnez même
,pas d'argent. Car ce serait de l'argent perdu. (1)

(t) Vidée juste demànderait : gaspillé, gwall-dispigllet. ,

Une nouvelle année commence; je demande à Dieu qu'elle
soit bonne et heureuse pour mon cher père .
Paris, 31 décembre 1806. Votre fils aimé.

Les mutations ne s'améliorent pas: d'un côté ho distro, ur

cusul, pe gueLl, a qualiteott, de l'autre '/Jouë vignon. Les verbes
sont remarquablement en progrès; sauf penaus distrei a reot

ils sont tous, personnels et autres, à leur poste légitime; notons
seulement la particule n employée, au lieu de e, devant zesqan
et reqedtan. Le progrès grammatical (sensible notamment
entre Beza rz eus ... et l~acg ... ), ést d'autant plus méritoire
qu'il n'est pas dû à l'usage oral ; la conversation eût vite
enseigné à Laennec à prononcer mar-d-eo possubl, ne rit
/ quet, à construire mignon d'am eontr, à dire hag et non mal'
en drffe cant mil scoet, (quand il aurait . .. ), à ne pas corHon­
dre pe weil et pc gentoc'h (pour traduire onmieux), et surtout
.' à ne pas lancer cguet à la place de evel. -
. Inutile de rappelet' que dazcor (et non daçzor) signifie
Restituer et non Effectuer, et que Guiryou-Irammet, néolo­
gisme de cabinet, signifierait plus vite les Droits-Charpentés.
Faute de connaître les œuvres de Boullé et de Lefebvre, je
m'en tiens au sens défavorable de rimadelt et de rimadeller .

va eontr ar lJ1idicin: Guilla ume-François Laennec, · établi

à Nantes, homme excellent et oncle judicieux, chez qui
Laennec vécut de 1788 à 180'1.

6. ' A son père (août 1807).

Va zad qer,
An Autrou Van-Des-Stein pehiny a zougo deoc'h al lizeric
ma mont a ra da Vrest evit guelet al' guer-hont ha listri­
brezel, tra pehiny n'en deus biscoaz guelet. An autrou-ze

studya a ra el' guir. eus al' vro flamancq eo, ha mal' el' vro-

bOnt, an ' oIl hêvel ynt dezan, tud ynt mad, gouïzyecq, ha
sevenri meurbed. Grit dezan, me ho ped, un digue mer mad,
ha mar hoc'h eus ur mignon bennac e vrest, roÏl dezan
lizerou erbed. .

ho briatât a ran va zad qer
ho map
18 mis eost (1) 1807

R. Th. Laennec D M P
A Monsieur
Monsieur Laennec .

Conseiller de Prefecture
à Quimper

finisterre

Mon cher père,

Monsieur Van-Des-SLein, qui vous porlera celte petite
lettre-ci, va à Brest pour voir cette ville et des navires de
g 'uerre, chose qu'il n'a jamais vue. Ce monsieur étudie en
droit. Il est de la Flandre, et si, dans ce pays-là, tous sont
comme lui, ce sont de braves gens, savants et fort honnêtes.
Faites -lui, je vous prie, un bon accueil, et si vous avez
quelques amis à Brest, donnez-lui des lettres de recom­
mandation.
Je vous embrasse, mon cher père.
Votre fils.
18 août 1807.

Uouquen lizerou, studia eT quiT et lizerou erbed sont donnés
par Grégoire sous pOTter, droit, recommendation. La phrase
sur les Flamands s'est trouvée trop compliquée; (maT d'eo
henvel outan an olt dud eus e VTO, ... ).

(1) Initiale, une sorte d'œ, résultant de aost d'abord venu sous la plume
de Laennec.

7. - A son père .

Lettre du 15 janvier 1808.

Début en français ..... .

Chetu ar c'henta deiz eus ar Bloaz so tremenet, ha n'em eus

qet c'hoas casset deoc'h va c'hoanchou evit ar bloaz man. al'

pez 011 eo' mad ha gounidecq deoc'h pe evit an en, pe evit an
amser, a reqedtan d'hoc'h, hà da va mam quer digant Douë .

" Suite et fin ' en franç" ais ....... .
Voilà que les premiers jours de l'année sont passés, et je
ne vous ai pas encore envoyé mes vœux pour cette année-ci.

Tout ce qui vous est bon et profitable, soit pour le Ciel, soil

pour le Temps, je le demande à Dieu pour vous .et pOUl' ma

chère maman.
Ignorance de ]a tournure kement a, (tont ce qni), . ..

8. Brouillon de lettre

à ses fermiers.
e Paris 23 miz-du ~ 810.
. ma mignoned

ann Aot1'ou Grivart a 1a1'o deoc'h ar konditionou ma fell
d'inn ganto, rei deoc'h ar ferm euz a gerlouarnek. me em
euz sonchet dinn e ve mad ive skrifa deoc'h var ann dra-ze,
·evit ma hellot komprenn guell a ze, ha guellet a zevri al' pez
vezo mad evidoç'h. r 1] (1) ..
me a fell dinn ma vevot evel ma Lere em douar, ha ma

ellotdiorrenn ho pugal\ e ha dastumi dan vez evito dre ho labour
hag ho kundu , vat. me a fèll dinn ive kahoud ar pez a appar­
chand ouzinn. me a sonch dinn e kavimp ann eil (2) re hag

al' re all ann dra ze el' konditionou a zo ama varlec'h. [2J

.. ' (1) Je numérote les paragraphes pour la commodité des notes ci-dessous.
\2) Le 1 est souligné, (1 mOl,lillé de Le Gonidec),

d'ar c'henta paea a renkot peb blbaz kant scoët hanter
kant. pep tra u veza sellet mad paea a rit mui brema.
rag roëd hoc'h euz d'am zad enn ur antrenn er merouri

