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Bulletin SAF 1919


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Etablissement gallo-romain de Gorré-Ploué en Plouescat

Chanoine Abgrall

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1919 tome 46 - Pages 32 à 97

orr -

en -PLOUESCAT (Finistère

L'établissement Gallo-Romain de Gorré-Ploué, en Plouescat,

a été l'objet de deux rapports descriptifs, l'un daté du

30 mars . 1914, l'autre du courant de 19H5, adressés à la
Commission des Monuments Historiques pour signaler l'in­
térêt de ces substructions et l'utilité d'une exploration métho­
dique. L'un et l'autre ont eu pour résultat le classement de
ces substructions et le vote d'allocations successives pour en
faire l'exploration et pour établir une palissade défendant ces

maçonneries mises au jour, contre les dégradations des visi-
teurs trop indiscrets ou des individus malveillants .
Pour répondre à la générosité du Ministre de l'Instruction
Publique et des Beaux-Arts qui a accordé ces subsides, il est

bon de montrer l'importance de ces restes de construction
ancienne et d'en faire une description détaillée. Cette descrip­
tion aurait dû être faite depuis longtemps; mais les préoccu-

pations de ces quatre années de guerre ont fait craindre que
l'attention ne s'y portât pas suffisamment et ne diminuât

l'intérêt qu'on devait y attacher. .

Pour commencer par le commencement et pour que la no-

tice soit complète, je crois devoir reprendre les premières
lignes du premier rapport qui 'a figuré dans notre Bulletin de
la « Société Archéologique du Finistère ,), annexe au procès­
verbal de la séance. du 26 mars 1914, page XX :

Dans les derniers jours de février 1914, la « Dépêche de
Brest» et les journàux locaux signalaient la découverte de ves­
tiges de construction ancienne dans le champ de C0z.-feunteunic, .
(champ de la vieille fontaine), appartenant à M. Jean-Marie
Le Saint, de Gorré-PLoué-Izella, à un kilomètre et demi,
sud-Est, du bourg de Plouescat. Empêché de faire le voyage en
ce moment, je me mis en correspondance avec quelques per­
sonnalités de l'endroit qui nie fournirent des détails indiquant
l'importance de ces vestiges et l'intérêt scientifique qu'ils
présen taien t.
Dès qu'il me iut possible de prendre un jour de congé, le
20 mars, j'allai constater sur place l'état et la nature de ces
restes, et je me réjouis du résultat fructueux de mon dépla­
cement.
A l'angle Sud-Est du champ se trouvait un tertre de faible
hauteur, couvert de gazon mais non cultivé, tout composé
qu'il était de pierres, de briques et de tuiles. La nature un p , eu
merveilleuse de ce tertre n'était pas sans avoir été remarquée
par les gens du voisinage; quelques éboulements avaient pu
y faire observer des cavités, et quand un enfant n'était pas
sage ou obéissant, on menaçait de l'enfermer dans le trou du
coin de parc-coz-feunteunic. . ,
Au commencement de février, le propriétaire, Jean-Marie
Le Saint, voulant étendre sa culture et utiliser ce bout de
terrain improductif, se mit en devoir qe le défricher et entama
le côté Ouest du monticule. Il démolit un mur ou plutôt un
double mur s'étendant sur une longueur d'environ 15 mètres
et se retournant d'angle droit à chaque extrémité, comme
pour former le pourtour d'une construction. Dans l'intervalle,
Wrencontra encore deux murs de refend, des pillettes de bri­
ques soutenant un pavé et certaines autres particularités qui
l'étonnèrent fortement et lui firent voir que son travail serait
bien long et de peu de profit. Ces caractères un peu étranges atti­
rèrent la curiosité du public, la démolition s'arrêta, et c'est en
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XLVI (Mémoires) 3

cel état que je trouvai les choses à ma première visite. Je pus
reconnaître la place d'un ancien foyer ou fourneau, l'existence
d'un hypocauste en partie démoli, une bonne surface du pavé
qui le surmontait, toutes choses indiquant un monument dont
l'étude offrirait de l'intérêt. .
Jusque là il n'y avait pas de grands dégâts à déplorer, mais
lorsque, trois mois après, un subside ayant été accordé, il
devint possible de penser à une exploration, les visiteurs, les

curieux, les gamins, avaient commencé leur œu vre néfaste de
dégradation. La particularité la plus curieuse et la plus im-

portante de la trouvaille, l'hypocauste, conservé presque in:'
tact, avait été en grande partie saccagé et détruit, il n'en l'es­
tait plus que quelques piles de soutènement et la valeur de
deux mètres carrés du pavé qu'elles supportaient; l'arc en
briques faisant communiquer le foyer avec cet hypocauste

était démonté et anéan ti.
Il était temps de commencer les fouilles et le dégagement;
mais là encore on joua de malheur. Les dispositions prélimi­
naires avaient été arrêtées par notre confrère, M. Yves Le
Febvre, juge à Plouescat, tou t dévoué à cette œuvre et préparé

par ses études à mener à bien ces recherches. Les ouvriers
terrassiers avaient été choisis et l'on allait donner les premiers
coups de pioche quand la guerre éclata. M. Le Febvre fut mo­
bilisé et plus personne pour conduire et surveiller les travaux.
Il fallait marcher cependant, car tous les crédits alloués doi­
vent être utilisés avant la fin de décembre, sous peine de
ren trer dans les caisses du Trésor. '

En dépit de la distance qui sépare Quimper de Plouescat, je
me mets en route, je mène les trois terrassiers sur le chantier
et leur fais entamer la besogne. Au bout .de deux ou trois heu-
res, ils sont un peu au courant du genre de travail à exécuter
et ' de la méthode à employer: dégager doucement tous les
murs et toutes les traces de maçonneries 'qu'on rencontre, re­
connaître d'abord tout le pourtour de la construction, recher-

chér ensuite toutes les pièces formant la distribution inté­
rieure, rejeter au dehors les terres et les matériaux' qui les
encombrent, respecter toutes les maçonneries qui sont en
place, recueillir avec soin tous les objets qui oUrent un intérêt
particulier, vases, poteries, à l'état intact ou fragmenté, ins- .
truments de métal, fer, ' bronze, statuettes, fragments de
verre, monnaies, débris de cuisine et restes de repas, os d'a­
nimaux, coquillages, traces de cendres, etc. ; noter sur un
plan l'emplacement de chaque objet, en indiquant la date de
trouvaille ..

Toutes ces instructions leur sont données de vive voix, puis
laissées pàr écrit~ pour qu'ils puissent les consulter et s'en
pénétrer encore davantage. Une dernière recommandation:

ne rien brusquer, bien observer toutes les particularités,
avancer avec soin et lenteur .... A cette dernière prescription,
il faut reconnaître qu'ils se sont montrés fidèles, ce qui de

leur part n'était pas un sacrifice, et ce n'est qu'au bout de
quatre ou cinq mois qu'ils eurent terminé leur fouille.
En partant, j'obtins de notre confrère, M. Trémintin, Mairè
de Plouescat, la promesse qu'il visiterait assez fidèlement le
travail et qu'il aurait l'œil sur les trois ouvriers ; sa surveil- .
lance aurait son efficacité, d'autant plus que, constitué

trésorier de l'œuvre, c'est lui qui devait leur verser leur
salaire hebdomadaire.

Au bout de quinze jours, je me fis un devoir de refaire le
voyage pour me rendre compte de la marche du travail ; tout
allait bien, et surtout avec la lenteur recommandée. Je pus
donner quelques nouvelles instructions, relever le plan des
pa~ties dégagées,. ce que je continuai enlèui,te dans mes visites
successives que j'espaçai de mois en mois; et dès ce moment
je fis prendre une disposition qui devait avoir son importance:
1" déposer en un espace à part, contre le talus Sud du
champ, tous les débris de tuiles et briques que l'on retirerait
des décombres, et les classer par catégories de formes et de

dimensions, de manière à pouvoir se rendre compte de la'
quantité de ces matédaux qui avait été employée dans les

toitures ou dans la construction intérieure;
2° entasser dans l'angle Sud-Est les déblais extraits,
terres, pierrailles sans caractère et sans intérêt, ce qui avait
pour résultat de former un tertre ou petit belvédère, du haut
duquel on pourrait dominer et observer l'ensemble de l'édifice,
avec toute sa distribution.

Lorsque, au bout d'un certain nombre de mois, avec
quelques chômages, à cause du mauvais temps, les travaux
ont. été terminés et le tout déblayé avec soin, il a été facile
de prendre un plan exact et détaillé de toute 'la construction,
avec coupes sur différents axes, et c'est à l'aide de ces tracés
. que nous pourrons nous rendre fidèlement compte de ce
qu'était cet établissement.

Reportons-nous à la planche N° 1.

L'ensemble forme un rectangle ou même un calTé presque

parfait, un des côtés mesurant 1~ mètres 60 et l'autre 15 mètres .

Le bâtiment est divisé en neuf pièces par des murs de
refend larges de om 50 à Om 55. Au premier aspect on pouvait
croire qu'on se trouvait en présence d'une villa ordinaire,
mais à l'inspection de tout le dispositif on est amené à conclure

qu'il s'agit d'un baLneum, ou maison de bains dépendant d'une
villa importante qui devait se trouver à proximité .

Avant de décrire les pièces ou chambres d.ù rez-de-chaussée,
il importe d'examiner la partie qui est en sous-sol, du côté
Ouest, regardant la direction du clocher de Plouescat, ou plus
exactement l'anse du Kernic .

Dans la première pièce, dénommée chauffe'r'Îe dans le plan,
se trouvaient quatre pierres longues en granit, plantées debout
dans le sol et ayant une hauteur de Oro 50 ou Om 60, espacées

.. 81 ' 'E

entre elles de Om 70 environ. Entre ces pilettes, et tout autour,
était un grand amas de cendres et de charbons, indice certain
que c'était là un foyer ou un fourneau. C'est absolument ce
qu'on a trouvé et ce qui existe toujours , dans le balneum du
Pérennou en Plomelin, au bord de la rivière d'Odet. Derrière
ce foyer, le mur était percé d'une petite arcade de Om 60 de
largeur et autant de hauteur. maçonnée et voûtée en briques,
et destinée à laisser passer la flamme et la chaleur du foyer
dans la pièce voisine, qui n'est autre qu'un , hypocauste
(chauffage en dessous), c'est-à-dire une chambre de chauffe

absolument semblable à ce que l'on trouve dans tous les établis-
sements romains de tous les pays, et analogue à Cè que l'on a
trouvé dans notre département au balneum du Perennou et à
ceux de Carhaix, ainsi que dans le département voisin du
Morbihan, aux Bossenno de Carnac, explorés par M. Milnes.
C'est une chambre de 3 mètres de largeur sur 3

90 de
longueur, dans laquelle sont disposées, en damier, cinq séries
de sept pilettes en briques superposées qui, au moyen d'un
encorbellement, soutiennent un plafond fait de grandes briques
carrées de Om 66 de côté, lesquelles sont recouvertes d'une
chape ou pavé de béton, l'ensemble du plafond et du pavé
formant une épaisseur de Om 18. La chaleur intense développée
par la flamme passant dans l'intervalle de ces pilettes en 'brique,
portait ce pavé à une température très élevée et le rendait
presque incandescent, de manière à chauffer très fortement
l'air de la chambre supérieure, chaleur encore augmentée par
des sortes de radiateurs dont il sera fait mention plus tard.
A la suite de ce premier hypocauste s'en trouve un autre
de plus petite dimension, 3 mètres sur 3 mètres, et comprenant
vingt-cinq pilettes. Dans cette pièce la chaleur était moindre,
ayant dû subir une déperdition dans la première chambre.
POUl' que la chaleur et la flamme pussent se répandre ainsi 'et
suivre cet itinéraire et ne pas être refoulées vers lèur orifice
d'entrée? il fallait qu'il existât un appel d'air déterminant un

.courant; c'est ce que nous verrons en décrivant les piècés
qui surmontent ces hypocaustes.

. Arriv(}ns maintenant à ce qui constitue le rez-de-chaussée.
Et avant tout faisons observer que tout le bâtiment est entouré

d'un contre-mur de faible épaisseur et de faible hauteur, ne
dépassant pas le niveau du terrain extérieur, séparé du mur
du pourtour de la construction par un espace de Om 4Q ou Om QO
formant un caniveau à fond de béton concave, avec angles

arrondis et pente ménagée pour ramene'r toutes les eaux

pluviales à l'angle Nord-Ouest de l'établissement et les

déverser à distance au moyen d'une barbacane percée da ns

cet angle. Ce contre-mur et ce caniveau ont aussi pour fonction
d'isoler les maçonnneries de l'humidité du sol, humidité qui

était à craindre, car dans la saison d'hiver on voit l'eau sourdre
assez abondamment dans cette partie du terrain. Toutes ces
dispositions sont conformes aux règles de construction

préconisées par Vitruve. .
L'entrée était placée au milieu de la facade Est. C'est la

seule porte donnant SUl' l'extérieur, et c'est à cet endroit aussi
que se trouve le niveau le pl us haut du caniveau de circonval­
lation; c'est de là que partent les deux' pentes opposées.
Le seuil de cette porte est formé d'une seule pièce de granit
longue de 'lm 40, large de Oro 2Q et haute environ de Om 20.
En dehors des quatres pilettes de pierre fichées en terre à
l'entour du foyer en avant de l'ouverture de l'hypocauste, et
que nous avons déjà signal.ées, c'est la seule pièce de granit

_ de grande dimension qui se soit rencontrée dans tout le
bâtiment, et ce qu'il y a encore de particulier dans celle-ci,

c'est que ses deux angles supérieurs sont abattus en chanfrein
ou plutôt en gorge avec congé d'arrêt près de chaque extrémité,
ce qui lui donne presque le caractère d'un long bloc ' faisant
partie d'un monument du Moyen-Age . .
Cette porte donne entrée dans un vestibule ou al1'ium, et

ce vestibule n'~ d'çlCcès que sur la pièce centrale, laquelle

semble ne pouvofr être autre chose qu'un compluvium ou
courette intérieure à ciel ouvert, recevant l'eau du ciel et aussi

les eaux déversées des toits des autres pièces qui l'environnent.
On arrive nécessairement à lui donner cette détermination,
car elle ne pouvait être éclairée par aucun jour latéral; il

fallait qu'elle reçût la lumière d'en haut, c'est à dire qu'elle
fCIl dépourvue de toiture. Ce qui milite encore en faveur de
cette opinion, c'est que le pavé ri'est pas absolument horizontal
mais qu'il y existe une faible pente ménagée à dessein pour

amener les eaux dans un angle où elles descendent dans un
petit canal pratiqué sous le pavé, lequel les conduisait au

caniveau extérieur.
Ce compluvium avait deux autres portes donnant accès
dans les pièces du Nord et du Sud. La porte Sud avait été
originairement faite aussi large que celle du Nord, c'est-à-dire
à la mesure de lm 30 ; il semble que, après coup, on l'ait
trouvée trop large, et on l'a ramenée à la mesure de ' 1 mètre

moyennant un remplissage latéral en briques .

Quel était l'usage de la chambre Sud à laquelle on accédait
par cette porte, et quLmesure 3

'10 sur 2

76 ? Il semble
qu'elle n'a guère ' dû servir que de passage pour descendre à la
chaufferie par . trois marches dont o[). a trouvé les vestiges,

puis pour pénétrer dans une autre chambre plus isolée formant
l'angle Sud-Est et qui devait être une salle de repos après le

le bain, ou une salle de massage, ou encore ce que les anciens
appelaient l'Unctarium, local où l'on se faisait frotter d'huile
et oindre de parfums.
La chambre qui s'ouvrait sur le Nord du compluvium ne
pouvait être autre que le Frigidarium, ou salle froide, située
entre la piscine d'eau fraiche et la salle tiède ou Tepidarium.
Pour passer dans la piscine, située dans l'angle Nord-Est, il
il Y avait une porte à seuil surélevé de Om Mi, puis on descen­
dait dans l'eau moyennant deux autres marches, hautes de
Oro 45, qui pouvaient aussi bien servir de sièges aux baigneurs,

disposition qui permettait d'avoir une profondeur d'eau · de

30 à lm 3~. Les parois de cette piscine étaient revêtues
d'un enduit de ciment épais, très dur et bien lissé ; et afin
d'obtenir une parfaite étanchéïté et obvier à toute fuite les
angles horizontaux et verticaux étaient renforcés d'un gros
bourrelet rond en saillie. Vers l'angle Nord-Est était un trou
de vidange d'environ Om 'W de diamètre, qui pouvait être
bouché par une bonde et qui, étant débouché, rejetait les eaux
dans le caniveau extérieur, ramené à ce niveau par une
pente très brusque .
Nous voyons bien 'comment cette piscine était vidée, mais

il a été impossible de se rendre compte de la manière dont on
la remplissait. Y avait-il une canalisation extérieure prenant
l'eau à une fontaine voisine, à un puits? Lél dénomination de

paTc-coz-jeuteunic indiquerait l'existence d'une petite source

dans l , e champ même, mais pas dans les garennes - supérieures .

Ou bien, l'eau venait-elle du puits encore existant à Gorré-
Ploué-Huella, qui est .à un niveau sensiblement supérieur à.

celui de notre balneQm ? On a bien parlé d'un canal trouvé
et détruit dans le champ voisin et qui aurait bien pu venir

de cette direction .

La salle du frigidarium communiquait avec le tepidarhtm

par une porte surélevée de Om 34, au moyen d'une marche ·de
Om 23 et d'un SAuil de Om H. Cette chambre mesurant
'3 . mètres sur 3

1~, surmonte la deuxième division de

'l'hypocauste et est bien la salle tiède, car la chaleur dans celte
seconde pièce était nécessairement plus tempét'ée que celle de
'la première qui cominuniquait plus directement avec le foyer

'ou fourneau. .

Le caldaTium ou salle chaude avait des dimensions plus
grande: 3

Hi sur 4 mètres. On pouvait y prodUIre à volonté
de la chaleur sèche ou de la chaleur humide, baiti. de vapeur .