, Dao

c'hant skoët pere rannet etre nao bloaz a rafe gand
ann interest, daou skoët ha ugent, eiz l'eal hag ur guennek,

evitpep bloaz. paea a rit eLa breman e guil'ionez daou ,
-skoet ha peval' real ouzpenn ar pez a c'houlennann digfmoc'h~

a hend a1l ma.r-d-e guell geneoc'h me a lezo deoc'h ar merouri
d'ar memez priz a 'baëit brema, -hag e root ' ive dinn , daou ,

c'hant skoët enn ur' antrenn e ferm. n'e ket re a dra zur. ur
merouri em euz e kichenn ponnabad hag a baë dinn c~huec'h _

skoët hag eiz ugent. Bea zo ennan foenneyer ha douàr ienn
kemend hag e Kerlouarnek pe dost-a-vad. hogenn n'euz
nemed pemzek devez arat a zouar tom. ann douar zo skaon '

meurbed ha na zoug nemet segal hag itu. falloc'h eo kalz
evid arre voassâ euz a gerlouarnek, hervez a lavare dinn ann '

denn iaouank a zo bet eet ganinn e Douarnenez, er bloaz
tremenet. al' merour gous coude en deuz dastumet pe a dra
aboue pemp ploaz varnugent e c'hounez ar me~ouri hont. n'en
doa nemed e ziouvreac'h pa c'hantreaz ennan ha brema en "
deuz danvez avoalc'h. guir e, ur gounid'ek kaer eo hag a ra
bemdez unn tam mad a labour. [31 '
d'ann eil (l) e-c'h-atretenod e stad vad ann tier blouz d'ho
mizou. me a fournisso hepkenn al' c'hoad. ha mal' be red obel'

unn doenn nevez, c'hui a fou l'llisso al' c'holo 011 hag a baeo
ann Doerienn. [4]
D'ann drede ; me a viro al' maner,ar jardrinn, al' verger, '
al' park bihann a zo e penn al' verger, al liorz guenann, ar ':
genldz uhellaff, hag ar genkiz izelaff, al leve, erfinn ann
tachennik douar ieon goul'izet gand unn turumel er c'horn
varzu ar goalorn euz ar Park ann introun. na ' ellot mui ta­
tremenn dre al' park bihann, na dre ar verger, c'h ui ervat. a

dremeno dre al' menez bihann evit mont da bark poul al' briz, :
da bark lannhad ha da bark ar Roz. [5 J

(:1.) Le lest souliS'ué.

d'ar bevare e tale'hot e stad vad ann oH gleuennou hag e
raparot memez anezo a nevez, mar deuont da veza diskaret
pe gand ar glao pe en ur ziskoultra guez, pe dre unn darvoud
aIl bennak. c'hui a stanko gand ur porz-raste)~ ann antre euz
ar menez bihann varzu leur al' feunteun. x me a fournisso al'
c'hoad x mar fell deoc'h stanka ann oH touliou karr gand
- porz-raste11ou me a roio koad ive. [6]

d'ar bemp'ed; epad ann daou bloavez kenta euz ar ferm,
c'hui a lakaï e stad vad d'ho mizou, ann darn euz a foennek
kerlouarnek a zo faHeet gand al lann hag ar brug; hag e
lekeodive e stad a foennek mat d'ho mizou ar prat bihann a
zo e kichenn ar c'hoad bihann. Ouzpenn e c'h-atretenod ervat .
pelloc'h ar foenneier ail, hag e viot dalc'het da renta anezo
er finn ar ferm e stad vad, hep brug na Jan n, didann boann
da lakàd ober d'ho mizou er bloavez diveza euz ar ferm, al'
pez a vezo red evit ann draze, ha meI]lez da lakat digeri ar
foenneier mar be ret evit laketariezo e stad vad [7]
d'ar c'huec'hvet, me a eHo lakat planta guez a hed ar prajou '
ar foenneier, hag ann douarou ienn. me a ello ive lakat da

blanta guez-kraounn a hed ann tirienn varzu sao-heol euz a
bark ar l'OZ, euz a bark poul ar briz, hag euz ar park uhellaf..

. me a lakaï ive, mar fell deoc'h, guez avalol! er parkou douar
tom nemed ma blantod anezo, ha ma ho pezo evez razo. me a
fournisso ar guez, c'hui a lq,kaï ho poann,' hag e rannimp ar
froueziou mar deuont da zougenn avalou avoalc'h abarz finn
ar ferm. na c'houlennann mui deoc'h da ober touliou evit al'
guez a fell dinn da blanta hogenn_ dalc'hel e viot da lakat
spern var dro ar guez ha da zivoal anezo ouz h, o lônet ; didann

boann da blanta guez al d'ho mizou e lec'h ar' re a ve diskaret
pe gignet gand ar zaout. [8] : .
d'ar seizvet, na e110t mui sevel moudet divar ann douarou
ienn nag enn deonn divar leur ar feunteunn. na ellot muged
brema dizkoultra guezenn ebet. me a roio deoc'h ato teir
gordennat koat peb bloaz evel kent. [9J

ar muzulaichou douaI' em ' euz grœt varlene e kerlonarnek a

vint Jekeet hed a hed el Iizer fr.rm nevez. hogenn evit ma
gOllsto nebeut.oc'h deoc'h al lizer ferm, ne viot ketdalc'het da
rei dinn ur c'hopi anezan. [lOJ

chetu enD al' konditionou ma roin deoc'h enno ar ferm.

me gaf dinn e-z-int lea1. ann dOl1arou a fPolI dinn da viret

ouzpenn ar re a zo bet miret diaguent na zoug nemed unn
tamik guieod ; hag enn deon n c'hui a brofito marteze pelJ
amser c'hoaz euz al' verger pehini zo ar vella lodenn euz ar
pez a virann. Rag nemet ma teuinn da chomm e Kemper pe e
Kerlouarnek, pe da rei al' maner hall, ar pez a virann 'e ferm
da unan bennak, na verzann ket ouzoc'h na reod ho profid

euz a froueziou ar guez hag enn deonn euz ann douar miret ' .
ganinn. + [11 ; + renvoie au post-scriptum, § 16.] .

ne lammann digenoc'h nemed unn hanter-zevez arat pe
dost-a-vad ; chomm a rai doc'h douar àvouàlc'h da labourat, .
hag e c'hellot a dia zur ober ervad hoc'h affœrou mar fell
deoc'h atreteni al' foenneier, hada melchenn, irvinn.· avalou
douar, ha guieod-!!all evit boeta ho saoud, ha gahout mui a:

dei! (1) aze. ur goal giz eo e breiz-izel, le'zel al Jonet peuri enn .
dOllarou frost hag el' parkou letonn e pere ne gavont nemed

unn heubeudik peurvann hag aliez fall c'hoaz, e lec'h hada
fouraichou ha miret al' chatal el" staôl da obr.i' teil (1) .
. avoualc'heo lakat allôned enn ur park bennak bemdez epad

diou pe dêir (21 eûr, da ruila ann ear evid 0 iec'hed. al' menez
bihann a zerviche ervad evid an draze e kerlouarnek,hag énn

deonn e teue gandann amser ar park hont da veza mat da
labourat, pa ve guelleet gand. al' bouzeul a ve lezed ennan
bemdez gand ar zaou't. [12J

Bea zoe kerlouarnekar pez ne (3) gaveur e nemeu.r a

(1) l souligné.

(2) L'accent circonflexe couvre les deux voyelles, pour signifier diph.
tongue? .
(3) Il faudrait a.

. , 1 1 8
il. 1 1 Cl

. Jec'hiou. Bezinn hoc'h euz enn ho kichenik, pehini zo unn

teU (1) ar guella e c'heller da gahout. hoc'h euz ive e palud al'

Riz treaz sec'h hag a dal mui eged an tei! (t) evit druzaad

unn douar re bounner, pe re briek. [13J
, ouzpenn ar konditionoù em euz scrifed ama diaraôk (2), na

refusinn bikenn deoc'h netra euz a gemend a vezo just ha

detead. ann aôtrou (2) grivart en deuz lavaret dinn penaôz (2) ,
ar voazkell en doa izom ' a reparationou. me lakaï da obel'
abarz ann han, mar rafe ur guez bennak gaou d'ann douar

leveret d'ann aôtrou grivart hag e lakaï da zjzkoultra pe enn
deonn da bilat anezo mar de ret. [14]
me a zo bet droukkounntant ac'hanoc'h, pa ead ounn e
kerlouarneck. re azouar e lezid e letonn, ha ne atretenit ked
ervad ar gleuzennou . gouzkoude 0 veza ma em eu' z guelled
e-z-ouc'h tud vad, ha rie garann ked cheinch a verourien,
gbell eo ganinn lezel ann douar deoc'h eged rei da re ail . ne
rit' ket ec'hiz al Jabourerien fal pere a zoujont da labourad

ervad ha da' zerc'hel ann douar e stad vad gand aonn na ve
kollet 0 poann pe na zeue 0 aôtrou da c'houlenn inui a archant
diganto. na choulenninn bikenn digenoc'h nemed ar pez vezo
just. setH vui e labourod ervat, hag e talc'hod e stad vad ann
doua'r, seul vui e vezinri douget da obel' ar pez vezo em galloud
,evid ho 'Iakâd e tail (3) da ober' guell hoc'h affœrou. n'em euz

è'hoand brassoc'h nemet da velet r 01.1, vell et] Tria merourien 0
pinvidikaatga'nd lealdet dre 0 labour hag 0 aked. mar-d-ounn
kounntant'ac'hanoc'h ar c'henta veich e-z-inn e kerlouarnek,
dà làvared eo. mar kavinn ann douar gounided evel ma renker,
ar gleuzennouhag ar girzier dalc'hed e stad, hagar guei

bihann a likinn da blanta divoallet ervêlt' diouz al lônet, c'hui
a vezo kountant ac'hanoun ive'.

(1) l souligné.
(2) L'accent circonflexe couvre les deux voyelles, pour signifier diph­
tongue?
(3) l soulig-né .

.u H 9 ,,'
DOUé r'ho viro' e iec'het c'hui hag ho pugale. (HS]
+ mar deuann da gahoud adarre ann tachenn douar ienn
e pehini ema ann hale hanvet kenkiz ann introneze~, hag a
zo brema dalc'het gand yaouenn Deredek, c'hui a ello ive
lakad ho lonet da peuri ebarz gand ma tivoallod ar guez
bihann e c'helfen planta gand spern. hogenn mar deufenn da
ober ur koad med enn tachenn hont na ellot mui lakad ho
lôned ennan. [161 '

Etats antérieurs de ce texte:

§ '1 : . grivart. .. gonditionou ... veso... .. § 2 : ..
evel ma zeo fla suite eût été « deread », comme il est conve­
nable) . .. me a gal' dinn hor bezo ann ... ann dra ze gand er
gonditionou § 3 : ... kant. n'e ket re a dra zur ; ha pep

. . , roët hoc'h ... zad e1' enn ur antrein... interest, pemp
skoët ha tri ugent,... daou skoet hag eiz . .. c'houlennann
dic'henoc'h ... antrein e ferm. me (la suite eût été « em

eu,z UJ'-merouri ; Laennec cha.nge la tournure ; plus tard il

loge ici en interligne la phrase « n'e ... zur » ) ... arre goassâ
... -- § 4 : . : . tier plouz. . . § ~ : . '.' ar verger, alliorz