C'était ce que -l'on 'trouve encore niaintenant dans les bains
(urcs et qans çeux qe tous les paysd'Oriept. Le pavé y est

porté à une température très élevée et est presque brn~ant.
Si on veut produire de la vapeur, on projette sur ce pavé de .
l'eau qui se volatilise et remplit l'atmosphère; Ou bien encore
on pouvait introduire dans la chambre, au moyen d'un tuyau,

la vapeur provenant d'une cuve placée sur les quatre pierres
debout entourant le foyer.
Soit qu'on employait le premier moyen, soit qu'on eût
recours au second, la vapeur en se condensant se déposait
sur le pavé. et le constructeur avait avisé au moyen d'éliminer

ou de garder à volonté cette eau de condensation. Pour cela, .

en travers de la porte de communication entre le caldarium
et le tepidarium, il avait disposé en guise de seuil, un bour­
relet rond de ciment, haut d'environ huit centimètrès. Dans
le milieu de ce seuil était ménagée une dépression ou rigole
étroite qu'on pouvait boucher ou obstruer au moyen d'un linge
ou d'un peu de terre glaise pour retenir l'eau à un niveau de
quelques cen timètres afin de permettre ail baigneur de barboter
les pieds clans l'eau chapde. On pouvait aussi rendre libre
ce passage pour chasser l'eau et la laisser couler surIe pavé

du tepidarium, d'où elle était déversée à t'extérieur par une
petite canalisation, ou bien encore rejetée dans la salle du

frigidarium, où nous trouvons, tout près de 'la porte, une
ouverture traversant la murailie et destinée certainement à
se débarrasser des eaux. Ce seuil bombé ou en bourrelet
avec rigole médiane, on l'a trouvé aussi au balneun des Cléons,
près de Nantes, et je ne doute pas qu'on n'ait pu le rencontrer
ailleurs, dans des établissements analogues, mais il a dù
arriver qu'on n'ait pas prêté attention à cette partirularité
qu'on a pu juger sans intérêt parce qu'on n'en avait pas
l'explication. '

Outre le pavé incandescent, servant de surface de chauffe
et communiquant sa chaleur à l'air de la pièce, il y avait de
véritables radiateurs; ' comme dans nos systèmes actuels de

chauffage central, mais disposés différemment, et en cela les

constructeurs romains avaient devancé nos ingénieurs et nos

fumistes modernes .
Pour faire appel d'air et avoir de véritables cheminées, on
avait appliqué contre une partie des parois du caldarium et
du tepidarium des tuyaux en terre cuite composés de ce que
nous appelons maintenant des boisseaux, s'emboîtant bout à
bout, de lorme rectangulaire et ayant une section intérieure
de Om 11 sur Om 17. Leurs surfaces extérieures étaient striées .

. de lignes formant chevrons ou croix de saint André, gravées
à la pointe sur l'argile encore fraîche et destinées à faire mieux
adhérer et retenir l'end uit léger de chaux ou de stuc dont
elles étaient revêtues.
Ces conduits, au nombre de dix DU douze dans chaque
chambre, plongeaient dans l'hypocauste à travers le pavé et
et montaient le long de la muraille comme des sortes de tuyaux

d'orgue pour sortir dans la toiture. Ils faisaient à la fois office

de tuyaux de cheminée et de radiateurs, évacuant la fumée,

happant la chaleur dans le sous-sol, s'échauffant à son passage
et faisant rayonner cette chaleur dans la salle, disposition
bien plus logique et plus pratfqtie que nos tuyaux de ch.eminée
modernes emprisonnés au milieu des maçonneries et rejetant
à l'extérieur 80 pour cent de la chaleur du foyer.
Ce dispositif, on le trouve dans tous les balneums romains,
aussi bien aux Bossenno de Carnac et au Bois-de-la-Roche de
Commana qu'à la Maison des Vestales à Rome et aux Thermes
de Caracalla, et également . à Timgad en Afrique. . M.l'abbé

Henry Thédenat, de l'Acàdémie des Inscriptions et Belles-
Lettres, qui a traité cette question dans le ,Dictionnaire des

Antiquités grecques et romaInes de Daremlierg et Saglio, ne

s'est pas rendu compte du fonctionnement de ces tuyaux; il
aurait voulu y trouver des bouches de chaleur, semblables à

celles que l'on a adaptées à certains foyers modernes, . ne
saisissant pas que ces bouches auraient déversé dans la salle
de la fumée et de l'oxyde de carbone, au lieu d'y reconnaître

de vrais radiateurs, bien plus utiles, .plus pratiques et plus

hygIenIques.
Cette tuyauterie est mentionnée par Pline :
parietibus tubos per quos circumfunditul' calor,

~mpressos
et par
Vitruve, V. iO-IV : Testudines alveolofum ex communi
hypocausi . calefadantur .

Nous n'avons pas à expliquer la façon dont les romains

prenaient leurs b!iins, ni l'ordre dans lequel ils passaient
d'une salle dans une autre, mais pour ce qui est de l'établis­
sement qui nous occupe, il semble qu'on ne peut pas donner
à chacune des pièces d'autres affectation que celle .que nous
avons indiquée. Ajoutons que la séparation entre chacune
d'elles devait être aussi parfaite que possible; aux embrasures
des portes entre le caldarium et le tepidarium nous trouvons

des feuillures ménagées dans la maçonnerie, soit pour fixer
des carrées de bois, soit pour recevoir les bords des huis et
O'btenir une fermeture hermétique, s'opposant à toute
déperdition de chaleur. Il en était de même entre le tepidarium
et le frigidarium. -

Il Y aurait à faire observer ici un détail particulier dont il
est difficile de donner la raison: c'est que les murs de l'atrium
sont séparés de ceux de la piscine et de la salle de repos par
un vide ou couloir étroit de Om DO. Quel est le motif de cette
singularité? Est-ce pour isoler complètement la piscine de ce
côté et empêcher les infiltrations possibles de venir dans
l'atrium? Cela pourrait être, parce que dans ee couloir nous
trouvons un caniveau en pente allant vers lecaniveau extérieur.

Mais du côté de la salle de repos on ne voit pas la même
raison. Est·ce pour la symétrie ou en vue de la disposition des
,trois toitures dont les eaux devaient tomber dans ces couloirs '?

DETAILS DE LA CONSTRUCTION

tèriaux. Les maçonneries sont faites en matériau, x
de petite dimension, absolument selon le mode employé à
Rome. en Italie et dans toutes les provinces où les Romains
ont construit. Ici les maçons trouvaient sous la main des
matériaux. des quartiers de granit de granGe dimension, des
blocs affleurant le sol, mais, soit qu'ils n'aient pas e-ud'outils
pour les fendre, les débiter et les tailler, ~oitqu'ils préférassent
, le mode classique en usage jusque là ils ont monté leurs murs
avec parements en petit appareil cubique pl us ou moins
régulier; et ce qui est plus singulier encore, c'est que près
du tiers de la surface de ces parements est maçonné de gros
galets ou pierres roulées prises à la grève, par conséquent'
à une distance de trois ou quatre kilomètres. Au milieu de
tout cela quelques briques. mais en assez petite quantité.
, Ce sont là des éléments assez médiocres pour une maçonnerie
ordinaire; mais ici tout est hourdé en mortier d'excellente

chaux, mélangée de brique pilée, ce qui a donné à tous ces
murs un consistance et une solidité remarquables malgré
leur faible épaisseur: Om Mi, Om ~O. C'est ce que l'on peut
,observer dans la majorité des constructions romaines, nom-

breuses dans notre département.
, D'où Tenait cette chaux si abondante et si résistante qui
entrait dans la composition des maçonneries, des pavés et

des enduits ? Notre pays est très pauvre , en calcaire. On en
trouve ,'quelques gisements dans la rade de' Brest et dans ses
abords,'et ils ont été exploités au temps de l'occupation romaine,
puisque au mois d'avril 19'11 on a trouvé tout près du Pont­
de Buis, en Quimerc'h , un four à chaux romain dans lequel
était ùn squelette bien conservé, avec des boucles de ceinture
, en bronze finement gravées :et une jolie patère en verr~

ornementé. Mais ces gisements étaient insuffisants pour la
grande consommation de chaux que l'on faisai:t dans les
constructions ; on doit donc conclure que la chaux était

importée de loin par la navigation, de la. Normandie, de la

Charente ou du Poitou. C'est.ce qui Cl dû avoir lieu au~siaux
XIe, XIIe et xm

siècles, époque où la chaux a été employée
très abondamment dans nos monuments, tandis qu'elle le fut
très parcimonieusement dans les siècles qui suivirent.
Tous les murs avaient été revêtus d'un enduit à l'intérieur,

et peut-être aussi à . l'extérieur ; ces enduits sont restés
adhérents en certaines parties, mais sont tombés en d'autres

endroits. On n'y a pas remarqué de traces de décoration
picturale.

Un poin't encore à signaler: c'est que le béton du pavé des
salles et du caniveau extérieur est établi sur une sorte de .

radier formé par un lit de galets et de cailloux roulés.
Quand l'exploration a été commencée, on se trouvait devant
un tertre couvert d'ajoncs et de fougères, ayant 1 m GO d'éléva-

tion au dessus du niveau du champ cultivé. En débla~lant, on

a trouvé un amoncellement de terres mélangées de . divers
matériaux, tuiles des toitures, pierres, briques . et cha ux des
murailles éboulées ; pas de charbon ou presque pas, ce qui
indiquerait que le bâtiment n'a pas péri par l'incendie, sans
quoi on aurait trouvé sous les tuiles de nombreux débris de
la charpente carbonisée. Les pièces de cette charpente ont dû
pourrir sous les décombres et se réduire en poussière mélangée
à la terre. La hauteur des murailles restées debout et visibles
maintenant est de 1 mètre et 'lm 50.

Les tuiles trouvées en grand nombre ont été toute réunies _
en trois petits monceaux, pour qu'on puisse se rendre compte .
de leur nature et de la surface de couverture qu'elles repré- .
sentent. Les terres et pierres retirées des substructions ont
été amoncelées dans l'angle du champ, en dehors du monument
de manière à former un petit belvédère du haut duquel: l'œil

plonge sur l'ensemble et peut se rendre compte de la disposition
de pièces qui composent le bâtiment. '
Objets trouvés. Peu de découvertes précieuses ou
rares ont été faites: quelques débris de cuisine ou restes de

repas, os de bovidés, tête 'de vache ou de bœuf, os de cerfs ou

de chevreuils, bois de cerf, coquillages variés, huîtres,
patelles, etc. Cela donne à conclure que parfois les maîtres
du logis se faisaient servir à manger après le bain, mais ces

repas n'ont pas dû être fréquents ni abondants, sarw quoi les
restes et débris de vaisselle eussent été plus considérables .
Par ailleurs, deux petits bronzes de Constantin, une
spatule en bronze qùi devait servir pour les onguents ou les

parfums, une boucle en bronze de forme circulaire, avec
son ardillon, tout le pourtour gravé de guillochures, un
grain de collier en verre bleu, , un autre en verre verdâtre
avec zigzags blancs, fragments de poteries communes et
d-e vases sigillés, mais sans finesse, débris de vases et fioles
en vèrre, pour parfums; et tout particulièrement des fragments

allongés et fins de verre vert-noirâtre, ayant l'aspect de
l' obsidien ne.

, La rareté des objets trouvés dans ces substructions indique
' qu'on n'a pas habité en permanence dans ce bâtiment, mais
qu'on y faisait seulement des séjours transitoires et de courte
dllrée pour l'usage des bains .

L'existence d'un balneum de cette importance portait à

conclure logiquement que dans le voisinage devait se trouver
une villa opulente, dont dépendait cet établissement, comme
on l'a constaté' au Perennou de Plomelin, aux Bossenno de

Carnac et aux Cléons du pays de Nantes. Il était donc indiqué

qu'il fallait diriger les recherches de ce côté.

Après divers sondages dans les terrains environnants, on

arriva à rencontrer, à 10

80 de l'angle Sud-Est du balneum,
un mur maçonné en petit appareil. On fit en sorte de suivre .
ce mur dans tou,te sa longueur et dans ses retours aux extré- .
, mités, ce qui donna pour résultat un grand rectangle de
26 mètres de longueur sur ' Hin GO de largeur, dont le côté Est

est recoupé parun mur longitudinal et deux murs transversaux,

ce qui donne comme une cour' de 22

90 de longueur intérieure
sur Sm 90 de largeur, et deux chambres de Sm 60 et 9

de longueur sur 2

70 de largeur, séparées par un vestibuie
de 3

67 et 2

70,_ sur lequel s'ouvrent deux portes de 2

d'ouverture, ce qui fait penser au passage de chariots et
porterait à conclure que c'était là un bâtiment de service-;­
pour exploitation agricole, ou le logemen t des serviteurs

chargés de l'entretien et du service des bains. Le mur Ouest
était renforcé ou appuyé par deux contreforts et deux éperons
d'angle, détails qui se présentent aussi dans les ruines romaines

du Cavardy en Saint-Evarzec, entre Quimper et La Forêt-
Fouesnant. Ce n'était donc pas la villa ou habitation principale.
A cent mètres à l'Est du balneum, dans le champ qui borde
la route, se remarquent des débris de briques et de tuiles.
Un sondage y fit découvrir également des substructions et le
commenceme'nt d'une chambre rectangulaire de six mètres
de largeur, mais dont les murs ne se continuaient pas sur plus
de cinq ou six mètres de longueur. Là aussi on rencontra
quelques débris de cuisine, mais il est peu probable que ce

fût l'habitation principale.
A voir l'aspect des lieux il semble qu'on pourrait être
autorisé à conclure que l'habitation du maître se trouvait à
l'endroit où est maintenant le vieux manoir de Gorré-Ploué-

huella, à 2GO mètres Nord-Est du balneum, au bord de la route
qui peut bien être un vrai chemin romain allant aboutir au

bord' de la mer. Cette demeure devait être pourvue d'eau, et

c'est là seulement qu'on trouve un puits qui a pu parfaitement

être creusé à cette époque, d'abord pour l'usage de la maison

toute voisine et aussi pour ~'alimentation du balneumpar
. une canalisation souterraine. Quelques recherches dans ce sens
pourraient bien venir confirmer cette opinion .

Quel était le propriétaire qui habitait cette villa et s'était
. donné le luxe de ce balneum ? Etait-ce un riche gaulois
armoricain, maître d'un domaine considérable qu'il exploitait
. et faisait cultiver par des serviteurs ou des tenanciers, et qui
avait trouvé bon d'emprunter les usages et la manière de vivre
des romains? Etait-ce un ancien chef militaire jouissant de
sa retraite dans une belle opulence? Ou bien un homme de loi,
un administrateur, un commerçant retiré des affaires? Tout
cela est bien mystérieux .pour nous, comme aussi le genre de '
vie qu'il pouvait mener, ses relations sociales, les rapports

qu'il pouvait entretenir avec les habitants ordinaires du pays
et aussi avec les occupants des - autres établissements du

même genre dont on trouve des vestiges sur le littoral Nord
de Plouescat, puis à Coat-Luz, ainsi qu'à Cléder, Plonéour-Trez
et Kerlouan.
Un mohilier abondant et varié}ourni par les fouilles jette

parfois un certain jour sur les mœurs et coutumes de ces
époques éloignées et demeurées obscures. .

26 Février 1919 .

Chanoine ' ABGRALL

LA RÉVOLUTiON EN BRETAGN _

(Notes et documents)

1795

'(Suite)

. "CHAPITRE XIV

. , La Réaction -thermidorienne

La légende ne se contenta pas de faire des derniers mon ...
tagnards des héros militaires, elle les représenta aussi por­
tant au front l'aur.éole de toutes les vertus. Ce seront des
hommes ((_ doux, apaisés, rêvant le désarmement des pa,rtis,
prêts à verser leur sang pour le pays, à la condition que ce­ sang soit le dernier (1) ».
Beaux sentiments, certes, que cellx-là ! mais pourquoi
faut-il que ces montagnards ne pensent à la fraternité que
quand ils sont vaincus, et qu'ils ne réClament le désarme­
ment que lorsqu'on leur a arraché les armes des mains?
Ce n'est pas tout. -

· Comme contraste, au calme des victimes et des martyrs,

on continuera à opposer la rage des bourreaux, de . « ces
thermidoriens altérés de vengeance, ivres de réaction, mas­
sacrarit et proscrivant au nom de l'humanité 'J).
D'aucuns ne verront dans la « détestable réaction thermi ...

dorienne ) ) que « le spectacle du vice trioinphllnt, du droit de

(i) Les Derniers Montagnards, p. 132, 3i8, 365, etc, ,

jouir: suostitué' au droit d'être libre et de la force étouffant la
cons ci ence YI (1).

(( La réaction thermidorienne, dira même un écrivain mon-
tagnard, tut, à proprement parler, le règne des assassins » (2).
" l( Jamais, écrira encore l'auteur des Derniers Montagnards,

» jamais la Terreur n'avait multiplié, avec cette féro'ce,im-
YI patience, les décrets d'arrestation. 11 suffit, en ces heures
YI deréaction hideuse, d'un nom jeté par un de ces thermi­
» doriens, pour que l'homme , soit à l'instant proscrit; Les

» colonnes du Moniteur sont rèmplies de ces accuS'ations

)} laconiques qui équivalent à un arrêt. On décrète d'arres ...
YI tation sept ou huitdéputés 'parséaIic'e ...
« Il fallait fuir pour échapper à ces fureurs, ou se donner

Il la mort de ses propres main:s.Pas d'autre issue ...
J C'est que l'heure était lourde et l'atmosphère insuppOl· ...
» table. n ne faisait pas bon vivre en l'an III (3).» "

, .. Voyons! Qui pourrait soutenir qu'en l'an II l'heure fut
llloins lourde et)'atmosphère moins insupportable? ,Quant

à nous, dussions-nous passer pour partisan de cette Ter-

r:éur blanche, (qui fut loin d'être, un mythe, sur,tout dans ,le
Midi de la France), nous nous refusons à voir dans les réac:-

teurs de cette époque des hommes aussi sanguinaires et

. aussi odieux. cs. Assez de sang! » devenait le cri général.
, Ecoutez ce que, vingt ans avant Taine, disait Jules

Ferry:
« Qui n'avait pas à la Convention trempé 'dans Thermi­
» dor? Qui n'avait pas, en ce jour de révolte et de justice,
)} senti la hache sur sa tête? Qui n'a~ait pas ,répété, du

. (i) Id., p. II. ,

(2) HAMEL: Précis de l'Histoire de la Réuùlution, 522. Plus loin, M. Hamel
(dont les ouvrages se donnent aujourd'hui comme prix dans les écoles

de la ville de Paris), prend parti carrément pour « l'armée populaire »
qui combat « les bataillons dévoués à l'Assemblée », et représente « la
réaction triomphante se baignant à plaisir dans le sang». Sa comparai­
son entre la Terreur blanche et la Terreur roug'e est aussi à lire (p. 517),
(3) Les Derniers Montagnards, p. :l32~ 22q., . 226. , ' ' " " . .