( « al' park ... verger» est une addition en in terligne) . .. ar
c'henkiz ... hag al' c'henkiz ... ann tamik (le lopin) ... d'al'
park poul. .. , d'ar parle .. ha d'ar park. .. - § 6 : ... pe
en ur tœsonn a.lL aIl bennak ... feunteun. mal' ( « x me ...

c:hoad X)) est" une addition en inLerligne). . . § 8 : ... hag , .
ni e rannimp ... da zçiuguenn zougenn ... abarz find al' ferm.
na viot mui' c'houlennann mui. . . § 9: ... na ellot muged
evel brema (( brema » aurait dû disparaître avec evel) . .. -

§ 11 : .. Kerlouarnek, na versa (transporté plus bas, « na

verzann »). . . § 12: ... gand al' zaoud. § 13 : ... unn
deil. .. ive el' palud... § 14: .. scrived ... ur vezen
bennak ... livirit. .. ziscoultra. . . § 15 : ... pa eat ounn

e kerlouarnek. c'hui (la suite eût été « a lez re a zouar » ;
Laennec change la tournure) ... gouskoude pa (puisque) . .

, 20 ' ." 1 ru

verourien, me gav mui (je trouve plus) ... da: real: .. ket en
daatreteni ann douar. , .. vad rag (parce que) ... a' l'oann
mar teue pe na deuffe 0 aôtrou da lemeL al' teim diganlo pe

(à Leur enlever leur terme) .. . em c'halloud ... 0 finvidikaat. ..
hag ar c'haeoudalc'hed ... a (eU d'inn (que je veux) planter

. .. § '16 : ... ienn hag ... intronezed, hag a zo brr>ma,

c'hui a elio, hag ;l zo bremaetre ad ... iaouenn ... mar lell
d'inn . .. koad med ahant ..

Traduction:

A Paris 23 novem bre 1815.

Mes amis,
Monsieur Grivarl vous dira les conditions auxquelles je
veux vous donner la ferme de Kerlouarnek. J'ai pensé qu'il

serail bon également rie vous écrire à ce sujet, pour que
vous puissiez comprendre d'autant mieux, et voir avec ré-

flexion, ce qui vous sera bon. [1] .
Je veux que vous viviez comme il est convenable sur ma
terre, et que vous puissiez élever vos enfants et vous amas­
ser du bien par votre travail et votre bonne conduite. Je
, veux aussi avoir ce qui m'àpparLient. Je pense que, les uns
et les. autres, nous trouverons cela dans les conditions ci­
après. [2J

Premièrement, vous devrez me payer par an -cent cin­
quante écus. Tout ,bien considéré, vous payez davantage
maintenant. Car vous avez donné à mon père, en entrant
dans la ferme, deux cents écus, lesquels, répartis sur neuf
ans, feraient, avec l'intérêt, vingt-deux écus, deux francs,

un sou, pour chaque année; vous payez donc maintenant
en réaliLé deux écus; et un franc de plus que ce que je vous
demande. D'ailleurs, si vous le préférez, je vous laisserai
la ferme au même prix que vous payez maintenant, eL vous
me donnerez aussi deux cenls écus en prenan t la ferme.

Ce n'est certainement pas trop. J'ai une ferme près du Pout-

l'Abbé, qui me paye cent"-soixante-six écus. Elle comporte'
des prairies et de la terre froide autant que Kerlouarnek

ou peu s'en faul. Mais elle n'a que quinze journaux de terre

chaude. La terre est très légère et ne porte que du seigle et

du blé noir. Elle est bien plus mauvaise que les' pires de
Kerlouarnek, à ce que me disait le 'jeune homme qui m'a
accompagné à Douélrnenez, l'an dernier. Le fermier, cepen­
dant, a amassé de quoi depuis vingt-cinq ans qu'il cultive
cette ferme-là. Il n'avait que ses bras, quand il y entra, et
maintenant il a du bien à suffisance. Il est vrai que c'est un

bon culLivateur et qui abal chaque jour un bon morceau de
travail. [3J
Deuxièmement, vous en tretiendrez en bon étaL les chau­
mières, à vos frais. Je fournirai seulement le bois. Et s'il y
a besoin de faire une couverture neuve, vous fournirez Loute
la paille et paierez les couvreurs. [4J
Troisièmement, je garderai le manoir, le jardin, le verger,
le petit champ qui est au bout du verger, le courtil .

aux abeilles, le Plessis~Haut, et le Plessis-Bas, la Le-
vée (1), enfin la petite pièce de terre froide ceinte d'une

butte au coin nord-ouest de Pa1'c~an-Introun. Vous ne

pourrez donc plus passer par le petit champ, ni 'par le ver­
ger, .mais vous passerez par la Petite Mon Lagne pour aller
à Park Poul-ar-Bl'iz, à Park Lannhad eL à Park ar Roz. [5J
Quatrièmement, vous tiendrez en bon état Lous les fossés
et les réparerez même à neuf, s'ils viennent à être démolis,

soit par la pluie, soit par l'émondage des . arbres, soit par
quelque autre acciden t. Vous fermerez par une barrière

l'entrée de la Petite Montagne vers l'aire de la fontaine. Je

fournirai le bois. Si vous voulez fermer Lous les passages de
charrette avec des barrières, je vous donnerai aussi du
bois. [6J .
Cinquièmement, pendant les deux premières années de

la ferme, vous mettrez en bon état, à vos frais, la partie de
la prairie de Kerlouarnec qui est gâtée par la lande et la
(t) al Leve. Le Terre-Pleip? 011 piep faut-il y voir 1~ breton Leve! Rente,
Reyenu ? .

bruyère ; et vous mettrez aussi en état de bonné \prairie, à.
vos frais, le petit pré qui est auprès du petit bois. En outre,

vous entretiendrez soigneusement désormais les autres
prairies, et vous serez tenus de les rendre à la fin du fer­
mage en bon.état, sans bruyère, ni lande, sous peine de faire
faire à vos frais, dans la dernière année de la ferme, ce qui '
sera nécessaire pour cela, eL rhême de faire ouvrir les prai­
ries, si c'pLait nécessaire pour les meUre en bon état. [7 J
Sixièmement, je pourrai fair:.e plante:r des arbres le long
des prés, des prairies, et des terres froides. Je pourrai
aussi faire· planter des noyers le long de la terre en friche
vers le levant de Park-ar- Roz, de Park-Poul-ar-Briz et du
Champ-d'en-haut. Je mettrai aussi, si je veux des pommiers
. dans les champs de terre chaude, sauf que vous les plante­
rez, et que vous en aurez soin. ·Je fournirai les arbres, vous
mettrez ·votre peine, et nous partagerons les fruits s'ils
viennent à porter assez depommes avant la fin de la fer·me .
Je ne vous demande plus de faire des trous pour les arbres
que je veux planter, mais vous serez tenus de mettre de
l'épine autour des arbres et de les défendre des bêtes, sous

peine de planter d'aulres arbres à vos frais, à la place de
ceux qui seraient abaHus, ou écorcés par les vaches. [8] ,
Septièmement, vous ne pourrez plus lever des mottes sur
les lerres froides, ni spécialemen t sur l'aire de la fontaine .

Vous ne pourrez plus maintenant émonder aucun arbre" (1).
Jevous donnerai toujours trois cordes ,:le bois par an comme
auparavant. [91 .

Les mesures du Lerrain que j'ai faites l'an dernier à Ker­
louarnec seront mises tout au long dans le nouvel acte de
ferme. Mais pour que l'acte de ferme vous coûte moins,
vous ne serez pas tenus de m'en donner la: copie. [10J

Voilà les conditions auxquelles .i e vous donnerai la ferme;

je crois qu'elles sont loyales. Les terres que je veux garder

en sus de celles qui ont été gardées jusqu'ici ne portent

. (t) Cependant l'émondage a été prévu ci·dessus § 6. 11 eût fallu sans
aOl.l.te, ici, diskourra, Ebrancher.

!ft li.:

qu'un peu d'herbe; et précisément vous profiterez peut-~tré
longtemps encore du verger, qui est la meilleure partie de

ce que je garde. Car, sauf si je viens à babiter Quimper ou
Kerlouarnek, ou à. affermer à quelqu'un le manoir et ceque
je garde, je ne vous défends pas de faire ' votre profit des
fruits des arbres et spécialement de ceux de la terre
que je garde. + [1t J "
Je ne vous relire qu'un demi-journal ou à peu près; il
vous reste assez de terre à t.ravailler, et·vous pourrez, cer­
tainement, bien faire vos affaires, si vous voulez entretenir

les prairies, semer du trèfle, des navets, des pommes de
terre, et du gazon-français (1) pour nourrir vos vaches, et
avoir d'autant plus de fumier. C'est une mauvaise babitude
en Basse-Bretagne, de"laisser les bêtes paître sur les terres

en friche et les champs en jachèrt>, où el1es ne trouvent
qu'un peu de pâture et.souvent mauvaise encore, au lieu de
semer des fourrages et de tenir les bestiaux à l'étable à faire
du fumier. C'esL assez de mettre les bètes, dans quelque
champ, chaque jour deux ou trois heures, à humer l'air

pour leur santé. La Petite Montagne servirait bien à ceL
usage à Kerlouarnec, eL précisément avec le temps ce champ
deviendrait bon à labourer, quand il. serait amélioré par la
bouse que les vaches y laisseraienL chaque jour. [12J
Il Y a à Kerlouarnek la chose qu'on trouve en peu d'en­
droits. Vous avez du goémon auprès de vous, qui est un
fumier le meilleur qu'on puisse avoir. Vous avez aussi au
marais du Ris du sable sec, qui vaut tTIieux q.ue le fumier
pour graisser une terre trop lourde ou trop argileuse. [13]
En dehors des conditions que j'ni écrites ci-dessus, je ne
. vous refuserai jamnis l'ien de tout ce qui sera juste et con­ venable. Monsieur Grival'I. m'a dit que le pressoir avait
besoin de réparations. Je les ferai falee avant l'été; si quel­
ques arbres faisaient du tort à la terre, dites-le à Monsieur

({) Je Re sais pas identifier cette plante. C'est peut-être le gazon"anglais,
qui est un excellent fourrage. L'injustice de Laennec à l'égard de la
langue anglais/'! (Grammaire de Le Gonidec, Préface) autorise à supposer
qu'il a cru bop. de retirer à l'An!5leterre son !5azon. ....

' :: 1_~ es

Grivart, et il les fera émonder,
ou même abattre, si c'est
nécessaire. [14J .

Je n'ai pas été content de vous, quand j'ai été à Kerlouar_
nek. Vous laissez t.rop de terre e:l jachère, et vous n'entre-

tenez pas bien les fossés. Cependant, élan t donné que j'ai

vu que vous êtes de braves gens, et que je n'aime pas chan-
ger de fermiers, j'aime mieux vous laisser la lerre que de la
donner à d'autres. Ne faites pas comme les mauvais tra­
vailleurs qui craignent de travailler pour de bon et de tenir

la terre en bon état, de peur que leur peine soit perdue ou
que leur propriéLaire vienne à leur demander plus d'argent.
Je ne vous demanderai jamais que ce qui sera juste. Plus
vous travaillerez pour de bon, el tiendrez la terre en bon
état, plus je serai porté' à faire ce qui sera en mon pouvoir

pour vous mettre en état de bien faire vos affaires. Je n'ai
pas de plus grand désir que de voir mes fermiers s'enri­
chir honnêttnnen t par leur travail et leur zèle. Si je suis
content de vous la première fois que j'irai à Kerlouarnec,
c'est-à-dire si je trouve la terre eultivée comme il faut, les
fossés et les haies tenus en état, et les jeunes arbres que
je ferai planter protégés uontre les bêtes, vous serez contents

de moi aussi .