.. Marais à la Montagne, le cri: A bas! A bas le tyran!
., Quand la Convention, poussée par ses triumvirs, de coup
» d'Etat en coup d'Etat, de proscription en proscription,
f) d'échafaud en échafaud, jusque dans les de~niersretran-

» chements de son immense docilité, se releva furieus. e. ·et
» sanglante, ~llefit toute· entière tête au péril. On ne connut
» alors ni Thermidoriens, ni Montagnards, on ne se de­
'!l manda pas si Billaud-Varennes n'était pas plus farouche

li que. Robespierre, si Saint-Justn'était pas fait d'un bronze
,~ plu~ pur que Barère . et Cpllot d'Herbois. La . France fit
» comme la Convention: elle respira, et l'histoire a fai,t
» comme la France.

«. Thermidor, c'est l~ fin d~ la . Terreur, c'est le réveil de

» la justice et de la clémence, la défaite de l'épouvan~e dans
;1 son incarnation la plus savante et la plus haute. ,
« ' Qu'importe que la Terreur ait péri par les mains des
'IJ . pires terroristes? Qu'importe qu'un Tallien ait personnifié
» l'humanité renaissante?.. Où a-t-on pu voir que nous

» entreprenions de réhabiliter la faction de Thermidor ?

» Faites le procès aux Thermidorien$, et gagnez-le : ~urez-
~ . vous donc pour cela gagné le procès de la Terreur? (1) »
On ne peut mieux dire. .

. La meilleure pr~uve que la ' Convention thermidorienne

fût loi~ d'être. systématique!llent sanguinaire, c'est que, dès
qu'il lui . fut possible de rompre avec les errements de la
Convention ja~obine, elle s'empressa de le faire, et que
rhécatbmbe de prairi~ll devait être la dernière. A quelques
jours de là, le 20 messidor (8 juillet), elle décidait que là
Place de la Révo(ution ne servirait plus aux exécutions, et le
16 thermidor (3 août) elle supprimait la Commission mili­
taire. Le 21 vendémiaire an IV (13 octobre 1795),« elle

défendait à tous juges de prononcer aucune condamnation

contre les anciens membres des comités révolutionnaires,

rl ' m · ; '57'" nI Ir , - - . ' " ,

municipaux et administrations». Enfin, quatre ,mois après
les évétiements de prairial, avant. de se dissoudre, elle votait

une ammstIe. · ,
, , L'article 3 du décret du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795)

portait en effet: , '

II. La Convention abolit, à compter de ce jour, tout décret
» d'accusation ou d'arrestation, tout mandat d'arrêt mis Ou
» non à exécution, toutes procédur~s, ' pour~uites et juge­
» 'ments portant sur des faits relatifs à la Révolution. Tous
» détenus à raison de ces mêmes événements seront immé-

» diatement élargis. »

La Terreur blanche était terminée.

Et alors, , tous les représentants, tous les commissaires

des ' Comités de la Convention, plus ou moins compromis';

ou même criminels, les Prieur (de la Marne), lès Le Car pen-

tier, les Marc-Antoine Jullien fils,que nous avons vu à l'œu-
vre, les membres des tribunaux dé sang, comme celui 'dè
Brest, 'et des Commissions soi-disant militaires, comme
èelle de Brutus-Magni~r , tous les Montagnards de l'an II,
quiavàient immolé féroceIp.ent Girondins, Hébertistes , Dan-

tünisies et couvert la France d'échafauds, se trouvèrent

ipso facto, complètement amnistiés, rétablis dans tous leurs
droits et dispensés de rendre des comptes. Les terroristes

qui étaient emprisonnés furent mis en liberté, et ceux qui

avaient quitté le paysJ y ,rentrèrent en toute sécurité.

La vengeance de la Convention thermidorienne

etaIt as-

souvIe.

Laissons donc à d'autres le soin de glorifier ces (( derniers

Romains 1 qui surent, a-t-on dit, « ,opposer à la dissolution,

à la ' réaction, à la débâcle thermidorienne leur foi stoïque,
leur front altier, répondre aux calomnies des accusateurs;

, rss-

aU glaive du bourreau, pàr les battements assurés d'un
cœur calme (1) ». Déclamation que tout cela! .

: Que la Convention fut « Thermid?rienne » ou « Nationa~e»,
qu'importe ! Te~le quelle, la Convention était le seul pouvoir
régulièrement établi; elle représentait la loi. Donc, l'enva·
hir ou l'attaquer à main armée, constituait, (sans parler du
hideux massacre de Féraud,) un crime punissable de la peine
de mort. Menacée dans sa liberté et dans son existence
même, la Convention avait le droit, le devoir même de se
défendre contre des coups de force, encouragés 011 préparés
par une poignée de ses membres, qu'on avait pu voir à l'œu­
vre. N'avaient-ils pas, ceux-là, en pleine émeute, décrété

d'accusation le Comité de Sûreté générale, et accepté de
faire partie d'une Commission extraordinaire, nommée par
les envahisseurs? N'avaient-ils pas aussitôt, juré publique­
ment de remplir leurs nouvelles fonctions « avec cou-

rage? (2)). N'avaient-ils pas réclamé impérieusement et
immédiatement la suspension de toutes les procédures con­
tre les terroristes, plus menaçants que jamais, et leur réar­
mement, en même temps que Cl. l'arrestation de tous les
folliculaires » ? N'avaient-ils pas déjà proclamé 0: qu'il ne
fallait pas que le réveil du peuple fût inutile », et qu'il devait
au contraire prendre les mesures nécessaires « pour empê­
cher les tyrans du 12 germinal de faire encore une pareille
journée? (3) » Par conséquent, la Commission militaire était
bien dans le vrai, quand elle déclarait, en visant six des

accusés, (( qu'il~ s'étaient montrés les auteurs, fauteurs e'
complices des désastreux événements qui avaient eu lieu dans
la journée du 1

prairial, qu'ils avaient conspiré contre la
République, provoqué à la dissolution de ta Convention natio- .

(l.) Les Derniers Mont(1gnards, p. 134.

(2) Moniteur, (no, des 5 et 6 prairial - ·24 et ~5 Ulai 1795). Réimpression.
t. XXIV, p. 507 et 510.
m Idem, p. 506.

nale, à' l'assassinat de ses membres, entrepris par . tous. les
moyens d'organiser la révolte et la guerre civile, de ressus _
citer tous les excès, toutes les horreurs· de' la tyrannie qui
a~aient précédé le 9 thermidor (4) ». . . ' .

· C'est ce qu'il fallait démontrer. . ." '. .

Prosper HÉMON.

l4) Jugement de la Commission militaii'e ': BUCHEZ et Houx, t. XXXVI,
p : 401. ' Les Derniers Montagnards, p. 326. C'est à tort que ce dernier ou­ vrage date le jugement du 20 prairial an II (8 Juin' 'J794~. 'l~ fau~ lire 2~
prairial an III (17 Juin 1795~. . . . "

PIÈCES COMPLËMENTAIRES

:Que. '4 2

Note biographique sur le cOilventionnel

, ALBITTE . l'Aîné.

· ALBITTE, ANTOINE-LoUIS, dit l'AINÉ, né à Dieppe le
30 décembre 1761, ' avocat dans' cette ville, se fit remarquer

dès 1789 par ses exagérations et ses excentricités révolu-

tîonnaires. Nommé à la Législative pour le département de là

Seine-Inférieure, il y proposa les mesures les plus violentes,
. et, en 1792, lors de la représentation du Caïus GTacchus de
J.-M. Chénier, il osa s'élever seul contre le public, qui
applaudissait avec transport le bel hémistiche: « Des lois et
non du sang / »), et demanda : Du sang et non des lois !
Nommé à la Convention, il redouble encore ses violentes

sorties et ses dénonciations contre les ministres et les députés
modérés. (1) ,
Lors du procès du roi, le 10 décembre 1792,' il s'opposa. à
ce qu'on lui permît de choisir un conseil et insista pour
que cette désignation fût au moins ajournée. (2) .
Quelques jours après, le 16 décembre, il réclama la tra­
duction des députés girondins au tribunal révolutionnaire.

Depuis déjà longtemps (3 octobre) il avait demandé l'ostra-
cisme pour Roland.
. (1) v; Tables du Moniteur. Albitte trouvait même le Comité de Salut

public trop modéré à son gt'é. 11 écrivait à la Convention le 17 juillet
093 une lettre où « il blâmait hautement le Ministre de l'Intérieur (Garat)

de n'avoir pas mis la rigueur nécessaire dans l'exécution des décrets
importants» (ceux cOllcernant les émigrés' et les prêtres réfractaires), et
.il ajoutait: « Je me plains amèrement du Comité de Salut public, qui n'a
« point donné connaissance à l'Assemblée des lettres que nous lui avons
« écrites, et qui paraît nous avoir oubliés; mais, rien de perdu; nous
« les ferons imprimer, le temps de la faiblesse est passé, et, s'il se prolon­
.« geaii, la coalition départementale r eprençlrait de nouvelles forces ».
(Voir Dictionnaire des Parlevnentaires).

· (~) Monite/lI' du i4 décewpre. Réimpression. t. XlVI page 724. . .

---- 561

Envoyé ' en mission dans de nombreux dèpartements,
Albitte s'y était 'montré inexorable. A b usa nt de son pou voir
illimité, il fit décréter l'arrestation des généraux Estournel
et Ligneville, puis livra au tribunal révolutionnaire le géné
raI Brunet, qui fut condamné à mort (1). -
C'est Albitte qui, le 2 pluviôse, an II (21 janvier 1794),
imagina, à Toulon, ce divertissement plaisant po~r célébrer
l'anniversaire de la mort du dernier tyran. Il fit confection­
ner des statues à figures de cire, des mannequins représen­
tant les autres despotes de l'Europe: 'les rois d'Angleterre,
d'Espagne, de Prusse, le pape, etc ... Les statues hissées Sur
des charrettès ' furent conduites à la guillotine, escortées
d'un cortège guerrier, à la tête duquel marchait le conven-

tionnel. Les aides firent alors diligence, descendant les
figures de cire, et, l'une après l'autre, aux acclamations de

la foule et au roulement des tambours, tombèrent C0S têtes
inanimées qu'une vessie gO;Ilflée inonda de sang animal (2) .

On lira sans doute avec intérêt ce spécimen du style de
èette viqtime du 1 t'r prairial an Il [ : . , .

, . ( Albitte représentant dans l'Ain et le Mont-Blanc au Comité de
Salut public. . -.

.. ' « Chambéry, 2 ventôse an II. - 1

mars 1794

. (c Le fanatisme et la superstition sont les nourriciers de la royauté

et de la tyrannie. La République ne peut exister, telle que nous

la voulons, avec ces monstres. Les prêtres, de quelq. ue culte qu'ils
soient, sont dangereux. Il n'en faut ni de l'EII)manuel, ni du So­ leil, ni de la Lune, ni de la Raison. Point d'intermédiaire entre

l'Eternel et l'Homme. Comment ahattre cette hydre fantastique ?

En détruisant les prêtres actuels? Non, il en reviéndrait d'autres.
mais en prouvant au peuple qu'il n'en faut point et en le convai n-

quant que tout prêtre est un homme trompé ou trompeur. J'ai

(1.) Arch. nat. II 190 et C 290. - AULARD : Recueil, t. XI, p. 2, 424, 504 et 722 .

(2) Biographie des hommes
(if! la TerUJ-lf· 1.908, p. H9, .

vivants . - -liEISq:UlANN ;A[!ecdotes secl'çte$

pris le véritable moyen d'arriver à ce but. Les 'prêtres ont ~té
forcés de dire une fois la vérité, le peuple la connait et ils ne
pourront plus le tromper, , '
Le moyen que j'ai pris me met fi portée de détruire des erreurs
trop funestes, de reconnaître parmi les prêtres ceux qui sontvéri­
tablement dangereux,. et de sauver ceux qui ne sont qu'égarés

du sort qui les attend.
J'ai rendu plus de trois cent citoyens à la Patrie et détrompé
des départements entiers. Les prêtres ont vouln un moment lut­
ter; actuellement, presque tous cèdent à la force de la vérité ~

. L'espérance seule d'être soutenus auprès de vous en a en hardi

quelques-uns. Ne me contrariez pas; ils fléchiront tous.
, Je vous envoie des listes, preuv:es évidentes de ce que j'avance.

Sous peu de jours, vous en recevrez de nouvelles, qui oe sont

pas encore imprimées. Elles prouvent mes succès, et répondent

aux sottes et ridicules trembleries de quelques ,modérés qui ont

peur de tout, hormis de voir le peuple trompé.

Il n'y Il plus un seul clocher dans le département de l'Ain. Le

peuple y célèbre la décade. Toutes les cloches se fondent à Pont-

de-Vaux et à Valence~ Les. fel's, les argenteries, les matériaux, les

cordages s'accumulent, et vont alimenter nos coffres-et noS ma-

nufactures d'armes. ' . ,

Des prix aux meilleurs cultivateurs, aux enfants les plusins­
teuits, aux ouvriers en salpêtre se di~tribueront les jours de
décade. Les vieillards et les mères de famille les remettro, nt aux
plus méritants, les jeunes filles vertueuses , et, pauvres - ser'ont

mariées, et des violons payés par les aristocrates égayeront ces
jours de repos et d'instruction. Ayez confiance en moi, enfin, et

ça ira». , ' ' ,',. ALBITTE. (1)

, Albitte, a-t-on remarqué, condamnait les curés au ma-

riage, comme on condamne les incendiaires au bagne. , Après
avoir interné les prêtres, il stipulait que cette détention ces-

seraient si les victimes se mariaient. Et les malheureux qui
ajoutaient foi à ces promesses n)étai~nt pas épargnés quand '

meme.

m Arcl1. nat. A. F. II, 124. . AlJL~l\D: Recueil, t. XI, p.49L

Il 58 . ,

, Le'M onitèur :'nous apprend ' comment ' Albittë co'mprenilit

«'l'éducation ;et le perfecti'o'nnement des enfants » : . ' .
Convention nationale: séance du 22' ventÔse an II (14 . mars

1794).' " , , .

" '« . .. :Albitte, représentant dél"gué dans les départements du

Mont-'Blanc et' de l'Ain, pour l'éxécution des mesures révolution-

naires, fait passer deux arrêtés qu'il a pris pour le maintien des

Înœurs et les ~ progrès de l'esp'rit' public. :. Le second porte que

les enfinits détenus, âgés de moins de 'dix-huit ans, seront mis,

les garçons entre les mains d'instituteurs nommés par les dis-

trièts: , :et les filles : soUs' la surveillance d'institutrices; on leur
donnera 'une éducàtion don forme au x' principes de 1 a liberté. Les
frais de"cetteéducatioll séront prélevés sur les biens des détenus
qui sont séquestrés ). (1) ' ' "

· . Al'bitte l'aîné, qui n'avait aucune vocation pour le mar- .
tyr~, ' se ~~cha jus,qu'à 1'amnistie (2). Le Directoire le nom-

II?:a, ,en " 1796~ maire ' de Dieppe. -Son adhésion au 18 bru-

maire ' 'lui valut ' les fonctions d~ sous-:-inspecteur aux

revues~ C'est 'à la suite de nos armées, dans la retraite de

,Russie, ,qu'il succomba, à Rosénié, non loin 'de Moscou,

après trois jours d'atroces souffrances, à la fatigue, au froid

_ et à la, faim (3) . .

Le representant PRIEUR DE LA MARNE ,

jugé par un livre recent. (4)

Dans cette étude sur les Derniers Montagnards, nous avons
consacré un chapitre, le second, à retracer à grandes lignes,

· .' (0 Moniteur. N° du 24 ventôse. -Réimpression, t. XIX. p. 685.

(2) Dict. des parlementaires. '
, (3) Dict. des Parlementaires. .

(4) .. LAuRENT (Gustave), greffier du tribunal correctionnel, conseiller
~d'arrondissement ... et conseiller municipal de Reims, membre du Çomité
directeur de la « Société Robespieàe » : Bibliothèque de la Revue historique
délIa Révolulion et de l'Empire. 1. Notes et souvenirs inédits de Prieu' r de
.la .M'arne, publiées avec une introduction et des notes par .... etc. (Berger·
, Levrault, édile\lr, Paris-Nancy, ,i9i2

in-SO). ' .. " . .

ce. que fut la mi~sion de' Prieur d~ la Marne dat1~ les d, épW·

tements de l'Ouest. En examinant.. certa,ins d, e se$ ~c~~s, ~~ !

citant certains de ses' écrits, nous 1'avons dépein~ tour ,~ .tç)Ur:

hâbleur ( '1), brutal, cruel; nous 1'avons· vu se f~ire fauss~~r-e

pour sa sécurité personnelle et par peur . des res.ponsabilités;~,
puis après therm: idor, touJours par, prudence,. re~ier les amis,
Robespierre et autres, deve~us pour lui « d~s~ con~pirateurs .

cherchant !J., usurper le~ d· roits du p~upl~ 1). Et encore, dans
c .e rapide aperçu, avions-nous négligé de rappeler Prieur
installant à Rennes la' sanguinaire commission présidé~ pm'
Brutus Magnier (u!! jeune homme de 22 ans !), .Prieur encou- .:
rageant les colonnes incendiaires ' et la guerre d'extermipa;..:

tion, Prieur faisant 'fusiller à' Noirmoutiers 13 ou 1500'hom.;.:'

m{3squi avaient capitulé, f>rieur, au scandale de son Gollègue.