Que Dieu vous garde en santé, vous et vos enfants! [15]

+ Si je vidns à ravoir, la pièce de terre froide où est
l'allée nommée le Plessis des Dames, et qui est maintenant
tenue par Yaouenn Dérédec, vous pourrez aussi mettre vos
bêtes à paître dedans, pourvu que vous préserviez les jeu­
nes ar-bres que je pourrais planter, avec de l'épine. Mais si

je venais à faire Un bois-taillis dans cette pièce-là, vous ne

pourriez plus y mettre vos bêtes. [161

Kerlouarnec est une terre noble en Ploaré, au sud du pla­
teau que domine l'église. Laennec aura sans doute trouvé
dans l'héritage ce ton 'de patriarche, d'« aôtrou )), qui d'ail­
leurs ne déplaît pas, soutenu, comme il est, de justice et de

bon sens.

On sent l'énorme distance de cette pièce aux autres. S'il
est probable que certains mots ont été pris dans le diction­
naire, 'rufla [12J, koad-med [1G], ... l'état du manuscrit, qui
est précisément un brouillon, montre assez que les tournures·
. bretonnes abondent maintenant dans la mémoire de Laennec .

Certes le barbarisme n'est pas introuvable: touliou [6J; ni le
solécisme : daou skoè't ha ugent [3J à côté de pemp ploaz var­
nugent [3J, d'ho mizou [4, 7J au lieu de diwar ho koust,
goulenn d' eoc' ft [8J à côté de goulenn digeneoc' h [HS J,
ur guez bennak [14J au lieu du singulier qui est de règle ur
vezenn bennak, nemet ma teuinn ... na verzann ket ouzoc' h

na reod [11J verbes à l'indicatif au lieu de verbes au potentiel '
nemet ha teufenn ... ne verzann ket ouzoc' h e r.atec' h, et na
el/ot [16J au lieu du potentiel heLLlec'h qu'appelle le potentiel
mar fieu/enn; il Y a des confusions: guell a ze [1 J, aze [12J
employés au sens de « d'autant mieux ll, « d'autant plus »,
ouzpenn [3J au sens de «( en tu a1l da ». Mais les mutations
sont bo. nnes, malgré quatre ou cinq inadvertances: 0 poann
[H>] a d'abord été 0 foann; les pluriels difficiles sont
justes; les conjugaisons variées sont opportunes; l'emploi
des prépositions s'améliore: berza ouzot/h [t 1 J; je crois que

pehini, pere, n'apparaît que cinq fois, dans ce long morceau,

au profit de tournures plus populaires. Pas de purisme, ou

involontaire. Clarté générale d'un style aux phrases quelque-
fois assez longues.
L'orthographe de ce dernier texte est celle de Le Gonidec.
Et ceci suflirait à nous indiquer la grande influence qui dans
l'intervalle de 1808 à 1815 a efficacement secouru les efforts
d'abord isolés de notre savant étudiant. La Grammaire de
Le Gonidec avait paru en 1807. Notons-le, cependant,
Laennec, pour moins effaroucher ses fermiers, tempère les
principes du « législateur» : il masque le w, écrit voazkell,
zi'/Joal, a'/Joalc' h, varzu ...
Après avoir apporté des précisions sur les premièrès études .

bretonnes de Laennec, il reste à rappeler ses relations aveè
des celtisants célèbres et le peu qu'on sait de ses idées per.
sonnelles.

9. Suite des études celtiques .

La pré/aci: que Le Gonidec préparait en 1838 pour la réé,
dition de sa (;TammaiTe a uH important témoignage sur
Laennec: « Peu de personnes savent que le célèbre docteur
Laënec employait le peu de loisir que lui laissaient les tra­
vaux de son art · à l'étude de la langue et de la littératur~ '
bretonne. Il avait adopté avec enthousiasme mon nouveau
système d'ortJ:lOgraphe philosophique, et il entretenait avec
moi une correspondance qui m'était bien précieuse . et bien
honorable. Il e'xiste à la bibliothèque de Quimper un exem-
plaire de la première édition de ma Grammaire, à laquelle il
avait joint, à chaque feuillet, une feuille de papier blanc pour
y consigner ses observations, qu'il ne manquait pas de me
communiquer. » (p. xv). ,

Suit; dans la préface de Le Goni,dec, une copieuse note de

Laennec même, p. XV-XIX. Laennec regrette que le clergé ne
se soit pas davantage mis en état de parler et d'écrire cor-

rectement le breton; l'a. Marigo est un exemple d'écrivain

corrompant le breton par l'introduction inexperte de gallicis-

mes, et l'a. Charles Le Bris, par les irrégularités d'une langue \
d'ailleurs puisée aux bonnes sources. Selon Laennec Ja divi­
sion dialectale du breton est due à J'introduction maladroite
des gallicismes; ({ La différence des dia lectes n, dit-il, « n'em-

pêche pas deux hommes qui savent bien leur langue de s'en-
tendre. J'ai vu, réunis dans un hôpital à Paris, des conscrits
de tous les cantons de la Basse-Bretagne; je leur parlais bre­
ton de Léon; ils m'entendaient parfailemenLLes Vannetais
et les Léonais s'entendaient fort bien, et la grande différenc'e
de leurs dialectes ne les obligeait qu'à se répéter de temps en

temps mutuellement quelques mots, ou à changer de tournure
de phrase, quand ils avaient de la peine à être pleinement
compris. Je suis persuadé que si l'alLération de la langue est
propagée encore par les ecclésiastiques, la même chose ne se
renouvellerait pas dans cent ans, et que bientôt on ' ne pour-
rait plus transporter un curé d'une paroisse dans une autre. »