Jeanbon Saint':'André, utili$ant comme mouchards des forçats
du bagne de Brest, Pri~ur ·se liant iritimement avec l'inepte
Rossignol, celui qui ' se proclamait « l'ennemi des hommes
humains, dont il n~laut pas en ré'lJOlutipn », et qu'à cause de.
cela, sans doute, il n'hésita 'pasà placer à la tête des armée~
de l'Ouest, comme général ; en chef, elll'affublant du surnom

. grotesque de.« fUs aîné du Comité d. e ,Salut public . ). (2). , ~ '.~l

(:1.) Un historien révolutiOnnaire, M. Eug. BOnneIlièl'e, a écrit" dans s'On'
livre La Vendée .en 1793(p~ UO}, à' propos de. la bataille du Mans (t2 dé;-,.
cembre 1793) : .
« Ce fùt, sàns contredit 'u~e 'des plus effroyables boucheries dont l"?b.is~
toire fasse mention; mais le. s représentants du peuple 'Outrèrent encqre

comme il plaisir les scènes horribles. Tu rreau , Prieur de la Marne et
Bourbotte écriv'irént.àês. le.t3 décembre à la C'Ommissi'On .d'e sahit .publip,

un rapp'Ort rempli d'exagérations impossibles. ridicules, qui fut lu le t5 à
la Conventi'On ... » , -

. A la chûte de Robespierre; quand, pour les besoins du moment, on crut
de b'Onne politique d''Outrer les cruautés de i 793, afin d'expl'Oiter l'horreur
qu'inspirait le pouv'Oir déehu, 'On se plut il tout v'Oir couleur de sang, 'On
ajouta encore à toutes ces exagérations extravagantes, et l'on sembla
prendre plaisir à fournir par avance aux royalistes des armesc'Ontre 'la
liberté. On peut croire qu'ils n'ont pas failli à cette tâche. ".
(2) V. les Tables du Moniteur et celles de CHASSIN, BUXRD, etc ... : ~
L. LÉvy: Jeanbon Saint·André; p. 550. J EA NBO;o; SAINl.':"A NDRÈ : Rép: â IiI

dénonciaticH des citoyell.5 de la commune de Brest, p.9 : ÇHASSIN : ' La
Vendée . patriote, t. III, p. 323, 327,472. , SAVARY : G.uerr~ (Jes Vendéells" el
pes C!lOuans cpntre ~a Bép.~ t. H, 3 . 7p, etc .. , ,. _ .... ,.,. ". . " . . :

.' Nous pensions, en somme, avoir donné au lecteur, sinon
un portrait parachevé de Prieur de la Marne, du moins une
idée-assez exa'cte' de ce personnage vaniteux et remuant. Il
parait que nous nons étions trompé, que nous l'avions màl
étudié, encore plus mal jugé, et voici que tout récemment,

en 1912, M. Gustave Laurent, membre du Comité directeul'

de la Société Robespierre, a entrepris de nous le faire voir,
en nous présentant un nouveau Prieur de la Marne. Dans

sa courte étude apologétique (1), M. Laurent s'attaque natu-
rellement à ceux q'ui ont blâmé son héros, et tûut particufiè-

rement à un écrivain catholique, pourquoi aussi un catho-
lique se mêle-t-il de critique historique? à M. Pierre

Bliard, qui,'il y a quelques années, en 1906, s'est imaginé de
consacrer à Prieur une note biogl;aphique, que nous avions
étudiée de près (pas assez près, paraît-il), et trouvée c~ms­
ciencieuseIherit écrite, c'est-à-dire généralement exacte (2).

Tel n'est pas l'avis de M .. Laurent, qui, s'appuyant sur des
témoignages d'historiens connuS, MM. Chassin, Lévy":
Schneider, Dugast-Matifeux, Wallon, Berriat-Saint ... Prïx,
Levot, proclame, « en dépit des calomnies» et à la face des
détracteurs du farouche représentant, que cette notice n'est
qu'un « libelle», que Prieur fut tout autre qu'il y est repré-

senté : par exemple, qu' « après la victoire, il fit preuve d'une
très grande moderation ... que jamais il ne se montra partisan ,
d'une répression à outrance . et d'inu,til~s terreurs ... , qu'il
déplora et blâma la façon d'agir de Carrier .. '. (3), qu'à Brest,

1 Rossignol, déclarait Prieur. après la défaite d'Antrai!)., a vait beau
« perdre encol'e vingt batailles. éprouver vingt déroutes, n'en serait pas

1 moins l'ellfant chéri de' la Révolution et le fils aîné (lu Comité de Salut
cc public, » . " ..
(~) Une grande partie des t70 pages de ce volume est consacrée aux
Notes et Souvenirs inédits de Prieur de la Marne.

(2) BLIARD, p,: Le conventionnel Prieur de la Marne en mission dans l'Ouest,
d'après des documents inédits.yaris, Emile Paul. 1906, in-So, 450 p .

(3) Prieur alla à Nan.tes à plusieurs reprises, mais sans jamais y demeu­
rer plus de quelques jours, Du reste, une des marques caractéristiques
de son tempérament, c'est qu'il ne pouvait tellir en place, -et c'e~t ce qui

en app1 renant la chute de Robespierre, ,qui avait été 'toujours
son ami et SOrt guide, il ne put s'empêcher de témoigner hau-

tement son indignation et .·sa colère: .. , etc.
On se demandera, peut-être, comment il pent se faire que

les biographies, qui se réclament des mêmes aut.eurs, dont
les éléments ont été puisés à .peu près aux mêmes sources,

arrivent cependant à des conclusions dia'mélralement oppo-
sés. Nous ne l'expliquerons 'pas ' et nous préférons mettre

tout simplement les lecteurs en face de deux pages de
M. Laurent, tout en leur souhaitant d'être plus habiles ou
plus heureux que nous, lorsqu'ils voudront trouver à la page

indiquée, ou même dans l'auteur cité par M. Laurent, la

confirmation des faits qu'il aura avancés :

Page Hi: « si partout, dit M. Laurent, Prieurse montra énergique,
il sut être juste, humain et conciliant, évitant avant tout les excès
inutiles. Un écrivain catholique, le père Bliard, a tout dernièrement
publié un ouvrage sur la mission de Prieur dans lequel, isolant cha­
cune des mesures prises par le conventionnel, chacune de ses
opérations, il s'efforce de dénaturer ses intentions et même d'in­
terpréter défavorablement ses sentiments d'équité et d'humanité

qu'il est forcé de reconnaître. Ce libelle du détracteur de Prieur
explique le nombre incroyable de villes qu'il visita au cours de ses mÎs':
SIOllS. A Nantes, à l'en croire, il ne vit rien de bien sérieux à reprocher
à Carrier:
( Quand j'arrivai à Nantes, où je restai seulement 24 heures; . dit-il ii
« la Convelltion, le 3 frimaire an III-23 novembre 094, ' je ne vis qu'une
« députation de la Société populaire, qui ne me parla nullement des noya­
« des; mais il était question alors de prêtres qu'on disait a voir 'été préci­
«pilés dans la Loire, ,mais on n'en accu8~it pas Carrier. J'allai ensuite à
« Lorient, . et, 'quand je revins à Nantes, j'entendis parler de noyades. Au­
« cune déclaration ne fut faite contre Carrier »

Prieur, vota pourtant la mise en accusation.
La veille, au cours de la procédure du procès, il avait, dans sa déposi­
tion, déclaré «. que pendant son séjour à Nantes, il y avait vu la gaieié et
la tranquillité, et non la terreur; que cependant il reçut des réclamations
de plusieurs détenus, qu'il chargea des personnes de les éxaminer ; qu'il
fut obligé de partir sans avoir pu y faire droit; qu'à son retour de Noir"
moutiers (janvier 4.794), il avait entenQu parler des noyades, mais qu'au­
cune dénonciation positive ne lui fut faite à cet égard. Il ·a terminé en
disant qu'il n'avait aucun reproche à faire al,l Comité (révolutionnaire) ».
(Jfoniteur 5 et 28 frimaire an III. 25 novembre-l8 décembré !794. ' Ré-

impression, XXII. 578, 579,758). ' . , . ,

à' déjà été réfuté par M._ Lévy-Schneider, qui a étudié la biographie
du compagnon de lutte. de Prieur, Jeanbon Suint-André (1).
M. Lévy-Schneider arnontré les nombreuses inexactitudes conte:­
nues dans le travail de M. Bliard et a fait ressortir que l'auteur

n'a pas tenu compte des circonstances particulièrement difficiles '
dau, s lesquelles Prieur s'était trouvé, qüe la colère des républi-

cains était souvent motivée par les scènes de cal'llage et les mas-

sacres des patriotes, ordonnés par les Vendéens et les Chouans

qûïfurerit les premiers à inàugurer;le système des terrible'set
sanguinaires exécutions que, plus tard, Carrier ne fit qU'Imiter,

roais Ile sUl'passa jamais. - ' " " .

. ; « Mais, pOlir Prieur, nous pouvons dire; dès .maintenant~ ~n d.épit

des 'calomnies, que, mêlé aux événements militaires dans 'cette

lutte fratricide où lès deux partis se laissaient parfois aller à de
regrettables excès, il donna des preuves d'une bravoure sou vent

témAraire c dans les · combats,' comme à Angers et à Savenay, d'une
etiergie souvent farouche, nécessaire, indi-spensable dans ces cir-

constances~ragiques, mais qu'il fit preuve aussi d'une très grande
modération api'ès, ia victoire, modération à laquelle même les his­
toriens hostiles ·à la Révolution, ' tels MM. Wallon et· Berriat de

Saint-Prix -·ont jusqu'ici rendu un éclatant hommage. ·Quand à
ceux ,- qui, comme MM. Chass· in : et Dugast-Matifeux · ont; étUdié
sérieusemen. t et . impartialement l'histoire de cette guerre qui

pouvait être funeste à la France' et à la Révolution, ils n'hés-itent )

pas à reconnaître que toujours Prieur fut humain et que jamais

il ne se montra partisan d'une répression à outrance et d'inutiles

terreurs. M. Bliard est obligé maintes fois, dans son récit, de

Gonstaterces sentiments de Prieur qui, .dit-il, . « était parfois équi-

« tablp et humain» -et s'employa à diverses reprises ~( à, faire

« oublier les injustlces commises et les cruautés exercées contre
Ct d'l1éroYques vaincu$ (sic) ». ' .

; .. .. « Et quand, en nivôse an II, -l'ami de Robespierre, l'envoyé

extra,.ordinaire ci~ . Comité de Salu~ p~blic, Jullien (de Parjs), eut

:. (1). Ch.-L.· CH ASSIN,-l:.t Vendée pair· ioie (1. vol.). DUüAST-MA'l'H"EUX : Cù-
r.ier à Nantes. : Précis de la conduite patriotique et révolutionnaire des

c-itoyens de-Nuntes , en réponse aux inculpations de Carrier - lui-même. '(N antes
!S8S, in-S·). _ Note de M. Laurent. ' . ". . - . ... - .

dénonCé' à la Convention 'la conduite dé Carrier.'à Nantes', ré'poni'­
dao

aux horreurs commises par les Vendéens par de semblables
hOrreurs, quand PI'ieur lui-même eut déploré et blâmé .la façon

d'agir du terrible pl'oconsul,et que RobespieI,'re indigné eut fait
~appeler ce de, miel' à Paris, ce fut Prieur que le Comité ,désigna

le 18 pluviôse(6 février 1794) pour le l'empJacer à Nantes etras-

surer la population terrorisée. Là encore pendant plusieurs mois,

prieur rétabliU;ordre" .rameoa le .calme dans les .. esprits, pacifia, la

contr:é. e:sans employer .des mes. ures d,erigueur, et, quand, à.la fin

de flo~'-éaLanJI, il quitta Nant~s pour s.e re'udre'dans le FinlstÙe, ' à

Brest " où, les opérations m.aritimes de Jeanbon S.ain.t-André-Ie rap:

pelaient, les (hab~iÙmts rendirent Dommage ' à· son esprit ,de ,juStlce
.Jo '. 'o.

et d'hum:;tnité: « Après son départ, ,constate ,M. Wallon, les repré-
C( ,sentant,s ' Bç) et Boufbotte achevèrent l'œuvre que Prieur. avait
« ·.éritreprise; ~près le rappel de Carrier, de clore, clans les. contrées '~

« l'ère ,d~)a Terreur ». (1) , ., - '. ' ,', '

« Donc, suivant, en cela, la politique de Robespierre et du Comité

de SalQt public, loin de terroriser les contrées qu'il visitait et où

il organisait l'administratio,n .forte et énergique dont 'ell~s avatent

p. esoin, Prieur se montrait en même tempspletn d'humanité et

de modération et s'efforçait de prévenir ïes ~répressions san-

g 1 an tes. . , ,"' "
« Au 9 thermidor, Prieur était encore à,Brest. En apprenant la
chute de Robespierre qui avait toujours é ,t~ son ami et son guide,

il ne ·put s'erripêcher de témoigner hautement sùn ,indigÎJatiQ~ et

sa colère ': il sentit aussitôt qu'un mouvement de r;éaction alIàit

se dessiner qui compromettrait gl'avementles , conquêtes po1iti~

ques et sociales de la Révolution; il engagea fortement lesauto--
rités du Finistère à résister à ce mouvement'ét à' survemÙeriéore

plus étroitement les aristocrates et. les conspirateurs. qui.àllaien:t
relever la tête. (2) . . ,.,', .:;'. ~': ';

«En politique, Prieur suivit sans' cesse les pi'in'cipes de l'.h0mme
qui, pendant tout le cours de la RévolQtion,et même depüis,

représenta toujours, aux yeux du peuple,. la véritable .République

(i) LEVO'!' : Histoi're de. la ville et du port f/.e Brest , pendallt .la ' ,l'e~Teiir.

p .. ~66. (Note de 'NI: Laurent).
(2) LEVO'!', ibid, p. 366. (Note de M. Laurent). ,.· ; , . , ,- . : . ':\

démocratique. « Ce fut, dit M. J. Gros, dans son Histoire dü
Comité de salllt pllblic (p. 63), un ardent robespierriste ».
« A l'Assemblée Constituante, en effet, il siégea aux côtés du
tribun d'Arras dont il partagea les votes et qu'il appuya toujours
dans les discussions. A la Convention, il le soutint dans sa lutte
contre les Girondins dont les maladroites et inconcevables atta­
ques ne firent qu'augmenter la popularité de l'Incorruptible.
· « Au Comité de Salut public, il fut son collaborateur dans l'Œm­
vre de la défense nationale ; dans ses missions, il appliqua les
principes de tolérance et de justice que Robespierre et ses amis
opposaient partout aux sanglant~ excès des Carrier, des Tallien,
des Fréron, des Barras, des Fouché, des CoBot d'Herbois, des .

Bernard de Saintes et autres; et quand, plus tard, le vaincu de
thermidor' sera tombé sous les coups et sous les calomnies de ces

terroristes qui rejetèrent sur sa mémoire les crimes qu'ils avaient
eux-mêmes ordonnés, Prieur de la Marne et les Derniers Monta­
gnards se sacrifièrent en · essayant de sauver l'œuvre de celui
qu'on avait égorgé ~n leur absence ... ». (1) . .
Voilà l'histoire, d'après M. Laurent.
A vions-nous' tout-à-fait tort de dire, en c0mmençant, qu'il

allait nous présenter un nouveau Prieur de la Marne .?

,. Faut-il maintenant tenter d'analyser les Notes et Souvenirs
inédits de Prieur? Ce ne serait pas c~ose facile, car, au lieu

de s'attacher à jeter un peu de lumière sur les événements

historiques, dont il a été le témoin, il s'est tenu à de vagues
déclarations et à ' d'inutiles protestations. Comme la plupart
des missionnaires de la Terreur, il a été, . ' à l'entendre, -
un homme calomnié, et comme eux, pour 'la justification de
sa conduite, il fait appel au jugement de personnages. qui ne
doivent pas paraître suspects. Ecoutez-le:
· « Brave Marceau 1 pourquoi faut-il qu'en te pleurant comme
français, j'ai encore à te regretter comme compagnon d'armes,

(t) G. LAURENT op. cit., p. {5, etc.

IIlIIle
témoin de la conduite de l'ami que ton ,cœur avait adopté,
qui partageait, avec toi. ta frugale table, sur laq~elle . on ne voyait
la plupart du temps que le pain de munition et la ration d'eau-
de-vie, que tu partageais avec tes soldats. ,
« Un mot de toi suffirait pour venger ton ami des odieuses

imputations que' la méchanceté se permet en ton absence.

« Et vous, intrépide Westermann ! Prudent, sage et bravé
Kléber que rai sauvés, l'un et l'autre, d'une destitution qui paraly':'
sait votre coUrage 1. .. Que vos mânes, amis de la justice, s'élèvent

ici 1 Que les calomniateurs ... , ' ou plutôt que votre' souvenir, la
part que. vous avez prise à (mes) actions, viennent ici les confon':':
dre ... , etc., etc .. : » (1)
Pourquoi faut-il que ces généraux appelés comme témoins
aient disparu depuis tant d'années? Westermann a été guil­
lotiné, en ' 1794, avec les Dantonistes, c'est-à:"dire (n'en
déplaise à M. G. Laurent)) victime de Robespierre et des
Robespierristes (2). Marceau a été tué à l'ennemi en 1796.
Kléber est tombé sous le couteau d'un fanatique en 1800~ '
Mais qu'importe! Nous savons à quoi nous en tenir sur
l'étroite amitié, sur la haute estime que Prieur, aux armées
eut, à certains jours pour ces hommes, dont il déplore de ne

pouvoir appeler le témoignage à so~ aide.

Son collègue en mission, Tréhouart, lui é!.yant écrit (8 fri·
maire-28 novembre), que l'armée près de .laquelle il était
envoyé n'avait pas de généraux habiles, d'officiers de talent:
« Je le sais comme toi, répliquait-il, ce n'est pas la seule
« qui soit malheureusement dans ce cas». Et il s'empres-

sait de lui faire parvenir des notes de ce genre, écrites de
sa main, sur les chefs qui commandaient à ses côtés :
... « Westermann, homme destitué, à renvoyer sur le champ.
Ses instances pour attaquer, ses résolutions prises à cet égard
plus audacieusement que sagement, sont causes de la retraite. -

(1) Pag'e 83.
(2) Voir tous les Recueils historiques.

_ 5 66

'" (c Kléber, Allemand: il y a peu à compter snr lui: II a des
talents militaires, mais sa conduite n'inspire pas la confiance que
doit avoir le général. Je (ne) l'ai pas vu sur le champ de bataill~
à côté de Rossignol, le jour du combat, comme il avait été , convenu

au. conseil de guerre. . ,
cc Il y a une perfidie qu'il faut découvrir ; c'est que jamais l'état­
major n'a pris de mesures pour établir une correspondance active

entre les différentes armées.

(c Dans la déroute de Westermann, les choses ont été arrangées

de telle manière que l'on a fait passer à Avranches les meilleures

troupes, tels que les tirailleurs, pour en priver J'armée » (1) .
Comme on le pense bien, Rossignol, . ce tr~ste génér?l en
chef, l'âme damnée de Prieur, partageait les sentiments de

celui-ci au sujet de généraux, qui s'étaient, avec tant de

modestie, effacés devant lui (2). Il mande, en effet, . à Bou-

chotte, Ministre de la Guerre: ,
Du 1"r décembre 1793 : « ' ... Je suis surpris que Westermann,

qui, je crois, ne peut mériter la confiance nationale, ait été

conservé dans les armées de la République ... Son caractère miei-

leux, insinuant et dissimulé, qui cherche à mettre dans son parti
tous les esprits, a empêché jusqu'à présent de se prononcer
ouvertement sur son compte. Je serais même tenté de croire qu'il
entre pour beaucoup dans nos dernières déroutes et qu'il ·nepeut
contribuer au bien de notre Patrie" et au soutien de nos principes
républicains .
Du 14 décembre: « Marceau est un petit intrigant, enfoncé

dans la clique, que l'ambition et l'amour-propre perdront... Il
était l'ami et le voisin du scélérat Pétion. Il a servi ·dans la ci-

devant Légion germanique, dont les principes étaient plus que

suspects ... Il inquiète les patriotes, avec lesquels, d'ailleurs, il ne

commumque pas. .
. « Quant à Kléber ... , c'est un bon militaire, qui sait le métier de

la guerre, mais qui sert la République comII)e il servirait un
despote... .