Le dialecte qu'il recommande comnw méritant le mieux d'être

enseigné par principes dans les séminaires est le léonais. ,
. C'est dàns son service temporaire à la Salpétrière en 1814,

que Laennec avait eu l'occasion de causer en « celto-bretoD » ,
avec des soldats.
Je souhaite que soit retrouvée la grammaire de J 807 annotée
par Laennec, et que soit mise au jour la correspondance avec
Le Gonidec. Je doute d'ailleurs ,que Laennec ait pu ' signaler
à Le Gonidec des faits linguistiques dont l'édition de 1839
porterait la trace. Nous n'avons là-dessus qu'une assertion
très suspecte, commerciale et . contresignée de La Villemar­
qué : « la présente édition de la Grammaire », lit-on en aver­
tissement à la réimpression de 18;50, en tête du Dictioniwire
breton-frança.is, « est augmentée de plusieurs matériaux dus '
à l'obligeance de l'illustre docteur LAENNEC, qui était aussi
bon philologue que grand médecin, et l'auteur les a fondus
dans son ouvrage ». En réalité J'édition de '1850 est identique
. à celle de 1839, et dans celle-ci Le Gonidec ne signale pas

. qu'il doive à Laennec autre chose que ce qui me semble vrai-
semblable, des vues historico-sociales ingénieuses, ou des

exigences de clarlé didactique. N'exagérons pas l'érudition .
grammaticale et le génie historique du grand médecin. .
Trois mois avant sa mort, Laennec écrivit à Eloi Johan- .

neau, le célèbre celtologue qui avait en 180;5 tracé le pro- .

gramme de l'Académie Celtique, une lettre qui était devenue
en 1884 la prop~'iélé du Dl' Charcot. Le professeur Potain, à .
rinauguration de , son,cours de clinique de 1883 .. 1884, en donna ;

lecture. En voici le texte d'après la Gazette médicale rie Nantes
du 9 janvier 1884 :

Paris, 6 mai 1826 .

Monsieur,

Vous avez dû trouver bien étrange le long silence dans le-
quel je suis resté vis-à-vis de vous, et je ne puis m'en excuser
qu'en vous en exposant les causes. Notre ami commun M. Le
Gonidec s'était trompé et sur ce que vous lui aviez dit et Sur
ce que je lui avais dit moi-même. Je me suis amusé à bâtons
rompus plutôt qu'occupé de philosophie celtique et actuellement
surtout je ne puis pas même y penser. Vos deux lettres m'ont
trouvé dans ce qu'on appelle un coup du leu. Habituellement
occupé par deux chaires de . médecine et les consultations, de '
manière à n'avoir pas chaque jour une heure à donner aux

correspondances, j'étais en outre au plus fort de l'impression
d'une nouvelle édition de mon TTaité de l'auscultation ou

plutôt d'un nouvel ouvrage sur le même sujet. Obligé de taire

du temps, puisque je n'en avais pas, j'ai dû prendre surJl10n
repos, refuser de faire plus de deux oU trois consultations
par jour, et renoncer à toules correspondances.
Au milieu de ce travail excessif et à peu près à l'époque où .
M. Le Gonidec est venu à Paris, me sont survenues des diffi­
cultés avec l'Administration relativement à un dessèchement

que j'ai fait en Bretagne, ce qui m'a encor~ emporté beaucoup
de temps. A ja fin, j'ai succombé à ce travail excessif, et
depuis trois semaines, je suis obligé de garder la chambre; je
corrige aujourd'hui les dernières épreuves de mon Quvrage et

je commence par vous à réparer mes lorts envers les personnes
qui m'ont écrit depuis quelques mois et auxquelles je n'ai
pu répondre .
Je vous demande pardon de tous ces détails, mais j'ai cru
devoir y entrer pour vous prouver que mon silence n'a pas

:serais allé moi-même vous porter ma réponse à Montreuil.
J'aurais eu un très grand plaisir à renouveler connaissance
;avec vous et à causer de ces études dans lesquelles vous avez

pénétré beaucoup plus loin que moi. Je ne sais q.ue nos deux
,dialectes d'Armorique, Je lis la Bible galloise. J'ai parcouru
l'A rcheologia britannica ' de Lloyd, ou vrage très précieux,
, en ce qu'il n'y a plus d'autres restes.du dialecte Cornouaillais,
- qui faisait la nuance entre le Léonais et le Gallois.

Si je ne crois guère que la philologie de Laennec ait égalé
·sa médecine, j'admets cependant comme vraisemblable que
ses progrès de bretonnant de 1815 ~ 1826 fu'rent encore plus
satisfaisants que de 1805 à 18'15.
S-es premiers travaux en ce genre nous amusent par leur
ressemblance avec ceux de tous les élèves de breton: le grand
esp rit a les mêmes difficultés que le commun; mais il s'en­
tête ; et c'est ce qui le grandit. Le caractère spécial des _
. principaux essais bretons de Laennec a en outre de quoi
instruire notre volonté; je veux parler, à côté de l'en thou- .
-siasme celtique, de cet esprit sérieux q'expérience et d'appli-

cation: le jeune Quimpérois, du moment qu'il apprend sa
-langue nationale, veut s'en servir avec son père, avec ses
fermiers, pour la vie pratique.

Libre au recteur de Ploaré, l'abbé Guezengar, de se plaire,
(ROUXEAU, p. 261), à déclarer que le Docteur n'en tend pas la
~angue qu'il a apprise dans les livres; Laennec, du fond de
'son cabinet parisien, donne un grand exemple à beaucoup de
. Bretons.

10. Bibliothèque bretonne .

Outre les ' ouvrages mentionnés dans les lettres, Laennec a
~u en mains les huit pièces de poésie suivantes, actuellement
{lropriété de M. de Miniac: .

. 1 Cl Ch ansOri ar big, var un ton ancien. . 36 vers.; ter v'ers ::­
« Demezelet an aotrou Tanguy». Copie d'une pièce imprimée: ..
chez Lédan. . .

· 2° r;hanson nevez 'composet var sujet eur chimiad etre'~
deunden yaouanq a escopti treguer, var un ton divertissant. '

139 vers; 1

vers: Bonjour deoc'h, va Mestres, deut Oun ...
c'hoas d'ho quelel ; ». .

Guers neve. Var sujet ~ur vagad tud a so bet beuzet 0 '

sor'tial eus a vontroulez al' 27 e' us ct vis guengoto 1817, euit
mont da/oar vikel da Lannion, 124 vers; 1

vers: «Spe- .

ret-santel hac adorabl, ».
4° Sur Rohan. 7 couplets de 8 vers· 1

vers: , « mar-
pliche gand Doué ». Chanson chouan ne, suivie des lignes.

suivantes:

· c( Monsieur noüeL.al'honeur de presenter son homage à
Mde de La villeneuve, et l'a prie deVouloir bien pour l'avan-.
lage deses compatriôtes, [ici: La renvo, biffure] faire passer '

cette chanson au C .. le brigand. D . epositaire dela langue

primitive, pour etre par luy corrigée, & ortographié, d'appres.
Les principes dela premiere langue du monde M Noüel,'.
nayant mal'heureusm

pas. (par le defaut deson Education) .
Les connoissances necessaires pour cet important ouvraje. ,

ce 3i Ld

p 1803. »

5° C'etoit un petit Bonhomme qui s'appeLloit guilleri. -:-.
9 couplets de '10 vers; 1

vers: « bez oa ur potriq bian ».

Traduction de. la Romance d'imogine. 10 couplets de--
8 vers alternativement de 8 et 9 syllabes; 1

" vèrs: (c Ret eo
a lavare gueichallii Rolland de c'hrœq Tener isabel ») ; à la
fin : « (x) note. Les noms de A Lonzo & Imogine étant incon­
nus aux bas bfetons on a cru pouvoir y substituer ceux de
Roll"tJ.nd & isabelle. qui leur sont familiers, et qui son t égaIe-­ ment Romantiques ».

7° Test Roué Irans [ .. , ] . ~Q strophes, '100 vers; 1 er vers:

« Tostaëd coz a Iaouanc Bellehien a Noblans ».

8° Egloghen quentant deus Virgile Laqueet en Bresonnec. -

134 vers; 1

vers: « Dindan eur voén fo gouloët à zëillo, ».

La langue est trécoroise.
Enfin parmi les papiers de Laennec se trouvai t un Avis d'ar
labourerien, imprimé à Quimper en - 1820, 13 pages petit in-16 ;
J'exemplaire porte des retouches manuscrites; je me suis

demandé si Laennec n'en était pas l'auteur. L' « avis» donné
aux cultivateurs est de semer beaucoup de trêtle; le goémon
est vanté comme engrais; ces deux idées concordent avec
celles de la lettre de Laennec à ses fermiers [t2, 13J. Mais
l'orthographe du livret n'est pas celle de Le Gonidec, Il est
seulement possible'que Laennec ait fait partie de la « Societe
furmet e Qemper », qui, pour encourager la culture du trêtle,

tenait « magasin» chez Madame Flamant « var Placen Douar-
an-Duc» .-

GASTON ESNAULT.

p, S. En ce mois de juillet. '1919, centenaire de la pre-
mière édition du Traité de l'auscuJtation, (dont la dé-dicace

latine est datée « '12° calendas sextiles 1819 », c'est-à-dire 20
juillet '1819), M. le Chanoine Abgrall a bien voulu revoir à la
bibliothèque municipale de Quimper le Dictionnaire et la
Grammaire de Le Gonidec qui porten t l'ex libris de Laennec:
point de feuillets blancs interfoliés! L'exemplaire dont parle­
Le Gonidec, (voir ci-dessus, p. '127

, a-t-il existé? Est-il
conservé autre part?

ATA

Lettre de Laennec du 27 août 1805, 2

alinéa, 1. 3:

« début Ji, lire C( debut »0

Lettre du 6 mai 1826, 1

alinéa, 1. 8 : cc coup du leu n,
lire C( coup de leu J) ; 2

alinéa, 1. 5 : cc et )), lire CI et, ».

DEUX1ÈME PARTIE

publiés en 1919

1 Les trou pes de guerre àLesneven sous Louis XIV
par l'abbé G. PONDAVEN. . . . . . . . . .
/ Il Etablissement gallo-romain de GOfré-Ploué en

Plouescat par le chanoine ABGRALL (2planches)
III La révolution en Bretagne. Les derniers Monta­
gnards 1795 (suite) par PRo HÉMON. . . .
IV Laënnec bretonnant par GASTON ESNAULT. . .

V Excursion à Quimperlé par le chanoine ABGRALL
VI Etablissement gallo-romain de Pors-Guen en

. Gouesnac'h par 1. OGÈs. . . . . . . . . .
VII La chapelle Notre-Dame de Kerinec et les hôpi-

taux des chapelles bretonnes par H. WAQUET
(1 planche).. . . . . . . . . . . . . .
VIII Un jeune matelot bigouden otage de corsaires

jersyais (1744-17 t8) par LE BOURDELLÈS. . .

IX Importance archéologique de la région de la

presqu'île de la Torche par le commandant
CHARLES BÉNARD, l'abbé FAVHET et GEORGES
BOISSE LIER.. . . . . . . . . . . . . .
X Note sur le squelette exhumé à Roz-en-Tremen
dans la région de la Torche par le docteur
LAGRIFFE ... . . . . . .. . . . . . . .. .
XI L'enseignement de la langue bretonne par L.
OG~:S. .. .. . .. .. .. .. .. . .. . .. .. .. ..

XlI Discours de M. le PRÉSIDENT. .

PAGES

133
150
153
168
172
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197
205