(i) Arch. nat.; A. F. II,
Prieur). . BLIARD, p. 278.
i20, plog. 958, pièce H. (Notes de la ~ain de

(2) CBASSll'i ; La Vendée patriote, t. III. p.

, cc Les soldats sont bons, mais les chefs ne valent rien» (1).
Voilà comment Prieur et ses créatures, protecteurs fana­
tiques des Rossignol et des Tribout, traitaient les Marceau,
les Westermann, les Kléber, et ces derniers, comme au
3 décembre, menacés de la guillotine par Prieur, devâie'nt
s'estimer heu'reux d'avoir réussi à sauver leurs têtes et à lui
faire entendre quelques mots de raison (2). ' ,

, Parmi les notes du livre de M. Gustave Laurent, celle-ci,

à notre avis, mérite d'être signalée: . ,
« 'Une darpe Porée (descendante de la famille Prieur), se rappe­
lait très bien avoir entendu ses parents causer" maintes fois, des

réèeptions intimes qui se tenaient chez eux sous le Premier
Empire, et auxquelles assistaient l'adjoint au commissaire des
guerres Fouet (3), le général Compère, Jullien (de Paris) et
Prieur de la Marne lui-même. '
Cette' dame Porée possédait lors de la mort de son mari, sous la
Restauration, « Llne très importante correspondance qLle le
Conventionnel aurait entretenLle pendant la RévolLltion et SLlr­
tout au COLlrs de missions en Bretagne et Vendée avec plLlsieLlrs
membres de sa famille.

« Ces lettres, écrites leplus souvent sur le papier du Comité de
Salut public, seraient fort curieuses à consulter; elles contenaient,

nous dit M. Porée (fils), le récit des événemerits auxquels Prieur '
se trouvait mêlé; mais, à côté des descriptions des luttes péni­
bles qu'il soutenait dans ces contrées en proie à la guerre civile,
on y lisait des détails intimes et touchant sur les ressources de ce

représentant du peuple, de ce proconsul tout puissant, investi des
plus grands pouvoirs, membre du Gouvernement de la Républi~

(1) CHASSIN: La Vendée patriote, loe. cil. SAVARY, t. II,407.

(2\ CHASSIN: La Vendée paldote, p.339.- SAVAHY, t.Il, 414.- BLIAR~, 289.

(3) Louis-Joseph Fouet, fils d'une sœur de Pl'ieur : « Grâce à l'ami ' de
Prieur, l'ancien agent du Comité de salut public, Jullien (de Paris), devenu
iuspecteur aux revues, Fouet fut nommé adjoint titulaire aux cornrnis-
~aires ordonnateurS des guerres JI. (Note de M. G. Lauz·ent),p. 36. .

que,' 'et qui,' soùvent sans argent pour son propre. entretien, souf_
f-rant des rigueurs ·et des privations de cette terrible campagne

~tait obligé de s'adresser à sa famille pour obtenir de modestes '
subsides qu'on lui faisait parvenir par assignats de Hi à 20 livres,
Malheureusement, M, Porée aurait, autrefois, communiqué cette

correspondance à M;M. E.rckmann et Chatrian, et, depuis, il n'a

pu la retrouver. Espérons qu'elle n'est qu'égarée et qu'il nous

sera donné un jour de la connaître et mème de la voir publier:

Elle complétera fort heureusement les Souvenirs que nous don-
nons aujourd'hui » (1). '
~a perte d'une correspondance, même privée, d'unconven-

tionnel est évidemment chose très regrettable, mais, ici, on
peut se demander si les souvenirs de M. Gustavé Laurent iont

bien exacts. Il nous paraît d'abord difficile d'âdmettre que
Prieur, tant qu'à se servir du papier de la République, n'ait
pas employé celui qu'il avait constamment sous la main,
dans sa mission et portant l'en-tête l~onnue : Les Représentants
du peuple etc.
Quand aux « modestes subsides que sa famille lui faisait
parvepir par assignats de 15 à 20 livres., est-ce vr~iment
sérieux. Prieur ne pouvait manquer de rien, ayant des droits
de réquisition illimités. Mais, même eût-il voulu ne pas s'en
servir, dans le cas où il aurait été à court d'argent, est-ce
avec un misérable papier-monnaie discrédité, puisqu'il avait
alors perdu plus de deux tiers de sa valeur, qu'il lui eût été

possible de se procurer la moindre chose parmi les plus

usuelles et les moins coûteuses ?

Le Représentant LE CARPENTIER

au Château du Taureau, près Morlaix., et au Fort-
La-Loi, à Brest .
(D'après un récent ouvrage de M. le VIe de Brachel, etc. (2)

(1) Note de M. G. Laurent. p. 38.
(2) BRACHE'l' (DE): La terreur dans l'Ouest, Le conventionnel J.-B. Le
Carpentier; Gram'ille : Dechamp, in-S·, i9i 0,2" éd., Paris, Perrin, in-So, i9HI

& j? 6"9 Z .. Z

, Un seul écrivain jusqu'ici s"est un peu étendu sur la cap-
tivité de Le Carpentier au château du Taureau, et a men­
tionné sa détention à Brest au Fort-La-Loi; c'est ' M .le Vte
de Brachet, à qui nous allons emprunter quelques passages
de son étude, en l'accompagnant toujours de quelques notes
rectificatives:

« ... L'ancien pr,oconsul menait au château du Taureau une' exis-
tence misérable: Réduit à la plus eïtrême pauvreté, Le .Carpentier

était obligé, rapporte la tradition, de raccommoder lui-même sa

, culotte sur la plate· forme de la forteresse. Il était même exposé
à mourir de faim dans sa prison lointaine.

(( La municipalité de Morlaix avait engagé et payait de ses deniers

une cuisinière chargée du service des conventi, onnels ; mais lors­
qu'ils partirent pour la mort dramatique que l'on sait, l'adminis­
tration jugea la servante inutile pour un seul prisonnier et la

congédia, . , '

« Rousseau, nouvellement chargé du commandement militaire
du Taureau, dut, à la demande pressante du district, partager sa
table avec le condamné. Chaque jour, la chaloupe, qui faisait le
ravitaillement de la forteresse, apportait (( la quantité et l'espèce»
de vivres nécessaires à Le Carpentier (1).
« Le temps s'écoulait pour lui interminablement long, car ses
promenades étaient assez resserrées. Bien qu'il eût la liberté de

circuler dans le château et aux alentours, sans quitter le rocher
qui est' de très petite étendue, il n'en profitait guère, à cause de
la consigne. donnée à un factionnaire de ne pas s'écarter un seul
instant.

« D'ailleurs, cette situation péniblêne dura que quelques jours (2).

« Les hautes murailles du Taureau, son isolement de la côte,

ne parurent pas suffisantes au Comité de Sûreté générale pour
(i) Cette prétendue détresse de Le Carpentier fait sourire, quand on a
lu les quelques lignes de ce début. Mourir de faim n'est pas à craindre
quand on est ravitaillé chaque jour, quand on a une cuisinière payée par
la République, ou même quand on est h ébergé à la table du commandant
militaire d'un château-fort.
\2) Un mOis, Voir page suiv;lllte. Note. , ,

mettre leur collègue à l'abri d'un èoüp de main de ses partisans
ou de ses ennemis, d'autant que les troupes en garnison dans la
contrée étaient fort peu nombreuses (1).
« Il arrêta donc, le 16 juin, que Topsent et Julien Palas ne.
Champeaux, représentants à Brest, l'y feraient transférer au plus
tôt dans une cellule du château alors Fort-La-Loi.

_ ,« 8 . .or l'ordre de Champeaux, le sieur Michel Rossin (2), capi-
taine au 1

bataillon du 2° régiment ci-devant régiment de la

marine se rendit au château du Taureau pour se saisir de Le
Carpentier. II était autorisé à faire toutes les réquisitions d'hom­
mes et de chevaux nécessaires, soit auprès des administrations
militaires, soit chez les maîtres de poste, pour garantir-la sûreté
de son prisonnier et accomplir sa mission.

Comme la mer était basse, Le Carpentier ne put quitter la for-
teresse qu'à une . heure du matin. Le même jonr 1

juillet il
était écroué au Fort- La-Loi. - .
, « On a peu de détails sur le séj our de quelques semaines qu'il
fit dans cette prison (3) .
(i) Est-ce bien (( un coup de main » que craignait le Comité de Sû!'eté
générale? Dans cet envoi à Brest de Le Cal'pentier, n'y avait-il pas plutôt
une faveur obtenne pour lui seul par son ami Antoine-Julien Palasne de
Champeaux, alors chef d'état-majo!' de la 5' d ivision de 1'a!'mée des Côtes­ de-Brest. par Champeaux, dont le père(décret du ~ ventôse an III-20 févrie r
095) se trouvait en mission à Brest, avec Topsent, munis lous deux des
pouvoirs les plus étendus? .
(2) Michel ROFFIN (et non RoselN) était, avant la Révolution, fourrier
dans le corps royal de la Marine et avait été cassé de ce grade, le H novem­
bre 1785, par ordre de M. de Marigny, pour un motif du reste assez futile,
ainsi que le reconnut ce chef de divisi(,n. Roffin se fit alors huissier, en
ne cessant de poursuivre sa réint.égration, et finit par rl'nt.rer dans son
ancien corps d'infanterie de marine, où il était devenu capitaine. Le
27 fructidor an II (12 septembre 179.l) , à la Société populaire de Brest, la
majorité de ses membres, auteurs et complices des at.rocités qu il y
dévoila, l'assaillit à la sortie de la séance, l'accabla de menaces et d'invec­ tives, 'et le somma, en termes foudroyants, de 'donner copie de ce qu'il
' avait vomi à la tribune. Il remplit, et au delà sans doute, le désir de ses
agresseurs en publiant quelques jours après l'écrit intitulé: Dénonciatioll
de la conduite atroce dl! tribunal révolulionnail'e de B rest : Roffïn à $es
concitoyens, [(br. in-8

'de 16 p., s. 1. n. d), rGauchelet, Brest, an Il],
'avec cet épigraphe: Le doigt dc Robespierre est ici. Celte redoutable acc u­
sation formulait contre l'ancien tribunal trente-quatre chers d'accusation ...
(LEVO'!' : Histoire de la ville et du port de Brest, t. III, p. -190). Dans Brest
. pendant la Terreur (p. 375), M. Levot s'est trompé en faisant de Roft'in un
capitaine d'artillel'Îe de marine.
~3) Il y passa quatre mois. (Voir p.ote s'Hivante). ,

(c Les officiers municipaux de Brest lui avaient fait prépal'er un
loO'ement (c convenable et sl1r » ; mais il ne semble pas qu'il ait

pris en patience une détention dont il n'entrevoyait plus le terr.ue .
. « A chaque instant, Palasne-Champeaux et son collègue rfjce- .
vaient de lui des plaintes nouvelles, qu'ils transmettaient à la
inunicipalité, en lui faisant observer que les détenus devaient être
traités avec humani~é, selon les intentions absolues de la Conven­
tion. Il ne fallait pas toutefois négliger les mesures de sûreté
indispensables.

. « Le maire Malassis et son Conseil protestèrent contre toute

accusation de cruauté et de négligence; ils avaient agi pour le

mieux et ne méritaient alleun reproche, Le Carpentier habitait une
chambre particulière dont ils avaient fait griller la fenêtre. Des

arrangements avaient été pris avec un traiteur de la ville, qui lui

fournissait une nourriture « saine et honnête ». Le prisonnier
pouvait se promener dans tout le fort, mais toujours en compa­
gnie d'un factionnaire, qui ne le gênait en rien.

.' « Cette surveillance continuelle exaspérait Le ·Carpentier. Il

demandait aux officiers municipaux en vertu de quels ordres ils

agissaient ainsi envers lui, et réclamait aigrement la suppression .
de son eseorte. . .

« Mais il était considéré comme prisonnier d'Etat, , et cela obli­
geait à s'assurer de sa personne. L'administration refusa donc

d'augmenter la liberté relative qui lui était laissée, réclamant un
ordre formel du Comité de sûreté générale, s'il jugeait qu'elle dût
agir autrement.

« Le conflit menaçait de se prolonger. On ne sait quelles en

auraient été les conséquences pour la bon rie harmonie entre les

représentants et le district, quand arriva l'ordre de remettre Le

Carpentier en liberté » (1).

(1) Récapi tuIons :
Le Carpentier, arrivé au Taureau le 10 prairial (29 mai), ,avec 7 autres
représentants, y demeura après leur départ, jusqu'au 12 messidor (30 juin).
Le commandant Rousseau déclare en effet qu'il quitta le château dans la
nuit du if au 12 messidor (c'est-à-dire exactement le 12 messidor, puisqu'il
partit à 1 heure du malin). Incarcéré, le même jour 12 messidor, au Fort­
La-Loi, .à Brest, sa détention ne dut se terminer qu'à la limite de l'am­
nistie du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). .
Le représentant resta donc environ cinq mois en Bretagne, un mois
au Taureau et quatre au Fort-La-Loj. · .

- ' '72 ·- JO

· Voici, 'd'autre part, quelques textes intéressants relatIfs à

la détention de Le Carpentier à Brest.

· Château du Taureau, le 12 Messidor an 3" de .la République
(30 juin 179~).
ROUSSEAU, commandant temporaire du château, aux membres
composant le Directoire du district de Morlaix :
Citoyens,
( D'après l'ordre du représentant du peuple Champeaux, le
citoyen Roffin! capitaine au 1

bataillon du 2° régiment d'infan­
terie cy-devant marine, s'est saisie de la personne du représent~nt
du peuple Le Carpentier pour le conduire au fort La-Loy à Brest,
est partie cette nuit à une heure.
· ( Je vous renverré tous les effets qui sont au château, suivant

_ la note que vous avez envoyé, sitout je retrouve, n'ayant rien reçu
en compte, je ne peut répondre du toute et sur toute du casuelle
dont je prévoit que la plus grande partie manquera, je vais aujour­
d'huy en faire faire la visite et le premier voyage de la chaloupe
s'en chargera. . .

« Salut,fraternité ».

ROUSSEAU (il.

Brest, an Fort-La:· Loi, le 6 fructidor, l'an 3

République Fran-

ç.aise, une, indivisible et démocr~tique (23 août 179~).
LE CARPENTIER, . Représentant du Peuple, aux

citovens ad-

ministrateurs du Directoire du district de Morlaix:
Citoyens,
( Les soins et les attentions que vous avez eus pour moi pendant
. que j'étais sous votre surveillance me garantissent que vous vou­
drez bien encore écrire à la municipalité de Brest, qui me sur­
veille maintenant, et lui faire part de la recommandation qui vous

avait été faite, de la part du Comité de Sûreté générale, de me
fournir toutes les choses dont j'aurais besoin ; et qu'en effet, vous

me les fournissiez sur ma demande. Je VOliS prie instamment de
me rendre ce service, il ajoutera à 'la .reconnaissance que je vous
dois. .

. « Salut et fraternité)). . LE CARPENTIER (2) .

(0 Archives du Finistère, L. 226.
(2) Archives du -Finislère, L, 196,

CONSEIL MUNICIPAL DE BREST

Séance du 4

jour complémentair.e, l'an 3

de la Républiqù~,.
, une et indivisible (20 sept~mbre 1795). : '
LE CONSEIL, assemblé, présidé par le Citoyen Malassis,maire,
assisté des Citoyens Guilhem aîné, Richard , fils, Auriol, ' Le,
Breton, Lefournier, Leyrot, Tourot aîné, Mocaër" Debry et
, Holfay, officiers-municipaux. ' " ,
Présent le Citoven Floc~, procureur de la commune (1).

Elfe ts réclamés par Le Carpentier. « V u la lettre du

citoyen Le Carpentier, représentant du peuple, tendante à sefaire

rendre' le rasoir, les couteaux, les canifs ct ciseaux dont il a été

dessaisi lors de la translation au fort La-Loy de Brest.
« Le Conseil autorise le citoyen Le Gonnidec, greffier de cette
commune, à rendre au représentant Le Carpentier les effets men-:

tionnés dans sa lettre, moyennant décharge,
« Vu la lettre du représentant du peuple Palasne-Champeaux , au
représentant du peuple Le Carpentier, en date du 3" jour com­
plémentaire dernier (19 septembre 179~), lui annonçant qu'il n'a
reçu du Comité de Sûreté génér'ale aucun ordre relatif à sa sur­
veillance, ni à sa nourriture, lui annonçant de plus qu'il a fai~

passer toutes ses lettres à, la munic.ipalité de Brest chargée par
la loi de la police et de la surveillance des maisons d'arrêt et de

détention ; , le surplus de cette lettre est relative à la nourriture
du dit représentant qui, conformément à la loi du 17 fructidor
(3 septembre 179ti), 'rapportant celle du 6 brumaire (27 octo­
bre 1794), doit ~ l'avenir ètre à sa charge, attendu qu'il touche

ses indemnités ».

Indemnités des députes en arrestation, - « Oui le procureur

de la commune en ses conclusions:

« Le Conseil sur ce qu'il résulte de la loi du 17 fructidor dernier
(3 septembre 179ti), rapportant celle du 6 brumaire (27 octobre 1794)
et ordonnant que tous députés mis en état d'arrestation ou d'accu-
(1) Le procè~-Yerbal porte aussi les si~naLures de Nétienne et l3arrè,

_ . 1.4' il

sation continueront à . toucher -leurs indemnités suivant les for-
mes réglées jusqu'au jugement définitif, arrête qu'à l'avenir et à

compter du 1 cr vendéqliaire, le citoyen Le C~rpentier fournira à
sa subsistance ainsi qu'il verra .
. « . Arrête que le citoyen-maire fera arrêter la pension chez le
traiteur et charge le bureau municipal d'écrire au citoyen Le Car­
pentier que c'est à lui désormais à pourvoir à sa subsistance ».

CONSEIL MUNICIPAL DE BREST
Séanù du 3 'v' endémiai-re, an Je (25 septembre 1795 J. '

Le Conseil assemblé présidé par le Citoyen Malassis, maire,
aS$isté des Citoyens Guilhem aîné, Richard fils, Auriol, Le
. Breton, Le Fournier, Leyrot, Barré, Nétienne, Mocaër, Debry
et Hoffay, officiers municipaux (1). '

Sentinelle du citoyen LE CARPENTIER. « Vu les lettres
réitérées du citoyen Le Carpentier, représentant du peuple,
détenu au fort La-Loy, à Brest, tendantes à lui retirer la senti-

nelle qui le garde, ou lui apprendre de quel ordre on le lui a
donnée. .

« Consid~rant que le représentant Le Carpentier est prisonnier

d'Etat. que sans le gêner et même en .lui donnant toute la liberté

que son état permet, ' qn doit s'assurer de sa personne.

,« CO. nsidérant néanmoins que la municipalité ne peut prendre
'sur elle de diminuer sa surveillance relativement au représentant
~e Carpentier sans au ,préalable y être autorisée.

« Oui le procureur de la commune (Floch) en ses conclusions,
;' « Le Conseil charge le bureau municipal d'écrire au Comité de

Sûreté générale pour lui demander si ou non on doit retirer la
sentinelle qu'on lui a donnée, sentinelle qui ne' fait que le suivre
et qui ne l'empêche en rien de se promener dans le fort.
· « Fait en Conseil lesdits jour et an que devant » (2),

(i) Au procès-verbal, qui ne porte pas les signatures de Richard, Leyrat
et Mocaër, ligure au contraire celle du Citoyen Bional'd.

(2) Les registres du district de Brest,' déposés aux archives départemen-
tales, ne contiennent aucune mention de la détention de Le Carpentier à
Brest.

DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE '

4 brumaire an IV (26 octobre 1795). .

« Art. III. ' La Convention abolit, à compter de ce jour, tout

décret' d'accusation ou d'arrestation, mandat d'arrêt mis ou non à
exécution, toutes procédures, poursuites et jugements portant
sur des faits purement relatifs à la révolution. Tous détenus, à
l'occasion de ces mêmes événements, seront immédiatement
- élargis... ».

ARRETE · DU DIRECTOIRE EXECUTIF

ea.nce du 24 pluviôse 'an l V (13 lévrier 1796).
«( Le ~1inistre de l'Intérieur fait un rapport sur la demande for­
mée par le citoyen Le Carpentier, ex-député de la Conyention natio-

nale (amnistié par le décret du 4 brumaire-26 rctobre 1795), en

indemnité de dépenses que sa .détention lui a occasionnées.
( Le Direcloire arrête qu'il n'y a pas lieu de délibérer ) (1).

Notes biographiques sur PALASNE

DE CHAMPEAUX (Antoine-Julien-Pierre).

Né à Saint-Brieuc, le 16 mai 1769, il était l'aîné des onze

enfants d'un commerçant aisé, sénéchal de cette ville, qui

fut nommé plus tard par ses , concitoyens aux Etats géné-
raux de 1789, puis à la Convention nationale (2).

Aspirant, élève de la Marine royale, en 1785-1786, le jeune
Antoine Champeaux (c'est ainsi qu'on le désigne d'ordinaire),
après avoir représenté la ville de Saint-Brieuc à la « RfU­
nion des jeunes citoyens de Britagne et d'Anjou extraordinai­
rement assemblés en la ville de Pontivy, les 15-19 janvier 1790.",
fut successivement chef de bureau de la liquidation générale
(1791), sous-lieutenant au 3g

régiment d'infanterie, lieute-

0-) Recueil ,des Actes du Directoire exécutif, t. r. (t91O), p. 597.
(~) v. ~r.s dict

histor. p.ot~mIp.ent le Dict. des ,Parlf!mentaü'es ~

- . 'fa &1

nant, puis capitaine-adjoint à l'état-major de l'armée des
côtes de Brest,0barge, par le général Vergne, chef de l'état_
major de l'armée, d~ l'armement des côte.s situées sur la riv~
gauche de l~ Rance, depuis Dinard jusqu'à Plesti

, c'est-à-

dire de tout le .littoral des Côtes-du-Nord (mars 1792). 11
passa ensuite capitaine au 15

ré.giment ae chasseurs à che­
val (24 février 1793) et adjudant-général provisoire le 3 mai
suivant. Il fut alors attaché à l'état ... major du général Dani­
can et dans le même corps d'armée que le général Tribout­
Libre. Il eût pu ê.tre à meilleure école.
Danlcan, en effet, tout' à tour jacobin,· thermidorien, roya­
liste, espion de· l'Angleterre et de. l'Allemagne, devait être
condamné à mort par coutumace pour trahison, faire la cam-

. pagne de· 1799 dans un corps d'émigrés et finit' ses jours en

Angleterre, où le gouvernement lui servait une pension (1).

Le i'ôléffiilitaire de Tribout « patriote très prononcé»,
fut encore plus néfaste. C'est lui, en effet, et Marc-Antoine

, Jullien fils, son protecteur, qui furent les auteurs principaux

de la déroute de Pontorson (28 brumaire an II-18 novembre
179]3), et, criminellement, en reje'tèrent la responsabilité sur

Aeux des meilleurs officiers généraux de . l'armée

dont. ils

causèrent la perte (2).

(-1) V. lei" dict. histor. notamment la Biobibliographie bretonne.
{2l V. Arch. nat . A. T. JI, 65, 102, 27ô, 2316.· A ULARD : Recueil, Ill, 499,
VIII, 534. , D .UCBATELLlER: Hist. de la Rév. en Brel.. Ill, 234. LÉvy: Le

Conventiollnel Jeanbon-Saint-André;' v . .index alphabétique. BUA RD: Le
Conventionnel Prieur (d e la Marne), v. index al phabétique . CHASSIN: La
Vel~.dée patriote, Ill, 174. LOCKROY: Une mission en Vendée , 75, 78, etc., voir
dans ce dernier ouvrage, p. '309 et 31.0, deux leUres de· Champeaux que
M. ·Lockroy nomme Clumpeaux.
Né au village d'Ecandeuf', près de Cambra i, le 2!~ novembre 1766, A ug'uste-

. Joseph TribouL fut simple soldat au régiment des Flandres du 26 juin 083
ail i6 août 1789. Il passa alors comme caporal dans la garde nationale sol­
dée de 'Paris et conserva ce modeste grade du 20 aoû t 1.789 au 15 décembre
179L L'année suivante, il fut, à cause de sa forte canure , choisi comme
tambour·major dl.\ 2' bataillon de Seine·Inférieure. Affilié des clubs, ho­
noré de l'amitié de Carrier, il réussit à se faire élire lieutenant-colonel de
son bataillon, grade quile recommanda suffisamment à Bouchotte, minis-

tr~ de la ' Guerre, q:ui le nOJIlJIla

le 30 septembre P93, ~'énéral de liv~sion

. ' .'77 ... $ft- ' . L '

· La conduite de Champeaùx ne tarda- pÇlS en effet à sembler
équivoque au mini1?tre de la Guel're Bouchotte~ qui le .sus~
pendit de ses fonctions, au grand émoi des milieux jacobins.
Le 6 .prairial an;ll (25 mai 1 ,794), le Comit~ de Salut public
eut à s'occuper de son cas et ordonna «( qu~ la commission
de l'organisation et du mouvement des armées rendrait

compte, daI}s le jour, au Comité des motifs de la suspension

des citoyens Champeaux frères, employés dans l'armée des

côte~ de Brest, l'un comme adjudant général, l'autre
comme adjoint. li (1).

et commandant de la garnison de Bœst, en remplacement ! de Serre~de­
Gras, suspendu en saqualité de noble et malgré son adhésIon aux idétls

nou velles. ' , ..

· Un agent du Ministère des Affaires étrangères. éc. rivait alors au sujet
de Tribout: « Csest un bon grenadier, ne sachant ni lire ni écrire, niais
maniant parfaitement le sabre' f't la bouteille». ' . -'

Cette. même année, Tribout, qu~ désormais se faisait. appeler Tril?out­
Libre, avait épousé La Fleury, premièr'e chanteuse du théâü;e de BresL
Le mariage avait été célébré en grande pompe au pied. de l'arbre ' de' la '
Liberté, devant les autorités militaires ' et civiles, dont la municipalité
régénél'ée, ou figuraient des éamaràdes de la mariée, Hebillai-d,:' artiste
dramatique, membre de la commune; Rostan (dit Rozel) et Garnier (dit
Guérin) ; Allard (dit Crécy), officiers municipaux, tous trois « comédiens
du théàtre de Brest ». Ce n'est pas tout. Pour bientômoigner de ses prin­
cipes ég'alitaires, le gi>néral autorisa sa femme à paraître sur la scène sous
le nom de citoyenne Tribout. .
Dès le début de ses fonctions .de commandant de place, le pauvre TrL
bout se montra an-dessous de tout. Aussi, malgré ses flagorneries ·aux
juges et jurés du tribunal révolutionnaires, malgré ses complaisances pour
la horde dite armèe révolutionnaire, appelée à Brest, il se trou va bientôt
en conflit avec des tel'l'oristes de marque.

Envoyé à Dinan, menacé pai'les brigands, Tribout quitta Brest le 16 bru·
maire (0 novembre) avec 1.500 hommes. Une fois à l'abri des fortifications
de Dinan: « Vous pouvez être assuré, écrit-il aux représentants (25 bru­
maire-i5 novembre) que si les, rebelies peuvent une fois me tomber eutre
les mains~ je vous en rendrai bon c'ompte ». L'occas,ion allait se présent.er
plus tôt qu'il n e l(~ pensait. Ce fut à Pontorson .. La déroute fut l'œuvre
combinée de Tribout et du jeune Jullien : « Je sais bien, avait dit . ce corn:
missaire de i8 aus, en par'lant du g'ènéral impl'ovisé de 27 ~ns, je sais bien
son incapacité et le peu de cOllfiance qu'il illsplre, mai~ jetâclierai d'y suppléer
en le dirigeant el en l'entourant de bons officiers ». .

(1) Yves Champeaux, précédemment lieutenant au 15· rég'imeut ;de cha$~
seurs à cheval. Voir les commissions des deux frères, signées; Le Consej.l
exécu tif provisoire: DAJ.BARADE, BOUCHOT'l'E. (Arch. des Côtes~du-NoJ'd : dis­
trict de Saint-Brieuc: délibération, Reg'. V., fo :1.49 et 153). .. "', . . ". ', '

. Antoine Champeaux fut réintégré dans son grade (1) et

expédié dans le Morbihan, sous .les ordres de Canuel. Là,
tout comme son chef, il fut l'objet de la surveillance la plus
étroite, se trouvant, comme lui, véhémentement soupçonné
de trahison (2).
Au inois de février 1795, on trouve un rapport de Cham­
peaux, où il annonce, q~e,. comme chef d'état-major de la

division de l'armée des côtes de Brest, il a repoussé, entre
Landévantet Auray, « une horde innombrable de brigands ».
La même a.nnée, il défit encore une colonne de chouans près

de Caulnes (Côtes-du-Nord), mais il fut battu à son tour à
Tinténiac (-llle-et-Vilaine) (3). Quoiqu'il en soit, le 1F) ven­
dérriiairean IV (7 octobre 1795), le ministre de la Guerre
enjoignit à Champeaux. de se rendre à Saint-Brieuc,. au

de chasseurs à cheval, son ancien régiment .
. Une fois rentré au pays natal, Champeaux se maria avec une

demoiselle J.acquette-An ne-Marie Diga ul tray du Cartier ,E œur
d'un ancien député des Côles-du-NorJ à l'Assemblée légis-

lative, alors maire de Quintin, et montagnard forcené (4).

(i) Comité de salut public (5 nivôse an III-25 décembre 1.794): Legris fait
passer plusieurs arrêtés: 1.0 Levée de la suspension pl'onollcée contre le
citoyen Palasne-Champeaux, par Bouchotte ; 2° Autorisation audit ciLùyen
Palasne-Champeaux . . de rejoindre le 15- régiment de chasseurs à cheval
pour y reprendre sa place. (Arch. naL, A. F. Il, 270. AULARO, Recueil,
XIX, p. 92).
(2) Canuel et Champeaux, de leur propre. initiative, avaient alors com­
mencé des pourparlers avec les Ang'lais. Il est vrai que Champeaux ne
tarda pas à en a vertil' le Comité de Salut public. Canuel, alors révo~ution­
naire exalté, devint à la Restauration un fongueux royaliste. (Arch. naL ,
A. F. Il,280). .

. (3)'CUASSIN: Les pacifications, t. l, H9, 553, Il, 92, III, .1.70. (Voir aussi le
volume de Table générale' des études documentaires SUI' la lT emiée et la Chouan-
nerie). SAVARY, t. IV , .p. iI!~8. LEM AOUT : Annales armoricaines, 357.
(4) En f.794, Digaultray réclamait à Saint-Malo l'envoi de la sainte guil­
lotine pour désaristocra'tiser la région. Quand il mouru t, en 18il4; il a v ait
transformé son château de Saint-Quihouet, en Plaintel, en hôpital et
euvroÏl\ dirigé par les sœurs de la sag·esse. (V. KEHVILER : 100 ans de .repré-
sentation bretonne. ' Bibliogl'apllie bretonne. Dict. des Parlementaires).
- Sur. ·un . acte de. p.artage (Arch. des Côtes-du-Nord, L.), nous. yoyons
que Champeaux était déjà. veuf en vendémiaire au V!. i

fi ne par.aît ,pas que cette union de'vint" un obstacle- :· à ' ' stm
avanc-ement, car il passa bientôt chef de brigade, comman~
dant le 87

arrondissement maritime. C'est en cette qualité
qu'on le trouve fréquemment, en ~ 798 et 1799, président le
Conseil de guerre de la 13

division (1).
A Saint-Brieuc, les S5>l!PÇOIlS de trahison reprirent ,consis­
tance, et, en outre, le cri public l'accusa de concussion. On
alla jusqu'à prétendre qu'il trafiquait de son influence 'et

même qu'il s'entendait secrètement avec les chefs de la
chouannerie (2). "

Le 17 pluviôse an VIII (6 février 1800), Champeaux esten
Normandie où à La Gravelotte (CalvadosL il opère, «'une
saisie de beaucoup de vestes et pantalons Je chouans,de
ceintures de cuirs remplies de cartouches» (3).

Entre temps, Champeaux s'occupait de littérature et
(i) V. GARNIER DE KÉRIGA!IIT: Les Chouan~, chap. IV, p. Ot, 76;' etc,.
PIERRE (Viclor): De 18 fructidor , p. 4l!0 et suivantes. - AQLARD : Re­
cueil, XX, 28!:1, 307.
(2) CHASSIN: Table générale des études documentaires ;sur la Vendée et là
Chouallnerie. . KERVILER: RechercJles et notices su]" les députés de la Bre-:
tagne aux Etats généraux et à l'Assemblée nationale constituante de 1789,
t. Il, p. 237. (Extrait de la Revue hist. de l'Ouest, i885-i889). ,
LAMARE : Histoire de Saint-Brieuc (Ex,trait des mém. de l~ Société d'ému-
lation des Côles·du-Nord, t. XXII, 1884), p. 2~8. , " ,
GARNIER DE ,KKRIGANT : Les Chouans, épisodes des gl!-erres de l'Ouest, 1 882,
p. 76. Ce dernier auteur dit positivement que Champeaux, comme prési­
dent' du Conseil de g'uerre, accepta des cadeaux: importants, « dentelles
préciewses, huilier en vermeil artistement travaillé qu'on lui offrait dans le but.
de l'intéresser à l'élargissement de plUSieurs chouans pris les armes à la main,
ou de leur famille ... ». . ,
Nous laissons à M. de Kerig'ant, dont le livre tient parfois autant d'u
roman que de l'histoire, la responsabilité de cette grave accusation. ' ..
(3) Moniteur. N°· des 2 et 29 pluviôse an V III (22 janvier et 18 février 1800):
Extrait des rappOl;ts du général commandant la {j' division militaire, en
dal~ des -1

et 17 pluviôse (2ijanvier et 6 février). '
Les Tables du Moniteur indiquent, d'après le Bulletin de l'armée dé résel:ve
du 26 'prairial an VIII (15 juin i800). que CHAMPEAUX fut blessé à Marengo.
C'est s'ans dOQte une erreur. Du reste, en se' reportant à 'l'extrait du Bul­
letin; on lit: « Les génél'aux Boudet, Champeaux, Massiolls sont blessés»,
Or, Champeaux ne fut jamais sénéral. ' . " ' ,

publiait, : el1 l'an IX, l'opuscule suivant: L'HEUREUSE
JOURNÉE,bluette en un acte et en prose, mêlée de vaude_
villes (représentée . le 1.0 germinal an IX, sut divers théâtres
pour la fête de La proclamation de la paix), par le citoyen '
CHAMPEAUX, adjudant commandant, ~mployé à l'-état-major
généfal des pe et 15e division à Paris. Paris, irnp . . Log€:-
rot-petit, br ~ in-8° de 42 palles. . .
Cette ... bluette révolutionnaire est un peu enfantine, mais
l'auteur" a . pris: soin de la faire pr~çéder de cette note :
« LV' étant point homme de lettres, j'ai plus que personne·besoin

d'indulgence. Je la réclame toute entière, et prie de ne consi-
dérer que le. motif qui m'a rait écrire ». .
. Champeaux s'exerça ensuite dans un autre genre de litté­
rature , 11 s'occupa de la confection et de la publication d'an­ nuaires mi litaires, qui, les ans X, XI, XII et XIII, parurent
sous le titre: « Etat militaire de la République française ».'
Cet annuaire fut suspendu en 1808, par ordre du duc de
Feltre, alors ministre de la Guerre.

. Quand au 14 thermidor an X (2 - aQût 1802), un sénatus-
consulte nomma "Bonaparte consul à vie, le Moniteur inséra
un ' certain nombre d'adresses de félicitations à ce sujet,
parmi lesquelle:; nous relevons ceqe-ci :

L'adjudant-commandant CHAMPEAUX, employé à l'état~major
. de ·la 1

division, commandant la force armée du département

d'Eurè-et-Loir », et les militaires qui y sont stationnés, au général
BONAPARTE, premier consul de la République française. Au
quartier général de Chartres, 28 thermidor an X (16 août 1802) .

«( Le sénatus-consulte portant général consûlvotre inamo­
vibilité et celle de vos dignes collègues (1), a comblé tous nos
vœux. Il nous assure la stabilité du gouvernement auquel la
~France doit sa félicité.

:: '«(Puissions-nous, général, prolonger vos jours précieux autant

(i) C'est une erreur: Bonaparte fut seul proclamé consul à vie.

de temps que l'exige le bonheur public,
éternelle.

et votre existence serait

« Nous avons l'honneur de vous saluer très pespectueusemenb>.
Suivent les signatures (1) .

Comme on s'y attend, Champeaux ne fut pas des derniers

à approuver le coup d'état de brumaire, et à acclamer le
nouvel ordre de choses établi. Il demèura donc en fonctions
et ne tarda pas à être nommé membre de la Légion d'hon- _

neur (2).
Après les premiers désastres d'e nos armées, Champeaux
sentit se refroidir son enthousiasme pour l'Empire menacé.
La situation s'aggravant, non-seulement il n'hésita pas à le
renier, mais même il eut recours à une manœuvre vraiment

inqualifiable, que nous font connaître divers écrits de cette
époque. On lit dans la Biographie des hommes vivants (1817":

1819), à l'article CHAMPEAUX (PALASNE DE) :

C( Dès le mois de février 1814, une adresse signée de ses offi·
ciers porta au gouvernement provisoire l'adhésion de son corps à
la déchéance de Bonaparte, et M. de Champeaux fit lui-même
imprimer à cette époque, sous ce titre: Il est temps d'en finir,
un appel en faveur des Bourbons ...
« Champeaux, lors du retour de Bonaparte, en ~8H), optint · du·
maréchal Davoust, alors ministre de la Guerre, l'autorisation de

lever, dans le département de Seine-et":'Oise, une légion, qu'il ne

devait, en apparence, composer que de gens dévoués à l'usurpa-

teur, mais il eut soin, au contraire, de n'admettre que des roya-
listes. Après la défaite de Waterloo, c'ette légion était forte de

mille hommes, et l'intention de M. de Champeaux était de s'en
servir pour enlever Bonaparte de la Malmaison, où il s!était retiré
et dissoudre la Chambre des représentants et celle des pairs. Ce

(1) .Moniteur. N° du 7 fructidor an X (25 août 1802) .

(2 Le Dictionnaire des Anoblis dit que, par lettres patentes du mois de .
mai -1808, Champeaux fut créé Chevalier de l'Empire.
Il est indiqué comme officier de la Lég'ion d'honneur sur l'Annuaire de
l'an XIII.

projet ayant été manqué, le colonel de Champeaux conduisit Une
partie de sa troupe, à laquelle il avait eu soin de donner des uni­
formes blancs, auprès du roi, à Saint-Denis ... » (1) .
Ces faits paraîtraient tenir du roman, s'ils n'étaient confir_
més par le journal officiel même.
. On lit, en effet, dans le Moniteur du 23 août 1815 :
« Hier, MM. les officiers qui ont eu l'honneur d'accompagner
S. M. de la Belgique à Cambrai (2), ont été présentés à S. A. R.
MONSIEUR, qui les a traités avec une bonté extrême. Elle a paru
recevoir avec plaisir des militaires dont la fidélité ne s'est jamais

démentie.

« M. le comte de Cluni était à la tête de ces braves. Il comman-

dait en second à Termonde, sous les ordres de M. le vicomte de
Bouzet. M. le marquis de Lambert y, lieutenant général, le mar-

quis de Cocherelle, et le comte de Boi1;;defIre, maréchal de camp,
. iè comte de Nanger, le 'vicomte de Montalembert, le marquis de
l'Estang, le comte Champeaux, le comte de Pommier, tous colo-:­
nels d'infantèrie, le baron de Vassault, major; M. de Brîenne, Le
Baut et de Ponceau, chefs de bataillon et nomb"re d'autres officiers
supérieurs faisaient partie de cette présentation ».
Que dites-vous du (( comte de Champeaux Il, ce « brave
dont la fidélité ne s'était jamais démentie?» Voici qui est

encore mIeux.
On lit dans le nO du 2 novembre 1915 :

c( M. le colonel de Champeaux, chef de la Légion royale, ayant
eu l'honneur d'être admis à une audience particulière de S. M. et
S. A. R. MADAME, duchesse d'Angoulême, ayant aussi daigné
accorder la même faveur à ce colonel, les officiers de la Légion

royale, toujours pénétrés d'amour pour leur souverain et de zèle
pour sa défense, se sont réunis dans un banquet pour célébrer
tant de marques de bonté accordées à leur chef, et qui sont pour

eux l'heureux présage que S. M. daignera agréer leurs services »

(i) Le premier paragraphe de cette citation est emprunté au Supplément
de la Biographie des hommes vivants.
(~) On sait que le nouveau roi réaidait alors à Gand.

,1' 83

D ivers toasts ont été I?ortés dans l'ordr.e suivant:
L e colonel de Champeaux: Au meilleur et tant désiré des rois .
. Le chef d'escadron Desbrosses: Au plus aimable des princes,
à S. A. R. MONSIEUR. _

Le major comte de Montbrun: A l'héroïne du XVIII' siècle,
MADAME, duchesse d'Angoulême. .
Le chef d'escadron Pajot de Juvisy : Au héros du midi, S. A. R ..
M gr. le duc d'Angoulême.
Le chef d'escadron Acloque : Au prince qui doit un jour nous
conduire à la v ~ctoire, le duc de Berry.
M. de Forcade : A l'auguste famille de Bourbon.

M. Lambert: A l'union des vrais Français.

'Reprenons maintenant notre citation de la Biographie des
h ommes vivants: hélas! elle va démontrer une fois de plus
la vérité du dicton suranné: «La Roche Tarpéienne est près
du Capitole li. ,
« La démarche auprès du Roi, à Saint-Denis, ayant paru sus~

pecte, le duc de Feltre, ministre de la Guerre de S. -M., licencia
cette légion, et, quelque temps après, M. de Champeaux fut arrêté
et traduit devant un conseil de guerre comme accusé d'avoir, sans

autorisation, levé un régiment et nommé à différents grades. Il
fallut 78 jours pour recueillir, sur cette affaire, tous les ·renseF

gnements nécessaires; et ce ne fut qu'au bout de ce terme que le

colonel Palasne sortit de prison pour assister aux débats. Un grand

nombre de témoins déposèrent en sa faveur; et la sincérité de
son zèle ayant paru évidente, il fut acquitté d'un e commune voix .
« Cependant, M. Viotti, rapporteur du conseil de guerre, lui
adressa cet espèce de reproche: « Touies les considérations qu'on
pourra alléguer ne détruiront jamais ce qu'il y a de .repréhen-

sible dans cette manière d'opérer;, el, si elle n'a point ce degré
de gravité qui commande l'animadversion de la loi, M. de Cham­
peaux reconnaîtra du moins que c'est à sa conduite qu'il faui

faut attribuer la méprise dont il se plaint: que c'esl lui-même
qui a contribué à donner le change à l'autorité sur ses inten-

tions ; qu'il doit enfin s'en prendre à lui seul de la privation de
sa liberté et de sa traduction en justice ». . .

Un autre recueil du teI?Ps, La galeri, e historique des contem_
porains (1818) nous semble donne,r ainsi la moralité de cette
affaire: .
« Le duc de Feltre, ministre de la Guerre" à qui son expérience
a rendu familière la théorie des trahisons, ordonna que la légion
de Champeaux fut licenciée et que lui ,même fût arrêté et traduit

devant une commission militaire. Comme Champeaux a prouvé
. jusqu'à l'évidence qu'il avait trahi Bonaparte depuis Waterloo, on
lui a facilement pardonné d'avoir eu auparavant quelque veUéité
de trahir Louis XVIII». '

, -Après cette dernière variation politique, 'qui lui avait valu

. une si Cruelle déconvenue, Antoine Champeaux disparut de
la scène et rentra vraisemblablement dans la vie civile. Où

alla-t-il planter sa tente? Pendant près de vingt-cinq années,
le temps de laisser oubJier un passé qui ne fut pas toujours

irréprochable, nous perdons absolument sa trace.

'Quand nOUB le retrouvons, à. la date du 30 septembre 1839,

, il ' a bientôt 70 ans, c'est en correspondance avec un
personnage qui nous est bien connu, a vec ce misérable
Marc-Antoine Jullien, qui, désormais, s'appelle le chevalier
Jullien (de Paris), devenu odéaniste, conservateur et m~m­
bre. de quatre-vingt sociétés savantes ou philantrophiques (1).

Depui~ déjà longtemps, celui-ci guette le moment propice
de publier la justification complète de sa vie révolutionnaire.
Il a pris ses précautions pour cela~ Il a attendu la disparition

(i) Voir plus haut, chapHre XIlI. Voir les écrits suivants rédigés ou
inspirés par Jullien. Lettre de NI. A. Jullien à MM. les éditeurs de la

Collection des Mémoires Relatifs à la Révolutiôn Française, au sujet d'une
imputation calomnieuse dirigée contre lui dans les MÉMOIRES DE LOUVET, et
reproduite dans plusieurs biographies modernes et des hommes vîvants.
(Paris, Testu, pièce in-8·. Bibliothèque nationale, n' 10.4-99). Cette longue
lettre a été insérée par les éditeurs à la suite des Mémoires de Louvet.
Biographie nouvelle des contemporains (i823). .
Biogmphie universelle des contemporains (iS3i).
Biographie universelle (i84-2). '
Revue des contemporains (t847), etc.

. 85 7

de' presque tous 'les témoins et auteurs de la terrible 'époqué~
Désormais, les crimes dont il s'est vanté naguère, il vou ..
drait les rejeter sur d'autres qui ne sont plus là pour se
défendre. C'est pour cela qu'il collectionne certains petits

papiers, po~r des autobiographies, sur lesquelles il co~pte
pour donner le change sur ce qu'il a fait .. autrefois. C'e~t
pour cela qu'il s'adresse à . son çompère, Champeaux, pour
en tirer le singulier certificat que l'on va lire:

. Lettre de M. l'adjudant-général colonel CHAMPEA UX, ex-

chef d'état-major du général Hoche, datée de la Flèche, le

90 septembre 1839, et adressée à.M. Jultien :

Monsieur,

« En inscrivant hier la déclaration que j'ai mise à votre agenda~

j'ai commis une erreur que je m'empresse de justifier: ce n'est

point dans le département des Côtes-du-Nord, mais bien dans celui
de la Manche, le jour de la bataille de"Logé, près Pontorson, et
.ensuite dans le département du Morbihan : où j'étais exilé et èn
: surveillance comme suspect, que j'ai eu le plaisir de vous connaî­
tre, Suspendu de mes fonc~ions d'adjudant-général, j'habitais, en

1:794, la petite ville de Joss!3lin, qui m'avait été désignée pour rési-

dence. Vous y vîntes, revêtu de pouvoirs .extraordiQaires, du

Comité de Salut public, et, dans ce district, çomme dans celpi d~

. Ploërmel, dont il était limitroRhe

vous vous empressâtes, . non

seulement d'adoucir les rigueurs inséparab~es de la captivité des
détenus politiques, mais encore de rendre à la liberté pour cause

de santé ceux qui le 'désiraient. Les administrateurs des districts,
'poursuivis comme fédéralistes, trouvèrent en vous un protecteur;

en un mot, vous n'avez fait que le bien, et l'on eut qu'à se louer

de votre présence dans ]e Morbihan, que l'infâme Carrier mena-
çait chaque jour de son arrivée. Ayant, après le 9 thermidor,
accompagné dans leur mission les représentants du peuple Leyris '
et Bouret, j'ai parcouru avec eux le Morbihan, et je m'empresse

de vous déclarer que partout j'ai entendu prononcer votre nom

avec l'estime et la reconnaissance que vous avez si bien méritées
.dans ce pays. Je rends hommage à la vérité? Monsieqr, en rappe-

.t ". S6

eu l'occasion de raconter plus d'une fois, notamment aux maré~
chaux Bernadotte, Lefèvre et Mortier, près desquels des gens mal
intentionnés, en paclant d', après des renseignements erronés
affectaient de vous confondre avec les Prieur de la Marne, Pous~
sepin et autres agents de la terreur, qui ont tenu dans le Mor~
hihan une conduite diamétralement opposée à la vôtre.

« Recevez, etc ... » (1).
Ce qui frappe d'abord à la lecture de cette lettre, c'est
l'assurance avec laquelle le c

Champeaux, sollicité par JuI ..

lien, se porte garant de la modération . et de l'humanité de
celui-ci au cours de sa mission dans les departemènts d~
l'Ouest. N'est-il pas étrange de voir Champeaux si affirmatif
et si précis, alors que la veille (il le dit lui-même) il s'ima ..

ginait avoir connu Jullien dans les Côtes-du-Nord, où ils ne

s'étaient jamais rencontrés? Que penser encore de ce diplôme
de protecteur des administrateurs fédéralistes qu'il décerne
si libéralement à Julien alors que celui-ci les a, au contraire,
si odieusement traqués, alors que chacune de ses lettres

'contient contre eux les pires diatribes, les plus odieuses

calomnies, alors qu'il fut rédacteur payé du journall'Anti-
fédéraliste et qu'il se fit en quelque sorte une spécialité de
l'Ellltifédéralisme ?
, Que dites-vous de cette singulière recommandation, de
ne pas confondre Jullien avec les Prieur et les Poussepin ?

Le citoyen Poussepin ne nous est guère connu, et son
:nom n'a eu jusqu'ici les honneurs d'aucun recueil biogra­
· phique (2) .

· 0) Germain SAIIHUT et B. SAINT-EoJ,oJE : Biographie des hommes du jour,
tome VI, ~" partie (1S!.1), page 33IL
(2) Un volume récemment paru donne une proclamation de ce pousse­
pin aux habitants du district de Josselin. Ce personnage, qui expose un
programme. que ne renieraient pas les chefs de colonnes incendiaires,
devait être ag·ent national de ce district, et avait alors remplace le malheu-
· reux Pierre Le Hardy, procureur syndic, nomme à la Convention par le
dëpartement du . .Morbihan, et guillotine le 31. octobre 1793, avec vingt
députés girondins. .
.. , 1' . Çito[len'S des cari1pagn-es, ·dit poussepin, · serez-vous bielltÔt las de ·décltir

L b 871 ~

Mais Prieur? C'est vraiment passer les bornes, car noQ.s
savons que, dans ses opérations révolutionnaires, Jullüm fut
non seulement son collaborateur, mais même son historio,..
graphe, son porte-parole, son alter ego, Il est just~ d'ajouter
que ce Prieur, qualifié par Champeaux d' « agent de la ter­
reur », avait, en pleine séance de la Convention, le 15 ger­
minal an III (4 avril 1795 ), renié effrontément ses amis de la
veille, en s'écriant, afin de donner le change sur sa conduite
de l'avant-veille, lors de la violation de la Convention pal'

l'émeute: Il A i-je pris La défense de ces monstres tout couverts
de sang que la Convention a jugés? Non, je les ai abjurés _ . ,
et.c. , \) (1).

Enumérer les excès de Jullien au cours de sa mission
dans l'Ouest nous entraînerait trop loin, mais nous ne pou­
vons pas nous dispenser de constater ici, que ce fut de c, e
même département, de ce même district, de cette mêm~ .1oc, a-

le sein de la patrie 7 Serez-vous toujours aveugles SUI' vos plus chers intérêts?
Serez-vous toujours dupes, au point d'êtrP les victimes des scélérats que la
France a proscrits, de ces prêtres vagabonds qui osent se placer entre vous et
la divinité, qui vous excitent au ~lleurtre, au pillage et à l'incendie au nom
d'un dieu de paix 7 .
'« Citoyens égarés, ouvrez enfin les yeux; livrez les prêtres et lei no'bles.
fI, ui, n'écoutant que leur intérêt et leur orgueil blessé, mettent tout en usa. ge
pour vous porter à défendre la cal/se du crime ...
. « Nous devons vous avertir que l'on va déployer des mesures vig9pr.euses
et terribles conti'e tous' ceux d'entl:e vous qui, sous l'espace de trois jours,
n'allront pas l'entré dans leurs foyers; leurs biens seront confisqués au
profit de la république et leurs maisons brûlées; tous les hommes qui, ayant

connaissance de l'asile ou du ,'epaire des coquins qui les ont rédz.its, ne les
dénonceront pas, seront sur le champ mis en arrestation et traduits devant
le~ tribunaux; à la première insurrection qui se manifestera dans unecom­
mune, la force militaire sera autorisée à s'y transporter, à y incendier les
maiSOJIS et exterminer les rehelles ». (G. DE SAI~T-IvY, [Emilt" GILLES] : La
clzouannerie et ses victimes Corentin Le Floch, député aux Etats généraux
de 1789. Pontivy, Ch. Anger, in-12, 1.909, (p~ i40). On trouve encore­
un co Poussepin (sic), adjudant-sous-officier de la 17' demi-brigade,
chargé de négocier avec le chef de chouans Boishardy « pour l'arracher
au brigandage ». (Lettre du représentant Brice, Vannes, :1.2 nivôse an III

jan vier i7~5: Ministère de la Guerre, armée des côtes de Brest. AULARD :
Recueil, XIX, page 225). .
, (t) MO/liteul', N' lu ~8 germiJlal. Réimpression, tome X-XIV, pa~e {4ft.

~ 88 L

lité de Josselin, que connut si bien Champeaux, ainsi que
des districts voisins, Auray, Ploërmel, Le Faouët, Roche_
fort, que sont parties les lettres les plus menaçantes de Jullien.
, Une seule citation pour en donner le ton. '

, 'Il écrit de JO$selin même, le 6 pluviôse an II (26 jan.
vier 1794) : -

« Ici, le ma~re et l'agent national sont d'excellents sans-culottes.
Au ,Faouët, j'avais été obligé de faire abattre les croix. Ici, je

trouve une bonne société populaire, bien montagnarde et régéné-
rée. J'ai 'trouvé les croix abattues et les prêtres décalottés. La loi
sùt le maximum a ici 'sa l'Heine ex'ecution. Tous les saints sont
envoyés à la monnaie, les églises fermées, les eampagnes révo~

lutionnées par des promenades civiques et militaires. J'ai préparé
pour décadi prochain, l'inaugUI;ation d'un temple de la Raiso

je pars satisfait, avec l'idée qne ma tournée n'a pas été inutile au
, patriotisme. A Josselin, j'ai fait rendre la société responsable de

la conservation de l'esprit public dans ses alentours, et j'espère

que tout ira bien » (1).

Une dernière remarque au sujet de la lettre de Champeaux.

, , Ces deux .. hommes, Champeaux et Jullien, s'étaient donc
trouvés sur un champ de bataille? C'est encore inexact. Ils
s'étaient rencontrés, la première fois, dans la déroute de'
Pontorson, amenée par les combinaisons stratégiques de
Jullien et de Tribout-Libre. Cette évocation de Pontorson

dut réveiller chez J ullien, sexagénaire, de biens tristes sou-

venirs, si toutefois il n'avait pas perdu la mémoire. Cela se

soutient parfois :
" « Dans : sa vieillesse, dit un écrivain conte, mporain, Jul­
Bien ne se souvient plus de la façon dont il avait pensé et agi en

l'an II.

. « Il publia, ou fit publier à plusieurs reprises des écrits apolo-

gétiques, Où il ' déclare n'avoir pris aucune part à la recherche des
députés girondins., Il ne faut voir là qu'un exemple, de la sin gu-

Hère déformation des souvenirs qui se produit presque t9ujours
avec l'âge» (1). ' . .: . "
n est d'autant plus difficile d'admettre cette théorie en
faveur de Jullien que, dès la chute de son protecteur Bobes·
pierre (il n'avait pas encore vingt ans), il inaugura son sys­
tème de dénégation absolue. Lors de la publication de son
premier écrit apologétique, qui n'a été 'pour ainsi dire que le
thème développé dans ceux qui suivirent, il n'avait pas
atteint la cinquantaine. C'est un peu tôt, on l'avouera, pour
invoquer « la' déformation des souvenirs produite avec
l'âge». Au reste, pourquoi insister? Ne venons-nous pas de
surprendre sa façon d'opérer?
Nous ne savons ni où, ni à quelle date mourut. l'aventurier

Antoine-Julien Palasne de Champeaux.

Fournitures et avances faites aux représentants
en arrestation pendant leur séjour au château
du Taureau.
Etat des effets réclamés pour les / représentants en arrestation.
Chemises et bas.
IJ:8 chemises.
48 paires de bas;

Souliers, ·bonnets de police,
mouchoirs de poche, cols,
bonnets de cotton.

12 paires de souliers . .
14 bonnets de police.
4 douzaines de mouchoirs de
poche.
3 clouzaines de cols . .
24 bonnets de cotton.

Pantalons, gilets et b]ouzes.

10 pantalons.
. . , 8 gilets .

Eponges, écritoires, peignes,
chaussons de laines, paires de
pantouffle. - .
J 2 éponges.
8 écritoires.

16 paires chaussons de laine.
8 paires pantouffle. '.
16 brosses, dont 8 à souliers, 8
à habits. .
8 peignes et 8 déméloirs.
Tabac en poudre et à fumer,
6 pipes.
(-i) J, GUILLAUi\m : Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la
Convention l/ationale, Lome 1 V, 88\1. .
~'I, Guillaume écrit encore à propos de Jullien : « 'A force d'en,tendre
f1~trir la tyraIlnie décemvirnle, il arriva à un état d'esprit tel qu'il finit
par oublier qu'il ,av,ait été l'U!! de ses agents et par se J:is-urer qu'il avait
éte une de se~ vlçl.1JlleS " » (lb~d., page 2H), _"", ... . , :

« EN VERTU D'UN ARRtTÉ DES TROIS COMITÉS DE SURETÉ GÉNÉRAL~

SALUT PUBLIC ET MILITAIRE RÉUNIS, qui requièrent toutes les auto~

rités constituées, civiles et militaires, tous les citoyens de la Répu~

blique d'obéir aux ordres qui leur seront donnés par les citoyens
généraux MARGARON et BERVELLE (sic) et de leur fournir tout
ce qui leur sera nécessaire à cet effet.
« Je soussigné, nommé par le Comité de sûreté générale adjoint
au général Margaron pour le seconder dans la mission qui lui est
confiée, requiers et invite, AU NOM DU GÉNÉRAL MARGARON, les
citoyens administrateurs du Directoire du district de Morlaix de
me fournir la quantité d'effets réclamés cy-dessus pour les huit
députés mis en arrestation au château des Taureaux ».
Morlaix, 9 prairial an lU" de la République (28 mai 1795).

L'adjudant-général colonel,
J. CALMET-BEAUVOISIN,

Chargé de la conduite des députés mis en arrestation (i).

Etat des effets achetés d'ordre du district pour les représentants
qui sont au fort du Taureau.
Savoir:
Une soupière terre anglaise ................... ' .
60 livres

{t} Archives du Finistère, L. 122. Le mois précédent, et peut-être même
quelques jours avant, Calmet-Beauvoisin était adjoint à l'état-major de
l'armée du Rhin. (Voir, à la date du 2i germinal-iO avril, l'arrêté du
Comité de Salut public qui lui accorde deux chevaux. AULAIID : Recueil,
tome XXII, page !O9).
Au dos de cette réquisition se trouve cette liste des accusés de prairial,
partagés en deux groupes bien distincts; d'une part, ceux qui sont caplifs.
et d'autre part, ceux qui sont en fuite, ou contre qui on a abandonné les
poursuites : .

Le Carpentier.
Soubrany.
Bourbotte .
Duroi .
Duquesnoi.
Romme.
Goujeoll.
Peyssart.

Prieur de la Marne.
Albitte aîné'.
Pinette aîné.
Borie.
Tayau,
Cette double liste serait exactement celle de tous les représentants
décrétés d'arrestation, le {'r prairial, si le nom de Prieur n'y était substitué
à celui. de Ruhl. . . . . .

2 plats terre de Rouen ......................... .
2 salières . ...................................... f .. .. ...................... ..

Huilier de verre à cuv.ette fayance... . ......... .
5 plats à barbe à 15

chaque .. , ................ .
o pots de nuit terre de Rouen à 18

5 pots de terre en forme caffetière; o ·
5 pots à eau terre de Rouen à 15

72 livres

5 balais de jonc à 2

10 sols
12 gobelets de verre à 5 1 60

2 briquets et 4 pierres à feu ........... " . ... .. .

6 10

. (La sllite manque).

Un étuis et des épingles.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Un peigne à retaper. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ... . 5
Un quarteron amadou.. . . . . . . . ................ 3

2 bonnets de cotton. . . . . . . .. .. ....... ...... . 30
5 mou chettes à ;) 1 pièce ............ .......... 25
5 broces à habits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. 30
5 broces à souliers.. . . . . . . . . .. .. . .... ...... . .
Une livre tabac' canfadati .... ................. .
Une livre tabac en poudre .............. ....... .
10 livres de chandelles à 25

I! 18 1
1J mIrOIrs a .... . \ ........ " ........................................... ..

Une cleff à barique ................... ......... .
~ savonettes à 20 1 chaque. . . . . . . . . . . . . . .. . ... .
Une broche à rôtir la viande ................... .
5 éponges à 3

!) razoirs à 18 1 ' .. ............................................. .
12 10

250

100 '

Notte des effets envoyés a.u château du Taunau, que le com­
m.andant est prié de Tenvoyerau district de MorLaix - comme
inutiles. .
Du 10 prairial (29 mai).
2 douzaines de serviettes marquées L. J. K.

6 nappes de la marque des BarPiers.

16 qraps de la même marque ..... , ..... ' ....... " ..... .

8 plians .......... . ;. . . ~ . ô " ' " '

16 matelats ..... ô ....... ~ , '

' 16 couvertures de laine. ' ..... '. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . R .

. Du 11 prairial (30 mai) .

~ pliant ........... O f R. t

2 matelats .. . '" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . R.

2 ta p is . . . . . . . . . .. .. ........ ' o ' . R .
4 draps à la marque des Barbiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . R .
2 casseroles.
2 marmittes de cuivre avec leur couverture .
1 table à manger avec 2 trétaux.
1 écumoir. .
1 gril de fer.

~ pelles à feu et !) pincettes.
!) chandelliers de cuivre. desquels l plat.

Du 12 prairial (31 mai) .

!) brosses pour les habits.
~ brosses pour souliers.
!) miroirs. .
!) mouchettes.

1 peigne.
1 briquet et fourniture.

1 clef de barique.

Du 13 prairial 11

juin).
~ savonettes.
!) razoires. .
8 mouchoirs.
~ éponges.
1 .broche.

(La suite manque).

Papiers concernanfles . détenus envoyés au château du Taureau

par arrêtés des Comités du 1 Prairial an 3 (20 mai 1795).

Arrivés à Morlaix - le 9 et -envoyés au château le 10 au matin.
(28-29 Mai).
9 Prairial (28 Mai). Aux citoyens Calmet-

Beauvoisin et Dejean pour seconder leur opération

secrète dont ils sont chargé pal' les Comités réunis

du 1 Prairial .... ' ............................ 20.000 1

10 Prairial (29' Mai). A la citoyenne Hamon

pour 38 paires de bas, 12 bonnets de coton,
10 mouchoirs de poche, 5 · paires de chaussons
montant suivant l'ordre du . citoyen 'Calmet-

Beau VOISIn ..... " ..................................... .. ...... ........ .

10 Prairial (29 Mai). A la même pour 20

mouchoirs de pOClÙ3S' pour les détenus à - 40 1 pièce ..

11 Prairial (30 Mai). A la citoyenne Queladur

3.035

800
pour pourvoir à la prpvisiop des Représentans. . . 3.000
14 Prairial (2 Juin). Au ' citoyen Noroy aîné
pour divers déboursés faits pour le château suivant

mémoire .............. ........................................ .. .. .. .. . . .. .. 1.207

15 Prairial (3 Juin). Au citoyen Calmet-

Beauvoisin pour seconder les opérations dont il
est chargé avec le citoyen Margaron pour recon-
duire à Paris 7 Représentans .................. , 10.000

16 Prairial (4 Juin). Au citoyen Morel pour
2 équipages de limonières fournis pour 2 voitures
remises au cre pour ramener à Paris les Repré-
sen tans cy ........ " ........................... .. .............................. .

17 Prairial (5 Juin). Pour avoir été prendre

et mener les voitures pour être réparée ....... .

17 Prairial (5 Juin). A la citoyenne Queladur
pour solde et soins .pendant ies 7 jours qu'elle a.

étée au château du Taureau ... .. .............. t. '._

17 Prairial (5 Juin). Au citoyen Yv Le Lous
boulanger de Plouganou pour 100 de pain fournis
jusqu'au 30 aux Repl du Peuple...... .......... 500

23 Prairial (11 Juin). Au citoyen Gilbert pour
fourniture de 15 bonnets de police fournis au dits
escordes et Repls.

pour
Rep.
4 Bonnets 50 200

5 Bonnets 40 120

8 Bonnets 30 240'

Prairial (13 Juin). Au citoyen Maillard
montant du mémoire en subsistance au

C~arpentier ...... , ... .. ......................................... .
30 Prairial (18 Ju~n). Au Cen Duplessix-
560

240

, Rocquelin pour fourniture de draps et façon pour
habiller le Cen Carpentier suivant mémoire.. . .. . 2.020 (1)

30 Prairial (18 Juin). Au Cen Dubois pour

réparation de la voiture du Cen Lefebre prêtée

pour aller au Pontoux (2) .......... ......

2 Messidor (20 Juin). Au ' Cen Maillard
pour montant du mémoire en subsistance au dit
290
Repl (Carpentier) ....... . . , . ..... " ....... : ... ',' . . ' , 188
15 Frimaire An IV (6 Décembre 1795). Au
citoyen Boutin diverses avances faits du 11 Prairial
(30 Mai) au 11 Messidor , (29 , Juin) suivant Mr"
et pièces au soutien du mandat (3) . , .... . ..... .

Dll 25" Prairial l'an 3

(13 Juin 1795;:

43.156

(N° 21).

Vendu au Directoire du district de Morlaix et livré à GILBERT,

(i) Voir cette note détaillée ci-après... .
(2) Le Ponthou, commune du Finistère, éloignée de Mol'laix de t3 kilo­
mètres se trouve sur la limite du département des Côtes·du·Nord.

(3) NoWl n'avons pu trouver ni ce mémoire, ni les pièces au soutien.

_a 95

tailleur pour habiller le Représentant du peuple LE CARPENTIER,
détenu au fort du Taureau ce qui suit:
6. Six aunes sigovie double, Cei-je, première
qualité, à 300 li vres l'a une ............. ... .... . 1.800

4 aunes futaine ordinaire à 30 livres . .... ...... . 120

Total ci ... 1.920

Payé au citoyen GILBERT, tailleur pour la façon
et fourniture dudit habillement ci .. , .......... . 100

Total. ci .. . 2.020

Château du Taureau, 23 messidor, an 3

de la Républi­
que une, indivisible.
11 Juillet 1795 . .

(1) Un complet de 2020 1. ! La note parait fantastique. On se tromperait
cependant sur son impol'tance (et sur le prix des objet s roumis aux repré­
se.ntants), si l'on ne tenait pas compte, en même temps, de la dépréciation
effroyable des assignats, surtout après les évènements de prairial.
M. Duchatellier constate, qu'à cette époque, les assignats avaient perdu
jusqu'à fi5·/. de leur valeur, et il cite des mercuriales de Landerneau et
de Carhaix qui portent le prix des 50 kilog. de froment à i333 et à {500 fr.,
et celui de la viande de vache de 15 à 1.6 fI'. la livre. (Prisons et détenus
en l'an Il. Voir Mémoires de l'Académie des Sciences morales et potitiques.
{865. p. 36!. Brest et le Finistère sous la Terreur. p.238).
A la fin de l'an III, dit un autre écrivain breton, l'assignat de iOO fI'.
était coté par l'administration des Côtes-du-Nord, comme ne valant plus
que 2 livres, 2 sols, 2 deniers et, à la fin de l'an IV, il était coté à 9 sols
dix deniers. ' (LA~lARE : Hist. de Saint-Brieuc. p. 20) .

L'A uteur des Derniers Montagnards, enregistre lui-même (page 25) « qu'en
floréal an III, le louis valait 3to livres en Guise, et qu'il allait valoir bientôt
500, 600, 900, 1000, jusqu'à HOO livres et plus encore » .
Or l'année suivante, des émissions nouvelles d'assignats, d'autant plus
considérables que loc dépréciation était plus forte, portèrent la somme
totale des assignats à 45 milliards. Ils ne conservèrent plus dès lors qu'un
demi centième de leur valeur nominale.
Comme conséquence, si en prairial an III la dépréciation des assignats
était de 95./·, on est obligé de reconnaître que le complet de Le Carpentier
n'était guère, en réalité, évalué qu'à iOO fI'. de numéraire, et que M. êlaretie
a dû se tromper en écrivant (p"226). .
« On était dégouté des supplices ... Les valets des bourreaux eux·mêmes
refusaient de servir, les voituriers exigaient de grosses sommes. Ce métier
sinistre Leut pesait ... )) Tout cela parceque les charroyeurs de victimes
réclamaient « 100 livres par jour, par voiture attelée et en permanence >l,
ED trouverait-on aujourd'hui à cc prix· là '1 .

. . Le commandant temporaire ROUSSEA U au citoyen
administrateur du district de Morlaix .

Citoyen,

Je vous renvoye les effets que vous .avez envoyés pour les

Représentant du Reuple qui ont été icy détenus avec l'état des

effets rni:lnquant'5 et ceux que j'e garde . pour mon utilité .comme

je vous le demandais par ma dernière lettre. J'attendais jusqu'à

ce jour votre réponse, ce qui fait que j'ai retardé le départ des dits
effets.

. D'après votre note il manque:

7 serviette

f pliant.
2 matelats.

2 tapis. .
4, draps à la marque de Barbier .
3 brosses pour habit.

3 pour suillier.
3 miroirs.
1 peigne.

1 briquet . .
3 savonnettes . .
5 rasoirs.

7 mouchoirs.
~ éponge.

2 plats de terre cassé sur le feu.
2 plats à 'barbe.
3 pots de nuit.

l (al été 'mis à la blanchisseUse
et trois nape ; par le citoyen
Vellers .

Em porté par la cuisinière, lors
de son départ à ce que je peus

crOIre.

manquent.

manquent

5 pots de terre, je n'en ai vu aucun. '

2 pots à l'eau que je garde, un pour moi. et un pour l'officier du
détachement.
7 goblets.

. Les représentants m'ont emporté un verre taillé de 30

lorsqu'ils sont partie. Je n'ai fait aucune attention ; il avait été
mis sur la table pour rafraichir les officiers qui sont venus les
chercher et ils ont mis à bord quelques bouteilles de vin et
eau de vie.

ETAT des effets que je garde, dont je répondrai eu que Je
rernetteré en compt~ lorsque je serai relevé.
2 casseroles.
1 marmite.
1 grille de fer.
1 pelle à feu.
1 pincette.
1 écumoire.
1 mouchette.
1 pot à l'eau.

Etat .des effets non compris sur votre état que je renvoye :
8 chemises de grosse toile.
1 pantalon.
3 gilets à manches.
1 bonn- et de police.

Etat [de l dépense pour le citoyen Le Carpentier représentant
du peuple. .

Pour beurl'e, légumes, lait, œufs, sucre, café,

eau-de-vie, blanchisseur, cy ... _ ............. .
Pour port de lettres de toute les représentans ..

Total ...

Salut, fraternité.

Le commandant temporaire,

ROUSSEAU.

DEUX1ÈME PARTIE

publiés en 1919

1 Les trou pes de guerre àLesneven sous Louis XIV
par l'abbé G. PONDAVEN. . . . . . . . . .
/ Il Etablissement gallo-romain de GOfré-Ploué en

Plouescat par le chanoine ABGRALL (2planches)
III La révolution en Bretagne. Les derniers Monta­
gnards 1795 (suite) par PRo HÉMON. . . .
IV Laënnec bretonnant par GASTON ESNAULT. . .

V Excursion à Quimperlé par le chanoine ABGRALL
VI Etablissement gallo-romain de Pors-Guen en

. Gouesnac'h par 1. OGÈs. . . . . . . . . .
VII La chapelle Notre-Dame de Kerinec et les hôpi-

taux des chapelles bretonnes par H. WAQUET
(1 planche).. . . . . . . . . . . . . .
VIII Un jeune matelot bigouden otage de corsaires

jersyais (1744-17 t8) par LE BOURDELLÈS. . .

IX Importance archéologique de la région de la

presqu'île de la Torche par le commandant
CHARLES BÉNARD, l'abbé FAVHET et GEORGES
BOISSE LIER.. . . . . . . . . . . . . .
X Note sur le squelette exhumé à Roz-en-Tremen
dans la région de la Torche par le docteur
LAGRIFFE ... . . . . . .. . . . . . . .. .
XI L'enseignement de la langue bretonne par L.
OG~:S. .. .. . .. .. .. .. .. . .. . .. .. .. ..

XlI Discours de M. le PRÉSIDENT. .

PAGES

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